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Résolution 2223 (2018)

Les détenus handicapés en Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 1er juin 2018 (voir Doc. 14557, rapport de la commission sur l'égalité et la non-discrimination, rapporteur: M. Manuel Tornare; et Doc. 14561, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteur: M. Pierre-Alain Fridez).Voir également la Recommandation 2132 (2018).

1. L’Assemblée parlementaire est très préoccupée par la situation des détenus handicapés, qu’il s’agisse de détenus ayant un handicap physique, sensoriel, intellectuel ou psychosocial. La prise en compte insuffisante de leurs besoins spécifiques ainsi que le manque d’accessibilité et d’aménagements raisonnables exposent les détenus handicapés à des violations de leurs droits fondamentaux et à des conditions de détention dégradantes et discriminatoires, ce qui constitue une double peine.
2. Selon le type et la gravité de leur handicap, les détenus handicapés se heurtent à l’inadaptation des cellules, ce qui crée pour eux des conditions de vie indignes, et à l’inaccessibilité des parties communes des prisons, les empêchant de se déplacer en dehors de leur cellule sans assistance. Les difficultés de communication peuvent par ailleurs avoir des conséquences graves en ce qui concerne l’accès des détenus handicapés à des informations dans des formats accessibles et à des activités adaptées à leur handicap.
3. En l’absence de mesures leur permettant de comprendre leurs droits, la peine qui leur est imposée, le fonctionnement et les règles de l’établissement où ils sont détenus et les mécanismes de plainte, les détenus ayant un handicap intellectuel ou un trouble de l’apprentissage risquent de ne pas pouvoir comprendre leur environnement, d’être perçus comme ayant un comportement perturbateur et d’être exposés à des sanctions injustifiées.
4. En raison de conditions de détention inadaptées, de l’absence ou de l’insuffisance d’accès à des soins appropriés et du manque de personnel formé, les détenus ayant un handicap psychosocial n’ont souvent pas accès à un traitement adapté à leurs besoins spécifiques, ce qui aggrave leur état de santé et ne permet aucunement une future réinsertion sociale. Cette population particulièrement fragile et sensible à son environnement est susceptible, en cas de soins inadaptés, d’une aggravation de ses problèmes de santé, et de décompensations sous forme d’angoisses, d’agitation, voire de violence. Certaines personnes ayant commis des actes réprimés par le droit pénal mais qui ont été déclarées non responsables pénalement de ces actes en raison de leur handicap psychosocial se voient privées de liberté pendant des années sans accès à des soins appropriés et sans les garanties nécessaires liées au placement.
5. L’Assemblée relève que ces éléments exacerbent par ailleurs la vulnérabilité et l’isolement des détenus handicapés, et les privent d’une insertion sociale au sein de la prison. De plus, ces problèmes sont aggravés par des facteurs qui affectent négativement l’ensemble des détenus et qui ont un impact disproportionné sur les détenus handicapés, tels que la surpopulation carcérale; la tendance à incarcérer les auteurs d’infractions plutôt qu’à appliquer des peines alternatives; le manque de personnel médical prêt à travailler en milieu carcéral, ce qui se traduit parfois par une application excessive de mesures d’immobilisation ou par une surmédication; les transferts répétés et l’absence de continuité des soins; ainsi que le manque de personnel suffisamment formé à l’assistance aux détenus handicapés. Enfin, l’Assemblée regrette que l’absence de données chiffrées et à jour relatives tant au nombre de détenus présentant un handicap qu’aux types de handicap en question empêche la mise en place de moyens adéquats pour remédier aux problèmes rencontrés.
6. L’Assemblée rappelle qu’il appartient à l’État de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que les conditions de détention dans ses prisons ne violent pas les droits fondamentaux des personnes incarcérées et que la dignité de celles-ci soit respectée. Tout en regrettant l’absence de cadre juridique spécifique relatif à la situation des détenus handicapés au niveau européen, elle attire l’attention des États sur les obligations découlant notamment de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, sur les règles pertinentes contenues dans la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes et dans l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), ainsi que sur les préconisations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT).
