1. Introduction
1. En avril 2016, des sociétés
et des individus du monde entier ont vu leurs opérations financières
les plus sensibles dévoilées au grand jour dans le cadre d’une fuite
massive de documents obtenus du cabinet juridique Mossack Fonseca
basé à Panama. Parmi ceux qui avaient dissimulé des actifs dans
des paradis fiscaux figuraient d’anciens et actuels dirigeants mondiaux,
des dictateurs, leurs amis et membres de leur famille, des dirigeants
d’entreprise, des personnalités connues du monde du spectacle, ainsi
que des marchands d’armes et des narcotrafiquants. Cette fuite massive
a alimenté un débat déjà très animé sur l’évasion et la fraude fiscales.
Les enquêtes relatives aux «Panama Papers» battent actuellement
leur plein.
2. Ces révélations ont exacerbé le sentiment d’indignation qui
couvait dans l’opinion publique depuis des années: aujourd’hui plus
que jamais, il est devenu inacceptable aux yeux des citoyens que
des systèmes juridiques permettent aux «1 %» les plus riches de
se soustraire facilement à leurs obligations fiscales et de dissimuler
des profits mal acquis, tandis qu’eux s’acquittent de leur impôt
sur des revenus stagnants, voire en baisse. Les citoyens européens
considèrent avec de plus en plus de suspicion leurs élites politiques
et économiques; ils exigent une action efficace contre la fraude
fiscale internationale et les pratiques agressives d’optimisation
fiscale
.
3. Les efforts internationaux de lutte contre l’usage légal et
illégal des paradis fiscaux
n’ont
eu jusqu’à présent qu’un effet limité. Dans ce domaine, les mesures
nationales ne sont pas suffisantes: il faut aussi une action plus
énergique à l’échelon international. Des initiatives coordonnées
sont également nécessaires au niveau du Conseil de l’Europe pour
résoudre le problème de l’évasion fiscale en trouvant des moyens appropriés
d’assurer la conformité technique avec les normes internationales
existantes et d’obtenir un engagement politique fort à ce sujet.
4. L’Assemblée parlementaire s’est déjà penchée sur cette question,
notamment dans sa
Résolution
1887 (2012) «Promouvoir une politique appropriée en matière de paradis
fiscaux». Au cours de sa réunion de juin de cette année, la commission
des questions sociales, de la santé et du développement durable
a décidé de fusionner trois propositions de résolution concernant
les «Panama Papers» (
Doc. 14034,
Doc. 14045 et
Doc. 14047) avec celle intitulée «Pour une lutte efficace contre
les dégâts de l’argent sale» (
Doc. 13150) et a entériné ma nomination en tant que rapporteur.
Après une audition tenue à Paris le 15 mars 2016 avec deux experts
(MM. John Ringguth et Luc Recordon), la commission a eu un échange
de vues en juin 2016 à Strasbourg avec M. Boudewijn Van Looij, analyste
des politiques fiscales à l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE), dans le cadre de la préparation du présent rapport.
2. Les origines du scandale des «Panama
Papers»
2.1. Une
fuite de documents
5. Les «Panama Papers» représentent
environ 2,6 téraoctets de données réparties dans plus de 11,5 millions
de fichiers contenant des informations sensibles collectées au cours
des 40 dernières années. Ils ont été communiqués par une source
anonyme au journal allemand
Süddeutsche
Zeitung. Ces documents proviennent de la société Mossack
Fonseca, cabinet juridique, qui propose «toute une gamme de services juridiques
et fiduciaires»
.
6. Fondé en 1977, ce cabinet, basé à Panama, est le quatrième
fournisseur de services
offshore au monde.
Bien positionné au cœur du marché mondial offshore et des paradis
fiscaux, il agit pour le compte de près de 300 000 sociétés et emploie
500 personnes dans 42 pays, en particulier dans des juridictions
qui appliquent une réglementation stricte en matière de secret bancaire
.
7. D’après son site web, Mossak Fonseca est spécialisé dans les
services aux trusts, la gestion de patrimoine, les structures d’entreprises
internationales et le droit commercial, entre autres. Il propose
des prestations de recherche, de conseil et d’autres services pour
les territoires suivants: Belize, Pays-Bas, Costa Rica, Royaume-Uni,
Malte, Hong Kong, Chypre, Iles vierges britanniques, Bahamas, Panama,
Anguilla, Seychelles, Samoa, Nevada et Wyoming (Etats-Unis)
.
8. Les «Panama Papers» se composent principalement de courriers
électroniques, de fichiers PDF et de fichiers photo, ainsi que d’extraits
d’une base de données interne de Mossack Fonseca. Les premiers documents
remontent aux années 1970 et les plus récents datent du printemps
2016. Le journal
Süddeutsche Zeitung les
a analysés en coopération avec le
Consortium international des journalistes
d’investigation (ICIJ) . La base de données ne contient qu’une
partie des informations qui ont filtré depuis les bureaux de Panama
de Mossack Fonseca. Pour l’heure, les documents eux-mêmes ne sont
pas accessibles au public et les détails restent relativement limités
.
9. Les documents rendus publics à ce jour mentionnent 143 responsables
politiques, dont 12 leaders nationaux, des élus et leurs associés
de près de 50 pays, ainsi que plusieurs
milliardaires de la liste Forbes
, des célébrités et des criminels
dont on sait maintenant qu’ils ont eu recours à des paradis fiscaux
offshore. L’affaire des «Panama
Papers» offre un regard que l’on a rarement sur la manière dont
les personnes riches et les célébrités dissimulent leur argent,
la plupart du temps pour échapper à l’impôt. Les documents dévoilent
également des scandales de corruption auxquels ont été mêlés entre
autres des représentants gouvernementaux. Après les révélations,
plusieurs hommes politiques ont été contraints de démissionner sous la
pression de l’opinion publique
.
10. L’affaire des «Panama Papers» n’est pas le premier scandale
de ce type. Celui des «Luxembourg Leaks»
(ou LuxLeaks), par exemple, a été dévoilé en novembre 2014 à la
suite d’une enquête journalistique du Consortium international des
journalistes d’investigation. Les affaires Offshore
Leaks et Swiss Leaks complètent la liste des récentes
révélations scandaleuses concernant des pratiques fiscales suspectes.
