Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 14606 | 30 août 2018

Les migrations sous l’angle de l’égalité entre les femmes et les hommes: donner aux femmes les moyens d'être des actrices essentielles de l'intégration

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Gabriela HEINRICH, Allemagne, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14095, Renvoi 4233 du 10 octobre 2016. 2018 - Quatrième partie de session

Résumé

L’Europe est une destination pour les individus qui cherchent à obtenir une protection internationale ou à accéder à une vie meilleure en raison de conflits armés, de troubles politiques et de la pauvreté qui affectent les régions voisines. Cet afflux vient s’ajouter aux immigrés et aux réfugiés déjà installés en Europe. Dans le même temps, les populistes questionnent la possibilité pour l’Europe d’absorber un plus grand nombre de migrants et de réfugiés, ainsi que la volonté de ces derniers à s’intégrer.

Il est donc plus important que jamais de placer la question de l’intégration au cœur de la discussion politique. On a dit beaucoup de choses sur les migrations et sur l’intégration, mais trop peu d’attention a été accordée aux femmes, leurs vulnérabilités dans le processus migratoire, mais également leur rôle potentiel d’acteurs clés de l’intégration. Les femmes peuvent jouer ce rôle en promouvant l’intégration des membres de leur famille et de leur milieu social, en soutenant l’éducation de leurs enfants, en transmettant leurs traditions à leurs enfants, et en participant à la société de leur pays d’accueil.

Promouvoir l’intégration des femmes migrantes et réfugiées permet de créer une base solide pour l’inclusion et l’intégration des générations futures et pour le développement de sociétés pacifiques fondées sur l’insertion et la cohésion, ainsi que sur des valeurs communes et sur le respect de la diversité. Par conséquent, la dimension de genre devrait être prise en compte dans la conception, la mise en œuvre, l’évaluation et le suivi de toutes les politiques d’intégration concernant les migrants et les réfugiés.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 27 juin
2018.

