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Rapport | Doc. 14196 | 03 novembre 2016

L’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels en Europe

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Geraint DAVIES, Royaume-Uni, SOC

Origine - Renvois en commission: Doc. 13567, Renvoi 4075 du 3 octobre 2014. 2016 - Commission permanente de novembre

Résumé

Les hydrocarbures non conventionnels, tels que le gaz et le pétrole de schiste, ont ébranlé le marché mondial de l’énergie. L’exploration et l’exploitation de ces ressources font principalement référence à la fracturation hydraulique («fracturation»), une technique qui soulève plusieurs inquiétudes en matière de santé publique et de protection de l’environnement.

Le rapport cherche à évaluer les dimensions économiques, géostratégiques et environnementales du développement potentiel de ces ressources en Europe. Il souligne les impacts négatifs d’un tel développement sur les fournitures en eau propre et la santé publique, ainsi que les effets nuisibles sur les objectifs climatiques.

Le rapport recommande donc aux pays qui cherchent à diversifier leur fourniture d’énergie d’opter pour des alternatives plus propres en investissant dans les énergies renouvelables et en réduisant leur consommation d’énergie. Dans l’attente d’une éventuelle interdiction de la fracturation, l’Assemblée parlementaire devrait recommander de limiter et de contrôler l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels en adoptant une réglementation environnementale stricte.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 11 octobre 2016.

(open)
1. Les hydrocarbures non conventionnels, tels que le gaz et le pétrole de schiste, ont ébranlé le marché mondial de l’énergie. L’exploration et l’exploitation de ces ressources font principalement référence à la fracturation hydraulique («fracturation»), une technique d’exploitation du gaz naturel souterrain par injection d’eau et de produits chimiques à haute pression pour briser les roches, afin de libérer le gaz et le pétrole emprisonnés. Cette procédure controversée soulève plusieurs inquiétudes en matière de santé publique et de protection de l’environnement.
2. La faible viabilité économique de la fracturation hydraulique en Europe, conjuguée aux problèmes d’acceptation par le grand public, devrait décourager l’exploitation des combustibles fossiles non conventionnels. Cependant, la fracturation hydraulique étant autorisée dans certains pays européens, une évaluation approfondie de sa faisabilité et de ses implications reste une tâche d’une importance pratique urgente.
3. La lutte contre le changement climatique et la rareté de la ressource en eau est vitale pour la survie de l’humanité. En signant l’Accord de Paris sur la lutte contre le changement climatique, les Etats se sont engagés à maintenir la hausse de la température mondiale en-deçà de 2°C par rapport aux niveaux de l'ère préindustrielle, visant l’objectif de 1,5°C. De ce fait, les Etats ne devraient pas adopter de politiques énergétiques susceptibles de faire obstacle à l’atteinte de cet objectif. L’Assemblée parlementaire soutient fermement les efforts déployés par les Etats pour respecter leurs obligations internationales dans ce domaine. La production d’hydrocarbures non conventionnels est plus nuisible que le charbon du point de vue du changement climatique et nécessitera une plus forte réduction de la production de combustibles fossiles ailleurs. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient se concentrer sur le développement d’autres solutions durables.
4. Les producteurs de pétrole ont augmenté leur production en réaction à l’exploitation du gaz de schiste américain, ce qui a entraîné une baisse des cours de pétrole et des retours sur investissements dans les énergies renouvelables. Cependant, sachant que 75 % des combustibles fossiles identifiés ne sont pas exploitables sans conséquences catastrophiques pour le changement climatique, les Etats membres devraient privilégier les investissements à long terme dans les énergies renouvelables, indépendamment du prix du pétrole à court terme.
5. Rappelant sa Résolution 1977 (2014) sur la diversification de l’énergie en tant que contribution fondamentale au développement durable, l’Assemblée recommande aux Etats membres de diversifier leurs approvisionnements énergétiques et de favoriser l’utilisation de ressources énergétiques plus propres et sûres en mettant l’accent sur les énergies renouvelables, dont l’énergie solaire, éolienne, hydraulique, géothermique, marémotrice et la biomasse. Dans leurs initiatives budgétaires et la législation relative à l’aménagement du territoire, les Etats membres devraient privilégier les énergies renouvelables et établir en priorité des politiques visant à promouvoir l’utilisation efficace des ressources et la réduction de la consommation énergétique. Les Etats membres ont l’opportunité de prendre le leadership mondial dans le secteur de la technologie renouvelable et de la coopération pour aider le monde en développement à accéder à la croissance de manière durable en bénéficiant de sa juste part d’énergie. Les Etats membres devraient encourager le transfert des technologies liées aux énergies renouvelables aux pays en développement afin d’éviter les effets associés du changement climatique. Il s’agira par exemple de l’extension des réseaux de forêts solaires en Europe du sud et en Afrique du nord ou d’actions pionnières de captage du carbone.
6. L’Assemblée est profondément préoccupée par les menaces que font peser l’exploration et l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste sur l’environnement et la santé publique, notamment la contamination de l’eau, la dégradation de la qualité de l’air et les risques environnementaux locaux. A la lumière des considérations ci-dessus, l’Assemblée invite instamment les Etats membres à clarifier et renforcer leur législation en la matière, y compris en interdisant la fracturation au profit de solutions énergétiques plus propres.
7. Dans l’attente d’une éventuelle interdiction de la fracturation, l’Assemblée recommande de limiter et de contrôler l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels en adoptant une réglementation environnementale stricte qui:
7.1. impose à tout projet de fracturation l’obligation de réaliser une évaluation des incidences sur l’environnement, notamment son impact sur la qualité de l’eau et le changement climatique;
7.2. garantisse le respect par les sociétés industrielles concernées de toutes les réglementations en matière de qualité de l’air et de l’eau, et oblige ces entreprises à révéler la nature et la quantité de produits chimiques utilisés durant le processus de fracturation;
7.3. limite les émissions fugitives globales en amont à moins de 1 %, celle sur le site de fracturation ne dépassant pas 0,1 % de la production de gaz naturel; rende obligatoire la méthode de «green completion», c’est-à-dire le coiffage de tous les puits et la capture du méthane sans mise à l’évent ni combustion (torchage); mette en place un suivi complet de l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste par des agences environnementales, en tenant compte de la nécessité de mesures descendantes plus précises des émissions de méthane;
7.4. garantisse des poursuites pénales effectives à l’encontre des entreprises qui ne respectent pas l’ensemble des réglementations susmentionnées, y compris une indemnisation des dommages causés à l’environnement;
7.5. encourage l’industrie gazière et pétrolière à respecter les pratiques de fracturation optimales les plus modernes et à adopter des techniques plus sûres et écologiques; assure le financement d’études indépendantes de haute qualité sur les risques associés à l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels destinées à guider la réglementation;
7.6. assure la transparence, en fournissant aux citoyens une information complète sur les projets de fracturation et en veillant à leur participation aux processus décisionnels lorsqu’il est question de projets énergétiques menés au plan local; protège les zones de grande valeur environnementale et culturelle face aux opérations de forage susceptibles d’avoir un impact visuel ou autre sur le paysage.
8. L’Assemblée recommande aux Etats membres:
8.1. de promouvoir la recherche et les investissements dans l’efficacité énergétique et le développement de sources d’énergie plus vertes et sûres, telles que les énergies renouvelables, offrant une sécurité énergétique et limitant les risques environnementaux et sanitaires;
8.2. de redoubler d’efforts sur un plan paneuropéen, afin d’atténuer les fluctuations d’approvisionnement en énergie qui résultent de l’utilisation au plan régional de sources d’énergie renouvelable isolées comme l’énergie solaire ou éolienne.
9. L’Assemblée recommande que les accords de libre-échange impliquant des Etats membres, notamment le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) et l’Accord économique et commercial global (CETA), soient rédigés de façon à permettre aux pays de remplir leurs obligations au titre de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP21) et de préserver librement et équitablement leur environnement.

