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Addendum au rapport | Doc. 14282 Add. | 24 avril 2017

Le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : Mme Ingebjørg GODSKESEN, Norvège, CE

Corapporteur : Mme Marianne MIKKO, Estonie, SOC

Origine - Addendum approuvé par la commission le 24 avril 2017. 2017 - Deuxième partie de session

1. Introduction

1. Lors de sa réunion du 8 mars 2017, la commission de suivi a approuvé un rapport et adopté un projet de résolution sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie 
			(1) 
			Voir Doc 14282. en vue de leur présentation à la partie de session d’avril 2017. Lors de cette réunion, nous avons annoncé que nous élaborerions un addendum au rapport afin de tenir compte des dernières évolutions dans le pays, des avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) adoptés les 10 et 11 mars 2017 
			(2) 
			Le
présent addendum porte sur deux des trois avis adoptés par la Commission
de Venise à sa réunion des 10 et 11 mars 2017, à savoir les avis
relatifs aux modifications de la Constitution et aux effets des
décrets-lois pris en vertu de l’état d’urgence sur la liberté des
médias. Le troisième avis adopté par la Commission de Venise, à
la demande de la commission de suivi, a trait aux fonctions, compétences
et fonctionnement des formations de juges de paix en matière pénale
établies en juin 2014. La Commission de Venise a examiné ce mécanisme
judiciaire et compte tenu des problèmes relevés (spécialisation
de ces juges dans les «mesures préventives», mécanisme d’appel horizontal,
mandats de détention sur la base de décisions insuffisamment motivées
des juges de paix, procureurs, etc.), elle a conseillé aux autorités
de le revoir et en particulier de mettre en place un mécanisme d’appel
vertical et de supprimer la compétence des formations de juges de
paix statuant en matière pénale relative aux mesures conservatoires
pendant la phase d’instruction. Voir <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdf=CDL-AD(2017)004-e&lang=FR'>CDL-AD(2017)004:</a> Turquie – Avis sur la mission, les compétences et le
fonctionnement des formations de juges de paix statuant en matière
pénale, adopté par la Commission de Venise à sa 110e session
plénière (Venise, 10‑11 mars 2017)., de la résolution et de la recommandation du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe adoptées le 29 mars 2017 et des premières constatations de la commission ad hoc de l’Assemblée parlementaire présidée par M. Cezar Florin Preda (Roumanie, PPE/DC), qui a observé le référendum du 16 avril 2017 sur les modifications de la Constitution.
2. Depuis la publication de notre rapport, une série de 18 modifications constitutionnelles a été adoptée par une majorité d’électeurs (51,4 %) favorables à un régime présidentiel (avec une participation de 85,32 %), après une procédure parlementaire expéditive. Alors que les purges se poursuivent 
			(3) 
			Selon
les chiffres publiés par le ministre de l’Intérieur, Süleyman Soylu,
47 155 personnes accusées d’avoir des liens avec le mouvement Gülen
ont été arrêtées et 113 260 personnes avaient été placées en détention
au 2 avril 2016., le 18 avril 2017, l’état d’urgence a été prolongé pour la troisième fois, pour une nouvelle durée de trois mois. Suite à l’arrestation de la députée HDP Çelik Özkan le 19 avril 2017 et à la remise en liberté des députées HDP Nursel Aydoğan et Meral Danış Beştaş le 21 avril, il y a encore 12membres du parlement en détention.

2. Référendum constitutionnel du 16 avril 2017: constatations préliminaires de la commission d’observation ad hoc de l’Assemblée parlementaire

