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Résolution 2144 (2017)
Mettre fin à la cyberdiscrimination et aux propos haineux en ligne
1. Internet
est une ressource et un outil exceptionnel; il a révolutionné de
nombreux aspects de notre vie et a créé de nouveaux moyens d’expression
formidables. La liberté d’expression est l’un des fondements les plus
importants des sociétés démocratiques et il est crucial de la préserver,
y compris sur internet. Internet ne doit en aucun cas devenir un
espace dans lequel la censure étouffe les voix discordantes, ou
dans lequel les sociétés privées dictent les opinions et les personnes
à écouter.
2. Cependant, un grand nombre de personnes sont chaque jour la
cible de propos haineux en ligne. De plus en plus d’enfants migrants
de première, deuxième ou troisième génération ainsi que des enfants
adoptés et issus de minorités témoignent de racisme dans leur vie
quotidienne. Sexe réel ou supposé, couleur, origine ethnique, nationalité,
religion, statut migratoire, orientation sexuelle, identité de genre,
convictions politiques ou autres, handicap ou autre condition sont
autant de prétextes pour tenir des propos incendiaires et haineux, harceler
et agresser une personne prise pour cible, voire la traquer, proférer
des menaces ou inciter à la violence psychologique ou physique à
son encontre. Le discours de haine ne se limite pas au racisme et
à la xénophobie: il peut également se manifester sous forme de sexisme,
d’antisémitisme, d’islamophobie, de misogynie, d’homophobie ou d’autres
formes de propos haineux visant des groupes ou des individus spécifiques.
De telles formes de comportement, qui ne sont pas acceptées hors
ligne, sont tout aussi inacceptables en ligne. Tout comme dans les
relations en face à face, les relations par le biais d’internet doivent
permettre de se montrer critique sans pour autant laisser de place
au discours de haine, y compris l’incitation à la violence.
3. La Cour européenne des droits de l'homme a estimé que la protection
de la liberté d'expression garantie par la Convention européenne
des droits de l'homme (STE no 5) ne s’étendait
pas au discours raciste ou xénophobe. D'autres instruments internationaux,
comme la Convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale et le Protocole additionnel à la
Convention sur la cybercriminalité relatif à l'incrimination d'actes
de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques (STE
no 189), visent également le discours
raciste et xénophobe sans pour autant couvrir toutes les formes
de discours de haine. En outre, toutes les normes internationales
n’ont pas été universellement acceptées. Toutefois, et bien qu’il
n’existe pas de définition unique et harmonisée du discours de haine
applicable dans l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe,
ceux-ci ont intégré dans leur droit interne une définition du discours
de haine et de la discrimination. Ainsi, la législation nationale
permet déjà de prendre des mesures efficaces contre certaines formes
de propos haineux en ligne. Cependant, elle ne couvre pas toujours
tous les comportements ou ne reconnaît pas toujours concrètement
les nouvelles formes de communication. Ces lacunes législatives
doivent être corrigées afin d'assurer une protection efficace contre
toute manifestation de haine en ligne.
4. Les propos haineux en ligne reflètent la haine présente dans
nos sociétés. Il est donc crucial que les stratégies d’élimination
des manifestations de haine sur internet identifient et combattent
l’hostilité et l’intolérance présentes dans le cœur et l’esprit
des personnes. En parallèle, ces stratégies doivent également prendre
en compte et traiter les spécificités d’internet et des comportements
des internautes, telles que la diffusion instantanée et à grande
échelle de contenus, la possibilité de rester anonyme et l’effet
désinhibiteur que cela peut avoir dans les échanges, ainsi que les
difficultés rencontrées pour intenter une action en justice, si
cela est nécessaire, dans des cas qui dépassent souvent les frontières
nationales.
5. Les stratégies visant à prévenir et à combattre les propos
haineux en ligne doivent aussi reconnaître qu’internet est devenu
un outil de communication omniprésent et indispensable que ses utilisateurs
ne peuvent pas tout simplement abandonner afin d'éviter les abus,
surtout lorsque la nature de leur travail les oblige à jouer un
rôle public.
6. Il est également nécessaire de clarifier la responsabilité
et le rôle des intermédiaires internet qui fournissent les outils,
les forums et les plateformes permettant la communication sur internet,
en ce qui concerne la prévention et la lutte contre les propos haineux
en ligne. À cet égard, l’Assemblée souligne que la législation dans
les États membres doit s’inspirer de la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme.
