Imprimer
Autres documents liés
Addendum au rapport | Doc. 14078 Add. | 21 juin 2016
Le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie
1. Introduction
1. Lors de sa réunion du 23 mai
2016, la commission de suivi a approuvé un projet de rapport et
adopté un projet de résolution sur le fonctionnement des institutions
démocratiques en Turquie, afin de le présenter lors de la partie
de session de juin 2016. Faute de temps, la commission n’a pu examiner
toutes les propositions d’amendements présentés par M. Talip Küçükcan,
président de la délégation turque. Elle a également décidé d’examiner,
le 20 juin 2016, un addendum comprenant d’éventuels amendements
de la commission proposés par les corapporteures.
2. Nous souhaitons donner à la commission des informations récentes,
qui sont utiles dans la perspective du débat concernant le rapport
sur le fonctionnement des institutions démocratiques prévu au cours
de la session plénière de l’Assemblée, le 23 juin 2016.
3. Ces faits nouveaux ont eu lieu à une époque marquée par des
violences et des attentats terroristes incessants. Ainsi, le 7 juin
2016, une voiture piégée a fait 11 morts (dont sept fonctionnaires
de police) et 36 blessés dans le district de Vezneciler à Istanbul.
Cette attaque a été perpétrée par les «Faucons de la liberté du
Kurdistan» (TAK, qui serait une faction dissidente du PKK). Le 8 juin
2016, une autre voiture piégée a visé le siège de la police du district
de Midyat (province de Mardin dans le Sud-Est de la Turquie). Le
PKK a revendiqué l’attentat. Cinq personnes ont été tuées et une
trentaine blessées. Là encore, nous condamnons résolument et sans
équivoque ces attentats, ainsi que l’ont fait M. Pedro Agramunt,
Président de l’Assemblée parlementaire, qui a dénoncé le «fanatisme
aveugle des terroristes» alors qu’il se trouvait en visite officielle
du 6 au 8 juin 2016 en Turquie , et le Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe, M. Thorbjørn Jagland .
4. Les opérations de maintien de la sécurité se sont poursuivies
dans le sud-est de la Turquie, en particulier à Nusaybin et à Şırnak.
Selon les informations publiées par l’état-major général turc, elles
ont permis d’éliminer 495 militants du PKK à Nusaybin (province
de Mardin) et 505 à Şırnak. Selon les autorités, les opérations
ont pris fin le 3 juin 2016 . Pour sa part, le parlement a entamé
son travail sur un projet de loi qui assurerait une protection juridique
aux membres des forces armées participant à des opérations de sécurité
contre des groupes considérés comme des organisations terroristes.
Le 10 juin 2016, la Commission de la défense a approuvé un projet
de loi selon lequel les officiers et le chef de l’état-major général
pourraient seulement être l’objet d’enquêtes et traduits en justice
avec l’autorisation du Premier ministre, alors que les enquêtes
sur le personnel civil et les militaires du rang supposeraient l’aval
du Gouverneur. Les crimes allégués commis pendant les opérations
seraient considérés comme des infractions pénales militaires, si
bien qu’ils ne pourraient être jugés par les juridictions civiles , ce qui représenterait un recul par
rapport aux réformes introduites par le référendum constitutionnel
de 2010 concernant les procédures de comparution des militaires, y
compris les officiers, et des personnes accusées de crimes contre
la sécurité de l’Etat ou l’ordre constitutionnel, devant les tribunaux
civils . Cette loi accroîtrait
les pouvoirs de l’armée et pourrait conférer l’impunité aux forces
engagées dans la lutte contre des groupes terroristes, ce qui serait
contraire aux obligations incombant à la Turquie de mener des investigations
effectives sur les allégations de fautes commises par le personnel
de sécurité pendant ces opérations, prévues par la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5).
2. Liberté d’expression et liberté des médias
2.1. Levée de l’immunité des parlementaires
5. Le 20 mai 2016, la Grande assemblée
nationale de Turquie a adopté la loi no 6178.
