1. Introduction
«Dans le monde, une fille est
soumise aux mutilations génitales toutes les cinq minutes» (OMS)
1. Chaque jour, des femmes et
des filles qui sont nos ressortissantes ou qui résident sur nos
territoires sont menacées de subir des mutilations génitales. Elles
seraient 180 000 filles au sein de l’Union européenne
. Ces pratiques, loin de se produire
uniquement dans certains pays d’Afrique, se retrouvent aussi en
Asie et en Europe. Des mutilations génitales féminines sont pratiquées
le plus souvent de manière traditionnelle, mais nous pouvons également
craindre une médicalisation de la pratique.
2. Selon une estimation du Parlement européen, 500 000 femmes
et filles vivraient avec des mutilations génitales au sein de l’Union
européenne
. Des chiffres rendus publics en 2015
indiquent qu’au Royaume-Uni seulement, 137 000 femmes et filles,
qui résident de manière permanente en Angleterre et au Pays de Galles, ont
subi des mutilations génitales
. Dans certains quartiers de Londres,
cela concernerait près d’une femme sur 20.
3. Au niveau mondial, alors que l’estimation longtemps avancée
était de 130 millions de femmes et de filles ayant subi des mutilations
génitales, le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef) a
révélé en février 2016 que ce chiffre serait en réalité d’au moins
200 millions de femmes et de filles dans les 30 pays pour lesquels
des données sont disponibles
.
La Somalie, la Guinée, Djibouti, la Sierra Léone, le Mali, l’Egypte,
le Soudan font partie des pays les plus touchés
.
Cette forte hausse s’explique par la croissance de la population mondiale
mais également par le fait que des pays tels que l’Indonésie ont
commencé à collecter des données au niveau national. La mobilisation
internationale est ainsi plus que jamais nécessaire et je me félicite
que la fin des mutilations génitales pour 2030 ait été intégrée
aux Objectifs de développement durable adoptés par les Nations Unies
en septembre 2015.
4. Les chiffres sont alarmants et ils démontrent, si besoin en
était, que nous sommes directement concernés. Il nous faut reconnaître
la nature globale de cette pratique et agir pour prévenir, protéger,
punir, réparer et prendre en charge les conséquences à long terme
sur la vie de ces femmes. Ce faisant, il faut nous rappeler que
derrière les chiffres il y a des femmes, des jeunes filles et des
enfants et que ce sont elles qui subissent ces pratiques et leurs
conséquences et qui doivent être au cœur de notre attention. Lors
de la préparation de ce rapport, j’ai rencontré des femmes qui ont
subi des mutilations génitales. Je voudrais les remercier d’avoir
accepté de partager leurs histoires personnelles avec moi et leur
dire mon admiration pour leur courage. Elles m’ont aidée à comprendre
ce que les chiffres ou les meilleurs experts ne pourront jamais nous
dire, la souffrance et l’incompréhension face à cette violence qui
leur a été infligée.
2. Des pratiques traditionnelles néfastes
5. Les Nations Unies qualifient
les mutilations génitales féminines (ci-après «MGF») de «pratiques traditionnelles
néfastes, enracinées dans la discrimination, fondée notamment sur
le genre, qui s’accompagnent souvent de violences, causent un préjudice
physique ou psychosocial ou des souffrances et qui sont prescrites
ou maintenues en place par les normes sociales qui perpétuent la
domination de l’homme et l’inégalité des femmes
». Ce qualificatif de «pratiques
traditionnelles néfastes» est également utilisé dans le Protocole
à la Charte africaine des droits de l’homme relatif aux droits des
femmes en Afrique (protocole de Maputo) qui exige que les Etats
interdisent toutes formes de MGF à travers des mesures législatives
assorties de sanctions
.
2.1. Une
violation des droits des femmes et des enfants
6. Les MGF constituent une violation
flagrante des droits humains tels que reconnus par de nombreux textes
internationaux. Elles portent gravement atteinte au droit à l’intégrité
physique et mentale, au droit à la vie, à l’interdiction des actes
cruels, inhumains ou dégradants
, à l’interdiction de la discrimination
– en particulier basée sur le genre – et au droit à la santé.
7. Les droits de l’enfant sont également violés par la pratique
des MGF puisqu’elles sont dans la majorité des cas pratiquées sur
des filles de moins de 15 ans. L’UNICEF a constaté que dans la moitié
des pays où les MGF se pratiquent, les filles les subissent avant
l’âge de cinq ans. Les témoignages sont particulièrement choquants
. Ils mettent
chaque fois en lumière la contrainte physique subie par l’enfant
pour qu’elle soit soumise à cette mutilation, la souffrance physique
extrêmement violente mais aussi la souffrance morale de l’enfant
dont la confiance a été trahie par ses proches et les séquelles
psychologiques qui en découlent.
8. Les MGF peuvent également être pratiquées sur des femmes adultes.
Tel sera par exemple le cas de femmes qui n’avaient pas été excisées
pendant l’enfance et qui le seront avant leur mariage. De même,
des ré-infibulations sont pratiquées dans certains cas sur des femmes
après un accouchement ou des rapports sexuels.
9. Les MGF doivent être reconnues comme une forme grave de violence
faite aux femmes et aux enfants, traitées en tant que telles dans
les Etats membres du Conseil de l’Europe et pleinement intégrées
dans les politiques nationales de lutte contre les violences faites
aux femmes et aux enfants.
2.2. Terminologie
10. Lors de la préparation de ce
rapport, j’ai eu plusieurs échanges sur la terminologie utilisée
pour désigner à la fois les femmes et la pratique. Le terme «cutting»
est parfois employé au Royaume-Uni, soit pour se conformer à la
terminologie utilisée par des institutions internationales telles
que l’UNICEF, soit dans un souci de ménager la sensibilité des femmes
concernées. Or, de l’avis général de mes interlocuteurs, ce terme
devrait être évité parce qu’il tend à minimiser la gravité de la
pratique. Par ailleurs, dans les pays francophones, certains préfèrent
l’emploi de l’expression «mutilations sexuelles» qui permet de souligner
la volonté de contrôle de la sexualité de la femme à travers la
pratique des MGF. Pour ma part, je pense que l’expression «mutilations
génitales féminines» doit être préférée parce qu’elle est celle
retenue par la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention
et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(STCE no 210, «Convention d’Istanbul»),
ainsi que par la grande majorité des organisations non-gouvernementales
actives dans le domaine.
