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Avis de commission | Doc. 14255 | 25 janvier 2017

La compatibilité avec les droits de l’homme de l’arbitrage investisseur-Etat dans les accords internationaux de protection des investissements

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Geraint DAVIES, Royaume-Uni, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13691, Renvoi 4115 du 20 avril 2015. Commission saisie du rapport: Commission des questions juridiques et des droits de l'homme. Voir Doc. 14225. Avis approuvé par la commission le 24 janvier 2017. 2017 - Première partie de session

A. Conclusions de la commission

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La commission des questions sociales, de la santé et du développement durable s’est penchée sur le rapport élaboré par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme et émet un certain nombre de réserves concernant l’utilité du Système juridictionnel des investissements (SJI) proposé, censé remplacer progressivement les clauses de règlement des différends entre investisseurs et Etats (RDIE) dans la «nouvelle génération» d’accords commerciaux auxquels les pays européens sont parties et, à terme, dans les traités de commerce et d’investissement plus anciens. De l’avis de la commission des questions sociales, le SJI proposé ne règle pas la plupart des problèmes majeurs posés par le système de RDIE.

La commission estime que le principal danger des systèmes d’arbitrage investisseur-Etat par le biais de RDIE et SJI réside dans le fait que le droit des investisseurs à «réaliser un bénéfice» tend à l’emporter sur les politiques publiques visant à protéger les droits humains, notamment les droits sociaux tels que les droits des travailleurs, et sur la protection de la santé publique et de l’environnement. A l’inverse des dispositions de protection de l’investissement proposées pour inclusion dans la «nouvelle génération» d’accords commerciaux, qui prévoient un mécanisme d’application à travers le SJI proposé, les politiques publiques visant à protéger l’intérêt public ne sont assorties d’aucun mécanisme équivalent et pourraient donc être éclipsées par le SJI proposé, qui succède au RDIE.

La commission considère que tant les clauses de RDIE qu’un SJI permanent et multilatéral, sont inutiles dans les pays développés tels que les Etats-Unis, le Canada et les Etats membres de l’Union européenne car les investisseurs étrangers y sont déjà protégés par le droit public et le droit des contrats existants. Elle propose par conséquent une série d’amendements visant à refléter ses conclusions dans le projet de résolution présenté par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.

B. Amendements proposés

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Amendement A (au projet de résolution)

A la fin du paragraphe 3, ajouter la phrase suivante:

«Or, les investisseurs étrangers dans l’Union européenne sont déjà protégés de trois manières: par la Cour européenne des droits de l’homme, par le droit européen et par le droit interne.»

Amendement B (au projet de résolution)

A la fin du paragraphe 4, ajouter la phrase suivante:

«Cela étant, la Cour européenne des droits de l’homme et le droit européen protègent aussi les investissements étrangers en Europe et aucune affaire ne s’est produite où la Cour et le droit européen, ainsi que le droit des contrats et le droit public internes, auraient favorisé des pratiques discriminatoires à l’encontre des investisseurs étrangers.»

Amendement C (au projet de résolution)

A la fin du paragraphe 5.1, ajouter la phrase suivante:

«, même si, dans la grande majorité des cas, l’investisseur principal est l’Union européenne, dans des pays tiers plus petits où la triple protection des investisseurs offerte par la Cour européenne des droits de l’homme, le droit européen et le droit des contrats et le droit public internes n’existe pas;»

Amendement D (au projet de résolution)

A la fin du paragraphe 5.2, ajouter la phrase suivante:

«les parties ne disposent généralement pas du droit de recours et les tribunaux peuvent adopter des décisions incohérentes et ne pas appliquer la règle du précédent;»

Amendement E (au projet de résolution)

A la fin du paragraphe 5.3, ajouter la phrase suivante:

«. Toutefois, il existe plusieurs systèmes d’arbitrage concurrents qui n’ont pas l’avantage d’avoir suivi une évolution itérative transparente telle que la bonne administration de la justice en droit public dans les démocraties matures;»

Amendement F (au projet de résolution)

A la fin du paragraphe 5.4, ajouter la phrase suivante:

«. Toutefois, le commerce international entre l’Union européenne, le Canada et les Etats-Unis est bien établi et les protections nécessaires sont en place;»

Amendement G (au projet de résolution)

Au paragraphe 6.1, après la première phrase, insérer la phrase suivante:

«Cela étant, les investisseurs étrangers en Europe sont déjà protégés par le triple système de la Cour européenne des droits de l’homme, du droit européen et du droit interne. Le SJI proposé»

Amendement H (au projet de résolution)

A la fin du paragraphe 6.1, ajouter la phrase suivante:

«Une fois appliquées, ces dispositions demeureraient en vigueur pendant vingt ans sans pouvoir faire l’objet de modifications ni d’améliorations par le Parlement européen ou les Etats membres, indépendamment du fait que les décisions et les sanctions financières puissent être contraires aux impératifs de la santé publique, de la protection de l’environnement et des droits liés au travail;»

Amendement I (au projet de résolution)

A la fin du paragraphe 7, ajouter la phrase suivante:

«Toutefois, l’Assemblée considère que dans les pays développés tels que les Etats-Unis, le Canada et les Etats membres de l’Union européenne, les clauses de RDIE et un SJI permanent et multilatéral ne sont pas nécessaires pour protéger les investisseurs étrangers.»

Amendement J (au projet de résolution)

Au paragraphe 8, à la fin de la troisième phrase, ajouter les mots suivants:

«, qui devrait être raisonnablement limitée dans le temps.»

Amendement K (au projet de résolution)

Reformuler le paragraphe 9 comme suit:

«L’Assemblée appelle par conséquent l’Union européenne à ne pas poursuivre, dans ses négociations actuelles et futures des accords internationaux d’investissement avec les pays développés, notamment le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI), la création d’un SJI qui remplacera progressivement les mécanismes classiques de RDIE. Elle regrette l’intégration du SJI dans l’Accord économique et commercial global (AECG) récemment signé avec le Canada. L’AECG et le PTCI doivent être signés seulement s’ils sont conformes aux droits humains et à l’Etat de droit, et doivent en particulier:»

Amendement L (au projet de résolution)

Au début du paragraphe 9.1, insérer les mots suivants:

«veiller à ce que les procédures judiciaires en matière d’investissement continuent de»

Amendement M (au projet de résolution)

Au paragraphe 9.2, remplacer les mots «des droits de l’homme tels que» par les mots:

«les droits humains, notamment les droits sociaux,»

Amendement N (au projet de résolution)

Reformuler le paragraphe 10.1 comme suit:

«à veiller, dans le cadre de la création d’un SJI, à ce que les considérations susmentionnées en matière de droits humains et d’Etat de droit soient pleinement prises en compte et à ce que les décisions de justice définitives du système de droit public et commercial en vigueur prises conformément à la Cour européenne des droits de l’homme et au droit européen soient rapidement et pleinement mises en œuvre à l’échelon national;»

Amendement O (au projet de résolution)

Reformuler le paragraphe 10.5 comme suit:

«à déterminer si des clauses éventuelles de RDIE dans les accords internationaux d’investissement qu’ils ont conclus sont susceptibles d’être modifiées et dans l’affirmative, à évaluer l’adéquation de ces clauses et à les mettre en conformité avec les bonnes pratiques prévues pour le futur SJI.»

C. Exposé des motifs, par M. Geraint Davies, rapporteur pour avis 
			(1) 
			En
ma qualité de rapporteur pour avis, je tiens à remercier tout particulièrement
l’expert, M. Sam Fowles, membre de la Royal Society of Arts, Faculté
de droit, Queen Mary University of London.

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1. Le rapport présenté à l’Assemblée parlementaire par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme se contente principalement de recenser les lacunes et les inconvénients du mécanisme de RDIE et de formuler des propositions d’amélioration du futur SJI de manière à protéger les droits humains et l’Etat de droit. Pour ma part, je considère que le SJI proposé présente de nombreux problèmes.