Celle-ci suspendra temporairement l’article 83, première phrase,
de la Constitution, qui confère l’immunité aux députés. Nous avons
exprimé notre préoccupation auparavant au sujet de cette procédure,
qui empêche un examen au cas par cas. Nous réitérons notre position
selon laquelle l’immunité ne devrait pas empêcher d’administrer
la justice. Dans le contexte actuel, nous sommes préoccupées par
les conséquences politiques éventuelles de cette loi sur la vie
parlementaire étant donné que cette mesure touchera de manière disproportionnée
les députés de l’opposition. Le Parti
démocratique des peuples (HDP) s’est dit préoccupé par 105 affaires qui ont été
soumises en toute hâte au parlement, le tout dernier jour précédant
l’entrée en vigueur de la loi et par le fait qu’il ne dispose d’aucune
information dans 93 de ces affaires. Le parti a aussi donné des
informations sur 547 chefs d’accusation figurant dans les autres
417 affaires , et déclaré que cet amendement
constitutionnel équivalait à un «coup administratif» destiné à exclure
le HDP du parlement.
6. Le 3 juin 2016, la Cour constitutionnelle a rejeté les requêtes
individuelles déposées par des membres du HDP et du Parti
républicain du peuple (CHP). Le 7 juin 2016, le Président Erdoğan a promulgué
la loi, ce qui permet au parlement de renvoyer dans les quinze jours
les dossiers au ministère de la Justice pour qu’ils soient examinés
par des procureurs.
7. A la date de la publication de la loi no 6178
au Journal officiel, 152 députés étaient concernés (soit 27,6 %
du nombre total de parlementaires) et 800 affaires, réparties comme
suit, étaient pendantes :
- Parti républicain du peuple (CHP): 57 députés (sur 133) 211 affaires
- Parti démocratique des peuples (HDP): 55 députés (sur 59) 511 affaires
- Parti de la justice et du développement (AKP): 29 députés (sur 317) 50 affaires
- Parti du mouvement nationaliste (MHP): 10 députés (sur 40) 23 affaires
- Député indépendant: 1 (sur un) 5 affaires
8. Nous croyons comprendre selon l’explication que nous a donnée
M. Küçükcan le 31 mai 2016, que «les affaires dans ce domaine font
l’objet d’une procédure judiciaire devant des tribunaux indépendants
et peuvent donner lieu à un recours devant la Cour constitutionnelle
ou la Cour européenne des droits de l’homme», ce que le HDP a annoncé
pour autant qu’il arrive à collecter les 110 signatures de parlementaires
nécessaires pour saisir la Cour constitutionnelle. Le Ministre de
la justice, M. Bekir Bozdağ, a annoncé le 10 juin 2016 que 117 dossiers
avaient été transmis au parquet. Nous nous attendons à ce que le
traitement de ces affaires soit strictement conforme aux normes
du Conseil de l’Europe. Nous notons aussi que certains des 152 députés concernés
sont membres de l’Assemblée parlementaire et qu’ils bénéficient
à ce titre de l’immunité parlementaire.
2.2. Harmonisation de la législation turque avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
9. Nous nous réjouissons de la
réunion du groupe de travail informel le 13 juin 2016 à Strasbourg.
Pour mémoire, le groupe de travail a été créé à l’initiative du
ministre turc de la Justice et du Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe, dans le cadre du «Plan d’action sur la prévention des
violations de la Convention européenne des droits de l’homme ». L’un des 14
buts retenus dans le plan d’action est de «favoriser le plus largement
possible la liberté d’expression et la liberté de réunion» . Le plan prévoit une analyse
des «effets pratiques des modifications apportées par la loi no 6459
à l’article 220 “Constitution d’organisations à des fins criminelles”
du Code pénal turc et aux dispositions concernant la liberté de
pensée et d’expression de la loi antiterrorisme no 3713».
Le Groupe a discuté des problèmes identifiés dans les arrêts de
la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’interprétation
de la législation turque visant à combattre le terrorisme et ses effets
sur la liberté d’expression (article 10 de la Convention européenne
des droits de l’homme) et la liberté de réunion (article 11). Le
Groupe a passé en revue les amendements à la législation adoptés
en 2012 (3e train de réformes), en 2013
(4e train de réformes) et en 2014 (“Train
de réformes pour la démocratisation”) et leur mise en œuvre, ainsi
que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque et la Cour
de Cassation, tout en considérant la mise en œuvre de la loi anti-terroriste,
les dispositions du code pénal et du code de procédure pénale dans
le contexte de la liberté d’expression, ainsi que la mise en œuvre
de la «Loi sur les réunions et manifestations», qui est en cours
de révision. Nous nous réjouissons que ce Groupe de travail informel
soit convenu de se rencontrer à nouveau dès que possible, et nous
voulons appuyer de tels processus qui contribueront à mettre en
conformité la législation turque avec la Convention européenne des
droits de l’homme.
