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Résolution 2118 (2016)

Les réfugiés en Grèce: défis et risques – Une responsabilité européenne

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 21 juin 2016 (21e séance) (voir Doc. 14082 et addendum, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteure: Mme Tineke Strik). Texte adopté par l’Assemblée le 21 juin 2016 (21e séance).

1. La Grèce se retrouve aujourd’hui coincée entre deux réalités brutales liées à la réponse paniquée de l’Europe face à la crise des réfugiés et des migrants: d’une part, la fermeture par «l’ex-République yougoslave de Macédoine» de sa frontière avec la Grèce et, d’autre part, l’application imposée de l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie (accord UE-Turquie) dans les îles de la mer Egée. De ce fait, 46 000 réfugiés et migrants sont bloqués sur le continent et quelque 8 500 autres sur les îles. Du simple fait de sa position sur la carte, la Grèce doit supporter une charge totalement disproportionnée, alors que, à tous les autres égards, c’est peut-être le pays le moins bien placé de tous les Etats membres de l’Union européenne pour assumer cette responsabilité.
2. Le régime d’asile grec présente depuis longtemps de nombreuses défaillances, dont la Cour européenne des droits de l’homme a conclu en 2011 qu’elles avaient engendré des violations de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5). En dépit des efforts déployés par les autorités grecques et des progrès constatés dans certains domaines, les problèmes structurels sous-jacents restent pour la plupart irrésolus, alors même que le régime d’asile n’a jamais été autant sous pression et que le gouvernement est confronté par ailleurs à d’énormes difficultés politiques, administratives et budgétaires.
3. L’Union européenne porte une grande part de responsabilité dans la situation actuelle, puisqu’elle a soutenu tacitement la fermeture des frontières le long de la route des Balkans occidentaux et a conclu l’accord avec la Turquie du 18 mars 2016. L’Union européenne n’a pourtant pas su apporter un soutien adéquat à la Grèce jusqu’à présent ni assurer un partage équitable des responsabilités entre ses Etats membres. En particulier, les Etats membres de l’Union européenne ont collectivement échoué à satisfaire les demandes de personnel détaché pour assurer le fonctionnement effectif du régime d’asile grec, notamment dans les îles de la mer Egée où la plupart des demandeurs d’asile sont placés en rétention, et ils ont collectivement échoué à donner une suite utile aux accords de 2015 de relocalisation des personnes ayant obtenu le statut de réfugié. Bien qu’un soutien financier ait été accordé, l’argent à lui seul ne résoudra rien si la Grèce ne dispose pas des moyens administratifs et de la capacité structurelle nécessaires pour le dépenser efficacement.
4. La crise des réfugiés et des migrants dans l’est de la Méditerranée doit être reconnue pleinement comme un problème européen et mondial, et non uniquement grec. La seule réponse appropriée repose sur le respect des droits humains des réfugiés et des migrants, conformément aux valeurs fondamentales communes au Conseil de l’Europe, à l’Union européenne et à leurs Etats membres, ainsi que sur une véritable solidarité et un partage concret des responsabilités. De sérieux doutes existent quant à la viabilité de la situation actuelle en Grèce: des dizaines de milliers de réfugiés et de migrants sont encore présents dans des camps où les conditions ne répondent pas aux normes internationales; la situation dans les îles de la mer Egée n’a cessé de se dégrader depuis l’accord UE-Turquie; et le régime d’asile sur le continent continue de présenter des dysfonctionnements. La situation de la Grèce ne pourra devenir viable qu’à deux conditions essentielles: l’enregistrement et le traitement rapides de toutes les demandes d’asile, ce qui dépend en premier lieu des autorités grecques, avec le soutien de l’Union européenne, et le respect par les Etats, dans les meilleurs délais, de leurs obligations en matière de relocalisation, ce qui dépend principalement des autres pays. Si ces deux conditions ne sont pas remplies, il existe un risque grave que la Grèce connaisse une profonde crise humanitaire.
