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Résolution 2157 (2017)

Les droits de l’homme dans le Caucase du Nord: quelles suites donner à la Résolution 1738 (2010)?

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 25 avril 2017 (13e séance) (voir Doc. 14083, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteur: M. Michael McNamara). Texte adopté par l’Assemblée le 25 avril 2017 (13e séance). Voir également la Recommandation 2099 (2017).

1. L’Assemblée parlementaire rappelle sa Résolution 1738 (2010) sur les recours juridiques en cas de violations des droits de l’homme dans la région du Caucase du Nord et sa Résolution 1479 (2006) «Les violations des droits de l’homme en République tchétchène: la responsabilité du Comité des Ministres à l’égard des préoccupations de l’Assemblée», dans lesquelles elle déplorait les violations systématiques des droits de l’homme et le climat d’impunité qui règne dans la région.
2. L’Assemblée réitère sa ferme condamnation de tous les actes de terrorisme et fait part de sa compassion et de sa solidarité aux familles de toutes les victimes de la violence dans cette région troublée.
3. L’Assemblée observe avec regret que les recommandations particulières adressées aux autorités russes compétentes dans sa Résolution 1738 (2010), adoptée à l’unanimité, avec le soutien sans réserve de la délégation russe, n’ont toujours pas, dans l’ensemble, été mises en œuvre. En particulier:
3.1. les méthodes de règlement des conflits non violentes fondées sur le dialogue, par exemple l’action menée par les commissions de réinsertion et d’adaptation, ont été très largement abandonnées ou n’ont jamais fait l’objet de tentatives sérieuses (comme en République tchétchène); les autorités ingouches et les commissions municipales de réinsertion de Derbent et de Khasavyourt, en revanche, méritent d’être félicitées pour avoir cherché constamment à réinsérer les militants qui souhaitaient revenir à la vie civile. Au lieu de rechercher un dialogue avec les groupes musulmans, y compris ceux qui agissent de manière constructive en faveur de la réconciliation, les autorités de la République tchétchène et du Daghestan ont harcelé et intimidé les salafistes présumés;
3.2. la coopération avec la société civile et les avocats demeure tendue et restreinte. En République tchétchène, mais également au Daghestan, les groupes de défense des droits de l’homme, comme le Comité contre la torture de Nijni-Novgorod avec son Groupe mobile conjoint de défenseurs des droits de l’homme en Tchétchénie (JMG), lauréat du prix des droits de l’homme de l’Assemblée 2011, le Centre des droits de l’homme Memorial et MASHR, ainsi que leurs dirigeants et leur personnel, ont été victimes d’actes de violence commis par la foule, d’incendies criminels, d’agressions physiques et d’actes d’intimidation. Il est regrettable que le JMG ait dû retirer ses équipes de la République tchétchène au début de 2016 pour des raisons de sécurité. Les avocats qui défendent les victimes de violations des droits de l’homme sont eux-mêmes devenus la cible d’agressions, d’actes d’intimidation et de chefs d’accusation fabriqués de toutes pièces en représailles à leur action;
3.3. les menaces proférées par des hauts fonctionnaires locaux et des dirigeants politiques, les détentions arbitraires, la récente condamnation d’un journaliste du Caucasian Knot à trois ans de prison pour détention de drogue – un chef d’accusation apparemment fabriqué de toutes pièces –, ainsi que la violente attaque contre un groupe de journalistes en visite, dissuadent les journalistes d’exercer leur profession en République tchétchène;
3.4. les membres des forces de sécurité et des services répressifs continuent à recourir à des moyens illégaux, comme les enlèvements et les détentions secrètes, les exécutions extrajudiciaires, la torture, les sanctions collectives ciblant des membres de la famille de rebelles présumés et les pratiques d’humiliation en public, et ils continuent de jouir d’une impunité presque complète. La quasi-totalité des crimes dont ont été victimes les personnes auxquelles l’Assemblée a rendu hommage dans sa Résolution 1738 (2010) restent impunis. En outre, des informations récentes faisant état de vastes campagnes d'enlèvements, de détentions secrètes, de torture, voire d'exécutions extrajudiciaires de personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) en Tchétchénie sont une nouvelle source de préoccupations particulièrement graves;
3.5. la persécution à grande échelle, orchestrée par l'État, d'un groupe ciblé en raison de ses orientations sexuelles suscite de graves inquiétudes quant à l'existence d'atrocités de masse perpétrées au sein d'un État membre du Conseil de l'Europe, et contraint le Conseil de l'Europe à prendre des mesures urgentes et à adopter une résolution réclamant une enquête spécifique sur la question;