B. Exposé des motifs, par M. Geraint Davies, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. L’Europe est quelque peu envieuse de la brillante réussite des Etats-Unis dans le domaine de l’énergie. L’essor de l’énergie non conventionnelle dans ce pays a eu de nombreux effets bénéfiques, principalement la baisse des tarifs de l’énergie, la création d’emplois, de nouvelles recettes fiscales et une sécurité énergétique accrue. Alors que l’engouement pour le pétrole et le gaz de schiste a imprimé un formidable élan à l’économie des Etats-Unis, avec un très puissant effet d’entraînement sur le marché mondial de l’énergie, il a eu également des retombées en Europe, avec une diminution des factures d’importation d’énergie et des développements géopolitiques, mais aussi une réduction des investissements dans les sources d’énergie renouvelable.
2. L’Europe peut-elle et doit-elle s’associer au développement des hydrocarbures non conventionnels? C’est une question clivante qui a suscité un virulent débat à travers le continent. D’aucuns ont considéré que ces ressources énergétiques pouvaient changer la donne, en ce qu’elles permettraient de répondre à une augmentation des besoins énergétiques dans le monde, de stimuler la croissance économique et de renforcer la sécurité énergétique nationale. D’autre part, des voix se sont élevées pour dénoncer l’impact négatif du processus d’extraction sur l’environnement. Exploiter les combustibles fossiles non conventionnels en plus des traditionnels pourrait aussi aggraver les tendances au réchauffement climatique.
3. L’exploitation des ressources non conventionnelles reste un processus complexe de forte intensité. Dès lors, dans l’analyse des perspectives futures pour ce secteur en Europe, il est nécessaire d’examiner tous les aspects du processus et d’évaluer de façon appropriée les besoins en matière de réglementation 
			(2) 
			Voir le rapport sur
les incidences sur l’environnement des activités d’extraction de
gaz de schiste et de schiste bitumineux, 2011/2308(INI), Parlement
européen, Commission de l’environnement, de la santé publique et
de la sécurité alimentaire, p. 27, paragraphe I.. A cet effet, il faut être bien conscient que certaines incidences sur l’environnement et la santé publique peuvent prendre des années, voire des dizaines d’années à apparaître 
			(3) 
			Conseil des académies
canadiennes, 2014, Incidences environnementales liées à l’extraction
de gaz de schiste au Canada, Ottawa (ON): le groupe d’experts chargé
de l’évaluation – Harnacher la science et la technologie pour comprendre
les incidences environnementales liées à l’extraction du gaz de
schiste, p. XVII..
4. Il est donc urgent pour l’Europe de débattre la question et de voir quelles sont les options politiques et technologiques pour opérer des choix stratégiques solides dans le domaine des combustibles fossiles non conventionnels. Afin d’encourager une discussion éclairée et objective, le présent rapport examinera et soupèsera les avantages et les risques, et se penchera également sur les enseignements à tirer de l’expérience américaine. Il s’emploiera à rechercher des réponses réalistes aux questions concernant les perspectives, les conditions préalables et les enjeux législatifs de l’exploitation des combustibles fossiles non conventionnels en Europe d’une manière qui prenne en compte les besoins de la génération actuelle sans compromettre ceux des générations futures.

2. Combustibles fossiles et développement durable

5. En septembre 2015, les Nations Unies ont adopté de nouveaux objectifs de développement durable, censés orienter les actions de la communauté internationale pour les quinze prochaines années. Afin de garantir un accès universel à des services énergétiques abordables, fiables et modernes, il est recommandé d’augmenter considérablement la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique mondial. D’ici à 2030, le monde doit renforcer la coopération internationale pour faciliter l’accès à la recherche et à la technologie dans le domaine des énergies propres, notamment des énergies renouvelables, à l’efficacité énergétique et à des technologies fossiles de pointe plus propres, ainsi que pour promouvoir les investissements dans les infrastructures énergétiques et les technologies d’énergie propre 
			(4) 
			Plateforme de connaissances
en matière de développement durable des Nations Unies, <a href='https://sustainabledevelopment.un.org/'>https://sustainabledevelopment.un.org/.</a>.
6. De la même façon, le nouvel objectif de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2°C a été adopté à la suite d’un consensus international obtenu en décembre 2015, et signé en avril 2016 à Paris 
			(5) 
			Voir CCNUCC,
COP21, Paris, 30 novembre-11 décembre 2015, «Adoption de l’accord
de Paris» article 2, paragraphe 1.a.. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), une élévation de la température supérieure à 2°C aurait de graves conséquences, comme l’augmentation du nombre de phénomènes météorologiques extrêmes. Le sommet de Paris incluait toutefois également une limitation non contraignante fixée à 1,5°C.
7. Selon le GIEC, la planète ne peut émettre plus d’un billion de tonnes équivalent carbone pour rester dans la limite des 2°C de réchauffement climatique. Nous avons déjà consommé 550 milliards de tonnes depuis le début de la révolution industrielle. Sur les 450 milliards de tonnes restants, 20 % sont attribués à d’autres gaz à effet de serre, laissant un budget d’à peine 360 milliards de tonnes de carbone, ou 1 320 tonnes de dioxyde de carbone. Si les émissions mondiales annuelles de dioxyde de carbone restent à la même intensité qu’aujourd’hui, en vue de limiter la hausse de la température à 2°C par rapport aux niveaux préindustriels avec une probabilité supérieure à 66 % 
			(6) 
			Cinquième Rapport d’évaluation
du GIEC (AR5), «Changements climatiques 2014: Rapport de synthèse»,
p. 67., le monde aura complètement épuisé son budget avant fin 2045 
			(7) 
			«Infographic:
The Global Carbon Budget», World Resources Institute, <a href='http://www.wri.org/resources/'>www.wri.org/resources/</a>.. On estime que le monde dispose d’une réserve de plus d’un billion de tonnes de carbone rien que sous la forme de combustibles fossiles conventionnels, un chiffre trois fois supérieur à la quantité qui pourrait être brûlée en ayant encore 66 % de chances de ne pas dépasser un réchauffement de 2°C. Pour respecter cette limite, il serait nécessaire de s’abstenir d’extraire 80 % du charbon, 50 % du gaz et un tiers du pétrole présents dans le sous-sol 
			(8) 
			C.
McGlade et P. Ekins, «The geographical distribution of fossil fuels
unused when limiting global warming to 2°C», UCL Institute for Sustainable
Resources, 7 janvier 2015.. Mais pour une probabilité de juste 50% d’atteindre la limite plus basse de 1,5°C, le budget carbone restant à partir de 2016 ne serait plus que de 140 milliards de tonnes, et sera alors épuisé d’ici 2030 selon le niveau actuel d’émissions.
8. Du point de vue du développement durable, il ne serait pas bon de développer des sources non conventionnelles telles le pétrole de schiste, le gaz de schiste ou les sables bitumineux, dont la montée en puissance de la production devra être compensée par une réduction accrue de la production conventionnelle de combustible fossile ailleurs. C’est pourquoi, pour que l’Europe respecte ses obligations pour lutter contre le changement climatique, elle doit réduire sa consommation de combustible fossile et recentrer ses efforts de production sur des alternatives durables.
9. Nos obligations internationales collectives en termes d’environnement entraînent pour les Etats membres du Conseil de l’Europe la responsabilité d’appliquer les normes écologiques, juridiques et technologiques les plus élevées et de prendre des mesures déterminées pour protéger la santé publique et l’environnement. Elles impliquent en outre que l’exploration et l’exploitation d’énergies fossiles non conventionnelles (en particulier le pétrole et le gaz de schiste) devraient être revues à la baisse pour privilégier la recherche et le développement d’alternatives plus propres.
10. Néanmoins, même si les énergies renouvelables offrent également une sécurité énergétique sans présenter les risques pour la santé et l’environnement qui découlent des combustibles fossiles, il conviendrait de ne pas sous-estimer l’élément moteur que représente le développement de ressources nationales de combustibles fossiles. En Europe, la production de gaz de schiste est souvent présentée comme une manière de diversifier l’approvisionnement en énergie et de diminuer le recours aux importations. La dépendance européenne vis-à-vis du gaz russe devrait dépasser les 70 % dans les années à venir. La crise qui frappe actuellement l’Europe de l’est pourrait avoir des répercussions importantes sur la sécurité énergétique 
			(9) 
			IASS fact sheet 1/2015,
Institute for Advanced Sustainability Studies (IASS), Potsdam, juin
2015..