3. Fonctionnement du système judiciaire
Faits récents
10. Dans notre rapport et le projet
de résolution, nous avons mentionné la question des mutations de personnel
au sein du système judiciaire, ce qui a conduit le Groupe d'Etats
contre la corruption (GRECO) et la Commission européenne pour la
démocratie par le droit (Commission de Venise) à soulever un certain
nombre de questions sur la transparence du processus. Cette tendance
a été confirmée le 5 juin 2016, lorsque le Président Erdoğan a signé
un décret en vertu duquel le Haut conseil des juges et des procureurs
a achevé d’exécuter le principal décret de 2016 sur le système judiciaire
et administratif et muté 3 228 juges et procureurs des juridictions
civiles et 518 juges et procureurs des juridictions administratives . Cela représente un quart des juges
et des procureurs de Turquie. Selon l’Association des juges et des
procureurs «Yarsav» (membre de l’Association internationale et européenne
de la magistrature) plus de la moitié (8 720 des 15 000) juges et
procureurs ont été déplacés dans d’autres postes ou localités par
le Haut conseil des juges et des procureurs depuis son renouvellement
en octobre 2014. Nous avons entendu des allégations de
procureurs et de juges qui ont été promus ou mutés dans des lieux
éloignés, selon les décisions qu’ils ont rendues. Cela soulève là
encore des questions. Nous réitérons donc notre appel à mettre en
œuvre les recommandations du GRECO dans ce domaine et à prévenir
toute autre spéculation en précisant les critères appliqués aux mutations
et aux promotions des juges et des procureurs.
11. Un projet de loi a été déposé le 13 juin 2016 au Parlement
pour restructurer la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat, vu
que les cours régionales de justice deviendront opérationnelles
le 20 juillet 2016. Nous nous réjouissons de la création de ces
cours régionales d’appel, attendues de longue date, qui devraient
améliorer l’efficacité du système de justice, et qui nécessite en
effet une réorganisation du personnel judiciaire. En l’espèce, nous
comprenons que la création de ces cours régionales d’appel aura
pour conséquence de réduire le nombre des membres de ces deux juridictions
suprêmes, ainsi que le nombre de leurs chambres, compte tenu du
fait que près de 90% des décisions des cours de première instance,
et 80% de celles des cours administratives de première instance,
sont finalisées lors de la procédure d’appel. Il est donc attendu
que le nombre de dossiers traités par la Cour de Cassation soit
diminué d’autant.
12. Le nombre total de magistrats de la Cour de Cassation et du
Conseil d’Etat serait progressivement réduit respectivement de 516
à 200 et de 195 à 90. Les magistrats des deux juridictions à l’exception
du Premier président, du procureur public en chef, des premiers
vice-présidents, du vice-procureur public en chef et des présidents
de chambre seraient révoqués le jour où la loi entrerait en vigueur.
Les nouveaux magistrats seraient sélectionnés par le Haut conseil
des juges et des procureurs cinq jours après l’entrée en vigueur
de la loi parmi les membres révoqués. Les autres membres révoqués
seront réaffectés dans d’autres juridictions. Conformément à l’article
104 de la Constitution, un quart des membres du Conseil d’Etat seront
désignés par le Président de la République. Une nouveauté introduite
par la loi concerne la limitation du mandat des juges des deux juridictions
à 12 ans, bien que les lois en vigueur permettent aux juges de rester
en fonction jusqu’à 65 ans, âge de la retraite . Ce projet de loi, combiné aux mutations
massives de magistrats, pourrait être une nouvelle source de préoccupation
sur l’indépendance de la justice. Cela concerne en particulier la
conformité de la limitation du mandat des juges de la Cour de Cassation
et du Conseil d’Etat avec la Constitution, et la désignation d’un
nombre important de juges par le Président sans l’implication d’autres
instances (comme cela est prévu dans la Constitution ).