11. S’agissant des femmes, l’expression «survivante» est très
fréquemment utilisée à la place de «victime». Au Royaume-Uni, tous
mes interlocuteurs m’ont indiqué que leur position est d’employer
l’expression souhaitée par les femmes concernées elles-mêmes et
qui est souvent celle de «survivante». Je pense qu’il s’agit de
la bonne approche et je m’emploierai dans mon rapport à utiliser
cette expression autant que possible. Enfin, il a également été
souligné pendant la visite d’information au Royaume-Uni, en mars
2016, que l’emploi de termes tels que «barbare» ou «horrible» devrait
être évité afin de ne pas offenser et stigmatiser les personnes
issues des communautés qui pratiquent les MGF.
2.3. Définition
et conséquences des mutilations génitales féminines
«Une condamnation à perpétuité»
12. En termes médicaux, les MGF
correspondent à toutes les interventions incluant l'ablation partielle
ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre
lésion des organes génitaux féminins qui sont pratiquées pour des
raisons non médicales.
13. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a établi une classification
de quatre types de MGF à laquelle il est très fréquemment fait référence
. Toutefois, des voix s’élèvent
pour contester son utilisation en particulier parce qu’elle établirait
une échelle de gravité, ne prend pas en compte les conséquences
à long terme sur la vie des femmes voire risque d’empêcher les poursuites
pénales pour ce qui est des MGF de type 4 dont la définition donnée
par l’OMS ne correspond pas au sens juridique communément admis
de «mutilation»
. Le Dr Pierre Foldès,
chirurgien urologue français, défend ainsi l’idée selon laquelle
«il n’y a pas de petite excision»
.
Pour lui, toute excision est un geste de mutilation qui touche le
sexe de la femme et qui est accompagné ou non, selon les traditions,
de gestes complémentaires.
14. Ainsi que le rappelle l’OMS, les MGF ne présentent aucun avantage
pour la santé
. Au
contraire, elles comportent de graves conséquences médicales pour
les femmes qui en sont victimes, non seulement lors de la mutilation
mais aussi tout au long de leur vie. Ces risques couvrent les douleurs,
les saignements et hémorragies pouvant entraîner la mort, les infections
urinaires et gynécologiques, les complications obstétricales, dont
la perte du bébé et le risque de fistules vésico-vaginales, ainsi
que les conséquences psychologiques liées au traumatisme de la mutilation.
15. Lors d’une audition organisée par le Réseau parlementaire
sur le droit des femmes de vivre sans violence le 24 juin 2015,
le Dr Foldès a précisé que la pratique des MGF entraînait 15 % de
mortalité immédiate. Or, il apparaît que la conscience des risques est
relativement minime tant dans les pays les plus touchés qu’au sein
des communautés émigrées.
16. Les MGF ont également pour effet, dans la majorité des cas,
de rendre les rapports sexuels douloureux pour les femmes survivantes.
Les conséquences sexuelles des mutilations comprennent également
l’absence de plaisir lors des rapports, la suppression de zones
érogènes entraînant la baisse voire l’absence de sensations sexuelles.
Cet aspect des MGF symbolise une forme de contrôle des hommes sur
la sexualité des femmes: en amoindrissant le désir sexuel des femmes,
les hommes renforcent leur domination et s’assurent que leurs femmes
leur seront fidèles mais aussi que leurs filles demeureront vierges
jusqu’à leur mariage. Il convient à cet égard de souligner que tout
parallèle entre la circoncision masculine et la mutilation génitale féminine
doit être rejeté, ne serait-ce que parce que le clitoris, dont la
seule fonction est le plaisir sexuel, n’a pas d’équivalent chez
l’homme.
2.4. Les
origines multiples des mutilations génitales féminines
17. Afin de formuler des recommandations
précises et adaptées concernant les moyens de protéger et de venir
en aide aux femmes, selon les besoins qu’elles expriment, il est
à mon sens de la première importance de se pencher sur la question
des origines des MGF. Je suis convaincue qu’il s’agit d’un préalable
nécessaire à l’adoption tant de mesures pertinentes pour lutter
contre elles que de politiques d’information efficaces à destination
des communautés les pratiquant.
18. Les origines des MGF sont nombreuses et les témoignages des
femmes survivantes sont d’importantes sources pour leur compréhension.
Lors d’une audition co-organisée en 2013 par le Réseau parlementaire
pour le droit des femmes de vivre sans violence, Mme Djenabou
Teliwel Diallo avait expliqué que «les hommes musulmans guinéens
ne se marient pas à une fille non excisée parce qu’ils sont convaincus
que le clitoris entraîne l’impuissance de l’homme, et qu’un enfant
peut mourir s’il touche le clitoris de sa mère à la naissance»
. Elle avait également
souligné que sa mère «a été endoctrinée par la tradition comme toutes
les autres mamans» et qu’elles «le font malgré elles, elles s’y
sentent obligées parce qu’elles pensent que c’est pour le bien de
leur enfant».
19. L’acceptation sociale engendrée par la continuité de la pratique
est perçue comme l’un des bénéfices principaux des MGF, tant selon
les femmes et les filles que selon les hommes et les garçons. Les
normes sociales jouent un rôle clé en la matière: elles sont la
marque d’une culture et d’une tradition dont le non-respect entraîne
nécessairement le rejet social et la marginalisation. Le poids de
la tradition et de l’ordre social sont alors déterminants dans la
continuité des pratiques. Les sondages réalisés montrent que les
femmes qui pratiquent les MGF ne savent souvent pas pourquoi elles
le font, si ce n’est que la pratique a toujours été et doit continuer
d’être. Cela a été également été mis en avant par Mme Naana
Otoo-Oyortey, Directrice de FORWARD (Royaume-Uni) et Présidente
du Conseil d’administration du Réseau européen End FGM, lors de l’audition
du Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans violence
de juin 2015.
