Imprimer
Autres documents liés
Résolution 2118 (2016)
Les réfugiés en Grèce: défis et risques – Une responsabilité européenne
1. La Grèce se retrouve aujourd’hui
coincée entre deux réalités brutales liées à la réponse paniquée
de l’Europe face à la crise des réfugiés et des migrants: d’une
part, la fermeture par «l’ex-République yougoslave de Macédoine»
de sa frontière avec la Grèce et, d’autre part, l’application imposée
de l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie (accord
UE-Turquie) dans les îles de la mer Egée. De ce fait, 46 000 réfugiés et
migrants sont bloqués sur le continent et quelque 8 500 autres sur
les îles. Du simple fait de sa position sur la carte, la Grèce doit
supporter une charge totalement disproportionnée, alors que, à tous
les autres égards, c’est peut-être le pays le moins bien placé de
tous les Etats membres de l’Union européenne pour assumer cette
responsabilité.
2. Le régime d’asile grec présente depuis longtemps de nombreuses
défaillances, dont la Cour européenne des droits de l’homme a conclu
en 2011 qu’elles avaient engendré des violations de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5). En
dépit des efforts déployés par les autorités grecques et des progrès
constatés dans certains domaines, les problèmes structurels sous-jacents
restent pour la plupart irrésolus, alors même que le régime d’asile
n’a jamais été autant sous pression et que le gouvernement est confronté
par ailleurs à d’énormes difficultés politiques, administratives
et budgétaires.
3. L’Union européenne porte une grande part de responsabilité
dans la situation actuelle, puisqu’elle a soutenu tacitement la
fermeture des frontières le long de la route des Balkans occidentaux
et a conclu l’accord avec la Turquie du 18 mars 2016. L’Union européenne
n’a pourtant pas su apporter un soutien adéquat à la Grèce jusqu’à
présent ni assurer un partage équitable des responsabilités entre
ses Etats membres. En particulier, les Etats membres de l’Union
européenne ont collectivement échoué à satisfaire les demandes de personnel
détaché pour assurer le fonctionnement effectif du régime d’asile
grec, notamment dans les îles de la mer Egée où la plupart des demandeurs
d’asile sont placés en rétention, et ils ont collectivement échoué
à donner une suite utile aux accords de 2015 de relocalisation des
personnes ayant obtenu le statut de réfugié. Bien qu’un soutien
financier ait été accordé, l’argent à lui seul ne résoudra rien
si la Grèce ne dispose pas des moyens administratifs et de la capacité
structurelle nécessaires pour le dépenser efficacement.
4. La crise des réfugiés et des migrants dans l’est de la Méditerranée
doit être reconnue pleinement comme un problème européen et mondial,
et non uniquement grec. La seule réponse appropriée repose sur le
respect des droits humains des réfugiés et des migrants, conformément
aux valeurs fondamentales communes au Conseil de l’Europe, à l’Union
européenne et à leurs Etats membres, ainsi que sur une véritable solidarité
et un partage concret des responsabilités. De sérieux doutes existent
quant à la viabilité de la situation actuelle en Grèce: des dizaines
de milliers de réfugiés et de migrants sont encore présents dans
des camps où les conditions ne répondent pas aux normes internationales;
la situation dans les îles de la mer Egée n’a cessé de se dégrader
depuis l’accord UE-Turquie; et le régime d’asile sur le continent
continue de présenter des dysfonctionnements. La situation de la
Grèce ne pourra devenir viable qu’à deux conditions essentielles:
l’enregistrement et le traitement rapides de toutes les demandes
d’asile, ce qui dépend en premier lieu des autorités grecques, avec
le soutien de l’Union européenne, et le respect par les Etats, dans
les meilleurs délais, de leurs obligations en matière de relocalisation,
ce qui dépend principalement des autres pays. Si ces deux conditions
ne sont pas remplies, il existe un risque grave que la Grèce connaisse
une profonde crise humanitaire.
