1. Introduction
1. Dans le cadre de la préparation
de mon rapport, j’ai effectué plusieurs visites en Ukraine et organisé différentes
auditions au sein de la commission des questions politiques et de
la démocratie.
2. Pour rappel, ces diverses auditions ont notamment vu la participation
de Mme Iryna Gerashchenko, présidente
de la commission du Parlement ukrainien pour l’intégration européenne
et envoyée spéciale du Président ukrainien pour le règlement du
conflit dans les régions de Donetsk et de Lougansk (aujourd’hui première
vice-présidente du Parlement ukrainien); M. Gianni Buquicchio, président
de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise); M. Armen Harutyunyan, à l’époque chef de la mission
de suivi des droits de l’homme des Nations Unies en Ukraine; le
Professeur Aldo Ferrari de l’Université Ca’ Foscari de Venise et
de l’Institut pour les études de politique internationale (Istituto
per gli Studi di Politica Internazionale, ISPI), et plus récemment
de M. Niels Mužnieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe, et M. Christos Giakoumopoulos, à l’époque représentant
spécial du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pour l’Ukraine.
3. Ma première visite en Ukraine en ma qualité de rapporteure
a eu lieu du 15 au 18 février 2015. Elle était d’autant plus d’actualité
que je suis arrivée quelques heures seulement après la réunion,
à Minsk, des dirigeants du format «Normandie» qui avait pour but
de convenir d’un ensemble de mesures en vue de l’application des
Accords de Minsk. Lors de ce premier déplacement, je me suis rendue
à Kiev mais aussi dans les deux oblasts en partie contrôlés par
les séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine et plus précisément dans
les villes de Sloviansk et Kramatorsk dans l’oblast de Donetsk ainsi
qu’à Sievierodonetsk dans l’oblast de Lougansk
.
4. Depuis lors, je me suis rendue à trois reprises en Ukraine
en qualité de rapporteure: en septembre 2015, où j’ai tenu des réunions
à Kiev, Lviv (partie occidentale de l’Ukraine) et Odessa dans le
sud; en novembre 2015, pour y rencontrer le Président Porochenko
, et, plus récemment, du 4 au
7 avril 2016, à Kiev et une nouvelle fois dans la région de l’est,
à Marioupol et Dnipropetrovsk, avec Mme Marieluise
Beck, rapporteure de la commission des questions juridiques et des
droits de l'homme sur les recours juridiques contre les violations des
droits de l’homme commises dans les territoires ukrainiens se trouvant
hors du contrôle des autorités ukrainiennes.
5. En plus de ma rencontre avec le Président Porochenko, j’ai
tenu, au cours de mes différentes visites en Ukraine, des réunions
avec des représentants du gouvernement et du parlement, y compris
le président du parlement, le vice-premier ministre, le ministre
et le vice-ministre des Affaires étrangères, des gouverneurs et responsables
locaux, des représentants de la communauté internationale et diplomatique,
y compris le Représentant spécial du Président en exercice de l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) (j'ai rencontré
à la fois l'ambassadrice Tagliavini et l'ambassadeur Sajdik) et
le chef de la mission spéciale d’observation de l'OSCE en Ukraine,
ainsi que des représentants de la société civile y compris des organisations
non gouvernementales (ONG) locales et internationales. J'ai eu des
discussions franches et constructives avec tous les interlocuteurs
et j’ai été particulièrement impressionnée par la résilience, la détermination
et l’énergie de la population locale que j’ai rencontrée. Je suis
reconnaissante envers la délégation ukrainienne, et en particulier
M. Volodymyr Ariev, président de la délégation, Mmes Iryna Gerashchenko
et Mariia Ionova, qui m'ont aidée à organiser la première visite
à l'est de l'Ukraine, M. Andrii Lopushanskyi, qui m'a accompagnée
durant mes trois visites en Ukraine, et M. Oleksii Goncharenko,
qui m'a accompagnée lors de la visite dans l'est de l'Ukraine et
à Odessa. Mes remerciements vont également à l'équipe du bureau
du Conseil de l'Europe à Kiev pour son assistance.
6. Je souhaitais également me rendre dans la Fédération de Russie
pour recueillir l’avis des autorités et de la société civile russes
sur le conflit en Ukraine. J’avais obtenu l'autorisation de la commission
à cet effet durant la partie de session de juin 2015. Lorsque j'ai
contacté la délégation russe à cet égard, on m'a informée que je
recevrais une réponse après le vote sur l’«Examen de l'annulation
des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation de la Fédération de
Russie (suivi du paragraphe 16 de la Résolution 2034 (2015))». J'ai
reçu une réponse négative à la suite de ce vote et l’adoption de
la
Résolution 2063 (2015), qui a maintenu les sanctions à l’égard des membres
de la délégation russe.
7. En outre, la commission m'avait autorisée à me rendre, «dans
la mesure du possible, en accord avec les autorités ukrainiennes,
[dans] les territoires ukrainiens qui échappent au contrôle des
autorités ukrainiennes». Cela n'a pas été possible pour des raisons
de sécurité comme il sera expliqué ci-dessous, dans le chapitre
4.2.
8. Lors de sa réunion du 24 mai 2016 à Paris, la commission a
eu la possibilité de tenir un premier échange de vues sur l’objet
de mon rapport, en se fondant sur un avant-projet. J’ai ainsi pu
intégrer dans la présente version révisée les derniers développements,
ainsi que certains des commentaires de mes collègues ou des réponses
à leurs questions. Je souhaiterais actualiser une nouvelle fois
le rapport, au moyen d’un addendum, à temps pour le débat de l’Assemblée
prévu lors de la partie de session d’octobre 2016.
2. La portée de mon rapport
9. Le titre initial de mon rapport,
tel que proposé par le Bureau de l’Assemblée à la suite du débat
d'actualité tenu en juin 2014, portait sur la question des «conséquences
politiques de la crise en Ukraine».
10. Cependant, un tel titre prêtait à confusion. Ce qui se passe
en Ukraine est beaucoup plus qu’une simple «crise». C’est un conflit
à part entière qui a démarré au lendemain de l’Euromaïdan, avec
l’annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie en
février 2014 et s’est poursuivi avec le rôle de la Russie dans le conflit
dans l’est de l’Ukraine, en violation de la souveraineté de cette
dernière.
11. Sur ma proposition, la commission a par conséquent convenu
de modifier comme suit l’intitulé du rapport: «Conséquences politiques
du conflit en Ukraine».
12. Après un rapide tour d’horizon des derniers développements
intervenus en Ukraine (voir ci-dessous chapitre 3) et à la lumière
des discussions tenues au sein de la commission, mon rapport abordera
trois aspects essentiels du sujet: les conséquences politiques du
conflit pour l’Ukraine elle-même (voir chapitre 4), les conséquences
géopolitiques plus larges du conflit (voir chapitre 5), et, pour
finir, les conséquences plus spécifiques pour notre Assemblée et
le rôle de cette dernière (voir chapitre 6).
13. Ni l’analyse détaillée de la situation politique interne en
Ukraine ni les défis relatifs aux droits de l’homme et à l’Etat
de droit, y compris les restrictions en matière de droits de l’homme
et de libertés fondamentales résultant du conflit, ni le processus
de réforme en cours n’entrent dans le cadre de mon rapport. Ceci
relève du mandat des rapporteurs de la commission de suivi, qui
sont chargés de vérifier que l’Ukraine satisfait aux obligations
qu’elle a contractées aux termes du Statut du Conseil de l'Europe
(STE no 1), de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5) et de
toutes les autres conventions du Conseil de l'Europe auxquelles
elle est Partie et qu’elle honore les engagements pris par les autorités
ukrainiennes lors de son adhésion au Conseil de l'Europe, et également
de suivre le fonctionnement des institutions démocratiques du pays
.
14. Les nombreuses questions liées aux droits de l'homme que l'annexion
de la Crimée et le conflit en cours dans le Donbass ont soulevées
font également partie d'un autre rapport sur les «Recours juridiques
contre les violations des droits de l’homme commises dans les territoires
ukrainiens se trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes»
qui est en cours de préparation par la rapporteure de la commission
des questions juridiques et des droits de l'homme, Mme Marieluise
Beck.
15. Enfin et surtout, les conséquences humanitaires du conflit,
y compris les questions d’une importance cruciale comme les droits
du million et demi de personnes déplacées dans leur propre pays
(PDI), ou capturées et portées disparues, sont traitées par la commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées. Je renvoie
par conséquent à cet égard aux rapports déjà établis par cette commission
et à ses travaux en cours, et m’efforcerai
de limiter autant que faire se peut les références à ces questions
afin d’éviter les doublons et les messages divergents.
3. Bref aperçu des récents
développements
16. Ma dernière visite en Ukraine
avec Mme Beck s’est déroulée (du 4 au
7 avril 2016) à un moment où, après des mois de querelles politiques
intestines qui ont paralysé les efforts de lutte contre la corruption
ainsi que l’adoption des réformes urgentes indispensables et retardé
la fourniture d’une aide financière étrangère et internationale,
les négociations pour la mise en place d’une nouvelle coalition
et d’un nouveau gouvernement semblaient toucher à leur fin.
17. Tandis que le Président Porochenko avait, dès la mi-février
2016, appelé le Premier ministre Iatseniouk à démissionner, ce dernier,
après avoir survécu, dans un premier temps, à un vote de défiance
au parlement, a remis sa démission deux jours après notre départ
du pays, le 10 avril 2016. Son gouvernement était accusé de corruption
et critiqué pour son incapacité à mettre en œuvre les réformes.
Depuis le début de l’année, plusieurs ministres et haut-fonctionnaires
avaient quitté le gouvernement, à l’instar en février du ministre
de l’Economie, M. Aivaras Abromavičius, accusant le gouvernement
d’un manque de détermination à mettre fin à la corruption. L’incertitude
politique s’est encore accrue après que le parti Batkivshchyna dirigé
par Ioulia Timochenko et le parti Samopomitch, conduit par le maire
de Lviv, Andri Sadovy, ont quitté la coalition.
18. Le 14 avril 2016, un proche du Président Porochenko, M. Volodymyr
Groïsman, que nous venions de rencontrer en sa qualité de Président
du Parlement, était nommé au poste de Premier ministre. C’est une bonne
nouvelle pour le Conseil de l'Europe sachant que M. Groïsman est
un ancien partenaire, non seulement en tant que Président de la
Verkhovna Rada, mais aussi comme acteur de premier plan dans la
réforme de la décentralisation et comme ancien membre du Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe. D’autres
partenaires de discussion du Conseil de l'Europe sont restés les
mêmes, comme le ministre de la Justice Petrenko et le Vice-Premier
ministre et Ministre du développement régional Zubko. Il est également
intéressant de noter qu’un nouveau ministère pour les territoires
temporairement occupés et les PDI en Ukraine a été créé et que le
nouveau ministre, M. Vadym Chernysh, s’est rendu au Conseil de l’Europe
peu après sa nomination, en mai 2016.
19. Le nouveau gouvernement semble renforcer encore l’influence
du Président Porochenko. En effet, outre le Premier ministre qui
est issu de son groupe politique, le nouveau ministre des Finances,
M. Oleksandr Danylyuk, n’est autre que l’ancien adjoint au chef
de l’administration présidentielle, tandis que le nouveau ministre
du Développement économique et du Commerce et premier Vice-Premier
ministre, M. Stepan Kubiv, est l’ancien représentant du Président
auprès du parlement. De manière à contrebalancer quelque peu le pouvoir
accru du groupe du Président Porochenko, le nouveau Président du
parlement, M. Andry Parouby, ancien chef des forces d’autodéfense
de l’Euromaïdan, est issu du Front populaire, le deuxième parti
de la nouvelle coalition bipartite. Le parti de M. Iatseniouk dispose
par ailleurs de plus de postes ministériels au sein du nouveau Cabinet
ainsi que d’un poste de Vice-Premier ministre. Certains détracteurs
regrettent le départ du gouvernement de l’ancienne ministre des
Finances, Natalie Jaresko, dont la communauté internationale avait
loué la gestion de la crise de la dette.