3. Informations générales sur les hydrocarbures non conventionnels

11. L’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels en Europe désigne essentiellement l’extraction de pétrole et de gaz (principalement de gaz de schiste, ainsi que de gaz de houille et de réservoir compact) par fracturation hydraulique («fracturation»), au moyen d’un forage horizontal, mais aussi des techniques spécifiques comme la fracturation électrique, thermique ou au propane. En ce qui concerne leur nature, les gaz et pétroles conventionnels et non conventionnels sont exactement identiques. La différence réside dans le mode d’extraction.
12. La fracturation hydraulique provoque des fissures dans les formations rocheuses, ce qui stimule le débit de gaz naturel ou de pétrole, afin d’augmenter les volumes pouvant être extraits. Les puits peuvent être creusés verticalement sur plusieurs centaines, voire milliers, de mètres de profondeur sous la surface du sol et peuvent comprendre des sections horizontales ou obliques de plusieurs milliers de mètres de longueur. Des fractures sont créées en envoyant une grande quantité de fluide sous haute pression dans un puits de forage à l’intérieur de la formation rocheuse visée. Le liquide utilisé pour la fracturation hydraulique est en général composé d’eau, d’agents de soutènement et d’additifs chimiques qui ouvrent et élargissent des brèches dans la formation rocheuse. Les agents de soutènement – du sable, des billes de céramique et d’autres petites particules incompressibles – maintiennent ouvertes les fissures ainsi créées.
13. Une fois que le processus d’injection est terminé, la pression interne de la formation rocheuse entraîne un retour du liquide vers la surface par l’intermédiaire du puits. Ce fluide est à la fois composé d’«eaux de reflux» et d’«eau produite» et peut contenir les produits chimiques injectés, auxquels s’ajoutent divers éléments naturellement présents, comme des saumures, des métaux, des radionucléides et des hydrocarbures. Les eaux de reflux et l’eau produite sont généralement stockées sur place dans des réservoirs ou des fosses avant d’être traitées, évacuées ou recyclées 
			(10) 
			«The Process of Hydraulic
Fracturing», Agence américaine de protection de l’environnement, <a href='https://www.epa.gov/hydraulicfracturing/process-hydraulic-fracturing'>https://www.epa.gov/hydraulicfracturing/process-hydraulic-fracturing.</a>.
14. Le gaz de schiste, c’est-à-dire du gaz naturel piégé dans des formations de schiste, se trouve en général dans des couches souterraines d’une épaisseur allant de quelques mètres à plusieurs dizaines de mètres et situées à une profondeur maximale de 6 à 7 kilomètres. Les réserves mondiales de gaz de schiste qu’il est techniquement possible d’extraire sont considérables; on les estime en effet à 200 billions de mètres cubes (ci-après «bm3»), dont 16 bm3 se trouvent en Europe – les réserves les plus importantes se situeraient en Chine, aux Etats-Unis, en Argentine et au Mexique.
15. Les gaz de schiste ne sont pas une découverte récente. Leur existence est en effet connue depuis très longtemps. La nouveauté réside dans la technologie qui permet d’y avoir accès pour un coût relativement faible, ce coût variant toutefois selon les garanties juridiques mises en place et les conditions géologiques. La question n’est pas de savoir s’il existe ou non des gisements de gaz de schistes, mais de déterminer l’endroit où ils sont accessibles pour un coût direct faible et sans engendrer de catastrophe écologique. Quelle que soit l’importance des réserves, la quantité de gaz extraite dépend de facteurs politiques, géologiques et géographiques, de conséquences environnementales et de l’acceptation par la population.
16. Selon les connaissances géologiques actuelles, les réserves de gaz de schiste sont répandues dans l’ensemble de l’Europe, avec des estimations du gaz en place (GEP) 
			(11) 
			Volume total de gaz
naturel dans une formation rocheuse souterraine. de 37,6 bm3 en Angleterre, de 13 bm3 en Allemagne, de 2 bm3 en Espagne et d’environ 5 bm3 en Pologne. Les réserves techniquement accessibles font débat; en Pologne, par exemple, les compagnies menant des activités de fracturation ont renoncé au bout deux ans en raison de conditions géologiques défavorables. Cependant, les estimations des industriels du secteur sont plutôt généreuses et oscillent en général entre 10 % et 20 % du GEP. Les réserves seraient assez importantes en France, en Ukraine, en Bulgarie et en Roumanie, bien que ces pays n’aient pas encore mené d’étude nationale pour confirmer ce potentiel. Dans certains gisements de schiste, on relève aussi la présence de pétrole de schiste 
			(12) 
			IASS fact sheet 1/2015, op. cit..
17. Certains pays, comme le Royaume-Uni, défendent l’utilisation du gaz au lieu du charbon parce que la combustion du gaz produit moins de dioxyde de carbone (CO2) par unité d’énergie. Cependant, cette observation ne prend pas en compte les éléments «en amont», à savoir les processus nécessaires pour localiser, extraire, stocker et transporter le gaz pour enfin l’acheminer vers sa destination. Le gaz est presque intégralement composé de méthane, un puissant gaz à effet de serre avec un potentiel de réchauffement de la planète (PRP) 86 fois supérieur à une masse équivalente de CO2 sur une période de 20 ans 
			(13) 
			Changements climatiques
2013: les éléments scientifiques, Contribution du Groupe de travail I
au cinquième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat, p. 714.. Sur une période de 100 ans, le PRP du méthane est de 36, une estimation du GIEC citée dans son rapport de 2013 qui a augmenté de 44 % depuis la dernière fois que le ministère britannique de l’Energie et du Changement climatique a examiné la question (en utilisant des estimations obsolètes du PRP avancées par le GIEC en 2007).
18. La libération de méthane issue d’activités en amont peut être volontaire (en cas de mise à l’évent, par exemple) ou accidentelle. Ce type de rejet est qualifié d’émission fugitive. Il y a une grande différence entre les méthodes d’extraction des gaz conventionnels et non conventionnels pour ce qui est des émissions fugitives. Un grand gisement de gaz naturel peut ne nécessiter que quelques plateformes pour extraire les ressources souterraines, qui sont en général sous pression et donc relativement faciles à libérer et à capter. A l’inverse, les sources non conventionnelles, comme le gaz de schiste, se présentent sous forme de bulles de gaz au sein de formations rocheuses de schiste. Leur extraction est extrêmement difficile et nécessite l’injection de sable, d’eau, de produits chimiques et de lubrifiants sous pression; de plus, des milliers de têtes de puits peuvent être nécessaires pour localiser et extraire des quantités importantes de gaz. Le risque de fuites, qu’elles soient accidentelles ou volontaires, est donc d’autant plus grand 
			(14) 
			Times of Oman, janvier 2016.. Il en va de même pour l’extraction du pétrole de schiste; les émissions fugitives de méthane réalisées par les exploitants de pétrole de schiste peuvent être encore plus nuisibles que pour le gaz de schiste, car ces entreprises n’ont pas d’intérêt financier à capter le méthane libéré par leurs activités.
19. Les données disponibles amènent à penser que le gaz de schiste est au moins deux fois plus nuisible que le charbon du point de vue du changement climatique 
			(15) 
			Dr
Robin Russell-Jones, «Fugitive methane will cancel out the benefits
of shifting from coal to gas», mars 2016.. Les simulations montrent que tous les bénéfices pour le climat apportés par le remplacement du charbon par le gaz sont annulés si les émissions fugitives dépassent 2 % de la production de gaz. Aux Etats-Unis, la quantité d’émissions de méthane libérée par le secteur des gaz de schiste représente 6 %-8 % de la production totale (du puits de forage à l’acheminement final) 
			(16) 
			Robert W. Howarth,
Renee Santoro et Anthony Ingraffea, «Methane and the greenhouse-gas
footprint of natural gas from shale formations», lettre, 12 novembre
2010.. Ces chiffres sont confirmés par des données descendantes obtenues par avion et par satellite qui offrent des mesures plus précises des libérations de méthane provenant des exploitations de fracturation du schiste. Selon les données satellite américaines, les quantités libérées seraient plus importantes au-dessus des champs d’exploration (plus de 10 %) que des champs d’exploitation; la méthode de «green completion» (c’est-à-dire le coiffage des puits et la capture du méthane sans aucune combustion ni mise à l’évent) est par conséquent cruciale même aux premiers stades de l’exploration. Les données ascendantes sous-estiment en général la quantité de méthane libérée dans le cadre d’activités de fracturation aux Etats-Unis (jusqu’à 10 fois plus que les méthodes conventionnelles d’extraction du gaz). Les pertes de méthane associées au gaz conventionnel sont de l’ordre d’1 %, ce qui signifie qu’il est 25 %, et non 50 %, plus avantageux d’utiliser du gaz plutôt que du charbon. Cependant, la liquéfaction du gaz naturel est un processus très énergivore qui augmente de 20 % à 25 % l’empreinte carbone. Le gaz naturel liquéfié a donc le même impact sur le réchauffement climatique que le charbon.