11. Il convient de noter ici que le rôle des lanceurs d’alerte
au sein de la société n’est pas seulement souhaitable: il est devenu
essentiel. Le travail de ces personnes présente un intérêt public
prépondérant et ne peut être réalisé efficacement sans protection
spéciale. Les Etats ont l’obligation de protéger les lanceurs d’alerte,
groupe vulnérable, qui s’exposent à des risques de stigmatisation
du fait de l’exercice de leur droit fondamental d’accès à l’information
et d’obtention de renseignements
. Malheureusement, la plupart des Etats
membres du Conseil de l’Europe ne disposent pas d’une législation
complète pour la protection des lanceurs d’alerte, comme l’a déploré
l’Assemblée dans sa
Résolution
2060 (2015) «Améliorer la protection des donneurs d’alerte».
12. La récente issue du procès national qui avait été ouvert à
la suite des LuxLeaks illustre parfaitement le manque cruel de protection
des lanceurs d’alerte. Cette affaire avait révélé au grand jour
des centaines de transactions fiscales controversées conclues avec
l’administration fiscale luxembourgeoise, dont des ententes grâce
auxquelles 340 grandes entreprises comme Burberry, Pepsi, Ikea,
Heinz, Shire Pharmaceuticals et d’autres ont pu réduire à la portion
congrue leur charge fiscale. Après un long procès, le lanceur d’alerte concerné
s’est vu infliger une peine d’emprisonnement de 12 mois avec sursis
et une amende de € 1 500. Il a été déclaré coupable de vol et de
violation des lois strictes du secret professionnel au Luxembourg
.
2.2. Les
paradis fiscaux, au cœur du scandale des «Panama Papers»
13. Les paradis fiscaux existent
depuis que l’impôt existe. C’est lorsque la pression fiscale a augmenté
dans les années 1960 que l’on a assisté au développement des activités offshore actuelles. Le processus
s’était toutefois enclenché dès les années 1920 et 1930, lorsque
quelques petits pays dont la Suisse en tête, ont commencé à acquérir
leur réputation de paradis fiscaux.
14. Le Luxembourg a été l’un des premiers pays à introduire le
concept de société holding. En vertu de la loi du 31 juillet 1929,
les sociétés de ce type ont été exonérées d’impôt sur le revenu.
Il apparaît que les Bermudes, les Bahamas et Jersey ont également
servi dans une moindre mesure de paradis fiscaux durant l’entre-deux-guerres.
Panama est l’un des plus anciens paradis fiscaux au monde. A l’âge
d’or du trafic de cocaïne, à la fin du siècle dernier, le pays facilitait
le blanchiment d’argent pour les barons de la drogue latino-américains,
en proposant un ensemble de services financiers. Dans le même temps,
la fameuse loi suisse de 1934 sur le secret bancaire est née à la
suite d’un scandale de fraude fiscale en France, impliquant quelques
riches élites. Tout cela montre bien que depuis leur création, les
paradis fiscaux ont toujours eu vocation à soustraire aux regards
l’argent des plus riches et puissants
.
15. Il y a eu ces dernières années une prise de conscience croissante
de la nécessité de mieux comprendre les activités des centres financiers
offshore. Certains d’entre eux concentrent
en effet une part importante des flux financiers mondiaux et leur
interdépendance avec d’autres centres financiers est telle que leurs
activités pourraient compromettre la stabilité financière de nombreux
pays
. D’après une étude récente, 8 %
des richesses financières mondiales sont détenues
offshore, ce qui coûte chaque année
au moins 200 milliards de dollars de recettes fiscales aux gouvernements.
10 % des richesses financières européennes sont détenues dans des
paradis fiscaux, ce qui engendre une perte de rentrées fiscales
de 75 milliards de dollars par an
. Selon
les estimations du Réseau pour la justice fiscale, entre 21 et 32 billions
de dollars seraient cachés
offshore,
protégés par un fort secret bancaire et soumis à une fiscalité réduite
ou nulle
.
16. A ce jour, il n’existe pas de définition précise de la notion
de paradis fiscal. Le Fonds monétaire international (FMI), par exemple,
retient trois grands critères: l’orientation des activités financières essentiellement
vers les non-résidents, un environnement réglementaire favorable
(exigences de supervision et communication d’informations minimales)
et l’absence de taxes ou leur très faible niveau
. Il
qualifie de «paradis fiscal», «un pays ou une juridiction qui fournit
des services financiers aux non-résidents à une échelle sans commune
mesure avec la taille et le financement de son activité domestique».
D’autres organes internationaux ont établi leur propre définition
des centres financiers
offshore.
17. L’une des manières de traiter de façon globale le problème
des paradis fiscaux consiste à s’attaquer directement au secret
des centres financiers
offshore et
à l’infrastructure qui le crée au niveau mondial. Pour cela, il
faut commencer par identifier de manière aussi précise que possible
les juridictions qui font de l’offre de services financiers
offshore protégés par le secret
leur domaine d’activité. C’est cette fonction que remplit par exemple
l’Indice d’opacité financière calculé par le Réseau pour la justice
fiscale (Tax Justice Network), qui classe les juridictions selon
leur degré d’opacité et l’ampleur de leurs activités financières
extraterritoriales. Cet outil livre des enseignements utiles sur
le secret financier international et les flux financiers illicites
ou la fuite de capitaux
. Dans le classement 2015, la Suisse
occupe la première place avec 6,5 billions de dollars d’actifs gérés,
dont 51 % proviennent de l’étranger. Le Luxembourg, l’Allemagne,
le Royaume-Uni et Panama figurent parmi les 15 pays dont l’indice
d’opacité financière est le plus élevé. Si les territoires britanniques d’outre-mer
ou dépendances de la Couronne étaient évalués ensemble, le Royaume-Uni
serait en tête du classement.
18. Des catégories très diverses de personnes et d’organisations
se tournent vers les paradis fiscaux à des fins légales ou illégales:
contournement de la réglementation, réduction du montant de l’impôt
dû par le jeu des prix de transfert, blanchiment d’argent, activités
criminelles ou fraude fiscale. Les multinationales ont souvent recours
à des sociétés offshore pour
transférer artificiellement leurs bénéfices depuis des juridictions
à fiscalité forte vers des juridictions à fiscalité faible par diverses
techniques comme le transfert des dettes vers les juridictions à
fiscalité forte. Les sociétés utilisent les paradis fiscaux en toute
légalité pour minimiser l’impôt dû (évasion fiscale) dans le cadre
de ce que l’on appelle les «dispositifs d’optimisation fiscale agressive»
et par le biais de sociétés-écrans pour simplifier la détermination
des prix de transfert.