20. L’ancien procureur général Chokine a fini par démissionner
après des mois de querelles quant à sa personnalité et son rôle.
Sa démission a été approuvée par le parlement le 29 mars. Avec pour
toile de fond les nombreux scandales entachant le ministère public,
le 12 mai 2016, le Président Porochenko a nommé au poste de procureur
général l’un de ses proches alliés, à savoir l’ancien dirigeant
de son parti et de son groupe parlementaire, M. Iouri Lutsenko,
ex-ministre de l’Intérieur d’Ukraine.
21. Le nouveau gouvernement est confronté à de nombreux défis,
devant désormais mettre en œuvre au plus vite les réformes indispensables,
dont la lutte contre la corruption et la mise en place d’institutions démocratiques
efficaces, transparentes et responsables tout en faisant face dans
le même temps à l’agression russe dans l’est de l’Ukraine et dans
la Crimée annexée. Il aura également pour mission de sortir le pays
d’une profonde crise économique et de la dette, réduire l’influence
politique des oligarques et stopper la montée du populisme et du
nationalisme. Le nouveau Premier ministre semblait parfaitement
conscient de ces défis lorsqu’il a déclaré, au moment où le parlement
approuvait sa nomination: «Je comprends les menaces auxquelles nous
sommes confrontés. En particulier, je voudrais souligner trois menaces:
la corruption, la gouvernance inefficace et le populisme qui constituent
une menace non moins sérieuse que l’ennemi dans l’est de l’Ukraine.»
22. S’agissant de la lutte contre la corruption, qui constituait
l’une des principales revendications du peuple ukrainien pendant
les manifestations de l’Euromaïdan et s’avère indispensable pour
la démocratisation, le développement économique et la poursuite
de l’intégration européenne du pays, je renvoie à la note d’information
présentée par M. Michele Nicoletti, rapporteur sur «La corruption
en tant que système de gouvernance: un obstacle à l’efficacité et
au progrès des institutions», au terme de sa visite d’information
en Ukraine en janvier 2016
. M. Nicoletti a parfaitement expliqué
les principaux facteurs historiques du phénomène de corruption dans
le pays et résumé les mesures récemment prises pour combattre ce
fléau.
23. Le nouveau procureur général, M. Lutsenko, a fait de la lutte
contre la corruption le fer de lance de l’action de son équipe,
dans le but d’assainir le ministère public, en procédant notamment
à un remaniement important du personnel. La commission de sélection
des membres de l’Inspection générale, censée être opérationnelle
à compter de décembre 2016, a pour mission de «faire la chasse aux
fonctionnaires corrompus et aux traîtres» au sein de l’institution.
Après la publication du dernier rapport sur la situation des droits
de l’homme en Ukraine (du 16 février au 15 mai 2016), par le Haut-Commissariat
des Nations Unies aux droits de l'homme (OHCHR), qui dénonçait les
violations des droits de l’homme commises dans le Donbass et impliquait également
le Service de sécurité d’Ukraine (SBU) dans la détention illégale
et la torture de centaines de personnes
, M. Lutsenko a invité le représentant
du médiateur Mykailo Chaplyha et le Commissaire aux droits de l’homme
de la Verkhovna Rada, Valeria Lutkovska, à mener à l’improviste
une inspection des lieux de détention du SBU. Il est à espérer que
le nouveau procureur général prenne des mesures résolues afin de montrer
qu’il ne saurait y avoir d’impunité pour les auteurs de violations
des droits de l’homme. A cet égard, je me joins au Commissaire aux
droits de l'homme du Conseil de l'Europe, qui, suite à sa dernière
visite en Ukraine, a souligné que l’établissement des responsabilités
dans les cas de graves violations des droits de l’homme commises
pendant le conflit est un élément clé du processus de réconciliation.
Les auteurs de crimes graves tels que des meurtres, des disparations
forcées et des actes de torture des deux côtés de la ligne de démarcation
doivent être amenés à rendre compte de leurs actes
. Dans le même contexte, il est également d'une
importance capitale d’accélérer les progrès dans les enquêtes et
les procédures relatives aux violents incidents lors des manifestations
de l’Euromaïdan et les événements tragiques survenus à Odessa en
mai 2014, qui ont entraîné 48 décès ainsi que plusieurs centaines
de blessés.
24. Fait très positif, le 2 juin 2016, la Verkhovna Rada a adopté
les amendements constitutionnels attendus de longue date concernant
le pouvoir judiciaire et le ministère public. Elaborés avec l’aide
de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, ces amendements
visent à accroître l’indépendance des juges en renforçant le Conseil
supérieur de la justice et en supprimant la possibilité pour les
organes politiques, que ce soit le Président ou la Verkhovna Rada,
de s’immiscer dans la carrière des juges. L’effet combiné des amendements constitutionnels
et de la nouvelle loi sur le système judiciaire et le statut des
juges, adoptée le même jour, permettra de révoquer les juges corrompus
ou incompétents. Ces modifications apportées à la Constitution permettront
également de consolider la réforme du ministère public, et notamment
de limiter ses fonctions, conformément à la nouvelle loi sur le
ministère public adoptée antérieurement et aux normes européennes.
25. L’adoption des amendements auxquels appelait depuis de nombreuses
années le Conseil de l’Europe, et en particulier son Assemblée parlementaire,
a été saluée par les corapporteurs de la commission de suivi
et par le Secrétaire Général de
l’Organisation
. Quelques jours auparavant, dans
le cadre de l’évaluation à mi-parcours de la mise en œuvre du Plan
d’action du Conseil de l’Europe pour l’Ukraine 2015-2017
, le Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe a rappelé le soutien intense offert par l’Organisation,
de par son expertise et ses conseils. Tout en saluant la mise en
place d’un cadre juridique modernisé applicable au système judiciaire
et l’adoption de documents stratégiques, comme les nouvelles lois
relatives au ministère public, aux organes de lutte contre la corruption,
à la police et au bureau national d’enquête, le Secrétaire Général
a insisté sur l’importance de garantir la mise en œuvre effective
de nouvelles mesures, dont le fonctionnement efficace des nouvelles
institutions anticorruption. Je partage sa conclusion selon laquelle
le succès de la réforme judiciaire est une condition préalable indispensable
à la réussite des réformes dans d’autres secteurs; de la réforme
judiciaire dépendent notamment la croissance économique et les perspectives d’investissements
étrangers
.
4. La violation de la souveraineté
et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine
26. La principale conséquence politique
du conflit militaire pour l’Ukraine est incontestablement la violation de
sa souveraineté et de son intégrité territoriale, en contradiction
avec le droit international et le Statut du Conseil de l’Europe.
Cela a démarré avec l'annexion de la Crimée par la Fédération de
Russie en mars 2014 et s’est poursuivi avec le soutien apporté aux
rebelles dans le Donbass et son rôle croissant dans le conflit depuis
avril 2014.
4.1. La Crimée
27. Le Conseil de l’Europe, y compris
son Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres, a, à plusieurs
reprises, condamné l’annexion, par la Fédération de Russie, de la
République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol et a
souligné que celle-ci ne saurait servir de fondement à une quelconque modification
de leur statut. Ce faisant, les organes statutaires du Conseil de
l’Europe ont réaffirmé à plusieurs occasions leur engagement en
faveur du principe d’un règlement pacifique des conflits, de l’indépendance,
la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur
de ses frontières internationalement reconnues, et du respect des
droits de l’homme et des libertés fondamentales.
28. Pour sa part, l’Assemblée parlementaire a réagi de manière
concrète à l’annexion de la Crimée en décidant de sanctions à l’égard
des membres de la délégation parlementaire russe auprès de l’Assemblée parlementaire
lors de sa partie de session d’avril 2014. Elle a également appliqué
des sanctions en janvier 2015, en réaction à la poursuite de l’intégration
de la Crimée dans la Fédération de Russie et aux actions russes
dans le cadre du conflit dans l’est de l’Ukraine. Je reviendrai
sur la question des sanctions imposées à la délégation russe et
sur l’état actuel des relations entre l’Assemblée et le Parlement
russe ci-après, au chapitre 6.
29. Au-delà du Conseil de l’Europe, l’annexion de la Crimée par
la Fédération de Russie a été condamnée par l’Assemblée générale
des Nations Unies laquelle, dans sa Résolution 68/262, sur l’intégrité
territoriale de l’Ukraine, adoptée le 27 mars 2014, a affirmé son
attachement à la souveraineté, à l’indépendance politique, à l’unité
et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses
frontières internationalement reconnues, en soulignant que le «référendum»
organisé dans la République autonome de Crimée le 16 mars 2014 n’avait aucune
validité. Par un vote de 100 en faveur, 11 contre et 58 abstentions,
l’Assemblée générale des Nations Unies a demandé à tous les Etats,
organisations internationales et institutions spécialisées de ne
reconnaître aucune modification du statut de la Crimée et de Sébastopol,
ville portuaire de la Mer noire, et de s’abstenir de tout acte ou
contact susceptible d’être interprété comme valant reconnaissance
d’une telle modification de statut.
30. L’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie a également
constitué une violation de ses obligations au titre du mémorandum
de Budapest de 1994 sur les garanties de sécurité. Par ce mémorandum, les
trois puissances nucléaires signataires, en l’occurrence la Fédération
de Russie, les Etats-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni, accordaient
des garanties de sécurité s’agissant de l’intégrité territoriale
et de la souveraineté de l’Ukraine (mais aussi du Bélarus et du
Kazakhstan). En contrepartie, l’Ukraine (et les deux autres Etats
concernés) adhéraient au Traité de non-prolifération des armes nucléaires.
Invoquant entre autres une violation du mémorandum de Budapest,
les autres partenaires ont suspendu, le 24 mars 2014, la participation
de la Russie au G8 (désormais G7).
31. A défaut d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations
Unies susceptible de mener à l’adoption de sanctions internationales
en conformité avec l’Article VII de la Charte des Nations Unies,
l’Union européenne et les Etats-Unis, ainsi que quelques pays européens,
ont également réagi par une première vague de sanctions unilatérales
à l’encontre de la Fédération de Russie, sanctions qui ont ensuite
été prolongées et étendues face aux actions de la Russie contre
l’intégrité territoriale de l’Ukraine ou l’absence de mise en œuvre
des Accords de Minsk.
32. Trois types différents de sanctions ont été adoptés par l’Union
européenne: immédiatement après les événements de Crimée, en mars
2014, le Conseil européen a adopté des mesures restrictives à caractère politique
et diplomatique (première étape), telles que la suspension des discussions
sur les visas, l’annulation des sommets officiels UE–Russie, etc.;
des mesures individuelles à l’égard de personnes et d’entités, par exemple
des interdictions de visa ou le gel d’avoirs (deuxième étape), ont
été adoptées en plusieurs vagues à compter du 17 mars 2014. Elles
touchent actuellement 146 personnes (chefs séparatistes, membres
du gouvernement de Crimée, oligarques et près de 30 députés russes)
et 37 entités (principalement en Crimée et dans l’est de l’Ukraine);
des sanctions économiques liées à certains secteurs de l’économie
(troisième étape) sont entrées en vigueur le 1er août
2014 et le 12 septembre 2014, en coordination avec les Etats-Unis. Différentes
échéances sont fixées pour les divers types de sanctions de l’Union
européenne. Les mesures restrictives de l’Union européenne mises
en place en réponse spécifiquement à l’annexion de la Crimée et
de la ville de Sébastopol, comme l’interdiction d’importer dans
l’Union européenne des biens en provenance de Crimée et l’interdiction
des investissements européens en Crimée, ont été prolongées jusqu’au
23 juin 2017.