4. Conséquences pour l’économie, l’environnement, la santé publique, la technologie et la sécurité énergétique

4.1. Dimensions économique, technologique, géostratégique et de sécurité énergétique

20. Traditionnellement, l’instabilité politique au Moyen-Orient a toujours provoqué une hausse des prix du pétrole, car les conflits interrompaient les activités de forage et d’acheminement du pétrole. Cependant, pour la première fois, les prix du pétrole n’ont pas augmenté malgré la grande instabilité qui règne dans la région, notamment en raison des tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite. C’est la réponse des exploitants de pétrole d’Arabie saoudite à l’essor de la fracturation aux Etats-Unis qui pourrait conduire à l’indépendance énergétique américaine. L’augmentation de la production pétrolière tire à la baisse les cours mondiaux du pétrole, ce qui diminue de ce fait la rentabilité de la fracturation. Cette situation est intéressante non seulement d’un point de vue politique et financier, mais aussi dans une perspective environnementale. La baisse des prix du pétrole a pour conséquence une utilisation plus importante des combustibles fossiles, ce qui réduit les investissements réalisés dans les énergies renouvelables et accentue la pression sur le changement climatique. L’essor de la fracturation augmente donc la consommation de combustible fossile et empêche par là-même le développement d’énergies durables. En particulier, les investissements dans les énergies renouvelables sont mal évalués et rejetés en comparaison avec les coûts énergétiques faibles basés sur une production pétrolière qui ne peut pas continuer si nous remplissons nos obligations au titre de la COP21.
21. Au sein de l’Union européenne, la production de gaz conventionnel décline depuis les années 1990 et les importations de gaz naturel (essentiellement en provenance de Russie, de Norvège, d’Algérie et du Qatar) représentent deux tiers de la consommation. Les ressources européennes en gaz conventionnel ne suffisent pas à concurrencer les importations à bas prix. Pour de nombreux pays européens, investir dans la fracturation hydraulique n’a pas de sens d’un point de vue économique.
22. On estime qu’il est environ deux fois moins cher de mener des activités de fracturation aux Etats-Unis qu’en Europe, en partie parce que les conditions géologiques sont plus complexes en Europe, mais surtout parce que le secteur de la fracturation bénéficie aux Etats-Unis de dérogations aux lois sur la protection de l’air et la propreté de l’eau (Clean Water and Clean Air Acts). En outre, il est probable que la révolution des gaz et pétrole de schiste soit de courte durée puisque la durée de vie d’un puits de forage consacré au gaz ou au pétrole de schiste est de cinq à sept ans. Selon l’entreprise française Total, l’extraction de gaz et de pétrole de schiste nécessite de forer en profondeur de 10 à 100 fois plus de puits par rapport au pétrole ou au gaz conventionnels. C’est pourquoi il faut des investissements financiers importants et constants 
			(17) 
			Voir le rapport de
l’Assemblée sur «La diversification de l’énergie en tant que contribution
fondamentale au développement durable», Doc. 13366 et Résolution
1977 (2014)..
23. Il est difficile d’entrevoir des bénéfices économiques significatifs provenant de la fracturation en Europe, sauf pour les exploitants de gisements de schiste, qui ne pourront tirer profit de cette opération que s’ils reçoivent d’importantes subventions des Etats au départ. Le Fonds monétaire international (FMI) a récemment estimé le coût que représentent les subventions énergétiques pour la communauté mondiale à $ 5,3 billions par an (6,5 % du produit intérieur brut (PIB) mondial) 
			(18) 
			David
Coady, Ian Parry, Louis Sears et Baoping Shang, Etude du FMI, WP/15/105,
«How large are global energy subsidies?», p. 5.. Le gouvernement britannique a offert des allègements fiscaux généreux aux entreprises de forage par fracturation, a contourné la législation locale relative à l’aménagement du territoire et a fait adopter un projet de loi sur les infrastructures 
			(19) 
			Loi relative aux infrastructures
2015, chapitre 7, partie 6, «Autres dispositions relatives au pétrole
sur terre», article 50, 4A «Fracturation hydraulique sur terre:
garanties». qui permet aux sociétés du secteur de mener leurs activités sur des terrains sans l’accord du propriétaire et à proximité de parcs nationaux. Par contre, les allègements fiscaux au Royaume-Uni ont été réduits pour le solaire et les réglementations d’urbanisme sont devenues plus strictes en ce qui concerne les fermes éoliennes sur la terre ferme. Toutefois, les risques sont très importants pour les investisseurs du secteur de la fracturation, car ils courent le risque de perdre toutes les sommes avancées si l’on décide que cette technique est incompatible avec les engagements de l’Union européenne, du Royaume-Uni ou des Nations Unies en matière de changement climatique.
24. Il a fallu environ 30 ans pour que les exploitants de gisements de schiste aux Etats-Unis parviennent à produire du gaz et du pétrole de schiste en quantités importantes. Pendant ce temps, ils ont bénéficié d’une absence de réglementation, ce qui signifie que le coût relativement faible de leurs produits a pu être obtenu au prix d’émissions fugitives dans l’atmosphère, ce qui aggrave le changement climatique, et d’effets pour le moment non mesurés sur la santé de la population locale en raison des nuisances sonores, de l’atteinte au droit de propriété, de la qualité de l’air au niveau local, de la possible contamination du réseau d’approvisionnement en eau et du délestage d’eau contaminée.
25. Par ailleurs, l’Europe et les Etats-Unis ont des législations relatives à la propriété foncière et des conditions de propriété complètement différentes. D’un côté, les Etats-Unis ont une faible densité de peuplement. Le propriétaire d’un terrain en possède également le sous-sol, ce qui l’incite fortement à exploiter ses ressources. De l’autre côté, la majeure partie de l’Europe est densément peuplée et les négociations sont plus compliquées; l’Etat doit souvent intervenir pour jouer le médiateur entre le propriétaire du terrain et l’entreprise qui veut exploiter les ressources qui s’y trouvent 
			(20) 
			«The Era of Gas – How
to use this new potential?», PKN ORLEN SA, Varsovie, 2011, p. 12..
26. Il n’y a pas de raison de croire que les techniques mises au point pour les formations de schiste aux Etats-Unis seront applicables en Europe. Les exploitants de gisements de schiste ont par exemple abandonné leurs tentatives d’extraire du gaz de schiste en Pologne 
			(21) 
			La compagnie Exxon
Mobil a cessé l’exploration en 2012, Marathon en 2013, Total en 2014
et Chevron en 2015. en raison de facteurs géologiques hostiles: les gisements étaient trop profonds et le gaz trop difficile à extraire.
27. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la sécurité énergétique européenne ne peut être garantie en se fondant sur l’expérience américaine en matière de gaz non conventionnels, à cause d’un trop grand nombre d’incertitudes. Cela prendrait des années (entre cinq et quinze ans) pour développer un secteur du pétrole et du gaz de schiste commercialement viable en Europe, et les prix seraient deux fois plus élevés qu’aux Etats-Unis en raison de la géologie locale, des contrôles environnementaux plus stricts, des difficultés d’acceptation par le grand public et des capacités de forage moins développées.

