1. Introduction
1. Différents moyens permettant
de renforcer le rôle positif des migrations ont été présentés dans
plusieurs rapports et résolutions de l’Assemblée parlementaire,
en particulier la récente
Résolution
2124 (2016) sur les réseaux éducatifs et culturels des communautés
de migrants et des diasporas, la
Résolution 2006 (2015) «Intégration des immigrés en Europe: la nécessité d’une
politique volontaire, continue et globale» et la
Résolution 1972 (2014) «Assurer que les migrants constituent une richesse pour
les sociétés d’accueil européennes»
, dans lesquels l’Assemblée a examiné
des questions diverses, à savoir: la reconnaissance des qualifications;
l’accès au marché du travail pendant la procédure de demande d’asile;
les possibilités d’emploi pour les étudiants étrangers; la participation
des acteurs privés à l’identification des pénuries de main-d’œuvre dans
différents secteurs de l’économie; et l’élaboration de stratégies
communes avec les gouvernements.
2. J’ai entrepris le présent rapport dans le prolongement de
mon précédent rapport sur «La participation démocratique des diasporas
de migrants» et de la
Résolution 2043 (2015) adoptée par l’Assemblée en 2015
. Cette
résolution souligne l’importance de la participation des diasporas
au développement économique, social et culturel de leur pays de
résidence. Le présent rapport exprime également une réaction face
au discours xénophobe et hostile aux migrants qui se développe dans
de nombreux pays européens sous l’effet de la crise en cours relative
aux migrants et aux réfugiés. Il contredit les idées reçues selon
lesquelles les migrants menaceraient les populations locales en
volant leurs emplois et en exploitant les systèmes de sécurité sociale. Il
démontre par des exemples concrets de quelle manière les migrants
contribuent à la croissance économique et à la richesse nationale.
Il attire l’attention des autorités des États membres et de leurs
sociétés sur l’incidence positive des migrations sur le développement
économique en Europe et analyse les politiques européennes qui permettraient
de tirer pleinement parti des possibilités offertes par l’immigration.
3. Dans ce rapport, j’emploie le terme de «migrants» au sens
strict, c’est-à-dire désignant les migrants en situation régulière
et les réfugiés reconnus. Néanmoins, dans les passages qui portent
sur les problèmes particuliers des demandeurs d’asile ou des migrants
en situation irrégulière, je précise clairement de quelle catégorie
de personnes il s’agit.
4. Ce rapport a pour but de proposer des mesures concrètes dans
une approche gagnant-gagnant du phénomène migratoire en Europe,
en tirant les enseignements des erreurs passées et en s’adaptant
aux changements rapides de notre société. Il présente également
les avantages qui découlent du fait d’accepter les demandeurs d’asile
et les réfugiés et de leur permettre de régulariser leur situation.
5. Pendant la préparation du présent rapport, j’ai effectué deux
visites d’information au Luxembourg (20- 21 décembre 2016) et au
Royaume-Uni (11-12 janvier 2017) et je tiens à remercier les délégations
nationales de ces deux pays ainsi que leurs secrétariats pour leur
soutien dans l’organisation de ces missions. Le rapport rend compte
des constatations faites au cours de ces missions
2. Contribution des migrants au développement
de l’Europe
6. La crise des réfugiés, qui
a été provoquée par un certain nombre de conflits armés dans des
régions voisines de l’Europe, a créé un important afflux de migrants
vers cette région au cours des dernières années. Beaucoup de pays
européens ont fait preuve de solidarité et d’empathie en accueillant
des réfugiés; malheureusement, en raison de l’image déformée des
migrants présentée par les médias et la manipulation de certains
partis politiques, les idées reçues selon lesquelles les migrants
menaceraient les populations locales en volant leurs emplois et
en exploitant les systèmes de sécurité sociale sont devenues un
thème dominant dans la population européenne. En effet, 52 % des
résidents de l’Union européenne ont exprimé une opinion négative
à l’égard de l’augmentation des flux migratoires à destination de
l’Europe
.
7. Cette opinion négative à l’égard des flux migratoires a entraîné
une crise politique en Europe ainsi qu’une montée significative
des mouvements populistes anti-migrants, inspirés par certains partis
de droite. La question des migrations, qui a été exploitée et manipulée
par les partis pro-Brexit, a été une des principales causes du vote
en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. De
manière générale, le problème des migrations en Europe a montré
qu’il existait un grand écart entre la réalité de la situation et l’image
qu’elle véhicule.
8. Or la réalité dans le monde d’aujourd’hui est que les migrants
représentent plus d’un milliard de personnes. Parmi les 10 premiers
pays qui accueillent des migrants, cinq sont européens: l’Allemagne (12 millions
de migrants enregistrés), la Fédération de Russie (11,9 millions),
la France (7,8 millions) et l’Espagne (5,8 millions). Un certain
nombre de pays européens ont une part importante de leur population
qui vit à l’étranger: la Bosnie-Herzégovine (avec 43 % de la population
vivant à l’étranger), l’Albanie (plus de 39 %), l’Arménie (plus
de 31 %), le Portugal (plus de 22 %) et l’Irlande (19 %)
.
9. Les flux migratoires vers l’Europe ne feront qu’augmenter,
non seulement en raison de la crise en Syrie, en Irak et en Libye,
mais aussi en raison de la mondialisation du marché du travail et
du désir naturel de chacun de trouver un meilleur emploi et de meilleures
conditions de vie. Le changement climatique et les catastrophes naturelles
auront également une influence sur le processus de migration. En
conséquence, les politiques qui visent à fermer les frontières et
à édifier des murs n’auront jamais les résultats escomptés. Les
populations continueront de se déplacer et toute restriction supplémentaire
ne fera qu’augmenter les migrations irrégulières.