5. Les premières victimes de la situation en Grèce sont les réfugiés et les migrants. L’Assemblée parlementaire s’inquiète particulièrement des aspects suivants:
5.1. la rétention des demandeurs d’asile, qui n’ont été condamnés d’aucun crime, dans les centres de crise («hotspots») des îles de la mer Egée pour des motifs juridiques discutables, dans des conditions qui ne respectent même pas les normes minimales attendues des prisons, entourés d’un flou administratif qui se traduit par un manque d’informations sur leur situation et les laisse dans l’incertitude la plus complète quant à leur avenir;
5.2. la rétention, dans ces «hotspots», de personnes vulnérables – notamment de femmes et d’enfants – aux côtés de jeunes adultes en proie à la colère et à la frustration, ce qui les expose à des risques de violence, d’exploitation et d’abus;
5.3. le risque de renvoi des demandeurs d’asile des îles de la mer Egée vers la Turquie, en vertu de l’accord UE-Turquie du 18 mars 2016, bien que ces retours semblent incompatibles avec le droit de l’Union européenne et le droit international;
5.4. les conditions de vie dans la plupart des centres d’accueil sur le continent – pour la plupart totalement inadaptés à cet usage –, bien inférieures aux normes acceptables en termes de capacité d’hébergement, de nourriture, d’équipements sanitaires et de soins médicaux; là encore, de nombreux enfants ont à endurer ces conditions;
5.5. les milliers d’autres personnes, parmi lesquelles aussi des enfants, vivant dans des camps de fortune, dont les conditions de vie sont encore plus sordides et dangereuses que dans les centres de rétention;
5.6. le placement bien trop fréquent des réfugiés et des migrants en rétention, car, en dépit des réformes politiques, l’appréciation individuelle et la révision par les autorités de la nécessité et de la proportionnalité de la rétention ou l’application d’autres mesures ne sont toujours pas des pratiques systématiques; les conditions de vie dans les centres de rétention administrative restent aussi largement inférieures aux normes internationales;
5.7. l’absence de protection effective des droits et intérêts des enfants non accompagnés et séparés en raison de problèmes dans le système d’évaluation de l’âge et le régime de tutelle, de l’insuffisance de la capacité d’hébergement et du manque d’information. De nombreux enfants non accompagnés et séparés sont placés en rétention, soi-disant pour leur protection, dans des postes de police à l’évidence inadaptés pour cet usage, et y séjournent dans des conditions dégradantes;
5.8. le doute sérieux qui persiste quant à la capacité de la récente réforme substantielle du système d’asile d’assurer la mise en œuvre des garanties procédurales fondamentales jusque-là absentes dans le traitement des demandes d’asile.
6. L’Assemblée appelle par conséquent les autorités grecques:
6.1. à veiller à ce que les conditions de rétention dans les «hotspots» soient conformes aux normes internationales, en mettant en œuvre toutes les recommandations techniques qui pourront être formulées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) dans ses observations préliminaires à la suite de sa visite dans le pays au mois d’avril 2016;
6.2. à appliquer et à réexaminer régulièrement les motifs de rétention dans les «hotspots», en veillant au strict respect des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, et à étudier les dossiers de toutes les personnes actuellement en rétention et des nouveaux arrivants pour faire en sorte que les personnes vulnérables soient hébergées dans des structures adaptées;
6.3. à libérer sans délai ceux dont le maintien en rétention dans les «hotspots» ne se justifie plus et à libérer immédiatement tous les enfants ainsi que leurs parents ou les adultes qui les accompagnent;
6.4. à veiller à ce que la capacité d’accueil en centres ouverts soit suffisante, de nature et de qualité appropriées, pour tous les demandeurs d’asile non placés en rétention dans les îles;
6.5. à veiller à ce que la procédure d’irrecevabilité des demandes d’asile de personnes arrivant de Turquie soit appliquée dans le strict respect du droit de l’Union européenne et du droit international;