19. Les personnes physiques peuvent se soustraire à l’impôt sur
les revenus passifs comme les intérêts, dividendes et plus-values,
en ne déclarant pas les revenus perçus à l’étranger. Tant que le
secret existera, il est probable que non seulement les fraudeurs
à l’impôt, mais aussi les blanchisseurs de capitaux, les criminels et
les hommes politiques corrompus continueront de passer par les pays
qui le pratiquent pour dissimuler leurs actifs. Le nœud du problème
est donc le secret et plus généralement, l’opacité.
20. Derrière les «Panama Papers», il y a aussi des victimes et
des exemples choquants. Les documents ont ainsi révélé que Mossack
Fonseca avait créé trois sociétés pour le compte d’Andrew Mogilyansky,
riche homme d’affaires russo-américain, avant que le service de
conformité de la société ne découvre en 2014 que celui-ci avait
été condamné pour pédophilie. Le cabinet a cependant décidé qu’il
ne relevait pas de sa responsabilité légale de signaler aux autorités
les activités offshore de
son client. De même, les centres financiers offshore auraient
joué un rôle dans le financement de crimes de guerre en Syrie. Des
sociétés qui ont eu recours aux services du cabinet panaméen ont
été accusées d’avoir fourni du carburant aux forces aériennes syriennes.
Une société en Ouganda aurait également rémunéré Mossack Fonseca
pour économiser 4 millions de dollars d’impôts. Un montant dont
on notera qu’il représente plus de la totalité du budget de santé du
gouvernement pour l’ensemble du pays.
21. En ce qui concerne la corruption, plusieurs grandes banques
et institutions financières ont ouvert des comptes secrets pour
des personnes politiquement exposées (PPE), leur permettant ainsi
de s’enrichir au détriment du bien-être de leur population, et de
cacher leurs profits mal acquis
. Lorsque des banques gèrent des
comptes pour des hommes politiques ou des représentants de l’Etat
corrompus (les «cleptocrates»), elles contribuent pour beaucoup
à faciliter les flux financiers illicites
.
22. Oxfam, une confédération d’organisations non gouvernementales
(ONG) travaillant dans plus de 90 pays dans le monde pour lutter
contre la pauvreté, a récemment attiré l’attention sur le fait que
les inégalités de revenus ont atteint un niveau record. D’après
cette étude, le patrimoine cumulé des 1 % les plus riches du monde
a dépassé l’an dernier celui des 99 % restants. En 2015, 62 personnes
possédaient autant que la moitié la plus pauvre de la population
mondiale, soit 3,6 milliards de personnes
. Le réseau mondial de paradis fiscaux,
qui permettent aux plus fortunés de dissimuler quelque 7,6 billions
de dollars, est l’une des principales causes de cette injustice
sociale. Oxfam appelle les gouvernements à prendre un engagement
en faveur d’une deuxième série de réformes fiscales visant à mettre
un terme aux pratiques préjudiciables, dans l’intérêt de tous les
pays.
23. La lutte contre l’évasion et la fraude fiscales des sociétés
et des personnes nécessite l’adoption au niveau international d’un
code de conduite qui assure la transparence de la propriété et la
traçabilité des actifs jusqu’à leurs bénéficiaires effectifs. Les
exigences de transparence appellent un renforcement de la législation anti-blanchiment
et une action internationale solide.
2.3. Blanchiment
d’argent
24. L’«argent sale» est le moteur
de l’économie souterraine et de la criminalité. Cette expression
désigne des «sommes d’argent obtenues illégalement qui doivent être
“blanchies” pour pouvoir être utilisées dans le cadre de transactions
commerciales normales»
. Elle décrit souvent les «produits
de la criminalité», c’est-à-dire les revenus tirés d’activités clandestines
(trafic, fraude, vol, corruption, etc.) qu’il est nécessaire de soumettre
à une opération de blanchiment pour en faire de l’argent propre
ou neutre. Selon les estimations brutes disponibles, les volumes
d’argent sale circulant d’un pays à l’autre représenteraient entre
$US 1,1 et 1,6 billions par an à l’échelle mondiale
.
25. Bien que la communauté internationale se soit dotée depuis
une vingtaine d’années des moyens juridiques nécessaires à l’éradication
du blanchiment d’argent, on peut s’interroger sur l’efficacité des
actions menées au niveau national et international. D’ailleurs,
les institutions financières ferment quelquefois les yeux sur ces
pratiques. Il existe également des activités ou méthodes «limites»
qui, sans être forcément illégales, sont contraires à l’éthique
et préjudiciables à la société (par exemple, l’évasion fiscale,
les sociétés écrans, certaines transactions immobilières et des
produits financiers excessivement complexes). La création et la circulation
d’argent sale gangrènent l’économie réelle européenne, provoquent
des drames humains majeurs, menacent la sécurité dans nos sociétés
et favorisent l’apparition de pouvoirs économiques de type mafieux
qui sapent la démocratie.
26. Les mesures anti-blanchiment intéressent un nombre considérable
d’acteurs nationaux:
- les ministères,
en particulier des Finances, de la Justice et de l’Intérieur;
- les services chargés de faire respecter la loi, et notamment
les services d’enquête de la police, des douanes et des gardes-frontières
ainsi que les services de sécurité, le ministère public et les juges;
- les banques centrales et les autorités de régulation financière,
l’ensemble du secteur financier et notamment les établissements
de crédit et autres institutions financières, le secteur des assurances,
les marchés boursiers, les expéditeurs de fonds et les maisons de
change;
- Les entreprises et professions non financières désignées
(EPNFD): avocats, comptables, prestataires de services aux trusts
et aux sociétés, casinos, agents immobiliers et notaires;
- le secteur à but non lucratif et les associations caritatives.
27. Les institutions centrales en matière de lutte contre le blanchiment
de capitaux au niveau national sont les Cellules de renseignements
financiers (CRF) (ou autres autorités similaires) qui servent principalement
de centres nationaux pour la réception et l’analyse des déclarations
d’opérations ou d’activités suspectes transmises par les banques
et autres entités déclarantes. La plupart rendent compte d’une manière
ou d’une autre au gouvernement, au Président ou au parlement. Quelles
que soient les procédures prévues au niveau national pour qu’elles
s’acquittent de leurs obligations en la matière, les normes internationales
exigent l’indépendance des CRF contre toute ingérence politique
dans la prise de décisions opérationnelles.