20. Le motif religieux est souvent invoqué pour justifier la pratique
des MGF, en particulier par des communautés de confession musulmane.
Or, il est essentiel de rappeler que les MGF sont bien plus anciennes que
l’Islam et bien qu’elles soient aussi pratiquées par des musulmans,
elles ne constituent pas un précepte de l’Islam. De fait, des pays
où l’Islam est la religion majoritaire, tels que la Turquie, l’Albanie,
la Bosnie-Herzégovine, l’Azerbaïdjan, l’Algérie, le Maroc et la
Tunisie, ne connaissent pas ces pratiques. De plus, au sein d’un
même pays, ces pratiques peuvent être observées dans certaines régions
et pas dans d’autres. En Irak, par exemple, les MGF ne sont ainsi
pratiquées que dans la région du Kurdistan. De nombreux leaders
religieux ont fait entendre leur voix sur la question des MGF afin
de les condamner et de recommander l’abandon de ces pratiques. De
plus, si la majorité des groupes pratiquant les MGF sont de confession
musulmane, de nombreux autres groupes religieux, notamment chrétiens
ainsi que les animistes et les
juifs falashas, continuent d’y soumettre leurs femmes et leurs filles.
21. La pratique des MGF repose également sur la croyance selon
laquelle les hommes n’épouseront que les femmes qui ont été excisées
ou infibulées. Ainsi, «la volonté d’un mariage conforme aux convenances,
qui est fréquemment indispensable pour la sécurité économique et
sociale ainsi que pour satisfaire les idéaux locaux en matière de
maternité et de féminité, peut expliquer la persistance de cette
pratique»
. L’honneur familial est dès lors mis en
jeu et protégé par la pratique des MGF sur les filles, avant qu’elles
n’atteignent l’âge de se marier. C’est également ce qui peut entraîner
une ré-excision: si la première excision n’est pas jugée suffisamment
bien faite, elle peut alors être de nouveau pratiquée sur la jeune
femme. Les mutilations sont vues, dans ce contexte, comme un gage
de chasteté et de pureté, et par-dessus tout, de moralité pour l’ensemble
de la famille. Sous cet angle, les MGF représentent clairement une
forme de contrôle sur la femme et notamment sur sa sexualité. Parmi
les garçons et les hommes, la préservation de la virginité fait
partie des motifs principaux pour la pratique des MGF
. De manière équivalente, elles peuvent
également être vues comme la réalisation d’un rite de passage et
d’une entrée dans l’âge adulte.
22. La diversité des pratiques et des raisons invoquées pour expliquer
voire justifier les MGF montre à quel point celles-ci relèvent de
la pratique culturelle, et non de préceptes religieux. Il est en
effet fondamental de rappeler que les MGF ne sont prescrites par
aucun texte religieux. Je suis convaincue que le seul point commun
qui lie et caractérise toutes ces pratiques reste celui d’une volonté
de contrôler la femme et sa sexualité.
3. Réponses
juridiques, sociales et médicales aux mutilations génitales féminines
3.1. La
criminalisation des pratiques
23. La Convention d’Istanbul requiert
des Etats Parties qu’ils érigent en infraction pénale le fait de
soumettre ou contraindre une femme ou une fille à une MGF mais également
d’inciter une enfant à s’y soumettre (article 38)
.
Plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe ont introduit dans
leur code pénal une infraction spécifique relative aux MGF, parfois
sans attendre d’avoir ratifié la Convention d’Istanbul
.
Dans d'autres Etats, les MGF sont couvertes par d’autres dispositions
pénales générales. Elles entrent, par exemple, dans la qualification
des dommages corporels (Grèce, République slovaque), des mutilations
(Estonie), des blessures volontaires (Turquie) ou encore des violences
ayant entraîné la mort, une infirmité permanente ou une mutilation
(France)
. Ces infractions sont généralement passibles
de peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 10 ans de réclusion,
voire 20 ans pour les cas les plus graves (mutilation ayant entraîné
la mort ou commise sur une mineure).
24. Quelle que soit la qualification juridique, l'important est
que ces pratiques puissent être poursuivies pénalement. Certains
pays considèrent ne pas être concernés par les MGF, mais je pense
que cela doit être démontré. Je voudrais encourager l'ensemble des
Etats membres à se doter des moyens juridiques permettant de poursuivre
et de sanctionner les MGF. La première étape serait de créer une
infraction spécifique qui inclut toutes les lésions commises sur
les organes génitaux féminins pour des raisons non-médicales.
25. Une source d’inquiétude est que la criminalisation de cette
pratique ne se traduit pas en poursuites et condamnations pénales.
Au sein de l’Union européenne, jusqu’en février 2012, seuls 41 cas
ont été portés devant les tribunaux, principalement en France (29
cas)
. Depuis cette date, d’autres cas
ont été enregistrés mais ils demeurent rares comparés au nombre
estimé de femmes et de filles ayant subi ou risquant de subir des
MGF. Ce faible taux de poursuites et de sanctions est problématique
puisqu’il empêche que l’interdiction des MGF soit prise au sérieux
par les membres des communautés concernées.
26. Au Royaume-Uni, les MGF ont été érigées en infraction pénale
dès 1985 (Prohibition of Female Circumcision
Act) et l’arsenal juridique a été renforcé en 2003 (Female Genital Mutilation Act).