(open)
1. L’Europe est plus que jamais une destination pour les individus qui cherchent à obtenir une protection internationale en raison de conflits armés ou de crises politiques, ou bien pour échapper à la pauvreté et à des situations d’extrême difficulté. Cet afflux récent accroît encore le nombre de migrants et de réfugiés qui se sont installés de façon permanente dans les pays européens, parfois depuis plusieurs générations.
2. Bien que la question migratoire soit devenue un objet d’attention important dans les médias et la politique, et soit érigée au rang de priorité dans les programmes de tous les partis politiques populistes, l’accent est trop souvent porté sur des événements dramatiques tels que l’arrivée massive de migrants et de réfugiés, sur la capacité d’absorption prétendument ou réellement limitée de certains Etats et sociétés et les fardeaux financiers qu’ils supportent, ou encore sur la crise de la politique de gestion des migrations de l’Union européenne.
3. L’Assemblée parlementaire considère que les politiques d’intégration devraient occuper une plus grande place dans le débat politique et public car l’aptitude des migrants et des réfugiés à devenir une ressource et un atout pour le pays hôte et à contribuer à sa richesse économique et culturelle dépend de leur niveau d’intégration.
4. En outre, les politiques d’intégration doivent tenir compte des caractéristiques démographiques des flux migratoires pour aboutir: les femmes, qui ne représentaient auparavant qu’un faible pourcentage de l’afflux de migrants et arrivaient en Europe principalement dans le cadre des politiques de regroupement familial, migrent aujourd’hui de manière indépendante et en plus grand nombre. Lors de leur fuite vers une vie meilleure, certaines femmes font face à des violations de leurs droits, notamment en étant victimes de la traite, de l’esclavage et des abus sexuels systématiques. Cette situation rend d’autant plus nécessaire l’intégration de la dimension du genre dans les politiques et les mesures d’intégration, afin de répondre aux vulnérabilités des femmes tout au long du processus migratoire en favorisant leur autonomisation en tant qu’actrices clés pouvant avoir un effet multiplicateur sur l’intégration.
5. L’Assemblée réitère sa Résolution 2159 (2017) «Protéger les femmes et les filles réfugiées de la violence fondée sur le genre» et rappelle que plusieurs dispositions de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul») portent spécifiquement sur les femmes migrantes et réfugiées. Constatant avec regret que les femmes migrantes sont l’objet de discrimination multiple et intersectionnelle, l’Assemblée approuve l’inclusion de l’objectif stratégique Protéger les droits des femmes et des filles migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile dans la Stratégie du Conseil de l’Europe pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2018-2023.
6. L’Assemblée souligne l’importance de la Convention d’Istanbul, la Convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (STCE no 201) et la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197) et sur la nécessité de les mettre en œuvre de manière efficace afin d’offrir protection aux femmes et aux filles migrantes et réfugiées et d’assurer que toutes les conditions soient réunies pour qu’elles deviennent une source de force pour nos sociétés.
7. En raison du rôle qu’elles jouent au sein de leurs familles et dans leurs communautés, l’Assemblée est convaincue que promouvoir l’intégration des femmes migrantes et réfugiées permet de créer une base solide pour l’inclusion et l’intégration des générations futures et pour le développement de sociétés pacifiques fondées sur l’insertion et la cohésion, ainsi que sur des valeurs communes et sur le respect de la diversité. La présente résolution doit donc être considérée comme complémentaire de la Résolution 2176 (2017) de l’Assemblée «L’intégration des réfugiés en période de fortes pressions: enseignements à tirer de l’expérience récente et exemples de bonnes pratiques».
8. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
8.1. à prendre en compte la dimension de genre dans la conception, la mise en œuvre, l’évaluation et le suivi de toutes les politiques d’intégration concernant les migrants et les réfugiés;
8.2. à promouvoir l’autonomisation des femmes immigrées et réfugiées en combattant toutes les formes de discrimination fondées sur le genre ou liées au genre, en particulier dans l’accès à l’éducation et à l’emploi, et élaborer des mesures et des programmes spécifiques pour faciliter leur accès;
8.3. à assurer que la protection offerte par les traités internationaux, notamment par la Convention d’Istanbul, la Convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels et la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains soit bien connue de tous ceux qui prennent en charge des femmes migrantes et que les traités soient mis en œuvre de manière efficace;
8.4. à sensibiliser les femmes immigrées et réfugiées à leurs droits, notamment en ce qui concerne l’accès à l’éducation et à l’emploi, la participation à la vie sociale, économique et culturelle, la protection contre la violence sexiste et domestique, et l’accès à la justice;
8.5. à encourager et à soutenir les initiatives visant à favoriser l’autonomisation des femmes immigrées et réfugiées au sein de leurs familles et de leurs communautés et dans l’ensemble de la société, en les aidant à acquérir confiance en soi et autodétermination, et en protégeant les femmes et les filles des formes négatives de contrôle social;
8.6. à fournir aux femmes immigrées et réfugiées des informations sexospécifiques sur les normes et attentes culturelles de la société d’accueil, afin de les aider à reconnaître leur rôle, leurs responsabilités et les opportunités qui s’offrent à elles;
8.7. à offrir des possibilités de formation linguistique spécifiquement à l’intention des femmes, et ceci au plus tôt dès leur arrivée dans le pays d’accueil;
8.8. à offrir des possibilités de formation professionnelle en prenant en compte les aptitudes et les besoins particuliers des femmes immigrées et réfugiées;
8.9. à organiser des activités d’information et de sensibilisation des femmes et hommes immigrés et réfugiés sur l’égalité entre les femmes et les hommes et sur les droits des femmes tels que garantis dans la loi du pays d’accueil;
8.10. à soutenir et à coopérer étroitement avec la société civile et tous les acteurs désireux de favoriser l’intégration et l’autonomisation des femmes immigrées et réfugiées, y compris les partenaires sociaux et les organisations des femmes immigrées et réfugiées;
8.11. à instaurer des mécanismes pour assurer la consultation systématique des organisations de femmes immigrées et réfugiées, ainsi que des organisations qui les représentent;
8.12. à faire de l’égalité de genre un élément de la formation des professionnels et des agents publics participant à tous les niveaux de l’élaboration et de la mise en œuvre des programmes d’intégration;
8.13. à soutenir le développement de programmes de mentorat à l’intention des femmes immigrées et réfugiées en s’appuyant sur des personnalités aptes à servir de modèles positifs.
9. L’Assemblée recommande d’intégrer systématiquement la dimension de genre dans ses activités relatives aux migrations et aux réfugiés ainsi que dans celles de la Campagne parlementaire pour mettre fin à la rétention d’enfants migrants et celles du Réseau parlementaire sur les politiques des diasporas.

