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Rapport | Doc. 14219 | 14 décembre 2016

Les accords commerciaux de «nouvelle génération» et leurs implications pour les droits sociaux, la santé publique et le développement durable

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Geraint DAVIES, Royaume-Uni, SOC

Origine - Renvois en commission: Doc. 14085, Renvoi 4223 du 24 juin 2016. 2017 - Première partie de session

Résumé

Les grandes nations commerciales du monde se tournent vers des accords commerciaux régionaux et bilatéraux d’un nouveau type. Pour l’Europe, il s’agit notamment de l’AECG entre l’Union européenne et le Canada et du PTCI entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique. Ces deux accords commerciaux n’ont pas été négociés de façon transparente, ni soumis à l’examen critique des parlementaires et du public.

Les accords pourraient renforcer les relations commerciales existantes entre l’Union européenne, le Canada et les Etats-Unis, avec des avantages économiques qui pourraient en découler des deux côtés de l’Atlantique. Cependant, les gains globaux pourraient être relativement faibles et ne seront pas distribués équitablement. Le rapport appelle les négociateurs de l’Union européenne à évaluer adéquatement les impacts potentiels et à s’assurer que ces accords n’habilitent pas les intérêts corporatistes du commerce en vue de les faire prévaloir sur les politiques de protection de l’environnement, la sécurité alimentaire et les droits sociaux.

Le rapport met ainsi en avant une série de recommandations à l’attention des négociateurs de l’Union européenne concernant les dispositions du système juridictionnel d’investissements, les objectifs de la politique climatique, l’évasion et l’évitement fiscaux au niveau international, et les normes en matière de santé, de sécurité alimentaire, de protection de l’environnement et de droits sociaux, ainsi que la pleine réciprocité relative à l’ouverture de marchés publics. Enfin, le rapport appelle à ce que les négociations en cours soient ouvertes au contrôle accru des parlementaires aux niveaux européen et national.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 30 novembre
2016.

(open)
1. L’Organisation mondiale du commerce n’a pas conclu le dernier cycle de négociations de Doha et les grandes nations commerciales du monde ont entamé des négociations en vue d’accords commerciaux régionaux et bilatéraux d’un nouveau genre. Pour l’Europe, il s’agit notamment de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre l’Union européenne et le Canada et du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique. L’Accord Provisoire de l’AECG a été signé par les deux parties et ses dispositions relevant de la compétence de l’Union européenne s’appliquent déjà dans l’Union européenne. Cependant, si l’affaire concernant le futur accord commercial de Singapour–Union européenne est ainsi tranchée dans des domaines de compétences partagées, cela pourrait nécessiter une approbation ultérieure par les parlements des Etats membres de l’Union européenne.
2. L’AECG fait office de modèle pour le PTCI qui est encore en cours de négociation. La progression du PTCI pourrait dépendre de l’éventuelle réticence du Président élu Donald Trump à voir les Etats-Unis y donner suite. La caractéristique essentielle de ces accords n’est pas la suppression des barrières tarifaires déjà peu élevées qui procurerait des gains économiques. Au contraire, les accords introduisent une coopération en matière de réglementation, l’harmonisation des normes et, ce qui est particulièrement controversé, de nouveaux pouvoirs pour les sociétés transnationales de recourir à des tribunaux d’arbitrage pour poursuivre les Etats membres pour les lois qu’ils adoptent qui pourraient entraver de futurs profits par l’intermédiaire d’un système juridictionnel des investissements (SJI, le successeur du mécanisme de règlement des différends entre Etats et investisseurs RDIE).
3. Ces deux accords commerciaux n’ont pas été négociés de façon transparente et n’ont pas été soumis à l’examen critique des parlementaires et du public. Certaines fuites sur la teneur des négociations ont toutefois suscité de nombreuses inquiétudes, notamment en Europe. Les accords peuvent contribuer à renforcer les relations commerciales existantes entre l’Union européenne, le Canada et les Etats-Unis, et parmi les avantages économiques qui pourraient en découler des deux côtés de l’Atlantique, citons une croissance annuelle du produit intérieur brut, la création de nouveaux emplois et une offre plus diversifiée de biens et de services à des prix inférieurs. Cependant, les gains globaux pourraient être relativement faibles et les retombées économiques ne seront pas distribuées équitablement, instaurant ainsi des gagnants et des perdants. Donc, la répartition potentiellement inégale des retombées globales potentielles au sein de la société européenne doit être évaluée.
4. De plus, les négociateurs doivent aussi garantir que d’autres coûts fondamentaux et conflits ne soient pas engendrés par ces accords. En particulier, les accords ne devraient pas habiliter les intérêts corporatistes du commerce en vue de les faire prévaloir sur les politiques publiques de protection de l’environnement, la sécurité alimentaire et les droits sociaux.
5. La proposition d’un SJI introduit un nouveau système judiciaire qui permet aux investisseurs de poursuivre en justice les gouvernements devant des tribunaux d’arbitrage privés pour les profits qu’ils peuvent ne pas réaliser en raison des lois passées pour protéger le citoyen – y compris la protection de l’environnement, la santé publique et les droits au travail. Ces nouvelles prérogatives d’investisseur ne sont pas nécessaires étant donné que les investisseurs sont déjà protégés par le droit public et du marché existant dans l’Union européenne, au Canada et aux Etats-Unis. S’il n’est pas supprimé de l’AECG et du PTCI, le SJI octroiera des pouvoirs dans le chapitre sur l'investissement de ces accords pour les faire prévaloir sur d’autres considérations d’intérêt public, y compris la protection de l’environnement et la santé publique. Donc, les dispositions du SJI devraient être supprimées de l’AECG et du PTCI.
6. De plus, on relève une inquiétude généralisée au sujet de l’impact de la coopération en matière de réglementation de ces accords commerciaux de «nouvelle génération». Ainsi l’Assemblée parlementaire considère qu’il est nécessaire de mener des études indépendantes au sujet des répercussions éventuelles du SJI et de la coopération en matière réglementaire prévue par l’AECG et le PTCI. Elles devraient examiner les répercussions éventuelles en matière de pollution de l’air et de l’eau, d’émissions de gaz à effet de serre, de sécurité alimentaire, de protection des consommateurs et des travailleurs et de viabilité du système public de santé, ainsi qu’en matière de déréglementation et de libéralisation des services publics dans le cadre des modifications des dispositions relatives à la passation de marchés publics.
7. Les accords ne devraient pas inclure de pouvoirs que les investisseurs feraient prévaloir sur les impératifs environnementaux, démocratiques et relatifs aux droits humains. L’Assemblée parlementaire appelle donc les négociateurs de l’Union européenne à rester fermes dans leur détermination à protéger et promouvoir les intérêts des citoyens européens et être extrêmement attentifs au libellé précis des dispositions relatives à l’environnement, à la sécurité alimentaire, à la santé publique, aux droits humains et à la protection des consommateurs, de manière:
7.1. à veiller à ce que les dispositions des accords commerciaux de «nouvelle génération» soient pleinement en cohérence et en synergie avec les objectifs de la politique climatique, à savoir l’Accord de Paris sur les changements climatiques conclu en 2015 et qu’elles n’incluent pas de pouvoirs que les investisseurs feraient prévaloir sur les impératifs environnementaux;
7.2. à s’assurer que ces accords favorisent un système de commerce équitable et éthique et épousent à terme les stratégies de lutte contre l’évasion et l’évitement fiscaux au niveau international, et notamment contre l’utilisation par des multinationales de sociétés-écrans dans des juridictions offshore;
7.3. à veiller à ce que toutes les parties soient à même de maintenir leurs normes au niveau le plus élevé en matière de santé, de sécurité alimentaire, de protection de l’environnement et de droits sociaux. La reconnaissance mutuelle des normes, à des fins d’harmonisation, ne devrait s’appliquer que dans les cas où les tests d’équivalence en matière de sécurité sont pleinement satisfaisants. A défaut, le maintien des normes européennes élevées doit être assuré, notamment:
7.3.1. en s’assurant que le texte de tout accord mette expressément l’accent sur l’application du principe de précaution dans l’élaboration des réglementations de manière à limiter les risques sociaux, pour la santé et l’environnement et à optimiser les avantages publics de ces accords;
7.3.2. en conservant la réglementation sur les essais cliniques qui oblige les entreprises à publier tous les rapports d’essais cliniques pour les médicaments autorisés sur le marché de l’Union européenne et en garantissant aux lanceurs d’alerte une protection appropriée;
7.3.3. en prévoyant des garanties solides au chapitre des droits sociaux, indiquant expressément l’obligation faite aux parties de respecter et d’appliquer effectivement les normes inscrites dans les conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail;
7.4. à garantir la pleine réciprocité concernant l’ouverture de marchés publics à la concurrence extérieure, y compris au niveau infranational dans les cas d’Etats fédéraux;
7.5. à établir un système pour permettre à certains pays et régions d’avoir de nouvelles indications géographiques protégées.
8. Les accords commerciaux de «nouvelle génération» devraient être destinés à la promotion d’un environnement durable, des droits humains et de l’Etat de droit démocratique, ainsi qu’à faciliter les avantages mutuels du commerce. Pour restaurer la confiance du public dans les accords commerciaux de «nouvelle génération», en tant que projets pour l’avenir du commerce mondial, l’Assemblée appelle les Etats membres à ouvrir, dans la mesure du possible, les négociations en cours au contrôle des représentants démocratiquement élus aux niveaux européen et national et à s’assurer que ces accords soient soumis à la ratification des parlements nationaux dès lors qu’ils traitent de compétences partagées.

B. Exposé des motifs, par M. Geraint Davies, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le 13 juin 2016, avec d’autres membres de l’Assemblée parlementaire, j’ai déposé une proposition de résolution intitulée «Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) – implications pour les droits sociaux, la santé publique et le développement durable» (Doc. 14085). Dans cette proposition, nous demandions à l’Assemblée d’évaluer le risque que représenterait l’abaissement des normes européennes en matière sociale, sanitaire et environnementale qui résulterait de la conclusion de l’accord de partenariat. Le 24 juin 2016, la proposition a été renvoyée pour rapport à la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, qui m’a désigné rapporteur.
2. Le PTCI est un accord commercial entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Union européenne qui vise à accroître la libéralisation du marché et à supprimer les entraves économiques au commerce 
			(2) 
			Commission européenne,
«The Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) – TTIP
explained» (le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement
(PTCI) – le PTCI expliqué), <a href='http://trade.ec.europa.eu/'>http://trade.ec.europa.eu/</a>.. Il créerait l’une des plus solides alliances en matière d’économie et d’investissement et a l’ambition de fixer des règles globales dans le secteur du commerce international en instaurant une zone de libre-échange, en encourageant et en facilitant les investissements et en adaptant les législations nationales et européenne. Un accord similaire a également été négocié et signé entre l’Union européenne et le Canada: il s’agit de l’Accord économique et commercial global (AECG) qui contient un certain nombre de dispositions qui font office de modèles pour le PTCI, y compris les chapitres sur la protection de l’investissement et sur le développement durable. Les points évoqués ci-dessous s’appliquent à la fois à l’AECG et au PTCI.
3. Le PTCI dépasse le cadre des accords commerciaux traditionnels car il contient un élément important de «coopération en matière de réglementation». Il vise à optimiser la coopération y afférente entre les deux plus grands marchés intérieurs dans le monde en harmonisant leurs procédures de réglementation et en établissant un espace unique de marchés et d’investissements publics 
			(3) 
			Association des universités
européennes (EUA), Communication sur le PTCI et l’ACS, 30 janvier
2015.. L’accord empiétera sur de nombreux secteurs de politique publique, notamment la protection de l’environnement, la santé publique et les droits sociaux.
4. Les négociations du PTCI ont été lancées en 2013, après que les ministres de l’Union européenne chargés du commerce eurent donné mandat à la Commission européenne de négocier avec les Etats-Unis au nom de l’Union européenne. Cet accord est toujours dans sa phase de négociation; initialement, il devait être conclu à la fin de 2016. D’après les informations les plus récentes, les parties n’avaient réussi à trouver un consensus sur aucun des 27 articles de l’accord. Compte tenu du changement de présidence aux Etats-Unis, le PTCI risque de ne plus figurer au rang des priorités de la nouvelle administration américaine. Un répit forcé dans le processus de négociations intenses nous permet d’examiner plus attentivement les problèmes soulevés par l’accord – que ce soit dans le PTCI, l’AECG ou tout autre accord commercial de «nouvelle génération» 
			(4) 
			La commission a par
la suite modifié le titre du rapport de façon à mieux refléter ceci. – et de considérer s’il est opportun d’y avoir recours pour promouvoir plutôt que mettre en péril le développement durable, la santé publique et l’Etat de droit démocratique.
5. L’AECG et le PTCI notamment octroient de nouveaux pouvoirs pour les sociétés transnationales de poursuivre les Etats membres de l’Union européenne via des tribunaux d’arbitrage siégeant à huis clos en dehors du champ d’application du droit public. Les gouvernements deviennent passibles de l’obligation d’indemniser les investisseurs du fait des lois qu’ils adoptent afin de protéger l’environnement, la santé publique et les droits au travail, en raison des entraves en termes de futurs profits. De tels pouvoirs punissent ou intimident ainsi les démocraties quant à l’adoption de telles lois.

2. Analyse économique: aperçu

«Ce qui compte ne peut pas toujours être compté, et ce qui peut être compté ne compte pas forcément.» Albert Einstein

6. Selon les prévisions de la Commission européenne, le PTCI dynamiserait considérablement le commerce entre les deux partenaires, en offrant de nouvelles perspectives commerciales, en renforçant la croissance économique et, à terme, en créant des emplois. La baisse des prix et la diversité accrue des produits disponibles contribueraient aussi à la prospérité de plus de 800 millions de citoyens de l’Union européenne et des Etats-Unis. Selon une étude menée pour la Commission européenne, le PTCI serait profitable à l’économie de l’Union européenne dont le produit intérieur brut (PIB) augmenterait de 0,5 % 
			(5) 
			Site
web de la Commission européenne, <a href='http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ttip/about-ttip/questions-and-answers/'>http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ttip/about-ttip/questions-and-answers/</a>.. Cela equivaudrait approximativement au prix d’un café par personne par semaine, mais ne sera pas équitablement distribué. On estime que les secteurs auxquels l’accord profiterait le plus sont les secteurs de la métallurgie, des aliments transformés, des produits chimiques, des équipements de transport, de l’industrie automobile, etc 
			(6) 
			Partenariat
transatlantique de commerce et d’investissement, Coup de projecteur
sur l’analyse économique, <a href='http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2013/september/tradoc_151787.pdf'>http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2013/september/tradoc_151787.pdf</a>..
7. Cette étude a été réalisée par The Centre for Economic Policy Research, à partir d’un modèle de l’économie mondiale, en tenant compte d’un certain nombre de restrictions. Il importe de comprendre que l’étude émet certaines hypothèses à propos de l’accord. Les calculs qui aboutissent à l’augmentation de 0,5 % s’appuient sur le scénario le plus favorable, lequel suppose la suppression des barrières tarifaires, une réduction de 25 % des barrières non tarifaires et une réduction de 50 % des entraves aux marchés publics.
8. Les retombées globales pour l’économie européenne se traduiraient par une augmentation de sa productivité: du fait d’une concurrence accrue, les entreprises devront gagner en efficacité. Cela pourrait toutefois avoir des conséquences dramatiques pour les petites entreprises qui ne seraient pas capables de suivre la cadence de la concurrence.
9. En fait, l’analyse de la Commission ne prend pas en considération la répartition des gains économiques. Aucune analyse ne confirme l’hypothèse d’une répartition équitable des gains du PTCI. Il est beaucoup plus probable que les gains économiques seraient concentrés entre les mains d’une petite fraction de la société, tandis que pour la majorité des Européens les gains seraient minimes ou inexistants 
			(7) 
			Ferdi De Ville et Gabriel
Siles-Brugge, «TTIP: The Truth about the Transatlantic Trade and
Investment Partnership», <a href='http://www.polity.co.uk/book.asp?ref=9781509501014'>www.polity.co.uk/book.asp?ref=9781509501014.</a>.
10. En termes d’emploi, l’étude ne permet pas de quantifier le nombre d’emplois qui seraient créés dans la mesure où les modèles d’accords de libre-échange sur lesquels elle s’appuie n’ont pas d’incidence sur l’emploi. D’après les calculs réalisés par la Commission européenne, le nombre d’emplois créés dans les secteurs exportateurs de l’Union européenne pourrait se chiffrer en millions. Cette estimation se fonde sur l’hypothèse générale selon laquelle l’augmentation de la production requiert plus de main d’œuvre dans un secteur spécifique, ce qui aura une incidence positive sur les salaires 
			(8) 
			Jacques Pelkmans et
Arjan Lejour, «The Impact of TTIP: the underlying economic model
and comparisons», octobre 2014, <a href='https://www.ceps.eu/system/files/'>https://www.ceps.eu/system/files/</a>..
11. S’ils veulent pouvoir prendre des décisions rationnelles, les négociateurs devraient également tenir compte de la disparition potentielle de milliers de petites entreprises: selon certaines études, le PTCI pourrait entraîner la perte d’au moins 680 000 emplois dans toute l’Europe, étant donné que les petites et moyennes entreprises seraient incapables de faire face à la concurrence des sociétés américaines 
			(9) 
			Mark
Dearn et John Hilary, «Rough trade. The threat of TTIP to small
businesses in the UK», janvier 2016.. Il conviendrait également de prendre en considération le coût de l’accompagnement des travailleurs dans leur transition vers les nouveaux secteurs à l’aide de l’apprentissage tout au long de la vie et d’autres programmes de flexibilité sur le marché du travail.
12. Il reste primordial de porter un regard critique sur les hypothèses évoquées et de les confronter à d’autres points de vue. Par exemple, l’hypothèse selon laquelle la société dans son ensemble profiterait d’une offre accrue de produits (aliments transformés compris) moins onéreux n’est plus aussi évidente si l’on tient compte de certains faits. Les études menées après la conclusion de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ont montré que la hausse des importations d’aliments transformés a entraîné une augmentation des taux d’obésité et de diabète et une détérioration générale de la santé publique au Mexique 
			(10) 
			Sarah
E. Clark et Corinna Hawkes, «Exporting Obesity, How U.S. farm and
trade policy is transforming the Mexican food environment», 5 avril
2012.. Les négociateurs devraient examiner les coûts liés à la mise en place de contre-mesures comme les indications relatives à la santé, les restrictions en matière de publicité ou les taxes sur les produits alimentaires malsains.
13. De plus, le coût d’imposition de contre-mesures telles que l’étiquetage-santé des produits, les restrictions de la publicité ou les taxes sur des aliments nuisibles pour la santé pourrait être multiplié par des investisseurs poursuivant les gouvernements pour l’introduction de telles protections et imposant de ce fait des restrictions à leurs profits. L’AECG et le PTCI mettent en place de nouveaux pouvoirs permettant à des sociétés transnationales de poursuivre les gouvernements via des tribunaux d’arbitrage siégeant à huis clos – un système judiciaire d’investisseurs (SJI), dont le prédécesseur est le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (RDIE). Ainsi, des sociétés pourront mettre sur le marché des produits qui favorisent le diabète et poursuivre en justice par la suite les gouvernements qui protègent le public des atteintes à la santé que ces entreprises engendrent. C’est pour cette raison que le SJI devrait être exclu de l’AECG et du PTCI parce que des investisseurs sont déjà protégés par le droit public et du marché, et il n’y a donc pas de justification à ces pouvoirs dans les circonstances données.
14. Par ailleurs, d’autres coûts imprévus pourraient s’ajouter au cas par cas selon les termes exacts de certaines questions sectorielles. Par exemple, si l’impact environnemental a été correctement évalué pour ce qui est des émissions de CO2, un certain nombre d’aspects environnementaux autres que les changements climatiques n’ont pas été pris en compte par le modèle qui a servi à l’évaluation 
			(11) 
			Jacques Pelkmans et
Arjan Lejour, «The Impact of TTIP: the underlying economic model
and comparisons», octobre 2014, <a href='https://www.ceps.eu/system/files/'>https://www.ceps.eu/system/files/</a>..
15. Il importe de garder à l’esprit que le PTCI est un accord commercial de «nouvelle génération», qui comporte une dimension de coopération réglementaire et n’a que quelques éléments en commun avec les accords commerciaux classiques. Du fait de son caractère novateur, son impact ne sera connu qu’une fois l’accord entré en vigueur. A l’heure actuelle, au vu de toutes les informations disponibles sur le sujet, une seule certitude se présente: l’accord commercial transatlantique bénéficiera à l’ensemble des grands groupes européens. Afin de déterminer les limites de la flexibilité du processus de négociation, les négociateurs devraient entreprendre une analyse plus approfondie des avantages économiques et des coûts qu’il pourrait générer. L’Assemblée devrait recommander une analyse plus rigoureuse et plus exhaustive, tenant compte d’un plus grand nombre de facteurs déterminants, du potentiel économique réel du PTCI et d’autres accords commerciaux de «nouvelle génération» du même genre.

3. Principales inquiétudes et objections concernant la conclusion du PTCI

16. L’une des principales inquiétudes que suscite le PTCI est le fait que les négociations se tiennent à huis clos et que même les parlementaires, qui sont pourtant les représentants du peuple, n’ont qu’un accès restreint (si tant est qu’ils en aient un) aux documents y afférents. De nombreux commentateurs estiment qu’il s’agit là d’un déficit démocratique qui viole les principes fondamentaux de la bonne gouvernance, de la transparence et du droit à l’information. Même si, pour être honnête, il faut dire que la plupart des négociations internationales sont menées en secret, le manque ressenti de transparence, auquel s’ajoute l’étendue de l’accord envisagé, engendre, dans la société civile et le grand public, une défiance croissante qui les amène à soupçonner que le PTCI saperait les normes européennes en matière de protection des consommateurs et d’environnement. Ces craintes sont apparues justifiées en mai 2016 lorsque l’organisation non gouvernementale (ONG) Greenpeace (Pays-Bas) a publié des documents secrets de négociation du PTCI. Les informations divulguées ont donné une vision inédite de la volonté des Américains d’abaisser ou de contourner les mesures de protection européennes en faveur des consommateurs, de l’environnement et de la santé publique.
17. Le PTCI a pour but d’harmoniser les réglementations des deux partenaires. Il convient de noter que les législations de l’Union européenne et des Etats-Unis diffèrent considérablement, notamment en matière de normes sur la nutrition, de sécurité alimentaire et de protection des consommateurs. En 2000, la Commission européenne a adopté le «principe de précaution» (article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) qui oblige un fabricant à prouver qu’un produit est sûr avant de le mettre sur le marché et vise à sauvegarder les normes les plus élevées en matière de protection de la santé et de l’environnement 
			(12) 
			EUR-Lex, Accès à la
législation communautaire, <a href='http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=URISERV%3Al32042'>http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=URISERV%3Al32042.</a>. Le processus décisionnel préventif exige des responsables politiques qu’ils ne fassent pas reposer l’évaluation des risques sur les seules données scientifiques existantes mais prennent également en compte d’autres facteurs en cas d’incertitude scientifique. En revanche, selon l’approche américaine, c’est aux autorités qu’il incombe de prouver qu’un produit déterminé est dangereux avant d’imposer une interdiction ou de refuser l’autorisation de mise sur le marché. En l’absence de données scientifiques, les Etats-Unis autorisent les entreprises à vendre librement leurs produits 
			(13) 
			Voir, par exemple,
la Recommandation 2017
(2013) de l’Assemblée sur la «Nanotechnologie: la mise en balance
des avantages et des risques pour la santé publique et l’environnement»
lorsqu’il s’agit d’une technologie nouvelle dont les nombreux risques,
à la fois pour la santé publique et l’environnement, ne sont pas
encore bien connus et que la réglementation a du mal à suivre le
rythme des innovations scientifiques.. Du reste, les documents relatifs au PTCI, tels qu’ils ont été divulgués en mai dernier, ne mentionnent nullement le «principe de précaution».

3.1. Système juridictionnel des investissements

18. Un sujet principal d’inquiétude concernant le PTCI est le fait que les entreprises se verraient accorder un moyen privilégié de défendre leurs intérêts grâce au Système juridictionnel des investissements (SJI), anciennement le mécanisme d’arbitrage de Règlement des différends entre investisseurs et Etats (RDIE). Le PTCI prévoit en effet que ce sont des tribunaux SJI qui, séparément, se chargeront de faire respecter les dispositions sur les investissements. Ils délibéreront à huis clos et n’auront nulle obligation de rendre publics les motifs de leur décision. Cela impliquerait un système de justice à deux vitesses, dans lequel les investisseurs internationaux auraient accès au SJI tandis que les entreprises nationales (et les citoyens) seraient régis par le droit interne. Les juridictions du SJI ne sont pas liées par la doctrine du précédent et n’ont aucune obligation de cohérence avec d’autres tribunaux dans leur raisonnement.
19. L’une des principales objections générales au mécanisme d’arbitrage SJI tient au fait que diverses catégories d’individus sont soumises à des ensembles de normes totalement différents du point de vue de leur relation avec l’Etat et le système judiciaire, ce qui s’accorde mal avec l’Etat de droit. Comme l’a déclaré Lord Bingham, éminent juge et juriste britannique, «le droit doit s’appliquer de la même manière à tous, sauf lorsque des différences objectives justifient une différenciation» 
			(14) 
			Christopher
May, The Rule of Law: The Common Sense of Global Politics, mai 2014.. Les tribunaux d’arbitrage entre les investisseurs et les Etats ont été conçus à l’origine afin d’encourager les investissements étrangers dans les Etats où il n’existe pas de juridictions indépendantes. Le RDIE est apparu pour la première fois dans un accord commercial bilatéral conclu entre l’Allemagne et le Pakistan en 1959. L’intention était d’encourager les investissements étrangers en protégeant les investisseurs contre la discrimination et l’expropriation 
			(15) 
			The
Economist, Investor–state dispute settlement: The arbitration
game, 11 octobre 2014.. Aujourd’hui, les mécanismes s’appliquent à des Etats dotés de systèmes judiciaires indépendants exempts de toute ingérence politique, et ne servent donc plus leur objectif initial. Il n’y a pas de raison impérieuse pour laquelle les investisseurs étrangers devraient jouir de droits exclusifs alors que leurs droits peuvent être solidement protégés dans tous les systèmes juridiques européens par le droit public et le droit contractuel existants et renforcés au niveau national par des juridictions de première instance et d’appel et des cours suprêmes. Au contraire, le respect de la démocratie, des droits humains, de l’Etat de droit, de la protection de la santé publique et de l’environnement et de l’intérêt public plaide en faveur de la non-inclusion du SJI dans l’AECG et le PTCI.
20. Un examen plus approfondi des aspects juridiques liés aux droits humains dans les dispositions sur l’arbitrage, y compris l’incertitude juridique et le transfert de compétences d’institutions tenues de rendre des comptes vers des institutions qui ne le sont pas, sera réalisé par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, qui prépare actuellement un rapport sur «La compatibilité avec les droits de l’homme de l’arbitrage investisseur-Etat dans les accords internationaux de protection des investissements». Dans le présent rapport, il est important de fournir quelques exemples concrets de la manière dont le SJI peut menacer ou pénaliser les gouvernements dans leurs efforts de protection de l’environnement, de la santé publique et des droits au travail.
21. Des sociétés commerciales n’hésiteront pas à utiliser les pouvoirs des mécanismes d’arbitrage qui sont à leur disposition. La société d’énergie Vattenfall a engagé une action contre l’Allemagne, demandant $US 3,7 milliards, en raison de sa décision de renoncer à l’énergie nucléaire à la suite de la catastrophe de Fukushima 
			(16) 
			Thomas McDonagh, «Allowing
corporations to sue governments for changing their laws may be common,
but it’s not good», avril 2014, <a href='https://www.opendemocracy.net/ourkingdom/'>https://www.opendemocracy.net/ourkingdom/.</a>. Plus récemment, l’entreprise américaine de fracturation hydraulique Lone Pine a intenté une procédure contre le Canada en lui réclamant $US 250 millions, en raison d’un moratoire sur la fracturation hydraulique au Québec, tandis que des géants américains et européens de l’énergie ont poursuivi l’Argentine, réclamant plus de $US 1 milliard, pour avoir gelé les prix de l’énergie et de l’eau. La société Trans-Canada a engagé une action en justice – réclamant $US 15 milliards – contre le Gouvernement américain qui tentait d’empêcher la mise en œuvre du projet commun de transport par oléoduc du pétrole issu des sables bitumineux à cause de son incidence néfaste sur le changement climatique et l’Accord de Paris. Dans l’affaire St Marys VCNA, LLC c. Canada, il a été considéré qu’une loi interdisant les pesticides pour protéger l’environnement constituait une violation du Chapitre 11 de l’ALENA. Une autre violation du traité, concernant la réglementation sur le contrôle des additifs dangereux du pétrole, a été constatée dans l’affaire Ethyl Corporation c. Canada. Le géant du tabac Philip Morris poursuit actuellement les gouvernements d’Australie et d’Uruguay pour avoir renforcé la réglementation anti-tabac des emballages pour protéger la santé publique.
22. D’après la Commission européenne, le PTCI garantira le droit des gouvernements de légiférer: le SJI ne leur interdira pas d’adopter des lois dans l’intérêt de la société. Toutefois, lorsque de nouvelles lois créent prétendument une discrimination contre des sociétés étrangères, le SJI permet à ces dernières de demander une compensation 
			(17) 
			The European Commission,
Trade, <a href='http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ttip/about-ttip/questions-and-answers/'>http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ttip/about-ttip/questions-and-answers/.</a>. A ce sujet, il faut bien comprendre que le mécanisme du SJI intimidera et dissuadera le législateur d’adopter des lois protégeant l’intérêt public, car les tribunaux seront habilités à accorder des dommages en réponse à des politiques considérées comme affectant les bénéfices financiers d’investisseurs étrangers, 
			(18) 
			Lew et Mistellis, «Arbitration
of Investment Proceedings», in Comparative
International Commercial Arbitration, (Londres; Kluwer
Law International, 2003), p. 761-804. même si ces bénéfices sont sources de dommages à l’environnement, la santé publique et aux droits au travail, en favorisant par exemple la fracturation hydraulique, la production de boissons sucrées et de moteurs diesel.
23. Nous pouvons conclure que les efforts européens devraient se concentrer sur l’utilisation des cadres juridiques publics et des contrats pour protéger tant l’investisseur que l’intérêt public, y compris par le biais d’une harmonisation juridique. L’introduction d’un nouveau système juridictionnel externe qui favorise les intérêts des investisseurs à engranger des bénéfices au détriment de l’intérêt public par delà le droit national devrait être empêchée. Même s’il serait utile d’explorer d’autres approches pour régler, voire prévenir, les différends relatifs à l’investissement, 
			(19) 
			Investor–State Disputes:
Prevention and Alternatives to Arbitration, collection de la CNUCED
sur les politiques d’investissement international pour le développement,
Nations Unies, New York et Genève, 2010. les cadres juridiques existants permettent déjà d’accorder des intérêts commerciaux et publics grâce au droit public.

3.2. Coopération en matière de réglementation

3.2.1. Inquiétudes liées à la protection de l’environnement et au développement durable

24. Dans l’intervalle, des inquiétudes se sont exprimées à propos des conséquences notables du PTCI sur les normes en matière d’environnement. Suite à la ratification du Protocole de Kyoto, l’Union européenne a adopté le système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE) en vue de mettre fin aux émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des industries et de l’aviation. La Directive sur la qualité des carburants (DQC) poursuit un objectif similaire dans le secteur de l’automobile et des transports 
			(20) 
			«Fuel Quality» (La
qualité des carburants), Commission européenne, <a href='http://ec.europa.eu/clima/policies/transport/fuel/index_en.htm'>http://ec.europa.eu/clima/policies/transport/fuel/index_en.htm.</a>. Une telle législation crée une base solide pour la protection de l’environnement, ce qui n’est pas le cas de la législation américaine. Les approches différentes des Etats-Unis et de l’Union européenne en matière de normes d’émission soulèvent le problème de l’harmonisation; la question de savoir si le PTCI peut assimiler les lacunes de la législation américaine reste ouverte 
			(21) 
			Parlement
européen, implications juridiques du PTCI pour l’Acquis communautaire
et les secteurs pertinents pour la Commission ENVI qui pourraient
être abordées lors des négociations, <a href='http://www.europarl.europa.eu/'>www.europarl.europa.eu/</a>.. La ratification récente de l’Accord de Paris par les Etats-Unis pourrait être considérée comme un signal fort qui montrait leur volonté d’agir dans le même sens que l’Union européenne en matière de réduction des émissions de carbone.
25. Toutefois, les résultats de Paris n’ont pas été intégrés dans le PTCI afin de garantir les dispositions relatives au changement climatique et les objectifs du développement durable. En effet, le chapitre sur l’environnement n’est pas offensif d’un point de vue juridique alors que le chapitre sur l’investissement l’est. Cela signifie que les considérations environnementales seront systématiquement entravées par les dispositions de protection de l’investisseur via le SJI de l’AECG et le PTCI, et mises en œuvre par le biais des mécanismes d’arbitrage crées afin de protéger les intérêts des investisseurs et non ceux de l’environnement. Pire encore, Donald Trump a affirmé que sa nouvelle administration des Etats-Unis changerait la direction des politiques sur le climat. Même si l’Accord de Paris lie les signataires pour trois ans plus une année avec une clause de sortie, Donald Trump pourrait bien décider de saper l’Accord de Paris en ne contribuant pas au fonds de £100 milliards prévus pour le transfert de technologie vers le monde en développement et en revenant sur l’accord.
26. S’agissant de l’objectif ambitieux du PTCI de garantir l’efficacité énergétique, il faut garder à l’esprit le fait que l’Union européenne et les Etats-Unis ont des politiques totalement différentes en matière d’énergie. L’Union européenne fixe des priorités pour accroître la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique tandis que les Etats-Unis mettent l’accent sur la production de gaz et de pétrole brut. En conséquence, il est urgent d’examiner des questions controversées comme la fracturation hydraulique et de rester vigilant concernant toute disposition du PTCI portant tout particulièrement sur l’énergie 
			(22) 
			Center
on Global Energy Policy (Centre sur la politique énergétique mondiale),
Considerations for the Treatment of Energy in TTIP (Réflexions sur
le traitement de l’énergie dans le PTCI), <a href='http://energypolicy.columbia.edu/'>http://energypolicy.columbia.edu</a>. . Ce point est particulièrement pertinent concernant les impératifs liés au changement climatique, car selon de récentes données satellite les émissions fugitives de méthane seraient de 5 %, ce qui rendrait la fracturation hydraulique plus nocive que le charbon pour le réchauffement climatique, 
			(23) 
			Pour plus d’informations
sur cette question, voir mon rapport sur l’exploration et l’exploitation
des hydrocarbures non conventionnels en Europe, Doc. 14196. ce qui n’est donc pas compatible avec l’Accord de Paris.
27. Dans une large mesure, la politique des Etats-Unis relative à l’utilisation de produits chimiques sape la sécurité environnementale, notamment la protection des ressources en eau. A l’heure actuelle, les importateurs et producteurs européens sont tenus d’informer l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) des substances chimiques qu’ils utilisent, laquelle limite l’usage de ces substances si elles ne sont pas compatibles avec les normes environnementales 
			(24) 
			Site web de l’Agence
européenne des produits chimiques, <a href='http://echa.europa.eu/web/'>http://echa.europa.eu/web/</a>.. En revanche, la loi américaine sur le contrôle des substances toxiques (Toxic Substances Control Act) n’impose pas les mêmes règles. Les projets de PTCI disponibles indiquent qu’il contiendra des dispositions ayant trait à la protection de l’environnement et au développement durable. Cependant, comme mentionné, il n’y a pas d’égalité des armes entre les dispositions sur l’environnement et celles qui visent à protéger les investissements. Ces dernières, dans le PTCI, ont l’avantage d’un mécanisme spécifique pour leur exécution, le SJI. Il n’existe pas de mécanisme équivalent pour les dispositions sur le développement durable. Par conséquent, dans la pratique les dispositions sur la protection des investissements l’emporteront sur celles relatives au développement durable. L’accord prévoit de puissantes mesures visant à dissuader les gouvernements d’enfreindre les dispositions sur la protection des investissements, mais il ne prévoit aucune mesure analogue concernant les dispositions sur le développement durable. De fait, les dispositions sur la protection des investissements exerceraient une pression sur les gouvernements afin qu’ils prennent leurs distances avec leurs engagements en faveur du développement durable craignant les poursuites juridiques via les mécanismes d’arbitrage prévoyant l’octroi de compensations.

3.2.2. PTCI et santé publique

28. La santé publique est définie comme «la science et l’art de la prévention des maladies, de la prolongation de la vie et de la promotion de la santé grâce aux efforts concertés de la société» 
			(25) 
			Organisation
mondiale de la santé, <a href='http://www.who.int/rpc/meetings/wr2004/en/index8.html'>www.who.int/rpc/meetings/wr2004/en/index8.html</a>.. Les Etats membres doivent veiller à ce que des intérêts commerciaux ne prévalent pas sur la protection de la santé publique.
29. Le chapitre du PTCI relatif à l’industrie pharmaceutique contient des dispositions visant à réduire le coût total des médicaments de 4 % pour les exportations des Etats-Unis et de 5 % pour celles de l’Union européenne, en alignant les réglementations actuelles et à venir. D’ailleurs, la suppression des droits de douane sur le commerce des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux entre les Etats-Unis et l’Union européenne est déjà garantie par l’Accord sur l’élimination des droits de douane pour les produits pharmaceutiques (1995). Néanmoins, les sociétés internationales affirment que les barrières non tarifaires (BNT) restent élevées, du fait de la persistance de diverses normes et réglementations non harmonisées.
30. Toutefois, si les BNT peuvent inclure les coûts de duplication des procédures, ainsi que les coûts des retards liés aux conditions d’approbation, elle jouent également un rôle dans l’amélioration de la santé publique et sauvent des vies. Il est à mentionner qu’une étude systématique de l’université d’Harvard a montré que lorsque la durée des études d’autorisation de mise sur le marché des médicaments était réduite de dix mois, cela entraînait des augmentations de 18 % des réactions indésirables graves, de 11 % des hospitalisations et de 7,2 % des décès 
			(26) 
			Donald
Light, New Prescription Drugs: A Major Health Risk With Few Offsetting
Advantages, université d’Harvard, 27 juin 2014, <a href='http://ethics.harvard.edu/'>http://ethics.harvard.edu/</a>.. De plus, la Commission européenne estime que les réactions indésirables aux médicaments tuent près de 200 000 Européens chaque année 
			(27) 
			«Lettre ouverte au
Premier ministre britannique David Cameron et au ministre de la
Santé Andrew Lansley sur la sécurité des médicaments», The Lancet, Volume 377, Issue 9781,
4 juin 2011, p. 1915. . L’efficience commerciale ne devrait pas prévaloir sur la préservation de vies humaines.
31. L’Europe est fière des progrès qu’elle a accomplis concernant une réglementation plus stricte de l’Union européenne sur les essais cliniques. La réglementation adoptée oblige les laboratoires à publier les rapports d’essais cliniques pour les médicaments autorisés sur le marché de l’Union européenne, ce qui renforce les possibilités de contrôle public des médicaments et entraîne une plus grande transparence dans le secteur médical. Insistant sur l’importance des secrets d’affaires et de la protection de la confidentialité commerciale, les dispositions pertinentes du PTCI peuvent restreindre la divulgation des données sur les essais cliniques, de sorte que les essais positifs seraient publiés et les essais négatifs passés sous silence. En outre, les dispositions sur les secrets d’affaires restreindraient la protection des «donneurs d’alerte» vis-à-vis des risques liés à la divulgation. Il est de la plus haute importance que le PTCI ne revienne pas sur les avancées positives en matière de réglementation des essais cliniques.
32. L’un des objectifs des négociations du PTCI est de maintenir et promouvoir de solides dispositifs de droits de propriété intellectuelle (DPI) et des niveaux effectifs de protection de la propriété intellectuelle dans l’Union européenne et aux Etats-Unis. Malgré ses implications positives pour le commerce international, la poursuite d’un tel objectif pourrait aboutir à limiter l’accès à des médicaments vitaux: les changements relatifs aux DPI pourraient entraîner de plus longues périodes de monopole, des prix plus élevés sur les médicaments et l’apparition de nouveaux médicaments n’ayant qu’une valeur thérapeutique limitée 
			(28) 
			Voir aussi
la Résolution 2071 (2015) de l’Assemblée «La santé publique et les intérêts de
l’industrie pharmaceutique: comment garantir la primauté des intérêts
de santé publique?».. Dans le même temps, cela nuirait à la production de produits génériques 
			(29) 
			Produits pharmaceutiques
qui sont identiques aux médicaments «de marque» en termes de sécurité,
de qualité et d’efficacité. vendus à un prix raisonnable, et il serait plus difficile aux patients d’obtenir des traitements abordables. Ces dispositions révèlent une influence du lobby industriel sur les négociations menées à huis clos.
33. Le PTCI traite des questions de sécurité alimentaire et de santé animale et végétale dans un chapitre sanitaire et phytosanitaire (SPS) distinct. De nombreuses organisations internationales travaillent sur la question de la sécurité alimentaire. Par exemple, l’ONU publie le «codex alimentarius», destiné à contribuer à la sécurité, la qualité et l’équité du commerce alimentaire international. Le PTCI pourrait modifier les règles du fait d’une incohérence entre les définitions du «codex alimentarius» et celles qui sont énoncées dans le PTCI, car ce serait alors les définitions de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui prévaudraient. Certaines inquiétudes viennent d’une possible libéralisation de l’utilisation d’hormones ou de promoteurs de croissance pour les animaux et de celle des organismes génétiquement modifiés (OGM), pour lesquels des restrictions existent actuellement en Europe.
34. Les produits cosmétiques incluent un large éventail de marchandises, tels les dentifrices, les produits de protection solaire et les crèmes pour enfants. Le PTCI vise à harmoniser les tests de sécurité, les évaluations scientifiques de sécurité et l’étiquetage des produits, tout en réduisant le temps nécessaire pour tester et approuver les nouveaux produits. Cependant, les considérations d’harmonisation et de rapidité ne doivent pas aboutir à l’abaissement des normes existantes à des niveaux communs ni faire obstacle aux essais sur les innovations qui améliorent la sécurité avec le temps. L’un des principaux points à évoquer pendant les négociations serait la teneur de la liste des substances autorisées et interdites dans les produits cosmétiques, qui diffère largement entre les Etats-Unis et l’Union européenne 
			(30) 
			Par
exemple, dans l’Union européenne, le Règlement REACH <a href='http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:32006R1907'>(CE
1907/2006)</a> vise à améliorer la protection de la santé humaine et
de l’environnement au moyen d’une identification plus efficace et
plus précoce des propriétés intrinsèques des substances chimiques.
Pour ce faire, on applique les quatre processus «REACH», à savoir l’enregistrement,
l’évaluation, l’autorisation et la restriction des substances chimiques,
sur la base du principe «pas de données, pas de marché». Le Règlement
REACH dispose qu’il revient à l’industrie de gérer les risques des
substances chimiques et de fournir des informations de sécurité
à leur sujet. Voir <a href='http://ec.europa.eu/environment/chemicals/reach/reach_en.htm'>http://ec.europa.eu/environment/chemicals/reach/reach_en.htm</a>.. L’utilisation du principe de précaution pourrait être adoptée pour garantir la sécurité publique avant tout.

3.2.3. Droits du travail

35. Concernant les dispositions des projets de documents du PTCI relatives aux droits du travail, nous pouvons considérer que les Etats-Unis et l’Union européenne utilisent des modèles relativement obsolètes, qui ne répondent pas pleinement aux problèmes auxquels les salariés sont confrontés dans des économies en mutation rapide 
			(31) 
			Susan Aaronson, A Fresh
Approach to Labor Rights and Employment in Transatlantic Trade and
Investment Partnership, CATO Institute, octobre 2015, <a href='https://www.cato.org/publications/cato-online-forum/fresh-approach-labor-rights-employment-transatlantic-trade-investment'>https://www.cato.org/publications/cato-online-forum/fresh-approach-labor-rights-employment-transatlantic-trade-investment</a>.. Les négociateurs doivent être encouragés à remplacer les anciens modèles commerciaux par de nouveaux modèles fondés sur la transparence, la démocratie et de puissantes normes ayant trait au travail. Leur rôle d’impulsion devrait consister à rédiger un accord commercial qui accorderait une importance égale à la protection des droits sociaux fondamentaux et à la réduction des droits de douane et des obstacles techniques au commerce.
36. Les inquiétudes tiennent essentiellement au fait qu’à la différence de l’Union européenne les Etats-Unis n’ont pas ratifié les conventions principales de l’Organisation internationale du travail (OIT) 
			(32) 
			<a href='https://www.ilo.org/dyn/normlex/en/f?p=1000:11200:0::NO:11200:P11200_COUNTRY_ID:102871'>https://www.ilo.org/dyn/normlex/en/f?p=1000:11200:0::NO:11200:P11200_COUNTRY_ID:102871</a>.. Actuellement, dans le modèle commercial des Etats-Unis, les chapitres relatifs au travail se limitent aux principes énoncés dans la Déclaration de 1998 de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail. Cela permet aux Etats-Unis de conserver une législation et une réglementation non conformes aux conventions de l’OIT. Nous pouvons conclure que le fait de limiter le PTCI à la Déclaration susmentionnée pourrait donner aux Etats-Unis un avantage discriminatoire concernant les marchés du travail (à la condition que les pays européens n’assouplissent pas leurs normes relatives au travail afin de les harmoniser avec celles des Etats-Unis), 
			(33) 
			Herrnstadt O. (2015),
TTIP: Time for a new approach to labor rights and standards, Revista Derecho Social y Empresa,
4, 113-127, <a href='http://www.digitalcommons.ilr.cornell.edu/'>www.digitalcommons.ilr.cornell.edu</a>. ce qui nuirait à la compétitivité.
37. Un chapitre sur le travail, au sein du PTCI et de l’AECG, devrait inclure des normes telles que définies dans les conventions et la jurisprudence de l’OIT, ce qui harmoniserait les efforts visant à respecter des normes internationales uniformes et élevées. Une telle approche éviterait que ces normes soient vidées d’une bonne partie de leur substance, tout en éliminant les ambiguïtés et en facilitant la compréhension de ce chapitre par les futurs signataires. Les négociateurs devraient aussi poser comme condition à la participation de chaque pays son adoption, sa mise en œuvre et son exécution effective des droits humains fondamentaux reflétés par les conventions et la jurisprudence de l’OIT 
			(34) 
			Owen
E. Herrnstadt, Labor Rights, Manufacturing,
and the Transatlantic Trade and Investment Partnership, 3 septembre,
2013, <a href='http://www.epi.org/'>www.epi.org/</a>..
38. L’OIT devrait aussi être associée à la mise en œuvre des engagements relatifs au travail par le biais de ses activités de coopération, qui portent principalement sur l’assistance technique et la capacité institutionnelle des partenaires commerciaux. Les commentaires des mécanismes de contrôle de l’OIT peuvent être utilisés pour identifier certains problèmes critiques que la coopération technique peut résoudre 
			(35) 
			Executive Summary,
Studies on growth with equity, Assessment of labour provisions in
trade and investment arrangements, <a href='http://www.ilo.org/'>www.ilo.org</a>..

3.3. Déréglementation des services publics et de la passation de marchés publics

39. Une brève analyse des versions du texte du traité connues jusqu’à présent montre que le PTCI pourrait menacer gravement les services publics européens. Qu’il s’agisse de santé ou d’éducation, de protection sociale ou d’autres domaines, les services publics ont toujours été un secteur national, ce qui exige qu’ils soient dûment réglementés par l’Etat. Le profit n’étant pas leur objectif premier, ils peuvent souvent proposer des prix plus abordables. Selon les termes du PTCI, non seulement de nombreux services publics seraient ouverts à la commercialisation et la libéralisation, mais ils seraient aussi exposés à une compétition internationale croissante, tandis qu’il deviendrait plus difficile de revenir sur les privatisations et la déréglementation.
40. Fondamentalement, les gouvernements seraient encouragés à externaliser les services publics auprès d’entreprises privées, ce qui serait une mesure difficilement réversible sans pénalité financière. Par exemple, la compagnie d’assurance néerlandaise Achmea a poursuivi la République slovaque pour être revenue sur les politiques de privatisation de la santé du gouvernement précédent et a reçu €22 millions d’indemnisation au titre des dispositions sur les droits des investisseurs contenues dans un traité bilatéral d’investissement. La menace des actions judiciaires peut contraindre les décideurs politiques à ne pas promulguer de nouvelles lois et réglementations qui, bien qu’étant d’intérêt public, pourraient avoir un impact sur les investisseurs étrangers. La clause de stabilisation proposée dans le PTCI lierait un Etat à ses normes de déréglementation, même après une éventuelle dénonciation du traité. Cette clause prévoit que les dispositions de protection des investissements continueront de s’appliquer (pour tout investissement effectué alors que le traité était en vigueur) jusqu’à 20 ans après la dénonciation du traité par un Etat. Cela signifie que le PTCI et l’AECG lieront les Etats même lorsqu’ils ne seront plus Parties aux traités et donc compromettraient profondément leur souveraineté.
41. Les négociations du PTCI sont l’occasion de lever les derniers obstacles, dans le secteur de la passation de marchés publics, s’opposant à ce que les entreprises de l’Union européenne proposent des offres pour un plus large éventail des produits et services achetés par les pouvoirs publics des Etats-Unis et à ce qu’elles soient sur un pied d’égalité avec les entreprises américaines. A l’heure actuelle, les Européens estiment que les marchés publics européens sont ouverts à 85 %, au lieu de 32 % pour ceux des Etats-Unis 
			(36) 
			Commission européenne, <a href='http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-12-201_en.htm?locale=en'>http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-12-201_en.htm?locale=en</a>.. Les appels d’offres de l’Union européenne sont plus transparents du fait que tous les niveaux de la passation de marchés publics sont couverts par des règles uniformes de l’Union européenne. En comparaison, l’Accord sur les marchés publics (AMP) de l’OMC ne couvre pas intégralement les appels d’offres des Etats et des villes aux Etats-Unis, et les procédures applicables varient d’un Etat à l’autre. La principale difficulté liée au PTCI, en matière de marchés publics, serait d’obtenir des autorités infra-fédérales qu’elles acceptent d’être couvertes par des règles qui rendraient ces marchés plus transparents pour les prestataires européens potentiels et exempts de dispositions favorisant les prestataires locaux (par exemple la Buy American Act) 
			(37) 
			Commission
européenne, TTIP: Opportunities and Challenges in the area of Public
procurement, Policy Department A: Economic and Scientific Policy..

4. Conclusions et recommandations

42. Il est estimé que le PTCI, en tant qu’accord commercial entre les plus grandes économies mondiales, présenterait pour les deux partenaires des avantages économiques s’élevant à 0,5 % du PIB, bénéfices dont la répartition ne serait cependant pas équitable. Le défi est de garantir que ces bénéfices, faibles mais significatifs, respectent et protègent pleinement les droits humains, l’Etat de droit et la démocratie, et que les négociations soient transparentes et examinées publiquement pour que l’intérêt public prime sur les intérêts commerciaux. De plus, le partenariat devrait stimuler les deux économies et améliorer également la santé humaine et l’état de l’environnement, plutôt que de leur porter atteinte, de part et d’autre de l’Atlantique. S’il est convenablement rédigé, en y incorporant les exigences de l’environnement, de la santé publique et des droits humains, il pourrait servir à l’élaboration d’un modèle pour le commerce mondial.
43. Un accord commercial solide et dynamique et mutuellement bénéfique doit garantir le développement durable, parallèlement à des règles internationales de renforcement du commerce qui favorisent le bien-être environnemental, social et humain. Plutôt que d’accorder des privilèges aux multinationales, l’accord doit garantir leur responsabilité, notamment social, au moyen d’une protection contraignante de notre santé publique, de l’environnement et des droits humains et sociaux. Il est de la plus haute importance, dans le processus d’harmonisation des normes, que le respect des normes les plus élevées soit considéré comme une priorité.
44. Malheureusement, tout indique à l’heure actuelle que le PTCI et les autres accords commerciaux «de nouvelle génération», y compris l’AECG, risquent de déréglementer les produits controversés et dangereux, d’affaiblir les normes en vigueur et de peser sur les décisions politiques. L’Assemblée parlementaire devrait par conséquent recommander que les négociateurs européens soient extrêmement attentifs à ce que les dispositions de tels instruments relatives à l’environnement, à la sécurité alimentaire, à la santé publique, aux droits humains et à la protection des consommateurs soient formulées avec précision, afin que toutes les parties soient en mesure de maintenir les normes les plus élevées qu’elles jugent nécessaires et adéquates. Il est aussi capital que les négociations soient ouvertes à l’examen des parlementaires élus démocratiquement, tant au niveau européen que national, et qu’elles fassent l’objet d’une ratification par les parlements nationaux dans la mesure où elles portent sur des compétences partagées.