Pourtant, jusqu’en 2014, aucune poursuite relative aux MGF n’a été
portée devant les tribunaux britanniques. Plusieurs raisons expliquent
cet état de fait. D’une part, très peu de victimes portent plainte,
en raison notamment de la difficulté de dénoncer ses propres parents,
d’identifier les auteurs quand les mutilations ont été commises
à l’étranger et quand les victimes étaient très jeunes, ou encore
de la pression sociale. D’autre part, le fait que les professionnels
de santé, les services sociaux, le personnel éducatif ne dénoncent
que rarement les MGF a été analysé comme contribuant également à
l’absence de poursuites.
27. C’est fort de ce constat que le Royaume-Uni a, en 2015, encore
renforcé son dispositif juridique (
Serious Crime
Act) à travers quatre mesures principales:
- l’anonymat des victimes qui
a pour objectif de faciliter la dénonciation des MGF par les victimes. Toutefois,
certains de mes interlocuteurs au Royaume-Uni ont fait remarquer
que dans les affaires relatives aux MGF les personnes impliquées
sont généralement les parents et des membres de la famille, ce qui
rend l’anonymat très difficile voire impossible à appliquer en pratique;
- la responsabilité parentale qui implique que si une personne
a sous sa responsabilité une fille qui a subi une MGF, elle peut
en être tenue pénalement responsable à moins qu’elle ne démontre
que l’enfant n’était pas sous sa surveillance au moment des faits.
Cette mesure permet de contourner la difficulté tenant à l’identification
de la personne qui a effectivement réalisé la MGF, laquelle a le
plus souvent lieu à l’étranger;
- le signalement obligatoire qui oblige les membres des
professions réglementées des secteurs sociaux, médicaux et éducatifs
à signaler à la police les filles de moins de 18 ans ayant subi
des MGF lorsqu’il existe une preuve physique qu’une MGF a été commise
ou lorsque que l’enfant en fait la révélation;
- les ordres de protection qui peuvent être ordonnés par
un tribunal aux affaires familiales lorsqu’il existe des craintes
sérieuses qu’une fille soit envoyée dans le pays d’origine de la
famille aux fins d’y subir une MGF. Les mesures ordonnées peuvent
inclure l’interdiction de sortie du territoire ou la confiscation
du passeport. Il revient aux tribunaux de décider en fonction des
circonstances de chaque cas des mesures appropriées à ordonner et
de leur durée dans le temps. Pour les neuf premiers mois de leur
mise en application (juillet 2015-mars 2016), 60 requêtes ont été
déposées et 46 ordres de protection ont été ordonnés. Cette mesure
suscite des inquiétudes de la part des organisations non-gouvernementales que
j’ai rencontrées à Londres dans la mesure où elle peut être perçue
comme une atteinte à la liberté de circulation des personnes originaires
de pays pratiquant les MGF. En effet, la définition des filles à risque
est peu claire, une fille étant généralement considérée comme telle
si sa mère a elle-même subi une MGF. Or, ce critère peut aboutir
à ne plus considérer une femme comme une victime ou une survivante,
mais comme une auteure potentielle d’infraction, et stigmatiser
ainsi toute une communauté. De plus, il met l’accent sur la mère
uniquement et ne prend pas en compte le fait que, dans certains
cas, c’est le père qui est issu d’une communauté affectée par les
MGF et non la mère. De même, un enfant étant considéré comme la
responsabilité de la communauté au sens large, une fille peut subir
une MGF malgré l’opposition de ses parents.
28. La législation britannique prévoit également la compétence
extraterritoriale des juridictions nationales pour les actes commis
à l’étranger, d’une part à l’égard de ses nationaux et résidents
et, d’autre part, par ses nationaux et résidents. Cette disposition
est essentielle dans la mesure où les MGF sont commises dans leur grande
majorité à l’occasion de vacances dans le pays d’origine des parents.
La compétence extraterritoriale des juridictions nationales est
également inscrite dans la Convention d’Istanbul (article 44). Je
regrette qu’il s’agisse d’une des rares dispositions pouvant faire
l’objet d’une réserve par les Etats au moment de la ratification
de la Convention. J’appelle les Etats à ne pas en faire usage et,
le cas échéant, à retirer, dès que possible, leur réserve à cette
disposition fondamentale pour la protection des filles contre les
MGF.
29. La lutte contre les MGF passe également par un renforcement
de la coopération internationale, tant judiciaire que policière.
Or, les représentants de la police de Londres que j’ai rencontrés
ont indiqué qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de coopération
policière aux frontières pour empêcher que des familles contournent
les ordres de protection en voyageant vers leur pays d’origine à
partir d’un autre pays européen. Au Royaume-Uni, l’opération Limelight est déclenchée dans les
principaux aéroports trois fois par an, au moment des vacances scolaires.
Au cours de cette opération, deux vols par jour sont choisis et
les familles avec des fillettes revenant de pays où les MGF sont
pratiquées sont interrogées par deux officiers afin de déterminer
si une MGF a eu lieu. L’objectif affiché est de montrer que la lutte
contre les MGF est prise au sérieux par les autorités nationales.
Je regrette toutefois que cette opération ne soit pas également
mise en place au moment du départ vers ces pays afin de renforcer
sa dimension préventive.
30. Enfin, je voudrais souligner que le renforcement du cadre
répressif doit s’accompagner de structures d’aide aux victimes.
Il est essentiel que les filles craignant de subir des MGF ou les
ayant subies puissent avoir accès à des services juridiques, des
services de soins, y compris psychologiques, des lignes téléphoniques d’urgence
ou encore des refuges lorsqu’elles fuient leurs familles.
3.2. La
formation des professionnels, la prise en charge médicale et le
partage d’information
31. La formation des professionnels
est fondamentale non seulement pour la détection des cas de MGF
et le signalement des filles à risque, mais également pour le traitement
des conséquences des MGF. Lors des rencontres que j’ai faites dans
le cadre de la préparation de mon rapport, il m’a été fréquemment
rapporté que les MGF ne sont parfois détectées qu’au moment de l’accouchement,
par la sage-femme, alors même que la grossesse de la femme a été
suivie par un gynécologue. Cela révèle un manque de formation du
corps médical, voire un manque d’attention portée à ces femmes,
d’autant plus problématique que les accouchements de femmes ayant
subi des MGF peuvent entraîner de très graves complications qui
n’auront pas pu être correctement anticipées.
