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Résolution 2161 (2017)

Recours abusif au système d’Interpol: nécessité de garanties légales plus strictes

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 26 avril 2017 (15e séance) (voir Doc. 14277, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteur: M. Bernd Fabritius). Texte adopté par l’Assemblée le 26 avril 2017 (15e séance).

1. L’Assemblée parlementaire souligne l’importance de l’instrument efficace de coopération internationale dans la lutte contre la criminalité transnationale, notamment contre le terrorisme, que représente Interpol.
2. Interpol repose sur l’entraide entre les services répressifs nationaux et devrait fonctionner dans une parfaite neutralité et dans le respect des droits de l’homme des suspects.
3. Le système des notices internationales permet à la police des pays membres de partager des informations essentielles en matière pénale. Les services de police peuvent les utiliser pour alerter les services répressifs d’autres pays de risques éventuels ou pour demander leur assistance afin d’élucider des affaires criminelles. Les «notices rouges», en particulier, permettent de demander la localisation et l’arrestation d’une personne recherchée par une juridiction nationale ou un tribunal international, en vue d’obtenir son extradition. Le nombre de notices rouges a considérablement augmenté ces dix dernières années.
4. L’article 2 de son statut impose à Interpol d’agir dans l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 3 lui interdit rigoureusement toute intervention ou activité à caractère politique, militaire, religieux ou raciste. Mais, ces dernières années, dans un certain nombre de cas, Interpol et son système de notices rouges ont été abusivement détournés par certains États membres à des fins politiques, en vue de réprimer la liberté d’expression ou de persécuter des opposants politiques à l’étranger.
5. Les notices rouges ont de graves effets préjudiciables aux droits de l’homme des personnes visées, y compris les droits à la liberté et à la sûreté et le droit à un procès équitable. Il importe par conséquent que les notices rouges soient demandées par un Bureau central national (BCN) et diffusées par Interpol uniquement lorsqu’il existe de sérieuses raisons de soupçonner la personne visée. Ces motifs devraient être vérifiés selon une procédure conçue pour minimiser la possibilité de recours abusifs, sans entraver la coopération policière internationale dans l’immense majorité des situations légitimes.
6. Les personnes visées ne peuvent contester avec succès les notices rouges devant aucune juridiction nationale ou internationale. Cette immunité de juridiction ne peut se justifier que dans la mesure où un mécanisme de recours interne offre un recours effectif au sens des normes applicables en matière de droits de l’homme. À cet égard, il a été reproché à la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol (CCF) de ne pas être en mesure de traiter le nombre important et croissant de plaintes de plus en plus complexes.
7. L’Assemblée constate qu’Interpol a réagi à ces critiques en engageant un dialogue intégrant la société civile. Le Groupe de travail sur la réforme des mécanismes de traitement de l’information d’Interpol a présenté un certain nombre de propositions de réforme, qui ont été adoptées lors de l’Assemblée générale d’Interpol à Bali (Indonésie) en novembre 2016. Parmi les améliorations récentes, y compris celles qui ont été décidées à Bali, figurent:
7.1. le renforcement supplémentaire de la procédure de vérification interne d’Interpol préalable à la publication des notices rouges, par la mise en place d’une équipe spéciale composée de juristes, de policiers et d’analystes;
7.2. la nomination d’un agent de protection des données au sein du secrétariat général d’Interpol;
7.3. le renforcement de la CCF, dont le nouveau statut est entré en vigueur en mars 2017, réalisé notamment en séparant ses fonctions consultatives de ses fonctions de recours, en augmentant à cinq le nombre des membres de la chambre chargée des recours, en définissant un calendrier de travail clair, en conférant à ses conclusions un caractère contraignant pour Interpol et en accroissant les ressources mises à sa disposition.
8. L’Assemblée se félicite de ces réformes, car ces mesures vont toutes dans le bon sens. Elle souligne l’importance de leur mise en œuvre et appelle Interpol à poursuivre l’amélioration de sa procédure de notice rouge, afin de prévenir et de réparer plus efficacement les recours abusifs, notamment:
8.1. en intensifiant encore les vérifications préventives effectuées avant la diffusion des notices rouges, en particulier:
8.1.1. en renforçant les capacités de l’équipe spéciale d’Interpol chargée de ces vérifications grâce à l’augmentation des ressources mises à sa disposition;
8.1.2. en veillant à ce que les informations relatives aux affaires pertinentes mises à disposition par les organes intergouvernementaux internationaux ou régionaux de protection des droits de l’homme (notamment le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et les organes compétents du Conseil de l’Europe) et, le cas échéant, par les organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme soient dûment prises en compte;
8.1.3. en publiant des interprétations suffisamment détaillées et faisant autorité («recueils de pratiques») des articles 2 et 3 du statut et de la politique d’Interpol à l’égard des réfugiés et du droit d’asile;
8.1.4. en réexaminant périodiquement les notices rouges pour veiller à ce qu’elles soient supprimées lorsqu’elles n’ont pas donné lieu à une réponse favorable aux demandes d’extradition dans un délai raisonnable;
8.1.5. en examinant avec une attention particulière les demandes répétées de notices rouges qui émanent du même BCN et visent la même personne, lorsque des demandes antérieures ont été soit rejetées par Interpol, soit supprimées sur décision de la CCF;
8.2. en renforçant le mécanisme de recours de la CCF:
8.2.1. en établissant son indépendance complète vis-à-vis d’Interpol, notamment en continuant à veiller à ce que les agents qui procèdent aux vérifications préventives ne participent pas à l’appréciation des plaintes déposées contre les notices rouges qui ont satisfait à ces contrôles;
8.2.2. en renforçant ses capacités, notamment en mettant à sa disposition un personnel suffisant et qualifié dans les domaines des droits de l’homme, du droit pénal et de la procédure pénale;
8.2.3. en veillant à ce que la CCF respecte les normes procédurales minimales, en particulier en permettant aux personnes visées et à leurs avocats d’être informés des motifs de la demande de notice rouge invoqués par le BCN, auteur de la demande, et de formuler des observations à leur sujet;
8.2.4. en veillant à ce que la CCF réagisse aux recours déposés et statue à leur sujet dans un délai raisonnable, compte tenu de la gravité des conséquences d’une notice rouge pour la personne qui en fait l’objet;
8.2.5. en veillant à ce que la CCF publie ses décisions, sous réserve de l’accord des requérants; ces décisions doivent être suffisamment motivées pour contribuer à l’élaboration d’une jurisprudence cohérente et prévisible;
8.3. en traitant de manière appropriée avec les BCN qui ont fait à plusieurs reprises des demandes abusives de publication de notices rouges, en particulier:
8.3.1. en conservant des statistiques sur les notices rouges supprimées en amont par le mécanisme préventif d’Interpol et en aval à l’occasion de leur contestation aboutie devant la CCF;
8.3.2. en soumettant les nouvelles demandes de notices rouges qui émanent de BCN auteurs d’un grand nombre de demandes abusives à un examen préalable plus intensif;
8.3.3. en donnant également priorité à l’examen, par la CCF, des plaintes déposées contre les notices rouges demandées par les BCN auteurs d’un grand nombre de demandes abusives;
8.3.4. en mettant à la charge des BCN qui soumettent un grand nombre de demandes abusives les coûts budgétaires supplémentaires occasionnés par l’examen plus intensif qu’elles exigent;
8.4. en mettant en place un fonds d’indemnisation des victimes de notices rouges abusives ou injustifiées, financé par les États membres à proportion du nombre de notices rouges injustifiées demandées par leur BCN.
9. L’Assemblée appelle tous les États membres du Conseil de l’Europe:
9.1. à donner le bon exemple en veillant à ce que les demandes de notices rouges de leur propre BCN précisent clairement la personne visée, l’infraction présumée et les éléments de preuve qui établissent un lien entre la personne visée et le crime prétendu;
9.2. à communiquer rapidement à Interpol les informations pertinentes sur les personnes visées par les notices rouges (par exemple l’octroi de l’asile politique et les décisions de justice qui rejettent les demandes d’extradition);
9.3. à s’abstenir de procéder à des arrestations sur la base de notices rouges lorsqu’ils ont de sérieux motifs d’inquiétude qui laissent à penser que la notice en question peut être abusive;
9.4. à user de leur influence au sein d’Interpol pour veiller à la mise en œuvre des réformes nécessaires, afin qu’Interpol respecte les droits de l’homme et l’État de droit, tout en demeurant un outil efficace pour une coopération policière internationale légitime.