13. L’Association des juges et des procureurs «Yarsav», pour sa
part, s’inquiète que ce projet de loi puisse aller à l’encontre
du principe constitutionnel de la sécurité des mandats et de l’inamovilibilté
des juges et que la procédure de désignation des futurs membres
de la Cour de Cassation et du Conseil d’Etat puisse être sélective.
L’Association soulève également la question des effets rétroactifs
d’une décision de la Cour constitutionnelle, si cette dernière devait
déclarer que cette loi, ou certaines de ses dispositions, étaient déclarées
anticonstitutionnelles.
14. Compte tenu de l’impact de ce projet de loi sur la structure
du système judiciaire, nous souhaiterions recommander de solliciter
un avis de la Commission de Venise sur ce projet de loi et les aspects constitutionnels
de la désignation des membres de ces hautes juridictions. Nous souhaiterions
également inviter les autorités compétentes (les membres du parlement
ou le Président de la République) à transmettre ce projet de loi
à la Cour constitutionnelle pour en vérifier la constitutionnalité,
et aussi à s’assurer que la loi adoptée tiendra compte des recommandations
de la Commission de Venise.
Avis concernant la Turquie récemment adoptés par la Commission de Venise
15. Lors de sa réunion du 23 mai
2016, la commission de suivi a décidé de demander à la Commission
de Venise un avis sur «les obligations, les compétences et le fonctionnement»
des «tribunaux de paix pénaux» institués par la loi no 5235.
16. Depuis, lors de sa dernière réunion en date (10-11 juin 2016),
la Commission de Venise a adopté deux avis pertinents pour le présent
rapport:
0.1. Un avis sur «la loi
turque de réglementation des publications sur internet et de lutte
contre les infractions pénales commises par le biais de ces publications
(“loi sur internet”)» .
Cet avis, demandé par l’Assemblée parlementaire (sur la recommandation
de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et
des médias), s’intéresse aux moyens et à la proportionnalité des
mesures permettant de bloquer l’accès à des sites web .
0.1.1. Alors que la Commission de Venise
a noté que la loi no 5651 [de 2007] sur
internet vise à combattre les infractions commises par l’utilisation
malveillante des possibilités offertes par le Réseau et à prendre
les mesures préventives nécessaires contre la diffusion de messages encourageant
des contenus préjudiciables, comme l’abus de drogue, l’exploitation
sexuelle des enfants etc.», (c’est-à-dire des buts légitimes pour
les restrictions énumérées à l’article 10.2 de la Convention européenne
des droits de l’homme), l’évaluation globale des amendements adoptés
en 2014 et en mars 2015 «a conduit à une augmentation
des pouvoirs de la Présidence des télécommunications qui lui permettent
de prendre des ordres de blocage de l’accès sans contrôle judiciaire
préalable et à un certain nombre de procédures alternatives de blocage
de l’accès/suppression de contenus pour différents motifs». La Commission
de Venise note la différence fondamentale entre l’article 8 de la
loi (où la mesure de blocage de l’accès est présentée comme une
«mesure préventive») et les procédures prévues au
titre des articles 8A, 9 et 9A (qui constituent de véritables procédures
autonomes permettant de prendre des décisions matérielles de «blocage
de l’accès») .
La Commission de Venise relève un certain nombre de questions problématiques:
- absence d’obligation pour le juge de faire une évaluation de proportionnalité afin de trouver un juste équilibre entre des droits en conflit;
- absence de liste de mesures moins radicales que le blocage de l’accès , ce qui prive le juge de toute marge de manœuvre pour imposer une sanction moins sévère dans certaines circonstances à la suite de l’évaluation de proportionnalité;
- possibilité problématique pour la présidence des télécommunications de prendre des mesures de blocage de l’accès à internet sans contrôle judiciaire préalable.