33. Néanmoins, aujourd’hui, malgré le rejet persistant de la communauté
internationale de reconnaitre l’annexion de la Crimée par la Russie
et l’application toujours en vigueur de différents types de sanctions
à l’encontre de la Russie en réponse à des actions à cet égard,
non seulement l’annexion n’a pas été annulée, mais la situation
des droits de l’homme dans la péninsule est en constante détérioration,
en ce qui concerne notamment le non-respect de la liberté d’expression,
de la liberté de réunion, de la liberté de religion et de conviction,
ainsi que des faits d’intimidation et de harcèlement des opposants
et une répression contre les personnes appartenant à des minorités,
en particulier les Tatars de Crimée
.
34. Même si le sujet des violations des droits de l’homme en Crimée
relève du rapport de Mme Beck, je ne peux
m’empêcher de m’y référer même brièvement étant donné notamment
qu’au cours de notre dernière visite en Ukraine, nous avons rencontré
les deux dirigeants des Tatars de Crimée, M. Refat Chubarov, actuel Président
du Mejlis du Peuple des Tatars de Crimée, et M. Mustafa Dzhemilev,
son prédécesseur et membre actuellement du Parlement ukrainien,
qui a passé 15 ans en tant que prisonnier politique dans les camps soviétiques.
Tous les deux étaient précédemment sous le coup d’une interdiction
d’entrée en Crimée; ils peuvent désormais s’y rendre, mais sous
la menace d’une arrestation.
35. Comme nous l’avons déjà déclaré avec Mme Beck,
le fait que ces deux dirigeants, comme d’autres Tatars de Crimée,
soient effectivement opposés à l’annexion, en violation du droit
international, de la Crimée par la Fédération de Russie, ne fait
pas pour autant de leur travail une «activité extrémiste»
.
36. En effet, depuis l’annexion, les Tatars de Crimée (mais pas
uniquement eux) ont été les cibles les plus fréquentes d’opérations
menées par les forces d’occupation, selon l’application de la loi
sur l’extrémisme, car ils sont considérés par ces dernières comme
la principale menace en matière d’extrémisme et de contestation à
l’encontre de l’ordre actuel. De telles opérations comprennent des
perquisitions (souvent sans mandat), l’usage disproportionné de
la force par des agents des forces de l’ordre, des faits d’intimidation
et des menaces d’enlèvement. Les affaires de disparition concernent
tant des Tatars de Crimée que des Ukrainiens. En outre, la fermeture
abusive du média ATR, qui a une large audience au sein de la communauté
tatare de Crimée, constitue une grave violation de la liberté des
médias dans la péninsule.
37. Dans ce contexte, la décision de la soi-disant «Cour suprême
de Crimée» d’interdire les activités du Mejlis, qualifié «d’organisation
extrémiste», indique un nouveau niveau de répression visant la communauté tatare
de Crimée dans son ensemble
. Le Mejlis est une structure représentative,
sociale et traditionnelle importante de cette communauté. L’interdiction,
qui peut s’appliquer à plus de 2 500 membres parmi les 250 mejlis
locaux dans les différents villages et villes en Crimée, augmente
considérablement le risque d’aliéner encore plus la communauté tatare
de Crimée et d’isoler cette dernière du reste de la population vivant sur
la péninsule.
38. Tant les Délégués des Ministres que le Président de l’Assemblée
ont réagi à l’interdiction du Mejlis qui coïncide par ailleurs avec
une détérioration dans les relations entre la Russie et la Turquie.
En la considérant comme «une mesure extrêmement répressive qui vise
la communauté tatare de Crimée dans son ensemble», le Président
de l’Assemblée a demandé instamment aux autorités de prendre «toutes
les mesures nécessaires pour revenir sur cette décision»
. Lors de sa rencontre
en Ukraine le 13 mars 2016 avec le Président Porochenko, ce dernier
a souligné qu’une telle nouvelle vague de répression sans précèdent
à l’encontre des Tatars de Crimée et des Ukrainiens sur la péninsule
ne pouvait être ignorée par le Conseil de l’Europe.
39. Nous devons insister sur l’annulation de l’interdiction du
Mejlis. Nous devons également nous joindre à l’appel des Délégués
des Ministres du Conseil de l’Europe visant à assurer un accès libre
et sans restriction à la péninsule de Crimée, à tous les organes
du Conseil de l’Europe intervenant dans le domaine des droits de l’homme,
de manière à ce qu’ils puissent mener leurs activités de suivi sans
entraves et conformément à leur mandat et réagir en urgence aux
détériorations des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Dans son rapport présenté au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
sur sa visite consacrée aux droits de l’homme en Crimée
, l’Ambassadeur Stoudmann est
parvenu aux mêmes conclusions et a souligné par ailleurs qu’il n’est
«ni normal ni acceptable qu’une population de 2,5 millions de personnes
soit soustraite aux mécanismes de garantie des droits de l’homme
établis pour protéger tous les Européens».
40. Dernier point, et non des moindres, je maintiens ma position
que tant qu’il n’est pas mis un terme à l’annexion de la Crimée,
il ne saurait être question d’un retour à la normale de nos relations
avec la Fédération de Russie.
4.2. Les défis en matière de
sécurité et les perspectives de paix et de stabilité dans l'est
de l'Ukraine
41. Plus de 9 000 personnes ont
été tuées et plus de 21 500 blessées dans la zone de conflit de
l’est de l’Ukraine, entre mi-avril 2014 et mi-mai 2016, y compris
des civils, des membres des forces armées ukrainiennes et des séparatistes
armés. Ces chiffres correspondent à une «estimation prudente» réalisée
sur la base des données disponibles par l’OHCHR dans son dernier
rapport sur la situation des droits de l’homme en Ukraine
.
42. Le rapport confirme également que la situation dans l’est
de l’Ukraine reste instable et résume les options envisageables:
la transformation en un «conflit gelé», créant une situation prolongée
d’insécurité et d’instabilité; une escalade de la violence, avec
des conséquences désastreuses pour les civils vivant dans la zone
touchée par le conflit; une évolution vers une paix durable grâce
à la mise en œuvre effective de l’ensemble de mesures en vue de
l'application des Accords de Minsk
.
4.2.1. Le processus de Minsk
43. Rappelons brièvement que «l’ensemble
de mesures en vue de l'application des Accords de Minsk», convenu
à Minsk le 12 février 2015 (ci-après «l’ensemble de mesures») constitue
une feuille de route traitant à la fois de la situation sécuritaire
sur le terrain (cessez-le-feu, retrait des armes lourdes, contrôle
de ce processus par l’OSCE et, à terme, rétablissement du contrôle
de l’Ukraine sur sa frontière avec la Russie) et du processus politique
nécessaire à la résolution du conflit (amnistie, échange de prisonniers
sur la base du principe «tous contre tous», réforme constitutionnelle
relative à la décentralisation, «statut spécial» pour le Donbass
et des élections locales à organiser dans cette région «selon la
loi ukrainienne») dans le respect de la souveraineté et de l’intégrité
territoriale de l’Ukraine
. L’ensemble de mesures fait référence
au Protocole de Minsk du 5 septembre 2014 et à son Mémorandum d’application
du 19 septembre 2014 et englobe la plupart des points déjà inclus
dans ces documents mais contient certaines explications supplémentaires
des aspects et processus politiques. Ainsi, la mise en œuvre d’un
cessez-le-feu reste la principale condition préalable à l’application
de plusieurs autres mesures.
44. L’ensemble de mesures a été signé par les mêmes personnes
que le Protocole et le Mémorandum de Minsk de septembre 2014, c’est-à-dire
par les membres du Groupe de contact trilatéral établi par le format «Normandie»
(l’ambassadrice Heidi Tagliavini, à l’époque représentante spéciale
du Président en exercice de l’OSCE en Ukraine, M. Koutchma, deuxième
Président de l’Ukraine, M. Zourabov, ambassadeur de la Fédération
de Russie en Ukraine, et MM. Zakhartchenko et Plotnitski, représentants
de certaines zones des régions de Donetsk et Lougansk). Il s’y ajoute
néanmoins de manière significative une déclaration des quatre dirigeants
du format «Normandie» (France, Allemagne, Russie et Ukraine) «approuvant»
ces mesures et réaffirmant leur «attachement au plein respect de
la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine». Ils sont
également convenus de créer un mécanisme de suivi conforme au format
«Normandie» (réunions régulières aux niveaux administratif, ministériel
et des chefs d’Etat et de gouvernement). De plus, le Conseil de
sécurité des Nations Unies, dans sa Résolution 2202 adoptée le 17 février
2015, a appelé à la mise en œuvre de cet ensemble de mesures après
avoir réaffirmé à l’unanimité «son attachement au plein respect
de la souveraineté, de l’indépendance et de l’intégrité territoriale
de l’Ukraine» et s’être dit «fermement convaincu que le règlement
de la situation dans les régions de l’est de l’Ukraine n’est possible
que par des moyens pacifiques».
45. Quatre groupes de travail thématiques, réunis sous l’égide
de l’OSCE, facilitent la mise en œuvre des mesures convenues. Le
délai initialement fixé au 31 décembre 2015 pour leur mise en œuvre
a été prolongé lors du sommet en format «Normandie» le 2 octobre
2015, au vu de l’insuffisance des progrès.
46. J’aimerais rappeler que l’appui politique exprimé par les
quatre dirigeants à l’ensemble de mesures convenu en février 2015
a été qualifié à l’époque de «chance historique» ou encore de «dernière
chance» pour la paix. Et ce, malgré toutes les critiques formulées
à l’égard des mesures au moment de leur adoption, y compris l’absence
d’un ensemble de procédures clairement définies pour en contrôler
l’application ou le fait hautement contesté que le contrôle de la
frontière ne revienne à l’Ukraine qu’après satisfaction de plusieurs conditions,
comme la tenue d’élections locales et un règlement politique d’ensemble,
y compris une réforme constitutionnelle afin d’instaurer la décentralisation.
Il est clair aussi que les mesures ont été convenues en des temps
extrêmement difficiles pour l’Ukraine, son armée étant au bord de
l’effondrement face aux troupes russes, et la marge de négociation
du Président Porochenko extrêmement limitée. A l’exception notable
de Debaltseve
, les mesures ont eu le mérite
d’avoir permis un déclin général de la violence dans tout le pays
et d’avoir initié un processus politique; ceci ne doit pas être
oublié par ceux qui critiquent les mesures.
47. Ce n’est pas le manque de clarté des dispositions qui retarde
et entrave la mise en œuvre des aspects politiques des Accords de
Minsk, y compris de l’ensemble de mesures, mais la non mise en œuvre
de son volet «sécurité», en commençant par le cessez-le-feu, condition
préalable essentielle à l’enclenchement des autres mesures. Celles
annoncées dans les Accords de Minsk sont des étapes à franchir les
unes après les autres, il ne peut y avoir de progrès tangible concernant
le reste des engagements souscrits, y compris en matière de dialogue
politique, tant que les tirs se poursuivent.
4.2.2. La situation sécuritaire
sur le terrain
48. La situation est marquée par
une escalade de la violence depuis cet hiver et une détérioration significative
de la sécurité le long de la ligne de contact dans le Donbass. A
cet égard, le cessez-le-feu, entré en vigueur le 1er septembre
2015 en suscitant l’espoir qu’il s’agissait d’une étape décisive
dans la bonne direction, a été à l’origine d’une grande déception
car il n’a duré que quelques semaines.
