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Résolution 2143 (2017)
Médias en ligne et journalisme: défis et responsabilités
1. L’Assemblée parlementaire reconnaît
les changements radicaux intervenus dans le paysage médiatique à
la suite de la convergence entre les médias traditionnels, internet
et les télécommunications mobiles, et de l’apparition de nouveaux
types de médias, tels que les plates-formes de contenus utilisateurs
et les outils d’agrégation qui réunissent automatiquement des contenus
médiatiques provenant de tiers. Dans ce nouveau contexte, le lecteur,
ou le spectateur, contribue activement à la chaîne d’information,
non seulement en sélectionnant l’information, mais aussi, souvent,
en la produisant. Tandis qu’auparavant les journalistes et rédacteurs
en chef contrôlaient la diffusion publique de l’information, les
nouveaux médias en ligne offrent à tous la possibilité de diffuser
des informations et des points de vue au grand public. Ces nouveaux
outils permettent donc aux particuliers de contourner les médias
traditionnels, renforçant ainsi le pluralisme des médias, par le
biais de blogs d’investigations, par exemple.
2. L’évolution du paysage médiatique a aussi une influence sur
le mode de financement des médias. En effet, alors qu’autrefois
les abonnements représentaient pour ces derniers une source stable
de revenus, à l’heure de l’accès gratuit aux médias en ligne, les
utilisateurs sont moins disposés à payer des abonnements. De même,
les revenus qui provenaient autrefois d’une publicité diffusée dans
la presse et sur les ondes sont aujourd’hui liés à la publicité
ciblée sur internet, qui exploite les profils établis à l’aide des
données personnelles des internautes. En raison du transfert de
ressources des médias vers les fournisseurs de services internet
et les réseaux sociaux, l’Assemblée est extrêmement préoccupée par
l’affaiblissement des médias professionnels, alors que les médias
en ligne, qui ne respectent pas de normes journalistiques professionnelles,
connaissent une croissance exponentielle.
3. L’Assemblée souhaite souligner à ce propos qu’il incombe tout
particulièrement aux radiodiffuseurs publics de refléter de manière
satisfaisante l’entière diversité des points de vue présents dans
la société, et rappelle la Recommandation CM/Rec(2012)1 du Comité
des Ministres sur la gouvernance des médias de service public. Comme
les radiodiffuseurs publics participent de plus en plus au marché
des médias en ligne, ils pourraient jouer un rôle important dans
la réalisation des buts poursuivis par la présente résolution.
4. Les médias en ligne ont permis au public de prendre conscience
des violations des droits de l’homme et de la souffrance humaine
qui existent dans des régions très éloignées, auxquelles les médias
accordent peu d’attention. D’autre part, internet a également permis
à de puissants acteurs commerciaux et groupes politiques de lancer
des initiatives concertées mobilisant de très nombreux utilisateurs
de médias en ligne. Or, ces actions ne reposent pas toujours sur
des faits et des informations justes.
5. Comme l’a constamment souligné la Cour européenne des droits
de l’homme dans sa jurisprudence, la presse joue un rôle essentiel
dans une société démocratique en diffusant des informations sur
des questions d’intérêt général. Elle tient lieu de défenseur des
intérêts publics, en permettant au public de découvrir et de se
forger une opinion sur les comportements et les actions des personnalités
politiques.
6. La frontière est ténue entre ce qui peut être considéré comme
l’expression légitime de points de vue personnels dans l’objectif
de tenter de convaincre le lecteur et la désinformation ou la manipulation. L’Assemblée
note avec préoccupation le nombre de campagnes lancées par des médias
en ligne dans le but d’induire certains publics en erreur en présentant
des informations volontairement partiales ou inexactes, ainsi que
le nombre de campagnes de haine et d’attaques personnelles lancées
à l’encontre d’individus, souvent dans un contexte politique, dans
l’objectif de nuire aux processus politiques démocratiques.