3. Nous avons participé, en qualité de corapporteures, à l’observation du référendum du 16 avril 2017 en Turquie, au sein d’une commission ad hoc de 20 membres. Si les aspects techniques ont, de manière générale, été correctement administrés le jour du scrutin, les conclusions de la mission d’observation conjointe de l’Assemblée parlementaire et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) 
			(4) 
			Voir la <a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6596&lang=1&cat=31'>déclaration
conjointe de l'APCE et du BIDDH</a> du 17 avril 2017 et les <a href='https://www.osce.org/odihr/elections/turkey/311721?download=true'>conclusions
provisoires</a> (en anglais) de la mission internationale d’observation
du référendum. ont confirmé les inquiétudes exprimées par la commission de suivi depuis janvier 2017 quant au contexte dans lequel s’est tenu ce référendum (état d’urgence, des députés et des journalistes en prison, libertés fondamentales restreintes et populations déplacées dans le sud-est du pays). Nous avons également relevé plusieurs insuffisances pendant la campagne du référendum, notamment la couverture médiatique déséquilibrée, le détournement de ressources administratives, la restriction des libertés fondamentales, un cadre juridique inadapté au déroulement d’un processus véritablement démocratique, etc.
4. De plus, la Commission électorale suprême (CES) a diffusé en fin de journée des consignes qui «ont sensiblement modifié les critères de validité des bulletins», levant ainsi «une garantie importante» et en contradiction avec la loi électorale telle que modifiée en 2010, comme l’a noté la mission d’observation de l’Assemblée parlementaire et du BIDDH 
			(5) 
			La
CES a autorisé la validation des bulletins non tamponnés, «à moins
qu’il puisse être prouvé qu’ils ont été apportés de l’extérieur».
Les médias ont expliqué qu’en vertu de l’article 98 de la Loi sur
les dispositions fondamentales relatives aux élections et aux registres
électoraux, les enveloppes qui ne sont pas du format et de la couleur
prescrites par les bureaux de vote et qui ne portent pas les cachets
de la Commission électorale provinciale et du bureau de vote sont invalides.
Selon l’article 101 de cette loi, les bulletins qui ne comportent
pas le cachet du bureau de vote sont invalides. <a href='http://www.hurriyetdailynews.com/turkish-election-board-rejects-all-referendum-appeals.aspx?pageID=238&nID=112177&NewsCatID=338'>www.hurriyetdailynews.com/turkish-election-board-rejects-all-referendum-appeals.aspx?pageID=238&nID=112177&NewsCatID=338.</a>. Les recours en annulation du référendum pour irrégularités présumées déposés auprès de la CES par les partis d’opposition CHP et HDP ainsi que par des centaines de particuliers ont été rejetés par cette dernière le 19 avril 2017. Pour mémoire, les décisions de la CES sont définitives et sans appel, ce qui a fait l’objet de critiques répétées de la part de précédentes missions d’observation électorale de l’Assemblée.
5. Notre commission ad hoc a conclu que «le référendum n’a pas satisfait aux normes du Conseil de l'Europe». Son rapport sera présenté à la Commission permanente en mai 2017. Au vu des conditions inéquitables dans lesquelles s’est déroulée la campagne et de la décision prise par la CES le jour du scrutin, de sérieuses questions peuvent se poser quant à la légitimité du résultat du référendum.
6. Au vu du «résultat serré du référendum», le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, M. Thorbjørn Jagland, a invité les dirigeants turcs à «réfléchir mûrement aux prochaines mesures», ajoutant qu’il est «capital de garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire, conformément au principe de l’État de droit consacré par la Convention européenne des droits de l’homme» 
			(6) 
			<a href='http://www.coe.int/fr/web/portal/-/statement-by-council-of-europe-secretary-general-thorbj-rn-jagland-on-the-outcome-of-the-turkish-constitutional-referendum'>Déclaration
du Secrétaire Général, Thorbjørn Jagland, sur le résultat du référendum
constitutionnel en Turquie,</a> 17 avril 2017..
7. Pour notre part, nous prenons note du résultat du référendum. Dans le même temps, nous réaffirmons que les modifications à la Constitution qui viennent d’être adoptées soulèvent plusieurs problèmes, corroborés par les experts constitutionnels de la Commission de Venise, comme exposé en détail dans la troisième partie du présent addendum pour ce qui est des modifications de la Constitution et de la liberté de la presse alors que le pays est en état d’urgence.
8. Trois dispositions constitutionnelles prendront effet immédiatement: le droit du Président de la République d’être membre d’un parti politique; la restructuration du Conseil supérieur des juges et des procureurs (la totalité des 13 membres étant désormais nommés par le parlement et par le Président) et son remplacement par un «Conseil des juges et des procureurs», ainsi que l’abolition des tribunaux militaires, saluée par la Commission de Venise (voir ci-dessous).
9. Nous restons déterminées à travailler avec les autorités turques, y compris avec le parlement, et avec nos partenaires du Conseil de l’Europe, en particulier la Commission de Venise, pour garantir la conformité du cadre constitutionnel et de sa mise en œuvre aux normes du Conseil de l’Europe, en travaillant, si nécessaire, à l’élaboration d’amendements constitutionnels. Au vu des défaillances constatées sur le plan électoral lors de l’observation d’élections récentes, il conviendrait aussi de porter toute l’attention voulue au cadre électoral. La procédure de suivi devrait nous fournir le cadre nécessaire à la poursuite de la coopération attendue sur les questions constitutionnelles et électorales.