3.6. l’exécution des 247 arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») dans le groupe d’affaires Khashiyev et Akayeva, qui portent sur de très graves violations des droits de l’homme commises par les membres des forces de sécurité et sur l’absence d’enquêtes menées par les autorités compétentes, demeure extrêmement insatisfaisante, malgré l’application par le Comité des Ministres de la procédure de surveillance soutenue et l’adoption de résolutions intérimaires. En particulier:
3.6.1. les «unités d’investigation spéciales» créées tout spécialement pour examiner les affaires dans lesquelles la Cour a constaté une absence d’enquête ont produit de maigres résultats;
3.6.2. un «organe unique et de haut niveau» chargé de rechercher les personnes disparues et d’assurer la mise à disposition des ressources nécessaires pour des travaux médico-légaux et scientifiques à grande échelle au sein d’un mécanisme centralisé et indépendant, recommandé par la Cour elle-même, le Comité international de la Croix-Rouge, l’Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres, n’a toujours pas été mis en place; la République tchétchène ne s’est pas davantage dotée d’un laboratoire médico-légal capable d’effectuer des exhumations de corps et des tests ADN professionnels;
3.6.3. l’inadéquation des infrastructures actuelles est devenue flagrante fin décembre 2016, lorsque 109 corps d’une fosse commune ont été ramenés en Tchétchénie et que seules deux familles de personnes disparues ont été en mesure d’identifier les restes de leurs proches, avant que les autres restes soient à nouveau rapidement enterrés;
3.6.4. les autorités comptent de plus en plus sur les lois concernant les délais de prescription et les amnisties pour garantir l’impunité, y compris au petit nombre d’auteurs de violations des droits de l’homme qui ont été identifiés, allant à l’encontre des exhortations de l’Assemblée et du Comité des Ministres;
3.6.5. selon le plan d’action soumis par le Gouvernement russe au Comité des Ministres, les enquêtes sur presque toutes les affaires relevant du groupe Khashiyev et Akayeva ont maintenant été suspendues;
3.7. en République tchétchène, les autorités continuent à entretenir un climat de peur sous-jacente, dans une atmosphère de personnalisation du pouvoir. Le dirigeant de la république a publiquement proféré des menaces à l’encontre des opposants politiques, des militants de la défense des droits de l’homme et leurs familles, y compris dans d’autres régions de la Fédération de Russie et au-delà. En particulier, à la veille des élections locales de septembre 2016 en République tchétchène, les autorités locales ont mené une répression généralisée contre la moindre critique, notamment contre des citoyens ordinaires exprimant des opinions divergentes, et s’en sont prises de manière virulente aux journalistes et défenseurs des droits de l’homme russes et étrangers exprimant des critiques. Les forces de l’ordre et les agences de sécurité tchétchènes, agissant directement ou par procuration, ont multiplié les pratiques de détention illégale et de disparitions forcées, les traitements cruels et dégradants, les menaces de mort et les représailles à l’encontre des membres des familles de détracteurs locaux. Par ailleurs, le fait que les autorités tchétchènes aient nié, minimisé, voire approuvé les attaques récentes contre les personnes LGBTI en Tchétchénie semblerait être en conflit flagrant avec l'obligation positive découlant des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5) de mener une enquête effective concernant des allégations sur de telles attaques;
3.8. la dégradation de la situation des femmes et des jeunes filles en République tchétchène se poursuit. Le dirigeant de la République tchétchène promeut activement l’application de dispositions fondées sur le droit coutumier tchétchène, les adats, et d’une interprétation de la charia qui établit une discrimination à l’égard des femmes et des jeunes filles en matière de droit de la famille, en violation du droit russe. La violence domestique et les pratiques prétendument «traditionnelles» préjudiciables aux femmes et aux jeunes filles, comme les mariages forcés, précoces et arrangés, voire les crimes dits «d’honneur», sont largement répandues et tolérées par les autorités régionales;
3.9. la généralisation de la violence dans la société et dans les pratiques sociales affecte non seulement les femmes et les jeunes filles, mais également les LGBTI et les personnes perçues comme telles, comme l’illustrent des faits récemment rapportés par les médias.
4. L’Assemblée observe par conséquent que la situation de la protection des droits de l’homme et du respect de l’État de droit dans le Caucase du Nord demeure l’une des plus graves de l’ensemble de l’espace géographique couvert par le Conseil de l’Europe.
5. L’Assemblée considère que les violations systématiques des droits de l’homme et l’impunité de leurs auteurs ne peuvent que favoriser un accroissement supplémentaire des mouvements extrémistes. La brutalité endémique des forces de sécurité et l’absence de justice créent des conditions propices à la radicalisation, ainsi qu’à l’affaiblissement du soutien accordé aux autorités par la population dans son ensemble et de la volonté de coopération des militants avec le système judiciaire afin de démanteler les réseaux terroristes.