B. Exposé des motifs, par Mme Gabriela Heinrich, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. L’Europe est une destination pour les individus qui cherchent à obtenir une protection internationale ou à accéder à une vie meilleure en raison de conflits armés, de troubles politiques et de la pauvreté qui affectent les régions voisines. Cet afflux vient s’ajouter aux immigrés et aux réfugiés déjà installés en Europe, parfois depuis plusieurs générations. Dans le même temps, les partis populistes qui jouissent d’un soutien électoral croissant dans certains pays européens questionnent la capacité de leur pays à absorber un plus grand nombre de migrants et de réfugiés, ainsi que la volonté de ces derniers à s’intégrer.
2. Devant cette situation, il est plus important que jamais de placer la question de l’intégration au cœur de la discussion politique. On a dit et écrit beaucoup de choses sur les migrations et sur l’intégration. Cependant, trop peu d’attention a été accordée aux femmes. Le présent rapport a précisément pour but de mettre au premier plan la situation des femmes migrantes, en soulignant à la fois leur vulnérabilité propre dans le processus migratoire et leur rôle potentiel d’acteurs clés de l’intégration.
3. Dans ce rapport, j’emploie l’expression de «nouveaux arrivants», comme l’avait fait Mme Fatuma Musa Afrah pendant l’une des auditions de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, en tant qu’expression générale à caractère non technique pour désigner les personnes d’origine étrangère qui sont arrivées en Europe pendant les dernières années, que ce soit comme migrants, comme demandeurs d’asile ou comme réfugiés. Les mesures requises pour donner à ces personnes la possibilité de s’intégrer à nos sociétés ne dépendent pas principalement de leur statut légal mais plutôt d’autres facteurs tels que leur niveau d’éducation, leurs aptitudes, leurs ambitions et la manière dont elles envisagent l’avenir.
4. Ce rapport est axé à la fois sur l’intégration des femmes et sur le rôle qu’elles peuvent jouer pour promouvoir à leur tour l’intégration des membres de leur famille et de leur milieu social en soutenant l’éducation de leurs enfants, en transmettant leurs traditions à leurs enfants, et en participant à la société de leur pays d’accueil.
5. La question de l’intégration des femmes, malheureusement, n’occupe pas une place centrale dans le débat politique. L’intégration des hommes, principalement sous l’angle du marché du travail, bénéficie d’une attention beaucoup plus grande. Les hommes qui occupent un emploi acquièrent généralement une meilleure connaissance de la langue du pays d’accueil. Ils sont aussi plus visibles dans l’espace public. Les femmes immigrées sont moins encouragées à trouver un emploi, et moins censées y parvenir, alors que la majorité d’entre elles souhaitent travailler. Cette situation est due conjointement à plusieurs facteurs tels que leur niveau plus faible d’éducation et de qualification professionnelle et la part plus grande des responsabilités familiales qui pèse sur elles.
6. Les caractéristiques démographiques des migrations doivent également être prises en compte dans cette analyse. Pendant des décennies, dans les pays européens, les migrants, qui provenaient à la fois de l’Europe et d’ailleurs, étaient essentiellement des hommes. Les femmes venaient les rejoindre à un stade ultérieur dans le cadre du regroupement familial. Toutefois, pendant les dernières décennies, la proportion de femmes ayant migré de manière indépendante s’est accrue.
7. Bien que je partage les préoccupations concernant la situation vulnérable des femmes migrantes, une catégorie exposée à des risques accrus de violences et de discriminations, de types multiples et croisés en particulier, je souhaiterais mettre en lumière un autre aspect, plus positif, de cette réalité. Aujourd’hui, il importe non seulement de protéger les droits de ce groupe de femmes mais aussi de les aider à réaliser leur potentiel. Cet objectif pourra être atteint au moyen de diverses mesures telles que des cours d’intégration et, plus généralement, des programmes d’éducation bien conçus, mais aussi grâce à une participation accrue de ces femmes à la vie sociale et politique.
8. Ce rapport présente surtout des exemples concrets d’activités et de programmes d’intégration, afin de montrer que diverses approches, qui ne s’excluent pas mutuellement, sont possibles à cet égard. Ces exemples sont tirés pour l’essentiel des visites d’information que j’ai effectuées en Italie et en Norvège, ainsi que de mon propre pays, l’Allemagne, où j’ai suivi de près les programmes mis en œuvre dans la ville où j’habite, Berlin, et dans ma circonscription, Nuremberg.
9. Des exemples complémentaires provenant d’autres États membres du Conseil de l’Europe m’ont été communiqués par mes collègues de la commission sur l’égalité et la non-discrimination. Je les remercie pour ces contributions et pour les débats constructifs qui ont eu lieu à diverses occasions au sein de la commission. Les idées et informations communiquées par les experts qui ont participé à plusieurs auditions ont également contribué de manière significative au contenu de ce rapport.

