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Résolution 2151 (2017)
La compatibilité avec les droits de l’homme de l’arbitrage investisseur-État dans les accords internationaux de protection des investissements
1. L’Assemblée parlementaire observe
que les clauses de règlement des différends entre investisseurs
et États (RDIE) présentes dans les accords internationaux d’investissement
ou les traités bilatéraux d’investissement autorisent les investisseurs
étrangers à engager une action en justice contre l’État d’accueil devant
des collèges arbitraux privés mis en place par les parties en cas
de litige sur l’application de l’accord international d’investissement.
Elle souligne que le RDIE a de graves répercussions sur les droits
de l’homme, l’État de droit, la démocratie et la souveraineté nationale,
auxquelles le Système juridictionnel des investissements (SJI) proposé
vise à remédier:
1.1. le RDIE/SJI
soulève un certain nombre de questions en matière de procès équitable,
de transparence, d’égalité d’accès à un tribunal, d’interdiction
de la discrimination et de sécurité juridique que garantissent les
articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme
(STE no 5, «la Convention») et son Protocole
no 12 (STE no 177);
1.2. le risque d’un contentieux engagé devant des mécanismes
non étatiques de règlement des différends pourrait dissuader les
gouvernements de prendre les mesures réglementaires qui s’imposent pour
protéger les droits de leurs citoyens contre les sociétés multinationales
étrangères, par exemple en renforçant la protection de l’environnement
et des droits sociaux («effet dissuasif sur la réglementation»);
1.3. la démocratie et la souveraineté nationale sont remises
en question lorsque des accords conclus par des gouvernements antérieurs
empêchent les États d’adapter leur législation et la pratique à l’évolution
de la situation concrète ou à leurs priorités politiques.
2. Le droit à la protection de la propriété (article 1 du Protocole
additionnel à la Convention, STE no 9)
est également applicable aux étrangers, y compris aux personnes
morales. Les investisseurs étrangers ne peuvent pas par conséquent
se voir refuser une protection juridique sous prétexte qu’ils ont
la possibilité de tenir compte du risque d’expropriation et des
autres risques politiques qu’ils prennent dans leur décision d’investissement
et leurs tarifs, ou sous prétexte qu’ils se contentent d’exploiter
les États d’accueil.
3. L’Assemblée considère que la protection effective des investissements
étrangers encourage les investissements durables, à long terme,
qui favorisent la croissance économique et la création d’emplois.
Cette protection suppose l’existence de mécanismes de règlement
des différends fiables, efficaces et neutres. L’absence de protection
juridique effective des investissements encourage la maximisation
à court terme des bénéfices et l’adoption de stratégies informelles
destinées à assurer l’autoprotection des investisseurs, notamment
le recours à la corruption et aux autres formes d’ingérence dans
le processus politique des pays d’accueil. Or, les investisseurs
étrangers dans l’Union européenne sont déjà protégés de trois manières:
par la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour), par le droit
européen et par le droit interne des États membres de l’Union européenne.
4. Elle reconnaît que les petites et moyennes entreprises, qui
ont besoin de se protéger contre le traitement discriminatoire des
États d’accueil, sont désavantagées car elles ne disposent pas de
l’influence politique des grandes entreprises, qui leur assure une
protection diplomatique bilatérale par l’intermédiaire de leur État d’origine.
5. L’Assemblée observe que:
5.1. les
États européens ont conclu, avec des États tiers et entre eux, des
milliers d’accords internationaux d’investissement et de traités
bilatéraux d’investissement qui comportent des clauses de RDIE;
5.2. les tribunaux arbitraux d’investissement se composent
généralement d’un arbitre choisi par chaque partie au litige et
d’un troisième arbitre coopté par les deux premiers. Les arbitres
sont souvent choisis dans les milieux d’affaires ou les cabinets
d’avocats spécialisés. Les conclusions des parties et les décisions
finales demeurent souvent confidentielles, ce qui restreint la prévisibilité
de l’issue de la procédure. Les parties ne disposent généralement
pas du droit de recours, et les tribunaux peuvent adopter des décisions
incohérentes et ne pas respecter la règle du précédent;
5.3. à la suite des dispositions élaborées par le Centre international
pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI)
de la Banque mondiale, la Commission des Nations Unies pour le droit
commercial international (CNUDCI) et la Chambre de commerce internationale
(CCI), la procédure d’arbitrage a connu un certain nombre de réformes
destinées, notamment, à renforcer sa transparence et les possibilités
de tierces interventions. Toutefois, il existe plusieurs systèmes
d’arbitrage concurrents qui n’ont pas encore eu l’avantage de suivre
une évolution itérative transparente telle que la bonne administration
de la justice en droit public dans les démocraties matures;
5.4. les juridictions nationales amenées à se prononcer sur
des litiges d’investissement ont été accusées de partialité défavorable
aux investisseurs étrangers, se montrant généralement réticentes
à mettre en œuvre les accords internationaux ou trop lentes et trop
peu efficaces pour les transactions commerciales internationales.
6. L’Assemblée observe par ailleurs que:
6.1. le Système juridictionnel des investissements proposé
par la Commission européenne vise à corriger les défauts des mécanismes
classiques de RDIE, sans confier la protection des investisseurs étrangers
exclusivement aux juridictions nationales de l’État d’accueil. Il
consisterait en un tribunal de première instance et une cour d’appel
permanents, composés de juges nommés par les États participants.