49. C’est dans ce contexte de dégradation du climat sécuritaire
que nous nous sommes rendues dans le pays avec ma collègue, Mme Beck,
du 4 au 7 avril 2016, et notamment à Dnipropetrovsk et Marioupol.
Nous avons été informées qu’à plusieurs occasions, l’intensité des
combats entre les forces ukrainiennes et les rebelles prorusses
a atteint des niveaux non égalés depuis août 2014. Au cours de la
semaine qui a précédé notre visite, du 28 mars au 3 avril 2016,
la mission spéciale d’observation de l’OSCE a enregistré le plus
grand nombre de tirs de mortier et d’artillerie de ses deux années
de déploiement. Elle a par ailleurs noté l’utilisation de systèmes
de lance-roquettes multiples à de nombreuses occasions.
50. La mission spéciale d’observation de l’OSCE n’établit pas
qui, des deux parties, est responsable des violations du cessez-le-feu,
mais nos interlocuteurs ukrainiens, et notamment M. Groïsman, ont
souligné que la dégradation de la situation sécuritaire était le
fruit de provocations de plus en plus fréquentes et d’une escalade
de la violence de la part des rebelles et de la Russie. M. Groïsman
a évoqué près de 140 bombardements sporadiques quotidiens au début
du mois de mars.
51. Nos interlocuteurs internationaux nous ont affirmé que les
combats étaient généralement menés en guise de représailles à partir
de positions statiques, et ne visaient pas des objectifs tactiques
ou stratégiques manifestes. Cependant, dans certaines zones, les
deux parties ont essayé de rapprocher leurs positions de la ligne
de contact, une tentative de franchissement de cette ligne ayant
même été relevée. A certains endroits, les mouvements ont conduit
à un rapprochement des positions à moins de cent mètres les unes
des autres, dans la zone tampon. L’officier ukrainien que nous avons
rencontré au point de contrôle 1 à Marioupol nous a précisé qu’à
une occasion durant la nuit, les rebelles se sont aventurés à 30
mètres des troupes ukrainiennes.
52. Le regain de violence s’est également traduit par une hausse
du nombre de victimes civiles liées aux violations du cessez-le-feu.
Ainsi, entre le 16 février et le 15 mai 2016, cinq civils ont été
tués par des tirs d’artillerie (trois femmes et deux hommes) et
41 ont été blessés (14 femmes, 19 hommes et cinq adultes de sexe
inconnu; deux garçons et un enfant de sexe inconnu)
.
53. De même, les parties ont, ces derniers mois, peu respecté
leurs engagements s’agissant du retrait des armes lourdes convenu
dans l’ensemble de mesures de février 2015, ou de celui convenu
dans son additif du 29 septembre 2015. Les premières réalisations,
dont j’ai rendu compte lors de notre réunion d’octobre 2015, ont
été et sont actuellement remises en cause. Ainsi, la mission spéciale
d’observation de l’OSCE mentionne un nombre croissant d’armes disparues
des sites de stockage permanent et des entrepôts connus et l’état d’abandon
de beaucoup de ces installations. Ces armes se retrouvent de plus
en plus en service sur la ligne de contact.
54. Les autorités ukrainiennes ainsi que l’officier que nous avons
rencontré au point de contrôle 1 près de Marioupol au cours de notre
visite d’avril 2016 nous ont indiqué que les rebelles avaient profité
du début du retrait des armes par les Ukrainiens pour multiplier
les violations du cessez-le-feu et avancer leurs positions.
55. La mission spéciale d’observation de l’OSCE fait par ailleurs
état d’une corrélation directe entre les violences armées, les violations
des engagements de retrait des armes et les restrictions de plus
en plus fréquentes imposées ces derniers mois à sa liberté de mouvement.
Selon elle, ces restrictions sont beaucoup plus nombreuses dans
les zones non contrôlées par le gouvernement que dans celles sous
contrôle gouvernemental et empêchent la mission de vérifier le respect
du retrait des armes.
56. La présence d’armes fréquemment constatée dans la zone de
sécurité, mais aussi de temps à autre dans les zones habitées, est
encore plus inquiétante, en raison du risque encouru par la population
civile. Si les parties placent un nombre symbolique d’armes dans
des sites de stockage vérifiables par la mission de l’OSCE, dans
les faits, des chars et des armes lourdes continuent d’être déployés
sur la ligne de front.
57. A la fin du mois de mai 2016, deux incidents se sont produits
mettant en danger les membres de la mission spéciale d’observation
de l’OSCE. Lors de la réunion du Groupe de contact trilatéral, le
1er juin 2016, le Représentant spécial
en Ukraine du Président en exercice de l’OSCE, l’ambassadeur Martin
Sajdik, a exprimé ses préoccupations devant les violations du cessez-le-feu
qui ont fait plusieurs victimes militaires et civiles et les violations
délibérées qui ont pris pour cible du personnel non armé et des
biens de la mission spéciale d’observation de l’OSCE.
58. Au vu de l’escalade de la violence, des discussions sont en
cours au sein de l’OSCE en vue de déployer une mission armée ou
une mission de police dans la zone de conflit, comme proposé par
la partie ukrainienne. Cependant, pour ce faire, tous les Etats
membres de l’OSCE, y compris la Russie, doivent parvenir à un consensus,
ce qui n’est pas le cas pour l’heure. Pour leur part, les séparatistes
ont déjà exprimé leur ferme opposition à toute mission de police
de l’OSCE.
59. Dans ce contexte sécuritaire dégradé, nous n’avons pas été
surpris de l’impossibilité, pour la mission spéciale d’observation
de l’OSCE, de garantir la sécurité de notre délégation et donc de
nous aider à franchir la ligne de contact et à nous rendre dans
les zones tenues par les rebelles.
4.2.3. Le processus politique
60. Face à l’escalade de la violence
et tant que le cessez-le-feu, première condition préalable à toute
autre mesure, n’est pas respecté, les progrès concernant les autres
exigences/engagements souscrits à Minsk, y compris en matière de
dialogue politique, sont restés limités.
61. Ces considérations m’amènent aux questions extrêmement controversées
de la réforme constitutionnelle sur la décentralisation à mener
en Ukraine et des élections locales à organiser dans le Donbass
conformément à la législation ukrainienne.
62. Selon l’ensemble de mesures en vue de l’application des Accords
de Minsk, l’Ukraine doit mettre en œuvre une réforme constitutionnelle
dont un «élément essentiel» sera la décentralisation (faisant expressément
référence aux spécificités de «certaines zones des régions de Donetsk
et de Lougansk, à définir en accord avec les représentants de ces
régions») et adopter une législation permanente relative au «statut spécial»
de ces zones conformément aux mesures énoncées dans une note de
bas de page. L’ensemble de mesures prévoit aussi le rétablissement
du contrôle sur la frontière d’Etat de l’Ukraine dans la zone du
conflit par le Gouvernement ukrainien, dès le premier jour suivant
les élections locales dans la zone du conflit qui seront organisées
conformément à la législation ukrainienne.
63. A de multiples occasions, j’ai appelé au respect, par l’Ukraine,
de son engagement de mettre en œuvre la réforme constitutionnelle
sur la décentralisation, car je suis convaincue qu’elle est importante
pour la modernisation et le développement du pays et bénéfique aux
citoyens ukrainiens, et pas seulement une exigence fixée par les
Accords de Minsk.
64. La Commission de Venise a clairement fait savoir dès le début
que la décentralisation n’avait pas besoin d’être réglementée en
détail dans les amendements constitutionnels à adopter. Il suffit
de lever les obstacles constitutionnels à la décentralisation et
d’envoyer un signal politique témoignant clairement de la volonté
d’agir en ce sens. Il serait par exemple possible d’évoquer dans
la Constitution les «dispositions spéciales» pour certaines zones,
à préciser ultérieurement dans la loi, comme c’est le cas notamment
en République de Moldova pour le statut de la Gagaouzie.
65. Lors de ma première visite en Ukraine, en février 2015, j’ai
cependant eu l’impression que la plupart de mes interlocuteurs ukrainiens
ne tenaient pas à privilégier une telle approche basée sur des «dispositions spéciales»
pour certaines zones et qu’ils étaient plutôt favorables à une décentralisation
étendue et approfondie pour l’ensemble des régions ukrainiennes.
J’ai pu comprendre qu’une telle approche facilite l’acceptation
de nouvelles dispositions par la population dans l’ensemble du pays.
66. A partir du moment où un modèle de décentralisation satisfaisant
aux exigences de l’ensemble de mesures de Minsk peut être mis en
place dans l’ensemble du pays et garanti par la Constitution, je
ne vois pas quelle objection pourrait être soulevée. A titre d’exemple,
si l’ensemble de mesures de Minsk prévoit le droit à «l’autodétermination
linguistique» dans certaines zones des régions de Donetsk et Lougansk,
je ne vois pas pourquoi ce droit ne pourrait pas être accordé à
d’autres régions de la partie occidentale de l’Ukraine pour des langues
telles que le hongrois ou le polonais. J’ai aussi compris que trois
domaines seront exclus de la décentralisation: la sécurité, la défense
et les affaires étrangères. A cet égard, nous avons été informés
de diverses solutions pour assurer le respect de l’ensemble de mesures
de Minsk, y compris de sa note de bas de page. A titre d’exemple,
le chef de la police locale d’une région pourrait être proposé par
le conseil local mais serait officiellement nommé par le ministre
de l’Intérieur (sous réserve du respect de certaines conditions, par
exemple qu’il n’ait pas été impliqué dans des crimes contre l’humanité).
67. Enfin, après les consultations également tenues avec la Commission
de Venise, un projet d’amendements constitutionnels sur la décentralisation,
élaboré par la commission constitutionnelle menée par le président
du parlement d’alors, M. Groïsman, a inclus dans les dispositions
constitutionnelles transitoires un article 18 selon lequel: «Les
dispositions particulières de l’autonomie locale dans certaines
parties des régions de Donetsk et de Lougansk font l’objet d’une
loi distincte».
68. Les amendements ont été votés en première lecture le 31 août
2015 à la majorité simple, avec le soutien de députés du bloc Porochenko,
du Front populaire et du bloc d’opposition. Le parti radical, qui
avait quitté antérieurement la coalition, ainsi que deux des quatre
formations qui faisaient encore à l’époque partie de la coalition,
Batkivshchyna et Samopomitch, s’y sont opposés.
69. Pour ma deuxième visite, je suis arrivée en Ukraine une semaine
à peine après le vote en première lecture des amendements sur la
décentralisation. Les principales critiques que j’ai entendues de
la bouche des opposants à ces amendements reposaient sur des motifs
de procédure et de fond: je les ai entendus, d’une part, se plaindre
de l’absence de communication et de consultation et, d’autre part,
formuler des objections sur le contenu de la décentralisation et
sur le lien avec les Accords de Minsk. En particulier, l’article
18 des dispositions transitoires a été sévèrement critiqué par les
dirigeants des partis politiques susmentionnés comme étant la porte
ouverte à «la cession» du Donbass aux rebelles.
70. Il n’entre pas dans le cadre de mon mandat (mais plutôt dans
celui des corapporteurs de la commission de suivi) de commenter
le fond de la réforme de la décentralisation, qui a fait l’objet
d’une évaluation positive de la part de la communauté internationale,
y compris du Conseil de l’Europe. Je ne suis pas en mesure non plus
de juger du bon déroulement du processus de consultation et en particulier
des éventuels malentendus quant aux positions des uns et des autres.