2. Vue d’ensemble de l’immigration dans différents contextes européens

10. Les migrations présentent des caractéristiques différentes d’un pays européen à l’autre, en fonction notamment de l’histoire et du développement économique de chaque pays. En Allemagne, une très forte immigration a coïncidé avec le boom économique de la période de reconstruction d’après-guerre. Les immigrés ont commencé à arriver en grand nombre à partir des années 60. En Norvège, le phénomène de l’immigration est apparu dans les années 70. Par contre en Italie, longtemps pays d’émigration, le premier afflux important d’immigrés date des années 80.

2.1. L’Allemagne: de l’époque des «travailleurs invités» à celle de l’intégration

11. Dans la République fédérale d’Allemagne des années 60 et 70, l’intégration des «travailleurs invités» et de leurs familles n’était pas considérée comme une priorité car l’on pensait qu’ils retourneraient dans leur pays après un certain temps. On ne leur offrait tout simplement aucune possibilité d’intégration. Cette prévision s’est révélée inexacte: beaucoup d’immigrés sont restés et leurs enfants et petits enfants sont nés en Allemagne. Il convient donc d’éviter de répéter cette erreur en Europe. Législateurs et décideurs doivent partir du fait que la présence des immigrés n’a rien d’exceptionnel: en Allemagne, un enfant sur trois est aujourd’hui issu de l’immigration. Des projets et des activités visant à favoriser l’intégration existent dans la plupart des villes allemandes. Je présenterai quelques-unes des activités proposées à Berlin et à Nuremberg, que je connais particulièrement bien.