0.1.2. La Commission de Venise a ainsi invité les autorités turques
à mettre en œuvre notamment les recommandations suivantes pour que
la loi no 5651 satisfasse aux normes européennes
applicables:
- les procédures de blocage de l’accès en vertu des articles 8A, 9 et 9A devraient, tout comme la procédure prévue à l’article 8, dépendre de l’engagement d’une procédure civile ou pénale, et la décision de bloquer l’accès dans le cadre de ces procédures devrait seulement constituer une «mesure de précaution», pouvant être prise dans le cadre de la procédure civile ou pénale sur le fond;
- concernant les quatre procédures de blocage de l’accès, le juge de jugement devrait, au cours de la procédure civile ou pénale qui s’ensuivra, être en mesure de contrôler la nécessité de maintenir la mesure préventive de blocage et de retirer immédiatement celle-ci s’il considère qu’elle n’est pas nécessaire étant donné la procédure civile/pénale. Les décisions de maintenir la mesure de blocage de l’accès doivent être dûment motivées;
- au cas où les procédures prévues aux articles 8A, 9 et 9A seraient maintenues, en tant que véritables procédures autonomes permettant de prendre des décisions matérielles de «blocage de l’accès», il faudrait prévoir des garanties procédurales appropriées dans ce cadre: le juge devrait bénéficier de suffisamment de temps pour procéder à une évaluation de proportionnalité approfondie et raisonnée de l’atteinte à la liberté d’expression; il devrait pouvoir tenir une audience; et un recours contre les décisions de blocage rendues par des tribunaux de paix devrait être prévu devant une juridiction de degré supérieur, y compris la Cour de Cassation;
- la condition selon laquelle la restriction doit «être nécessaire dans une société démocratique» devrait figurer dans les dispositions concernant les quatre procédures de blocage de l’accès. La nécessité d’un juste équilibre entre des droits et des intérêts contradictoires lorsqu’on restreint les libertés d’internet devrait être un principe directeur pour l’administration et les tribunaux; une procédure de notification appropriée devrait exister pour toutes les procédures de blocage menées en vertu de la loi. Elle devrait comprendre des informations sur la mesure et les motifs avancés par les autorités pour justifier celle-ci et indiquer les recours disponibles;
- il faudrait inscrire dans la loi une liste de mesures moins radicales que le blocage de l’accès/la suppression de contenus pour permettre aux autorités et aux tribunaux de recourir à ces mesures moins interventionnistes chaque fois qu’elles suffisent pour atteindre le but légitime visé par la restriction (évaluation de proportionnalité); le blocage de l’accès devrait être une mesure de dernier ressort;
- il faudrait revoir le système de blocage de l’accès par décision de la Présidence des télécommunications sans contrôle judiciaire préalable (mesure administrative). La recherche d’un équilibre entre des droits en conflit et/ou la mesure restreignant la liberté d’expression et les buts légitimes visés par la mesure devrait être assurée par un tribunal et non par un organe administratif .
0.2. Dans son avis sur le cadre juridique des couvre-feux en
Turquie , élaboré à la demande de la commission
de suivi, la Commission de Venise a souligné l’absence de base juridique
claire, étant donné que «les couvre-feux imposés depuis le mois
d’août 2015 n’ont pas eu comme fondement le cadre constitutionnel
et législatif qui régit de manière spécifique, en Turquie, le recours
à des mesures d’exception, y compris le couvre-feu». La Commission
de Venise a noté ceci :
«Les autorités turques ont choisi de ne pas faire recours à la déclaration d’un état d’exception afin d’entreprendre les opérations de sécurité qu’elles ont estimées nécessaires dans les zones concernées, et ceci alors que de telles opérations et les mesures qui leur sont associées (y compris le couvre-feu) comportent inévitablement des limitations aux droits et aux libertés ayant, parfois, des conséquences d’une extrême gravité.
Pour être conforme [au] cadre [constitutionnel et législatif] toute décision de couvre-feu devrait être associée à un état d’exception tel que ceux prévus par la Constitution aux articles 119 à 122; cela serait aussi en conformité avec l’approche de la Commission qui, dans ses travaux, a souligné qu’il convient d’éviter l’état d’exception de fait et de proclamer officiellement l’état d’exception, avec son catalogue d’obligations et de garanties, dont notamment l’obligation de notifier toute dérogation aux droits fondamentaux et ses raisons auprès des organisations internationales, soumettant de la sorte son application au contrôle de ces dernières, ou encore au débat et à l’approbation du parlement.»
