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Résolution 2152 (2017)
Les accords commerciaux de «nouvelle génération» et leurs implications pour les droits sociaux, la santé publique et le développement durable
1. Étant donné que l’Organisation
mondiale du commerce n’a pas conclu le dernier cycle de négociations de
Doha, les grandes nations commerciales du monde ont entamé des négociations
en vue d’accords commerciaux régionaux et bilatéraux d’un nouveau
genre. Pour l’Europe, il s’agit notamment de l’Accord économique
et commercial global (AECG) entre l’Union européenne et le Canada,
et du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement
(PTCI) entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique. L’accord
provisoire de l’AECG a été signé par les deux Parties et ses dispositions
relevant de la compétence de l’Union européenne s’appliquent déjà
dans l’Union européenne. Cependant, si l’affaire concernant le futur
accord commercial de Singapour-Union européenne est ainsi tranchée
dans des domaines de compétences partagées, cela pourrait nécessiter
une approbation ultérieure par les parlements des États membres
de l’Union européenne.
2. L’AECG fait office de modèle pour le PTCI qui est encore en
cours de négociation. L’avancée du PTCI pourrait dépendre de la
volonté du Président Donald Trump de voir les États-Unis y donner
suite. La caractéristique essentielle de ces accords n’est pas la
suppression des barrières tarifaires, déjà peu élevées, qui procurerait
des gains économiques. Au contraire, les accords introduisent une
coopération en matière de réglementation, l’harmonisation des normes
et, le plus controversé, de nouveaux pouvoirs pour les sociétés transnationales
de recourir à des tribunaux d’arbitrage pour poursuivre les États
membres pour les lois qu’ils adoptent qui pourraient entraver de
futurs profits par l’intermédiaire d’un système juridictionnel des investissements
(SJI, le successeur du mécanisme de règlement des différends entre
États et investisseurs, RDIE).
3. Ces deux accords commerciaux n’ont pas été négociés de façon
transparente et n’ont pas été soumis à l’examen critique des parlementaires
et du public. Certaines fuites sur la teneur des négociations ont toutefois
suscité de nombreuses inquiétudes, notamment en Europe. Les accords
peuvent contribuer à renforcer les relations commerciales existant
entre l’Union européenne, le Canada et les États-Unis, et des avantages
économiques pourraient en découler des deux côtés de l’Atlantique,
telles une croissance annuelle du produit intérieur brut, la création
de nouveaux emplois et une offre plus diversifiée de biens et de
services à des prix inférieurs. Cependant, les gains globaux pourraient
être relativement faibles et les retombées économiques ne seront
pas distribuées équitablement, instaurant ainsi des gagnants et
des perdants. Par conséquent, la répartition potentiellement inégale
des bénéfices potentiels globaux au sein de la société européenne
doit être évaluée.
4. De plus, les négociateurs doivent aussi garantir que ces accords
n’engendrent pas d’autres coûts et conflits importants. En particulier,
les accords ne devraient pas faire prévaloir les intérêts commerciaux
des entreprises sur les politiques publiques de protection de l’environnement,
de sécurité alimentaire, de santé publique et des droits sociaux.
5. La proposition d’un SJI introduit un nouveau système judiciaire
qui permettrait aux investisseurs de poursuivre en justice les gouvernements
devant des tribunaux d’arbitrage pour les profits qu’ils pourraient
ne pas réaliser en raison de lois adoptées pour protéger les personnes
– y compris en matière d’environnement, de santé publique et de
droits au travail. Ces prérogatives proposées aux investisseurs
sont considérées par certains comme non nécessaires étant donné
que les investisseurs sont déjà protégés dans l’Union européenne,
au Canada et aux États-Unis par le droit public et le droit contractuel.
D’aucuns s’inquiètent de ce que, s’il n’est pas supprimé de l’AECG
et du PTCI, le SJI octroiera des pouvoirs dans le chapitre sur l'investissement
de ces accords pour passer outre d’autres considérations d’intérêt
public, y compris la protection de l’environnement et la santé publique.
Les dispositions du SJI devraient donc être conformes à la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5)
et figurer dans un protocole facultatif aux accords commerciaux
pour la sortie d’États avec un délai de préavis d’un an et une durée
limitée de la poursuite de la protection des investissements en
cours.