1. Le SJI est-il nécessaire?

2. Tout d’abord, je pense qu’il n’est pas nécessaire d’instituer le SJI proposé car le droit interne et le droit de l’Union européenne créent déjà un environnement dans lequel les investisseurs peuvent faire des affaires en se conformant à des lois cohérentes, justes et prévisibles. Ainsi, la propriété est déjà protégée contre les expropriations sans indemnisation et/ou déraisonnables par le droit interne, le droit européen et la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») (Protocole no 1 (STE no 9). De plus, toute personne est protégée contre la discrimination par le droit interne, le droit de l’Union européenne et la Convention. Tout comme les citoyens du pays, les investisseurs étrangers peuvent faire valoir leurs droits en matière de protection devant les tribunaux internes, les juridictions de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme.
3. Créer un nouveau niveau de droit, accessible aux seuls investisseurs étrangers, n’est nécessaire que si l’objectif consiste à octroyer des droits différents aux investisseurs étrangers par rapport à ceux des citoyens. Les architectes du RDIE/SJI doivent encore déterminer les aspects du droit interne/de l’Union européenne/de la Cour qui présentent des lacunes, comment les dispositions statutaires proposées y remédieront et pourquoi il faudrait y remédier uniquement pour les investisseurs étrangers et non pas pour les citoyens. L’idée d’offrir un revolver au lieu d’un fusil aux multinationales pour tuer les démocraties est loin d’être un «compromis». En effet, les intérêts commerciaux et les investissements des entreprises européennes à l’étranger sont suffisamment bien protégés par les tribunaux des pays d’accueil, notamment dans les pays développés.

2. Une absence flagrante de cohérence

4. En deuxième lieu, je suis préoccupé par l’absence de cohérence, le SJI introduisant un système de recours sans toutefois appliquer la règle du précédent. Les cours d’appel ont pour objet de préciser des points de droit de manière à ce que la loi soit prévisible et que les sujets de droit adaptent leur comportement en conséquence. Si les juridictions inférieures ne sont pas liées par les décisions de la juridiction d’appel, elles ne peuvent pas s’acquitter de cette fonction. La juridiction d’appel est réduite à un rôle de «deuxième chance» pour les investisseurs qui perdent en première instance.
5. Les lois sur la protection des investissements demeureront moins prévisibles que le droit interne (qui, même dans les pays européens de droit civil, doit se conformer aux décisions contraignantes des tribunaux de l’Union européenne). Ce manque de prévisibilité crée des problèmes, par exemple un «gel réglementaire», où les Etats sont incités à ne pas prendre de décisions qui compromettraient les intérêts des investisseurs poursuivis en justice.

3. Le SJI ne remédie pas aux problèmes majeurs posés par les dispositions relatives à la protection des investissements

6. En troisième lieu, les objections concernant les chapitres du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) et de l’Accord économique et commercial global (AECG) consacrés à l’investissement ne portent pas uniquement sur la forme du mécanisme de règlement des différends. Les objections les plus fortes concernent les dispositions matérielles de ces accords, qui accordent aux investisseurs des droits plus importants face à l’Etat que ceux dont jouissent les citoyens. Les dispositions de la proposition de l’Union européenne relative au chapitre du PTCI consacré à l’investissement apportent un début de solution à ce problème en précisant et en limitant le champ d’application des clauses relatives à l’«expropriation» et au «traitement juste et équitable» et en réaffirmant le «droit de réglementer» dans le dispositif du texte.
7. Cela ne résout toutefois pas le problème de fond. En créant un nouveau niveau de droit pour les investisseurs, on crée une incitation permanente à accorder un traitement spécial. Si les dispositions relatives à l’«expropriation» et au «traitement juste et équitable» sont effectivement subordonnées au «droit de réglementer», alors elles n’offrent aucune protection réelle, outre celle offerte par le droit interne, auquel cas elles sont inutiles. Si, au contraire, elles sont utiles, alors cela doit être parce qu’elles offrent une protection plus étendue que celle prévue par le droit interne, auquel cas elles font passer les intérêts des investisseurs avant ceux des citoyens.
8. Les efforts européens devraient se concentrer sur la nécessité de continuer à s’appuyer sur les cadres juridiques existants du droit public et du droit des contrats afin de protéger à la fois les investisseurs et l’intérêt public en ce qui concerne la santé publique, l’environnement et les droits sociaux. En effet, si les dispositions relatives à la protection des investissements qui figurent dans la «nouvelle génération» d’accords commerciaux ont l’avantage de prévoir un mécanisme d’application incarné par le SJI, les dispositions sur le développement durable ne prévoient aucun mécanisme équivalent. La même remarque vaut pour les préoccupations concernant la protection de la santé publique et des droits sociaux. Les pays européens devraient continuer à faire bon usage du principe de précaution afin de mettre la sécurité publique au premier plan, sans craindre d’être traînés en justice devant des tribunaux d’arbitrage.