4.2. Dimensions sociale, environnementale et de santé publique

28. L’une des principales sources de préoccupation relatives à la fracturation concerne les conséquences sur le changement climatique évoquées plus haut. La nécessité de mettre fin à l’utilisation du charbon est évidente; pourtant, le gaz de schiste est au moins deux fois plus nuisible que le charbon du point de vue du changement climatique. Sans plafond mondial des émissions de carbone, le gaz supplémentaire extrait s’ajouterait à la pollution dégagée par les combustibles fossiles, ce qui augmenterait les émissions et compliquerait encore davantage l’atténuation du changement climatique. Même avec ce plafond, toute exploitation supplémentaire de combustibles fossiles conduira à une diminution du prix du gaz, ce qui augmentera la consommation des combustibles fossiles. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le cycle de vie du CO2 issu du gaz de schiste est deux fois plus court que celui du charbon ou du pétrole, mais il est tout de même plus long que celui des énergies vertes (éolienne et solaire).
29. De plus, la fracturation ne contribue pas à atteindre l’objectif du programme Horizon 2020 de l’Union européenne d’encourager le développement des énergies à faible teneur en carbone. Les objectifs de l’Union en matière de climat et d’énergie sont de diminuer d’ici à 2020 les émissions de gaz à effet de serre de 20 % par rapport au niveau de 1990, de couvrir 20 % des besoins en énergie grâce à des sources d’énergie renouvelable et de réduire la consommation d’énergie de 20 %. La feuille de route pour l’énergie à l’horizon 2050 de l’Union européenne, adoptée en 2011, vise à limiter les émissions encore davantage, pour parvenir à une baisse de 80 % à 95 % par rapport au niveau de 1990.
30. La deuxième source d’inquiétude la plus importante est sans aucun doute liée aux diverses incidences de la fracturation sur l’environnement, comme la pollution de l’air et de l’eau, ainsi que les conséquences pour l’utilisation des terrains et la biodiversité. De grandes quantités d’eau et de déchets doivent être envoyées sur les sites ou en dehors des sites de forage, et chaque puits de forage nécessite jusqu’à 6 millions de gallons d’eau et produit près de 3 millions de gallons de déchets. En l’absence de conduites d’adduction, elle doit être transportée par camion, ce qui a également des répercussions sur la population locale. En raison de la réglementation laxiste de ce secteur, il est fréquent que les compagnies menant des activités de fracturation évacuent les eaux contaminées de la façon la moins onéreuse et la plus simple, sans tenir compte des conséquences pour la population locale, pour les installations de traitement des eaux usées et pour l’environnement.
31. La fracturation hydraulique peut contaminer à la fois l’eau potable de surface et souterraine avec du méthane et des produits chimiques utilisés pour le forage 
			(22) 
			Evaluation des effets
potentiels de la fracturation hydraulique pour l’extraction de pétrole
et de gaz sur les ressources en eau potable (projet d’examen externe),
Agence américaine de protection de l’environnement, Washington,
DC, EPA/600/R-15/047, 2015.. Cependant, d’après le rapport conjoint de la Royal Society et la Royal Academy of Engineering du Royaume-Uni, les opérations de fracturation peuvent être effectuées en toute sécurité dès lors que les garanties appropriées sont en place. Il convient toutefois de noter que ce rapport n’a pas pris en compte les répercussions de la fracturation à l’échelle industrielle sur le changement climatique. Pour effectuer cette fracturation, une énorme quantité d’eau est mélangée avec divers composés chimiques toxiques pour former le fluide de fracturation. Celui-ci est ensuite contaminé par des métaux lourds et des éléments radioactifs naturellement présents dans le gisement de schiste. Une part importante de ce fluide retourne à la surface. En l’absence de contrôle rigoureux, ce fluide peut être déversé dans des fleuves et des rivières. Les réserves d’eaux souterraines peuvent aussi en théorie être contaminées par les éléments résultant de la fracturation, à la suite de la migration souterraine du gaz et du fluide de fracturation 
			(23) 
			Greenpeace, <a href='http://www.greenpeace.org/'>www.greenpeace.org/</a>..
32. Certaines des substances chimiques utilisées pour la fracturation sont hautement toxiques et peuvent provoquer des cancers, comme le benzène, le toluène, le 2-butoxyéthanol (un des principaux ingrédients de l’antigel et des agents de dispersion du pétrole) et des métaux lourds. L’Endocrine Disruption Exchange (TEDX) a identifié 353 substances chimiques utilisées dans le cadre de la fracturation, bon nombre d’entre elles pouvant provoquer des cancers et d’autres graves problèmes de santé, même à faibles doses. A l’heure actuelle, aucune réglementation n’oblige les compagnies pétrolières à révéler la nature des additifs chimiques qu’elles utilisent dans le processus de fracturation.
33. Les eaux souterraines sont contaminées par la fracturation hydraulique de plusieurs manières, notamment à cause de fuites dans les zones de stockage des liquides, des fuites dans les puits d’injection, des fuites lors de la fracturation dans les puits défectueux ou dans les puits abandonnés, de la pénétration dans le sol lorsque les eaux usées et les résidus sont déversés sur le sol (à des fins d’irrigation ou sur les routes pour éliminer la poussière ou le givre) ou pour d’autres raisons.
34. La terre est polluée par les pluies acides, par des fuites d’eaux usées contenant des produits chimiques qui s’infiltrent dans le sol et par les tornades/tempêtes qui répandent les substances chimiques dans l’environnement. Les terres subissent également une déforestation engendrée par l’élimination des forêts pour construire des sites de fracturation.
35. On a constaté les effets néfastes de la fracturation sur les animaux sauvages et domestiques (destruction de leur habitat, obstacles sur les voies migratoires d’espèces menacées et morts d’animaux qui ont bu de l’eau polluée ou respiré de l’air pollué) 
			(24) 
			Michelle Bamberger
et Robert E. Oswald, «Long-term impacts of unconventional drilling
operations on human and animal health, Part A: Toxic/Hazardous Substances
and Environmental Engineering», Journal
of Environmental Science and Health..
36. Elle comporte aussi d’autres risques, comme des tremblements de terre, des explosions et des incendies. Il faut en outre compter avec la pollution sonore (à cause des camions qui transportent les eaux usées) et visuelle (à cause du grand nombre de puits creusés en raison de la courte durée de vie d’un puits de fracturation).
37. On ne dispose que de peu de preuves d’effets particuliers sur la santé découlant de l’exploitation des gisements de schiste en tant que tels mais ils peuvent apparaître au fil du temps. Cependant, toute population exposée à ce type d’activités devrait être suivie avant et après la cessation des opérations de fracturation. Il est difficile de déterminer dans quelle mesure les répercussions alléguées ou observées sur la santé sont réellement imputables aux produits chimiques utilisés lors de la fracturation ou à des activités extérieures. Certaines des incidences annoncées sur la santé sont physiques (troubles neurologiques aigus et à long terme, troubles de l’appareil respiratoire supérieur, maux de tête, fatigue et nausées) et d’autres d’ordre psychologique (défiance envers les industriels et les autorités publiques, stress, etc.).
38. Il est important de noter qu’il est difficile de rencontrer des personnes ayant participé à des études scientifiques et qui apportent des preuves sur les effets sanitaires, dans la mesure où beaucoup ont signé un accord de confidentialité avec les entreprises du secteur de la fracturation. Plusieurs études ont néanmoins été menées et mettent en lumière de réelles préoccupations pour la santé humaine. Une étude récente intitulée «Towards an understanding of the environmental and public health impacts of shale gas development: an analysis of the peer reviewed scientific literature, 2009-2015» (avril 2016) dresse une vue d’ensemble des recherches scientifiques dans ce domaine. Selon l’analyse du corpus de la littérature scientifique publiée entre 2009 et 2015, 26 études (84 %) ont formulé des conclusions relatives à certains dangers, risques élevés, ou effets nocifs pour la santé publique liés à l’exploitation de gaz naturel non conventionnel et cinq études seulement (soit 16 %) concluent à l’absence de dangers significatifs, risques élevés, ou effets nocifs pour la santé 
			(25) 
			<a href='https://mail.coe.int/owa/redir.aspx?C=g9ibWnoGnGg770yZxLKjPO7uKnpjzDwUQq8XNv6XOFZ895pN5urTCA..&URL=http%3a%2f%2fwww.psehealthyenergy.org%2fsite%2fview%2f1233'>www.psehealthyenergy.org/site/view/1233</a>..
39. Des études montrent que la fracturation contribue à la pollution de l’air, car elle est source d’émission de particules. Il est établi que cette pollution peut avoir des effets sur les femmes enceintes, la santé du fœtus, les enfants exposés in utero à des émissions de diesel, entraînant en particulier un QI plus faible (certaines études indiquent environ 4 points de QI, un chiffre similaire à ceux observés avec le plomb dans le pétrole) et les élèves des écoles primaires qui souffrent de troubles mentaux, comme le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité, l’anxiété et la dépression. La baisse du poids de naissance des nouveau-nés à proximité des têtes de puits s’explique davantage par les émissions de diesel autour des sites de fracturation que par les émissions fugitives ou la contamination des réseaux d’adduction d’eau par les produits chimiques utilisés lors de la fracturation 
			(26) 
			Selon
une analyse des registres des naissances par la Graduate School
of Public Health de Pennsylvanie du Sud-ouest, l’université de Pittsburgh: <a href='http://www.mirm.pitt.edu/documents/pdf/Pitt-Lower-Birth-Weight-Associated-with.pdf'>www.mirm.pitt.edu/documents/pdf/Pitt-Lower-Birth-Weight-Associated-with.pdf</a>..
40. Comme nous l’avons mentionné précédemment, le secteur de la fracturation utilise une grande variété de produits chimiques pour faciliter ses activités. Certaines de ces substances sont des «cancérigènes de groupe I». En outre, la fracturation libère des substances radioactives piégées dans les formations rocheuses comme le gaz radon, c’est pourquoi les déchets issus de cette méthode doivent être déposés dans des usines de traitement spécifiques adaptées aux déchets radioactifs. Cela signifie que tous les produits chimiques utilisés par les entreprises qui réalisent des forages par fracturation devraient avoir un profil relatif à leurs effets sur la santé présentant une justification valable de l’utilisation de produits chimiques à potentiel cancérigène.
41. Outre ses effets sur l’environnement et sur la santé, la fracturation provoque également des dégâts sur les biens et des pertes de leur valeur. Les personnes défavorisées sont plus exposées à la pollution provenant de la fracturation.

