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Résolution 2143 (2017)

Médias en ligne et journalisme: défis et responsabilités

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 25 janvier 2017 (5e séance) (voir Doc. 14228, rapport de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, rapporteure: Mme Adele Gambaro; et Doc. 14240, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Boriss Cilevičs). Texte adopté par l’Assemblée le 25 janvier 2017 (5e séance).

1. L’Assemblée parlementaire reconnaît les changements radicaux intervenus dans le paysage médiatique à la suite de la convergence entre les médias traditionnels, internet et les télécommunications mobiles, et de l’apparition de nouveaux types de médias, tels que les plates-formes de contenus utilisateurs et les outils d’agrégation qui réunissent automatiquement des contenus médiatiques provenant de tiers. Dans ce nouveau contexte, le lecteur, ou le spectateur, contribue activement à la chaîne d’information, non seulement en sélectionnant l’information, mais aussi, souvent, en la produisant. Tandis qu’auparavant les journalistes et rédacteurs en chef contrôlaient la diffusion publique de l’information, les nouveaux médias en ligne offrent à tous la possibilité de diffuser des informations et des points de vue au grand public. Ces nouveaux outils permettent donc aux particuliers de contourner les médias traditionnels, renforçant ainsi le pluralisme des médias, par le biais de blogs d’investigations, par exemple.
2. L’évolution du paysage médiatique a aussi une influence sur le mode de financement des médias. En effet, alors qu’autrefois les abonnements représentaient pour ces derniers une source stable de revenus, à l’heure de l’accès gratuit aux médias en ligne, les utilisateurs sont moins disposés à payer des abonnements. De même, les revenus qui provenaient autrefois d’une publicité diffusée dans la presse et sur les ondes sont aujourd’hui liés à la publicité ciblée sur internet, qui exploite les profils établis à l’aide des données personnelles des internautes. En raison du transfert de ressources des médias vers les fournisseurs de services internet et les réseaux sociaux, l’Assemblée est extrêmement préoccupée par l’affaiblissement des médias professionnels, alors que les médias en ligne, qui ne respectent pas de normes journalistiques professionnelles, connaissent une croissance exponentielle.
3. L’Assemblée souhaite souligner à ce propos qu’il incombe tout particulièrement aux radiodiffuseurs publics de refléter de manière satisfaisante l’entière diversité des points de vue présents dans la société, et rappelle la Recommandation CM/Rec(2012)1 du Comité des Ministres sur la gouvernance des médias de service public. Comme les radiodiffuseurs publics participent de plus en plus au marché des médias en ligne, ils pourraient jouer un rôle important dans la réalisation des buts poursuivis par la présente résolution.
4. Les médias en ligne ont permis au public de prendre conscience des violations des droits de l’homme et de la souffrance humaine qui existent dans des régions très éloignées, auxquelles les médias accordent peu d’attention. D’autre part, internet a également permis à de puissants acteurs commerciaux et groupes politiques de lancer des initiatives concertées mobilisant de très nombreux utilisateurs de médias en ligne. Or, ces actions ne reposent pas toujours sur des faits et des informations justes.
5. Comme l’a constamment souligné la Cour européenne des droits de l’homme dans sa jurisprudence, la presse joue un rôle essentiel dans une société démocratique en diffusant des informations sur des questions d’intérêt général. Elle tient lieu de défenseur des intérêts publics, en permettant au public de découvrir et de se forger une opinion sur les comportements et les actions des personnalités politiques.
6. La frontière est ténue entre ce qui peut être considéré comme l’expression légitime de points de vue personnels dans l’objectif de tenter de convaincre le lecteur et la désinformation ou la manipulation. L’Assemblée note avec préoccupation le nombre de campagnes lancées par des médias en ligne dans le but d’induire certains publics en erreur en présentant des informations volontairement partiales ou inexactes, ainsi que le nombre de campagnes de haine et d’attaques personnelles lancées à l’encontre d’individus, souvent dans un contexte politique, dans l’objectif de nuire aux processus politiques démocratiques.