17. La Commission de Venise a également
considéré que «la loi sur l’administration des provinces, sur laquelle
sont fondées les décisions imposant le couvre-feu, ainsi que les
décisions en question, ne remplissent pas les exigences de légalité
inscrites dans la Constitution et résultant des obligations internationales
de la Turquie dans le domaine des droits fondamentaux».
18. La Commission de Venise a de ce fait invité les autorités
turques à mettre en œuvre en particulier les recommandations suivantes:
- ne plus avoir recours aux dispositions de la loi sur l’administration des provinces pour imposer le couvre-feu et s’assurer que l’adoption de toutes mesures d’urgence, y compris le couvre-feu, est effectuée en conformité avec le cadre constitutionnel et législatif en vigueur en Turquie en matière de mesures d’exception, dans le respect des standards internationaux en la matière et en conformité avec les dispositions nationales et les obligations internationales du pays en matière de droits fondamentaux;
- réexaminer le cadre juridique afférent à l’état d’urgence afin de s’assurer que toutes les décisions et les mesures à caractère dérogatoire, telles que le couvre-feu, prises par les autorités dès lors qu’un état d’urgence est formellement proclamé, sont soumises à un contrôle de légalité effectif, comportant notamment un examen de leur nécessité et proportionnalité;
- introduire tous les amendements nécessaires à la loi sur l’état d’urgence afin de prévoir avec clarté, dans la loi, les conditions matérielles, formelles et temporelles pour la mise en œuvre des couvre-feux, et en particulier les conditions et les garanties qui doivent leur être associées (notamment leur contrôle parlementaire et juridictionnel).
19. Ainsi qu’elle l’a indiqué dans le projet de résolution, la
commission de suivi espère que les autorités turques donneront suite
aux recommandations de la Commission de Venise concernant le cadre
juridique applicable aux publications sur internet et à la lutte
contre les infractions pénales commises par le biais de ce type
de publication, ainsi que le cadre juridique des couvre-feux.
4. Conclusions
20. Au cours de la réunion de la
commission du 23 mai 2016, nous sommes convenues, en tant que corapporteures,
de discuter avec le Président de la délégation turque, M. Talip
Küçükcan, des amendements restants qui avaient été présentés, mais
qui n’avaient pas pu être examinés par la commission. Lors de sa réunion
du 20 juin 2016, la commission a approuvé les amendements de compromis
suivants:
- Amendement 1: Dans le paragraphe 17, remplacer la première partie de la première phrase par ce qui suit: «L’Assemblée est également préoccupée par les résultats insatisfaisants du dialogue politique dans la région …»
- Amendement 2: Dans le paragraphe 17, ajouter la phrase suivante à la fin du paragraphe: «Les partis politiques démocratiques devraient condamner et adopter une position ferme contre le terrorisme.»
- Amendement 3: Dans le paragraphe 19, remplacer la troisième et la quatrième phrase par ce qui suit: «L’Assemblée reste préoccupée par l’interprétation extensive de la loi antiterrorisme, en contradiction avec les normes du Conseil de l’Europe. Elle réitère de ce fait l’invitation à la Turquie qu’elle a formulée en 2013 de revoir la définition des infractions liées au terrorisme et à l’appartenance à une organisation criminelle conformément au “Plan d’action sur la prévention des violations de la Convention européenne des droits de l’homme”, adopté par la Turquie en février 2014.»
21. Sur la base des informations communiquées dans le présent
addendum, nous présentons également l’amendement suivant, qui a
été approuvé par la commission:
- Amendement 4: Après le paragraphe 31, insérer le paragraphe suivant: «Enfin, alors que l’Assemblée salue la création de cours régionales, elle note que le projet de loi portant sur la restructuration de la Cour de Cassation et du Conseil d’Etat suscite des interrogations. Elle demande de ce fait à la Commission de Venise un avis sur ce projet de loi, ainsi que sur les aspects constitutionnels de la désignation des membres des hautes instances juridictionnelles. L’Assemblée invite par ailleurs les autorités compétentes à solliciter l’avis de la Cour constitutionnelle turque, et à s’assurer également que la loi adoptée tiendra compte des recommandations de la Commission de Venise.»