5. Enseignements à tirer de l’expérience des Etats-Unis

42. L’expérience dont nous disposons en matière de fracturation provient principalement des Etats-Unis, où ces techniques d’extraction ont commencé à voir le jour en 1970. Le gaz de schiste représente 67 % de la production de gaz naturel du pays 
			(27) 
			Ministère
américain de l’Energie, «How is shale gas produced?», avril 2013..
43. Aux Etats-Unis, le secteur de l’extraction a bénéficié d’exemptions concernant les réglementations les plus importantes en matière d’environnement. Par conséquent, l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) n’a pas été mandatée pour réaliser un contrôle de routine de l’exploitation du gaz ou du pétrole de schiste. Cela a donc donné lieu à un débat virulent sur l’importance de la quantité de méthane libéré par les activités de fracturation aux Etats-Unis. Le problème vient en partie du fait que les estimations de l’EPA se fondent sur un contrôle très limité, mené principalement autour des sites de fracturation, ce qui implique que l’évaluation ne tient probablement pas compte des émissions plus importantes provenant des compresseurs, des zones de stockage, des conduites vétustes et des installations mal gérées. De plus, aucune étude officielle aux Etats-Unis n’a pris en compte les énormes émissions de méthane provoquées par l’explosion d’Aliso Canyon en Californie, qui a libéré des quantités de méthane prodigieuses d’un réservoir de gaz, équivalentes aux émissions annuelles d’un champ comme celui des schistes de Barnett.
44. L’expérience des Etats-Unis montre clairement les conséquences auxquelles on s’expose quand on laisse un secteur des combustibles fossiles s’autoréguler. Le secteur du pétrole et du gaz est protégé par des lois votées au Congrès pour lui permettre de ne pas respecter la réglementation fédérale en matière d’environnement (comme la loi sur la protection de l’air, la loi sur la propreté de l’eau et la loi sur une eau potable de qualité). Ainsi, la fracturation est principalement régie par des réglementations adoptées au niveau des Etats. Le secteur du gaz et du pétrole réduit des personnes au silence en leur faisant signer des clauses de non-divulgation pour éviter qu’elles ne s’expriment au sujet des problèmes potentiels que pose la fracturation en matière d’environnement et de santé.
45. Il y a un manque global de transparence en ce qui concerne les substances chimiques utilisées par le secteur, et on ne recense que peu ou pas d’études sur l’impact de la fracturation sur la santé et sur l’environnement 
			(28) 
			«Incidences
environnementales liées à l’extraction de gaz de schiste au Canada»,
2014, op. cit.. L’évaluation de l’impact environnemental réalisée par l’Etat de New York a conduit à l’interdiction de la fracturation sur le territoire de celui-ci 
			(29) 
			Thomas
Kaplandec, «Citing Health Risks, Cuomo Bans Fracking in New York
State», New York Times, 17
décembre 2014.. Il n’existe pas de réglementation définissant des quotas d’émissions de composés organiques, portant sur la gestion des déchets ou régissant les produits chimiques utilisés pour la fracturation. Une étude très récente réalisée par Harvard fait état d’une augmentation de 30 % des émissions de méthane aux Etats-Unis depuis 2002, ce qui représente entre 30 % et 60 % de l’augmentation du méthane dans l’atmosphère constatée dans le monde au cours de la même période 
			(30) 
			A.
J. Turner, D. J. Jacob, J. Benmergui, S. C. Wofsy, J. D. Maasakkers,
A. Butz, O. Hasekamp et S.C. Biraud «A large increase in U.S. methane
emissions over the past decade inferred from satellite data and
surface observations», research letter, 2 mars 2016, <a href='http://onlinelibrary.wiley.com/'>http://onlinelibrary.wiley.com/.</a>. L’exploitation des gisements de schiste est l’explication la plus probable pour ces observations.
46. Aux Etats-Unis, la fracturation, et en particulier les fuites dont elle est à l’origine, aggravent les difficultés liées à l’eau et au changement climatique, provoquant ainsi de graves problèmes de santé publique concernant la qualité de l’air et de l’eau potable. Des enquêtes sur le terrain ont fait état d’un taux de 6 % à 9 % de puits peu ou non productifs et établi une liste de 243 cas dans lesquels des sociétés d’exploitation du schiste ont contaminé des ressources privées en eau potable entre 2008-2014. En cas de pollution par accident, les amendes ne suffisent pas pour avoir un effet dissuasif, et les contrevenants à la réglementation ne se voient souvent même pas infliger d’amende 
			(31) 
			Maurice
Hinchey, «Fracking Industry Needs to Follow Laws, Too», 28 novembre
2011.. De plus, la charge de la preuve incombe à la population locale et non aux entreprises du secteur pétrolier et gazier.
47. Les sociétés qui utilisent la méthode de fracturation ont eu recours au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats prévu par les accords de libre-échange permettant d’assigner les Etats devant des tribunaux d’arbitrage si ceux-ci utilisent la protection de l’environnement pour faire peser une contrainte sur les bénéfices de l’industrie. Ainsi, Lone Pine a intenté une action en réparation contre l’Etat canadien pour un montant de $ 250 millions en raison du moratoire adopté au Québec contre la fracturation, et TransCanada fait de même contre l’Etat américain et lui réclame $ 15 milliards en raison de l’interruption de la conduite de sables pétrolifères entre le Canada et les Etats-Unis. Par conséquent, il est important que les accords commerciaux conclus par l’Union européenne, en particulier avec les Etats-Unis (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) et l’Accord sur le commerce des services (TISA)) et le Canada (Accord économique et commercial global (CETA)) soient rédigés de façon à permettre aux pays européens de préserver librement et équitablement leur environnement des incidences néfastes de la fracturation.