5. Les premières victimes de la situation en Grèce sont les réfugiés
et les migrants. L’Assemblée parlementaire s’inquiète particulièrement
des aspects suivants:
5.1. la rétention
des demandeurs d’asile, qui n’ont été condamnés d’aucun crime, dans
les centres de crise («hotspots») des îles de la mer Egée pour des
motifs juridiques discutables, dans des conditions qui ne respectent
même pas les normes minimales attendues des prisons, entourés d’un
flou administratif qui se traduit par un manque d’informations sur
leur situation et les laisse dans l’incertitude la plus complète
quant à leur avenir;
5.2. la rétention, dans ces «hotspots», de personnes vulnérables
– notamment de femmes et d’enfants – aux côtés de jeunes adultes
en proie à la colère et à la frustration, ce qui les expose à des risques
de violence, d’exploitation et d’abus;
5.3. le risque de renvoi des demandeurs d’asile des îles de
la mer Egée vers la Turquie, en vertu de l’accord UE-Turquie du
18 mars 2016, bien que ces retours semblent incompatibles avec le
droit de l’Union européenne et le droit international;
5.4. les conditions de vie dans la plupart des centres d’accueil
sur le continent – pour la plupart totalement inadaptés à cet usage
–, bien inférieures aux normes acceptables en termes de capacité d’hébergement,
de nourriture, d’équipements sanitaires et de soins médicaux; là
encore, de nombreux enfants ont à endurer ces conditions;
5.5. les milliers d’autres personnes, parmi lesquelles aussi
des enfants, vivant dans des camps de fortune, dont les conditions
de vie sont encore plus sordides et dangereuses que dans les centres
de rétention;
5.6. le placement bien trop fréquent des réfugiés et des migrants
en rétention, car, en dépit des réformes politiques, l’appréciation
individuelle et la révision par les autorités de la nécessité et
de la proportionnalité de la rétention ou l’application d’autres
mesures ne sont toujours pas des pratiques systématiques; les conditions
de vie dans les centres de rétention administrative restent aussi
largement inférieures aux normes internationales;
5.7. l’absence de protection effective des droits et intérêts
des enfants non accompagnés et séparés en raison de problèmes dans
le système d’évaluation de l’âge et le régime de tutelle, de l’insuffisance de
la capacité d’hébergement et du manque d’information. De nombreux
enfants non accompagnés et séparés sont placés en rétention, soi-disant
pour leur protection, dans des postes de police à l’évidence inadaptés
pour cet usage, et y séjournent dans des conditions dégradantes;
5.8. le doute sérieux qui persiste quant à la capacité de la
récente réforme substantielle du système d’asile d’assurer la mise
en œuvre des garanties procédurales fondamentales jusque-là absentes
dans le traitement des demandes d’asile.
6. L’Assemblée appelle par conséquent les autorités grecques:
6.1. à veiller à ce que les conditions
de rétention dans les «hotspots» soient conformes aux normes internationales,
en mettant en œuvre toutes les recommandations techniques qui pourront
être formulées par le Comité européen pour la prévention de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) dans
ses observations préliminaires à la suite de sa visite dans le pays au
mois d’avril 2016;
6.2. à appliquer et à réexaminer régulièrement les motifs de
rétention dans les «hotspots», en veillant au strict respect des
dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme,
et à étudier les dossiers de toutes les personnes actuellement en
rétention et des nouveaux arrivants pour faire en sorte que les
personnes vulnérables soient hébergées dans des structures adaptées;
6.3. à libérer sans délai ceux dont le maintien en rétention
dans les «hotspots» ne se justifie plus et à libérer immédiatement
tous les enfants ainsi que leurs parents ou les adultes qui les
accompagnent;
6.4. à veiller à ce que la capacité d’accueil en centres ouverts
soit suffisante, de nature et de qualité appropriées, pour tous
les demandeurs d’asile non placés en rétention dans les îles;
6.5. à veiller à ce que la procédure d’irrecevabilité des demandes
d’asile de personnes arrivant de Turquie soit appliquée dans le
strict respect du droit de l’Union européenne et du droit international;
6.6. à assurer la mise à disposition, sur le continent, d’un
nombre suffisant de places d’accueil de nature et de qualité appropriées
pour tous les demandeurs d’asile, notamment ceux qui se trouvent actuellement