7. L’Assemblée se félicite du fait que d’importants médias en
ligne se soient dotés d’une politique destinée à permettre aux utilisateurs
de signaler des erreurs factuelles ou de fausses publications émanant
de tiers sur leurs sites internet. C’est notamment le cas de Facebook,
sur son «fil d’actualité», et de Google, qui dispose d’un outil
de demande de suppression de page web. Les médias en ligne se doivent
de supprimer ou de corriger les informations erronées; il y va de
leur crédibilité et de leur fiabilité.
8. L’Assemblée souligne l’importance de la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme et surtout de son arrêt de
Grande Chambre rendu dans l’affaire Delfi
AS c. Estonie (Requête no 64569/09).
Cet arrêt de référence précise les devoirs et les responsabilités
des portails d’actualités sur internet qui fournissent à des fins
commerciales une plateforme destinée à la publication de commentaires
d’internautes sur des informations précédemment publiées.
9. Rappelant sa Résolution
1843 (2011) sur la protection de la vie privée et des
données à caractère personnel sur l’internet et les médias en ligne,
l’Assemblée note avec satisfaction que des tribunaux nationaux en
Europe ont ordonné, dans les moteurs de recherche, de supprimer
les termes péjoratifs de la fonction de saisie automatique associée
à la recherche de noms de personnes. Ce «droit à l’oubli», ou le
droit d’effacer des données personnelles dans les médias en ligne,
devrait être renforcé sur l’ensemble du continent.
10. Saluant la loi brésilienne no 12965
du 23 avril 2014 sur les droits civils sur internet (Marco Civil da Internet) et la déclaration
des droits sur internet adoptée par le Parlement italien le 28 juillet
2015, l’Assemblée appelle les parlements à se pencher sur la question
des médias en ligne et du journalisme, et à définir des règles générales
sur la protection des libertés et des droits fondamentaux des internautes,
des journalistes et des médias en ligne, conformément à la présente
résolution.
11. Se référant à la Recommandation CM/Rec(2014)7 du Comité des
Ministres aux États membres sur la protection des donneurs d’alerte
et rappelant ses propres Résolution
1729 (2010) et Résolution
2060 (2015) sur le sujet, l’Assemblée rappelle aux États
membres qu’ils devraient disposer d’un cadre normatif, institutionnel
et judiciaire pour protéger les personnes qui, de bonne foi, font
des signalements ou révèlent des informations concernant des menaces
ou un préjudice pour l’intérêt général. Ce cadre se justifie tout particulièrement
pour les médias en ligne et le journalisme, car internet est l’un
des moyens typiquement utilisés par les donneurs d’alerte pour rendre
les malversations publiques.
12. Par conséquent, l’Assemblée recommande:
12.1. aux États membres:
12.1.1. de lancer, tant au niveau
national qu’au sein du Conseil de l’Europe, des discussions sur
les normes et les mécanismes nécessaires pour prévenir le risque
de distorsion de l’information et de manipulation de l’opinion publique,
comme déjà suggéré dans la Résolution 1970
(2014) de l’Assemblée «Internet et la politique: les
effets des nouvelles technologies de l’information et de la communication
sur la démocratie»;
12.1.2. de permettre aux radiodiffuseurs de service public de
faire pleinement usage des possibilités techniques offertes par
les médias en ligne, en s’assurant que leur présence internet respecte
des règles éditoriales d’un niveau aussi élevé que celles s’appliquant
aux contenus hors ligne. Les médias de service public devraient
en particulier faire preuve de la plus grande diligence éditoriale
en ce qui concerne les contenus générés par des utilisateurs ou
les contenus publiés par des tiers sur leur site internet;
12.1.3. d’introduire dans leur législation et leur pratique interne
un droit de réponse ou toute mesure équivalente permettant une correction
rapide des informations inexactes diffusées dans les médias en ligne
ou hors ligne;
12.1.4. de garantir la traçabilité, par les services répressifs,
des utilisateurs de médias en ligne lorsqu’ils portent atteinte
à la loi. L’anonymat des utilisateurs ne doit pas permettre de faire
des médias en ligne des zones de non-droit;
12.1.5. d’inclure l’éducation aux médias dans leurs programmes
