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Résolution 2130 (2016)
Enseignements à tirer de l’affaire des «Panama Papers» pour assurer la justice sociale et fiscale
1. Le scandale
des «Panama Papers» a dévoilé au grand jour les pratiques courantes
de dissimulation de revenus et d’actifs imposables dans des paradis
fiscaux par l’intermédiaire de sociétés-écrans et de comptes secrets.
Ces révélations ont exacerbé le sentiment d’indignation qui couvait
dans l’opinion publique depuis plusieurs années: aujourd’hui plus
que jamais, il est devenu inacceptable aux yeux des citoyens que
des systèmes juridiques permettent à de grandes sociétés et aux
plus riches de se soustraire facilement à leurs obligations fiscales,
et à d’autres de dissimuler des profits mal acquis, tandis qu’eux
s’acquittent de leur impôt sur des revenus stagnants, voire en baisse.
Les «Panama Papers» ont érodé la confiance des citoyens dans les
systèmes démocratiques, financiers et fiscaux tout entiers, mettant
ainsi en péril les valeurs fondamentales de la société européenne,
notamment la justice sociale et fiscale.
2. L’Assemblée parlementaire est vivement préoccupée par l’ampleur
de l’optimisation fiscale, de l’évasion fiscale, voire de la fraude
fiscale dans les sociétés modernes: aujourd’hui, ces pratiques concernent
même des sociétés et des personnalités publiques bien connues, lesquelles
devraient au contraire être des modèles d’éthique. Du point de vue
de l’Assemblée, il faut introduire davantage d’éthique dans les
milieux politiques et le monde des affaires pour protéger les systèmes
économiques, sociaux et démocratiques. L’Assemblée appelle à garantir
la transparence des activités commerciales des responsables politiques,
dans la mesure où les rapports opaques entre les entreprises et
la politique minent la confiance des citoyens dans les structures démocratiques.
3. Le droit d’accès à l’information est un droit fondamental
garanti par la Déclaration universelle des droits de l’homme et
la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5),
qui s’applique aux données détenues par les organismes du secteur
public et dans certains cas par des organismes du secteur privé.
A cet égard, l’Assemblée encourage vivement les enquêteurs à rendre
publiques toutes les données constituant les «Panama Papers» pour
permettre à la police et à la justice de chaque pays de mener leurs
propres enquêtes nationales et de traduire en justice tous ceux
qui auraient été mêlés à des activités illégales, notamment de corruption
et de fraude fiscale.
4. L’Assemblée souligne le rôle important des lanceurs d’alerte,
dont la protection est cruciale pour renforcer la lutte contre la
corruption. Elle renvoie à ses Résolution 1729 (2010) et Résolution
2060 (2015) sur la protection des donneurs d’alerte, et demande
instamment à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe de protéger
comme il convient les personnes qui signalent des comportements
répréhensibles pour le bien de nos sociétés.
5. L’Assemblée considère que la lutte contre la fraude fiscale,
l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale requiert de nouvelles
normes juridiques ou techniques; cependant, le plus urgent est la
mise en œuvre effective des normes existantes. Par conséquent, l’Assemblée
recommande aux Etats membres:
5.1. de
donner des suites concrètes à sa Résolution 1881 (2012) «Promouvoir une politique appropriée en matière de paradis
fiscaux»;
5.2. de rejoindre, s’ils ne l’ont pas encore fait, le Forum
mondial de l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE) sur la transparence et l’échange de renseignements à des
fins fiscales, et de mettre en œuvre l'échange automatique de renseignements
de l’OCDE relatifs aux comptes financiers en matière fiscale sur
une base multilatérale et par le biais d'accords multilatéraux plutôt
que bilatéraux;
5.3. de mettre en place au niveau national des systèmes fiscaux
solides, transparents, stables et équitables, n’imposant pas de
formalités administratives trop lourdes et prévoyant des mesures
de lutte contre la corruption pour encourager les sociétés et les
personnes physiques à maintenir leurs actifs dans leur pays de résidence;
5.4. d’accroître la transparence en établissant un registre
central et accessible au public des bénéficiaires effectifs de toutes
les sociétés, fondations et fiducies (trusts),
auquel tout changement quant à la propriété effective de la structure
devra obligatoirement être signalé dans un délai raisonnable, sous
peine de sanctions dissuasives pour non-respect;
5.5. de maintenir une étroite coopération avec le Fonds monétaire
international, l’OCDE, les Nations Unies et la Commission européenne
pour améliorer les modèles fiscaux existants et répondre aux nouveaux
défis qui se présentent;
5.6. de consacrer davantage de ressources aux enquêtes financières
au niveau national et de renforcer la formation des policiers, des