28. Bon nombre de CRF (mais pas toutes) sont habilitées à ordonner
la suspension de transactions – en général sur de courtes périodes
– pour que l’analyse puisse se poursuivre sans que les fonds disparaissent. Si
une CRF considère qu’un soupçon est fondé, elle transmet les résultats
de son analyse aux autorités de police (ou au ministère public)
pour enquête et poursuites. Dans les cas urgents, une coordination
avec le ministère public sera assurée pour saisir rapidement les
tribunaux afin de convertir l’ordonnance de suspension en une ordonnance
judiciaire de gel.
2.4. Questions
liées aux risques nationaux en matière de lutte contre le blanchiment
de capitaux
29. Les institutions financières
et EPNFD doivent connaître les risques de blanchiment de capitaux
liés aux clients avec lesquels elles traitent et appliquer des mesures
pour atténuer ces risques. Les normes préventives exigent qu’elles
prennent des mesures dans le cadre de leur devoir de vigilance à
l’égard de la clientèle:
- lorsqu’elles
établissent des relations d’affaires;
- lorsqu’elles effectuent des opérations occasionnelles
supérieures au seuil désigné applicable;
- lorsqu’il existe un soupçon de blanchiment de capitaux
(ou de financement du terrorisme);
- lorsqu’elles doutent de la véracité ou de la pertinence
des données d’identification du client précédemment obtenues.
30. Les mesures de vigilance à l’égard de la clientèle devant
être prises par les institutions financières et EPNFD sont les suivantes:
- identifier le client (la personne
avec laquelle elles traitent) et vérifier son identité;
- identifier le bénéficiaire effectif et
prendre des mesures raisonnables pour vérifier son identité;
- comprendre et obtenir des informations sur l’objet et
la nature envisagée de la relation d’affaires;
- exercer une vigilance constante à l’égard de la relation
d’affaires, afin de s’assurer que les opérations effectuées dans
le cadre de celle-ci sont cohérentes avec la connaissance qu’a l’institution
financière de son client, de ses activités commerciales et de son
profil de risque, ce qui comprend, le cas échéant, l’origine des
fonds.
31. La proposition commerciale peut impliquer un montage complexe,
prévoyant éventuellement le recours à des prête-noms, des titres
au porteur ou à une fiducie discrétionnaire dans une autre juridiction.
Ces montages peuvent avoir comme seul but de dissimuler des produits
illégaux. Il arrive encore assez souvent (et pas uniquement lorsque
des opérations internationales complexes sont en jeu) que des décisions commerciales
soient prises d’accepter une affaire rentable malgré les préoccupations
des services de conformité quant aux risques de celle-ci (à supposer
que ces services soient consultés, ce qui n’est pas toujours le
cas). Lorsqu’un établissement financier prend des décisions concernant
les clients et activités pouvant présenter un risque élevé, il devrait
systématiquement demander l’avis du service de conformité sur le
risque de blanchiment, avis qui devrait être décisif. La clientèle
non résidente devrait toujours être traitée comme une clientèle
à haut risque nécessitant des mesures de vigilance.
32. Le processus global d’évaluation des mesures de lutte contre
le blanchiment de capitaux peut aboutir à la publication de listes
noires des pays dans lesquels il existe des insuffisances majeures
en la matière et de listes gris foncé et grises des pays où les
lacunes sont moindres. Le Forum mondial de l’OCDE sur la transparence
et l’échange de renseignements à des fins fiscales suit une approche
similaire dans ses évaluations visant à améliorer la mise en œuvre
des normes applicables en matière d’échange de renseignements à
des fins fiscales. Le fait de figurer sur ces listes a non seulement
des répercussions économiques pour les pays concernés, mais également
des conséquences sur le plan de la réputation. Les parlementaires
devraient être encouragés à mener avec rigueur le processus d’évaluation
des risques à l’échelle nationale aux fins de la lutte contre le
blanchiment de capitaux et à tenir à jour les évaluations tout en portant
à l’attention des autorités compétentes, par les voies appropriées,
leurs préoccupations quant à d’éventuelles lacunes.
2.4.1. Questions
relevant des services répressifs
33. Les techniques d’investigation
financières sont des compétences que les agents des services répressifs se
doivent d’acquérir. Si les enquêteurs qui s’intéressent à l’infraction
principale ne sont pas formés aux techniques les plus modernes en
la matière, ils auront du mal à suivre comme il se doit les aspects
financiers des enquêtes. Dans les affaires importantes mettant en
jeu de grosses sommes d’argent, les enquêteurs financiers peuvent
également avoir besoin d’un appui en matière de comptabilité et
de profilage financier des suspects (pour mettre en évidence les
écarts entre les revenus déclarés et le train de vie apparent).
Il serait important que les parlementaires demandent à obtenir des
estimations du nombre d’infractions graves génératrices de produits
commises sur leur territoire et à connaître le nombre d’enquêteurs
financiers formés et opérationnels dans leur pays.
34. Le faible nombre d’enquêteurs financiers dûment formés peut
être préoccupant. Bien souvent, les services répressifs considèrent
qu’il n’est tout simplement pas rentable d’investir des ressources
dans les enquêtes financières, notamment lorsqu’il s’agit de retrouver
la trace d’actifs transférés à l’étranger par l’intermédiaire de
diverses sociétés-écrans, fiducies et autres structures d’entreprise
(légitimes), car cela exige du temps et de la persévérance. Par
le passé, de nombreuses enquêtes de police sur les produits du crime organisé
et de la corruption ont échoué en raison de l’incapacité à retrouver
les bénéficiaires effectifs des comptes à l’étranger. Soit les éléments
nécessaires n’étaient tout simplement pas disponibles, car ils n’avaient pas
été demandés par les institutions financières qui détenaient les
fonds, soit ils n’avaient pas été conservés par les avocats (ou
autres prestataires de services) qui avaient constitué les sociétés
ou fiducies à l’étranger. Et lorsque ces informations avaient été
demandées, elles n’avaient pas nécessairement été vérifiées ou tenues
à jour.
