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Résolution 2151 (2017)

La compatibilité avec les droits de l’homme de l’arbitrage investisseur-État dans les accords internationaux de protection des investissements

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 27 janvier 2017 (9e séance) (voir Doc. 14225, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Pieter Omtzigt; et Doc. 14255, avis de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteur: M. Geraint Davies). Texte adopté par l’Assemblée le 27 janvier 2017 (9e séance).

1. L’Assemblée parlementaire observe que les clauses de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) présentes dans les accords internationaux d’investissement ou les traités bilatéraux d’investissement autorisent les investisseurs étrangers à engager une action en justice contre l’État d’accueil devant des collèges arbitraux privés mis en place par les parties en cas de litige sur l’application de l’accord international d’investissement. Elle souligne que le RDIE a de graves répercussions sur les droits de l’homme, l’État de droit, la démocratie et la souveraineté nationale, auxquelles le Système juridictionnel des investissements (SJI) proposé vise à remédier:
1.1. le RDIE/SJI soulève un certain nombre de questions en matière de procès équitable, de transparence, d’égalité d’accès à un tribunal, d’interdiction de la discrimination et de sécurité juridique que garantissent les articles 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») et son Protocole no 12 (STE no 177);
1.2. le risque d’un contentieux engagé devant des mécanismes non étatiques de règlement des différends pourrait dissuader les gouvernements de prendre les mesures réglementaires qui s’imposent pour protéger les droits de leurs citoyens contre les sociétés multinationales étrangères, par exemple en renforçant la protection de l’environnement et des droits sociaux («effet dissuasif sur la réglementation»);
1.3. la démocratie et la souveraineté nationale sont remises en question lorsque des accords conclus par des gouvernements antérieurs empêchent les États d’adapter leur législation et la pratique à l’évolution de la situation concrète ou à leurs priorités politiques.
2. Le droit à la protection de la propriété (article 1 du Protocole additionnel à la Convention, STE no 9) est également applicable aux étrangers, y compris aux personnes morales. Les investisseurs étrangers ne peuvent pas par conséquent se voir refuser une protection juridique sous prétexte qu’ils ont la possibilité de tenir compte du risque d’expropriation et des autres risques politiques qu’ils prennent dans leur décision d’investissement et leurs tarifs, ou sous prétexte qu’ils se contentent d’exploiter les États d’accueil.
3. L’Assemblée considère que la protection effective des investissements étrangers encourage les investissements durables, à long terme, qui favorisent la croissance économique et la création d’emplois. Cette protection suppose l’existence de mécanismes de règlement des différends fiables, efficaces et neutres. L’absence de protection juridique effective des investissements encourage la maximisation à court terme des bénéfices et l’adoption de stratégies informelles destinées à assurer l’autoprotection des investisseurs, notamment le recours à la corruption et aux autres formes d’ingérence dans le processus politique des pays d’accueil. Or, les investisseurs étrangers dans l’Union européenne sont déjà protégés de trois manières: par la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour), par le droit européen et par le droit interne des États membres de l’Union européenne.
4. Elle reconnaît que les petites et moyennes entreprises, qui ont besoin de se protéger contre le traitement discriminatoire des États d’accueil, sont désavantagées car elles ne disposent pas de l’influence politique des grandes entreprises, qui leur assure une protection diplomatique bilatérale par l’intermédiaire de leur État d’origine.
5. L’Assemblée observe que:
5.1. les États européens ont conclu, avec des États tiers et entre eux, des milliers d’accords internationaux d’investissement et de traités bilatéraux d’investissement qui comportent des clauses de RDIE;
5.2. les tribunaux arbitraux d’investissement se composent généralement d’un arbitre choisi par chaque partie au litige et d’un troisième arbitre coopté par les deux premiers. Les arbitres sont souvent choisis dans les milieux d’affaires ou les cabinets d’avocats spécialisés. Les conclusions des parties et les décisions finales demeurent souvent confidentielles, ce qui restreint la prévisibilité de l’issue de la procédure. Les parties ne disposent généralement pas du droit de recours, et les tribunaux peuvent adopter des décisions incohérentes et ne pas respecter la règle du précédent;
5.3. à la suite des dispositions élaborées par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) de la Banque mondiale, la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) et la Chambre de commerce internationale (CCI), la procédure d’arbitrage a connu un certain nombre de réformes destinées, notamment, à renforcer sa transparence et les possibilités de tierces interventions. Toutefois, il existe plusieurs systèmes d’arbitrage concurrents qui n’ont pas encore eu l’avantage de suivre une évolution itérative transparente telle que la bonne administration de la justice en droit public dans les démocraties matures;
5.4. les juridictions nationales amenées à se prononcer sur des litiges d’investissement ont été accusées de partialité défavorable aux investisseurs étrangers, se montrant généralement réticentes à mettre en œuvre les accords internationaux ou trop lentes et trop peu efficaces pour les transactions commerciales internationales.
6. L’Assemblée observe par ailleurs que:
6.1. le Système juridictionnel des investissements proposé par la Commission européenne vise à corriger les défauts des mécanismes classiques de RDIE, sans confier la protection des investisseurs étrangers exclusivement aux juridictions nationales de l’État d’accueil. Il consisterait en un tribunal de première instance et une cour d’appel permanents, composés de juges nommés par les États participants. Le SJI proposé appliquerait une procédure transparente, autoriserait les tierces interventions de droit des représentants de la société civile et devrait respecter les interprétations contraignantes retenues par les États parties sur l’accord concerné;