2.2. L’Italie: un pays d’origine devenu pays de destination

12. J’ai décidé d’effectuer une visite d’information en Italie, dans un but de diversité géographique, et j’ai choisi plus particulièrement Milan pour plusieurs raisons. Premièrement, en tant que centre industriel moteur du pays, cette ville accueille un grand nombre d’étrangers ou de ressortissants issus de l’immigration, qui sont originaires de pays et de régions très divers, dont la Chine, l’Europe centrale et orientale (Roumanie, Ukraine), l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, et sont arrivés dans la région pour des raisons économiques. Deuxièmement, ces communautés sont devenues de plus en plus organisées et visibles ces dernières années, grâce au travail des associations qui les représentent. Certains de leurs membres participent aujourd’hui à la vie politique et ont été élus au sein de conseils locaux. Troisièmement, les collectivités locales (et notamment le conseil municipal de Milan et la province) accordent à l’intégration des nouveaux arrivants une haute priorité et se sont engagées dans un dialogue et une coopération avec leurs organisations.
13. La réforme du droit de la nationalité, en vue de faciliter l’accès à la nationalité des enfants nés en Italie de parents immigrés, occupait une place très importante dans le débat politique au moment de ma visite sur place, avec une polarisation virulente des opinions. Ce débat mettait clairement en évidence la ligne de fracture qui, dans la vie politique italienne, sépare les forces qui soutiennent l’intégration de celles qui s’y opposent.

2.3. La Norvège et le «modèle nordique»

14. D’après le Bureau central de la statistique de la Norvège 
			(2) 
			Key
figures for immigration and immigrants [Chiffres clés de l’immigration
et des immigrés], Statistisk sentralbyrå / Statistiques Norvège,
janvier 2017, mise à jour: avril 2017., on compte actuellement 724 000 immigrés dans le pays et 158 000 Norvégiens nés de parents immigrés, soit respectivement 13,8 % et 3 % de l’ensemble de la population (5,2 millions). Ce groupe comprend des personnes venant de 221 pays différents: 52 % sont originaires de l’Europe, 30 % de l’Asie et 12 % de l’Afrique. Ces personnes sont en moyenne beaucoup plus jeunes que le reste de la population: la moitié d’entre elles ont entre 20 et 40 ans et 9 % seulement ont plus de 60 ans. Environ 60 % des immigrés âgés de 15 à 74 ans occupaient un emploi en 2016 contre 65 % pour l’ensemble de la population norvégienne. L’écart entre le nombre de femmes et d’hommes occupant un emploi est bien plus grand (le double à peu près) parmi les immigrés qu’au sein du reste de la population. Toutefois, les chiffres moyens ne reflètent pas la diversité de la situation: en fait, le niveau d’instruction et d’emploi varie grandement selon les nationalités.
15. Depuis plusieurs années, le nombre de réfugiés a très fortement augmenté en Norvège, comme dans le reste de l’Europe, avec un pic en 2015 
			(3) 
			Refugees
in Norway [Les réfugiés en Norvège], Statistisk sentralbyrå/Statistiques
Norvège, janvier 2016.. En tout, 30 110 demandeurs d’asile sont arrivés en Norvège pendant les 11 premiers mois de cette année, avec une très forte hausse de 500 par mois environ pendant le printemps à plus de 8 000 par mois en octobre et novembre.
16. Le système économique et social de la Norvège repose sur le «modèle nordique» qui se caractérise principalement par de forts taux d’emploi, un haut niveau de productivité et de généreux programmes sociaux. La Norvège et les autres pays nordiques ont mis en place «des systèmes universels de protection sociale qui offrent aux populations un libre accès à l’éducation, des services de santé presque totalement gratuits et de généreux systèmes de garantie des moyens d’existence pour les personnes exclues du marché du travail» 
			(4) 
			Anne Britt Djuve, Refugee migration: A crisis for the Nordic
model? [Les migrations des réfugiés: une remise en cause
du modèle nordique?], FAFO/Friederich Ebert Stiftung, 2016.. En outre, «des efforts actifs sont engagés pour faciliter la participation des femmes au marché de l’emploi». Tous ces facteurs sont imbriqués: les programmes universels de protection sociale ont un coût qui ne peut être supporté que si le système est très productif, ce qui exige de forts taux d’emploi tant pour les femmes que pour les hommes. Une bonne intégration des immigrés dans le marché du travail est donc aussi une condition préalable au bon fonctionnement du modèle nordique. Tenant compte de cette priorité, la Norvège a adopté des politiques destinées à réduire les disparités entre les nationaux et les nouveaux venus en matière d’éducation et à lutter contre la discrimination. Le modèle nordique est à maints égards une réussite: il permet d’obtenir de hauts niveaux d’instruction, une forte participation de la main-d’œuvre, des progrès en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, et une plus grande mobilité sociale.