6. L’Assemblée se félicite de la création, par un consortium d’organisations de défense des droits de l’homme très respectées dirigé par le Comité Helsinki de Norvège, du centre de documentation Natalia Estemirova à Oslo; il s’agit d’une suite positive donnée par la société civile à l’appel lancé par l’Assemblée dans sa Recommandation 1922 (2010) sur les recours juridiques en cas de violations des droits de l’homme dans la région du Caucase du Nord, en faveur de la création d’un système de conservation des dépositions de témoins, documents et éléments de preuve à l’appui des violations des droits de l’homme commises dans la région.
7. L’Assemblée réitère par conséquent son appel lancé aux autorités russes:
7.1. à veiller à ce que les autorités locales et régionales, y compris les forces de l’ordre et les agences de sécurité, se conforment pleinement à la législation russe en vigueur et aux obligations internationales en matière de droits de l’homme;
7.2. à lutter contre le terrorisme avec les instruments dont dispose un État de droit, en enquêtant sur les crimes commis par les terroristes et en engageant des poursuites à l’encontre de leurs auteurs, tout en identifiant les causes profondes de la radicalisation actuelle et de l’augmentation de l’extrémisme religieux et en y remédiant grâce au dialogue interculturel et interreligieux;
7.3. à mettre un terme au climat d’impunité, en identifiant tous les auteurs de violations des droits de l’homme, y compris les membres des forces de sécurité, et en les amenant à répondre de leurs actes conformément à la législation;
7.4. à favoriser l’indépendance judiciaire dans la région et à fournir une protection adéquate aux juges et aux enquêteurs victimes de menaces;
7.5. à suivre l’exemple d’autres pays qui sont contraints de lutter contre le terrorisme et à chercher à coopérer avec eux, surtout pour la mise en œuvre de stratégies de promotion de la coopération des suspects avec le système judiciaire, en vue de démanteler les organisations terroristes, mais également les réseaux criminels au sein des forces de sécurité;
7.6. à coopérer étroitement avec la société civile, en particulier avec les défenseurs des droits de l’homme, à protéger efficacement le personnel de ces organisations non gouvernementales contre les actes de représailles et à créer un climat favorable pour que les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme puissent travailler dans la région;
7.7. à intensifier leur coopération avec le Comité des Ministres pour l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, notamment pour la mise en œuvre:
7.7.1. de mesures individuelles destinées à élucider les affaires d’enlèvement, de meurtre et de torture dans lesquelles la Cour a conclu à une absence d’enquête effective, y compris les mesures qui permettent d’éviter que les délais de prescription et l’amnistie garantissent l’impunité des auteurs de ces crimes;
7.7.2. de mesures générales visant à créer des conditions propices à des enquêtes menées en bonne et due forme, comme la création d’un «organe unique et de haut niveau» chargé de rechercher les personnes disparues et doté des moyens nécessaires à cette fin (paragraphe 3.6.2 ci-dessus), de l’échange d’informations entre services et du renforcement de la base de données unique des informations génomiques;
7.8. à demander systématiquement, le plus tôt possible, la publication des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) consacrés à la région du Caucase du Nord et à intensifier leur coopération avec le CPT, en vue de mettre un terme à l’usage de la torture et des traitements inhumains ou dégradants dans cette région.
8. Étant donné les rapports alarmants qui font état de l’enlèvement en Tchétchénie de centaines d’hommes au motif de leur présumée orientation sexuelle, l’Assemblée prie instamment la Fédération de Russie de lancer immédiatement une enquête transparente sur ces allégations afin de traduire en justice les responsables et d’assurer la sécurité de la communauté des LGBTI dans le Caucase du Nord, ainsi que celle des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes qui dénoncent de telles violations.
9. L’Assemblée réitère son appel lancé à tous les autres États membres et aux États observateurs du Conseil de l’Europe:
9.1. à coopérer avec les autorités russes dans la lutte contre le terrorisme, tout en insistant sur le respect scrupuleux de la Convention européenne des droits de l’homme, selon l’interprétation retenue par la Cour, et à envisager de soumettre une requête interétatique contre la Russie pour la non-exécution systématique des arrêts dans les affaires du groupe Khashiyev et Akayeva;
9.2. à accorder une protection adéquate aux réfugiés de la région du Caucase du Nord et à traiter avec une attention et un soin particuliers toute demande d’extradition les concernant.
10. L’Assemblée invite sa commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi) à continuer à accorder une attention particulière à la situation des droits de l’homme dans la région du Caucase du Nord, surtout en République tchétchène. Elle rend hommage au CPT pour son action dans la région et invite le CPT et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à maintenir et à intensifier leur engagement.