1. Introduction
1. L’Europe est quelque peu envieuse
de la brillante réussite des Etats-Unis dans le domaine de l’énergie. L’essor
de l’énergie non conventionnelle dans ce pays a eu de nombreux effets
bénéfiques, principalement la baisse des tarifs de l’énergie, la
création d’emplois, de nouvelles recettes fiscales et une sécurité
énergétique accrue. Alors que l’engouement pour le pétrole et le
gaz de schiste a imprimé un formidable élan à l’économie des Etats-Unis,
avec un très puissant effet d’entraînement sur le marché mondial
de l’énergie, il a eu également des retombées en Europe, avec une
diminution des factures d’importation d’énergie et des développements
géopolitiques, mais aussi une réduction des investissements dans
les sources d’énergie renouvelable.
2. L’Europe peut-elle et doit-elle s’associer au développement
des hydrocarbures non conventionnels? C’est une question clivante
qui a suscité un virulent débat à travers le continent. D’aucuns
ont considéré que ces ressources énergétiques pouvaient changer
la donne, en ce qu’elles permettraient de répondre à une augmentation
des besoins énergétiques dans le monde, de stimuler la croissance
économique et de renforcer la sécurité énergétique nationale. D’autre
part, des voix se sont élevées pour dénoncer l’impact négatif du processus
d’extraction sur l’environnement. Exploiter les combustibles fossiles
non conventionnels en plus des traditionnels pourrait aussi aggraver
les tendances au réchauffement climatique.
3. L’exploitation des ressources non conventionnelles reste un
processus complexe de forte intensité. Dès lors, dans l’analyse
des perspectives futures pour ce secteur en Europe, il est nécessaire
d’examiner tous les aspects du processus et d’évaluer de façon appropriée
les besoins en matière de réglementation
.
A cet effet, il faut être bien conscient que certaines incidences
sur l’environnement et la santé publique peuvent prendre des années,
voire des dizaines d’années à apparaître
.
4. Il est donc urgent pour l’Europe de débattre la question et
de voir quelles sont les options politiques et technologiques pour
opérer des choix stratégiques solides dans le domaine des combustibles
fossiles non conventionnels. Afin d’encourager une discussion éclairée
et objective, le présent rapport examinera et soupèsera les avantages
et les risques, et se penchera également sur les enseignements à
tirer de l’expérience américaine. Il s’emploiera à rechercher des
réponses réalistes aux questions concernant les perspectives, les
conditions préalables et les enjeux législatifs de l’exploitation
des combustibles fossiles non conventionnels en Europe d’une manière
qui prenne en compte les besoins de la génération actuelle sans compromettre
ceux des générations futures.
2. Combustibles fossiles et développement
durable
5. En septembre 2015, les Nations
Unies ont adopté de nouveaux objectifs de développement durable, censés
orienter les actions de la communauté internationale pour les quinze
prochaines années. Afin de garantir un accès universel à des services
énergétiques abordables, fiables et modernes, il est recommandé d’augmenter
considérablement la part des énergies renouvelables dans le bouquet
énergétique mondial. D’ici à 2030, le monde doit renforcer la coopération
internationale pour faciliter l’accès à la recherche et à la technologie
dans le domaine des énergies propres, notamment des énergies renouvelables,
à l’efficacité énergétique et à des technologies fossiles de pointe
plus propres, ainsi que pour promouvoir les investissements dans
les infrastructures énergétiques et les technologies d’énergie propre
.
6. De la même façon, le nouvel objectif de maintenir le réchauffement
climatique en dessous de 2°C a été adopté à la suite d’un consensus
international obtenu en décembre 2015, et signé en avril 2016 à
Paris
.
Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du
climat (GIEC), une élévation de la température supérieure à 2°C
aurait de graves conséquences, comme l’augmentation du nombre de
phénomènes météorologiques extrêmes. Le sommet de Paris incluait
toutefois également une limitation non contraignante fixée à 1,5°C.
7. Selon le GIEC, la planète ne peut émettre plus d’un billion
de tonnes équivalent carbone pour rester dans la limite des 2°C
de réchauffement climatique. Nous avons déjà consommé 550 milliards
de tonnes depuis le début de la révolution industrielle. Sur les
450 milliards de tonnes restants, 20 % sont attribués à d’autres
gaz à effet de serre, laissant un budget d’à peine 360 milliards
de tonnes de carbone, ou 1 320 tonnes de dioxyde de carbone. Si
les émissions mondiales annuelles de dioxyde de carbone restent
à la même intensité qu’aujourd’hui, en vue de limiter la hausse
de la température à 2°C par rapport aux niveaux préindustriels avec
une probabilité supérieure à 66 %
, le monde aura complètement épuisé son
budget avant fin 2045
. On estime que le monde dispose
d’une réserve de plus d’un billion de tonnes de carbone rien que sous
la forme de combustibles fossiles conventionnels, un chiffre trois
fois supérieur à la quantité qui pourrait être brûlée en ayant encore
66 % de chances de ne pas dépasser un réchauffement de 2°C. Pour
respecter cette limite, il serait nécessaire de s’abstenir d’extraire
80 % du charbon, 50 % du gaz et un tiers du pétrole présents dans
le sous-sol
. Mais pour une probabilité
de juste 50% d’atteindre la limite plus basse de 1,5°C, le budget
carbone restant à partir de 2016 ne serait plus que de 140 milliards
de tonnes, et sera alors épuisé d’ici 2030 selon le niveau actuel
d’émissions.
8. Du point de vue du développement durable, il ne serait pas
bon de développer des sources non conventionnelles telles le pétrole
de schiste, le gaz de schiste ou les sables bitumineux, dont la
montée en puissance de la production devra être compensée par une
réduction accrue de la production conventionnelle de combustible
fossile ailleurs. C’est pourquoi, pour que l’Europe respecte ses
obligations pour lutter contre le changement climatique, elle doit
réduire sa consommation de combustible fossile et recentrer ses
efforts de production sur des alternatives durables.
9. Nos obligations internationales collectives en termes d’environnement
entraînent pour les Etats membres du Conseil de l’Europe la responsabilité
d’appliquer les normes écologiques, juridiques et technologiques
les plus élevées et de prendre des mesures déterminées pour protéger
la santé publique et l’environnement. Elles impliquent en outre
que l’exploration et l’exploitation d’énergies fossiles non conventionnelles
(en particulier le pétrole et le gaz de schiste) devraient être
revues à la baisse pour privilégier la recherche et le développement
d’alternatives plus propres.