3. Les différentes approches de l’intégration

17. La préparation de ce rapport m’a confirmée dans l’idée à laquelle j’étais peu à peu parvenue en observant de près le travail d’intégration dans mon propre pays, à savoir qu’il n’existe pas une méthode unique de promouvoir l’intégration. Diverses activités peuvent avoir des retombées positives sur la situation concrète des nouveaux arrivants et améliorer leur aptitude à s’intégrer dans le pays d’accueil. Ces initiatives portent leurs fruits à court terme ou sur une période plus longue. Je présenterai ici un certain nombre de programmes et d’acteurs de plusieurs États membres du Conseil de l’Europe.

3.1. L’approche dite «à bas seuil»

18. Les projets visant à favoriser l’autonomisation et l’intégration des femmes n’exigent pas nécessairement des budgets importants ou la participation à plein temps des personnes concernées. Des activités à bas seuil, qui ne requièrent pas un financement important, peuvent aussi être efficaces. Une initiative adaptée au contexte social et répondant aux besoins du groupe cible peut avoir un impact tout en restant facile d’accès. En outre les activités à bas seuil peuvent facilement être reproduites dans d’autres contextes, avec des moyens financiers limités, afin de multiplier leur impact positif.

– #Bikeygees, Allemagne

19. #Bikeygees, lancé à Berlin en 2015, est un projet qui vise à aider les femmes immigrées et réfugiées à acquérir une plus grande confiance en elles-mêmes en leur apprenant à se servir d’un vélo. Les enseignantes sont des femmes de tous âges et origines qui aiment simplement le cyclisme. La formation, qui est offerte gratuitement, comprend une présentation en plusieurs langues du code de la route et un cours de réparation de bicyclettes. Grâce à ce programme, les femmes peuvent accéder de façon autonome à la mobilité dans leur vie quotidienne. Elles prennent également conscience de la possibilité pour elles de poursuivre des objectifs de développement personnel dans leur nouveau pays de résidence. Cette activité repose sur l’assurance et la confiance: chacune des participantes est soutenue par deux autres femmes en qui elle doit avoir confiance.
20. Il s'agit d'un projet à bas seuil: il est facile d'accès et gratifiant pour les participantes, qui éprouvent très vite un sentiment de réussite. C'est aussi pourquoi il contribue à l’autonomisation des participantes. Ce projet combine indépendance, activité de plein air et mobilité dans la bonne humeur et le respect de l'environnement.

– Action des organisations non gouvernementales à Milan, Italie

21. J’ai rencontré ensemble à Milan plusieurs organisations non gouvernementales (NGO). L’ACMID, une organisation représentant les femmes marocaines, organise des cours d’italien et de formation professionnelle. L’ADRI (Association des femmes roumaines en Italie) cherche à soutenir et à améliorer les conditions de vie et de travail des migrants, et aussi à les sensibiliser au «syndrome italien», un trouble grave qui affecte de nombreuses femmes et conduit souvent à la dépression et à d’autres problèmes de santé mentale. Ce syndrome est provoqué par une combinaison de facteurs, notamment l’angoisse et la culpabilité d’avoir abandonné leurs enfants ou leur famille et, pour les migrantes en situation irrégulière, la crainte d’être expulsées. On l’appelle le «syndrome italien» car la grande majorité des femmes migrantes roumaines et moldaves se trouvent en Italie (Rome étant la deuxième ville de population moldave en dehors de la République de Moldova après Moscou). Soleterre, une ONG italienne, travaille depuis plus d’une décennie avec les migrants de divers pays, en leur fournissant des informations et des conseils juridiques, notamment sur les possibilités de travail et d’éducation et le regroupement familial, mais aussi un soutien psychologique individuel ou en groupe.