35. De manière générale, la formation professionnelle dans le
domaine de l’investigation financière doit être renforcée au niveau
national et les pays doivent consacrer davantage de ressources à
ce type d’enquêtes. Les parlementaires devraient contrôler avec
les autorités compétentes la capacité des services répressifs nationaux
à obtenir des renseignements couverts par le secret financier suffisamment
tôt dans toutes les enquêtes portant sur des faits de blanchiment
d’argent ou des infractions graves de nature à générer des produits,
ainsi que dans les demandes de confiscation connexes. Les services
répressifs et les procureurs devraient évaluer plus souvent les
dispositions législatives applicables et faire part de toute difficulté
aux responsables politiques chargés de l’élaboration des lois, afin
de modifier celles-ci ou de faire en sorte que l’accès à ces renseignements
soit systématiquement assuré à un stade suffisamment précoce dans
les enquêtes sur les produits de la criminalité.
3. Instruments
internationaux de lutte contre le blanchiment d’argent et l’évasion
fiscale
36. Il existe aujourd’hui une multitude
de normes internationales dans le domaine de la lutte contre l’évasion fiscale
et le blanchiment d’argent. Dans la plupart des pays, la volonté
politique de les adopter et de les faire respecter n’est pas mise
en cause: en général, le choix du moment auquel cela sera fait n’est
qu’une question de planification et de calendrier législatif. C’est
plutôt leur mise en œuvre effective dans tous les secteurs (judiciaire,
répressif et financier) qui pose le plus de difficultés aux Etats
aujourd’hui. En théorie, lorsque les Etats auront apporté à leur
législation tous les changements nécessaires pour donner suite aux
initiatives en cours au niveau international, la plupart des pays
européens devraient disposer d’un solide arsenal de mesures tant
au plan répressif (pénal) que préventif.
37. Les travaux normatifs permanents des Nations Unies, de l’OCDE,
des institutions européennes et du Groupe d’action financière (GAFI)
imposent aux Etats de mettre régulièrement à jour leurs régimes
de lutte contre le blanchiment de capitaux afin de se doter des
bases juridiques, des systèmes et des outils optimaux nécessaires
pour lutter plus efficacement contre le blanchiment de capitaux.
Les pays européens sont en train de modifier leur réglementation
pour tenir compte des Recommandations révisées de 2012 du GAFI et
de la Directive (UE) 2015/849 (4e Directive
européenne)
.
38. Comme indiqué précédemment,
l’Assemblée parlementaire a traité la question des paradis fiscaux
dans sa
Résolution 1881
(2012) «Promouvoir une politique appropriée en matière de paradis
fiscaux». Elle a proposé toute une série de mesures et notamment
le renforcement des pressions exercées sur les juridictions adeptes
du secret et les paradis fiscaux pour éliminer progressivement le
secret bancaire à des fins fiscales, l’obligation des multinationales
de rendre compte, pays par pays, de leur activité dans tous les
secteurs et l’interdiction de la détention de comptes anonymes,
de la tenue de comptabilité hors bilan et des actions au porteur.
L’importance de connaître publiquement le bénéficiaire final de
toutes les entités (notamment des fiducies et fonds) a été soulignée,
tout comme la nécessité d’une harmonisation des pratiques fiscales
en Europe et au-delà. Il a également été recommandé aux Etats membres
de s’orienter vers l’échange automatique d’informations en matière
fiscale. Enfin, l’Assemblée parlementaire a appelé à exercer davantage de
pression, notamment à l’égard des Etats qui ont une influence directe
sur les juridictions adeptes du secret et les paradis fiscaux, pour
renforcer leur coopération en matière fiscale.
3.2. G20
et OCDE
39. Les organes internationaux
comme le G20 (Groupe de 20 chefs d’Etat ou de gouvernement, ministres des
Finances et gouverneurs des banques centrales) et l’OCDE ont intensifié
leurs efforts concertés pour obtenir une vision plus réaliste de
la répartition des revenus et actifs dans le monde. En 2009, les
leaders du G20 ont placé la transparence au cœur de leur réponse
à la crise économique mondiale. Aujourd’hui, la plupart des gouvernements
se sont engagés à faire en sorte que les renseignements financiers
soient aisément accessibles.
40. Dans sa déclaration du 18 avril 2016, le G20 a invité le GAFI
et le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements
à des fins fiscales à formuler des propositions pour améliorer la
mise en œuvre des normes internationales en vigueur en matière de
transparence, notamment en ce qui concerne la fourniture et l’échange
international de renseignements sur les bénéficiaires effectifs.
41. Les ministres des Finances du G20 réunis à Washington les
14 et 15 avril 2016 ont demandé instamment à tous les pays concernés,
et notamment à tous les centres financiers et juridictions, de s’engager à
mettre en œuvre la Norme d’échange automatique de renseignements
(AEOI) dès 2017 et 2018, et l’OCDE a été invitée à établir des critères
objectifs visant à identifier les juridictions non coopératives.
Les pays du G20 ont été appelés à envisager des mesures de défense
pour celles dans lesquelles aucun progrès n’aura été constaté lors
de l’évaluation réalisée par le Forum mondial.
42. Le Forum mondial examine les lois en vigueur dans les pays
en matière d’échange de renseignements, évalue l’efficacité de ces
échanges et attribue des notes de conformité. L’OCDE a élaboré des
normes relatives à l’échange de renseignements sur demande (EOIR)
et plus récemment les Normes communes de déclaration et de diligence
raisonnable (NCD) qui prévoient l’échange automatique entre autorités
fiscales des renseignements relatifs aux comptes financiers (AEOI)
. A ce jour, le Forum mondial compte
135 juridictions membres, dont 43 des 47 Etats membres du Conseil
de l’Europe (manquent la Bosnie-Herzégovine, la République de Moldova,
le Monténégro et la Serbie).
43. Les 132 membres du Forum mondial se sont engagés à mettre
en œuvre la norme de transparence fiscale pour l’EOIR et 94 juridictions
ont fait l’objet d’une évaluation de leur conformité avec cette
norme dans le cadre d’un processus rigoureux d’examen par les pairs.
Une première série d’examens sera achevée d’ici la fin 2016. Lors
de la deuxième série d’examens, les juridictions seront évaluées
conformément au mandat révisé, en tenant notamment compte des exigences
de fourniture de renseignements sur les bénéficiaires effectifs.
L’OCDE s’est félicitée de l’adhésion de 98 juridictions aux NCD
pour l’AEOI, dont récemment Nauru et Vanuatu. Deux centres financiers,
Panama et Bahreïn, doivent encore le faire (en mai 2016, Panama
s’est engagé à mettre en œuvre la NCD à partir de 2018)
.