7. L’Assemblée se félicite du fait que d’importants médias en ligne se soient dotés d’une politique destinée à permettre aux utilisateurs de signaler des erreurs factuelles ou de fausses publications émanant de tiers sur leurs sites internet. C’est notamment le cas de Facebook, sur son «fil d’actualité», et de Google, qui dispose d’un outil de demande de suppression de page web. Les médias en ligne se doivent de supprimer ou de corriger les informations erronées; il y va de leur crédibilité et de leur fiabilité.
8. L’Assemblée souligne l’importance de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et surtout de son arrêt de Grande Chambre rendu dans l’affaire Delfi AS c. Estonie (Requête no 64569/09). Cet arrêt de référence précise les devoirs et les responsabilités des portails d’actualités sur internet qui fournissent à des fins commerciales une plateforme destinée à la publication de commentaires d’internautes sur des informations précédemment publiées.
9. Rappelant sa Résolution 1843 (2011) sur la protection de la vie privée et des données à caractère personnel sur l’internet et les médias en ligne, l’Assemblée note avec satisfaction que des tribunaux nationaux en Europe ont ordonné, dans les moteurs de recherche, de supprimer les termes péjoratifs de la fonction de saisie automatique associée à la recherche de noms de personnes. Ce «droit à l’oubli», ou le droit d’effacer des données personnelles dans les médias en ligne, devrait être renforcé sur l’ensemble du continent.
10. Saluant la loi brésilienne no 12965 du 23 avril 2014 sur les droits civils sur internet (Marco Civil da Internet) et la déclaration des droits sur internet adoptée par le Parlement italien le 28 juillet 2015, l’Assemblée appelle les parlements à se pencher sur la question des médias en ligne et du journalisme, et à définir des règles générales sur la protection des libertés et des droits fondamentaux des internautes, des journalistes et des médias en ligne, conformément à la présente résolution.
11. Se référant à la Recommandation CM/Rec(2014)7 du Comité des Ministres aux États membres sur la protection des donneurs d’alerte et rappelant ses propres Résolution 1729 (2010) et Résolution 2060 (2015) sur le sujet, l’Assemblée rappelle aux États membres qu’ils devraient disposer d’un cadre normatif, institutionnel et judiciaire pour protéger les personnes qui, de bonne foi, font des signalements ou révèlent des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général. Ce cadre se justifie tout particulièrement pour les médias en ligne et le journalisme, car internet est l’un des moyens typiquement utilisés par les donneurs d’alerte pour rendre les malversations publiques.
12. Par conséquent, l’Assemblée recommande:
12.1. aux États membres:
12.1.1. de lancer, tant au niveau national qu’au sein du Conseil de l’Europe, des discussions sur les normes et les mécanismes nécessaires pour prévenir le risque de distorsion de l’information et de manipulation de l’opinion publique, comme déjà suggéré dans la Résolution 1970 (2014) de l’Assemblée «Internet et la politique: les effets des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur la démocratie»;
12.1.2. de permettre aux radiodiffuseurs de service public de faire pleinement usage des possibilités techniques offertes par les médias en ligne, en s’assurant que leur présence internet respecte des règles éditoriales d’un niveau aussi élevé que celles s’appliquant aux contenus hors ligne. Les médias de service public devraient en particulier faire preuve de la plus grande diligence éditoriale en ce qui concerne les contenus générés par des utilisateurs ou les contenus publiés par des tiers sur leur site internet;
12.1.3. d’introduire dans leur législation et leur pratique interne un droit de réponse ou toute mesure équivalente permettant une correction rapide des informations inexactes diffusées dans les médias en ligne ou hors ligne;
12.1.4. de garantir la traçabilité, par les services répressifs, des utilisateurs de médias en ligne lorsqu’ils portent atteinte à la loi. L’anonymat des utilisateurs ne doit pas permettre de faire des médias en ligne des zones de non-droit;