7. Au vu de ce qui précède et afin de veiller à respecter la dignité humaine de chaque détenu handicapé, l’Assemblée invite les États membres du Conseil de l’Europe:
7.1. en ce qui concerne le cadre juridique applicable aux détenus handicapés et sa mise en œuvre:
7.1.1. à signer et à ratifier la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, si ce n’est déjà fait, et à mettre en œuvre ses dispositions;
7.1.2. à adopter dans leur droit interne des dispositions spécifiques régissant la situation des détenus handicapés, afin de garantir à leur égard le respect des principes fondamentaux que sont l’égalité de traitement, la non-discrimination, l’aménagement raisonnable et l’accessibilité;
7.2. en vue d’identifier les mesures et les moyens nécessaires pour remédier aux problèmes rencontrés par les détenus handicapés, à recueillir des données statistiques, y compris des données ventilées par âge, par sexe et par d’autres critères pertinents, permettant d’avoir une vision précise du nombre et de la situation des détenus handicapés dans toute leur diversité;
7.3. à tenir compte, dans toute politique relative à la situation des détenus handicapés, des besoins particuliers des détenus handicapés qui risquent de faire l’objet de discriminations multiples ou intersectionnelles, notamment ceux des femmes, des personnes âgées, des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) et des personnes appartenant à une minorité ethnique;
7.4. afin de garantir l’accès équitable à la justice, à mettre en place des mesures permettant d’identifier toutes les situations de handicap dès l’entrée en contact d’une personne avec le système judiciaire pénal, et à fournir dans les meilleurs délais l’aide ou les soins dont celle-ci a besoin;
7.5. afin d’éviter l’incarcération de personnes dont la condition est incompatible avec la détention, à prévoir et à développer davantage l’application de peines aménagées ou alternatives, et à envisager systématiquement des peines ou des mesures coercitives provisoires non privatives de liberté, ou une remise en liberté pour raisons humanitaires, pour les détenus handicapés dont le cas, sans la circonstance du handicap, pourrait justifier un placement en détention ou une incarcération, en fonction de la nature et de la gravité de leur handicap et de la capacité du système de détention à prodiguer les soins appropriés, en tenant compte du principe de l’aménagement raisonnable;
7.6. lorsqu’une personne handicapée est placée en détention, à veiller à ce que le choix de l’établissement soit fondé notamment sur la capacité de celui-ci à répondre aux besoins de la personne en termes d’accessibilité et d’aménagement raisonnable; les personnes condamnées souffrant de troubles psychiques graves devraient être soignées et être détenues dans des institutions fermées spécialisées en adéquation avec leur état de santé, dans la mesure du possible;
7.7. à réduire au minimum absolu les éventuels délais s’écoulant entre l’arrivée d’une personne handicapée dans un établissement pénitentiaire et sa prise en charge adaptée, en identifiant dès l’incarcération ses besoins en termes d’accessibilité et d’aménagement raisonnable, et à veiller à ce que ces besoins fassent l’objet d’un suivi tout au long de la détention;
7.8. en vue de garantir que les obligations d’accessibilité et d’aménagement raisonnable sont respectées pour toutes les formes de handicap:
7.8.1. à prévoir un nombre de cellules suffisant pour les personnes à mobilité réduite et à aménager les établissements pénitentiaires en conformité avec les préconisations du CPT spécifiques à ces personnes, en matière d’espace vital et d’aménagement des cellules;
7.8.2. à aménager les établissements pénitentiaires de façon à ce que les détenus handicapés, notamment les détenus ayant un handicap physique et les détenus malvoyants, aient le même accès que leurs codétenus à l’intégralité des espaces auxquels ils doivent pouvoir se rendre – sanitaires, espaces ouverts, espaces servant aux activités et aux formations proposées aux détenus, services médicaux, locaux réservés aux visites, etc.;
7.8.3. à assurer, le cas échéant, les services d’un interprète en langue des signes dans les établissements pénitentiaires lorsque d’autres formes de soutien à la communication ne sont pas suffisantes;
7.8.4. à garantir l’accès à l’information aux personnes ayant un handicap intellectuel, et pour ce faire, à élaborer ou à soutenir l’élaboration de versions faciles à lire des informations relatives au régime pénitentiaire et aux droits des détenus, préparées conformément aux normes élaborées par les organisations non gouvernementales représentatives des personnes ayant un handicap intellectuel;
7.8.5. à fournir une offre suffisante d’activités adaptées aux besoins des détenus handicapés;
7.9. concernant l’accès aux soins:
7.9.1. à garantir l’accès rapide à des soins adaptés par un personnel qualifié, notamment médical, en nombre suffisant et comprenant l’ensemble des spécialisations nécessaires; ce personnel doit également être formé aux spécificités du monde carcéral;
7.9.2. à garantir la continuité des soins, y compris en cas de transfert vers un autre établissement ou lors de situations exceptionnelles, comme la conduite de mouvements sociaux par le personnel pénitentiaire affectant le fonctionnement normal des services pénitentiaires;
7.10. à former le personnel judiciaire et pénitentiaire au handicap et à intégrer la sensibilisation au handicap et aux discriminations multiples et intersectionnelles dans les critères de recrutement.