3. Modifications de la Constitution en vue d’un système présidentiel soumises au référendum le 16 avril 2017

3.1. Avis de la Commission de Venise sur les modifications de la Constitution

10. L’avis de la Commission de Venise 
			(7) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdf=CDL-AD(2017)005-e&lang=FR'>CDL-AD(2017)005</a>: Turquie – Avis sur les modifications de la Constitution
adoptées par la Grande Assemblée nationale le 21 janvier 2017 et
soumises au référendum national le 16 avril 2017, adopté par la
Commission de Venise à sa 110e session
plénière (Venise, 10-11 mars 2017). sur les modifications de la Constitution a trait à la mise en place de ce que les autorités turques ont qualifié de «régime présidentiel à la turque». Cet avis confirme les préoccupations que nous avons exprimées à la fin de notre visite en Turquie (9-13 janvier 2017) et qu’a partagé par la suite la commission de suivi dans sa déclaration du 26 janvier 2017 et dans le rapport adopté le 8 mars 2017. Ces préoccupations concernent:
0.1. La procédure d’adoption de la révision de la Constitution: la Commission de Venise souligne que «le non-respect du secret du vote laisse planer des doutes sur l’authenticité du soutien à la réforme et la sincérité personnelle du vote des députés. Il est regrettable que la procédure parlementaire n’ait pas donné lieu à un authentique débat ouvert à toutes les forces politiques représentées au Parlement» (paragraphe 131).
0.2. Le caractère judicieux d’un référendum pendant l’état d’urgence: la Commission de Venise considère que la «révision à caractère permanent d’une constitution ne serait alors possible pendant l’état d’urgence que si la situation garantit le respect des principes démocratiques» (paragraphe 36). Rappelant que «la réforme constitutionnelle est un processus qui exige un débat public ouvert et libre, et un temps suffisant pour que l’opinion publique puisse examiner la question et peser sur le résultat» 
			(8) 
			Rapport de la Commission
de Venise sur l’amendement constitutionnel, CDL-AD(2010)001, paragraphe 245.,elle estime «extrêmement douteux que le référendum constitutionnel prévu pour le 16 avril 2017 puisse satisfaire aux principes démocratiques de la tradition démocratique européenne. Et même si ces normes sont respectées, la crédibilité des résultats d’un référendum organisé pendant un état d’urgence visant à renforcer les pouvoirs du gouvernement en serait compromise» (paragraphe 41).
0.3. La Commission de Venise a souligné que ce processus avait entièrement lieu pendant un état d’urgence «alors que la liberté d’expression et la liberté de réunion sont considérablement restreintes. Les journalistes travaillent dans des conditions rendues extrêmement difficiles, et le débat public est dans l’ensemble de plus en plus appauvri et partisan, ce qui met particulièrement en doute la possibilité même d’une véritable campagne référendaire inclusive et démocratique sur l’opportunité de la révision» (paragraphe 132). Dans un autre avis, la Commission de Venise a rappelé le rôle essentiel d’un environnement médiatique libre pour discuter ouvertement de questions politiques lorsqu’une réforme constitutionnelle majeure est lancée 
			(9) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdf=CDL-AD(2017)007-f&lang=fr'>CDL-AD(2017)007:</a> Turquie – Avis sur les mesures adoptées en vertu des
décrets-lois promulgués récemment dans le cadre de l’état d’urgence,
sous l’angle du respect de la liberté de la presse, adopté par la
Commission de Venise lors de sa 110e session