71. J’ai cependant fait part de mon désaccord avec ceux qui estimaient
que l’article 18 proposé dans le cadre des dispositions transitoires
revenait à céder le pouvoir aux rebelles. Cette disposition vise
uniquement à garantir le respect des Accords de Minsk en créant
la possibilité d’octroyer dans le futur à certaines zones actuellement
aux mains des rebelles des compétences élargies, lorsque les conditions
requises seront remplies.
72. Indépendamment des arguments avancés, l’opposition politique
aux amendements sur la décentralisation, et notamment à cette disposition
transitoire, a été extrêmement virulente et il est clairement apparu
qu’ils ne pourraient pas passer en seconde lecture, qui nécessite
une majorité des deux tiers. Le deuxième tour a ainsi été reporté.
Selon une interprétation des dispositions constitutionnelles pertinentes,
le parlement actuel pourrait procéder au vote à tout moment, dès
l’atteinte de la majorité constitutionnelle.
73. Au cours de ma dernière visite en Ukraine en avril 2016, je
me suis entretenue de cette question avec l’ensemble des factions
parlementaires, le président du parlement et le vice-ministre des
Affaires étrangères. Il est clairement ressorti de ces discussions
que tant que l’escalade de la violence se poursuivra dans le Donbass,
il sera politiquement impossible pour le gouvernement et le président
de convaincre les deux tiers des membres du Parlement ukrainien
de voter sur la possibilité de prévoir des «dispositions spécifiques»
dans la région, même pour l’avenir.
74. M. Groïsman a souligné que si les Russes mettent un terme
à l’escalade de la violence et procèdent au retrait de leurs troupes,
ceci renforcerait la confiance dans le processus de paix et permettrait
aux députés ukrainiens de parvenir à la majorité des deux tiers
requise pour l’adoption des amendements constitutionnels sur la
décentralisation. Cela étant, M. Groïsman a mis en avant le renforcement
des compétences et du pouvoir financier des régions consécutif à
l’entrée en vigueur de la nouvelle législation sur la décentralisation.
On nous a fait savoir que même aujourd’hui, si la législation ukrainienne
était en vigueur, Donetsk exercerait bien plus de fonctions décentralisées
que n’importe quelle ville russe.
75. Récemment, le nouveau président du parlement s’est dit convaincu
qu’en cas de retrait de l’article 18 des dispositions transitoires
proposées, les autres amendements relatifs à la décentralisation
pourraient être acceptés par les deux tiers des députés ukrainiens.
Mais pour en arriver là, il faudrait un nouveau cycle d’adoption
(un avis de la Cour constitutionnelle et deux lectures), le texte
des amendements ne pouvant être modifié avant la première et la
deuxième lecture.
76. En conclusion, j’encourage les dirigeants politiques ukrainiens
à trouver le plus petit dénominateur commun qui leur permettra d’adopter
la réforme constitutionnelle sur la décentralisation afin de favoriser encore
davantage le développement démocratique de leur pays, avec le soutien
constant et l’avis du Conseil de l’Europe. Dès lors qu’un modèle
de décentralisation satisfaisant à l’ensemble de mesures de Minsk
peut s’appliquer à toutes les régions et être garanti par la Constitution,
il devrait également répondre aux exigences de Minsk. Il est à espérer
que l’impulsion donnée par l’adoption des amendements constitutionnels
relatifs au système judiciaire contribuera également à faire progresser
la réforme constitutionnelle sur la décentralisation.
77. Entretemps, malgré l’absence d’accord sur des amendements
constitutionnels relatifs à la décentralisation et la poursuite
de l’escalade de la violence sur le terrain, des discussions sur
une éventuelle loi sur les élections locales dans le Donbass sont
en cours au niveau du groupe de travail en charge des questions
politiques du Groupe de contact trilatéral.
78. Pour nos interlocuteurs ukrainiens, outre le plein respect
du cessez-le-feu, le retrait des troupes et des armes et le stockage
sécurisé de ces dernières, ainsi qu’une présence internationale
à la frontière ukrainienne avec la Russie, sont également des conditions
minimales, non satisfaites à ce jour, pour organiser des élections
locales dans le Donbass. A cet égard, nous avons été informés de
la nécessité d’une présence internationale de maintien de la paix
et en particulier d’un élargissement du mandat de l’OSCE pour introduire des
compétences militaires ou de police, une question qui, comme nous
l’avons dit précédemment, est actuellement en discussion.
79. Par ailleurs, comme l’a également souligné le Président Porochenko
lors de notre rencontre en novembre 2015, des élections libres et
équitables, dans le respect des normes internationales et de la législation
ukrainienne (comme prévu dans l’ensemble de mesures de Minsk), sont
inconcevables sans la participation de tous les partis ukrainiens
au scrutin, et sans le respect du droit des 1,5 millions de personnes déplacées
du Donbass de prendre part au vote. Les personnes du Donbass réfugiées
en Russie devraient bien évidemment être autorisées à voter et cette
situation est prévue dans le projet élaboré par les Ukrainiens.
Le Président Porochenko a également insisté sur la possibilité,
pour tous les médias ukrainiens, et plus particulièrement les chaînes
de télévision, de diffuser leurs émissions dans le Donbass au cours
de la campagne, ainsi que sur l’indépendance de la commission électorale
centrale.
80. Lors de notre rencontre en novembre 2015, le Président Porochenko
m’a remis un exemplaire du projet de loi sur les élections locales
au Donbass préparé par la partie ukrainienne, qui constituait une
bonne base pour ces discussions. Ce projet a malheureusement été
rejeté par les rebelles, qui ont rédigé leur propre projet. Celui-ci
est cependant inacceptable car il ne respecte nullement les normes
internationales sur des élections libres et équitables. Plus précisément,
les rebelles refusent que les partis ukrainiens participent aux
élections et sont opposés à la présence de médias ukrainiens dans
la campagne. Ils rejettent le droit de vote des PDI et sont en désaccord
avec le système électoral, la composition de la commission électorale
centrale, etc.
81. Pour sa part, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï
Lavrov, à la fin de la réunion des ministres des Affaires étrangères
des quatre pays du format «Normandie» organisée le 11 mai 2016,
a évoqué la nécessité d’adopter une loi sur les élections en concertation
avec Donetsk et Lougansk, de prendre une décision sur le statut
particulier du Donbass, sous la forme d'une loi spécifique et d'un
amendement à la Constitution, ainsi que d’une amnistie pour les
militants comme condition préalable à toute élection locale, ajoutant
qu’aucune élection n'est possible avant l'amnistie. Pour lui, le
déploiement d’une mission militaire de l’OSCE dans les régions de
Donetsk et de Lougansk n’est pas nécessaire pour y tenir des élections
locales.
82. Plus récemment, le OHCHR des Nations Unies a exprimé ses vives
inquiétudes quant à la capacité à mettre en œuvre des élections
libres et équitables dans les régions de Donetsk et de Lougansk
comme prévu dans l’ensemble de mesures en vue de l'application des
Accords de Minsk, évoquant l’absence de liberté d’expression, de
liberté d’association et de liberté de réunion dans les zones aux
mains de groupes armés.
83. Comme au cours de mes précédentes visites en Ukraine, lorsque
je me suis rendue dans le pays en avril 2016, tous mes interlocuteurs
étaient unanimes sur le rôle de la Russie dans le conflit dans l’est
de l’Ukraine. Ils sont persuadés que la population des régions de
l’est, mais aussi les représentants de ces régions, pourraient être
convaincus de travailler ensemble à un règlement politique pacifique,
dans le respect des principes de Minsk, à condition que la Russie
cesse toute ingérence. L’implication de la Russie ne se limite pas
à la fourniture d’armes lourdes et de combattants mais est aussi
présente dans la chaîne de commandement et la prise de décisions
politiques.
84. L’action de la Russie se traduit également par une intense
guerre d’information ou de propagande, qui est presque aussi dangereuse
que le conflit militaire car elle fait obstacle à toute tentative
de réconciliation ou de restauration de la confiance. Les médias
ukrainiens ne sont pas présents dans le Donbass et la propagande russe
prétend que des néonazis s’en prennent à des populations pacifiques.
85. Plus récemment, et contrairement aux déclarations continuelles
de la Russie selon lesquelles elle n’est pas partie au conflit au
Donbass, il y a des signes d’une participation russe accrue dans
les deux entités séparatistes au Donbass. Moscou fournit de l'argent
pour les pensions, les autres paiements sociaux et les salaires
des militaires et du gouvernement, et le rouble est devenu la monnaie
la plus fréquemment utilisée dans les entités séparatistes
. En outre, la
majorité des conseillers russes (
Kurators)
a récemment été remplacée par des agents du Service fédéral de sécurité
(FSB). Ainsi, les grandes décisions politiques et militaires semblent
être prises à Moscou et leur mise en œuvre est supervisée par les
autorités russes sur le terrain. Cela pourrait indiquer la volonté
de la Russie de consolider sa position dans les entités pour une période
de temps considérable
.
86. Les développements récents démontrent ainsi encore plus clairement
que les régions de l’est de l’Ukraine ne sont pas touchées par une
«guerre civile». Pour bon nombre de mes interlocuteurs en Ukraine, en
particulier de la société civile mais aussi certains parlementaires
et observateurs internationaux, il s’agit davantage d’une guerre
entre la Russie et le monde occidental menée sur le territoire ukrainien.
D’après eux, le Kremlin ne veut pas un conflit gelé, mais un conflit
«semi-gelé» permettant de déstabiliser l’Ukraine et de mettre en
péril son intégrité territoriale et sa souveraineté (voir également
ci-dessous le chapitre 5).
87. Alors que le Donbass était l’une des régions les plus prospères
d’Ukraine, le risque de prolongation d’un conflit de faible intensité
sur une longue période fait obstacle au développement de cette région,
mais aussi de l’Ukraine dans son ensemble, tout en pesant de plus
en plus lourdement sur le budget de la Russie
.
88. La communauté internationale continue de soutenir la mise
en œuvre des Accords de Minsk, considérés comme le seul moyen d’assurer
une résolution pacifique du conflit dans l’est de l’Ukraine et d’inverser
la dynamique qui conduirait à un conflit gelé ou semi-gelé.
89. Dans le même temps, la situation sécuritaire ne s’améliorant
pas sur le terrain, des voix de plus en plus nombreuses se font
entendre en Ukraine et à l’étranger, soulignant la nécessité d’une
nouvelle tentative diplomatique pour promouvoir une solution politique
à ce conflit. J’ai ainsi entendu à plusieurs reprises mes interlocuteurs
ukrainiens mais aussi des observateurs internationaux
évoquer la nécessité d’une participation
accrue des Etats-Unis et du Royaume-Uni, en leur capacité de garants,
avec la Russie, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale
de l’Ukraine en vertu du mémorandum de Budapest de 1994 sur les garanties
de sécurité.
90. Pour ma part, je suis d’avis que notre Assemblée devrait continuer
de soutenir le processus de Minsk et appeler à la mise en œuvre
des Accords de Minsk, malgré leur faiblesse et les lents progrès
enregistrés à ce jour, car ils offrent un cadre concret de négociation
sous supervision internationale. Ceci ne doit pas exclure un engagement
plus fort des autres acteurs, tels que les Etats-Unis et le Royaume-Uni,
qui sont également des Etats participant à l’OSCE.
4.3. L’affaire Savchenko
91. La libération le 25 mai 2016
de notre collègue Nadiia Savchenko, 708 jours après son enlèvement
en Ukraine, est probablement la meilleure nouvelle depuis bien longtemps
dans ce dossier. Nous sommes tous très heureux que Mme Savchenko
puisse enfin rentrer dans son pays et y retrouver sa famille, après
les nombreux appels lancés depuis près de deux ans en faveur de
sa remise en liberté.
