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Résolution 2179 (2017)
L'influence politique sur les médias et les journalistes indépendants
1. L’Assemblée
parlementaire considère que le droit à la liberté d’expression et
d’information, et la liberté et la diversité des médias sont des
éléments fondamentaux d’une véritable démocratie, et qu’aucun système ne
peut se prétendre démocratique s’il n’assure pas efficacement le
pluralisme et l’indépendance des médias.
2. Il n’y a pas d’indépendance lorsque les journalistes et leur
famille sont exposés à des menaces physiques ou sont victimes de
détentions arbitraires, ou lorsque les médias qui les emploient
sont confrontés au risque d’être tout simplement mis en cessation
d’activités. L’Assemblée est également vivement préoccupée par les
multiples formes de violence psychologique, d’intimidation et de
harcèlement, y compris sur internet et dans les réseaux sociaux,
ainsi que par l’éventail des tactiques utilisées pour porter atteinte
à la liberté des médias, contraindre les journalistes à l’autocensure,
voire prendre le contrôle de certains médias pour les assujettir
à des groupes d’intérêt.
3. Les autorités nationales doivent non seulement garantir la
sécurité des journalistes et la liberté des médias en empêchant
et en condamnant sans réserve les violations flagrantes, mais elles
doivent également reconnaître et s'opposer à la menace que des méthodes
plus insidieuses posent à l'indépendance et au véritable pluralisme
des médias, à l’intérêt du public à recevoir une information impartiale
et critique, et donc à nos systèmes démocratiques.
4. Le numérique provoque des changements en profondeur du modèle
de fonctionnement des médias, ce qui met en péril la viabilité financière
de nombreux opérateurs média. Cela intensifie le risque que des pressions
financières soient exercées sur les médias afin d’obtenir leur soumission.
Le financement public revêt plus d’importance que par le passé,
notamment – mais pas seulement – pour les médias de service public (MSP).
La dépendance financière des médias à l’égard des fonds publics
engendre toutefois une plus grande vulnérabilité à l’influence politique.
Une telle influence peut également résulter d’une instrumentalisation
des procédures de nomination des cadres dirigeants des MSP.
5. L’Assemblée dénonce toutes les pratiques qui visent à alimenter
la défiance du public à l’égard des médias. Malheureusement, certaines
forces politiques ont recours à cette stratégie pour réduire au
silence les voix critiques et museler les opinions dissidentes des
médias indépendants. Cependant, la méfiance pourrait aussi découler
de l’utilisation détournée des médias, en particulier des nouveaux
médias, en tant qu’armes contre les opposants politiques, ainsi
que des risques accrus de manipulation de l’opinion publique par
les médias.
6. Alors que les acteurs politiques (mais aussi économiques et
sociaux) délaissent les médias traditionnels au profit d’internet
et des réseaux sociaux pour leur communication publique, le journalisme
pèse de moins en moins dans la manière dont le public accède, valorise
et partage l’information; de ce fait, les médias indépendants sont
de moins en moins en mesure de susciter et promouvoir un débat public
de qualité. Cela les rend moins attractifs, moins compétitifs et,
en définitive, moins viables, d’où une plus grande vulnérabilité à
l’influence politique.
7. En conséquence, l’Assemblée lance un appel en faveur d’un
engagement plus fort pour garantir la sécurité et la liberté des
journalistes, et défendre le pluralisme et l’indépendance des médias.