dans des camps de fortune, et à apporter aux structures existantes
les aménagements nécessaires pour qu’elles répondent aux normes
internationales, en coopération avec le Haut-Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés (HCR) et les organisations non gouvernementales concernées,
en donnant la priorité aux besoins des groupes vulnérables tels
que les femmes et les enfants;
6.7. à ne procéder au placement en rétention des migrants,
et en particulier des demandeurs d’asile, que lorsque cela est strictement
nécessaire et proportionné, et à veiller à ce que les conditions
de rétention administrative soient conformes aux normes internationales,
en mettant en œuvre toutes les recommandations faites dans le rapport
du CPT de mars 2016;
6.8. à garantir les droits et intérêts des enfants non accompagnés
et séparés, notamment en veillant à ce que la procédure d’évaluation
de l’âge soit dûment appliquée dans tous les cas, en renforçant
le régime de tutelle par la création d’un mécanisme d’appui aux
procureurs, en prévoyant un nombre suffisant de places d’hébergement
adaptées, en évitant le placement en rétention de ces enfants et
en leur fournissant des informations et des conseils sur leur situation
et leurs droits;
6.9. à rendre pleinement opérationnel, dans les meilleurs délais,
le nouveau régime d’asile, à garantir la rapidité et l’efficacité
du processus de préenregistrement, à éliminer rapidement le retard
accumulé dans l’examen des demandes et recours, et à traiter diligemment
toutes les nouvelles demandes, en pleine conformité avec les normes
de l’Union européenne et celles de la Convention européenne des droits
de l’homme;
6.10. à publier systématiquement des informations, cohérentes,
claires, complètes et compréhensibles sur la situation en ce qui
concerne les «hotspots», la rétention, la capacité d’accueil, la
procédure d’asile et les progrès réalisés dans le traitement des
demandes, ainsi que la capacité opérationnelle et les activités
du service d’asile.
7. L’Assemblée demande aussi à l’Union européenne, à ses Etats
membres et aux Etats participant aux programmes de relocalisation,
selon le cas:
7.1. de répondre pleinement
et sans tarder aux demandes du Bureau européen d'appui en matière d'asile
concernant le détachement de personnel national à l’appui des services
d’asile grecs;
7.2. de permettre aux autorités grecques de recruter du personnel
supplémentaire, et de leur fournir les ressources adéquates pour
répondre aux besoins urgents;
7.3. de mettre en œuvre pleinement et sans tarder les accords
de septembre 2015 sur la relocalisation depuis la Grèce, en évitant
toute entrave administrative inutile ou condition supplémentaire
superflue;
7.4. de coopérer sans difficulté avec les autorités grecques
pour mettre en œuvre le regroupement familial au titre du Règlement
de Dublin;
7.5. de veiller à ce qu’une assistance financière soit mise
à la disposition, de manière efficiente et efficace, des acteurs
impliqués dans des activités de terrain en Grèce, pour permettre
la mise en œuvre de projets durables au profit des réfugiés et des
migrants, en évitant toute complication bureaucratique et tout retard
superflus;
7.6. de publier systématiquement des informations cohérentes,
claires, complètes et compréhensibles sur la situation en ce qui
concerne les «hotspots», y compris les retours en Turquie, les ressources
et les activités du personnel détaché par l’Union européenne pour
aider les autorités grecques, la mise à disposition du soutien financier
aux autorités grecques et aux autres acteurs concernés en Grèce,
et la mise en œuvre des accords de relocalisation;
7.7. d’être préparés à l’éventualité d’un échec de l’approche
actuelle et de prévoir à l’avance des solutions alternatives pour
éviter l’état d’impréparation et la gestion de crise par réaction
qui a été manifeste jusqu’à présent;
7.8. de réexaminer l’accord UE-Turquie, compte tenu des critiques
du HCR, de Médecins sans frontières et d’Amnesty International;
7.9. de ne pas envisager une reprise des transferts vers la
Grèce au titre du Règlement de Dublin avant que le Comité des Ministres
ait clos sa surveillance de l’exécution par la Grèce de l’arrêt M.S.S c. Belgique et Grèce;
7.10. d’élaborer une politique globale et durable concernant
les réfugiés, qui repose sur le partage des responsabilités et le
respect des normes de l’Union européenne et de celles de la Convention européenne
des droits de l'homme, et de la Convention des Nations Unies de
1951 relative au statut des réfugiés.