92. Sa libération au lendemain même de l’échange téléphonique
qu’ont tenu les dirigeants du format «Normandie» (Ukraine, Russie,
France et Allemagne) est officiellement consécutive à la grâce accordée
par le Président russe pour des motifs humanitaires, à la demande
des familles des victimes dont Mme Savchenko avait
été accusée de meurtre au terme d’un procès jugé impartial par la
communauté internationale, y compris l’Union européenne et les Etats-Unis.
Au moment même où Mme Savchenko embarquait
dans l’avion la ramenant de Russie en Ukraine, deux militaires russes,
capturés sur le sol ukrainien et jugés coupables d’infractions liées
au terrorisme avant d’être graciés par le Président Porochenko,
montaient à bord d’un avion de retour vers la Russie.
93. A son retour en Ukraine, Mme Savchenko
a exprimé son soutien aux Accords de Minsk et s’est dite déterminée
à tout mettre en œuvre pour parvenir à leur application. Saluant
son retour, le Président Porochenko a déclaré que sa libération
aurait été impossible sans les Accords de Minsk et a remercié Mme Savchenko
pour son appui inconditionnel clairement affiché, ajoutant qu’elle
faisait preuve de «détermination civique». Pour sa part, le Président
russe Poutine a affirmé que la grâce et la libération de Mme Savchenko
n’avaient rien à voir avec les Accords de Minsk et qu’elle avait
été accordée pour des motifs humanitaires.
94. La remise en liberté de Mme Savchenko
a été saluée par l’ensemble de la communauté internationale, dont
le Président de notre Assemblée et le Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe. Au-delà d’un geste humanitaire important, c’est également
selon nous l’occasion d’instaurer la confiance entre les parties
au conflit et de donner au processus de Minsk l’élan positif dont
il a cruellement besoin.
95. Depuis son arrivée en Ukraine, Mme Savchenko
s’est rapidement immergée dans la vie politique ukrainienne. Elue
à la Verkhovna Rada en 2014 alors qu’elle était en détention, elle
a officiellement prêté serment en tant que membre du parlement le
31 mai 2016 et confirmé qu’elle prendrait ses fonctions au sein de
notre Assemblée.
96. Pendant les deux dernières années, j’ai constamment soulevé
le cas de Nadiia Savchenko et appelé à sa remise en liberté en mes
différentes capacités: en tant que rapporteure de l’Assemblée, pendant
toutes mes visites en Ukraine, lors de toutes les réunions de la
commission des questions politiques et toutes les déclarations et
autres documents d’information que j’ai produits; en tant que membre
du groupe ADLE, au sein duquel j’ai initié une campagne en faveur
de la libération de Nadiia Savchenko; et enfin en tant que membre du
Parlement tchèque, où j’ai organisé plusieurs évènements en faveur
de sa libération.
97. Au sein de l’Assemblée, son affaire a été suivie de près au
plus haut niveau, celui de la présidence de l’Assemblée. Plus récemment,
l’Assemblée a pris position sur cette affaire dans le cadre du débat
sur les «Préoccupations humanitaires concernant les personnes capturées
pendant la guerre en Ukraine», qui a eu lieu le 21 avril 2016. L’addendum
au rapport principal résume les événements ayant conduit au procès
et à la condamnation de Nadiia Savchenko ainsi que les réactions
de la communauté internationale au verdict du tribunal, y compris
les différents appels par notre Assemblée, son Président et les
rapporteurs compétents en faveur de sa libération tant avant qu’après
sa condamnation. Afin d’éviter des répétitions superflues je me réfère
à ce document (
Doc. 14015
Add) ainsi qu’à la
Résolution
2112 (2016) adoptée par l’Assemblée et appelant également à la libération
d’autres prisonniers ukrainiens.
98. Mme Savchenko et le Président Porochenko
ont déclaré que leur principale priorité était désormais d’assurer
le retour d’autres prisonniers ukrainiens condamnés illégalement
en Russie ou détenus sur les territoires occupés. Je me félicite
de la libération, le 14 juin 2016, de deux d’entre eux, M. Yuri
Soloshenko et M. Gennady Afanasyev.
5. Les conséquences géopolitiques
du conflit en Ukraine
99. Le conflit a pour première
conséquence géopolitique l’éloignement, apparemment définitif, de
l’Ukraine de la sphère d’influence de Moscou. Si, par le passé,
depuis l’effondrement de l’URSS, l’Ukraine hésitait entre deux directions
très différentes, l’une généralement qualifiée de «pro-russe», l’autre
de «pro-occidentale», il semble qu’à présent le pays ait résolument
choisi la seconde. De ce point de vue, l’action de la Russie paraît avoir
grandement aidé l’Ukraine non seulement à choisir un camp politique
mais aussi à renforcer son identité nationale
.
100. En annexant la Crimée et en violant l’intégrité territoriale
de l’Ukraine, la Russie n’a pas seulement enfreint ses obligations
envers l’Ukraine au titre du Mémorandum de Budapest de 1994 sur
les garanties de sécurité, elle a en outre mis à mal la crédibilité
du système des garanties de sécurité dans son ensemble offert en
contrepartie d’engagements de non-prolifération. D’un autre côté,
l’exclusion de Moscou du G8, due en partie à ses agissements contraires
au Mémorandum de Budapest, a également eu un impact important sur
le plan symbolique.
101. Dans un contexte plus large, le conflit en Ukraine a provoqué
une très grave crise entre la Russie et l’Occident, une crise beaucoup
plus grave et durable que celle engendrée par la guerre russo-géorgienne d’août 2008
alors qu’il était pourtant question d’une nouvelle guerre froide
.
102. La crise ukrainienne a poussé la Russie à remettre ouvertement
et radicalement en question l’ordre international instauré au cours
des premières décennies qui avaient suivi l’effondrement de l’Union
soviétique. Moscou a ainsi lancé un défi manifeste à l’ordre européen
tel qu’établi après la fin de la guerre froide. Si la Russie a toujours
cherché, souvent dans la discrétion, à empêcher l’élargissement
de l’OTAN à ses voisins, c’est à présent ouvertement qu’elle s’oppose
à ce principe. La Russie ne veut pas seulement réaffirmer le concept
de sphère d’influence mais aussi lui conférer une nouvelle légitimité
comme principe directeur de l’ordre européen et, en tout état de
cause, n’est plus prête à accepter l’ordre établi par l’Occident
après la guerre froide
. A cet égard, si l’OTAN décide,
en juillet 2016, d’étendre sa présence en Europe orientale, comme
l’on peut s’y attendre
, cela sera
très probablement interprété par Moscou comme une provocation.
103. Si les relations entre Moscou et Washington étaient déjà largement
entachées d’incompréhension et de méfiance, ces dernières sont aujourd’hui
encore plus marquées qu’avant. La Russie a le sentiment que ses propres
intérêts sécuritaires vitaux ont été lésés suite au bouleversement
politique de février 2014 en Ukraine, tandis que les Etats-Unis
se refusent absolument à admettre que ce pays et les autres Etats
postsoviétiques puissent appartenir à la sphère d’influence privilégiée
de la Russie.
104. Le conflit en Ukraine, cependant, a porté atteinte non seulement
aux relations de la Russie avec les Etats-Unis, mais aussi à ses
rapports avec l’Union européenne qui, par le passé, étaient plus
positifs au niveau politique et caractérisés par une forte interdépendance
économique, notamment au plan énergétique. Le conflit en Ukraine
n’a pas eu que des conséquences directes comme des sanctions économiques
importantes, des interdictions de visas et des gels d’avoirs imposés
par l’Union européenne à l’encontre de la Russie et de citoyens
russes, suivies de contre-sanctions russes; il a également, en termes
plus politiques, considérablement entraîné l’effritement de la position
traditionnellement favorable à Moscou qui était celle des pays les
plus importants de la «vieille Europe». Cette situation a naturellement
permis aux Républiques de l’ancienne Europe centrale et orientale,
et notamment aux pays baltes, de faire valoir leur propre attitude
qui traduit, et c’est compréhensible, une plus grande défiance à
l’égard de la Russie; ces Etats sont, en outre, les principaux promoteurs
de la politique de Partenariat oriental que Moscou a toujours combattue
tout comme l’extension de l’OTAN à l’Est.
105. Le conflit en Ukraine a manifestement eu d’importantes répercussions
économiques. En premier lieu pour l’Ukraine elle-même qui est la
principale victime du conflit et qui a perdu le Donbass, sa région
la plus industrialisée, d’où provenait un quart des exportations
du pays; mais aussi pour la Russie et différents pays européens,
frappés à des degrés divers mais non négligeables par les sanctions
appliquées contre la Russie et par les contre-sanctions russes qui
ont suivi
. Les sanctions et contre-sanctions
ont, par-delà leur efficacité économique, porté un dur coup aux
relations entre la Russie et l’Europe.
106. Il faut signaler, en outre, que le conflit en Ukraine a considérablement
renforcé les sentiments antirusses dans divers pays européens, même
dans certains pays où ils étaient quasiment inexistants. Dans le
même temps, la forte opposition géopolitique et idéologique à l’Occident
a fortement ranimé en Russie les sentiments patriotiques et nationalistes
et renforcé la popularité du Président russe.
107. L’agression de la Russie contre l’Ukraine constitue un changement
de la politique extérieure russe
qui a une autre conséquence importante,
à savoir la revitalisation de l’OTAN qui fait figure d’alliance
contre Moscou principalement, comme c’était le cas à l’époque de
la guerre froide. Jusqu’à une date récente, en effet, le Kremlin
défendait avec force le respect de la souveraineté nationale, la
non-ingérence dans les affaires intérieures d’un autre Etat, l’inviolabilité
des frontières et l’illégalité du recours unilatéral à la force.
Avec l’annexion de la Crimée et son implication dans le conflit
au Donbass, la Russie conteste à présent ouvertement la légitimité
des frontières postsoviétiques et revendique le droit de recourir
à la force pour défendre la population de souche russe.
108. Cette voie d’un affrontement ouvert avec les Etats-Unis et
l’OTAN apparaît extrêmement risquée, notamment pour la Russie. Comme
l’a observé le directeur du Centre Carnegie de Moscou, Dmitri Trenine,
la Russie, sur cette voie, rencontrera de redoutables opposants
et très peu d’alliés. Pour ce qui est des amis, elle n’en aura que
deux sur lesquels elle pourra compter, à savoir son armée et sa
marine. L’issue de cette compétition très inégale déterminera l’avenir
de la Russie au XXIe siècle
. En outre, pour tenir une position globalement
aussi astreignante, une Russie «forte mais isolée» devrait pouvoir
se fonder sur une économie beaucoup plus développée et dynamique
que celle qui la caractérise actuellement.
109. Le conflit ukrainien, marqué par l’annexion de la Crimée et
une orientation nationaliste et revancharde déclarée, a une autre
conséquence dangereuse pour la Russie dans la mesure où il l’oppose
non seulement à l’Occident mais aussi à plusieurs pays postsoviétiques
et même à ceux que les perspectives de coopération économique et
politique intéressent le plus. La crise ukrainienne a, en effet,
mis très nettement un frein au projet d’union eurasiatique dans
lequel le Président russe s’était beaucoup investi dès sa campagne
électorale visant à obtenir un troisième mandat présidentiel.
110. L’annexion de la Crimée a suscité de fortes inquiétudes au
Bélarus mais surtout au Kazakhstan (où les Russes constituent une
minorité importante, concentrée dans le nord du pays), c’est-à-dire
dans les Etats qui étaient, avec l’Arménie, les partenaires les
plus proches de Moscou et les premiers à faire partie de l’Union douanière
eurasiatique. Les résistances déjà notables que ces deux pays opposaient
à la transformation politique du projet économique eurasiatique
se sont, en effet, considérablement renforcées ces derniers temps.