10. En outre, le développement économique, démographique et culturel
de l’Europe montre bien que, contrairement à la rhétorique négative,
l’espace européen a besoin de migrants pour sa croissance et sa prospérité
futures.
2.1. Contribution
à la croissance économique
11. Au cours de la dernière décennie,
les migrants ont participé à hauteur de 70 % à l’augmentation de
la main-d’œuvre en Europe. Ces dernières années, ils ont représenté
15 % des primo-entrées sur le marché du travail dans des secteurs
à forte croissance, tels que la science, la technologie, l’ingénierie
et les mathématiques
. Selon les prévisions, la demande
en travailleurs hautement qualifiés en Europe devrait augmenter
considérablement d’ici à la fin de l’année 2020, jusqu’à atteindre
13,5 millions de personnes.
12. De nombreux pays européens, en particulier les membres de
l’Union européenne, connaissent une pénurie de main-d’œuvre dans
un certain nombre de secteurs économiques, comme l’agriculture,
la construction, l’hôtellerie, la restauration, l’informatique et
les services financiers, qui est en partie comblée par les migrants.
13. En outre, les migrants acceptent aussi plus facilement les
emplois qui n’attirent pas les populations locales, notamment dans
certains secteurs tels que le nettoyage, la restauration et les
emplois de maison pour les femmes, ainsi que les travaux agricoles,
la construction, et les emplois semi-qualifiés dans l’industrie manufacturière
pour les hommes. Au Luxembourg par exemple, des secteurs de l’économie
comme la construction, l’hôtellerie et la restauration dépendent
totalement des travailleurs migrants. En outre, les migrants saisonniers
constituent une part importante de la main-d’œuvre agricole.
14. Contrairement à la plupart des discours populistes hostiles
aux migrants qui affirment que ces derniers sont une lourde charge
pour le système de protection sociale, une étude récente de l’OCDE
sur l’impact budgétaire des migrations dans tous les pays européens
membres de l’OCDE a montré que les migrants contribuent plus aux
impôts et aux cotisations sociales qu’ils ne reçoivent de prestations
individuelles
.
Au Luxembourg et en Suisse, les migrants fournissent un bénéfice
net estimé d’environ 2 % du produit intérieur brut (PIB) pour les
deniers publics
. Par conséquent,
des mesures qui faciliteraient leur accès à l’emploi ne permettraient
pas seulement de répondre à leurs besoins vitaux, mais dynamiseraient
le développement économique de leur pays d’accueil.
15. Des exemples de pays tels que le Royaume-Uni et le Luxembourg
démontrent que les migrants qualifiés contribuent énormément aux
avancées économiques et scientifiques de ces pays. Parmi les pays
de l’Union européenne, le Royaume-Uni attire le plus grand nombre
de migrants diplômés de l’enseignement supérieur qui travaillent
principalement dans les secteurs de la finance, de la technologie
et des médias
. En général, les migrants qualifiés
contribuent davantage au pays d’accueil que la population autochtone,
car le pays d’accueil ne supporte pas les frais liés à leur éducation
et formation professionnelle.
16. Les migrations jouent un rôle important dans le développement
du secteur privé. Les migrants sont très intéressés par la création
de liens commerciaux avec leurs pays d’origine et partagent des
idées novatrices avec des entreprises privées, notamment sur la
façon de combler les lacunes du marché et de tirer un meilleur profit
des possibilités existantes. Ils peuvent également donner des avis
sur le transfert de technologies et les possibilités d’investissement.
17. En général, les migrants ont plutôt tendance à compléter la
main-d’œuvre locale qu’à la remplacer, car la législation du travail
favorise les employés locaux dans de nombreux pays européens. Cependant,
dans certains cas, les migrations peuvent effectivement augmenter
le chômage dans la population locale, un phénomène qui a été signalé
dans le sud de la Turquie, où ont afflué de très nombreux réfugiés
syriens. Les membres de la population locale qui ont fini par perdre
leur emploi travaillaient principalement dans le secteur informel.
Or celui-ci était le seul à pouvoir offrir des emplois aux réfugiés,
ce qui a créé une concurrence tendue sur le marché du travail local
.
18. Il est très important de mentionner la contribution que les
migrants apportent à leur pays d’origine au moyen des transferts
de fonds, du transfert de connaissances et de la création d’entreprises
communes. Dans certains pays comme l’Arménie et la République de
Moldova, les fonds envoyés par les migrants représentent respectivement
14 % et 25 % du produit intérieur brut (PIB) national.
19. Avec la mondialisation du marché du travail, les pays se font
concurrence pour attirer chez eux les spécialistes les plus qualifiés
au monde. À l’avenir, cette quête des cerveaux deviendra de plus
en plus acharnée et seuls les pays offrant les meilleures conditions
de vie aux migrants qualifiés, garantissant leur sécurité, des niveaux
de vie élevés et leur inclusion sociale ainsi que celle de leur
famille obtiendront la main-d’œuvre la plus qualifiée.
2.2. Incidence
sur l’évolution démographique de la population
20. Selon l’analyse faite par Mme Kristin
Ørmen Johnsen dans son rapport sur l’incidence de la dynamique démographique
européenne sur les politiques migratoires
, la tendance au vieillissement
de la population européenne ne peut que s’accélérer, du fait de
l’augmentation de l’espérance de vie et de l’insuffisance des taux
de fécondité. Il en résultera un déclin de la main-d’œuvre qui créera
inévitablement le besoin d’attirer de jeunes migrants qualifiés.