6. De plus, on relève une inquiétude généralisée au sujet de
l’impact de la coopération en matière de réglementation de ces accords
commerciaux de «nouvelle génération». Par conséquent, l’Assemblée considère
qu’il est nécessaire de mener des études indépendantes au sujet
des répercussions éventuelles du SJI et de la coopération en matière
réglementaire prévue par l’AECG et le PTCI. Celles-ci devraient
examiner les répercussions éventuelles en matière de pollution de
l’air et de l’eau, d’émissions de gaz à effet de serre, de sécurité
alimentaire, de protection des consommateurs et des travailleurs,
et de viabilité du système public de santé, ainsi qu’en matière
de déréglementation et de libéralisation des services publics dans
le cadre des modifications des dispositions relatives à la passation
de marchés publics.
7. Les accords ne devraient pas inclure de pouvoirs que les investisseurs
feraient prévaloir sur les impératifs environnementaux, démocratiques
et relatifs aux droits humains. L’Assemblée parlementaire appelle
donc les négociateurs de l’Union européenne à rester fermes dans
leur détermination à protéger et à promouvoir les intérêts des citoyens
européens et à être extrêmement attentifs au libellé précis des dispositions
relatives à l’environnement, à la sécurité alimentaire, à la santé
publique, aux droits humains et à la protection des consommateurs,
de manière:
7.1. à veiller à ce
que les dispositions des accords commerciaux de nouvelle génération
soient pleinement compatibles avec les objectifs de la politique
climatique, à savoir l’Accord de Paris sur les changements climatiques,
conclu en 2015, qu’elles les soutiennent, et qu’elles n’habilitent
pas les investisseurs à passer outre les impératifs environnementaux;
7.2. à s’assurer que ces accords favorisent un système de commerce
équitable et éthique, et épousent à terme les stratégies de lutte
contre l’évasion et l’évitement fiscaux au niveau international, notamment
contre l’utilisation par des multinationales de sociétés-écrans
dans des juridictions offshore;
7.3. à veiller à ce que toutes les Parties soient à même de
maintenir leurs normes au niveau le plus élevé en matière de santé,
de sécurité alimentaire, de protection de l’environnement et de
droits sociaux. La reconnaissance mutuelle des normes, à des fins
d’harmonisation, ne devrait s’appliquer que dans les cas où les
tests d’équivalence en matière de sécurité sont pleinement satisfaisants.
À défaut, le maintien des normes européennes élevées doit être garanti,
notamment:
7.3.1. en s’assurant que le texte de tout accord
met expressément l’accent sur l’application du principe de précaution
dans l’élaboration des réglementations, de manière à limiter les
risques sociaux, sanitaires et environnementaux, et à optimiser
les avantages publics de ces accords;
7.3.2. en conservant la réglementation sur les essais cliniques
qui oblige les entreprises à publier tous les rapports d’essais
cliniques pour les médicaments autorisés sur le marché de l’Union
européenne et en garantissant aux lanceurs d’alerte une protection
appropriée;
7.3.3. en prévoyant des garanties solides au chapitre des droits
sociaux, indiquant expressément l’obligation faite aux Parties de
respecter et d’appliquer effectivement les normes inscrites dans
les conventions fondamentales de l’Organisation internationale du
travail;
7.4. à garantir la pleine réciprocité concernant l’ouverture
de marchés publics à la concurrence extérieure, y compris au niveau
infranational dans le cas des États fédéraux;
7.5. à établir un système pour permettre à certains pays et
régions d’avoir de nouvelles indications géographiques protégées.
8. Les accords commerciaux de nouvelle génération devraient être
destinés à la promotion d’un environnement durable, des droits humains
et de l’État de droit démocratique, ainsi qu’à faciliter les avantages mutuels
du commerce. Pour restaurer la confiance du public dans les accords
commerciaux de nouvelle génération en tant que projets pour l’avenir
du commerce mondial, l’Assemblée appelle les États membres à ouvrir,
dans la mesure du possible, les négociations en cours au contrôle
des représentants démocratiquement élus aux niveaux européen et
national, et à s’assurer que ces accords sont soumis à la ratification
des parlements nationaux dès lors qu’ils traitent de compétences
partagées.
9. L’Organisation mondiale du commerce devrait appeler les Parties
qui s’engagent dans des négociations pour des accords bilatéraux
ou régionaux à veiller à ce que celles-ci se déroulent de manière
transparente et sous contrôle démocratique. Ces principes devraient
être suivis dans les négociations sur le PTCI entre l’Union européenne
et les États-Unis.