De ce point de vue, l’entrée successive dans l’Union économique
eurasiatique de pays comme l’Arménie et le Kirghizstan ne change
guère la donne. Ce n’est pas seulement la perte de l’Ukraine, qui
était une composante essentielle de ce projet sous l’angle tant
politique qu’économique, mais aussi le comportement même de Moscou
dans cette crise qui ont vidé de sa substance la perspective d’une
nouvelle intégration au sein de l’espace eurasiatique.
111. Une conséquence potentiellement plus importante du conflit
ukrainien, même si sa gravité n’a pas été suffisamment prise en
considération, c’est d’avoir amené la Russie à se tourner vers l’Est.
La perception d’une fermeture de l’Occident après le conflit ukrainien
a accéléré une tendance qui était toutefois déjà présente dans la
vision stratégique de Moscou en vue, tout d’abord, de valoriser,
mieux que par le passé, les immenses régions sibériennes et, en
même temps, de tirer parti de la situation de la Russie qui constitue
un pont entre l’Europe et un Extrême-Orient à forte croissance politique
et économique. La décision de se tourner vers l’Est se traduit essentiellement
par le renforcement de la coopération économique, en premier lieu
énergétique, entre la Russie et la Chine. Ce n’est pas un hasard
si la visite la plus importante du Président Poutine après le déclenchement
de la crise ukrainienne s’est effectuée à Shanghai où a été conclu,
dès le 20 mai 2014, un contrat trentenaire et fondamental de fourniture
de gaz sibérien à Pékin.
112. Par ailleurs, un éventuel rapprochement politique et économique
ultérieur avec la Chine, induit par la dégradation des relations
avec l’Occident, serait, de la part de la Russie, une démarche peut
être profitable à court terme mais assurément non dépourvue de risques,
et même graves à plus long terme. Moscou est pleinement conscient
de ces risques; cependant, un rapprochement stratégique avec la
Chine ne peut être exclu si le fossé qui s’est creusé entre la Russie
et l’Occident n’est pas rapidement comblé.
113. Au-delà de la perspective d’une collaboration renforcée avec
la Chine, le conflit en Ukraine semble avoir nettement consolidé
l’orientation asiatique de la politique extérieure russe, au détriment
de l’axe occidental.
114. Le conflit en Ukraine a une autre conséquence plus récente
qu’illustrent les clivages ainsi créés au sein de l’Union européenne
et qui menacent sa cohésion. Plus spécifiquement, on observe des
divergences croissantes entre les Etats membres de l’Union européenne
quant à la nécessité de prolonger les sanctions à l’égard de la
Russie et des citoyens russes liées au conflit (annexion de la Crimée,
action russe dans le Donbass ou non mise en œuvre des Accords de
Minsk), ou d’opter pour leur levée ou allègement progressif en fonction
des progrès réalisés dans l’application des Accords de Minsk. Le
Sénat français a ainsi adopté le 8 juin 2016 une résolution non
contraignante appelant, entre autres, à la levée immédiate des sanctions
à l’égard des parlementaires russes afin de rétablir le dialogue
interparlementaire pour débloquer la situation politique
. En Allemagne, il semble y avoir
des divergences de vues entre les membres du gouvernement d’un côté
et la chancelière de l’autre. Plusieurs Etats membres de l’Union
européenne ont exprimé des doutes quant au maintien des sanctions
contre la Russie ou adopté des mesures qui témoignent de leurs interrogations,
à l’instar de l’Italie, de la Hongrie, de la Grèce et de la République
tchèque, qui avancent des arguments économiques ou jugent stérile
la prolongation des sanctions. D’un autre côté, le Royaume-Uni,
la Pologne et les Etats baltes demeurent les pays au sein de l’Union
européenne les plus favorables au maintien des sanctions à l’égard
de la Russie
.
6. Les conséquences du conflit
en Ukraine pour l’Assemblée
115. Le conflit en Ukraine a aussi
eu des conséquences directes et indirectes sur les relations entre
notre Assemblée parlementaire et le Parlement russe, ainsi que sur
les travaux de l’Assemblée.
116. Etant donné que la Russie et l’Ukraine sont l’une et l’autre
des Etats membres du Conseil de l'Europe, l’un des problèmes majeurs
pour l’Assemblée parlementaire était de savoir comment défendre
les principes fondamentaux du droit international et du Statut du
Conseil de l'Europe tout en maintenant un dialogue constructif avec
la Russie.
117. A la suite de l’escalade de la violence en Ukraine et de l’annexion
illégale de la Crimée par la Fédération de Russie en mars 2014,
l’Assemblée, lors de sa partie de session d’avril 2014, a exprimé
sa profonde inquiétude face aux agissements de la Fédération de
Russie qui ont conduit à l’annexion de la Crimée, dont le vote unanime
du Conseil de la Fédération autorisant le recours à la force militaire
en Ukraine, l’approbation des amendements constitutionnels permettant
l’annexion de la Crimée et la ratification du traité d’adhésion illégal.
118. Toutefois, tout en condamnant les actions de la Russie en
Ukraine, l’Assemblée a estimé que le dialogue politique devait rester
le moyen privilégié de trouver un compromis. C’est pourquoi l’Assemblée
a décidé, en adoptant la
Résolution
1990 (2014) en avril 2014, de ne pas annuler les pouvoirs de la
délégation russe, ce qui aurait rendu un tel dialogue impossible,
mais de suspendre le droit de vote de ses membres, le droit d’être représentée
au sein du Bureau de l’Assemblée, du Comité présidentiel et de la
Commission permanente, ainsi que le droit de participer à des missions
d’observation d’élections jusqu’à la fin de 2014.
119. Le but des sanctions n’était pas d’exclure la Russie des activités
du Conseil de l'Europe mais de donner un signal fort et de promouvoir
un règlement politique du conflit. Toutefois, suite au vote, la
délégation russe a décidé de s’exclure elle-même. Elle a quitté
Strasbourg immédiatement après le vote et refusé de participer à toute
session plénière pour le restant de l’année. Malheureusement, la
non-participation des membres de la délégation russe aux débats
pléniers et sa participation limitée aux réunions de commission
ont rendu tout dialogue impossible.
120. A l’ouverture de la partie de session de janvier 2015, les
pouvoirs de la délégation russe ont été contestés aux motifs que
le rôle de la Fédération de Russie et sa participation au conflit
dans l’Est de l’Ukraine ainsi que son annexion illégale persistante
de la Crimée constituaient une violation du Statut du Conseil de l'Europe.
121. Les débats et le vote ont eu lieu dans un climat très tendu:
en témoigne, par exemple, l’agression physique dont ont été victimes
deux membres de la délégation russe auprès de l’Assemblée sur le
parvis du Conseil de l'Europe, agression commise par deux parlementaires
ukrainiens non membres de la délégation ukrainienne auprès de notre
Assemblée.
122. Une fois encore, désireuse de prouver sa volonté de maintenir
le dialogue avec la délégation russe, l’Assemblée a décidé de ratifier
les pouvoirs de ses membres; cependant, pour exprimer clairement
sa condamnation des graves violations persistantes du droit international,
elle a décidé de suspendre le droit de vote de ses membres, le droit
pour la délégation d’être représentée au sein du Bureau de l’Assemblée,
du Comité présidentiel et de la Commission permanente, le droit
pour ses membres d’être désigné rapporteur, le droit de participer
à des missions d’observation d’élections, et le droit de représenter
l’Assemblée dans les organes du Conseil de l'Europe et auprès d’institutions
extérieures.
123. Malgré notre volonté de laisser ouvertes les possibilités
de communication, la délégation russe a officiellement décidé de
suspendre toutes les relations officielles avec l’Assemblée jusqu’à
la fin de 2015, dont toutes les visites au nom des instances de
l’Assemblée.
124. Dans sa
Résolution
2034 (2015), adoptée en janvier 2015, l’Assemblée a, en outre, décidé
qu’elle annulerait les pouvoirs de la délégation russe en juin 2015
si aucun progrès n’était accompli s’agissant d’accéder aux demandes
de l’Assemblée et, notamment, de mettre en œuvre le Protocole et
le Mémorandum de Minsk. La question a été réexaminée lors de la
partie de session de juin, qui a été une nouvelle occasion de réaffirmer
la nécessité de respecter la souveraineté, l’unité et l’intégrité
territoriale de l’Ukraine, ainsi que de favoriser un dialogue ouvert
entre l’Assemblée et la délégation russe en vue de trouver une solution
durable. A titre de nouvelle preuve de son engagement à maintenir
le dialogue ouvert, l’Assemblée, tout en prenant acte des sanctions
en vigueur, a décidé une nouvelle fois, dans sa
Résolution 2063 (2015) adoptée en juin 2015, de ne pas annuler les pouvoirs
de la délégation russe.
125. En janvier 2016, le Parlement russe n’a pas présenté de pouvoirs
à l’Assemblée. En conséquence, depuis le début de l’année, il n’y
a plus de parlementaires russes parmi nous.
126. Lors de la réunion tenue par la commission le 24 mai à Paris,
il a été question du rôle de l’Assemblée dans le conflit en Ukraine
en lien avec l’objectif de mon rapport. Un membre de la commission
a demandé si l’Assemblée ne devrait pas participer plus activement
au processus visant à régler le conflit en Ukraine et proposer sa
propre médiation pour remplacer le processus de Minsk. Un autre
collègue a exprimé l’avis suivant: il importe certes que nous défendions
nos principes et que nous condamnions toute violation du droit international,
mais, si nous voulons jouer un rôle dans les questions concernant
l’Ukraine, nous devrions permettre le dialogue avec l’autre partie,
écouter les arguments avancés par les parlementaires russes pour justifier
les actions menées en Ukraine, ainsi que leur point de vue sur la
réalité sur le terrain, et voir s’il est encore possible de parvenir
à un compromis entre les deux parties.
127. En réaction à cette discussion, je souhaiterais clarifier
certains points et expliquer ma propre position.
128. Concernant le premier point, je tiens à préciser que notre
Assemblée ne peut se substituer ni au processus de Minsk ni à aucun
autre processus de négociation. Le règlement des conflits fait partie
du mandat de l’OSCE, et non pas de celui du Conseil de l'Europe.
Le Conseil de l'Europe contribue au règlement des conflits par le
renforcement de la démocratie et par la promotion de l’Etat de droit
et des droits de l'homme dans les Etats membres où surviennent des
conflits, conformément à la notion de «sécurité profonde» ou «sécurité démocratique».
Pour sa part, l’Assemblée peut servir de plate-forme unique de dialogue
entre parlementaires et contribuer à apaiser les tensions entre
Etats membres, notamment en favorisant l’établissement de la confiance.
C’est d’ailleurs l’essence de la diplomatie parlementaire. Celle-ci
ne va cependant pas jusqu’à conférer un rôle de «médiation» à notre
Assemblée.
129. Sans vouloir approfondir la question, car ce n’est pas l’objet
de mon rapport, il est cependant utile de rappeler que, par le passé,
l’Assemblée a utilisé avec succès les outils de la diplomatie parlementaire
pour contribuer à apaiser des tensions dans des Etats membres: par
exemple, entre la majorité et l’opposition en Albanie et en République
de Moldova, ou même lors du conflit en Tchétchénie. En revanche,
elle a obtenu bien moins de résultats chaque fois qu’elle a tenté,
sous diverses formes, de jouer un rôle dans un conflit qui opposait
deux Etats membres, comme le conflit du Haut-Karabakh ou la guerre
de 2008 entre la Russie et la Géorgie.