6. La situation en Europe

48. L’Europe manque encore d’expérience en matière de fracturation hydraulique. Néanmoins, on peut considérer qu’il s’agit d’une tendance émergente, puisque beaucoup estiment qu’elle pourrait résoudre deux problèmes pressants: la croissance de la demande énergétique et la dépendance aux importations de gaz. Comme nous l’avons indiqué plus haut, la fracturation s’accompagne de nombreux risques, qu’une réglementation et des cadres de mise en œuvre adaptés pourraient contribuer à limiter.
49. Dans le document «Conclusions sur l’énergie» (4 février 2011), le Conseil de l’Union européenne a fait la proposition suivante: «Afin de renforcer la sécurité de l’approvisionnement de l’UE, il conviendrait d’évaluer le potentiel dont dispose l’Europe en matière d’extraction et d’utilisation durables de ressources en combustibles fossiles conventionnels et non conventionnels (gaz de schistes et schiste bitumineux)» 
			(32) 
			Conclusions
du Conseil européen sur l’énergie, 4 février 2011, p. 3.. Le 25 septembre 2012, le Parlement européen a publié un rapport sur les incidences sur l’environnement des activités d’extraction de gaz de schiste et de schiste bitumineux (2011/2308(INI)). Aux termes de la Directive sur l’évaluation des incidences sur l’environnement (Directive EIE) 
			(33) 
			Directive
2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil concernant l’évaluation
des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement,
13 décembre 2011., les projets d’extraction de gaz naturel prévoyant un volume supérieur à 500 m3/jour font obligatoirement l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement. Cependant, la quantité moyenne de gaz de schiste extraite grâce à la fracturation reste la plupart du temps inférieure à ce seuil.
50. Les menaces que fait peser la fracturation sur l’environnement et sur la santé ont donné lieu à un débat au Parlement européen sur la nécessité d’imposer une EIE à tous les projets ayant recours à la technique de la fracturation. En octobre 2013, le Parlement européen a adopté une modification de la Directive EIE selon laquelle les activités de fracturation doivent faire l’objet d’une EIE obligatoire, quel que soit le volume de gaz extrait. Cependant, le Conseil n’a pas approuvé cette proposition de modification. Ainsi, la modification la plus récente de la Directive EIE ne change pas la législation sur la fracturation. Par conséquent, le 22 janvier 2014, la Commission européenne a formulé une recommandation 
			(34) 
			Recommandation 2014/70/UE
de la Commission européenne relative aux principes minimaux applicables
à l’exploration et à la production d’hydrocarbures (tels que le
gaz de schiste) par fracturation hydraulique à grands volumes. sur les principes minimaux nécessaires lorsque les Etats appliquent leur réglementation sur la fracturation. Ce type de recommandations ne lie pas les Etats membres, qui ont la capacité de ne pas suivre les propositions de la Commission. Il y a quelques mois, une proposition de résolution sur la sécurité énergétique a été rejetée par le Parlement européen parce qu’elle faisait référence à un gaz non conventionnel 
			(35) 
			<a href='http://www.foodandwatereurope.org/pressreleases/majority-meps-vote-for-immediate-fracking-moratorium/'>www.foodandwatereurope.org/pressreleases/majority-meps-vote-for-immediate-fracking-moratorium/</a>..
51. A l’heure actuelle, la fracturation est interdite en Allemagne, en France, aux Pays-Bas, en Ecosse et en Bulgarie. Elle est autorisée au Danemark, en Angleterre, en Hongrie, en Lituanie, en Pologne, en Suède et en Ukraine. L’Autriche applique des lois restrictives. Six pays européens examinent actuellement l’option de la fracturation, dont l’Allemagne.
52. Au Royaume-Uni, la société de forage Cuadrilla Resources a annoncé avoir découvert d’importants gisements sur son site près de Blackpool. Elle prétendait que ce seul site représentait 5 billions de mètres cubes de gaz (dix fois plus que les estimations des Etats-Unis pour l’ensemble du Royaume-Uni). En 2011, son exploitation a été suspendue après avoir provoqué des secousses sismiques. Les autorités ont décidé d’un moratoire sur la fracturation, pour une durée de 18 mois. Un rapport rendu en avril 2012 par les conseillers du Gouvernement britannique a donné le feu vert à la poursuite du projet de fracturation, bien que le lien y soit établi entre le processus de forage et les tremblements de terre. En 2015, le gouvernement apportait son soutien à la fracturation, alors que les autorités locales étaient réticentes à délivrer les autorisations nécessaires. L’Ecosse a décidé d’un moratoire sur cette technique, et le Pays de Galles a rendu impossible l’obtention d’un permis en raison d’une réglementation stricte en matière d’aménagement du territoire.
53. Selon le rapport de l’Agence américaine d’information sur l’énergie publié en 2011, la Pologne disposait de gisements de gaz de schiste de 187 billions de mètres cubes techniquement accessibles 
			(36) 
			Voir «World Shale Resource
Assessments» par l’Agence américaine d’information sur l’énergie,
publié en 2011 et mis à jour régulièrement. Toutefois, en 2012, une étude de l’Institut géologique polonais a montré que les conclusions de ce rapport étaient trop optimistes, car les ressources en gaz de schiste potentiellement extractibles de la Pologne ne semblaient pas dépasser 768 milliards de mètres cubes (soit entre 85 % et 95 % de moins que les estimations de l’EIA américaine). Plusieurs protestations et un mauvais rendement des puits dû à des raisons géologiques ont incité les investisseurs étrangers à abandonner. L’annonce optimiste lancée en 2011 par le Premier ministre de l’époque, qui voyait le forage commencer en 2014, a été suivie d’une déclaration plus sobre du ministère de l’Environnement, insistant sur la nécessité d’être plus patient. Les multinationales qui avaient investi en Pologne se sont retirées progressivement, Chevron étant la dernière compagnie à partir en 2015. Aucun des puits forés jusqu’à fin 2015 n’a pu donner lieu à une exploitation commerciale. A l’heure actuelle, l’utilisation de la fracturation en Pologne a été suspendue.
54. En France, la fracturation a été interdite par une loi adoptée en 2011. En 2014, un rapport d’experts a été rendu sur l’expérimentation d’une technologie d’exploitation reposant sur le fluoropropane, qui serait une solution de remplacement plus propre que la fracturation. Cependant, le gouvernement n’a jamais donné son accord pour la mettre en œuvre.
55. En Allemagne, des rapports de l’Institut fédéral pour les géosciences et les ressources naturelles (BGR) indiquent que les réserves de gaz de schiste sont bien plus importantes que celles de gaz conventionnel, en particulier dans le nord du pays. En 2014, le Gouvernement allemand a annoncé l’examen d’une loi interdisant la production de gaz de schiste à des fins commerciales, ce que l’on peut considérer comme un moratoire de fait. En avril 2015, un ensemble de mesures législatives a été adopté pour limiter l’exploitation des combustibles conventionnels et non conventionnels.
56. En Bulgarie, un moratoire est appliqué. En Autriche, la législation est très restrictive, de sorte qu’il est de fait impossible d’effectuer un forage par fracturation.
57. Par conséquent, étant donné la position intermédiaire adoptée par la Commission européenne et les approches fermes et divergentes des pays européens en ce qui concerne la réglementation de l’exploitation des gaz de schiste, on peut en conclure que l’Europe est largement divisée face à la révolution que représentent les gaz de schiste.