10. Néanmoins, même si les énergies renouvelables offrent également
une sécurité énergétique sans présenter les risques pour la santé
et l’environnement qui découlent des combustibles fossiles, il conviendrait de
ne pas sous-estimer l’élément moteur que représente le développement
de ressources nationales de combustibles fossiles. En Europe, la
production de gaz de schiste est souvent présentée comme une manière de
diversifier l’approvisionnement en énergie et de diminuer le recours
aux importations. La dépendance européenne vis-à-vis du gaz russe
devrait dépasser les 70 % dans les années à venir. La crise qui
frappe actuellement l’Europe de l’est pourrait avoir des répercussions
importantes sur la sécurité énergétique
.
3. Informations
générales sur les hydrocarbures non conventionnels
11. L’exploration et l’exploitation
d’hydrocarbures non conventionnels en Europe désigne essentiellement l’extraction
de pétrole et de gaz (principalement de gaz de schiste, ainsi que
de gaz de houille et de réservoir compact) par fracturation hydraulique
(«fracturation»), au moyen d’un forage horizontal, mais aussi des techniques
spécifiques comme la fracturation électrique, thermique ou au propane.
En ce qui concerne leur nature, les gaz et pétroles conventionnels
et non conventionnels sont exactement identiques. La différence réside
dans le mode d’extraction.
12. La fracturation hydraulique provoque des fissures dans les
formations rocheuses, ce qui stimule le débit de gaz naturel ou
de pétrole, afin d’augmenter les volumes pouvant être extraits.
Les puits peuvent être creusés verticalement sur plusieurs centaines,
voire milliers, de mètres de profondeur sous la surface du sol et
peuvent comprendre des sections horizontales ou obliques de plusieurs
milliers de mètres de longueur. Des fractures sont créées en envoyant
une grande quantité de fluide sous haute pression dans un puits
de forage à l’intérieur de la formation rocheuse visée. Le liquide
utilisé pour la fracturation hydraulique est en général composé
d’eau, d’agents de soutènement et d’additifs chimiques qui ouvrent
et élargissent des brèches dans la formation rocheuse. Les agents
de soutènement – du sable, des billes de céramique et d’autres petites particules
incompressibles – maintiennent ouvertes les fissures ainsi créées.
13. Une fois que le processus d’injection est terminé, la pression
interne de la formation rocheuse entraîne un retour du liquide vers
la surface par l’intermédiaire du puits. Ce fluide est à la fois
composé d’«eaux de reflux» et d’«eau produite» et peut contenir
les produits chimiques injectés, auxquels s’ajoutent divers éléments
naturellement présents, comme des saumures, des métaux, des radionucléides
et des hydrocarbures. Les eaux de reflux et l’eau produite sont
généralement stockées sur place dans des réservoirs ou des fosses
avant d’être traitées, évacuées ou recyclées
.
14. Le gaz de schiste, c’est-à-dire du gaz naturel piégé dans
des formations de schiste, se trouve en général dans des couches
souterraines d’une épaisseur allant de quelques mètres à plusieurs
dizaines de mètres et situées à une profondeur maximale de 6 à 7 kilomètres.
Les réserves mondiales de gaz de schiste qu’il est techniquement
possible d’extraire sont considérables; on les estime en effet à
200 billions de mètres cubes (ci-après «bm3»),
dont 16 bm3 se trouvent en Europe – les
réserves les plus importantes se situeraient en Chine, aux Etats-Unis,
en Argentine et au Mexique.
15. Les gaz de schiste ne sont pas une découverte récente. Leur
existence est en effet connue depuis très longtemps. La nouveauté
réside dans la technologie qui permet d’y avoir accès pour un coût
relativement faible, ce coût variant toutefois selon les garanties
juridiques mises en place et les conditions géologiques. La question
n’est pas de savoir s’il existe ou non des gisements de gaz de schistes,
mais de déterminer l’endroit où ils sont accessibles pour un coût
direct faible et sans engendrer de catastrophe écologique. Quelle
que soit l’importance des réserves, la quantité de gaz extraite
dépend de facteurs politiques, géologiques et géographiques, de
conséquences environnementales et de l’acceptation par la population.
16. Selon les connaissances géologiques actuelles, les réserves
de gaz de schiste sont répandues dans l’ensemble de l’Europe, avec
des estimations du gaz en place (GEP)
de
37,6 bm3 en Angleterre, de 13 bm3 en
Allemagne, de 2 bm3 en Espagne et d’environ
5 bm3 en Pologne. Les réserves techniquement
accessibles font débat; en Pologne, par exemple, les compagnies
menant des activités de fracturation ont renoncé au bout deux ans
en raison de conditions géologiques défavorables. Cependant, les
estimations des industriels du secteur sont plutôt généreuses et
oscillent en général entre 10 % et 20 % du GEP. Les réserves seraient
assez importantes en France, en Ukraine, en Bulgarie et en Roumanie,
bien que ces pays n’aient pas encore mené d’étude nationale pour
confirmer ce potentiel. Dans certains gisements de schiste, on relève
aussi la présence de pétrole de schiste
.
17. Certains pays, comme le Royaume-Uni, défendent l’utilisation
du gaz au lieu du charbon parce que la combustion du gaz produit
moins de dioxyde de carbone (CO2) par unité
d’énergie. Cependant, cette observation ne prend pas en compte les
éléments «en amont», à savoir les processus nécessaires pour localiser,
extraire, stocker et transporter le gaz pour enfin l’acheminer vers
sa destination. Le gaz est presque intégralement composé de méthane,
un puissant gaz à effet de serre avec un potentiel de réchauffement
de la planète (PRP) 86 fois supérieur à une masse équivalente de
CO2 sur une période de 20 ans
. Sur une période
de 100 ans, le PRP du méthane est de 36, une estimation du GIEC
citée dans son rapport de 2013 qui a augmenté de 44 % depuis la
dernière fois que le ministère britannique de l’Energie et du Changement climatique
a examiné la question (en utilisant des estimations obsolètes du
PRP avancées par le GIEC en 2007).