Elle recommande aux États membres du Conseil de l’Europe:
7.1. d’assurer la mise en œuvre effective
de la Recommandation CM/Rec(2016)4 sur la protection du journalisme
et la sécurité des journalistes et autres acteurs des médias, en
axant leur action autour de quatre piliers: la prévention; la protection;
les poursuites de toutes menaces contre des journalistes et contre
la liberté des médias; et la promotion de l’information, de l’éducation
et de la sensibilisation;
7.2. de demander un examen indépendant de leurs lois et pratiques
qui ont, ou pourraient avoir, un effet dissuasif sur la liberté
des médias, comme les lois sur la sécurité nationale, le terrorisme
et la diffamation, et de confier à des commissions des droits de
l’homme ou à des médiateurs une mission de contrôle de l’application
de ces lois et pratiques afin d’éviter leur utilisation abusive
pour étouffer la liberté des médias;
7.3. d’améliorer les dispositions légales concernant la transparence
de la propriété officielle et effective des médias ainsi que des
mécanismes de financement et des structures d’organisation et de gestion
des médias, y compris les médias en ligne, en tenant compte de leur
spécificité, de façon à permettre l’identification d’éventuelles
sources de contrôle et d’influence, et à renforcer l’obligation
de rendre des comptes. À cet égard, l’Assemblée rappelle en particulier
sa Résolution 2065 (2015) «Accroître la transparence de la propriété des médias»;
7.4. de revoir les mécanismes de gouvernance des MSP, en gardant
à l’esprit les normes élémentaires fixées par les principes directeurs
annexés à la Recommandation CM/Rec(2012)1 sur la gouvernance des
médias de service public, et en cherchant à garantir leur indépendance
réelle, y compris leur autonomie éditoriale, tout en préservant
le rôle de contrôle des autorités nationales, notamment des parlements;
7.5. d’assurer la transparence du fonctionnement des organes
de régulation; les dispositions relatives à leur établissement,
leur mandat et leurs pouvoirs doivent garantir leur indépendance
vis-à-vis de toute influence, notamment des gouvernements;
7.6. de veiller à ce que la procédure de nomination des dirigeants
et du personnel des MSP dans laquelle une intervention des pouvoirs
publics est requise:
7.6.1. respecte
le rôle de l’opposition et, lorsque les parlements interviennent
dans la procédure, prévoie que les décisions relatives aux nominations
sont prises à la majorité qualifiée;
7.6.2. ne soit pas utilisée pour exercer une influence sur la
programmation ou sur la politique éditoriale des MSP;
7.6.3. satisfasse à des critères clairs, fondés sur le mérite,
se rapportant rigoureusement au rôle et à la mission des MSP, et
neutres en ce qui concerne les opinions politiques;
7.6.4. précise la durée de la nomination, qui ne peut être réduite
que dans des circonstances limitées et légalement définies;
7.6.5. soit respectueuse de l’équilibre entre les sexes;
7.7. de revoir leurs systèmes (nationaux, régionaux et locaux)
de financement des MSP et des médias privés:
7.7.1. pour éviter que les mécanismes de financement soient utilisés
(directement ou indirectement) pour influer sur le contenu éditorial
ou menacer l’autonomie institutionnelle des bénéficiaires;
7.7.2. pour assurer que les modalités de financement reposent
sur des critères objectifs et équitables, et qu’elles sont appliquées
de manière non discriminatoire;
7.7.3. pour garantir une transparence totale de leurs opérations,
notamment en ce qui concerne la part du financement public, des
subventions et du parrainage, et pour faire en sorte que le public
ait facilement accès à ces informations;
7.8. de concevoir des systèmes de financement des MSP en veillant:
7.8.1. à garantir un niveau de financement
cohérent avec le rôle et la mission dévolus aux MSP, afin qu’ils
puissent s’acquitter convenablement de leur mission dans un environnement médiatique
en évolution rapide;
7.8.2. à charger une instance indépendante de déterminer – et
de revoir régulièrement – le niveau de financement, après consultation
des MSP concernés, en limitant étroitement la marge de manœuvre
laissée aux responsables politiques (parlements et gouvernements)
pour rectifier les propositions formulées par cette instance indépendante;
7.8.3. à garantir des revenus prévisibles et suffisamment stables,
mais aussi des mécanismes de financement dynamiques. À cet égard,
les autorités nationales devraient étudier la possibilité de combiner
différentes sources de revenus (y compris la publicité), en privilégiant
les redevances (payées par tous les ménages indépendamment du type
d’appareil) et/ou les taxes affectées, dont le niveau devrait être
indexé afin de garantir la stabilité financière en termes réels;
7.8.4. à prévoir un mécanisme de recouvrement des revenus excédentaires
des bénéficiaires et à les réinvestir dans le système;
7.9. de concevoir des régimes d’aides publiques aux médias
privés et à but non lucratif de façon à ce que ces dispositifs:
7.9.1. renforcent le pluralisme en
accordant également une attention particulière aux médias non commerciaux,
comme les radios libres, ainsi qu’aux médias qui sont l’expression
d’une perspective locale sur les enjeux sociétaux ou de la diversité
culturelle;
7.9.2. favorisent la réalisation des investissements nécessaires
pour accompagner le progrès technique des médias.
8. L’Assemblée exhorte toutes les forces politiques ainsi que
l’ensemble des dirigeants politiques à condamner fermement la violence
psychologique et le harcèlement, notamment en ligne, visant les journalistes,
et à unir leurs efforts afin de lutter contre la défiance grandissante
envers le journalisme et les journalistes. Les acteurs politiques
ont certes le droit de réagir face aux critiques et aux points de
vue divergents exprimés par les médias, mais leurs réactions doivent
respecter la liberté d’expression, et tout comportement tendant
à inciter ceux qui les suivent à prendre pour cible les journalistes
et les médias est à bannir.
9. L’Assemblée appelle les associations de médias à identifier
et à dénoncer plus activement les abus commis par des non-professionnels
qui s’octroient abusivement le titre de «journaliste» ou par des
médias sans scrupule qui cherchent à manipuler l’opinion publique
en diffusant de fausses informations. Les lynchages politiques orchestrés
par des médias trompeurs doivent être combattus.