plénière (Venise, 10-11 mars 2017), paragraphe 91..
0.4. La conformité des modifications de la Constitution, au fond, avec les normes européennes pour ce qui est de:
0.4.1. La séparation des pouvoirs et les freins et contrepoids: la Commission de Venise a relevé qu’«[u]n régime présidentiel doit comporter de puissants freins et contrepoids. Il est essentiel, en particulier, que la justice y soit forte et indépendante», car les différends entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif «doivent souvent être tranchés par les tribunaux» dans un régime présidentiel (paragraphe 44). Conformément à la nouvelle Constitution, le Président de la République a la double fonction de chef d’État et de chef de gouvernement. La Commission de Venise a montré que la révision ne garantit pas dans la pratique la séparation des pouvoirs:
0.4.1.1. au vu de l’«influence envahissante» du Président de la République, qui aurait des liens avec son parti politique, sur le parlement dans un système dans lequel les élections présidentielles et législatives ont lieu en même temps, avec le phénomène d’envahissement des élections législatives par l’élection présidentielle. «[L]e Président pourra nommer et révoquer des ministres. Il pourra en choisir certains parmi les députés, ce qui lui donnera un moyen efficace de “parrainer” le pouvoir législatif» (paragraphe 62) et «suscitera le risque de voir le Président décider des travaux du Parlement» (paragraphe 52). Il pourra aussi prendre des décrets présidentiels (sauf si le pays n’est pas en état d’urgence, sur certaines questions relatives aux droits de l’homme) même si en théorie la loi l’emporte sur le décret présidentiel en cas de conflit;
0.4.1.2. du pouvoir du Président de nommer et de révoquer les hauts fonctionnaires de l’Etat selon des procédures qu’il définit lui‑même ainsi que les ministres et les vice-ministres (sans que le Parlement exerce un contrôle sur ces nominations) (paragraphe 68). Bien que non élus, les vice‑présidents et les ministres jouissent de l’immunité parlementaire (paragraphe 63) et au cas où le Président n’est pas en mesure d’exercer un mandat, un vice-président pourrait diriger le pays sans légitimité démocratique sans qu’aucune durée maximale ne soit fixée (à part celle du mandat lui‑même) (paragraphe 66).
0.4.2. L’affaiblissement de l’indépendance du pouvoir judiciaire: la Commission de Venise a précisé que la composition du «Conseil des juges et des procureurs» qui remplacerait le «Conseil supérieur des juges et des procureurs» posera problème, car les 13 membres seront nommés soit par le Président (4+2 membres ex officio, c’est-à-dire le ministre de la Justice et son sous-secrétaire, nommés par le Président), soit par le Parlement (7), ce qui est contraire aux positions de la Commission de Venise et à la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres sur les juges: indépendance, efficacité et responsabilités 
			(10) 
			Il
est indiqué dans la Recommandation CM/Rec(2010)12 que: «Au moins
la moitié des membres de ces conseils devraient être des juges choisis
par leurs pairs issus de tous les niveaux du pouvoir judiciaire
et dans le plein respect du pluralisme au sein du système judiciaire.» . De plus, étant donné que le Président appartiendra à une mouvance politique, son choix des membres du Conseil des juges et des procureurs «n’aura pas à être politiquement neutre» (paragraphe 119). En outre, la procédure de nomination des membres de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat par le Conseil des juges et des procureurs influence aussi la composition de la Cour constitutionnelle 
