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Résolution 2126 (2016)

La nature du mandat des membres de l'Assemblée parlementaire

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 23 juin 2016 (26e séance) (voir Doc. 14077, rapport de la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles, rapporteure: Mme Nataša Vučković). Texte adopté par l’Assemblée le 23 juin 2016 (26e séance).

1. Le Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1) et le Règlement de l’Assemblée parlementaire, qui a pour objet d’établir et de régir les compétences des organes de l’Assemblée et les procédures parlementaires, ne mentionnent rien quant au statut des membres de l’Assemblée et à la nature de leur mandat, se limitant à spécifier que les membres de l’Assemblée sont élus au sein du parlement national ou fédéral ou désignés parmi leurs membres (article 25 du Statut du Conseil de l'Europe et article 6 du Règlement de l’Assemblée).
2. Les organisations internationales étant des instruments de la coopération entre les Etats, il est constant que leurs statuts régissent les relations entre l’organisation et les Etats qui en sont membres. Dès lors, il est clair que, en raison de la nature juridique même de l’instrument qui fonde le Conseil de l'Europe, les membres de l’Assemblée sont considérés non comme des «sujets de droit» individuels, mais à travers leur appartenance à l’un des deux organes statutaires de l’Organisation: en tant que «représentants à l’Assemblée», ils bénéficient de la protection d’un régime d’immunités statutaire et conventionnel européen spécifique.
3. De même, le Règlement, complété par des textes pararéglementaires, comporte plusieurs dispositions relatives aux garanties et aux droits, mais aussi aux obligations qui conditionnement l’exercice de leur mandat européen.
4. Les membres de l’Assemblée y siègent en tant que membres d’une délégation nationale, mais également, pour la grande majorité d’entre eux, au titre d’un groupe politique auquel ils ont déclaré leur affiliation. En tant qu’élu national, le parlementaire reçoit mandat de ses électeurs d’agir au nom de l’intérêt général, mais dans le respect des valeurs politiques prônées par son parti politique. En tant que membre de l’Assemblée, il s’engage à adhérer aux objectifs et aux principes fondamentaux du Conseil de l'Europe (article 6.2 du Règlement) et, pour autant qu’il soit affilié à l’un des cinq groupes politiques de l’Assemblée, à promouvoir les objectifs, les valeurs et les principes du groupe.
5. Conformément au principe de la démocratie représentative, en Europe, les parlementaires nationaux exercent un mandat représentatif, qui a pour caractéristiques d’être général, libre et non révocable, et pour corollaire la liberté d’action, d’opinion et d’expression, et un droit de vote personnel. Les dispositions constitutionnelles ou législatives régissant le fonctionnement du système parlementaire dans les Etats membres du Conseil de l'Europe mettent en évidence le caractère non impératif ou conditionnel du mandat, c'est-à-dire que l'élu jouit juridiquement d'une indépendance absolue à l'égard de ses électeurs comme de son parti. Les parlementaires sont réputés pouvoir se déterminer librement dans l'exercice de leur mandat: ils ne sont pas liés par des engagements qu'ils auraient pu prendre avant leur élection, ni par des consignes qu'ils pourraient recevoir en cours de mandat; ils ne sont liés par aucun ordre ou aucune injonction de leurs électeurs, et ne sont pas tenus de suivre les instructions de leur parti.
6. En théorie, les parlementaires sont libres de leurs décisions, qui s’incarnent dans leurs votes, et ne sont pas obligés de soutenir la position de leur parti ou groupe politique au sein du parlement, d’honorer leurs engagements à son égard ou de se plier à la discipline de vote de leur groupe parlementaire. Dans la pratique parlementaire, le principe de l’indépendance du mandat et de son irrévocabilité s’efface clairement devant la discipline partisane et le respect des consignes de vote, réalité incontournable du mode de fonctionnement actuel de l’institution parlementaire. Le poids du système des partis repose, d’une part, en amont, sur le processus de nomination des candidats à l’élection, et, d’autre part, en aval, sur la liberté d’un parti ou d’un groupe d’exclure un membre dont le comportement n’est pas loyal ou lui cause préjudice.
7. C’est donc une certaine forme de «mandat impératif» qui prospère actuellement dans les institutions parlementaires, à travers la menace de suspension ou d’expulsion du groupe ou parti politique – les pressions s’exerçant sur les élus aboutissant à leur démission ou à des sanctions.
8. L’Assemblée rappelle que, nonobstant les dispositions de l’article 6 de son Règlement garantissant le respect des principes de représentation politique équitable et d’égalité des sexes, la composition des délégations nationales et la nomination ou le remplacement de leurs membres relèvent des parlements nationaux, suivant leurs procédures internes. Il en est de même de la participation des membres aux sessions de l’Assemblée ou aux réunions de ses commissions.
9. L’Assemblée constate que, ces dernières années, des dérives se sont produites au sein de délégations à l’Assemblée mettant souvent en évidence des lacunes et des manquements dans les réglementations internes des parlements nationaux concernés. En particulier:
9.1. la réglementation interne des parlements nationaux a parfois été mise en cause, en ce qu’elle pourrait servir de paravent légal à des mesures de sanction déguisée, fondées sur une motivation politique, s’agissant tout particulièrement du remplacement de membres dans les délégations, sous couvert de démission individuelle ou de recomposition générale à l’issue d’élections;
9.2. la réglementation interne des parlements nationaux aurait également été détournée afin de restreindre le déplacement ou d’empêcher la participation d’un membre d’une délégation à une partie de session ou à une réunion de commission de l’Assemblée.
10. Elle exprime en outre sa vive préoccupation face aux atteintes graves portée à l’indépendance et à la liberté d’expression de certains de ses membres, ou désormais anciens membres, qui ont fait l’objet de sanctions déguisées soit de la part du parlement, soit de la part de leur parti politique national.
11. A cet égard, l’Assemblée rappelle fermement que la Cour européenne des droits de l'homme (la Cour) accorde la plus haute importance à la liberté d’expression dans le contexte du débat politique, qui fait l’objet d’une protection renforcée, en consacrant, par sa jurisprudence, le principe de la libre expression des parlementaires comme condition sine qua non de leur indépendance dans l’exercice de leur mandat. Pour la Cour, il est fondamental, dans une société démocratique, «de défendre le libre jeu du débat politique, qui se trouve au cœur même de la notion de société démocratique».
12. Par ailleurs, l’Assemblée considère que, même si, au niveau national, la discipline des partis conditionne la stabilité des partis et des coalitions partisanes et l’efficacité de leur politique, de telles considérations sont moins pertinentes lorsqu’il s’agit de promouvoir, au sein de l’Assemblée parlementaire, les objectifs et principes fondamentaux du Conseil de l'Europe et de «collaborer sincèrement et activement» à la promotion «des idéaux et principes qui sont le patrimoine commun» des Européens.
13. L’Assemblée considère que ses membres doivent bénéficier d’un statut comportant la reconnaissance de garanties minimales dans l’exercice de leur mandat européen, et qu’il y a lieu de promouvoir un certain nombre de principes fondés sur un juste équilibre entre la liberté d’opinion et de vote des parlementaires, et le respect des engagements politiques dont découle leur affiliation à un parti ou à un groupe politique. Elle invite les parlements nationaux, ainsi que leurs délégations auprès de l’Assemblée, à reconnaître et à prendre dûment en considération les principes généraux suivants, qui doivent réguler les conditions d’exercice du mandat à l’Assemblée:
13.1. s’agissant des garanties et droits des membres de l’Assemblée:
13.1.1. les membres de l’Assemblée exercent leur mandat de façon libre et indépendante; ils ne peuvent être liés par aucune instruction de leur délégation, de leur parti politique national ou de leur groupe politique à l’Assemblée;
13.1.2. les membres de l’Assemblée expriment librement leur opinion, que ce soit par leurs déclarations, leurs discours ou leur vote, dans toutes leurs activités à l’Assemblée et dans ses organes, dans le respect de l’article 22 du Règlement et des règles de conduite à l’Assemblée;
13.2. s’agissant des devoirs des membres de l’Assemblée:
13.2.1. les membres de l’Assemblée agissent dans le respect du Règlement de l’Assemblée et des règles de déontologie; ils participent aux activités de l’Assemblée de manière responsable et constructive;
13.2.2. les membres de l’Assemblée ont un devoir de responsabilité envers leur délégation, leur parti politique national et leur groupe politique à l’Assemblée; ils agissent dans le respect des principes de transparence, d’honnêteté, d’intégrité et de confiance.
14. Rappelant sa Résolution 1640 (2008) sur l’utilisation par les membres de l’Assemblée de leur double rôle parlementaire national et européen, l’Assemblée demande instamment aux parlements nationaux d’évaluer leur réglementation interne et leur pratique relatives à la participation des délégations aux sessions de l’Assemblée et aux réunions des commissions et des autres organes de l’Assemblée, et les invite à procéder à la révision des dispositions qui feraient obstacle à la participation effective des membres aux travaux de l’Assemblée, notamment à celle des suppléants lorsque ceux-ci sont chargés de fonctions spécifiques au sein de l’Assemblée et de ses commissions.
15. A cet égard, l’Assemblée rappelle que, aux termes des dispositions tant statutaires (article 25 du Statut du Conseil de l’Europe) que réglementaires (article 11 de son propre Règlement), à la suite d’élections législatives, les membres de l’Assemblée en restent membres de plein exercice tant que le parlement concerné n’a pas procédé à de nouvelles désignations. En conséquence, les parlements sont tenus d’autoriser leur participation aux activités de l’Assemblée jusqu’à ce qu’ils aient pourvu à leur remplacement effectif. L’Assemblée invite les parlements nationaux concernés à modifier toute réglementation prohibant la participation des membres d’une délégation lorsque le parlement est dissous ou, à l’issue des élections et dans l’attente de la désignation d’une nouvelle délégation, la participation des membres qui ne se représentaient pas ou n’ont pas été réélus.
16. Enfin, l’Assemblée invite le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe à examiner le statut des élus régionaux et locaux en Europe, en particulier la question de la révocation de leur mandat.