18. La libération de méthane issue d’activités en amont peut être
volontaire (en cas de mise à l’évent, par exemple) ou accidentelle.
Ce type de rejet est qualifié d’émission fugitive. Il y a une grande
différence entre les méthodes d’extraction des gaz conventionnels
et non conventionnels pour ce qui est des émissions fugitives. Un
grand gisement de gaz naturel peut ne nécessiter que quelques plateformes
pour extraire les ressources souterraines, qui sont en général sous
pression et donc relativement faciles à libérer et à capter. A l’inverse, les
sources non conventionnelles, comme le gaz de schiste, se présentent
sous forme de bulles de gaz au sein de formations rocheuses de schiste.
Leur extraction est extrêmement difficile et nécessite l’injection
de sable, d’eau, de produits chimiques et de lubrifiants sous pression;
de plus, des milliers de têtes de puits peuvent être nécessaires
pour localiser et extraire des quantités importantes de gaz. Le
risque de fuites, qu’elles soient accidentelles ou volontaires,
est donc d’autant plus grand
.
Il en va de même pour l’extraction du pétrole de schiste; les émissions
fugitives de méthane réalisées par les exploitants de pétrole de
schiste peuvent être encore plus nuisibles que pour le gaz de schiste,
car ces entreprises n’ont pas d’intérêt financier à capter le méthane
libéré par leurs activités.
19. Les données disponibles amènent à penser que le gaz de schiste
est au moins deux fois plus nuisible que le charbon du point de
vue du changement climatique
. Les
simulations montrent que tous les bénéfices pour le climat apportés
par le remplacement du charbon par le gaz sont annulés si les émissions
fugitives dépassent 2 % de la production de gaz. Aux Etats-Unis,
la quantité d’émissions de méthane libérée par le secteur des gaz
de schiste représente 6 %-8 % de la production totale (du puits
de forage à l’acheminement final)
. Ces chiffres sont confirmés par des données
descendantes obtenues par avion et par satellite qui offrent des
mesures plus précises des libérations de méthane provenant des exploitations
de fracturation du schiste. Selon les données satellite américaines,
les quantités libérées seraient plus importantes au-dessus des champs
d’exploration (plus de 10 %) que des champs d’exploitation; la méthode
de «
green completion» (c’est-à-dire
le coiffage des puits et la capture du méthane sans aucune combustion
ni mise à l’évent) est par conséquent cruciale même aux premiers
stades de l’exploration. Les données ascendantes sous-estiment en général
la quantité de méthane libérée dans le cadre d’activités de fracturation
aux Etats-Unis (jusqu’à 10 fois plus que les méthodes conventionnelles
d’extraction du gaz). Les pertes de méthane associées au gaz conventionnel
sont de l’ordre d’1 %, ce qui signifie qu’il est 25 %, et non 50 %,
plus avantageux d’utiliser du gaz plutôt que du charbon. Cependant,
la liquéfaction du gaz naturel est un processus très énergivore
qui augmente de 20 % à 25 % l’empreinte carbone. Le gaz naturel
liquéfié a donc le même impact sur le réchauffement climatique que
le charbon.
4. Conséquences
pour l’économie, l’environnement, la santé publique, la technologie
et la sécurité énergétique
4.1. Dimensions
économique, technologique, géostratégique et de sécurité énergétique
20. Traditionnellement, l’instabilité
politique au Moyen-Orient a toujours provoqué une hausse des prix
du pétrole, car les conflits interrompaient les activités de forage
et d’acheminement du pétrole. Cependant, pour la première fois,
les prix du pétrole n’ont pas augmenté malgré la grande instabilité
qui règne dans la région, notamment en raison des tensions entre
l’Iran et l’Arabie saoudite. C’est la réponse des exploitants de
pétrole d’Arabie saoudite à l’essor de la fracturation aux Etats-Unis
qui pourrait conduire à l’indépendance énergétique américaine. L’augmentation
de la production pétrolière tire à la baisse les cours mondiaux
du pétrole, ce qui diminue de ce fait la rentabilité de la fracturation.
Cette situation est intéressante non seulement d’un point de vue
politique et financier, mais aussi dans une perspective environnementale.
La baisse des prix du pétrole a pour conséquence une utilisation
plus importante des combustibles fossiles, ce qui réduit les investissements réalisés
dans les énergies renouvelables et accentue la pression sur le changement
climatique. L’essor de la fracturation augmente donc la consommation
de combustible fossile et empêche par là-même le développement d’énergies
durables. En particulier, les investissements dans les énergies
renouvelables sont mal évalués et rejetés en comparaison avec les
coûts énergétiques faibles basés sur une production pétrolière qui
ne peut pas continuer si nous remplissons nos obligations au titre
de la COP21.
21. Au sein de l’Union européenne, la production de gaz conventionnel
décline depuis les années 1990 et les importations de gaz naturel
(essentiellement en provenance de Russie, de Norvège, d’Algérie
et du Qatar) représentent deux tiers de la consommation. Les ressources
européennes en gaz conventionnel ne suffisent pas à concurrencer
les importations à bas prix. Pour de nombreux pays européens, investir
dans la fracturation hydraulique n’a pas de sens d’un point de vue
économique.
22. On estime qu’il est environ deux fois moins cher de mener
des activités de fracturation aux Etats-Unis qu’en Europe, en partie
parce que les conditions géologiques sont plus complexes en Europe,
mais surtout parce que le secteur de la fracturation bénéficie aux
Etats-Unis de dérogations aux lois sur la protection de l’air et
la propreté de l’eau (Clean Water and Clean Air Acts). En outre,
il est probable que la révolution des gaz et pétrole de schiste
soit de courte durée puisque la durée de vie d’un puits de forage
consacré au gaz ou au pétrole de schiste est de cinq à sept ans.
Selon l’entreprise française Total, l’extraction de gaz et de pétrole
de schiste nécessite de forer en profondeur de 10 à 100 fois plus
de puits par rapport au pétrole ou au gaz conventionnels. C’est
pourquoi il faut des investissements financiers importants et constants
.
23. Il est difficile d’entrevoir des bénéfices économiques significatifs
provenant de la fracturation en Europe, sauf pour les exploitants
de gisements de schiste, qui ne pourront tirer profit de cette opération
que s’ils reçoivent d’importantes subventions des Etats au départ.