21. Des politiques migratoires volontaires pourraient améliorer
considérablement la situation démographique en Europe. Des données
statistiques récentes montrent que dans certains pays européens, la
croissance de la population n’a été rendue possible que par un afflux
de migrants. La réduction de la main-d’œuvre en Europe aura de fortes
répercussions économiques, car un nombre plus restreint de personnes contribuera
à financer les retraites, la consommation diminuera et la protection
sociale sera limitée. Comme la majorité des migrants viennent en
Europe pour travailler et sont en âge de le faire (entre 22 et 45 ans),
leur inclusion dans la main-d’œuvre européenne contribuera à diminuer
le taux de dépendance.
22. En Allemagne, qui enregistre un solde démographique naturel
négatif, l’augmentation de la population en 2015 n’est due qu’à
la croissance démographique de la population issue de l’immigration
qui représente aujourd’hui 21 % de la population totale du pays
.
23. Au Luxembourg, la population étrangère a contribué à un accroissement
démographique naturel qui affiche un excédent de 2 150 naissances,
contre un déficit de naissances de -18 au sein de la population autochtone
.
24. En Écosse, selon des données fournies par un expert de l’association
des collectivités locales d’Écosse (COSLA), 90 % de l’accroissement
projeté de la population dans les 10 ans à venir sera dû à l’immigration, partant
de l’hypothèse que l’immigration nette actuelle se poursuivra à
un rythme constant.
25. Certes, les problèmes démographiques de l’Europe ne peuvent
pas se résoudre uniquement par l’immigration; toutefois, les responsables
politiques devraient mieux utiliser les flux migratoires en cours,
en élaborant des stratégies migratoires à long terme qui répondent
aux besoins actuels de l’économie européenne.
2.3. Incidences
sur le développement culturel
26. Les migrants qui représentent
des cultures et des traditions différentes apportent de la diversité
et participent aux échanges culturels. Dans des pays tels que la
Suisse et le Luxembourg, où les migrants représentent respectivement
26 % et 47 % de la population, la diversité culturelle s’inscrit
désormais dans la vie quotidienne, avec de nouveaux modes de communication
interculturels et d’échanges culturels.
27. Les migrations ont une grande incidence sur les sports en
Europe. Les migrants sont souvent jeunes et choisissent des activités
sportives comme un vecteur d’intégration dans la communauté locale.
Ce grand intérêt fait que les pays d’accueil sont régulièrement
représentés aux Jeux olympiques et à des championnats mondiaux par
des athlètes professionnels d’origine étrangère.
28. L’influence culturelle des migrants a eu une grande incidence
sur les tendances de l’art, de la mode et de la cuisine en Europe,
au bénéfice de la diversité.
29. La présence importante de migrants dans certains pays européens
a également influé sur les moyens de communication et de diffusion.
Plusieurs émissions ont été élaborées à destination des migrants
et avec leur participation. La production médiatique tend de plus
en plus à se diversifier en Europe
.
30. Les sociétés multiculturelles offrent de nouvelles perspectives
et sont beaucoup plus attractives du point de vue économique; il
en résulte que les pays qui accueillent une grande proportion d’étrangers
atteignent un niveau de développement et réalisent des progrès économiques
plus marqués.
31. Dans une perspective à long terme, les migrations peuvent
avoir une incidence positive sur la société européenne, qui devient
ainsi plus tolérante, plus diverse et plus ouverte d’esprit.
3. Comment
faciliter des résultats gagnant-gagnant en rapport avec les migrations
en Europe?
32. L’économie, la population et
le développement culturel européens ont subi d’importantes transformations
sous l’influence des flux migratoires; ce processus est irréversible,
comme je l’ai mentionné précédemment. Notre tâche est de découvrir
comment nous pouvons obtenir les meilleurs résultats gagnant-gagnant
pour nos sociétés et pour le bien-être des migrants.
33. Plusieurs facteurs influencent directement l’impact des migrants
sur le développement européen. Le principal facteur est l’accès
des migrants au marché du travail. Dans ce domaine, malheureusement,
les migrants sont confrontés à un certain nombre d’obstacles juridiques
et administratifs qui empêchent leur intégration harmonieuse dans
la main-d’œuvre européenne et les rendent vulnérables à l’exploitation
et à la discrimination. D’autres facteurs importants sont l’intégration
des migrants dans la société d’accueil et leur participation à la
vie culturelle et politique.
3.1. Éliminer
les obstacles et la discrimination entravant l’accès au marché du
travail
34. Bien que de nombreux pays européens
aient incontestablement besoin des travailleurs migrants, ceux-ci
restent confrontés à des obstacles bureaucratiques et à des formes
de discrimination ouverte ou dissimulée qui leur compliquent la
vie et freinent leur intégration dans la société d’accueil.
35. Le dernier rapport «Perspectives des migrations internationales»
de l’OCDE
présente
des résultats qui montrent que les taux d’emploi des migrants dans
la plupart des pays de l’OCDE restent inférieurs à ceux des ressortissants
nationaux, tandis que le taux de chômage des nouveaux migrants et
des migrants installés dépasse celui de la population autochtone.