32. Au Royaume-Uni, il a été estimé qu’environ 1,5 % des femmes
qui accouchent en Angleterre et au Pays de Galles ont subi des MGF
.
La formation des professionnels est dès lors cruciale pour que ces
femmes puissent recevoir des soins appropriés. La formation des
sages-femmes est à cet égard déterminante puisqu’elles sont parfois
le seul membre du personnel médical auquel une femme ayant subi
une MGF aura accès.
33. Il existe au Royaume-Uni 16 cliniques spécialisées dans les
soins relatifs aux MGF et j’ai pu en visiter une lors de ma visite
d’information, la African Well Woman’s
Clinic qui se situe au sein de l’hôpital Guy’s and St
Thomas et qui a été créée en 1997 par le Docteur Momoh. Le service
de maternité accueille chaque jour au moins une femme ayant subi
des MGF. Ces femmes sont prises en charge, conseillées et informées
sur le cadre juridique applicable aux MGF. Le Docteur Momoh m’a
fait part de la nécessité de fournir aux femmes l’accès à ces soins
sur tout le territoire. La politique du Royaume-Uni de «dispersion»
des demandeurs d’asile mise en œuvre dans tout le pays rend en effet
nécessaire que ces soins soient accessibles sur tout le territoire, y
compris dans des lieux parfois reculés où vivent ces femmes. J’ai
été à cet égard informée qu’une étude est en cours pour identifier
les coûts standards de ces soins afin qu’ils soient à l’avenir accessibles
dans chaque clinique relevant du National
Health Service.
34. Au Royaume-Uni, les opérations de désinfibulation sont prises
en charge par le National Health Service. En
revanche, les opérations de réparation et de reconstruction ne le
sont pas. La raison avancée est qu’il n’existerait pas de preuve
médicale des bienfaits de ces opérations. Des recherches sont toutefois
en cours. En conséquence de cela, les femmes qui souhaitent une
opération de réparation ou de reconstruction se rendent à l’étranger,
en France ou en Allemagne par exemple. Je pense que les femmes survivantes
devraient avoir la possibilité de recourir à des opérations de réparation
et de reconstruction. L’aspect psychologique étant très important,
elles doivent pouvoir bénéficier d’un soutien psychologique avant
et, le cas échéant, après l’opération. En France, un protocole de
chirurgie réparatrice a été mis au point et ces opérations sont intégralement
prises en charge par l’assurance maladie depuis 2003. J’ai rencontré
à Paris et à Londres des femmes qui avaient été réparées et j’ai
été frappée par l’effet de ces opérations sur elles pour se sentir
entières et femmes. Je suis convaincue que les femmes survivantes
devraient bénéficier de ce choix et qu’il appartient à chaque femme
de décider pour elle-même, en fonction de son histoire personnelle,
d’y avoir recours ou non.
35. Lors de la préparation de ce rapport, j’ai également été touchée
par les propos de l’activiste Nimco Ali qui a raconté qu’enfant
elle avait confié à une enseignante avoir subi une mutilation génitale,
à quoi l’enseignante lui avait répondu: «C’est ce qui arrive à des
filles comme toi»
.
Une telle réaction montre à quel point il est important que les
MGF soient considérées comme une infraction pénale et une violence
à l’égard des enfants basée sur le genre. La sensibilisation des
professionnels en contact avec des enfants est à cet égard essentielle.
Or, on le voit avec ce témoignage, le manque de formation des professionnels,
la crainte de stigmatiser une communauté, les préjugés, la difficulté
d’aborder un sujet largement tabou, empêchent les signalements et
le travail de prévention.
36. Au Royaume-Uni, l’introduction de l’obligation de signalement
par les professionnels en contact avec des enfants a mis en lumière
la nécessité d’une meilleure information et formation des professionnels
auxquels cette obligation incombe désormais. Il est en particulier
très important de les rassurer sur les actions de la police après
un signalement, et notamment la proportionnalité des réactions par
rapport au facteur risque. Certains professionnels peuvent en effet
être réticents à faire un signalement par crainte de mesures disproportionnées
telles que l’arrestation des parents et le placement en institutions
de leurs enfants. Il importe ainsi d’expliquer aux professionnels
la procédure suivie dans de tels cas et d’opérer un changement de
culture parmi le personnel médical, et notamment les médecins généralistes
qui ont parfois été perçus comme se cachant derrière le secret professionnel.
37. La collecte de données et le partage d’information entre le
personnel médical, les services sociaux, l’école, la police et,
le cas échéant, les services d’asile sont cruciaux pour permettre
la détection des filles risquant de subir des MGF mais également
pour déterminer avec précision le nombre de femmes et filles touchées
par ces pratiques. Comme l’a souligné récemment l’Assemblée parlementaire
dans sa
Résolution 2101 (2016), la collecte systématique et globale de données est
une condition préalable à une action efficace et rationnelle contre
les violences faites aux femmes
.
4. Politique
d’asile et mutilations génitales féminines
38. Selon le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), environ 16 000 femmes
et filles ayant demandé l’asile en 2013 dans un pays membre de l’Union
européenne auraient potentiellement déjà subi des MGF avant leur
arrivée, soit 62 % du nombre total des femmes et filles demandeuses
d’asile originaires de pays dans lesquels les MGF sont pratiquées
. Les demandes
d’asile proviennent également de femmes et de filles qui risquent
de subir des MGF, une seconde intervention (nouvelle excision, ré-infibulation
à la suite d’un mariage ou d’un accouchement) ou qui ont reçu une
chirurgie réparatrice et craignent de subir une nouvelle mutilation
en cas de retour, de parents qui souhaitent protéger leurs filles,
de femmes qui refusent de pratiquer les MGF dans leur pays d’origine
ou qui militent contre elles
.