4. La question de l’égalité d’accès

9. En quatrième lieu, les propositions actuelles de création du SJI ne font rien pour résoudre le problème du coût de l’arbitrage investisseur-Etat. Cela signifie que les petites et moyennes entreprises auront probablement grand mal à saisir le SJI car le risque financier d’une action en justice et le risque de perdre seront trop élevés. De fait, dans de nombreux cas, même si elles gagnaient (en gardant à l’esprit que le requérant doit engager des dépenses importantes, généralement sur une période de plusieurs années, avant de voir les coûts induits ou de recevoir des dommages-intérêts), le coût serait encore trop important. Dans la pratique donc, le SJI, à l’instar du RDIE, risque d’être réservé aux investisseurs les plus riches.

5. L’inégalité des armes

10. Enfin, en créant un nouveau niveau de droit, assorti d’un mécanisme d’application puissant et efficace, on place les intérêts des investisseurs au-dessus d’autres intérêts importants. Les mesures visant à protéger l’environnement, la santé ou les droits des travailleurs par exemple ne sont assorties d’aucun mécanisme équivalent au SJI. Même si les droits matériels reconnus aux investisseurs sont les mêmes que ceux accordés à d’autres acteurs, l’existence d’un mécanisme d’application spécifiquement réservé aux investisseurs incite les Etats à prendre en considération les intérêts des investisseurs plutôt que d’autres intérêts. L’existence même d’un nouveau niveau de droit et d’un mécanisme d’application distinct, indépendamment de leur contenu, privilégie les intérêts des investisseurs par rapport à ceux de toute autre partie.

6. Conclusions

11. En conclusion, je suis convaincu que les investisseurs bénéficient déjà d’une ample protection et que le plaidoyer en faveur du SJI repose sur une fausse hypothèse selon laquelle les investisseurs ont besoin d’une protection supplémentaire contre la discrimination. En réalité, dans l’Union européenne, les investisseurs sont déjà triplement protégés: par la Cour européenne des droits de l’homme, le droit européen et le droit interne. On ne connaît aucun cas dans l’Union européenne où des investisseurs auraient été effectivement discriminés; la nécessité de créer un SJI ne repose donc sur aucun élément factuel. Il existe bien de tels cas, mais en dehors de l’Union européenne seulement, dans des pays où cette triple protection n’existe pas.
12. La Convention européenne des droits de l’homme protège à la fois la propriété et les personnes contre la discrimination. Par conséquent, la mise en place du SJI constitue une protection discriminatoire en faveur de l’investisseur dont ne bénéficient ni les citoyens, ni les démocraties qui les représentent. Aussi, en vertu du SJI, les investisseurs et les citoyens ne seraient pas traités sur un pied d’égalité selon la loi, ce qui est contraire au principe de l’Etat de droit. Les citoyens et les investisseurs dans l’Union européenne, aux Etats-Unis et au Canada sont protégés par les systèmes établis du droit public et du droit des contrats. Or, ceux-ci seraient supplantés par les collèges d’arbitres proposés et la cour d’appel proposée ne suivrait pas la règle du précédent, ce qui créerait une situation où même si la cour d’appel annulait des décisions arbitraires du collège d’arbitres, de telles décisions pourraient se reproduire à l’avenir. Non seulement la mise en place du SJI serait inutile pour protéger les investisseurs dans ces pays, mais elle serait également contraire à l’Etat de droit, aux droits humains et à la démocratie.
13. Par ailleurs, le SJI accorderait également des pouvoirs disproportionnés aux investisseurs qu’ils pourraient utiliser contre les intérêts des droits humains, de la démocratie et de l’Etat de droit, et les affaires sont nombreuses qui incitent à penser que de tels pouvoirs seraient effectivement exercés. Les mêmes pouvoirs proposés pour les investisseurs dans le cadre du SJI ont été utilisés dans le cadre de son prédécesseur, le RDIE, pour porter atteinte au bien public – et notamment aux lois protégeant l’environnement, la santé publique et les droits liés au travail – lorsque des lois réduisaient potentiellement les bénéfices des investisseurs. Par conséquent, le SJI assujettirait la démocratie, les droits humains et l’Etat de droit en invoquant le faux prétexte de la protection des investisseurs. Le SJI représente un abandon fondamental de la démocratie au profit des multinationales et ne devrait pas figurer dans un accord de commerce transatlantique, y compris l’AECG et le PTCI.