44. Près de 100 pays et juridictions sont maintenant couverts
par la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle
en matière fiscale (STE no 127) qui constitue
l’instrument juridique le plus complet pour faciliter la mise en
œuvre des engagements en faveur de la transparence fiscale. Cette
convention a été élaborée conjointement par l’OCDE et le Conseil
de l’Europe en 1988 et modifiée par un Protocole en 2010 (STCE no 208).
45. Une autre initiative importante est le projet BEPS (Erosion
de la base d’imposition et transfert de bénéfices) de l’OCDE et
du G20 pour favoriser la transparence et l’échange de renseignements
entre juridictions à des fins fiscales. On entend par «érosion de
la base d’imposition et transfert de bénéfices» les stratégies qui
exploitent les failles et les différences de réglementation en matière
fiscale pour transférer artificiellement des bénéfices dans des
pays ou territoires à fiscalité réduite ou nulle. Le cadre inclusif rassemble
plus de 100 pays et juridictions qui travaillent en collaboration
pour mettre en œuvre les mesures BEPS.
46. Les normes élaborées par l’OCDE et entérinées par le G20 et
le reste de la communauté internationale sont solides. Elles ont
déjà permis de réaliser d’importants progrès puisque plus d’un demi-million
de contribuables ont déclaré leurs actifs détenus offshore à l’administration fiscale
de leur pays de résidence et au moins 50 milliards d’euros de recettes
supplémentaires ont été comptabilisés dans les pays qui ont mis
en place des programmes de déclaration volontaire et des initiatives
similaires.
47. Cela dit, des efforts doivent encore être faits pour assurer
une mise en œuvre effective et globale des normes de l’OCDE. Il
convient également de noter que le Forum mondial, dont les travaux
sont beaucoup utilisés, n’est pas une autorité de contrôle et n’apporte
pas l’assurance que les normes continueront d’être respectées
.
3.3. Union
européenne
48. L’Union européenne est aux
avant-postes de la lutte contre le blanchiment d’argent, l’évasion
fiscale et la fraude fiscale. Ces dernières années, elle a adopté
une nouvelle législation sur le blanchiment d’argent – qui prévoit
notamment la création de registres des sociétés –, sur la coopération
entre administrations fiscales pour mettre en œuvre la nouvelle
norme internationale d’échange automatique de renseignements fiscaux, ainsi
que sur le secteur bancaire (Directive IV 2013 sur les exigences
de fonds propres), obligeant les grandes banques européennes à divulguer
le montant de leurs règlements effectués au titre des impôts et
à respecter des règles de vigilance en ce qui concerne l’identification
de leurs clients. La Commission européenne a également présenté
deux paquets de mesures, l’un en faveur de la transparence en 2015
et l’autre contre l’évasion fiscale en 2016
.
49. Ce dernier contient un ensemble d’initiatives visant à renforcer
et à mieux coordonner l’action de l’Union contre les pratiques fiscales
abusives auxquelles se livrent les entreprises, au sein du marché
unique et au-delà. Il repose sur trois grands piliers: une imposition
effective, la transparence fiscale et la réduction du risque de
double imposition.
50. Le paquet de mesures contient plusieurs initiatives législatives
et non législatives visant à aider les Etats membres à protéger
leur base d’imposition, à créer un environnement équitable et stable
pour les entreprises et à préserver la compétitivité de l’Union
européenne à l’égard des pays tiers. Il se compose d’une directive sur
la lutte contre l’évasion fiscale, qui propose une série de mesures
de lutte contre l’évasion fiscale juridiquement contraignantes,
que tous les Etats membres devront mettre en œuvre pour contrecarrer
les principaux mécanismes de planification fiscale agressive et
d’une recommandation sur les conventions fiscales, qui indique aux
Etats membres les moyens de rendre leurs conventions fiscales plus
étanches aux pratiques abusives utilisées par ceux qui se livrent
à la planification fiscale agressive, d’une manière conforme à la
législation de l’Union européenne. Il contient également une révision
de la directive sur la coopération administrative, qui introduit
un système d’échange de déclarations pays par pays entre les autorités
fiscales sur les principales informations relatives à la fiscalité
des multinationales
.
51. Après le scandale des «Panama Papers», l’Union européenne
a commencé à analyser les informations disponibles et à prendre
des mesures concrètes. En juillet 2016, la commission d’enquête
spéciale (PANA) chargée d’examiner les éventuelles violations du
droit de l’Union européenne par les personnes mentionnées dans ces
documents, a tenu sa première réunion
. Cette commission devra également
déterminer quels Etats membres n’ont pas transposé les règles de
l’Union européenne dans leur droit interne et permis aux évadés fiscaux
de se livrer à des pratiques illicites. Elle se compose de 65 membres
et dispose d’un délai de 12 mois pour mener à bien ses travaux.
Elle pourra prendre connaissance des dossiers liés à l’affaire et
convoquer des membres de haut niveau de la Commission européenne
et des gouvernements des Etats membres à des auditions auxquelles
ils devront obligatoirement être présents. Un rapport final sera
publié pour présenter les conclusions de la Commission.
52. La Directive (UE) 2015/849 vise à renforcer les règles de
l’Union européenne en matière de lutte contre le blanchiment d’argent
et le financement du terrorisme. Elle met l’accent sur l’évaluation
des risques et adopte une approche fondée sur les risques; autrement
dit, les règles de vigilance qu’elle impose varient en fonction du
niveau de risque. Elle définit des exigences minimales, laissant
aux Etats membres la faculté d’imposer des obligations plus strictes
s’ils le jugent nécessaire.
53. En conformité avec les normes du GAFI, la 4e Directive
sur le blanchiment d’argent demande aux Etats membres de l’UE de
veiller à ce que les entités constituées sur leur territoire conservent
des informations suffisantes, exactes et actuelles sur leurs bénéficiaires
effectifs et sur leur propriétaire légal. La directive va plus loin
que le GAFI en exigeant des personnes morales qu’elles transmettent
ces informations à un registre central. Elle demande également aux
Etats membres de veiller à ce que leurs autorités compétentes et
CRF soient en mesure de fournir en temps utile ces informations
aux autorités compétentes et aux CRF d’autres Etats membres, sans
toutefois fixer de délai pour l’accès au registre par les services
répressifs.