scolaires et de soutenir les projets de sensibilisation et les programmes
de formation ciblés visant à promouvoir une utilisation critique
des médias en ligne;
12.1.6. de soutenir la formation professionnelle au journalisme,
que ce soit dans le cadre de l’enseignement supérieur, de l’apprentissage
tout au long de la vie ou de stages proposés par les médias en ligne,
ainsi que l’éducation au «journalisme citoyen» pour le public en
général;
12.1.7. qui ne l’ont pas encore fait de signer et de ratifier
la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité (STE
no 185), ainsi que son Protocole additionnel
relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe
commis par le biais de systèmes informatiques (STE no 189);
12.1.8. de coopérer avec les médias en ligne et les fournisseurs
de services internet pour mettre en place des lignes directrices
inspirées du code de conduite relatif aux discours haineux illégaux
en ligne, adopté par la Commission européenne et les grandes entreprises
d’internet le 31 mai 2016;
12.1.9. d’élaborer des dispositions plus précises sur la responsabilité
des propriétaires de sites internet à l’égard des contenus postés
par des tiers, en tenant compte en particulier de l’arrêt de référence
rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Delfi AS c. Estonie;
12.2. à la Fédération européenne des journalistes et à l’Association
des journalistes européens d’appeler leurs membres à s’assurer que:
12.2.1. les nouveaux médias professionnels appliquent leurs règles
éditoriales à leur présence internet, y compris à leurs propres
contenus, à la publicité et aux contenus provenant de tiers, tels
que les retours ou les commentaires d’utilisateurs. Tous les médias
professionnels ont la responsabilité éditoriale des contenus de
tiers publiés sur leur site internet;
12.2.2. les utilisateurs de médias en ligne sont informés de la
possibilité de déposer un recours à l’encontre de journalistes en
ligne, de leur entreprise de médias ou de leur organisation professionnelle;
12.3. à l’Association européenne des fournisseurs de services
internet (European Internet Services Providers Association) d’appeler
ses membres qui entretiennent des réseaux sociaux, des moteurs de recherche
et des agrégateurs d’actualité:
12.3.1. à se doter de codes
de déontologie concernant leur propre transparence et leurs obligations
à l’égard des services qu’ils proposent. Lorsque la neutralité de
ces services est potentiellement compromise par des intérêts commerciaux,
politiques ou autres, les fournisseurs devraient faire preuve de
transparence à propos de ces intérêts; tous les fournisseurs de
tels services devraient établir des mécanismes d’autorégulation
pour contrôler le respect de ces codes et informer le public de
leur adhésion à ces derniers;
12.3.2. à donner à leurs utilisateurs la possibilité de signaler
aux fournisseurs de services des informations erronées et à rendre
publiques ces erreurs;
12.3.3. à rectifier volontairement les contenus inexacts ou à
publier une réponse conformément au droit de réponse, ou encore
à supprimer les contenus inexacts concernés. Les fournisseurs de
services internet ont l’obligation légale de coopérer à la lutte
contre les contenus illégaux;
12.3.4. à mettre en place des mécanismes d’alerte contre les personnes
qui publient régulièrement des propos insultants ou provocateurs
(les «trolls»), permettant ainsi aux utilisateurs de signaler la
présence de tels fauteurs de troubles afin que les fournisseurs
de services internet puissent les exclure de leurs plateformes;
12.4. à l’Alliance européenne pour la publicité numérique interactive
(European Interactive Digital Advertising Alliance) de concevoir
des normes d’autorégulation pour garantir:
12.4.1. que les
annonceurs et les entreprises de relations publiques rendent leur
présence internet et leurs contributions au site internet d’autres
acteurs identifiables en tant que telles; elles devraient en particulier
permettre au public de savoir pour quelles personnes, organisations
ou entreprises elles travaillent;
12.4.2. que les médias professionnels sur internet et les fournisseurs
de réseaux sociaux interdisent, dans leurs conditions d’utilisation,
la publicité et le lobbying déguisés.