			(11) 
			La Cour de cassation
et le Conseil d’Etat «choisissent deux membres de la Cour constitutionnelle
en soumettant trois candidatures pour chaque siège au Président,
qui procède aux nominations. Cela accroît l’influence de l’exécutif
sur la Cour constitutionnelle» (paragraphe 121)..
11. La Commission de Venise a aussi expliqué longuement le système de renouvellement «bilatéral» des élections: le Président peut dissoudre le parlement pour quelque raison que ce soit et ce dernier peut aussi se dissoudre lui-même pour quelque raison que ce soit (à la majorité des trois cinquièmes). Dans les deux cas, les élections présidentielles et législatives se tiendront simultanément. Le Président ne peut exercer que deux mandats, sauf si le parlement se dissout pendant son deuxième mandat, ce qui ouvre alors la voie à un troisième mandat. La Commission de Venise a aussi estimé que la tenue simultanée d’élections signifie que «le Président contrôlera d’habitude la majorité parlementaire (...) Il est peu probable qu’il y ait effectivement séparation des pouvoirs (…) Le projet (…) vise à l’unicité du pouvoir, qui caractérise des systèmes moins démocratiques 
			(12) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdf=CDL-AD(2017)007-f&lang=fr'>CDL-AD(2017)007</a>, paragraphe 98.».
12. La Commission de Venise a conclu que les modifications de la Constitution conduisent à une «concentration excessive des pouvoirs exécutifs sur la fonction présidentielle et à l’affaiblissement du contrôle exercé sur cette dernière par le Parlement. (…) Le Président n’a pratiquement plus aucun compte à rendre à la nation pendant son mandat; il n’a à le faire que s’il se présente pour un second mandat. (…) La Grande Assemblée nationale turque ne peut pas voter de motion de censure contre le Président, et il n’y a pas de possibilité d’interpellation: seules sont possibles les questions écrites qui doivent être soumises aux vice‑présidents et ministres (paragraphe 5 de l’article 98 modifié). De plus, le Président jouit d’une immunité générale en ce qui concerne toute infraction pénale, sauf celles qu’il commettrait dans l’exercice de ses fonctions présidentielles; il peut alors faire l’objet d’une procédure de destitution très complexe, dans laquelle la décision revient en dernier ressort à la Cour constitutionnelle, dont il nomme directement ou indirectement les membres (paragraphe 47). La révision renforce aussi le pouvoir de veto du Président qui peut refuser de promulguer une loi et la renvoyer devant le parlement, qui peut passer outre au veto si la majorité absolue des députés vote pour.
13. Tout en se félicitant de la suppression des tribunaux militaires et de la nullité automatique des décrets d’urgence présidentiels non confirmés par la Grande Assemblée nationale dans les trois mois, la Commission de Venise a estimé que «la révision proposée de la Constitution introduirait en Turquie un régime présidentiel dépourvu des freins et contrepoids nécessaires à la prévention d’une dérive autoritaire» (paragraphe 130). Elle a conclu que «la teneur des modifications proposées constitue un périlleux pas en arrière dans la tradition constitutionnelle démocratique de la Turquie», soulignant que «le système proposé recèle un danger de dérive autoritaire et monocratique. De plus, le moment de la réforme est mal choisi et inquiétant en soi: l’état d’urgence actuel ne réunit pas les conditions de démocratie qu’exige un référendum constitutionnel».