54. La directive étend également le champ des obligations de vigilance.
Pour les personnes négociant des biens, le seuil des transactions
en espèces est abaissé à € 10 000 et les personnes politiquement
exposées (PPE) nationales et étrangères font l’objet de mesures
de vigilance renforcées. Tous les Etats membres de l’UE devront
avoir transposé la Directive dans leur droit interne d’ici juillet 2017
.
3.4. Convention
de Varsovie du Conseil de l’Europe
55. La Convention du Conseil de
l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à
la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme
(STCE no 198, «Convention de Varsovie»), a
été ouverte à la signature en 2005. Elle a recueilli jusqu’ici 26 ratifications
et doit donc encore être ratifiée par 21 Etats membres du Conseil
de l’Europe.
56. De plus en plus de pays européens sont à la recherche de solutions
législatives innovantes pour s’attaquer aux cas de richesse inexpliquée
dans leurs sociétés. Ils savent que la confiance dans la capacité de
leurs autorités nationales à faire respecter la primauté du droit
est mise en péril lorsque les citoyens voient que certaines personnes
sont à la tête d’un patrimoine important, mais d’origine indéterminée.
La Convention de Varsovie contient un article important concernant
le renversement de la charge de la preuve. Elle prévoit l’adoption
par les Etats Parties des mesures législatives ou autres qui se
révèlent nécessaires pour exiger, en cas d’une infraction grave
telle que définie par son droit interne, que l’auteur établisse
l’origine de ses biens, suspectés d’être des produits ou d’autres
biens susceptibles de faire l’objet d’une confiscation, dans la
mesure où une telle exigence est compatible avec les principes de
son droit interne. Il est également intéressant de noter que les
pays qui obtiennent les meilleurs résultats dans la lutte contre
le crime organisé et la corruption grâce à des ordonnances de confiscation
d’importants actifs sont ceux qui ont adopté des dispositions de renversement
de la charge de la preuve dans les affaires graves.
57. La plupart des pays peuvent, par ordonnances judiciaires appropriées,
autoriser l’accès aux historiques bancaires dans le cadre des enquêtes.
Une autre technique particulièrement utile dans les investigations financières,
qui n’est toutefois pas accessible aux services répressifs dans
tous les pays, est celle des ordonnances de surveillance financière
«préventive» grâce auxquelles l’activité sur un compte peut être
suivie en temps réel pendant une période déterminée, au stade de
l’instruction. La Convention de Varsovie oblige les Etats membres
à adopter des mesures pour que cette technique d’investigation puisse
être appliquée aux renseignements bancaires à des fins d’enquêtes
nationales ou de coopération internationale avec d’autres Etats
Parties.
58. Il convient également de noter que de nombreux pays européens
affichent des performances insuffisantes en ce qui concerne les
condamnations lourdes pour blanchiment d’argent et le recouvrement d’avoirs
importants. C’est d’ailleurs pour aider les services répressifs
et le ministère public à obtenir de meilleurs résultats en la matière
que certains des pouvoirs énoncés dans la Convention de Varsovie
vont au-delà des normes internationales en vigueur, et c’est pour
cette raison que la convention doit être ratifiée rapidement par
tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
3.5. Groupe
d’action financière
59. Le Groupe d’action financière
(GAFI) est un organe intergouvernemental établi en 1989 à l’initiative
du G7 pour élaborer des politiques de lutte contre le blanchiment
d’argent. En 2001, son mandat a été étendu à la lutte contre le
financement du terrorisme.
60. Le GAFI a pour mandat d’élaborer des normes et de promouvoir
la mise en œuvre efficace de mesures législatives, réglementaires
et opérationnelles pour lutter contre le blanchiment de capitaux,
le financement du terrorisme, le financement de la prolifération
ainsi que les autres menaces connexes pour l’intégrité du système financier
international. Les Normes du GAFI comprennent les Recommandations
proprement dites et leurs notes interprétatives, ainsi qu’un glossaire
des définitions applicables
. Pour suivre les progrès réalisés
par ses pays membres dans la mise en œuvre de ses Recommandations,
le GAFI a recours à une procédure dite d’«évaluations mutuelles»
(une forme d’examen par les pairs).
61. Les pays disposant de cadres juridiques, administratifs et
opérationnels et de systèmes financiers différents, ils ne peuvent
pas tous adopter des mesures identiques pour parer à ces menaces.
Les recommandations du GAFI constituent des normes internationales
que les pays devraient mettre en œuvre au moyen de mesures adaptées
à leur situation particulière. Elles définissent les mesures essentielles
que les pays devraient mettre en place pour:
- identifier les risques et développer des politiques et
une coordination au niveau national;
- agir contre le blanchiment de capitaux, le financement
du terrorisme et le financement de la prolifération;
- mettre en œuvre des mesures préventives pour le secteur
financier et les autres secteurs désignés;
- doter les autorités compétentes (par exemple, les autorités
chargées des enquêtes, les autorités de poursuite pénale et les
autorités de contrôle) des pouvoirs et des responsabilités nécessaires
et mettre en place d’autres mesures institutionnelles;
- renforcer la transparence et la disponibilité des informations
sur les bénéficiaires effectifs des personnes morales et des constructions
juridiques;
- faciliter la coopération internationale.
62. Le GAFI appelle tous les pays à mettre en œuvre des mesures
efficaces pour mettre leurs systèmes nationaux de lutte contre le
blanchiment de capitaux en conformité avec ses Recommandations révisées.
3.6. Personnes
politiquement exposées
63. Selon la définition du GAFI,
l’expression «personnes politiquement exposées (PPE)» étrangères désigne
les personnes qui exercent d’importantes fonctions publiques dans
un pays étranger. Depuis 2003, le GAFI demande à toutes les institutions
financières et EPNFD de prendre des mesures de vigilance renforcée à
l’égard de toutes les PPE étrangères, les membres de leur famille
et les personnes qui leur sont étroitement associées. Le GAFI ne
définit pas une durée maximale au-delà de laquelle une personne
qui n’exerce plus ses importantes fonctions publiques doit cesser
d’être considérée comme une PPE.