Le SJI proposé appliquerait une procédure transparente, autoriserait
les tierces interventions de droit des représentants de la société
civile et devrait respecter les interprétations contraignantes retenues
par les États parties sur l’accord concerné;
6.2. les partisans du RDIE craignent que le futur SJI subisse
trop l’influence des États et de leurs intérêts, au détriment des
investisseurs. Les opposants au RDIE ne sont pas satisfaits du fait
que le SJI proposé pourrait toujours accorder aux investisseurs
étrangers, contrairement aux investisseurs nationaux, une voie de
recours extérieure au cadre institutionnel du pays hôte.
7. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée estime que le remplacement
des clauses de RDIE par un SJI permanent et multilatéral représenterait
un compromis raisonnable entre le statu quo, qui consiste à avoir
de multiples mécanismes de RDIE, et la renationalisation complète
de la protection des investissements. Il supprimerait les principaux
inconvénients des mécanismes existants de RDIE, tout en garantissant
que les investissements étrangers, à commencer par ceux des petites
et moyennes entreprises, continuent à jouir d’une protection juridique
adéquate au niveau international.
8. La protection des investissements est souvent prévue par les
accords de commerce et d’investissement bilatéraux. Les États peuvent
mettre fin aux accords bilatéraux d’investissement s’ils ne correspondent
plus à leurs objectifs politiques. En pareil cas, les investissements
existants continuent à bénéficier d’une protection pendant une période
transitoire, qui devrait être raisonnablement limitée dans le temps.
Dans les faits, les États membres de l’Union européenne se voient
vraiment empêchés de recourir à cette option, puisque ces accords sont
désormais conclus par l’Union européenne. L’Assemblée considère
qu’il convient de réfléchir aux voies et moyens qui permettent aux
États membres de l’Union européenne de choisir de prendre part ou
non aux accords de protection des investissements, par exemple en
intégrant les dispositions relatives à la protection des investissements
dans un protocole facultatif.
9. Les membres de l’Assemblée ne sont pas d’accord sur la nécessité
d’un SJI entre pays développés mais s’accordent à dire que, si le
SJI était mis en œuvre, il devrait être conforme à la Convention
européenne des droits de l’homme et remplir certaines conditions,
en particulier:
9.1. veiller à ce
que les procédures judiciaires en matière d’investissement continuent
de suivre une procédure équitable et transparente, conforme à l’article
6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il importe
notamment que la procédure garantisse que les deux parties au litige
ainsi que tout tiers qui y a un intérêt légitime soient entendus,
que les conclusions des parties et les décisions de cette juridiction
soient rendues publiques et que les juges soient impartiaux et indépendants;
9.2. appliquer l’accord international d’investissement qui
fait l’objet du litige de manière à éviter toute ingérence excessive
dans le droit des États à réglementer. Il importe que les États
demeurent libres de réglementer l’activité économique en vue de
protéger l’environnement, la santé publique et la sécurité, et les
droits humains, notamment les droits sociaux et les libertés d’association,
d’expression et d’information, ainsi que le droit au respect de
la vie privée, sans discrimination entre les entreprises nationales
ou étrangères;
9.3. tenir dûment compte des obligations nées pour les États
de la Convention, notamment de la jurisprudence établie par la Cour
européenne des droits de l’homme sur la distinction entre la privation de
propriété et le fait de réglementer l’usage des biens (article 1
du Protocole additionnel à la Convention);
9.4. interpréter les éléments caractéristiques de tels accords
internationaux d’investissement, comme «le traitement juste et équitable»,
les clauses de «stabilisation» et la protection des «attentes légitimes», de
manière à ne pas compromettre le droit de réglementer reconnu à
l’État; l’interprétation de ces clauses devrait encourager les éventuels
investisseurs et les États qui négocient des accords d’investissement
à recourir à des instruments conformes à la diligence requise en
la matière, comme les évaluations d’impact sur l’environnement et
les droits de l’homme.
10. L’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
10.1. à prendre une part active à
la création d’un SJI et à veiller à ce que les considérations susmentionnées
en matière de droits de l’homme et d’État de droit soient pleinement
prises en compte, et à ce que les décisions de justice finales du
SJI soient rapidement et pleinement mises en œuvre à l’échelon national;
10.2. à améliorer, si besoin est, l’efficacité et l’impartialité
réelle et perçue de leurs juridictions nationales, de manière à
inciter les investisseurs étrangers à y recourir plus fréquemment;
10.3. à s’assurer que, dans les affaires soumises aux mécanismes
existants de RDIE, les notifications d’arbitrage, les conclusions,
les décisions et les règlements amiables sont systématiquement publics
et disponibles sur un registre en ligne;
10.4. à définir des critères rigoureux de domiciliation des
investisseurs étrangers pour déterminer leur qualité à utiliser
les voies de recours de RDIE/SJI, afin de prévenir toute quête du
traité le plus favorable;
10.5. à faire des mécanismes du SJI un protocole facultatif
dont les États individuels peuvent sortir avec un délai de préavis
d’un an et une durée déterminée de protection des investissements
en cours;
10.6. à veiller à ce que, en vertu du SJI, les sociétés ne puissent
engager des poursuites que pour des dommages réellement subis;
10.7. à passer en revue l’ensemble des clauses de RDIE des accords
internationaux d’investissement qu’ils ont conclus, à évaluer leur
adéquation et à les mettre en conformité avec les bonnes pratiques prévues
pour le futur SJI;
10.8. à s’assurer que les mécanismes de SJI et de RDIE sont
(re)construits d’une manière qui les oblige à mettre en œuvre la
Convention européenne des droits de l’homme et les arrêts de la
Cour européenne des droits de l’homme.