4.1. La
reconnaissance des mutilations génitales féminines en tant que persécution
39. Le HCR considère que les MGF
sont une forme de violence basée sur le genre qui expose les femmes à
de graves dommages, tant physiques que psychologiques, et équivaut
à une persécution au sens de l’article 1er de
la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés
.
Dans sa
Résolution 1765 (2010) sur les demandes d’asile liées au genre, l’Assemblée
demandait également aux Etats membres de tenir compte des problèmes
rencontrés par les victimes ou victimes potentielles de MGF dans
le processus d’asile et notamment de «reconnaître les mutilations
génitales féminines et le risque de mutilations génitales féminines comme
des motifs possibles de demande d’asile».
40. Cette exigence se retrouve aux articles 60 et 61 de la Convention
d’Istanbul qui demande aux Etats d’interpréter la Convention de
Genève d’une manière sensible au genre, de reconnaître la violence
fondée sur le genre comme motif de persécution ainsi que comme une
forme de préjudice grave donnant lieu à la protection subsidiaire
et de ne refouler personne vers un pays où sa vie serait en péril
et où elle pourrait être victime de torture ou de peines ou traitements
inhumains ou dégradants. Puisque la définition de réfugié donnée
par la Convention de Genève ne tient pas compte du genre, la protection
internationale mise en place par la Convention d’Istanbul est de
première importance. Elle a permis de franchir une étape majeure
dans la protection des femmes réfugiées victimes de violence en
instaurant une interprétation sensible au genre de la définition
de réfugié.
41. Un effet pervers de la reconnaissance des MGF comme motif
de persécution doit cependant être ici signalé. Des femmes souhaitant
émigrer sont en effet parfois encouragées à subir une excision au
motif que cela pourrait leur faciliter l’obtention d’un titre de
séjour. L’incitation à subir ou faire subir une mutilation génitale devrait
être sévèrement réprimée.
4.2. La
mise en place de procédures d’asile sensibles au genre
42. La nécessité de mettre en place
des procédures spécifiques pour traiter les demandes d’asile afin
d’en améliorer la qualité de traitement et de faire disparaître
autant que possible les difficultés procédurales pour les femmes
et les filles demandeuses d’asile est très nette. Il s’agit notamment
de revoir les procédures d’accueil, qui doivent elles aussi être
sensibles au genre, et les services de soutien aux femmes.
43. Par ailleurs, il existe un grand besoin de formation et de
sensibilisation du personnel à la question des MGF afin, d’une part,
de mieux écouter et accueillir les demandeuses d’asile qui viennent
raconter leur histoire, et d’autre part, de mieux prendre en considération
leurs demandes. Le Royaume-Uni a émis une instruction concernant
la procédure d’asile qui donne des directives aux fonctionnaires
pour prendre en charge les questions de violence basée sur le genre,
et notamment celles liées aux MGF, y compris en ce qui concerne l’utilisation
de procédures sensibles au genre
.
44. J’ai participé le 23 octobre 2015 à Bruxelles à une conférence
sur les MGF organisée par GAMS-Belgique et Intact au cours de laquelle
Mme Geertrui Daem du Comité belge d’aide
aux réfugiés a expliqué qu’en Belgique les demandeurs d’asile ont
la possibilité de demander que l’officier de protection chargé de
leur dossier et l’éventuel interprète soient du même sexe qu’eux.
Elle a souligné l’importance de respecter ces demandes et, dans
les cas de couples, de permettre un entretien individualisé avec
la femme. En effet, lorsque le couple est reçu ensemble, la situation
spécifique de la femme passe souvent au second plan. Or, il apparaît que
les femmes ne parlent pas immédiatement des violences qu’elles ont
subies, y compris les violences domestiques. Parfois, ce n’est qu’une
fois la première demande d’asile rejetée qu’elles vont parler de
ces violences. De plus, les MGF étant un motif reconnu de persécution,
les officiers chargés d’instruire les demandes d’asile devraient
effectuer de manière spontanée une recherche quand le taux de prévalence
des MGF est très élevé dans le pays d’origine. Ils devraient être
proactifs et poser des questions sur la pratique afin que la question
de la prévention puisse être abordée avec la demandeuse d’asile,
en particulier lorsque ses filles sont présentes. Les centres d’accueil
devraient également être proactifs dans l’identification des groupes
à risque afin de pouvoir mener une action de prévention.
5. Prévenir
les mutilations génitales féminines: des défis complexes à relever
45. Les défis sont nombreux en
matière de lutte contre les MGF. La prévention constitue certainement
le défi le plus important à relever puisqu’il s’agit de faire changer
les mentalités, non seulement des membres des communautés affectées
mais également des professionnels en contact avec les femmes et
les filles issues de ces communautés. Au cours de la préparation
de mon rapport, trois autres défis me sont apparus comme particulièrement
significatifs de la complexité de cette question.
5.1. Le
maintien de la pratique au sein des populations issues de l’immigration
46. L’existence et la persistance
des MGF en Europe sont liées à l’immigration. Bien que les études disponibles
tendent à montrer que la pratique des MGF diminue au fil du temps
au sein des populations issues de l’immigration
,
des membres des communautés pratiquant les MGF continuent à le faire
une fois installés dans les Etats européens, que ce soit sur place
ou lors de vacances dans leur pays d’origine.
47. Cette persistance des MGF tient à diverses raisons et notamment
au besoin d’un sentiment d’appartenance à une communauté qui prend
une ampleur bien plus importante dans un contexte migratoire. Ainsi,
le maintien de la pratique s’inscrit dans un certain respect des
traditions qui fait échec à un possible sentiment de trahison –
envers l’ensemble de la communauté et en particulier envers les
ancêtres.
48. Par ailleurs, la question de la perte d’identité est très
présente ainsi que, une fois encore, celle de la pression sociale.