7. Conclusions et recommandations

58. Au cours des dix dernières années, la technique de la fracturation hydraulique a été utilisée aux Etats-Unis pour l’exploitation commerciale du gaz de schiste. En Europe, alors que les partisans de cette méthode mettent en avant ses bénéfices potentiels en matière de sécurité énergétique, de prix, d’emploi et de revenus, ses détracteurs soulignent les expériences négatives et les risques pour l’environnement et la santé publique.
59. Le secteur des énergies fossiles doit désormais composer avec un budget carbone très limité, et il serait donc préférable de ne pas gaspiller de ressources financières en explorant de nouveaux gisements de combustibles fossiles qu’il est impossible de mettre à profit si le monde veut maintenir son cap de 2°C, et a fortiori de 1,5°C, de réchauffement climatique. Les Etats membres devraient donc s’abstenir d’adopter des politiques énergétiques qui pourraient entraver la réalisation de leur objectif, qui est de réduire autant que possible les répercussions du changement climatique.
60. Il conviendrait plutôt de concentrer des ressources et du temps au développement des énergies renouvelables qui sont en train de prendre une place centrale dans le bouquet énergétique, notamment l’énergie solaire, éolienne, hydraulique, géothermique, marémotrice et biomasse, ainsi qu’à la réduction de la consommation d’énergie et la recherche de plus d’autonomie sur le plan énergétique. La consommation d’énergie doit être dissociée de la croissance économique et démographique, et une approche intégrée de la diversification des énergies doit être adoptée, prenant en compte les ménages, les transports et l’industrie 
			(37) 
			Voir le Doc. 13366, op. cit.. Il est important de redoubler d’efforts sur un plan paneuropéen, afin que les énergies renouvelables comme l’énergie solaire ou l’énergie éolienne dans différents pays contribuent à atténuer les fluctuations de l’approvisionnement en énergie qui résultent de l’utilisation régionale d’une source d’énergie renouvelable isolée.
61. L’Europe a le choix entre se fourvoyer dans une exploitation encore plus importante de combustible fossile ou prendre le leadership mondial dans le secteur de la technologie renouvelable et de la coopération. Si l’on veut que le monde en développement obtienne sa juste part de consommation énergique, il faut que les économies développées l’aident à se doter des technologies nécessaires pour les énergies renouvelables afin d’éviter les effets associés du changement climatique, par exemple en étendant les réseaux de forêts solaires dans toute l’Europe du sud et l’Afrique du nord et en privilégiant la capture du carbone. Le temps et les ressources sont limités, c’est pourquoi il faut absolument se concentrer sur les meilleures solutions en termes de durabilité.
62. Par ailleurs, les données satellitaires qui nous parviennent concernant les effets sur le changement climatique de l’utilisation de la fracturation aux Etats-Unis et les préoccupations environnementales devraient conduire à une suspension des activités de fracturation par l’application du principe de précaution. Face aux dégâts graves ou irréversibles qui risquent d’être provoqués, l’absence de preuves scientifiques irréfutables ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures rentables visant à prévenir la dégradation de l’environnement. Il conviendrait d’engager des études indépendantes sur les risques associés à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels.
63. Il est peu probable que le pétrole et le gaz non conventionnels changent véritablement la donne en Europe, essentiellement en raison de leur faible viabilité économique et de leurs répercussions sur l’environnement. Il est nécessaire que chaque pays et chaque région fassent une évaluation de ses spécificités, besoins et perspectives au niveau local en matière d’approvisionnement en énergie à court et à long terme. Pour les pays qui souhaiteraient poursuivre ou initier une pratique de ce type, il convient tout d’abord de veiller à ce que la taille de l’exploitation autorisée ayant recours à la fracturation corresponde à leurs objectifs d’émissions de gaz à effet de serre convenus lors de la COP21 à Paris.
64. En résumé, j’estime que l’Assemblée devrait appeler instamment tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à clarifier et renforcer leur législation en faveur de solutions énergétiques plus propres. Dans l’attente d’une éventuelle interdiction de la fracturation, les Etats membres devraient limiter et contrôler l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels en adoptant des règles environnementales strictes.
65. En outre, en vue de protéger la santé publique et l’environnement au niveau local, un certain nombre de conditions fondamentales doivent être remplies:
  • adoption de réglementations garantissant la transparence, l’obligation de réaliser une évaluation des incidences sur l’environnement pour tout projet de fracturation et l’obligation pour les sociétés industrielles de respecter toutes les règles environnementales;
  • transparence quant aux substances chimiques utilisées au cours du processus (nature et quantité des produits);
  • poursuites pénales effectives à l’encontre des individus et des entreprises qui ne respectent pas la réglementation, pouvant conduire à une indemnisation en cas de dégâts causés à l’environnement;
  • obligation pour les entreprises de mettre au point des techniques de forage plus sûres et plus respectueuses de l’environnement.
66. Il est possible de mettre au point de meilleures techniques de forage qui pourraient rendre la fracturation plus respectueuse de l’environnement. Au lieu d’être libérée dans l’atmosphère, une partie du méthane et du CO2 pourrait être captée et vendue sur les marchés pour réduire la quantité de gaz libérée dans la nature. Cette technique est appelée «green completion». C’est un procédé malheureusement trop rarement utilisé car il prend beaucoup de temps.
67. Les Etats membres doivent protéger les zones qui ont une grande valeur environnementale et culturelle, comme les parcs nationaux, face aux opérations de forage.
68. Les accords commerciaux conclus par l’Union européenne, notamment le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement et l’Accord économique et commercial global, doivent être rédigés de façon à permettre aux pays européens de préserver librement et équitablement leur environnement et de remplir leurs obligations résultant de la COP21, sans dispositions spéciales pour les investisseurs, y compris ceux qui opèrent dans l’extraction non-conventionnelle d’hydrocarbure, leur permettant de passer outre leurs responsabilités environnementales.