Le Fonds monétaire international (FMI) a récemment estimé le coût
que représentent les subventions énergétiques pour la communauté
mondiale à $ 5,3 billions par an (6,5 % du produit intérieur brut
(PIB) mondial)
.
Le gouvernement britannique a offert des allègements fiscaux généreux
aux entreprises de forage par fracturation, a contourné la législation
locale relative à l’aménagement du territoire et a fait adopter
un projet de loi sur les infrastructures
qui permet aux sociétés du secteur
de mener leurs activités sur des terrains sans l’accord du propriétaire
et à proximité de parcs nationaux. Par contre, les allègements fiscaux
au Royaume-Uni ont été réduits pour le solaire et les réglementations
d’urbanisme sont devenues plus strictes en ce qui concerne les fermes
éoliennes sur la terre ferme. Toutefois, les risques sont très importants
pour les investisseurs du secteur de la fracturation, car ils courent
le risque de perdre toutes les sommes avancées si l’on décide que
cette technique est incompatible avec les engagements de l’Union
européenne, du Royaume-Uni ou des Nations Unies en matière de changement
climatique.
24. Il a fallu environ 30 ans pour que les exploitants de gisements
de schiste aux Etats-Unis parviennent à produire du gaz et du pétrole
de schiste en quantités importantes. Pendant ce temps, ils ont bénéficié
d’une absence de réglementation, ce qui signifie que le coût relativement
faible de leurs produits a pu être obtenu au prix d’émissions fugitives
dans l’atmosphère, ce qui aggrave le changement climatique, et d’effets
pour le moment non mesurés sur la santé de la population locale
en raison des nuisances sonores, de l’atteinte au droit de propriété,
de la qualité de l’air au niveau local, de la possible contamination
du réseau d’approvisionnement en eau et du délestage d’eau contaminée.
25. Par ailleurs, l’Europe et les Etats-Unis ont des législations
relatives à la propriété foncière et des conditions de propriété
complètement différentes. D’un côté, les Etats-Unis ont une faible
densité de peuplement. Le propriétaire d’un terrain en possède également
le sous-sol, ce qui l’incite fortement à exploiter ses ressources.
De l’autre côté, la majeure partie de l’Europe est densément peuplée
et les négociations sont plus compliquées; l’Etat doit souvent intervenir
pour jouer le médiateur entre le propriétaire du terrain et l’entreprise
qui veut exploiter les ressources qui s’y trouvent
.
26. Il n’y a pas de raison de croire que les techniques mises
au point pour les formations de schiste aux Etats-Unis seront applicables
en Europe. Les exploitants de gisements de schiste ont par exemple
abandonné leurs tentatives d’extraire du gaz de schiste en Pologne
en raison de facteurs géologiques
hostiles: les gisements étaient trop profonds et le gaz trop difficile
à extraire.
27. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la sécurité
énergétique européenne ne peut être garantie en se fondant sur l’expérience
américaine en matière de gaz non conventionnels, à cause d’un trop grand
nombre d’incertitudes. Cela prendrait des années (entre cinq et
quinze ans) pour développer un secteur du pétrole et du gaz de schiste
commercialement viable en Europe, et les prix seraient deux fois
plus élevés qu’aux Etats-Unis en raison de la géologie locale, des
contrôles environnementaux plus stricts, des difficultés d’acceptation
par le grand public et des capacités de forage moins développées.
4.2. Dimensions
sociale, environnementale et de santé publique
28. L’une des principales sources
de préoccupation relatives à la fracturation concerne les conséquences sur
le changement climatique évoquées plus haut. La nécessité de mettre
fin à l’utilisation du charbon est évidente; pourtant, le gaz de
schiste est au moins deux fois plus nuisible que le charbon du point
de vue du changement climatique. Sans plafond mondial des émissions
de carbone, le gaz supplémentaire extrait s’ajouterait à la pollution
dégagée par les combustibles fossiles, ce qui augmenterait les émissions
et compliquerait encore davantage l’atténuation du changement climatique.
Même avec ce plafond, toute exploitation supplémentaire de combustibles
fossiles conduira à une diminution du prix du gaz, ce qui augmentera
la consommation des combustibles fossiles. Selon le Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat, le cycle de vie du
CO2 issu du gaz de schiste est deux fois
plus court que celui du charbon ou du pétrole, mais il est tout
de même plus long que celui des énergies vertes (éolienne et solaire).
29. De plus, la fracturation ne contribue pas à atteindre l’objectif
du programme Horizon 2020 de l’Union européenne d’encourager le
développement des énergies à faible teneur en carbone. Les objectifs
de l’Union en matière de climat et d’énergie sont de diminuer d’ici
à 2020 les émissions de gaz à effet de serre de 20 % par rapport
au niveau de 1990, de couvrir 20 % des besoins en énergie grâce
à des sources d’énergie renouvelable et de réduire la consommation
d’énergie de 20 %. La feuille de route pour l’énergie à l’horizon 2050
de l’Union européenne, adoptée en 2011, vise à limiter les émissions
encore davantage, pour parvenir à une baisse de 80 % à 95 % par
rapport au niveau de 1990.
30. La deuxième source d’inquiétude la plus importante est sans
aucun doute liée aux diverses incidences de la fracturation sur
l’environnement, comme la pollution de l’air et de l’eau, ainsi
que les conséquences pour l’utilisation des terrains et la biodiversité.
De grandes quantités d’eau et de déchets doivent être envoyées sur les
sites ou en dehors des sites de forage, et chaque puits de forage
nécessite jusqu’à 6 millions de gallons d’eau et produit près de
3 millions de gallons de déchets. En l’absence de conduites d’adduction,
elle doit être transportée par camion, ce qui a également des répercussions
sur la population locale. En raison de la réglementation laxiste
de ce secteur, il est fréquent que les compagnies menant des activités
de fracturation évacuent les eaux contaminées de la façon la moins
onéreuse et la plus simple, sans tenir compte des conséquences pour
la population locale, pour les installations de traitement des eaux
usées et pour l’environnement.