36. Les migrants nouvellement arrivés ont davantage de difficultés
à trouver un emploi que les migrants installés car ils n’ont pas
les compétences linguistiques du pays d’accueil, ont des problèmes
pour faire reconnaître leurs diplômes, sont souvent surqualifiés
et entrent en concurrence avec des personnes autochtones qui, dans
de nombreux pays européens, ont la priorité en matière d’emploi
sur les migrants. Ils éprouvent également des difficultés à obtenir
des renseignements sur les possibilités d’emploi, les règlements et
les obligations au niveau local, et n’ont pas les contacts qui pourraient
leur communiquer ces informations. En outre, l’incertitude qui pèse
sur leur statut au regard du droit de séjour limite considérablement
leurs possibilités d’emploi.
37. Enfin, les migrants qui sont confrontés à des obstacles juridiques
et administratifs sont très souvent contraints de travailler dans
l’économie souterraine, où ils peuvent être exploités et soumis
à des violences et abus.
38. Il est donc nécessaire d’inclure des dispositions régissant
l’emploi des travailleurs migrants dans les législations nationales,
et de réglementer clairement la délivrance des permis de travail
et des visas d’admission temporaire avec autorisation de travailler.
Il convient également de garantir la reconnaissance des diplômes
et des qualifications professionnelles de cette population. Le droit
du travail doit être simplifié pour les travailleurs qualifiés dont
le profil répond aux besoins économiques du marché européen. Dans
les secteurs à faibles qualifications et notamment les emplois de
maison, la réglementation est quasi inexistante dans de nombreux
pays européens. Il est indispensable d’élaborer des normes européennes
communes sur l’emploi des migrants dans cette branche d’activité.
En outre, pour les travailleurs saisonniers et faiblement qualifiés,
les gouvernements doivent ménager des voies légales de migration
afin de remplacer les méthodes illégales parfois employées par les
migrants en situation irrégulière qui souhaitent accéder à des possibilités d’emploi.
39. Une attention particulière devrait être accordée à la situation
des demandeurs d’asile et des réfugiés. En effet, ceux-ci sont souvent
confrontés à des restrictions administratives à l’accès au marché
du travail, qui les empêchent notamment de devenir des travailleurs
indépendants. Seul un petit nombre de pays européens offre un accès
immédiat au marché du travail pour les demandeurs d’asile. Par exemple,
la Grèce, la Norvège, le Portugal et la Suède n’appliquent aucune
restriction à l’accès des demandeurs d’asile au marché de l’emploi, tandis
qu’en Irlande et en Lituanie les demandeurs d’asile ne peuvent pas
accéder au marché du travail durant toute la procédure
.
De plus, dans de nombreux pays d’accueil, l’accès adéquat des enfants
de demandeurs d’asile et de réfugiés à l’éducation est également
loin d’être garanti et devrait être assuré à un stade précoce de
la procédure de détermination du statut de réfugié.
40. Il est également essentiel d’élaborer des normes européennes
en matière de qualifications et de compétences, ce qui pourrait
régler le problème de la reconnaissance des diplômes des migrants.
41. Pendant mes visites d’information au Luxembourg et au Royaume-Uni,
les représentants syndicaux m’ont clairement fait savoir que les
principaux obstacles auxquels les migrants étaient confrontés étaient
très souvent l’application insuffisante de la législation du travail
et la bureaucratisation du processus migratoire.
42. En ce qui concerne l’élaboration des politiques, il existe
des lacunes importantes en matière de données et d’analyses sur
l’incidence de la législation en vigueur sur les différentes catégories
de migrants, et un manque de données statistiques sur leur participation
à la main-d’œuvre européenne. Les pays européens doivent donc collecter
ces renseignements sur une base régulière afin d’élaborer de nouvelles
politiques migratoires fondées sur des données factuelles.
43. Des représentants des secteurs public et privé ainsi que des
syndicats et des organisations de migrants doivent être invités
à participer à la révision des législations nationales et des politiques
de migration de main-d’œuvre.
44. Les réseaux de diasporas jouent également un rôle important
car ils soutiennent les migrants nouvellement arrivés et leur communiquent
les informations nécessaires sur les particularités du marché de l’emploi
local et les règles administratives du pays d’accueil. Dans l’ensemble,
les pays d’accueil devraient faciliter l’accès gratuit des migrants
aux informations sur le marché de l’emploi, car il est essentiel
de faire coïncider les besoins économiques des marchés locaux avec
les compétences spécifiques des migrants.
3.1.1. Rôle
du secteur privé
45. Le secteur privé a tout à gagner
à aider les migrants à s’intégrer sans heurts dans la main-d’œuvre européenne.
46. Il existe de très bons exemples d’initiatives privées qui
facilitent l’embauche des réfugiés. On peut citer le programme «Welcome
Talent» de LinkedIn en Suède, qui permet de constituer des viviers
de migrants talentueux pouvant être consultés par des recruteurs
et de dispenser des formations aux migrants sur la façon de créer
un profil LinkedIn efficace
.
47. En Allemagne, certaines entreprises qui exigent des travaux
manuels qualifiés ont un besoin urgent de main-d’œuvre pour pourvoir
des emplois vacants. De grandes sociétés, telles que Deutsche Telekom,
Evonik, Bosch Group, Uniqlo et Siemens, mettent en place des formations,
des stages et des bourses d’études pour les réfugiés
. D’autres entreprises, telles que
Daimler, ont même demandé à la Bundestag d’adopter une législation
accordant une autorisation de travailler aux réfugiés et aux demandeurs
d’asile qui ont résidé un mois dans le pays
.
48. Le secteur sportif peut largement contribuer à promouvoir
la participation des migrants et des réfugiés en matière sociale
et d’emploi. En Allemagne, par exemple, le club de football Bayern
de Munich a créé un «camp d’entraînement» pour les jeunes réfugiés
qui bénéficient de repas, de cours d’allemand et d’équipements de
foot. De plus, en février 2016, ce club a levé 1 million d’euros
en organisant un match amical pour soutenir des projets d’intégration
en Allemagne
.
49. En Finlande, certaines sociétés privées ont engagé un partenariat
avec le gouvernement pour que les réfugiés disposent de comptes
bancaires, de cartes de débit prépayées et de comptes de paiement
mobile.
50. Il est intéressant de noter que les migrants ont souvent un
intérêt plus marqué que la population autochtone pour l’entrepreneuriat.
Au Royaume-Uni, par exemple, le travail indépendant est plus fréquent
chez les migrants que dans la population autochtone. Au Luxembourg,
certaines études ont montré que les migrants de première génération,
en particulier ceux dotés d’un niveau d’instruction élevé, présentent
un grand potentiel d’entrepreneuriat
.
Il est donc essentiel de soutenir les projets de création d’entreprise
des migrants et pour cela, de supprimer les obstacles bureaucratiques
qui freinent leur accès au crédit et aux documents nécessaires,
en leur fournissant l’appui logistique et les formations professionnelles
dont ils ont besoin.
51. Le secteur privé peut également soutenir les initiatives entrepreneuriales
des migrants en leur fournissant des microcrédits. Les entreprises
peuvent également s’appuyer sur les connaissances privilégiées des
migrants lorsqu’elles élaborent des projets d’investissement dans
le pays d’origine de ceux-ci, lequel peut ainsi bénéficier de créations
d’emplois et de possibilités de développement.
52. Les gouvernements doivent collaborer activement avec le secteur
privé pour établir des politiques migratoires efficaces qui répondent
aux pénuries de main-d’œuvre dans des secteurs concrets de l’économie. Ils
doivent promouvoir une coopération efficace, en concevant et en
finançant les formations professionnelles nécessaires pour les migrants,
tout en élaborant des stratégies qui les encouragent à travailler
dans des secteurs moins attractifs, comme l’agriculture et la fabrication.
53. Les autorités gouvernementales doivent également encourager
le secteur privé à employer des réfugiés en informant les entreprises
des avantages potentiels de la diversification culturelle de leur
main-d’œuvre.
3.2. Construire
des sociétés inclusives
54. Le thème de l’intégration des
migrants est devenu un sujet brûlant dans le débat politique. Dans
son rapport, Mme Susanna Huovinen examine
les aspects particuliers de l’intégration des réfugiés en période
de fortes pressions
.
À mon avis, l’échec des politiques d’intégration dans bon nombre
de pays européens donne une connotation négative au terme «intégration».
De nombreux acteurs perçoivent l’intégration des migrants comme
un processus obligatoire d’acquisition de connaissances linguistiques
et d’initiation au fonctionnement de la société d’accueil qui précède
l’octroi du statut de résident. Les connaissances linguistiques
sont devenues un indicateur d’intégration des migrants dans la société
d’accueil; or la réalité montre que même dotés d’une parfaite maîtrise
de la langue du pays d’accueil, les migrants peuvent être isolés
et même se radicaliser.
55. Je pense donc que l’intégration doit être remplacée par un
processus d’inclusion sociale, qui vise à créer les conditions nécessaires
à la participation pleine et active de chaque membre de la société
à tous les domaines de la vie, y compris les activités civiques,
sociales, économiques et politiques, ainsi qu’au processus de prise
de décisions. L’inclusion sociale doit mettre chaque personne à
contribution – et pas seulement les migrants; chacun doit apprendre
à vivre dans une communauté multilingue, multiculturelle et plurireligieuse.
56. Le Conseil de l’Europe est l’une des premières organisations
internationales à avoir élaboré un plan d’action sur la construction
de sociétés inclusives
, qui propose une palette
de mesures visant à aider ses États membres à gérer la diversité
en Europe, en promouvant la compréhension et le respect mutuels.
Ce plan d’action comprend plusieurs initiatives importantes, telles
que présentées par un groupe de travail sur les qualifications des
réfugiés, à savoir: la création de l’«Alliance parlementaire contre
la haine», et la promotion des «Lignes directrices sur la prévention
de la radicalisation et des manifestations de haine au niveau local» adoptées
par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe.
Je suis heureux de mentionner que ce plan d’action reprend également
l’idée de notre commission de créer un «réseau parlementaire européen
sur les politiques relatives aux diasporas» et que ce réseau sera
lancé en septembre 2017 à Lisbonne.
57. La sécurité sociale des migrants constitue l’un des aspects
les plus importants de leur processus d’inclusion. En règle générale,
la protection sociale est l’une des conditions de l’inclusion sociale
et constitue un excellent investissement dans le développement économique
du pays. Les pouvoirs locaux jouant un rôle central dans le processus
d’inclusion sociale, il est très important de promouvoir des initiatives
locales positives qui peuvent ensuite être adoptées à l’échelle
européenne.
58. En France, un réseau de villes solidaires a été créé pour
partager les bonnes pratiques d’accueil des réfugiés et mobiliser
les citoyens dans ce sens. À l’initiative de la ville de Strasbourg
et des communes italiennes de Catane et de Rovereto, ce réseau a
été élargi à l’échelle européenne avec le lancement, en octobre
2016, du «Réseau européen des villes solidaires». Avec l’aide du
Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, les meilleures pratiques
de ce réseau sur les politiques publiques en matière d’accueil et
de participation des réfugiés ont été compilées dans le «vade-mecum».
Ce guide permettra aux villes européennes de tirer des enseignements
de leurs expériences respectives et de coopérer étroitement sur
la question de l’accueil des réfugiés en Europe
.
59. Une initiative très intéressante a été élaborée à l’échelle
régionale en Écosse, la «stratégie des New Scots»
, destinée à coordonner
tous les efforts des organisations engagées dans l’accueil des réfugiés
et des demandeurs d’asile. La communauté régionale écossaise a également
élaboré une boîte à outils des politiques migratoires, visant à
aider les autorités locales et leurs partenaires à comprendre la
situation démographique locale et à soutenir la mise en œuvre des
politiques relatives aux migrations.
60. Toutefois, dans certaines situations particulières comme celle
du Luxembourg, le processus d’inclusion sociale devient assez compliqué,
même pour les citoyens européens. Pour faciliter le processus, l’Office luxembourgeois
de l’accueil et de l’intégration a conçu un contrat d’accueil et
d’intégration, afin de promouvoir la participation active des migrants
à la société luxembourgeoise. L’instrument est proposé à tous les
migrants qui résident dans le pays sur une base volontaire. Les
migrants qui signent le contrat peuvent bénéficier de réductions
sur les cours de langue, de cours d’instruction civique gratuits
et d’une journée d’orientation gratuite (programme destiné à familiariser
les migrants avec les instances officielles et les organisations
du Luxembourg).
3.3. Promouvoir
une société interculturelle
61. La culture est sans doute l’un
des moyens les plus rapides de créer des passerelles entre les personnes d’origines
et de milieux différents; mais seuls des investissements à long
terme dans des politiques et stratégies qui facilitent le dialogue
interculturel pourraient réellement changer les mentalités et les comportements.
62. Cependant, le manque de connaissance de la société d’accueil,
de sa culture, de sa langue et de ses traditions crée d’importants
obstacles à l’entrée des migrants sur le marché du travail. Il est
donc très important que tous les migrants puissent accéder à des
cours d’orientation civique axés sur la vie quotidienne dans le pays
d’accueil.
63. La promotion d’une main-d’œuvre d’une large diversité culturelle
crée de nouveaux débouchés pour les entreprises internationales,
à savoir le partage de perspectives culturelles différentes, d’idées
innovantes et de nouveaux partenaires internationaux. Le secteur
privé et le milieu des affaires doivent encourager la diversité culturelle
au sein des entreprises, en fournissant des programmes sur la diversité
pour leur personnel, ainsi que des formations linguistiques et professionnelles
pour les travailleurs migrants.
64. La connaissance de la langue de la société d’accueil est essentielle
à la survie des migrants dans le pays d’accueil. Il est donc important
d’offrir des possibilités d’apprentissage des langues par les migrants
non seulement dans les pays d’accueil, mais aussi dans les pays
d’origine en vue de leur départ. Dans cette perspective, des cours
spéciaux de langues mis en place par des instituts culturels tels
que l’Alliance française, le Goethe Institut, la Dante Alighieri
et le British Council pourraient être très utiles.
65. Le programme du Conseil de l’Europe sur l’intégration linguistique
des migrants adultes (ILMA) a présenté aux gouvernements un ensemble
de bonnes pratiques et de recommandations de politique générale sur
les cours de langue destinés aux migrants.
66. Dans de nombreux pays européens, les demandeurs d’asile et
les réfugiés ne peuvent recevoir des cours de langue et d’éducation
à la citoyenneté qu’après une certaine durée de séjour dans le pays
d’accueil. Cela entrave considérablement leurs possibilités d’inclusion
dans la société et la main-d’œuvre du pays d’accueil. Des cours
de langue et d’éducation à la citoyenneté devraient être organisés
immédiatement pour les demandeurs d’asile et les réfugiés, quel
que soit leur statut relatif à la procédure d’asile.
67. L’éducation a un rôle crucial à jouer dans la promotion de
la société interculturelle. Les écoles et d’autres établissements
d’enseignement doivent être préparés à accueillir des élèves et
des étudiants parlant une langue autre que la langue du pays hôte.
Des programmes éducatifs spéciaux doivent être élaborés pour promouvoir
la connaissance des différentes cultures, langues et religions.
Je pense que ce thème sera plus largement traité par notre commission
dans le prochain rapport sur «L’intégration, l’autonomisation et
la protection des enfants migrants par la scolarité obligatoire».
68. Les migrants qui possèdent un niveau d’éducation élevé ont
plus de chances de trouver un emploi en Europe. Pour cette raison,
les efforts déployés par les collectivités locales pour offrir aux
migrants et aux réfugiés des possibilités d’éducation ont une incidence
positive réelle sur les économies locales. À cet égard, l’exemple
positif du partenariat conclu entre les autorités municipales de
Strasbourg et l’université de Strasbourg en vue d’offrir aux réfugiés
et aux demandeurs d’asile la possibilité d’apprendre la langue française et
de recevoir gratuitement des formations professionnelles tout au
long de la vie constitue un excellent point de référence.
69. La population d’accueil devrait également être préparée à
accepter les migrants issus de milieux culturels différents. À cet
effet, il convient d’adopter des politiques générales bien conçues
à l’échelle locale, qui promeuvent la connaissance des différentes
cultures, traditions et pratiques religieuses. Ces politiques permettraient
de prévenir les risques de conflits et de rompre avec l’image négative
des migrants.
3.4. Encourager
la participation démocratique des migrants
70. La participation des migrants
aux élections et aux activités des organisations politiques ou civiles
leur offre de meilleurs opportunités d’exprimer leurs points de
vue auprès des autorités et de la collectivité en général.
71. Mais un certain nombre d’obstacles entravent la participation
démocratique des migrants: les ressources financières, les connaissances
linguistiques, les possibilités de constitution de réseaux et les restrictions
à la citoyenneté. Les pays d’accueil doivent contribuer à supprimer
ces obstacles pour veiller au bon fonctionnement de la démocratie
en Europe.
72. Les migrants en situation régulière doivent pouvoir exercer
leurs droits politiques de vote et d’éligibilité, quel que soit
leur statut de résident en cours. Au moment de la rédaction du présent
rapport, tous les pays européens n’accordent pas ces droits à leurs
citoyens sans restriction. Comme l’énonce la Convention du Conseil
de l’Europe sur la participation des étrangers à la vie publique
au niveau local (STE no 144), les pays d’accueil
doivent accorder le droit de vote aux élections locales aux migrants
résidant sur leur sol depuis au moins cinq ans. Comme je l’ai écrit
dans mon rapport précédent
,
l’octroi du droit de vote aux migrants dans leur pays de résidence
peut également, dans une certaine mesure, les protéger contre les
stéréotypes négatifs dont ils peuvent faire l’objet lors des campagnes
électorales.
73. L’accès à la nationalité est un outil important pour que les
migrants participent plus activement à la société d’accueil. Le
droit à la naturalisation après cinq ans de séjour régulier dans
le pays, qui est déjà accordé dans plusieurs pays européens, a une
incidence très positive sur la participation politique durable des migrants.
Une étude réalisée récemment en Suisse a prouvé que les migrants
qui sont naturalisés et donc obtiennent un passeport suisse suite
aux référendums locaux développent un niveau élevé de connaissances et
d’engagement politiques
. L’assouplissement des exigences
en matière de durée de résidence pourrait donc avoir une incidence
bénéfique du fait des effets positifs de la naturalisation des migrants.
74. Les migrants devraient également être encouragés à participer
plus activement aux activités des partis politiques, des syndicats
et des associations de migrants et de diasporas. Par leur participation
citoyenne aux travaux de ces associations, les migrants peuvent
acquérir des capacités de constitution de réseaux et des connaissances
politiques, et s’engager davantage dans la société des collectivités
locales. Les partis politiques, les syndicats et les organisations
civiques doivent élaborer des programmes spéciaux qui encouragent
l’engagement des migrants.
75. Parmi les initiatives de la société civile auxquelles les
migrants participent, il faut également saluer la journée d’action
intitulée «Un jour sans nous», qui a été organisée au Royaume-Uni
le 20 février 2017 pour défendre le rôle des migrants dans le pays.
Cette manifestation nationale englobait différents modes d’expression,
dont des défilés, des forums sur les médias sociaux, des stands,
des pique-niques, des spectacles, des ateliers et des événements
culturels dans plusieurs universités et d’autres lieux.
76. La participation des migrants à des organismes consultatifs
aux niveaux local et national est une autre forme importante de
participation communautaire. Les migrants doivent se faire entendre
dans les débats sur les politiques migratoires et être consultés
sur toutes les réformes envisagées par les pouvoirs publics qui touchent
leurs intérêts. D’après les conclusions de nombreuses analyses politiques,
le fait que les migrants n’exposent pas leur point de vue dans les
débats politiques et sociaux altère leur image auprès du grand public. De
nombreux pays européens qui sont Parties à la Convention du Conseil
de l’Europe sur la participation des étrangers à la vie publique
au niveau local appliquent les dispositions relatives à la création
d’organismes consultatifs. Au Luxembourg par exemple, les migrants
peuvent donner leur avis sur des mesures politiques et des propositions
juridiques diverses par la voie du Conseil national pour étrangers
qui les représente. En Italie, il existe deux systèmes distincts
de représentation politique des étrangers au niveau local: l’organe consultatif
des étrangers et le conseiller adjoint (Consigliere Aggiunto). Le
premier est un organe élu qui représente les résidents étrangers
avec un statut consultatif. Les conseillers adjoints sont eux aussi directement
élus par les résidents étrangers et participent régulièrement aux
assemblées municipales. Il est important que les États membres fournissent
les fonds nécessaires à la création et au bon fonctionnement de tels
organes consultatifs.
77. Je tiens à souligner le rôle des collectivités locales dans
la participation démocratique des migrants. La vie quotidienne des
migrants se déroulant au niveau local, les collectivités locales
doivent soutenir les initiatives des migrants, voire encourager
leur participation en élaborant des programmes axés sur cette population.
4. Conclusions
et recommandations
78. Le présent rapport a fait valoir
qu’un processus migratoire efficace bénéficie non seulement aux migrants
et à leur famille, mais aussi à toute la société européenne. En
outre, grâce aux liens des diasporas, il a un effet considérable
sur le développement des pays d’origine des migrants.
79. La première chose à faire dans nos pays est de combattre les
discours négatifs sur les migrations et de montrer clairement au
public les preuves économiques de leurs avantages potentiels pour
nos sociétés. Tous les acteurs publics et privés doivent participer
au processus d’élaboration d’une nouvelle politique migratoire pour
l’Europe, fondée sur des données factuelles et axée sur les avantages
économiques réels et les perspectives de développement.
80. Pour accroître les avantages des migrations vers l’Europe,
il faut éliminer un certain nombre d’obstacles juridiques et bureaucratiques
et de formes de discrimination ouverte ou dissimulée qui freinent considérablement
l’intégration des migrants dans la société d’accueil.
81. La croissance économique de l’Europe dépendra de sa capacité
à mieux utiliser les compétences et les talents de chacun et à promouvoir
les technologies et les entreprises innovantes. Il faudra donc,
en priorité, éliminer tous les obstacles à l’accès des migrants
au marché du travail et leur offrir des possibilités de développement
de leurs compétences et de leurs talents.
82. Pour tirer le meilleur parti de ce processus, il importe de
créer une base juridique appropriée à l’échelle nationale et internationale,
ainsi que des mécanismes adéquats de gestion des migrations, au
bénéfice maximal de tous les acteurs.
83. Les pays européens doivent assurer la collecte, l’analyse
et le suivi d’informations sur leurs besoins en main-d’œuvre, en
vue d’élaborer des stratégies migratoires porteuses d’avenir et
de répondre à leurs besoins dans différents secteurs de l’économie.
84. Pour prendre l’avantage sur la concurrence mondiale et attirer
les meilleurs spécialistes, les pays européens doivent renforcer
la transparence sur le marché du travail. Ils doivent également
améliorer les conditions d’accueil pour les étudiants et les chercheurs
les plus brillants issus de pays non européens et leur proposer
les offres d’emploi les plus attrayantes. Il faudrait promouvoir
des programmes nationaux ciblés de régularisation de migrants en
situation irrégulière, comme l’ont fait certains pays, dont la France.
85. Il est également essentiel d’élaborer des normes européennes
en matière de qualifications et de compétences, afin de faciliter
la reconnaissance des qualifications et l’évaluation des compétences
des migrants.
86. Les gouvernements et les milieux d’affaires doivent coopérer
efficacement pour concevoir et financer les formations professionnelles
nécessaires aux migrants, et élaborer des stratégies visant à orienter
cette main-d’œuvre vers des secteurs moins attractifs, comme l’agriculture
et la fabrication.
87. La création d’un système européen qui faciliterait la protection
sociale de tous les travailleurs migrants et de leurs familles jouerait
un rôle fondamental dans l’inclusion sociale des migrants et la
prospérité des pays d’accueil. Ce système protégerait les droits
sociaux et économiques fondamentaux que le système de traités de
la Charte sociale européenne garantit et s’appuierait sur les normes
du Code européen de sécurité sociale (STE no 48)
et de son Protocole (STE no 48A). Les
sociétés d’accueil devraient également veiller à ce que les migrants
ne fassent pas l’objet de discriminations sur le marché du travail,
aient le même niveau d’accès à l’emploi que les travailleurs locaux,
et jouissent de l’égalité des droits sociaux, culturels et démocratiques.
88. Les initiatives des collectivités locales pour faciliter l’insertion
sociale des migrants devraient être soutenues. Les autorités locales,
les ONG et les organisations de migrants devraient recevoir un financement adéquat
pour les activités qu’elles mènent en vue de renforcer la participation
des réfugiés à la vie sociale.
89. Les banques locales devraient appuyer les efforts déployés
par les migrants pour aider leur pays d’origine, en diminuant les
coûts de transfert de fonds et en octroyant des microcrédits pour
les projets d’investissement que ces personnes réalisent dans leurs
pays d’origine.
90. Les gouvernements des pays d’accueil doivent signer des accords
avec les pays d’origine des migrants en ce qui concerne les transferts
des droits en matière de sécurité sociale et de retraite.
91. Les gouvernements des États membres du Conseil de l’Europe
doivent encourager la participation active des migrants à la vie
sociale et politique. Cette population qui contribue au développement
économique des pays d’accueil devrait pouvoir exposer ses avis et
ses préoccupations sur les grandes questions relatives au développement
politique de ces pays.
92. À l’échelle européenne, il pourrait être envisagé de créer
un observatoire européen des migrations et du développement interculturel
pour aider les États membres du Conseil de l’Europe à relever les
défis actuels de la migration, notamment en élaborant des stratégies,
des cadres juridiques et des plans d’action et en mettant en œuvre
des projets spécifiques. L’organisme pourrait servir de laboratoire
pour concevoir des cadres législatifs qui réglementent les questions
migratoires, appuyer des projets en faveur du développement interculturel et
favoriser le dialogue entre les chercheurs, les responsables politiques
et les acteurs de la société civile qui travaillent sur les problèmes
de la migration. Le Conseil de l’Europe ayant déjà élaboré un ensemble
impressionnant de normes relatives aux droits fondamentaux des migrants
et ne disposant pas, pour le moment, de comité intergouvernemental
chargé spécifiquement des questions liées aux migrations, il serait très
important de promouvoir un tel observatoire et d’en faire un espace
où ces normes pourraient être diffusées, développées et mises en
œuvre. Il pourrait également servir à élaborer des politiques, effectuer
des travaux de recherche et mener des activités de coopération et
d’assistance. Il pourrait par ailleurs faire fonction d’organisme
du Conseil de l’Europe dans le domaine des migrations réunissant
tous les États membres, et être ouvert à la participation d’autres
pays intéressés par cette coopération.
93. Sur le plan institutionnel, la coopération devrait être renforcée
entre le Conseil de l’Europe, l’OCDE et l’Union européenne en vue
de donner une image positive des migrants, notamment en ce qui concerne
le développement économique.