6.2. les partisans du RDIE craignent que le futur SJI subisse trop l’influence des États et de leurs intérêts, au détriment des investisseurs. Les opposants au RDIE ne sont pas satisfaits du fait que le SJI proposé pourrait toujours accorder aux investisseurs étrangers, contrairement aux investisseurs nationaux, une voie de recours extérieure au cadre institutionnel du pays hôte.
7. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée estime que le remplacement des clauses de RDIE par un SJI permanent et multilatéral représenterait un compromis raisonnable entre le statu quo, qui consiste à avoir de multiples mécanismes de RDIE, et la renationalisation complète de la protection des investissements. Il supprimerait les principaux inconvénients des mécanismes existants de RDIE, tout en garantissant que les investissements étrangers, à commencer par ceux des petites et moyennes entreprises, continuent à jouir d’une protection juridique adéquate au niveau international.
8. La protection des investissements est souvent prévue par les accords de commerce et d’investissement bilatéraux. Les États peuvent mettre fin aux accords bilatéraux d’investissement s’ils ne correspondent plus à leurs objectifs politiques. En pareil cas, les investissements existants continuent à bénéficier d’une protection pendant une période transitoire, qui devrait être raisonnablement limitée dans le temps. Dans les faits, les États membres de l’Union européenne se voient vraiment empêchés de recourir à cette option, puisque ces accords sont désormais conclus par l’Union européenne. L’Assemblée considère qu’il convient de réfléchir aux voies et moyens qui permettent aux États membres de l’Union européenne de choisir de prendre part ou non aux accords de protection des investissements, par exemple en intégrant les dispositions relatives à la protection des investissements dans un protocole facultatif.
9. Les membres de l’Assemblée ne sont pas d’accord sur la nécessité d’un SJI entre pays développés mais s’accordent à dire que, si le SJI était mis en œuvre, il devrait être conforme à la Convention européenne des droits de l’homme et remplir certaines conditions, en particulier:
9.1. veiller à ce que les procédures judiciaires en matière d’investissement continuent de suivre une procédure équitable et transparente, conforme à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il importe notamment que la procédure garantisse que les deux parties au litige ainsi que tout tiers qui y a un intérêt légitime soient entendus, que les conclusions des parties et les décisions de cette juridiction soient rendues publiques et que les juges soient impartiaux et indépendants;
9.2. appliquer l’accord international d’investissement qui fait l’objet du litige de manière à éviter toute ingérence excessive dans le droit des États à réglementer. Il importe que les États demeurent libres de réglementer l’activité économique en vue de protéger l’environnement, la santé publique et la sécurité, et les droits humains, notamment les droits sociaux et les libertés d’association, d’expression et d’information, ainsi que le droit au respect de la vie privée, sans discrimination entre les entreprises nationales ou étrangères;
9.3. tenir dûment compte des obligations nées pour les États de la Convention, notamment de la jurisprudence établie par la Cour européenne des droits de l’homme sur la distinction entre la privation de propriété et le fait de réglementer l’usage des biens (article 1 du Protocole additionnel à la Convention);
9.4. interpréter les éléments caractéristiques de tels accords internationaux d’investissement, comme «le traitement juste et équitable», les clauses de «stabilisation» et la protection des «attentes légitimes», de manière à ne pas compromettre le droit de réglementer reconnu à l’État; l’interprétation de ces clauses devrait encourager les éventuels investisseurs et les États qui négocient des accords d’investissement à recourir à des instruments conformes à la diligence requise en la matière, comme les évaluations d’impact sur l’environnement et les droits de l’homme.
10. L’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
10.1. à prendre une part active à la création d’un SJI et à veiller à ce que les considérations susmentionnées en matière de droits de l’homme et d’État de droit soient pleinement prises en compte, et à ce que les décisions de justice finales du SJI soient rapidement et pleinement mises en œuvre à l’échelon national;
10.2. à améliorer, si besoin est, l’efficacité et l’impartialité réelle et perçue de leurs juridictions nationales, de manière à inciter les investisseurs étrangers à y recourir plus fréquemment;
10.3. à s’assurer que, dans les affaires soumises aux mécanismes existants de RDIE, les notifications d’arbitrage, les conclusions, les décisions et les règlements amiables sont systématiquement publics et disponibles sur un registre en ligne;
10.4. à définir des critères rigoureux de domiciliation des investisseurs étrangers pour déterminer leur qualité à utiliser les voies de recours de RDIE/SJI, afin de prévenir toute quête du traité le plus favorable;
10.5. à faire des mécanismes du SJI un protocole facultatif dont les États individuels peuvent sortir avec un délai de préavis d’un an et une durée déterminée de protection des investissements en cours;
10.6. à veiller à ce que, en vertu du SJI, les sociétés ne puissent engager des poursuites que pour des dommages réellement subis;
10.7. à passer en revue l’ensemble des clauses de RDIE des accords internationaux d’investissement qu’ils ont conclus, à évaluer leur adéquation et à les mettre en conformité avec les bonnes pratiques prévues pour le futur SJI;
10.8. à s’assurer que les mécanismes de SJI et de RDIE sont (re)construits d’une manière qui les oblige à mettre en œuvre la Convention européenne des droits de l’homme et les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.