– Réseau consulaire latino-américain en Italie

22. Mme Marisela Morales, consule du Mexique et présidente du Groupe consulaire d’Amérique latine et des Caraïbes pour l’Italie du Nord, m’a présenté un projet intéressant appelé «Les communautés latino-américaines et les autorités italiennes s’unissent pour aider les victimes de violences à sortir du silence». Plus de 70 % des migrants originaires d’Amérique latine en Italie sont des femmes, a expliqué Mme Morales. Les cas de violence sexiste au sein de cette communauté sont très rarement déclarés, à la fois en raison du manque d’information des victimes et des obstacles qu’elles rencontrent dans leurs contacts avec la police. Le projet a permis de former au sein de ces communautés plusieurs «promoteurs» des questions touchant à l’égalité entre les femmes et les hommes, et en particulier à la violence sexiste. Mené en coopération avec des acteurs locaux, notamment l’université de Milan, ce projet s’adresse aussi aux acteurs du système judiciaire, afin de les sensibiliser à la situation spécifique des femmes migrantes. Il permet aux services diplomatiques et consulaires de soutenir les droits et le bien-être de leurs ressortissants d’une façon nouvelle intégrant une perspective de genre.

– Mutti-Kulti, Autriche

23. Mutti-Kulti est un projet visant les mères d’origine immigrée au moyen de rencontres sur les terrains de jeux pour enfants dans plusieurs quartiers du centre de Vienne. Il offre à ces femmes diverses formes de soutien comme des cours d’allemand, des activités de loisirs et des conseils de santé.

3.2. L’approche axée sur la «conscience de soi»

24. Les difficultés que rencontrent les femmes immigrées après leur installation dans un nouveau pays ne sont pas liées uniquement à la satisfaction de leurs besoins matériels ou à la nécessité de surmonter des obstacles linguistiques dans la vie quotidienne. Ces femmes sont en effet souvent confrontées à des différences profondes sur le plan personnel et culturel, qui les poussent à s’interroger sur leur rôle et leur identité. L’écart entre la situation des femmes dans leur pays d’origine et dans le pays d’accueil est souvent énorme. Pour promouvoir l’autonomisation de ces femmes à l’intérieur de leur famille et dans leur milieu social, il est donc nécessaire de leur donner la possibilité de réfléchir à leur situation, à leur rôle au sein de la famille et dans la société, à leurs ambitions et à leurs besoins. La participation de femmes issues de l’immigration comme volontaires ou employées rémunérées à la mise en œuvre de ce type d’activités est un moyen d’accroître leur crédibilité et, par conséquent, leur efficacité.

– SEEMA, Norvège

25. Au cours de ma visite en Norvège, j’ai rencontré plusieurs femmes exemplaires qui, ayant elles-mêmes fait l’expérience de l’immigration, ont mis sur pied des activités visant à favoriser l’intégration d’autres migrants. Par exemple, Mme Loveleen Rihel Brenna, née en Inde, est arrivée en Norvège avec ses parents à l’âge de six ans. Elle a créé SEEMA, un «établissement social d’entrepreneuriat et de conseil» spécialisé dans la gestion de la diversité et ciblant les «femmes d’origine cosmopolite hautement qualifiées». Ses activités s’adressent à des femmes qui parlent norvégien, ont un niveau d’instruction élevé et disposent du statut légal de résidente. Pourtant, même ces femmes sont désavantagées par rapport à leurs homologues d’origine norvégienne car elles ne disposent pas des relations personnelles et familiales qui permettent de créer avec succès une entreprise. SEEMA leur propose de suivre un programme de formation de deux ans en petits groupes. Les participantes suivent un parcours en plusieurs étapes, la première consistant à se redéfinir elles-mêmes («Je ne suis pas indienne, je ne suis pas norvégienne, que suis-je?» est la question que Loveleen se posait autrefois), et acquièrent, ou apprennent à exploiter, des compétences multiculturelles qui manquent à d’autres personnes. Le fait d’avoir des racines cosmopolites est un atout supplémentaire, non un obstacle.