6.6. à assurer la mise à disposition, sur le continent, d’un nombre suffisant de places d’accueil de nature et de qualité appropriées pour tous les demandeurs d’asile, notamment ceux qui se trouvent actuellement dans des camps de fortune, et à apporter aux structures existantes les aménagements nécessaires pour qu’elles répondent aux normes internationales, en coopération avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et les organisations non gouvernementales concernées, en donnant la priorité aux besoins des groupes vulnérables tels que les femmes et les enfants;
6.7. à ne procéder au placement en rétention des migrants, et en particulier des demandeurs d’asile, que lorsque cela est strictement nécessaire et proportionné, et à veiller à ce que les conditions de rétention administrative soient conformes aux normes internationales, en mettant en œuvre toutes les recommandations faites dans le rapport du CPT de mars 2016;
6.8. à garantir les droits et intérêts des enfants non accompagnés et séparés, notamment en veillant à ce que la procédure d’évaluation de l’âge soit dûment appliquée dans tous les cas, en renforçant le régime de tutelle par la création d’un mécanisme d’appui aux procureurs, en prévoyant un nombre suffisant de places d’hébergement adaptées, en évitant le placement en rétention de ces enfants et en leur fournissant des informations et des conseils sur leur situation et leurs droits;
6.9. à rendre pleinement opérationnel, dans les meilleurs délais, le nouveau régime d’asile, à garantir la rapidité et l’efficacité du processus de préenregistrement, à éliminer rapidement le retard accumulé dans l’examen des demandes et recours, et à traiter diligemment toutes les nouvelles demandes, en pleine conformité avec les normes de l’Union européenne et celles de la Convention européenne des droits de l’homme;
6.10. à publier systématiquement des informations, cohérentes, claires, complètes et compréhensibles sur la situation en ce qui concerne les «hotspots», la rétention, la capacité d’accueil, la procédure d’asile et les progrès réalisés dans le traitement des demandes, ainsi que la capacité opérationnelle et les activités du service d’asile.
7. L’Assemblée demande aussi à l’Union européenne, à ses Etats membres et aux Etats participant aux programmes de relocalisation, selon le cas:
7.1. de répondre pleinement et sans tarder aux demandes du Bureau européen d'appui en matière d'asile concernant le détachement de personnel national à l’appui des services d’asile grecs;
7.2. de permettre aux autorités grecques de recruter du personnel supplémentaire, et de leur fournir les ressources adéquates pour répondre aux besoins urgents;
7.3. de mettre en œuvre pleinement et sans tarder les accords de septembre 2015 sur la relocalisation depuis la Grèce, en évitant toute entrave administrative inutile ou condition supplémentaire superflue;
7.4. de coopérer sans difficulté avec les autorités grecques pour mettre en œuvre le regroupement familial au titre du Règlement de Dublin;
7.5. de veiller à ce qu’une assistance financière soit mise à la disposition, de manière efficiente et efficace, des acteurs impliqués dans des activités de terrain en Grèce, pour permettre la mise en œuvre de projets durables au profit des réfugiés et des migrants, en évitant toute complication bureaucratique et tout retard superflus;
7.6. de publier systématiquement des informations cohérentes, claires, complètes et compréhensibles sur la situation en ce qui concerne les «hotspots», y compris les retours en Turquie, les ressources et les activités du personnel détaché par l’Union européenne pour aider les autorités grecques, la mise à disposition du soutien financier aux autorités grecques et aux autres acteurs concernés en Grèce, et la mise en œuvre des accords de relocalisation;
7.7. d’être préparés à l’éventualité d’un échec de l’approche actuelle et de prévoir à l’avance des solutions alternatives pour éviter l’état d’impréparation et la gestion de crise par réaction qui a été manifeste jusqu’à présent;
7.8. de réexaminer l’accord UE-Turquie, compte tenu des critiques du HCR, de Médecins sans frontières et d’Amnesty International;
7.9. de ne pas envisager une reprise des transferts vers la Grèce au titre du Règlement de Dublin avant que le Comité des Ministres ait clos sa surveillance de l’exécution par la Grèce de l’arrêt M.S.S c. Belgique et Grèce;
7.10. d’élaborer une politique globale et durable concernant les réfugiés, qui repose sur le partage des responsabilités et le respect des normes de l’Union européenne et de celles de la Convention européenne des droits de l'homme, et de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés.