1. Introduction
1. En avril 2015, j’ai déposé,
conjointement avec d’autres membres de l’Assemblée parlementaire,
une proposition de résolution sur le thème «La situation au Liban
et risques pour la stabilité de la région et la sécurité de l’Europe».
Le 22 juin 2015, l’Assemblée a renvoyé la proposition à la commission
des questions politiques et de la démocratie, qui m’a nommé rapporteur
le 30 septembre 2015.
2. Le 8 mars 2016, la commission a tenu un échange de vues avec
M. Julien Barnes-Dacey, expert politique principal au Conseil européen
des relations internationales à Londres.
3. Les 15 et 16 juin 2016, j’ai effectué une visite d’information
au Liban. J’ai pu y rencontrer des représentants de fondations politiques
allemandes et d’organisations de la société civile ainsi que des représentants
de 10 partis politiques différents. J’ai également participé à un
échange de vues avec plusieurs diplomates européens et représentants
d’organisations internationales.
4. Enfin, le 13 octobre 2016, la commission a examiné un avant-projet
de rapport, que j’ai révisé par la suite afin de prendre en compte
les observations formulées par les membres de la commission.
2. Contexte
5. Le Liban est un petit pays
dont la population est estimée à environ six millions d’habitants,
dont deux millions de réfugiés. Il se caractérise également par
une certaine diversité religieuse. Selon les estimations, la population
est composée à 54 % de musulmans (environ 27 % de sunnites, 27 %
de chiites), à 40,5 % de chrétiens, à 5,5 % de druzes et compte
également de petites communautés de juifs, baha’is, bouddhistes,
hindouistes et mormons. Le Liban est le pays arabe où les chrétiens
sont le plus fortement représentés. Le dernier recensement de population
remonte à 1932, alors que la population du Liban était inférieure
à 800 000 habitants.
6. Bien que sa population et son territoire soient relativement
réduits, le Liban s’impose comme un centre régional sur le plan
du commerce et de la finance. Le pays est toutefois en proie à une
situation très critique actuellement: il doit faire face, d’une
part, à une crise politique complexe depuis plus de deux ans, et,
d’autre part, à un important flux de réfugiés en provenance de Syrie
– dont le nombre est estimé à 1,5 million – qui viennent s’ajouter
aux très nombreux réfugiés déjà présents dans le pays. Quelque 450 000 réfugiés palestiniens
sont enregistrés auprès de l’Office de secours et de travaux des
Nations Unies (UNRWA) au Liban et sont principalement installés
dans les 12 camps de réfugiés que compte le pays. Certains y vivent
depuis 60 ans, ce qui représente parfois quatre générations.
7. La crise des réfugiés devient intenable pour le Liban à plusieurs
égards: les municipalités, qui doivent en assumer la responsabilité,
ne sont pas en mesure de fournir nourriture, hygiène, soins de santé
ou scolarisation, et c’est la société civile, avec l’aide des organisations
internationales, qui essaie de faire face à la situation. Une plus
grande solidarité internationale est manifestement nécessaire. La
situation économique en général est désastreuse et le chômage des
jeunes est extrêmement élevé.
8. En juillet et août 2006, un conflit a opposé les forces israéliennes
de défense et la branche paramilitaire du Hezbollah; selon les informations
disponibles, il aurait coûté la vie à quelque 1 200 Libanais, des
civils pour la plupart, et à 165 Israéliens, dont 44 civils. Ce
conflit a sérieusement endommagé les infrastructures civiles du
Liban et entraîné le déplacement d’environ un million de Libanais
et quelque 400 000 Israéliens. En application de la Résolution 1701
du Conseil de sécurité des Nations Unies, un cessez-le-feu a été
accepté par les deux parties belligérantes et est entré en vigueur
le 14 août 2006. Depuis, les relations entre Israël et le Liban
sont tendues, la frontière est fermée et des violations mineures
du cessez-le-feu se sont produites en 2010, 2011, 2013 et 2015.
Le tourisme au Liban ne s’est jamais relevé de cette guerre.
9. L’incapacité d’élire un Président pendant plus de deux ans
et demi a privé le Liban de la possibilité de réagir aux défis qui
secouent la région (voir ci-dessous). Le 31 octobre 2016, l’élection
de Michel Aoun à la fonction de Président du Liban a mis fin à une
situation qui mettait gravement en péril les équilibres fragiles
sur lesquels repose le fonctionnement de la société libanaise. La
rupture de ces équilibres porterait un coup supplémentaire à la
stabilité de la région et, pour des raisons évidentes, menacerait
la sécurité dans toute l’Europe.
3. Organisation politique
10. Le Liban est un pays de longue
tradition démocratique. L’Accord de Taëf a été signé en 1989 en
vue de mettre un terme à la guerre civile dans le pays, qui a sévi
de 1975 à 1990. Il a également entériné l’organisation de l’actuel
système politique libanais. Cet accord repose sur le Pacte national
de 1943, accord non écrit entre le premier Président du Liban, Béchara
el-Khoury, chrétien maronite, et le premier Président du conseil
des ministres (Premier ministre), Riad el Solh, de confession sunnite.
Les chrétiens craignaient de subir la domination des communautés
musulmanes libanaises et des pays arabes voisins et les musulmans redoutaient
quant à eux l’hégémonie occidentale. Il a donc été décidé que la
population chrétienne ne chercherait pas la protection étrangère
(occidentale) et que la communauté musulmane renoncerait à ses ambitions
d’union avec la Syrie et reconnaîtrait le Liban comme un Etat indépendant.
Le Pacte national a également réaffirmé l’organisation confessionnelle
du gouvernement, répartissant les postes de haut rang entre les
communautés musulmane et chrétienne selon un ratio de cinq pour
six. Ce ratio, établi sur la base du recensement de 1932, favorisait
la communauté chrétienne.
11. L’Accord de Taëf tenait compte des évolutions supposées du
paysage démographique bien qu’aucun nouveau recensement n’ait eu
lieu. Cet accord a apporté plusieurs modifications à la Constitution
libanaise, mais a avant tout transféré le pouvoir exécutif du Président
au conseil des ministres, fait passer le nombre de sièges au parlement
de 99 à 128 (devant être répartis à parts égales entre musulmans
et chrétiens) et réaffirmé que le Président serait un chrétien maronite,
le Premier ministre, un musulman sunnite et le président du parlement
un musulman chiite (comme c’était le cas avant la conclusion de
l’accord). L’Accord de Taëf appelait également au retrait des forces
israéliennes du territoire libanais ainsi qu’au désarmement et au démantèlement
de toutes les milices, ce qui fut le cas, à l’exception de la branche
paramilitaire du Hezbollah, que d’aucuns considèrent comme plus
puissante que l’armée libanaise.
12. L’Accord de Taëf n’a pas résolu les questions d’identité nationale
et un antagonisme de plus en plus fort a commencé à marquer les
relations entre musulmans chiites et musulmans sunnites, s’ajoutant
à l’antagonisme déjà existant entre chrétiens et musulmans. L’assassinat
du Premier ministre sunnite Rafiq Hariri, le 14 février 2005, a
contribué à la détérioration des relations entre sunnites et chiites
et fut à l’origine de la «Révolution du Cèdre» qui a vu naître l’Alliance
du 14 mars – réclamant le départ des troupes syriennes qui occupaient
le Liban depuis 1976 (un sentiment anti-syrien a commencé à se développer
au sein d’une grande partie de la population libanaise cette année-là)
– et l’Alliance du 8 mars, formée après que quelque 500 000 manifestants
libanais eurent envahi les rues pour «remercier la Syrie» de son
rôle au Liban.
13. Les relations entre sunnites et chiites ont continué de se
détériorer au Liban même après le retrait des troupes syriennes
en avril 2005. Cela s’est traduit par la démission de tous les représentants
chiites du conseil des ministres libanais les 12 et 13 novembre
2006. Le 7 mai 2008, le conseil des ministres a adopté deux décrets,
considérés comme hostiles à l’organisation chiite du Hezbollah et
rejetés par la majorité des musulmans chiites du Liban. Le Hezbollah
a réagi en prenant le contrôle de nombreux quartiers de Beyrouth et
en affrontant les groupes sunnites rivaux, faisant 81 morts. Le
Liban étant alors au bord d’une nouvelle guerre civile, le gouvernement
s’est vu contraint de retirer ses décrets et d’adopter l’Accord
de Doha: celui-ci a créé un gouvernement d’unité nationale et donné
au Hezbollah la possibilité de s’opposer à toute décision majeure
prise par le conseil des ministres. Ces événements historiques ont
largement contribué à façonner le paysage politique actuel du Liban.
4. Fonctionnement du système
politique libanais
14. Le système politique libanais
est divisé en trois branches: les branches exécutive, législative
et judiciaire.
15. La branche exécutive se compose du Président, du Premier ministre
et du conseil des ministres. Le Président est élu au suffrage indirect.
Le parlement nomme le Président, pour un mandat de six ans, sur
la base d’un scrutin à la majorité des deux tiers au premier tour
(la majorité absolue est requise à compter du deuxième tour). Le
Président nomme ensuite un Premier ministre et un Vice-Premier ministre,
après consultation du parlement. Le Liban a été sans Président du
25 mai 2014, date à laquelle le mandat de l’ancien Président, Michel
Sleiman, a pris fin, jusqu’au 31 octobre 2016, le parlement libanais
n’ayant pas réussi à s’entendre pour élire un nouveau Président
avec la majorité des deux tiers requise (voir ci-dessous, crise
de la présidence libanaise).
16. La branche législative correspond au parlement, qui compte
128 sièges (64 attribués aux chrétiens et 64 aux musulmans/druzes).
Les députés sont élus pour un mandat de quatre ans au scrutin majoritaire
dans des circonscriptions plurinominales. Les dernières élections
législatives remontent cependant à juin 2009. Les élections prévues
en juin 2013 ont été reportées une première fois pour une période
de 17 mois (jusqu’en novembre 2014) en raison de l’incapacité du
parlement à adopter une nouvelle loi électorale, à l’examen depuis
20 ans, et de celle du Premier ministre Tammam Salam à former un
gouvernement.
17. En novembre 2014, les élections législatives ont été une nouvelle
fois reportées au 22 juin 2017, dernière date possible conformément
à la Constitution. Les raisons avancées pour justifier ce second
report tenaient aux «préoccupations sécuritaires liées à la guerre
civile sévissant dans la Syrie voisine» et à la vacance du pouvoir
causée par l’absence de Président. Les préoccupations d’ordre sécuritaire
ne sont cependant pas une excuse acceptable pour justifier la non-tenue
d’élections et les récentes élections municipales montrent qu’il
est possible de les organiser dans des conditions acceptables. Un
nouveau président est à présent élu.
18. Les deux plus hautes instances judiciaires au Liban sont la
Cour suprême et le Conseil constitutionnel. La Cour suprême se divise
en quatre chambres qui comptent chacune un juge président et deux
juges assesseurs; les membres de la Cour suprême sont nommés par
le Conseil supérieur de la magistrature. Le Conseil constitutionnel
est composé de 10 membres, cinq d’entre eux sont nommés par le conseil
des ministres et les cinq autres par le parlement.
5. Principaux partis politiques
libanais
19. La plupart des partis politiques
libanais sont rattachés soit à l’Alliance du 14 mars soit à l’Alliance
du 8 mars.
L’Alliance du 14 mars, mouvement sunnite, anti-syrien et pro-occidental,
est constituée des partis suivants (le nombre de députés indiqué
pour les différents partis politiques varie légèrement selon les
sources):
- Bloc du Courant du
futur (parti de centre droit composé de musulmans sunnites) représenté
par 28 députés
- Forces libanaises (parti conservateur chrétien maronite)
représenté par 8 députés
- Parti Kataeb (parti de droite, officiellement laïc mais
principalement soutenu par les chrétiens maronites) représenté par
5 députés
- Parti social-démocrate Hunchakian (parti arménien de centre
gauche) représenté par 2 députés
- Bloc de l’Entente nationale représenté par 2 députés
- Ramgavar (parti libéral démocrate arménien) représenté
par 1 député
- Mouvement de la gauche démocratique (parti laïc de gauche)
représenté par 1 député
- Parti national libéral (parti libéral nationaliste chrétien)
représenté par 1 député
- Al-Jamaa al-Islamiya / Groupe islamique (parti islamiste
sunnite) représenté par 1 député
- 8 députés indépendants alignés sur les positions de l’Alliance
du 14 mars.
L’Alliance du 8 mars est à majorité chiite et pro-syrienne.
Elle est constituée des partis politiques suivants:
- Courant patriotique libre (parti
chrétien maronite de centre gauche) représenté par 19 députés
- Mouvement Amal (parti de centre droit dont les membres
sont des musulmans chiites et des chrétiens pour quelques-uns d’entre
eux) représenté par 13 députés
- Hezbollah (organisation islamiste chiite soutenue par
l’Iran) représenté par 13 députés
- Mouvement Marada (parti de centre droit officiellement
laïc mais à prédominance chrétienne) représenté par 3 députés
- Parti démocratique libanais (parti de centre droit officiellement
laïc principalement constitué de druzes) représenté par 2 députés
- Tashnag (parti laïc arménien) représenté par 2 députés
- Parti Baas (parti laïc pro-syrien) représenté par 2 députés
- Parti social nationaliste syrien (parti nationaliste laïc
prônant l’idéologie d’une «Grande Syrie» englobant le Liban, la
Syrie, la Palestine, l’Irak, la Jordanie et Chypre) représenté par
2 députés
- Parti Solidarité (chrétien) représenté par 1 député.
Le Liban compte également de nombreux partis politiques indépendants
mais seuls les partis suivants sont représentés au parlement:
- Parti socialiste progressiste
(officiellement laïc, à majorité druze) représenté par 11 députés
- Bloc tripolitain solidarité représenté par 2 députés
- Non affilié: 1 député.
20. La scène politique libanaise
s’est considérablement polarisée, notamment depuis le début du conflit syrien.
L’ancien Président Michel Sleiman est à l’origine de l’initiative
appelant les partis politiques libanais à signer la Déclaration
de Baabda en juin 2012, prônant une «politique de dissociation»
vis-à-vis de la crise syrienne et rappelant que tous les partis
politiques libanais sont attachés à la stabilité et à l’unité du
pays. L’idée sous-jacente de cette déclaration était de préserver
la stabilité du Liban au regard du conflit syrien. Néanmoins l’engagement
du Hezbollah dans le conflit syrien a mis à mal cette «politique
de dissociation». Le Hezbollah se bat en Syrie et soutient le régime
de Bachar el-Assad. Cela a encore exacerbé la polarisation de la
vie politique libanaise. Par ailleurs un député maronite m’a rapporté
que le Hezbollah protégeait les chrétiens dans la région de Baalbek
et que, s’il venait à quitter la région, les chrétiens feraient
de même.
6. La récente crise de la présidence
libanaise
21. Le mandat du Président Michel
Sleiman est venu à échéance en mai 2014 et, depuis lors, l’absence d’accord
entre les deux alliances (du 8 mars et du 14 mars) a fait obstacle
à l’élection d’un nouveau Président pendant deux ans et demi. Ces
derniers mois, les deux alliances ont proposé des candidats mais
le Parlement libanais n’est parvenu à dégager un consensus que le
31 octobre 2016.
22. Le 2 juin 2016, le Président du parlement, Nabih Berri, a
annoncé que l’élection présidentielle serait reportée pour la quarantième
fois. Il s’est trouvé que l’une de ces séances stériles s’est tenue
lors de ma visite au Liban. M. Michel Aoun a été élu à la quarante-sixième tentative.
23. Le Hezbollah et l’Alliance du 8 mars soutenaient le général
Aoun, fondateur du Courant patriotique libre et partisan de la guerre
que le Hezbollah a menée contre Israël en 2006 et de son occupation
de certaines parties de la ville de Beyrouth en 2008. M. Aoun est
un important chef de file de la communauté chrétienne libanaise
(Maronite); le Hezbollah espérait donc qu’il l’aiderait à se trouver
de nouveaux appuis.
24. L’Alliance du 14 mars a, dans un premier temps, proposé la
candidature de Samir Geagea; mais celui-ci étant ouvertement opposé
à la Syrie et au Hezbollah, il était peu probable que sa personne
fasse consensus au sein du parlement. Elle a donc ensuite proposé
un autre candidat: Sleiman Frangié, proche du Hezbollah et de la
Syrie, dont le mouvement Marada faisait partie de l’Alliance du
8 mars. L’ancien Premier ministre Saad al-Hariri, qui est le chef
de file de l’Alliance du 14 mars, a déclaré son soutien à Frangié
aux dépens de Geagea, mais beaucoup de membres de l’Alliance du
14 mars ont interprété ce geste comme une capitulation face au Hezbollah,
bien que celui-ci n’ait pas manifesté son soutien à Frangié et ait
continué de soutenir Michel Aoun. Selon un député avec lequel je
me suis entretenu, il est désormais difficile de savoir qui appartient
à l’Alliance du 8 mars et qui à celle du 14 mars.
25. Le Parti socialiste progressiste à prédominance druze, qui
n’appartient à aucune des deux alliances, a soutenu Henri Hélou
pour éviter la victoire d’Aoun ou de Frangié. Ces efforts se sont
avérés infructueux.
26. De nombreux analystes, ainsi que certains députés avec lesquels
je me suis entretenu, estimaient que le Hezbollah était en fait
favorable à la vacance du pouvoir. Ils prévoyaient qu’en raison
de ses liens avec l’Iran, le Hezbollah s’opposerait à toute candidature
considérée comme pro-saoudienne et continuerait de faire obstacle
au consensus afin de peser davantage sur le processus de négociation.
En fin de compte, cette stratégie a été couronnée de succès puisque
son candidat a finalement été élu.
27. Au Liban, chaque ministère est contrôlé par un certain groupe
et, sans Président pour superviser le tout pendant une si longue
période, beaucoup de choses avaient échappé à tout contrôle. Il
convient toutefois de noter que l’armée et les forces de sécurité
n’ont pas semblé pâtir de la crise politique et ont continué de fonctionner
de manière satisfaisante.
28. L’Europe devrait aider le Liban en encourageant les différentes
factions à travailler ensemble et à dissocier la politique de la
prestation de services. La Syrie exerce en effet une forte pression
sur le Liban, mais pas au bénéfice d’un groupe en particulier. Les
différents groupes doivent comprendre que le partage du pouvoir
est essentiel pour résoudre les problèmes. Le modèle libanais est
loin d’être parfait mais il a pendant longtemps maintenu la cohésion
du pays.
7. Société civile libanaise
29. Plus de 8 000 organisations
de la société civile sont enregistrées auprès du ministère de l’Intérieur, auxquelles
il faut ajouter les syndicats et les associations professionnelles
reconnus par le ministère du Travail. Par le biais de ces organisations,
la société civile libanaise a milité et manifesté pour que la loi
électorale et la loi sur le statut personnel soient modifiées. Malgré
les efforts déployés pour sensibiliser l’opinion à ces lois, aucune
nouvelle loi n’a été adoptée. Lors de ma visite, j’ai eu l’occasion
de rencontrer un représentant de la principale organisation non
gouvernementale (ONG), dont l’objectif est d’«opérer une refonte
des systèmes administratif et électoral pour assurer une représentation
juste et une participation effective»: il s’agit de l’Association
libanaise pour des élections démocratiques (LADE) créée en 1996.
La LADE s’implique également dans la surveillance des élections,
s’emploie à former les citoyens aux grandes questions électorales
et fait pression sur les partis politiques pour qu’ils adoptent
les normes nécessaires à la tenue d’élections démocratiques. En
2006, la LADE et deux autres organisations, l’Association libanaise
pour la transparence et le Centre d’études libanaises, ont lancé
la campagne civile pour la réforme électorale.
30. Les organisations de la société civile au Liban se sont investies
avec succès pour faire adopter une législation relative à la lutte
contre la violence domestique et la traite des êtres humains. KAFA
(«Assez») est une importante ONG qui a joué un rôle de premier plan
dans l’adoption, en 2014, de la loi relative à la lutte contre la
violence domestique. KAFA a également participé à la formation des
forces intérieures de sécurité à la nouvelle législation.
31. L’Organisation libanaise pour les études et la formation (LOST),
dont j’ai également rencontré des représentants, a été créée en
2008. LOST s’attache à créer une société plus développée et plus
équitable, essentiellement en intervenant auprès des femmes, des
jeunes et des enfants et en veillant au respect des droits de l’homme.
Il existe également d’autres ONG au Liban qui œuvrent en faveur
des droits de l’homme, à l’instar du Centre libanais pour les droits
de l’homme (CLDH), créé en 2006, qui s’investit plus particulièrement dans
la lutte contre les disparitions forcées, les détentions arbitraires
et la torture.
32. Créée en 1999, l’Association libanaise pour la transparence
a pour mission première d’enrayer la corruption. Elle n’a pas vocation
à examiner des cas spécifiques de corruption mais plutôt à éliminer
la corruption en appelant à des réformes et en promouvant les principes
de la bonne gouvernance.
33. Les ONG jouent également un rôle important de par l’aide qu’elles
apportent dans le cadre de l’arrivée massive de réfugiés syriens,
mais aussi par l’assistance qu’elles fournissent et leur action
de lobbying dans beaucoup d’autres domaines (environnement, analphabétisme,
pauvreté, corruption).
34. L’implication de la population libanaise dans la vie politique
se reflète également dans les récentes élections municipales qui
se sont tenues le 8 mai 2016. Premières élections organisées au
Liban depuis 2010, elles se sont véritablement démarquées des précédents
scrutins locaux. Compte tenu du climat politique actuel marqué par
une nette défiance à l’égard des instances politiques libanaises,
les élections municipales ont revêtu une importance non seulement
symbolique mais aussi pratique au vu des difficultés que rencontrent actuellement
les communes (crise des ordures, réfugiés). Les précédentes élections
municipales étaient souvent peu concurrentielles, les vainqueurs
étant généralement ceux qui entretiennent des liens avec les instances
traditionnelles du pouvoir, qu’il s’agisse de partis politiques
ou de familles influentes. C’est pourquoi, bien souvent, les candidats
aux élections municipales ne présentent pas de programme ni de mesures
pour le développement local.
35. A cet égard, les élections municipales de 2016 ont marqué
un changement. Beyrouth Madinati – un mouvement social – se présentait
comme une alternative aux candidats traditionnels et à leurs partis,
en lesquels la population n’a plus confiance. Les candidats de Beirut
Madinati, qui n’étaient affiliés à aucun des partis politiques au
pouvoir, ont présenté un programme en 10 points axé sur «la primauté
du bien social, la justice sociale, la transparence et la gestion
de notre ville pour les générations à venir». Beirut Madinati n’a pas
remporté les élections mais a recueilli environ 40 % des voix à
Beyrouth, score relativement élevé pour une formation locale récente.
Le mouvement sera parvenu à faire évoluer la scène politique libanaise
vers une démarche davantage axée sur un programme. Selon Maya Saikali,
directrice de la création dans la campagne de communication, même
s’il n’a pas remporté les élections, Beirut Madinati a réussi à
engager le dialogue et l’objectif du groupe doit être de poursuivre
ce dialogue à travers «un travail assidu et un engagement soutenu dans
notre ville». Ibrahaim Mneimneh, candidat de Beirut Madinati, avec
lequel je me suis entretenu, a déclaré que, pour la première fois,
la population libanaise désirait participer à la vie politique,
convaincue qu’elle pouvait faire bouger les lignes.
8. Les influences extérieures
de la vie politique libanaise
36. La scène politique libanaise
est sous l’influence de pouvoirs extérieurs, notamment de deux Etats:
l’Iran et l’Arabie saoudite. Ces deux pays soutiennent différentes
organisations politiques libanaises.
37. Le Hezbollah (ou «parti de Dieu») a été créé au moment de
la guerre civile libanaise, après l’invasion du Liban par Israël
en 1982. L’Iran a joué un rôle important dans l’émergence du groupe,
qui a été formé par la Garde révolutionnaire iranienne et reste
aujourd’hui largement financé par l’Iran (d’après Matthew Levitt, directeur
de recherche à l’Institut pour la politique du Proche-Orient de
Washington, l’Iran financerait le Hezbollah à hauteur de 200 millions
de dollars par an). Dans son manifeste fondateur de 1985, le Hezbollah affirmait
sa loyauté à l’Iran, exhortait à la création d’un Etat islamique
et appelait à la destruction de l’Etat d’Israël et à la fin de l’intervention
occidentale au Proche-Orient. L’idéologie du Hezbollah en a fait
un intermédiaire de choix de la politique étrangère iranienne. De
plus, il bénéficie dans une large mesure de l’appui de la Syrie,
ce qui explique son soutien au régime de Bachar el-Assad. A travers
le Hezbollah, Téhéran exerce clairement une influence sur le paysage
politique libanais. Selon M. Ali Fayad, le représentant du Hezbollah
que j’ai rencontré, les membres du Hezbollah seraient extrémistes
dans leur combat contre Israël et les terroristes en Syrie (Daech,
Al-Nosra et Al-Qaida) mais seraient très modérés dès lors qu’il
s’agit de la politique intérieure du Liban.
38. L’Arabie saoudite a joué un rôle important dans les négociations
de paix qui ont mis fin à la guerre civile au Liban. Elle a ensuite
déclaré son soutien à l’Alliance du 14 mars pour tenter de contrecarrer
l’influence iranienne au Liban. C’est avant tout financièrement
que l’Arabie saoudite a entrepris d’asseoir son influence au Liban
– ou de contrer l’influence syrienne et iranienne dans le pays.
L’Arabie saoudite détient une grande partie de la dette libanaise
et soutient tant directement qu’indirectement l’économie libanaise.
Indirectement à travers l’industrie du tourisme et les expatriés
libanais qui travaillent en Arabie saoudite et dans d’autres pays du
Golfe. Directement, à travers les programmes d’aide qu’elle déploie
au Liban. Toutefois, en janvier 2016, l’ambassade saoudienne à Téhéran
a été prise d’assaut par la foule en réaction à l’exécution par
l’Arabie saoudite d’un chef religieux, opposant chiite. Au lendemain
de cette attaque, tous les membres de la Ligue arabe – à l’exception
du Liban – ont condamné cet acte. Le refus du Liban de s’associer
à cette condamnation a sérieusement porté atteinte à ses relations
avec l’Arabie saoudite, qui a décidé d’annuler la subvention de 3 milliards
de dollars destinée aux forces armées libanaises et celle de 1 milliard
de dollars destinée aux forces de sécurité intérieure libanaises.
L’Arabie saoudite a également conseillé à ses ressortissants d’éviter
de se rendre au Liban, qui n’est désormais plus une destination
prisée du tourisme arabe.
39. Il m’a été rapporté que le Liban avait récemment reçu € 28
millions de l’Union européenne pour l’éducation des enfants réfugiés
syriens et avait dans le même temps perçu € 55 millions d’un donateur anonyme
d’un pays du Golfe, destinés à l’éducation religieuse des enfants
réfugiés syriens. Il convient de noter que, dans le cadre de l'accord
d'association UE-Liban, entré en vigueur en 2006, le Liban reçoit
déjà € 50 millions par an de l'Union européenne.
9. La crise des réfugiés
40. En octobre 2016, la commission
a examiné un avant-projet de rapport sur «La situation au Liban
et risques pour la stabilité de la région et la sécurité de l’Europe».
Au cours des discussions, certains collègues ont abordé la question
des réfugiés. Comme je l’ai souligné à cette occasion, il s’agit
d’un rapport de la commission des questions politiques et de la
démocratie, c’est pourquoi je tenais à mettre l’accent sur la situation
politique. Toutefois, étant donné que le problème des réfugiés a
des conséquences sur cette situation, je l’évoquerai brièvement.
41. Depuis que le conflit en Syrie a évolué en véritable guerre
civile en mars 2012, l’Assemblée attire l’attention sur le sort
des réfugiés. Dès 2012, elle a adopté la
Résolution 1902 (2012) sur la réponse européenne face à la crise humanitaire
en Syrie; en avril 2013, elle a tenu un débat d’actualité sur le
thème «Les réfugiés syriens en Jordanie, en Turquie, au Liban et
en Irak: comment organiser et soutenir l’aide internationale?»;
par ailleurs, elle a adopté en juin 2013 la
Résolution 1940 (2013) sur la situation au Proche-Orient, en octobre 2013,
la
Recommandation 2026 (2013) sur la situation en Syrie, en janvier 2014, la
Résolution 1971 (2014) «Les réfugiés syriens: comment organiser et soutenir
l’aide internationale?», et en avril 2016, la
Résolution 2107 (2016) sur une réponse renforcée de l’Europe à la crise des
réfugiés syriens. Ces textes font l’inventaire des mesures que l’Assemblée
estime nécessaires pour gérer la crise des réfugiés.
42. Le Liban a enregistré l’arrivée de plus d’un million de réfugiés
venant de Syrie, mais on estime leur nombre total à 1,5 million,
ce qui représente un quart de la population libanaise. Cet afflux
vient s’ajouter aux nombreux réfugiés déjà présents, faisant du
Liban le pays avec le plus grand nombre de réfugiés par habitant au
monde. La communauté internationale doit remercier le Liban pour
son hospitalité et montrer sa solidarité de manière plus efficace.
43. Quelque 450 000 réfugiés palestiniens sont enregistrés auprès
de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies (UNRWA) au
Liban et sont principalement installés dans les 12 camps de réfugiés
que compte le pays. Certains y vivent depuis 60 ans, ce qui représente
parfois quatre générations. La législation libanaise limite les
droits des réfugiés (le droit au travail, par exemple) et ne permet
pas leur intégration.
44. En 2015, comme indiqué dans la
Résolution 2107 (2016), le Gouvernement libanais a adopté de nouveaux critères
pour le renouvellement des titres de séjour des réfugiés. Selon
Amnesty International
, «la plupart de ces personnes sont
incapables de payer les frais de renouvellement (200 dollars par
personne) et de fournir les nombreux documents demandés. Les réfugiés
syriens qui n’ont pas de permis de séjour en cours de validité sont
considérés en infraction au regard de la loi libanaise. Cela les
expose à de nombreuses atteintes à leurs droits humains». Par ailleurs,
en 2015, les Nations Unies ont dû réduire l’ampleur de l’aide et du
soutien qu’elles apportaient aux réfugiés au Liban, car elles n’ont
perçu que 57 % des fonds nécessaires.
45. Compte tenu de cette situation délicate, la communauté internationale,
et notamment les Etats membres du Conseil de l’Europe, doivent renforcer
de toute urgence leur contribution au soutien et à l’aide aux réfugiés présents
au Liban. Ils doivent, d’une part, augmenter leur soutien financier
à la prise en charge humanitaire sur le terrain et, d’autre part,
accroître les possibilités de réinstallation pour les réfugiés qui
souhaiteraient en bénéficier.
10. Remarques
finales
46. Le Liban traverse une période
difficile mais résiste bien. Ce pays est un bon exemple de coexistence pacifique
de différentes religions et devrait être encouragé à continuer sur
cette voie. La crise en Syrie a eu des répercussions et certains
affrontements ont débordé sur le territoire libanais. L’économie
dans son ensemble et les services en particulier connaissent une
stagnation. Cependant, ce statu quo complexe satisfait tous les
groupes car ils pensent qu’ils pourraient y perdre si la situation
venait à changer.
47. La principale raison pour laquelle il a fallu au Liban plus
de deux ans pour élire un Président tient au fait que les groupes
chrétiens ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur un candidat
acceptable pour les deux principales alliances politiques. Malgré
les désaccords entre les groupes et en leur sein, l’idée que le
pire doit être évité fait consensus: les partis politiques s’accordent
tous sur la nécessité d’écarter par tous les moyens tout risque
de nouvelle guerre civile. Les problèmes du Liban ne seront pas
totalement résolus si ceux de la Syrie ne sont pas réglés. L’Europe,
qui a toujours une influence au Liban, devrait soutenir les mécanismes
qui aident le Liban à surmonter ses problèmes.
48. Parmi les responsables politiques libanais que j’ai pu rencontrer,
beaucoup sont convaincus que les décisions qui concernent le Liban
sont prises à l’étranger (à Ryad, Téhéran, Moscou ou Washington).
Certains estiment que le Liban est touché par la guerre par procuration
que se livrent l’Arabie saoudite et l’Iran et certains craignent
la contagion des conflits au Liban, en raison notamment de l’intervention
massive du Hezbollah (qui est un Etat dans l’Etat) dans la guerre
en Syrie. La vacance de la présidence pendant plus de deux ans était
considérée comme problématique. Il ne fait aucun doute que la situation
des droits de l’homme est déplorable en Arabie saoudite comme en
Iran. Cependant, ces deux pays ont une réelle influence au Liban et
il semble impossible de régler les problèmes du pays sans leur contribution.
49. Au moment de ma visite, tous les partis politiques étaient
d’avis que le Liban devait relever trois grands défis: élire un
nouveau Président (cette question a été réglée depuis): réformer
la loi électorale et préparer des élections nationales avant le
22 juin 2017. Le Liban pourrait s’ouvrir à l’assistance politique
extérieure pour essayer de résoudre les blocages politiques. Les
personnes avec lesquelles je me suis entretenu étaient disposées
à laisser l’Europe et le Conseil de l’Europe jouer un rôle.
50. Par conséquent, outre un soutien matériel pour faire face
au problème des réfugiés et un soutien technique, qui ont déjà été
mentionnés dans des textes précédemment adoptés par l’Assemblée,
je recommande les mesures suivantes:
- établir une relation de travail durable entre l’Assemblée
parlementaire et le Parlement libanais, en invitant dans un premier
temps les parlementaires libanais à suivre les travaux de l’Assemblée
et ensuite en encourageant le Parlement libanais à demander le statut
de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée;
- mettre les compétences de la Commission de Venise à la
disposition du Parlement libanais en vue de la révision de la loi
électorale;
- offrir un soutien politique à l'un des rares pays stables
de la région. Stabilité au Proche-Orient veut dire sécurité pour
l'Europe et il est donc de notre responsabilité de soutenir le Liban.