3.2. Avis de la Commission de Venise sur les mesures adoptées en vertu des décrets-lois promulgués récemment dans le cadre de l’état d’urgence, sous l’angle du respect de la liberté de la presse

14. À la demande de la commission des questions politiques et de la démocratie, la Commission de Venise a aussi analysé les mesures adoptées en vertu des décrets-lois promulgués récemment dans le cadre de l’état d’urgence, sous l’angle du respect de la liberté de la presse, en particulier la liquidation des médias, la confiscation des biens, le recours à la justice pénale contre les journalistes à la lumière des normes européennes et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme 
			(13) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdf=CDL-AD(2017)007-f&lang=fr'>CDL-AD(2017)007:</a> Turquie – Avis sur les mesures adoptées en vertu des
décrets-lois promulgués récemment dans le cadre de l’état d’urgence,
sous l’angle du respect de la liberté de la presse, adopté par la
Commission de Venise lors de sa 110e session
plénière (Venise, 10-11 mars 2017)..
15. La Commission de Venise conclut que les médias ne sont pas en mesure d’exercer leur rôle de «chien de garde» public dans un contexte caractérisé par des atteintes graves à la liberté d’expression et aux médias en raison des décrets-lois promulgués dans le cadre de l’état d’urgence 
			(14) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdf=CDL-AD(2017)005-e&lang=FR'>CDL-AD(2017)005</a>, paragraphe 37., alors que «la capacité de discuter ouvertement de questions politiques dans les médias devient encore plus déterminante lorsque l’état d’urgence se prolonge» 
			(15) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdf=CDL-AD(2017)007-f&lang=fr'>CDL-AD(2017)007</a>, paragraphes 91 et 92..
16. La Commission de Venise souligne aussi, conformément aux constats précédents des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, que la détention préventive de journalistes au prétexte [vague] d’«appartenance» à des organisations terroristes (et assimilées) pose problème, qu’il faudrait donner des raisons «pertinentes et suffisantes» pour expliquer leur placement en détention au titre de leurs écrits et s’assurer que ces détentions «demeurent l’exception 
			(16) 
			Ibid.,
paragraphe 93.».
17. Nous partageons pleinement les préoccupations exprimées par la Commission de Venise et tenons à proposer un amendement pour préciser ce que nous attendons de la commission d’enquête sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sous l’angle du respect de la liberté des médias, pierre angulaire de la démocratie qui devrait être rétablie de toute urgence en Turquie (voir la proposition d’amendement 3).

4. À propos de la réintroduction de la peine de mort

18. Nous avons déploré le fait qu’il ait de nouveau été question du rétablissement de la peine de mort pendant la campagne de M. Erdoğan, qui a réaffirmé qu’il était prêt à promulguer toute loi en ce sens adoptée par le parlement. Comme nous l’avons déjà indiqué dans notre rapport et comme l’Assemblée l’a souligné dans sa Résolution 2149 (2017) 
			(17) 
			Résolution 2149 (2017) sur l’évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée
(septembre 2015-décembre 2016) et l’examen périodique du respect
des obligations de l’Autriche, de la République tchèque, du Danemark,
de la Finlande, de la France et de l’Allemagne., la réintroduction de la peine de mort n’est pas compatible avec l’appartenance au Conseil de l’Europe.
19. Le lendemain du référendum, le Président Erdoğan a de nouveau indiqué qu’il approuverait une proposition de loi visant à réintroduire la peine de mort ou qu’il organiserait un référendum sur le sujet si les députés de l’opposition refusaient de soutenir cette proposition 
			(18) 
			<a href='http://www.hurriyetdailynews.com/president-erdogans-death-penalty-remarks-start-debate-with-europe.aspx?pageID=238&nID=112127&NewsCatID=338'>www.hurriyetdailynews.com/president-erdogans-death-penalty-remarks-start-debate-with-europe.aspx?pageID=238&nID=112127&NewsCatID=338</a>..
20. Nous rappelons que la Turquie a aboli la peine de mort en 2004, dans le cadre de son processus de réforme. Elle a ratifié le Protocole no 6 (STE n° 114 concernant l’abolition de la peine de mort) en 2003 et le Protocole no 13 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 187 concernant l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances) en 2006. Pour réintroduire la peine de mort, la Turquie devrait dénoncer ces deux protocoles et, donc, la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) en tant que telle. Comme l’a indiqué Yves Cruchten (Luxembourg, SOC), Rapporteur général de l’Assemblée parlementaire sur l’abolition de la peine de mort, la réintroduction de la peine de mort «serait purement et simplement incompatible avec le maintien de la Turquie au sein du Conseil de l'Europe» et l’Assemblée «n’acceptera aucun recul» en ce qui concerne la suppression de la peine de mort sur tout le continent 
			(19) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6597&lang=1&cat=5'>Déclaration</a> de M. Yves Cruchten, 19 avril 2017..
21. Nous jugeons nécessaire de souligner une fois encore la position de l’Assemblée sur cette question et proposons de réaffirmer notre attachement à cet acquis du Conseil de l’Europe par voie d’amendement et d’insister sur la responsabilité particulière qui incombe au parlement de s’abstenir de toute initiative qui pourrait remettre en cause l’adhésion de la Turquie au Conseil de l’Europe (voir proposition d’amendement no 1). L’Assemblée reste à l’entière disposition de la Grande Assemblée nationale de Turquie pour dialoguer avec les parlementaires et les autorités turques sur ce sujet.