12.1.5. d’inclure l’éducation aux médias dans leurs programmes scolaires et de soutenir les projets de sensibilisation et les programmes de formation ciblés visant à promouvoir une utilisation critique des médias en ligne;
12.1.6. de soutenir la formation professionnelle au journalisme, que ce soit dans le cadre de l’enseignement supérieur, de l’apprentissage tout au long de la vie ou de stages proposés par les médias en ligne, ainsi que l’éducation au «journalisme citoyen» pour le public en général;
12.1.7. qui ne l’ont pas encore fait de signer et de ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité (STE no 185), ainsi que son Protocole additionnel relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques (STE no 189);
12.1.8. de coopérer avec les médias en ligne et les fournisseurs de services internet pour mettre en place des lignes directrices inspirées du code de conduite relatif aux discours haineux illégaux en ligne, adopté par la Commission européenne et les grandes entreprises d’internet le 31 mai 2016;
12.1.9. d’élaborer des dispositions plus précises sur la responsabilité des propriétaires de sites internet à l’égard des contenus postés par des tiers, en tenant compte en particulier de l’arrêt de référence rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Delfi AS c. Estonie;
12.2. à la Fédération européenne des journalistes et à l’Association des journalistes européens d’appeler leurs membres à s’assurer que:
12.2.1. les nouveaux médias professionnels appliquent leurs règles éditoriales à leur présence internet, y compris à leurs propres contenus, à la publicité et aux contenus provenant de tiers, tels que les retours ou les commentaires d’utilisateurs. Tous les médias professionnels ont la responsabilité éditoriale des contenus de tiers publiés sur leur site internet;
12.2.2. les utilisateurs de médias en ligne sont informés de la possibilité de déposer un recours à l’encontre de journalistes en ligne, de leur entreprise de médias ou de leur organisation professionnelle;
12.3. à l’Association européenne des fournisseurs de services internet (European Internet Services Providers Association) d’appeler ses membres qui entretiennent des réseaux sociaux, des moteurs de recherche et des agrégateurs d’actualité:
12.3.1. à se doter de codes de déontologie concernant leur propre transparence et leurs obligations à l’égard des services qu’ils proposent. Lorsque la neutralité de ces services est potentiellement compromise par des intérêts commerciaux, politiques ou autres, les fournisseurs devraient faire preuve de transparence à propos de ces intérêts; tous les fournisseurs de tels services devraient établir des mécanismes d’autorégulation pour contrôler le respect de ces codes et informer le public de leur adhésion à ces derniers;
12.3.2. à donner à leurs utilisateurs la possibilité de signaler aux fournisseurs de services des informations erronées et à rendre publiques ces erreurs;
12.3.3. à rectifier volontairement les contenus inexacts ou à publier une réponse conformément au droit de réponse, ou encore à supprimer les contenus inexacts concernés. Les fournisseurs de services internet ont l’obligation légale de coopérer à la lutte contre les contenus illégaux;
12.3.4. à mettre en place des mécanismes d’alerte contre les personnes qui publient régulièrement des propos insultants ou provocateurs (les «trolls»), permettant ainsi aux utilisateurs de signaler la présence de tels fauteurs de troubles afin que les fournisseurs de services internet puissent les exclure de leurs plateformes;
12.4. à l’Alliance européenne pour la publicité numérique interactive (European Interactive Digital Advertising Alliance) de concevoir des normes d’autorégulation pour garantir:
12.4.1. que les annonceurs et les entreprises de relations publiques rendent leur présence internet et leurs contributions au site internet d’autres acteurs identifiables en tant que telles; elles devraient en particulier permettre au public de savoir pour quelles personnes, organisations ou entreprises elles travaillent;
12.4.2. que les médias professionnels sur internet et les fournisseurs de réseaux sociaux interdisent, dans leurs conditions d’utilisation, la publicité et le lobbying déguisés.