31. La fracturation hydraulique peut contaminer à la fois l’eau
potable de surface et souterraine avec du méthane et des produits
chimiques utilisés pour le forage
. Cependant, d’après
le rapport conjoint de la Royal Society et la Royal Academy of Engineering
du Royaume-Uni, les opérations de fracturation peuvent être effectuées
en toute sécurité dès lors que les garanties appropriées sont en
place. Il convient toutefois de noter que ce rapport n’a pas pris
en compte les répercussions de la fracturation à l’échelle industrielle
sur le changement climatique. Pour effectuer cette fracturation,
une énorme quantité d’eau est mélangée avec divers composés chimiques
toxiques pour former le fluide de fracturation. Celui-ci est ensuite
contaminé par des métaux lourds et des éléments radioactifs naturellement
présents dans le gisement de schiste. Une part importante de ce
fluide retourne à la surface. En l’absence de contrôle rigoureux,
ce fluide peut être déversé dans des fleuves et des rivières. Les
réserves d’eaux souterraines peuvent aussi en théorie être contaminées par
les éléments résultant de la fracturation, à la suite de la migration
souterraine du gaz et du fluide de fracturation
.
32. Certaines des substances chimiques utilisées pour la fracturation
sont hautement toxiques et peuvent provoquer des cancers, comme
le benzène, le toluène, le 2-butoxyéthanol (un des principaux ingrédients
de l’antigel et des agents de dispersion du pétrole) et des métaux
lourds. L’Endocrine Disruption Exchange (TEDX) a identifié 353 substances
chimiques utilisées dans le cadre de la fracturation, bon nombre
d’entre elles pouvant provoquer des cancers et d’autres graves problèmes
de santé, même à faibles doses. A l’heure actuelle, aucune réglementation
n’oblige les compagnies pétrolières à révéler la nature des additifs
chimiques qu’elles utilisent dans le processus de fracturation.
33. Les eaux souterraines sont contaminées par la fracturation
hydraulique de plusieurs manières, notamment à cause de fuites dans
les zones de stockage des liquides, des fuites dans les puits d’injection,
des fuites lors de la fracturation dans les puits défectueux ou
dans les puits abandonnés, de la pénétration dans le sol lorsque
les eaux usées et les résidus sont déversés sur le sol (à des fins
d’irrigation ou sur les routes pour éliminer la poussière ou le
givre) ou pour d’autres raisons.
34. La terre est polluée par les pluies acides, par des fuites
d’eaux usées contenant des produits chimiques qui s’infiltrent dans
le sol et par les tornades/tempêtes qui répandent les substances
chimiques dans l’environnement. Les terres subissent également une
déforestation engendrée par l’élimination des forêts pour construire
des sites de fracturation.
35. On a constaté les effets néfastes de la fracturation sur les
animaux sauvages et domestiques (destruction de leur habitat, obstacles
sur les voies migratoires d’espèces menacées et morts d’animaux
qui ont bu de l’eau polluée ou respiré de l’air pollué)
.
36. Elle comporte aussi d’autres risques, comme des tremblements
de terre, des explosions et des incendies. Il faut en outre compter
avec la pollution sonore (à cause des camions qui transportent les
eaux usées) et visuelle (à cause du grand nombre de puits creusés
en raison de la courte durée de vie d’un puits de fracturation).
37. On ne dispose que de peu de preuves d’effets particuliers
sur la santé découlant de l’exploitation des gisements de schiste
en tant que tels mais ils peuvent apparaître au fil du temps. Cependant,
toute population exposée à ce type d’activités devrait être suivie
avant et après la cessation des opérations de fracturation. Il est
difficile de déterminer dans quelle mesure les répercussions alléguées
ou observées sur la santé sont réellement imputables aux produits
chimiques utilisés lors de la fracturation ou à des activités extérieures. Certaines
des incidences annoncées sur la santé sont physiques (troubles neurologiques
aigus et à long terme, troubles de l’appareil respiratoire supérieur,
maux de tête, fatigue et nausées) et d’autres d’ordre psychologique
(défiance envers les industriels et les autorités publiques, stress,
etc.).
38. Il est important de noter qu’il est difficile de rencontrer
des personnes ayant participé à des études scientifiques et qui
apportent des preuves sur les effets sanitaires, dans la mesure
où beaucoup ont signé un accord de confidentialité avec les entreprises
du secteur de la fracturation. Plusieurs études ont néanmoins été
menées et mettent en lumière de réelles préoccupations pour la santé
humaine. Une étude récente intitulée «Towards an understanding of
the environmental and public health impacts of shale gas development:
an analysis of the peer reviewed scientific literature, 2009-2015»
(avril 2016) dresse une vue d’ensemble des recherches scientifiques
dans ce domaine. Selon l’analyse du corpus de la littérature scientifique
publiée entre 2009 et 2015, 26 études (84 %) ont formulé des conclusions
relatives à certains dangers, risques élevés, ou effets nocifs pour
la santé publique liés à l’exploitation de gaz naturel non conventionnel
et cinq études seulement (soit 16 %) concluent à l’absence de dangers
significatifs, risques élevés, ou effets nocifs pour la santé
.
39. Des études montrent que la fracturation contribue à la pollution
de l’air, car elle est source d’émission de particules. Il est établi
que cette pollution peut avoir des effets sur les femmes enceintes,
la santé du fœtus, les enfants exposés in utero à des émissions
de diesel, entraînant en particulier un QI plus faible (certaines études
indiquent environ 4 points de QI, un chiffre similaire à ceux observés
avec le plomb dans le pétrole) et les élèves des écoles primaires
qui souffrent de troubles mentaux, comme le trouble du déficit de
l’attention avec hyperactivité, l’anxiété et la dépression. La baisse
du poids de naissance des nouveau-nés à proximité des têtes de puits
s’explique davantage par les émissions de diesel autour des sites
de fracturation que par les émissions fugitives ou la contamination
des réseaux d’adduction d’eau par les produits chimiques utilisés lors
de la fracturation
.
40. Comme nous l’avons mentionné précédemment, le secteur de la
fracturation utilise une grande variété de produits chimiques pour
faciliter ses activités. Certaines de ces substances sont des «cancérigènes
de groupe I». En outre, la fracturation libère des substances radioactives
piégées dans les formations rocheuses comme le gaz radon, c’est
pourquoi les déchets issus de cette méthode doivent être déposés
dans des usines de traitement spécifiques adaptées aux déchets radioactifs.
Cela signifie que tous les produits chimiques utilisés par les entreprises
qui réalisent des forages par fracturation devraient avoir un profil
relatif à leurs effets sur la santé présentant une justification
valable de l’utilisation de produits chimiques à potentiel cancérigène.
41. Outre ses effets sur l’environnement et sur la santé, la fracturation
provoque également des dégâts sur les biens et des pertes de leur
valeur. Les personnes défavorisées sont plus exposées à la pollution
provenant de la fracturation.
5. Enseignements
à tirer de l’expérience des Etats-Unis
42. L’expérience dont nous disposons
en matière de fracturation provient principalement des Etats-Unis,
où ces techniques d’extraction ont commencé à voir le jour en 1970.
Le gaz de schiste représente 67 % de la production de gaz naturel
du pays
.
43. Aux Etats-Unis, le secteur de l’extraction a bénéficié d’exemptions
concernant les réglementations les plus importantes en matière d’environnement.
Par conséquent, l’Agence américaine de protection de l’environnement
(EPA) n’a pas été mandatée pour réaliser un contrôle de routine
de l’exploitation du gaz ou du pétrole de schiste. Cela a donc donné
lieu à un débat virulent sur l’importance de la quantité de méthane libéré
par les activités de fracturation aux Etats-Unis. Le problème vient
en partie du fait que les estimations de l’EPA se fondent sur un
contrôle très limité, mené principalement autour des sites de fracturation,
ce qui implique que l’évaluation ne tient probablement pas compte
des émissions plus importantes provenant des compresseurs, des zones
de stockage, des conduites vétustes et des installations mal gérées.
De plus, aucune étude officielle aux Etats-Unis n’a pris en compte
les énormes émissions de méthane provoquées par l’explosion d’Aliso
Canyon en Californie, qui a libéré des quantités de méthane prodigieuses
d’un réservoir de gaz, équivalentes aux émissions annuelles d’un
champ comme celui des schistes de Barnett.
44. L’expérience des Etats-Unis montre clairement les conséquences
auxquelles on s’expose quand on laisse un secteur des combustibles
fossiles s’autoréguler. Le secteur du pétrole et du gaz est protégé
par des lois votées au Congrès pour lui permettre de ne pas respecter
la réglementation fédérale en matière d’environnement (comme la
loi sur la protection de l’air, la loi sur la propreté de l’eau
et la loi sur une eau potable de qualité). Ainsi, la fracturation
est principalement régie par des réglementations adoptées au niveau des
Etats. Le secteur du gaz et du pétrole réduit des personnes au silence
en leur faisant signer des clauses de non-divulgation pour éviter
qu’elles ne s’expriment au sujet des problèmes potentiels que pose
la fracturation en matière d’environnement et de santé.
45. Il y a un manque global de transparence en ce qui concerne
les substances chimiques utilisées par le secteur, et on ne recense
que peu ou pas d’études sur l’impact de la fracturation sur la santé
et sur l’environnement
.
L’évaluation de l’impact environnemental réalisée par l’Etat de
New York a conduit à l’interdiction de la fracturation sur le territoire
de celui-ci
. Il n’existe pas de réglementation
définissant des quotas d’émissions de composés organiques, portant
sur la gestion des déchets ou régissant les produits chimiques utilisés
pour la fracturation. Une étude très récente réalisée par Harvard
fait état d’une augmentation de 30 % des émissions de méthane aux
Etats-Unis depuis 2002, ce qui représente entre 30 % et 60 % de l’augmentation
du méthane dans l’atmosphère constatée dans le monde au cours de
la même période
. L’exploitation des gisements de
schiste est l’explication la plus probable pour ces observations.
46. Aux Etats-Unis, la fracturation, et en particulier les fuites
dont elle est à l’origine, aggravent les difficultés liées à l’eau
et au changement climatique, provoquant ainsi de graves problèmes
de santé publique concernant la qualité de l’air et de l’eau potable.
Des enquêtes sur le terrain ont fait état d’un taux de 6 % à 9 %
de puits peu ou non productifs et établi une liste de 243 cas dans
lesquels des sociétés d’exploitation du schiste ont contaminé des
ressources privées en eau potable entre 2008-2014. En cas de pollution
par accident, les amendes ne suffisent pas pour avoir un effet dissuasif,
et les contrevenants à la réglementation ne se voient souvent même
pas infliger d’amende
. De plus, la charge de la preuve incombe
à la population locale et non aux entreprises du secteur pétrolier
et gazier.
47. Les sociétés qui utilisent la méthode de fracturation ont
eu recours au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs
et Etats prévu par les accords de libre-échange permettant d’assigner
les Etats devant des tribunaux d’arbitrage si ceux-ci utilisent
la protection de l’environnement pour faire peser une contrainte
sur les bénéfices de l’industrie. Ainsi, Lone Pine a intenté une
action en réparation contre l’Etat canadien pour un montant de $ 250 millions en
raison du moratoire adopté au Québec contre la fracturation, et
TransCanada fait de même contre l’Etat américain et lui réclame
$ 15 milliards en raison de l’interruption de la conduite de sables
pétrolifères entre le Canada et les Etats-Unis. Par conséquent,
il est important que les accords commerciaux conclus par l’Union
européenne, en particulier avec les Etats-Unis (Partenariat transatlantique
de commerce et d’investissement (TTIP) et l’Accord sur le commerce
des services (TISA)) et le Canada (Accord économique et commercial
global (CETA)) soient rédigés de façon à permettre aux pays européens
de préserver librement et équitablement leur environnement des incidences
néfastes de la fracturation.
6. La
situation en Europe
48. L’Europe manque encore d’expérience
en matière de fracturation hydraulique. Néanmoins, on peut considérer
qu’il s’agit d’une tendance émergente, puisque beaucoup estiment
qu’elle pourrait résoudre deux problèmes pressants: la croissance
de la demande énergétique et la dépendance aux importations de gaz. Comme
nous l’avons indiqué plus haut, la fracturation s’accompagne de
nombreux risques, qu’une réglementation et des cadres de mise en
œuvre adaptés pourraient contribuer à limiter.
49. Dans le document «Conclusions sur l’énergie» (4 février 2011),
le Conseil de l’Union européenne a fait la proposition suivante:
«Afin de renforcer la sécurité de l’approvisionnement de l’UE, il
conviendrait d’évaluer le potentiel dont dispose l’Europe en matière
d’extraction et d’utilisation durables de ressources en combustibles
fossiles conventionnels et non conventionnels (gaz de schistes et
schiste bitumineux)»
.
Le 25 septembre 2012, le Parlement européen a publié un rapport
sur les incidences sur l’environnement des activités d’extraction
de gaz de schiste et de schiste bitumineux (2011/2308(INI)). Aux
termes de la Directive sur l’évaluation des incidences sur l’environnement
(Directive EIE)
, les projets d’extraction de
gaz naturel prévoyant un volume supérieur à 500 m3/jour
font obligatoirement l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement.
Cependant, la quantité moyenne de gaz de schiste extraite grâce
à la fracturation reste la plupart du temps inférieure à ce seuil.
50. Les menaces que fait peser la fracturation sur l’environnement
et sur la santé ont donné lieu à un débat au Parlement européen
sur la nécessité d’imposer une EIE à tous les projets ayant recours
à la technique de la fracturation. En octobre 2013, le Parlement
européen a adopté une modification de la Directive EIE selon laquelle
les activités de fracturation doivent faire l’objet d’une EIE obligatoire,
quel que soit le volume de gaz extrait. Cependant, le Conseil n’a
pas approuvé cette proposition de modification. Ainsi, la modification
la plus récente de la Directive EIE ne change pas la législation
sur la fracturation. Par conséquent, le 22 janvier 2014, la Commission
européenne a formulé une recommandation
sur
les principes minimaux nécessaires lorsque les Etats appliquent
leur réglementation sur la fracturation. Ce type de recommandations
ne lie pas les Etats membres, qui ont la capacité de ne pas suivre
les propositions de la Commission. Il y a quelques mois, une proposition
de résolution sur la sécurité énergétique a été rejetée par le Parlement
européen parce qu’elle faisait référence à un gaz non conventionnel
.
51. A l’heure actuelle, la fracturation est interdite en Allemagne,
en France, aux Pays-Bas, en Ecosse et en Bulgarie. Elle est autorisée
au Danemark, en Angleterre, en Hongrie, en Lituanie, en Pologne,
en Suède et en Ukraine. L’Autriche applique des lois restrictives.
Six pays européens examinent actuellement l’option de la fracturation,
dont l’Allemagne.
52. Au Royaume-Uni, la société de forage Cuadrilla Resources a
annoncé avoir découvert d’importants gisements sur son site près
de Blackpool. Elle prétendait que ce seul site représentait 5 billions
de mètres cubes de gaz (dix fois plus que les estimations des Etats-Unis
pour l’ensemble du Royaume-Uni). En 2011, son exploitation a été
suspendue après avoir provoqué des secousses sismiques. Les autorités
ont décidé d’un moratoire sur la fracturation, pour une durée de
18 mois. Un rapport rendu en avril 2012 par les conseillers du Gouvernement
britannique a donné le feu vert à la poursuite du projet de fracturation,
bien que le lien y soit établi entre le processus de forage et les
tremblements de terre. En 2015, le gouvernement apportait son soutien
à la fracturation, alors que les autorités locales étaient réticentes
à délivrer les autorisations nécessaires. L’Ecosse a décidé d’un
moratoire sur cette technique, et le Pays de Galles a rendu impossible l’obtention
d’un permis en raison d’une réglementation stricte en matière d’aménagement
du territoire.
53. Selon le rapport de l’Agence américaine d’information sur
l’énergie publié en 2011, la Pologne disposait de gisements de gaz
de schiste de 187 billions de mètres cubes techniquement accessibles
. Toutefois, en 2012,
une étude de l’Institut géologique polonais a montré que les conclusions
de ce rapport étaient trop optimistes, car les ressources en gaz
de schiste potentiellement extractibles de la Pologne ne semblaient
pas dépasser 768 milliards de mètres cubes (soit entre 85 % et 95 %
de moins que les estimations de l’EIA américaine). Plusieurs protestations
et un mauvais rendement des puits dû à des raisons géologiques ont incité
les investisseurs étrangers à abandonner. L’annonce optimiste lancée
en 2011 par le Premier ministre de l’époque, qui voyait le forage
commencer en 2014, a été suivie d’une déclaration plus sobre du
ministère de l’Environnement, insistant sur la nécessité d’être
plus patient. Les multinationales qui avaient investi en Pologne
se sont retirées progressivement, Chevron étant la dernière compagnie
à partir en 2015. Aucun des puits forés jusqu’à fin 2015 n’a pu
donner lieu à une exploitation commerciale. A l’heure actuelle,
l’utilisation de la fracturation en Pologne a été suspendue.
54. En France, la fracturation a été interdite par une loi adoptée
en 2011. En 2014, un rapport d’experts a été rendu sur l’expérimentation
d’une technologie d’exploitation reposant sur le fluoropropane,
qui serait une solution de remplacement plus propre que la fracturation.
Cependant, le gouvernement n’a jamais donné son accord pour la mettre
en œuvre.
55. En Allemagne, des rapports de l’Institut fédéral pour les
géosciences et les ressources naturelles (BGR) indiquent que les
réserves de gaz de schiste sont bien plus importantes que celles
de gaz conventionnel, en particulier dans le nord du pays. En 2014,
le Gouvernement allemand a annoncé l’examen d’une loi interdisant la
production de gaz de schiste à des fins commerciales, ce que l’on
peut considérer comme un moratoire de fait. En avril 2015, un ensemble
de mesures législatives a été adopté pour limiter l’exploitation
des combustibles conventionnels et non conventionnels.
56. En Bulgarie, un moratoire est appliqué. En Autriche, la législation
est très restrictive, de sorte qu’il est de fait impossible d’effectuer
un forage par fracturation.
57. Par conséquent, étant donné la position intermédiaire adoptée
par la Commission européenne et les approches fermes et divergentes
des pays européens en ce qui concerne la réglementation de l’exploitation des
gaz de schiste, on peut en conclure que l’Europe est largement divisée
face à la révolution que représentent les gaz de schiste.
7. Conclusions
et recommandations
58. Au cours des dix dernières
années, la technique de la fracturation hydraulique a été utilisée
aux Etats-Unis pour l’exploitation commerciale du gaz de schiste.
En Europe, alors que les partisans de cette méthode mettent en avant
ses bénéfices potentiels en matière de sécurité énergétique, de
prix, d’emploi et de revenus, ses détracteurs soulignent les expériences
négatives et les risques pour l’environnement et la santé publique.
59. Le secteur des énergies fossiles doit désormais composer avec
un budget carbone très limité, et il serait donc préférable de ne
pas gaspiller de ressources financières en explorant de nouveaux
gisements de combustibles fossiles qu’il est impossible de mettre
à profit si le monde veut maintenir son cap de 2°C, et a fortiori de 1,5°C, de réchauffement
climatique. Les Etats membres devraient donc s’abstenir d’adopter
des politiques énergétiques qui pourraient entraver la réalisation
de leur objectif, qui est de réduire autant que possible les répercussions
du changement climatique.
60. Il conviendrait plutôt de concentrer des ressources et du
temps au développement des énergies renouvelables qui sont en train
de prendre une place centrale dans le bouquet énergétique, notamment l’énergie
solaire, éolienne, hydraulique, géothermique, marémotrice et biomasse,
ainsi qu’à la réduction de la consommation d’énergie et la recherche
de plus d’autonomie sur le plan énergétique. La consommation d’énergie
doit être dissociée de la croissance économique et démographique,
et une approche intégrée de la diversification des énergies doit
être adoptée, prenant en compte les ménages, les transports et l’industrie
. Il
est important de redoubler d’efforts sur un plan paneuropéen, afin
que les énergies renouvelables comme l’énergie solaire ou l’énergie
éolienne dans différents pays contribuent à atténuer les fluctuations
de l’approvisionnement en énergie qui résultent de l’utilisation
régionale d’une source d’énergie renouvelable isolée.
61. L’Europe a le choix entre se fourvoyer dans une exploitation
encore plus importante de combustible fossile ou prendre le leadership
mondial dans le secteur de la technologie renouvelable et de la
coopération. Si l’on veut que le monde en développement obtienne
sa juste part de consommation énergique, il faut que les économies
développées l’aident à se doter des technologies nécessaires pour
les énergies renouvelables afin d’éviter les effets associés du
changement climatique, par exemple en étendant les réseaux de forêts
solaires dans toute l’Europe du sud et l’Afrique du nord et en privilégiant
la capture du carbone. Le temps et les ressources sont limités,
c’est pourquoi il faut absolument se concentrer sur les meilleures
solutions en termes de durabilité.
62. Par ailleurs, les données satellitaires qui nous parviennent
concernant les effets sur le changement climatique de l’utilisation
de la fracturation aux Etats-Unis et les préoccupations environnementales
devraient conduire à une suspension des activités de fracturation
par l’application du principe de précaution. Face aux dégâts graves
ou irréversibles qui risquent d’être provoqués, l’absence de preuves
scientifiques irréfutables ne doit pas servir de prétexte pour remettre
à plus tard l’adoption de mesures rentables visant à prévenir la dégradation
de l’environnement. Il conviendrait d’engager des études indépendantes
sur les risques associés à l’exploration et à l’exploitation des
hydrocarbures non conventionnels.
63. Il est peu probable que le pétrole et le gaz non conventionnels
changent véritablement la donne en Europe, essentiellement en raison
de leur faible viabilité économique et de leurs répercussions sur l’environnement.
Il est nécessaire que chaque pays et chaque région fassent une évaluation
de ses spécificités, besoins et perspectives au niveau local en
matière d’approvisionnement en énergie à court et à long terme.
Pour les pays qui souhaiteraient poursuivre ou initier une pratique
de ce type, il convient tout d’abord de veiller à ce que la taille
de l’exploitation autorisée ayant recours à la fracturation corresponde
à leurs objectifs d’émissions de gaz à effet de serre convenus lors
de la COP21 à Paris.
64. En résumé, j’estime que l’Assemblée devrait appeler instamment
tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à clarifier et renforcer
leur législation en faveur de solutions énergétiques plus propres.
Dans l’attente d’une éventuelle interdiction de la fracturation,
les Etats membres devraient limiter et contrôler l’exploration et l’exploitation
d’hydrocarbures non conventionnels en adoptant des règles environnementales
strictes.
65. En outre, en vue de protéger la santé publique et l’environnement
au niveau local, un certain nombre de conditions fondamentales doivent
être remplies:
- adoption de
réglementations garantissant la transparence, l’obligation de réaliser
une évaluation des incidences sur l’environnement pour tout projet
de fracturation et l’obligation pour les sociétés industrielles
de respecter toutes les règles environnementales;
- transparence quant aux substances chimiques utilisées
au cours du processus (nature et quantité des produits);
- poursuites pénales effectives à l’encontre des individus
et des entreprises qui ne respectent pas la réglementation, pouvant
conduire à une indemnisation en cas de dégâts causés à l’environnement;
- obligation pour les entreprises de mettre au point des
techniques de forage plus sûres et plus respectueuses de l’environnement.
66. Il est possible de mettre au point de meilleures techniques
de forage qui pourraient rendre la fracturation plus respectueuse
de l’environnement. Au lieu d’être libérée dans l’atmosphère, une
partie du méthane et du CO2 pourrait être
captée et vendue sur les marchés pour réduire la quantité de gaz
libérée dans la nature. Cette technique est appelée «green completion».
C’est un procédé malheureusement trop rarement utilisé car il prend
beaucoup de temps.
67. Les Etats membres doivent protéger les zones qui ont une grande
valeur environnementale et culturelle, comme les parcs nationaux,
face aux opérations de forage.
68. Les accords commerciaux conclus par l’Union européenne, notamment
le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement et
l’Accord économique et commercial global, doivent être rédigés de
façon à permettre aux pays européens de préserver librement et équitablement
leur environnement et de remplir leurs obligations résultant de
la COP21, sans dispositions spéciales pour les investisseurs, y
compris ceux qui opèrent dans l’extraction non-conventionnelle d’hydrocarbure,
leur permettant de passer outre leurs responsabilités environnementales.