5. Fonctionnement des institutions démocratiques au niveau local: position du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe

22. Que ce soit dans la Résolution 2121 (2016) de l’Assemblée de juin 2016 ou dans notre rapport du 8 mars 2017, nous avons signalé les problèmes graves auquel le sud-est de la Turquie est confronté à la suite des opérations de sécurité qui y sont menées depuis août 2015.
23. Dans son rapport du 10 mars 2017 
			(20) 
			Haut-Commissariat des
Nations Unies aux droits de l’homme, Report
on the human rights situation in South-East Turkey, juillet 2015-décembre 2016,
février 2017. Voir le <a href='http://www.ohchr.org/FR/Pages/Home.aspx'>communiqué de
presse</a> du 10 mars 2017., le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, met en évidence des violations des droits de l’homme et relève de nombreux cas de recours excessif à la force, des exécutions, des disparitions forcées, des actes de torture, la destruction de bâtiments d’habitation et du patrimoine culturel, l’incitation à la haine, les entraves à l’accès aux soins médicaux d’urgence, à la nourriture, à l’eau et aux moyens de subsistance, les violences à l’encontre des femmes et la restriction sévère du droit à la liberté d’opinion et d’expression ainsi qu’à la participation politique.
24. Le rapport décrit aussi les conséquences des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence qui semblent avoir largement visé l’opposition en général et les partis politiques d’opposition en particulier, touchant de manière disproportionnée les citoyens d’origine kurde. Le renvoi massif de fonctionnaires, en particulier d’enseignants, les très nombreuses arrestations de députés appartenant au Parti démocratique du peuple (HDP) et de maires dans les régions à majorité kurde et la fermeture de la quasi-totalité des médias locaux et nationaux en langue kurde ainsi que l’arrestation de leurs journalistes sont particulièrement préoccupants 
			(21) 
			Ibid..
25. Le 29 mars 2017, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux a examiné le rapport intitulé «mission d’enquête sur la situation des élus locaux en Turquie» 
			(22) 
			<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016806fbe70'>CG32(2017)13final.</a> soumis par Anders Knape, Suède (L, PPE/CCE) et Leendert Verbeek, Pays-Bas (R, SOC). Il a déploré le maintien en détention d’un membre de la délégation turque, Nurhayat Altun, co-maire (HDP) de Tunceli, dans la prison de type F de Kocaeli depuis le 17 novembre 2016 alors qu’un autre membre, Serra Bucak (DBP), a aussi été empêché de prendre part à la session de printemps de 2017 du Congrès à Strasbourg.
26. Le Congrès a adopté la Résolution 416 (2017), ainsi que la Recommandation 397 (2017) qui demande notamment au Comité des Ministres d’inviter les autorités turques à:
  • «annuler les mesures législatives relatives aux “maires nommés par les autorités centrales” et rétablir la capacité des conseils municipaux concernés à choisir, le cas échéant, leurs maires s’ils sont empêchés d’exercer;
  • veiller à ce que l’arrestation d’un élu local soit une mesure dûment fondée en droit interne, prise en conformité avec les standards du Conseil de l’Europe;
  • examiner, en vue de leur libération, la situation des élus locaux actuellement en détention préventive, de manière à s’assurer qu’elle soit conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, et, le cas échéant, procéder à leur libération immédiate;
  • réviser les instructions ministérielles du 11 novembre 2016 en vue de dépénaliser la désignation de co-maires;
  • réviser la législation turque afin d’aligner sa définition du terrorisme sur les normes européennes, notamment sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme» 
			(23) 
			<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680703a31'>Recommandation
397 (2017)</a> relative à la mission d’enquête sur la situation des
élus locaux en Turquie, adoptée par le Congrès le 29 mars 2017,
paragraphe 8..
27. Le Congrès a aussi demandé un avis de la Commission de Venise sur la constitutionnalité des mesures du décret-loi no 674 concernant l’exercice de la démocratie locale en Turquie.
28. De même que le Congrès, nous encourageons les mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, en particulier le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et le Groupe d’Experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), à demeurer très attentifs à l’évolution démocratique au niveau local. Nous tenons à reprendre à notre compte les recommandations tout à fait pertinentes du Congrès sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie dans notre résolution à venir (voir la proposition d’amendement 2).