En France, par exemple, il a ainsi été observé que les parents originaires
de pays pratiquant les MGF «sont confrontés à deux systèmes de représentations
en concurrence: en France l’excision est considérée comme une mutilation
sexuelle et une atteinte grave aux droits humains, alors que dans
leur pays d’origine, toute personne voulant être reconnue comme
bon parent doit faire exciser ses filles (et circoncire ses garçons).
Les migrants doivent concilier ces deux injonctions contradictoires.
Cette situation paradoxale peut conduire à la mise en œuvre, par
les parents, de stratégies qui conduisent à ne faire exciser qu’une
ou une partie de ses filles».
49. Dès lors, la question qui se pose est de savoir comment empêcher
que la pratique ne se poursuive. Pour cela, il faut également se
demander comment susciter un changement des normes sociales qui
prévalent dans les communautés issues de l’immigration. Il est nécessaire
de faire passer l’idée selon laquelle un abandon de la pratique
des MGF n’équivaut pas à l’abandon de leur identité. Pour cela,
il faut être en mesure d’entraîner un changement de perception afin
que les MGF ne soient plus considérées comme une pratique positive
et bénéfique mais comme une pratique préjudiciable aux femmes et
aux filles.
50. L’implication des communautés est ainsi décisive pour gagner
la lutte contre les MGF. En effet, les meilleures lois ne peuvent
pas changer les pratiques culturelles et traditionnelles sans l’engagement
des communautés elles-mêmes. Pour cela, les échanges et la coopération
entre les organisations issues des communautés et les autorités
nationales doivent être sans cesse renforcés. Ces organisations
ont en effet, par leur connaissance du terrain, un rôle d’intermédiaire
essentiel, tant au sein des communautés issues de l’immigration
que dans les communautés de leur pays d’origine. L’émancipation
des femmes, mais également des hommes qui ont eux aussi un rôle
à jouer pour convaincre les membres de leurs communautés d’abandonner
ces pratiques, est un prérequis. Il est toutefois nécessaire de
garder à l’esprit qu’il s’agit d’un sujet qui demeure dans la sphère
privée et qu’il peut être difficile à aborder pour les personnes
concernées. Pointer du doigt cette pratique comme préjudiciable
ne doit en aucun cas revenir à stigmatiser ses auteurs et l’ensemble
de la communauté.
5.2. La
médicalisation de la pratique
«Un médecin ou un soignant qui
pratique une mutilation commet un crime envers la femme qui lui
fait confiance, un crime envers l’esprit et l’éthique de la médecine
et envers la société»
51. Selon un constat de l’OMS,
les politiques d’information auprès des communautés et notamment
des exciseuses et qui ciblaient les conséquences médicales de ces
pratiques n’ont pas été en mesure de mettre fin à la pratique des
MGF
.
Ces campagnes ont au contraire mené à une médicalisation accrue
des MGF, sans pour autant réduire de manière drastique le nombre
de MGF pratiquées. En effet, puisque les risques d’infection et
de nombreux décès étaient liés aux conditions dans lesquelles les
MGF étaient pratiquées, les familles ont eu recours de manière accrue
à des professionnels de la santé afin de diminuer les risques sanitaires.
D’après l’OMS, dans les pays pour lesquels des données existent,
18 % des MGF seraient ainsi pratiquées par du personnel de santé
avec de très grandes variations entre les pays
. C’est
notamment le cas en Egypte, où une analyse récente des données collectées
en 2014 auprès des mères a montré que les MGF des filles âgées de
0 à 19 ans avaient été réalisées par des personnels médicaux dans
82 % des cas
alors
même que cela leur est interdit depuis 1997.
52. Les organisations internationales actives dans le domaine
de la santé ont, à maintes reprises, condamné la médicalisation
des MGF en tant que violation des droits fondamentaux et de l’éthique
médicale, mais également parce qu’elle contribue à légitimer cette
pratique auprès des communautés concernées et, par voie de conséquence,
empêche qu’il y soit mis fin. De plus, comme l’a souligné le Dr Foldès,
aux yeux d’experts non médicaux, et notamment du personnel en charge
du traitement des demandes d’asile, la médicalisation de la pratique
la fait passer pour un acte banal et minime qui pourrait dès lors
ne pas constituer une persécution au sens de la Convention de 1951
relative au statut des réfugiés
.
53. La formation des médecins sur les aspects éthiques et juridiques
des MGF et sur les conséquences néfastes sur la vie des femmes doit
être renforcée. Je me félicite des lignes directrices publiées récemment par
l’OMS sur la prise en charge des complications des MGF qui rappellent
de manière très ferme le principe selon lequel la médicalisation
des MGF n’est jamais acceptable et «constitue une violation de l’éthique médicale
car ces mutilations sont une pratique préjudiciable, la médicalisation
les perpétue et les risques de telles interventions l’emportent
sur les avantages perçus
».
Les Etats doivent veiller à ce que les médecins pratiquant des MGF
soient poursuivis et condamnés pénalement. Ces médecins devraient
également être l’objet de sanctions professionnelles prononcées
par les organisations professionnelles dont ils relèvent.
5.3. Le
secret
54. Le secret autour de la pratique
et de ses victimes apparaît également comme un défi majeur. Il empêche de
poursuivre les auteurs de MGF dans les pays où elles ont été érigées
en infraction pénale. La dynamique sociale autour de cette pratique
est dès lors plus forte que la volonté d’y mettre fin et de poursuivre
ceux qui lui permettent de continuer à exister malgré l’interdiction
pénale. Ce secret autour des MGF entraîne également une grande difficulté
pour les femmes et les filles d’en parler et donc de recevoir des
soins adéquats, qu’ils soient médicaux ou psychologiques, si elles
le désirent, ou simplement un suivi adapté lors de la grossesse
et de l’accouchement. Par ailleurs, il est encore plus compliqué
pour les autorités compétentes – et même pour toute autre personne
– de détecter une fille en danger quand rien n’est mentionné dans
son entourage ou directement par elle. Il me semble de ce fait qu’il
est de la première importance de libérer la parole sur la question
des MGF et de faire en sorte qu’il ne s’agisse plus d’un tabou afin
que les femmes et les filles puissent plus librement se confier,
obtenir de l’aide, voire venir en aide à une femme ou une fille
de leur connaissance qui risque de subir des MGF.