130. En tout cas, tant que les membres du Parlement russe ne participent
pas aux activités de l’Assemblée, l’Assemblée ne peut rien faire
pour promouvoir un dialogue entre les parlementaires ukrainiens
et russes en vue d’établir, par exemple, des relations de confiance
qui pourraient contribuer à favoriser la mise en œuvre des engagements
au titre du droit international et des Accords de Minsk. Concernant
ce point, je tiens à répéter que, si nous nous trouvons dans cette
situation, ce n’est pas parce que notre Assemblée a exclu la délégation russe
de ses rangs ou refusé d’écouter les arguments des membres de cette
délégation, mais parce que le Parlement russe a décidé de suspendre
tout contact avec nous à la suite de la décision sur les sanctions.
Je tiens aussi à répéter que, dans le cadre de l’élaboration de
mon rapport, j’ai à maintes reprises invité la délégation russe
à donner son point de vue et tenté de me rendre dans le pays, mais
toutes mes tentatives ont échoué. Je pense que nous devons écouter
nos collègues russes s’ils veulent nous parler, mais que nous ne pouvons
pas les y obliger s’ils ne le veulent pas.
131. L’objet du présent rapport n’est sûrement pas d’examiner la
question des futures relations entre l’Assemblée et le Parlement
russe. Cette question figurera probablement à nouveau à l’ordre
du jour de notre Assemblée après l’élection, en septembre 2016,
d’un nouveau parlement en Russie, soit déjà à l’automne 2016, soit
en janvier 2017.
7. Observations
finales
132. Le conflit ukrainien n’a pas
été un coup de tonnerre dans un ciel serein. Depuis plus de vingt
ans, la Russie, d’une part, et l’Union européenne (ainsi que les
Etats-Unis et l’OTAN), d’autre part, mettent en œuvre des stratégies
très différentes concernant les territoires post-soviétiques de
l’Europe orientale et du Caucase méridional. La vision de l’Union
européenne de sa propre expansion vers l’Est n’est pas partagée
par Moscou tandis que l’Europe n’admet pas la volonté de la Russie
de maintenir une quelconque forme de contrôle sur les territoires
post-soviétiques, notamment en excluant résolument toute possibilité
d’adhésion de ces territoires à l’OTAN.
133. L’évaluation différente des révolutions de couleur, le différend
sur l’installation de missiles en Europe orientale, la guerre russo-géorgienne
d’août 2008, les politiques adverses du Partenariat oriental et
de l’Union douanière eurasiatique ont été des facteurs d’accentuation
progressive de l’antagonisme qui a atteint son paroxysme en Ukraine
fin 2013. Sous l’autorité du Président Viktor Ianoukovitch, l’Ukraine
balançait, à la recherche d’un meilleur compromis entre, d’une part,
l’Union européenne et sa proposition de renforcer les liens grâce
au programme de Partenariat oriental puis, ultérieurement, à un
accord d’association et, d’autre part, la Russie qui tentait de
convaincre les ex-Républiques soviétiques de s’engager dans un projet
d’union douanière
.
134. Il aurait probablement fallu consacrer plus d’efforts à l’époque
pour trouver une «troisième voie» plutôt que de pousser l'Ukraine
à choisir entre deux directions opposées. A cet égard, comme M. Štefan
Füle, Commissaire à l'élargissement et à la politique européenne
de voisinage de février 2010 à octobre 2014, me l’a également confirmé,
l'Union européenne a probablement son propre mea
culpa à faire et a sûrement appris quelques leçons de
ce qui est arrivé en Ukraine. L'Union européenne devrait maintenant
réfléchir à des stratégies pour l'avenir de la région qui permettront
de désamorcer les tensions actuelles et contribueront à rétablir
la confiance dans son voisinage. Mais pour l’Ukraine, il est maintenant
impossible de revenir en arrière et de réécrire l’histoire.
135. Nous déplorons naturellement tous la violence à laquelle les
événements de Maïdan ont conduit et la perte de vies humaines à
la suite de la décision de Viktor Ianoukovitch de ne pas signer
l’Accord d’association avec l’Union européenne mais de choisir plutôt
de renforcer les liens avec la Russie. Nous, au sein du Conseil de
l'Europe, avons d’ailleurs essayé d’aider le pays à enquêter sur
les pages les plus sombres de ces événements par l’intermédiaire
d’un Comité consultatif d’experts
.
136. Néanmoins, Maïdan restera dans les mémoires avant tout comme
le symbole de la lutte du peuple ukrainien pour la démocratie, le
respect de l’Etat de droit et de la dignité humaine (dans un pays
où la corruption est largement répandue) et aussi pour l’intégration
européenne.
137. Il est vraiment terrible qu’à ce moment précis, alors que
sur la place Maïdan le peuple ukrainien réclamait un renforcement
des relations avec l’Europe, davantage de liberté et une démocratie
véritable, son voisin de l’Est ait fait comprendre crûment non seulement
aux Ukrainiens mais à l’Europe et au monde entier qu’il n’accepterait
pas l’établissement de liens aussi étroits avec l’Union européenne
dans un pays qui, selon lui, fait légitimement partie de sa propre
sphère d’influence.
138. La Fédération de Russie a commencé par annexer la Crimée,
en violation flagrante du droit international, ce qui nous a tous
consternés. Ensuite, le conflit s’est étendu au Donbass. L’Ukraine
a perdu une grande partie de cette région et les zones industrielles
de l’Est et du Sud-Est. Les sanctions imposées à la Russie afin
d’obtenir un changement dans sa politique à l’égard de l’Ukraine
ont jusqu’à présent échoué à remplir cet objectif. Les événements
en Ukraine ont rapidement dépassé les frontières du pays, en déstabilisant
l’ordre européen et mondial de l’après-guerre froide.
139. La situation en Ukraine accélère, en effet, les changements
de rapports de force. Ces derniers mois, les relations entre la
Russie et l’Union européenne et entre la Russie et les Etats-Unis
ont atteint leur niveau le plus bas depuis la fin de la guerre froide.
Les Etats-Unis et l’Union européenne campent sur leurs positions
et continuent à appliquer des sanctions pour contrer le recours
de la Russie à la force militaire tandis que cette dernière, face
à un Occident de plus en plus hostile, se tourne manifestement vers
l’Orient: la Chine et la Russie se sont encore rapprochées et la
Russie a réaffirmé son rôle en tant qu’acteur majeur au Proche-Orient. Plus
récemment, des points de vue de plus en plus divergents entre les
Etats membres de l’Union européenne sur la question de savoir si
les sanctions à l’encontre de la Russie doivent être maintenues
créent des divisions qui menacent l’unité et la cohésion de l’Union
européenne.
140. Malgré une interdépendance économique croissante, l’Union
européenne et la Russie ont été jusqu’à présent incapables de trouver
des modalités durables d’entente politique fondées sur l’acceptation
des différences d’intérêts et de valeurs entre les deux acteurs.
141. S’il n’y a pas lieu de composer avec les valeurs fondamentales,
telles que la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine,
l’exclusion de tout dialogue avec la Russie et l’isolement de cette
dernière ne sont dans l’intérêt ni de la Russie ni du reste de l’Europe,
l’Ukraine comprise.
142. Les Accords de Minsk, malgré leurs nombreuses faiblesses et
parfois leur manque de clarté, semblaient offrir au moins un point
de départ vers la solution du conflit au Donbass qui aurait pu ouvrir
la voie vers une sortie de la logique des sanctions et aider à construire
une base pour poursuivre le dialogue. Certes, d’autres Etats pourraient
participer plus activement au processus de règlement du conflit
en Ukraine (comme ceux qui, avec la Russie, ont signé le Mémorandum
de Budapest de 1994), mais ce qui importe, ce sont moins les modalités
des négociations que la bonne volonté manifestée par toutes les
parties; je pense ici surtout à l’Ukraine et à la Russie (puisque
les chefs séparatistes du Donbass s’aligneront toujours sur la position
de la Russie). En l’absence de bonne volonté, on aura beau multiplier
les tentatives diplomatiques et les modalités de négociation, la
situation sur le terrain et le dialogue politique ne s’amélioreront
pas.
143. Aujourd’hui, alors qu’en toile de fond nous constatons un
environnement sécuritaire détérioré sur le terrain, mais aussi un
contrôle accru de la Russie sur les régions séparatistes du Donbass,
les chances d’une mise en œuvre effective des Accords de Minsk dans
un proche avenir semblent minces. Après tout, l’on ne sait pas si
la Russie souhaite vraiment voir ces accords mis en œuvre et la
souveraineté ukrainienne restaurée dans les régions séparatistes.
Peut-être préfère-t-elle prolonger (plutôt que geler) le conflit
dans l’est de l’Ukraine, et ainsi maintenir l’instabilité et l’insécurité
dans l’ensemble du pays, tout en continuant à adresser des menaces
hybrides (rappelant l’époque de la guerre froide) au reste de l’Europe.
144. Pour sa part, l’Ukraine a ses raisons de douter de la possibilité
d’avancer sérieusement dans le dialogue politique conformément aux
Accords de Minsk, notamment en ce qui concerne les dispositions
spécifiques pour le Donbass et l’organisation, dans la région, d’élections
locales, tant que la toute première étape envisagée dans ces accords,
c’est à dire le cessez-le-feu, n’est pas respecté et tant que des
troupes et des armements lourds russes sont déployés dans la région.
145. Toutefois, aussi minces que soient les chances de succès et
malgré toutes leurs faiblesses, les Accords de Minsk constituent
le seul cadre concret de négociations dont nous disposions pour
le moment et nous devrions continuer à leur apporter notre soutien.
La libération de notre collègue, Nadiia Savchenko, et d’autres détenus
après près de deux ans de négociations est considérée comme un signe
que les Accords de Minsk sont vivants et peuvent produire des résultats
(bien que le Président russe affirme avec insistance que la libération
de Mme Savchenko n’a rien à voir avec
Minsk); il est à espérer que cette libération puisse créer une dynamique
positive qui permette de progresser dans d’autres domaines aussi.
146. En même temps, si l’Ukraine veut continuer à bénéficier du
soutien de l’Europe vis-à-vis de son voisin, elle doit démontrer
une détermination et une volonté politique forte en mettant en œuvre
les réformes urgemment nécessaires et en respectant enfin les promesses
de l’Euromaïdan de réformer un système corrompu et oligarchique.
Ceci d’autant plus qu’elle ne peut imputer le retard dans leur mise
en œuvre à la poursuite du conflit ou à l’absence de respect par
l’autre partie des Accords de Minsk. A cet égard, l’adoption par
le Parlement ukrainien d’amendements constitutionnels relatifs au
système judiciaire, attendus depuis longtemps, représente un autre
progrès important. Ces réformes doivent maintenant être mises en
œuvre et il reste nécessaire – en plus, voire au-delà, des reformes
législatives – d’obtenir enfin des résultats tangibles dans la lutte
contre la corruption. Ces objectifs sont également vitaux pour le
développement économique du pays et l’encouragement des investissements
venant de l’étranger. La réforme constitutionnelle de la décentralisation
devrait également être menée à bien, non seulement pour satisfaire
aux Accords de Minsk, mais aussi et surtout pour moderniser l’Etat
ukrainien. Toutes les forces politiques doivent s’unir plus que jamais
et trouver un terrain d’entente minimal pour permettre la conduite
de cette réforme aussi.
147. Comme nous l’avons répété à maintes occasions et comme l’a
souligné le nouveau Premier ministre de l’Ukraine, le front intérieur
est tout aussi important que le front extérieur. Seule une Ukraine
démocratique dotée d’institutions publiques stables respectant l’Etat
de droit peut être forte et prospère, capable de mettre fin à l’agression
venant de l’extérieur et de rétablir la paix. Des réformes réussies
seront également le meilleur moyen de convaincre la population des
zones sous contrôle des rebelles que leur avenir est bien au sein
de l’Ukraine.