6. Conclusions

29. La commission de suivi pourrait décider, sur la base des informations figurant dans le présent addendum, de déposer les amendements ci-après au projet de résolution sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Turquie:
0.1. Amendement A: insérer, après le paragraphe 7, le paragraphe suivant: «Dans ce contexte, l’Assemblée rappelle que le rétablissement de la peine de mort serait incompatible avec l’appartenance au Conseil de l’Europe et exhorte la Grande Assemblée nationale turque à s’abstenir de toute initiative susceptible de conduire à la réintroduction de la peine capitale et de remettre ainsi en cause l’adhésion de la Turquie au Conseil de l’Europe»;
0.2. Amendement B: ajouter, à la fin du paragraphe 11, ce qui suit: «L’Assemblée déplore que ces détentions aient suspendu l’exercice pratique de la démocratie locale dans cette région et débouché sur une supervision disproportionnée des administrations locales par une mise sous tutelle et des services publics locaux réduits, ce qui est contraire à la Charte européenne de l’autonomie locale (STE no 122). L’Assemblée invite instamment les autorités turques à libérer, le cas échéant, les maires actuellement placés en détention provisoire et à rétablir pleinement la démocratie locale dans le sud‑est de la Turquie, conformément à la Résolution 416 (2017) et à la Recommandation 397 (2017) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux.»
0.3. Amendement C: insérer, après le paragraphe 26.4, le paragraphe suivant: «s’assurer que la commission d’enquête sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence soit pleinement opérationnelle dans les meilleurs délais, et compétente pour rétablir le statu quo ante et/ou, au besoin, accorder une indemnisation correcte, réserver un traitement prioritaire aux requêtes les plus urgentes, y compris celles introduites par les médias, et prendre des décisions raisonnées et individualisées, conformément aux avis récents de la Commission de Venise».
0.4. Amendement D: remplacer le paragraphe 28 par le paragraphe suivant: «L’Assemblée prend note de l’adoption d’un train de 18 amendement constitutionnels par le parlement le 21 janvier 2017 et par 51,4% des votants lors du référendum constitutionnel du 16 avril 2017, qui entraîneront une profonde modification et le passage d’un système parlementaire à un système présidentiel, conférant au Président de la République des pouvoirs étendus tout en réduisant de manière drastique le rôle de superviseur du parlement. L’Assemblée souligne qu’il appartient uniquement aux citoyens turcs de décider du système politique dont ils entendent se doter, à condition que les électeurs se voient communiquer des informations suffisantes et qu’un laps de temps raisonnable soit accordé au débat public.
0.5. Amendement E: insérer, après le paragraphe 30, le paragraphe suivant: «Au vu des conclusions provisoires de la mission internationale d’observation du référendum conduite par l’Assemblée parlementaire et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH), l’Assemblée déplore vivement que le référendum se soit tenu dans des conditions inéquitables, ce qui a empêché que les deux camps en présence bénéficient des mêmes chances pendant la campagne. De plus, la décision prise par la Commission électorale suprême le jour du scrutin – autorisant la validation de bulletins non tamponnés, contrairement aux dispositions de la loi électorale de 2010 – fait peser de sérieux doutes sur la légitimité du résultat du référendum. L’Assemblée attend en outre de la Commission électorale suprême qu’elle examine sérieusement toutes les allégations d’irrégularités électorales.»
0.6. Amendement F: insérer, après le paragraphe 31, le paragraphe suivant: «À la lumière des recommandations de la Commission de Venise de mars 2017 relatives à la révision constitutionnelle, l’Assemblée décide de suivre les développements institutionnels et de travailler avec les autorités turques à l’élaboration éventuelle d’amendements constitutionnels pour garantir la conformité du cadre constitutionnel et de sa mise en œuvre aux normes du Conseil de l’Europe.»
0.7. Amendement G: supprimer le paragraphe 34.8 [concernant l’organisation du référendum constitutionnel].