55. Le secret et le tabou qui entourent les MGF compliquent grandement
la collecte de données fiables sur le nombre de femmes ayant subi
des mutilations ou de filles à risque. Or, l’on sait que les données
sont un élément essentiel pour que les Etats définissent des politiques
adaptées.
56. Les campagnes de sensibilisation, d’information et d’éducation
ont dans ce contexte une importance fondamentale pour lever le tabou.
Je voudrais saluer le dynamisme et l’engagement des représentants
des organisations non gouvernementales qui travaillent sans relâche
à informer, dialoguer, former à la lutte contre les MGF, malgré
le manque de ressources financières pérennes auquel elles doivent
souvent faire face. Leur implication dans le travail de prévention
des MGF est déterminante puisqu’elles ont accès aux communautés concernées.
L’aspect communautaire de la persistance des MGF doit en effet se
retrouver dans toute campagne visant à mettre fin à ces pratiques:
une seule famille s’y opposant sera exclue et marginalisée alors que
plusieurs familles agissant ensemble pourront avoir un réel impact
sur leur communauté. L’action de ces organisations devrait ainsi
être soutenue financièrement si nous voulons gagner la bataille
contre les MGF.
5.4. L’implication
des hommes
«Bien que conscient de son pouvoir,
[l’homme] n’en use pas. Soucieux de ne pas perturber l’ordre établi,
il laisse la question des MGF confinée dans la sphère féminine»
57. Le travail de prévention doit
inclure tous les membres de la famille et de la communauté, les
femmes, les enfants mais également les hommes qui se tiennent trop
souvent à l’écart des discussions sur les MGF. Le Haut-Commissariat
des Nations Unies aux droits de l’homme a ainsi souligné qu’«[e]n
tant que pères, frères, maris, dirigeants communautaires, dignitaires
religieux ou responsables politiques, les hommes prennent de nombreuses
décisions qui favorisent la poursuite de la pratique; ils peuvent
donc contribuer à mettre fin aux actes de mutilation génitale féminine
et autres pratiques préjudiciables»
.
De plus, une étude récente de l’UNICEF a clairement montré que les
hommes peuvent être des agents du changement dans un certain nombre
de pays dans la mesure où ils sont très nombreux à se déclarer opposés
aux MGF, parfois plus nombreux que ne le pensent les femmes voire
plus opposés à cette pratique que les femmes elles-mêmes
.
58. Lors de ma visite d’information au Royaume-Uni, l’importance
du rôle que les hommes et les pères peuvent jouer dans la lutte
contre les MGF a été soulignée à plusieurs reprises par mes interlocuteurs.
Le projet Men Speak Out soutenu
par l’Union européenne est actuellement en cours et met précisément
l’accent sur l’engagement des hommes. J’ai eu le plaisir de rencontrer
l’un de ses représentants au Royaume-Uni. La voix des hommes peut
faire la différence et elle doit être plus entendue. Je suis convaincue
que les hommes doivent prendre leur part dans la lutte contre les
MGF et s’opposer publiquement à une pratique qui se perpétue pour eux.
6. Conclusions
59. Les MGF constituent une violation
grave des droits humains et portent atteinte au droit inaliénable
des femmes et des enfants à leur intégrité physique. Leur corps
leur appartient; il n’appartient pas à leurs parents ou à la communauté
dont ils sont membres. Plusieurs femmes survivantes que j’ai rencontrées
ont souligné l’importance pour elles «d’être entière». L’une d’elles
m’a dit: «Je veux être une femme. Je suis vide. Nos parents ont
gâché nos vies.» Ces mots montrent bien la détresse que peuvent
ressentir les femmes survivantes et leur incompréhension face à
la perpétuation de cette pratique. Il faut les écouter, les mettre
au centre de nos discussions et redoubler d’efforts pour en finir
avec les MGF.
60. La lutte contre les MGF est complexe parce qu’elle exige de
comprendre le contexte culturel des communautés qui les pratiquent,
d’éviter les stigmatisations et d’apporter une réponse concertée, multidisciplinaire
et sur le long terme. Elle ne pourra être gagnée qu’en impliquant
tous les acteurs concernés et au premier chef les communautés elles-mêmes,
les femmes mais aussi les hommes de ces communautés. Les Etats ont
également leur part de responsabilité dans la lutte contre les MGF
en agissant avec diligence pour prévenir, enquêter, punir et accorder
une réparation pour les actes de violence commis à l’égard des personnes
placées sous leur juridiction, conformément à ce qu’exigent d’eux
la Convention européenne des droits de l’homme et la Convention
d’Istanbul.
61. Enfin, je voudrais mentionner le fait que la lutte contre
les MGF peut également se faire dans le cadre de la coopération
internationale et de l’aide au développement. La nature transnationale
des MGF exige en effet des solutions également transnationales.
Aucun pays ne pourra mettre fin aux MGF en agissant de manière isolée.
Il est dès lors très important de construire des ponts entre les
pays concernés par les MGF et de soutenir l’action des organisations
locales. Des pays comme le Royaume-Uni ou la Suède investissent
ainsi dans des programmes de prévention dans les pays affectés par
les MGF partant de l’idée que le changement des pratiques culturelles
dans les pays d’origine produira également un changement au sein
des communautés établies en Europe. En tant que parlementaires,
nous devons également nous efforcer dans le cadre des groupes d’amitié
et du financement de l’aide au développement de soutenir les initiatives
visant à éradiquer les MGF et de faire en sorte que la question
des MGF reste sur l’agenda politique aussi longtemps qu’il sera
nécessaire.