procureurs et des juges concernés aux techniques modernes d’investigation
financière;
5.7. d’accroître l’échange international d’informations et
de bonnes pratiques concernant les techniques d’investigation financière;
5.8. d’envisager des modifications de la législation afin que
l’accès aux renseignements financiers soit systématiquement assuré
à un stade suffisamment précoce dans les enquêtes sur les produits
de la criminalité;
5.9. de prévoir des sanctions plus sévères pour les banques
et les entités juridiques qui facilitent la fraude fiscale, notamment
la suspension ou le retrait temporaire des licences d'exploitation,
ainsi que le gel des comptes et des avoirs;
5.10. de faire en sorte que les lignes directrices de l'OCDE
relatives à l'érosion de la base d'imposition et au transfert de
bénéfices (BEPS), qui ont déjà été approuvées par les pays de l'OCDE
et du G20, deviennent la nouvelle norme mondiale;
5.11. d'encourager l'OCDE à réexaminer, avec le Conseil de l'Europe,
leur Convention conjointe concernant l'assistance administrative
mutuelle en matière fiscale (STE no 127),
dans le but de faciliter la création d'un organisme international
de coordination fiscale sous les auspices de l'OCDE, qui serait en
mesure d'imposer des sanctions;
5.12. d’élaborer également, conjointement avec l’OCDE, de nouvelles
dispositions internationales qui permettent l’imposition directe
des revenus et des avoirs des entreprises installées dans les paradis fiscaux,
de manière à court-circuiter les personnes physiques et morales
qui les mettent en place et à lever les obstacles juridiques existants
à cette imposition directe, soit au moyen d’une nouvelle convention,
soit dans le cadre de la révision de l’actuelle Convention concernant
l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale;
5.13. de signer et de ratifier la Convention concernant l'assistance
administrative mutuelle en matière fiscale et son Protocole d'amendement
de 2010 (STCE no 208), s’ils ne l’ont
pas encore fait.
6. Pour lutter efficacement contre le blanchiment de capitaux,
l’Assemblée recommande aux Etats membres:
6.1. de ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention
du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à
la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement
du terrorisme (STCE no 198, «Convention
de Varsovie») et d’assurer sa mise en œuvre effective;
6.2. d’assurer l’application effective et la conformité technique
aux normes existantes en matière de lutte contre le blanchiment
de capitaux, parmi lesquelles les recommandations du Groupe d’action financière
adoptées en 2012 et la Directive (UE) 2015/849 (4e directive
européenne) dans les secteurs judiciaire, répressif et financier;
6.3. de poursuivre avec rigueur le processus d’évaluation du
risque en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et
de signaler aux autorités compétentes toute préoccupation concernant d’éventuelles
lacunes;
6.4. de veiller à ce qu’il existe au niveau national une cellule
de renseignement financier (CRF) efficace et indépendante, libre
de toute ingérence politique dans la prise de décisions opérationnelles;
6.5. de veiller à ce que les banques et autres institutions
financières appliquent des mesures de vigilance renforcées du plus
haut niveau à l’égard des dossiers internationaux complexes et des
clients qui présentent un risque potentiellement élevé; l’avis du
service responsable de la conformité devra être déterminant dans
le processus décisionnel;
6.6. de reconnaître l’importance de la coopération internationale
et d’accroître le volume d’informations transmises spontanément
aux autorités étrangères en dehors des demandes de coopération internationale.
7. L’Assemblée reconnaît la nécessité de restaurer la confiance
des citoyens dans le système démocratique européen, notamment en
empêchant les personnes politiquement exposées d’avoir recours aux juridictions
adeptes du secret, et demande par conséquent aux Etats membres:
7.1. de veiller à ce que les établissements
financiers et les entreprises et professions non financières désignées
s’emploient à repérer les personnes politiquement exposées, les
membres de leur famille ainsi que les personnes qui leur sont étroitement
associées et leur appliquent avec rigueur les mesures renforcées
nécessaires (notamment pour établir l’origine de leur patrimoine);
7.2. de veiller à ce que ces comptes fassent l’objet d’une
surveillance renforcée continue et soient activement suivis par
les autorités de contrôle lors des inspections, et à ce que des
sanctions proportionnées et dissuasives soient appliquées lorsque
des manquements sont constatés;
7.3. de maintenir la surveillance renforcée des transactions
opérées par les personnes politiquement exposées pendant au moins
cinq ans après que ces dernières ont cessé d’exercer les fonctions
justifiant ce statut.