64. De nombreuses PPE exerçant des fonctions officielles hors
d’Europe ont fait l’objet d’enquêtes ou ont été reconnues comme
ayant été impliquées dans des affaires de pots-de-vin ou de pillage
des actifs publics de leur propre Etat. Ces fonds se sont trop souvent
retrouvés dans des banques européennes. Dans son rapport annuel
de 2013, la FCA (Financial Conduct Authority)
britannique indiquait qu’un tiers des banques inspectées n’identifiaient
pas les PPE. Trois quarts des banques examinées n’établissaient
pas non plus l’origine du patrimoine des PPE et, du point de vue
du régulateur, se fondaient trop sur les explications fournies par
les clients eux-mêmes. Ces problèmes d’identification de l’origine
du patrimoine des PPE ne sont pas spécifiques au Royaume-Uni: on
les retrouve dans bien d’autres pays.
65. La 4e Directive exige des entités
assujetties qu’elles prennent en considération, pendant au moins
12 mois, le risque que continuent de poser les PPE qui ont cessé
d’exercer une fonction publique importante. Il est considéré qu’une
application stricte de la limite de 12 mois n’est pas compatible
avec les normes du GAFI et que les Etats devraient encourager leurs
institutions financières à définir la durée des mesures de vigilance renforcées
à l’égard de ces personnes au cas par cas, sur la base d’une appréciation
de ce risque.
66. Dans le cadre des mesures de vigilance renforcées, les entités
assujetties doivent disposer de systèmes de gestion des risques
pour déterminer si le client ou le bénéficiaire effectif est une
PEP, obtenir l’autorisation de la haute direction d’établir ou de
poursuivre une relation d’affaires avec ces personnes, prendre des mesures
raisonnables pour établir l’origine de leur patrimoine et de leurs
fonds et assurer une surveillance continue renforcée à l’égard de
ladite relation d’affaires.
67. Les pays doivent veiller à ce que les institutions financières
et EPNFD fassent preuve de vigilance pour repérer les PEP, les membres
de leur famille et les personnes qui leur sont étroitement associées,
qu’elles appliquent avec rigueur les mesures renforcées nécessaires
(notamment pour ce qui est d’établir l’origine du patrimoine) et
soumettent les comptes en question à une surveillance renforcée
permanente. Les autorités de contrôle devraient suivre activement
ces mesures renforcées dans le cadre de leurs inspections et appliquer des
sanctions proportionnées et dissuasives lorsque des manquements
sont constatés. Il est également recommandé aux Etats de ne pas
imposer une limite unique à la durée pendant laquelle une PPE devrait continuer
à être considérée comme telle une fois qu’elle a cessé d’exercer
ses fonctions publiques. Les institutions financières sont tenues
de répondre aux demandes de conservation des registres bancaires
dans des affaires impliquant des PPE afin que ceux-ci puissent servir
dans le cadre des poursuites. A cet égard, il pourrait être utile
de prolonger le délai normal de conservation des archives par les
institutions financières qui s’occupent de comptes pour des PPE
(actuellement de cinq ans au minimum) pour le porter à 8-10 ans.
4. Conclusions
et recommandations
68. L’impôt est une ressource économique
essentielle des Etats démocratiques. En tant que contribuables respectueux
de la loi, la majorité des citoyens sont attachés à la justice fiscale.
Or, dans de nombreux pays à travers le monde, les politiques fiscales
sont conçues par des lobbys très puissants pour le compte des plus riches,
ce qui prive les gouvernements des ressources nécessaires pour s’acquitter
de leurs obligations, par exemple celle de faire respecter le droit
de leurs citoyens à des services publics essentiels. Le paiement
de l’impôt est quasiment devenu une activité facultative pour les
plus aisés – les personnes et sociétés les plus riches pouvant se
permettre de recourir aux paradis fiscaux pour ne pas avoir à s’acquitter
de leurs obligations envers le reste de la société.
69. Il ne sert à rien, chacun en conviendra, de chercher à mettre
en place des solutions fiscales universellement acceptables si leur
mise en œuvre n’est pas assurée au niveau international. Le scandale
des «Panama Papers» a démontré qu’en dépit des progrès réalisés
ces dernières années dans la mise en place de normes internationales
solides en faveur de la transparence fiscale, le voile du secret
continue de porter préjudice à nos sociétés, que ce soit par des
pratiques «légitimes» d’optimisation fiscale agressive et d’évasion fiscale,
par la dissimulation de revenus pour échapper à l’impôt ou par la
commission d’autres infractions financières graves comme le blanchiment
d’argent. C’est pourquoi la question de la transparence fiscale
est aujourd’hui plus que jamais au cœur des préoccupations politiques.
70. Comme cela a été souligné dans le présent rapport, le problème
n’est pas l’absence de normes, mais le caractère encore insuffisant
de leur mise en œuvre. L’Assemblée parlementaire devrait inviter
les organes internationaux comme l’OCDE, le Fonds monétaire international,
la Commission européenne et le G20 à procéder à une analyse approfondie
de la législation et des pratiques pour en recenser les lacunes
et aider les pays à assurer leur conformité technique aux normes
internationales tout en apportant les outils et les orientations
pratiques nécessaires à la mise en œuvre harmonisée de ces normes
au niveau mondial.
71. Toutes les infractions économiques sont commises à des fins
lucratives. Le blanchiment d’argent permet à ceux qui le pratiquent,
que ce soit des individus isolés ou des groupes criminels très organisés,
de conserver et d’accroître les gains tirés de leurs activités criminelles.
Il alimente les flux de trésorerie de ceux qui se livrent à la corruption,
à la traite d’êtres humains ou au trafic de stupéfiants et leur
fournit des capitaux d’investissement tout en les incitant à commettre
de nouveaux crimes générateurs de profits. L’Assemblée parlementaire
devrait encourager les Etats membres à redoubler d’efforts pour
se mettre en conformité avec les normes internationales et accroître
la pression sur les autorités nationales pour qu’elles obtiennent
de meilleurs résultats en matière de lutte contre le blanchiment
d’argent.
72. La corruption nuit à la responsabilité démocratique et à l’Etat
de droit, limite injustement l’accès aux ressources et services
publics, pille les richesses nationales et porte préjudice à l’activité
économique légale. Elle constitue également un grave affront aux
droits humains. Rétablir l’intégrité des systèmes financiers, fiscaux
et gouvernementaux et renforcer la confiance accordée à ces derniers,
est devenu une question de survie pour nos institutions démocratiques.
Par conséquent, nous devons recommander que soit traité sans plus
attendre le problème des personnes politiquement exposées qui ont
recours aux paradis fiscaux pour échapper à l’impôt et procéder
au blanchiment de leurs produits illégaux.