7. À la lumière de ce qui précède, et compte tenu des recommandations
à ce sujet formulées dans sa Résolution
2069 (2015) «Reconnaître et prévenir le néoracisme», l'Assemblée
invite les États membres du Conseil de l'Europe:
7.1. au vu de la dimension internationale
de la communication en ligne:
7.1.1. à
ratifier, s’ils ne l'ont pas encore fait, la Convention sur la cybercriminalité
(STE no 185) et son Protocole additionnel
relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe commis
par le biais de systèmes informatiques;
7.1.2. à œuvrer ensemble pour veiller à ce que des définitions
harmonisées et complètes du discours de haine puissent être appliquées
en cas de propos haineux en ligne, et à s’inspirer à cet égard des
recommandations de la Commission européenne contre le racisme et
l'intolérance (ECRI) dans sa Recommandation de politique générale
no 15 sur la lutte contre le discours
de haine;
7.2. en ce qui concerne la législation nationale:
7.2.1. à veiller, en conformité avec
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, à
ce que leur législation nationale permette la poursuite effective
des propos haineux en ligne, tout en respectant pleinement la liberté
d'expression et en particulier la liberté de critiquer les actions
des pouvoirs publics;
7.2.2. à veiller à ce que la législation nationale couvre toutes
les formes d’incitation à la violence à l’encontre d’une personne
ou d’un groupe de personnes, d'intimidation, de harcèlement, de
menace et de traque en ligne, de sorte que ces comportements puissent
être effectivement poursuivis en vertu du droit national;
7.2.3. à modifier la législation nationale ou les lignes directrices
chaque fois que cela est nécessaire afin de veiller à ce que toutes
les caractéristiques considérées comme des motifs de protection
au titre des dispositions anti-discrimination soient prises en compte
dans les cas de propos haineux en ligne, notamment le sexe, la couleur,
l'origine ethnique, la nationalité, la religion, l'orientation sexuelle,
l'identité de genre, les convictions politiques ou autres, le handicap ou
toute autre condition;
7.3. en ce qui concerne l’application de la législation nationale:
7.3.1. à former les services de police,
les procureurs et les juges sur la gravité de toutes les formes
de propos haineux en ligne, notamment le discours de haine, l'intimidation,
le harcèlement, les menaces et la traque en ligne;
7.3.2. à former les services de police et leur fournir des lignes
directrices claires sur la nécessité d'enregistrer tous les incidents
signalés dans ce domaine et d'enquêter sur ces incidents rapidement
et efficacement, et sur la procédure à suivre; cette formation et
ces lignes directrices devraient également présenter les moyens
dont dispose la police lorsqu’elle n’a pas les capacités techniques
d’enquêter elle-même;
7.3.3. à fournir également une formation et des lignes directrices
claires aux procureurs et aux juges sur la façon d’appliquer la
loi en vigueur en cas de propos haineux en ligne;
7.3.4. à veiller à ce que les plaintes des victimes de propos
haineux en ligne soient prises au sérieux et que les personnes concernées
bénéficient de tout l’appui nécessaire pour faire face aux conséquences;
7.3.5. à fournir des instruments pour signaler les propos haineux
en ligne et encourager leur retrait;
7.4. en ce qui concerne la prévention, l’éducation et la sensibilisation:
7.4.1. à sensibiliser davantage la
société à l’étendue et à l’impact des propos haineux en ligne;
7.4.2. à reconnaître que les enfants et les jeunes sont particulièrement
vulnérables aux effets négatifs de la cyberdiscrimination et de
la haine en ligne, et à assurer très tôt l’éducation des enfants
et des jeunes tant aux possibilités exceptionnelles que représentent
les échanges sur internet qu’aux défis qu’ils posent; à veiller
également à ce que les compétences en matière d’internet deviennent
un élément important dans les programmes scolaires;
7.4.3. à lancer des programmes et à soutenir les initiatives
de la société civile et d’autres acteurs concernés afin d’encourager
une utilisation responsable d’internet, de lutter contre la cyberintimidation,
mais aussi d’aider les victimes à y faire face, de donner aux individus
les moyens d’élaborer un contre-discours et des messages alternatifs
au discours de haine, de rétablir le dialogue et de désamorcer des
conflits en ligne, de mobiliser les réseaux et de former des alliances
entre les acteurs de la lutte contre les propos haineux en ligne;
7.4.4. à faire en sorte que ces initiatives et programmes soient
financés à long terme et conçus pour avoir un impact durable sur
la position des individus à l’égard des propos haineux en ligne;
7.4.5. à organiser des événements réguliers pour souligner la
nécessité de combattre en permanence les manifestations de haine,
par exemple en déclarant le 22 juillet «Journée européenne pour
les victimes des crimes de haine», comme demandé par l’Assemblée
dans sa Recommandation
2052 (2014) «Faire barrage aux manifestations de néonazisme et d'extrémisme
de droite»;
7.5. en ce qui concerne les intermédiaires internet:
7.5.1. à veiller à ce que les normes
en matière de liberté d’expression fixées par la Convention européenne
des droits de l’homme et par la Commission européenne contre le
racisme et l’intolérance soient appliquées à la communication en
ligne dans les États membres;
7.5.2. à encourager les intermédiaires internet à établir des
procédures internes claires et efficaces pour la gestion des signalements
de discours de haine;
7.5.3. à encourager les efforts déployés par ces intermédiaires
pour que les contenus pouvant être assimilés à des propos haineux,
de l'intimidation, du harcèlement, des menaces et de la traque en
ligne, sur la base des motifs mentionnés au paragraphe 7.2.3 ci-dessus,
soient rapidement retirés, sans préjudice de la possibilité d’engager
une action en justice contre leur auteur;
7.5.4. à encourager ces intermédiaires à prendre au sérieux les
propos haineux en ligne et à coopérer étroitement avec les autorités
policières, dans le respect de la Convention pour la protection
des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère
personnel (STE no 108) pour les affaires
concernant les manifestations de haine en ligne;
7.5.5. à définir dans la loi, si cela n'a pas déjà été fait,
la responsabilité et le rôle des intermédiaires internet dans le
retrait des contenus en ligne motivés par la haine, en utilisant, autant
que possible, une approche de notification et retrait.
8. Enfin, l'Assemblée invite les parlements nationaux à se mobiliser
contre les discours de haine et toutes les formes de racisme et
d'intolérance, notamment en participant à des initiatives telles
que l'Alliance parlementaire contre la haine, élaborée par l’Assemblée
elle-même.