– Visions of my life, Allemagne

26. Visions of my life est un projet «narratif» qui offre aux femmes réfugiées de Berlin un lieu et des moyens pour raconter leur histoire de différentes façons. Les ateliers se déroulent fréquemment en petits groupes afin de créer un environnement plus intime. Ils ont lieu dans les logements pour réfugiés. Le but du projet est d'offrir aux femmes réfugiées un espace d’autoréflexion. Après avoir fui leur pays d'origine, ces femmes sont engagées dans un processus de construction d’une nouvelle vie. Cependant, recevoir aide et orientation dans leur travail de remise en cause et de redéfinition individuelle est une condition indispensable à la réussite de l’intégration. Dans ce projet, les participantes produisent des photos, des collages ou des films afin de représenter sous une forme visuelle leur parcours de vie. Les images permettent un accès affectif aux idées et aux souvenirs, en facilitant ainsi leur communication, indépendamment de la langue ou de la culture. C’est pourquoi les animateurs de ces ateliers insistent constamment sur l’importance de l’expression artistique. Ils aident les participantes à développer une démarche personnelle en s’appuyant sur leurs ressources propres et en faisant l’expérience de leur pouvoir en tant qu’individu. Il s’agit également pour elles de réfléchir à leur rôle individuel en tant que femmes, au sein de la famille et de la société, ainsi que de trouver leur rôle dans leur nouveau pays. Des ateliers sont également proposés sur d’autres thèmes, par exemple les compétences professionnelles ou les ambitions des participantes. Par ce travail de réflexion, elles acquièrent une plus grande confiance en elles-mêmes et apprennent à se préparer aux entretiens d'embauche.
27. L'approche clé de l'autonomisation des femmes réfugiées que met en œuvre Visions of my life dans ses ateliers diffère grandement de celle des autres projets que j'ai visités. Les participantes sont amenées à sortir de leur vie quotidienne difficile – surtout au début dans leur pays d’accueil – et à trouver un espace de repos et de réflexion, où elles peuvent se concentrer et retrouver leur force intérieure. La conscience de soi est à mon avis la base de l’intégration. Dans ce rapport, il est question du rôle clé des femmes dans l'intégration: je pense qu'il est très important surtout pour les femmes d'être en accord avec elles-mêmes et avec l’image de la femme dans le pays d’accueil, en partie nouvelle à leurs yeux. Cela les aide également à faire face aux attentes de la société d’accueil.

– Tiroler Sozialdienste (Service social du Tyrol), Autriche

28. Ce projet s’adresse aux réfugiés et aux demandeurs d’asile dans leur quartier d’habitation et leur offre une aide quel que soit leur statut légal. Il propose des services d’information, des cours de langue et une évaluation des compétences individuelles. Il cherche aussi à apporter une aide contre l’ennui, qui est une menace constante, et à favoriser le développement de l’autodétermination et d’un mode de vie pacifié.

3.3. L’approche fondée sur l’autonomisation

29. L’autonomisation des individus, en particulier dans l’économie mais aussi en vue de la participation à la vie sociale et à la vie publique, est un facteur essentiel pour l’intégration. Un large éventail de mesures peut contribuer à l’autonomisation, notamment dans le domaine de l’éducation, de la formation, de l’information et de la sensibilisation, de l’aide financière et des conseils juridiques. En Norvège, l’autonomisation économique est considérée comme la voie principale d’accès à l’intégration et la plupart des exemples que je présente ci-dessous proviennent donc de ce pays.

– Centre MIRA, Norvège

30. Le Centre de documentation MIRA pour les femmes noires, immigrées et réfugiées a été créé en 1979 par Mme Fakra Salimi, une Norvégienne originaire du Pakistan qui en est toujours la directrice. Ce Centre est géré pour et par des femmes immigrées et réfugiées. C’est un lieu de rencontre (les mercredis sont des journées «portes ouvertes» et chacune est libre de passer pour un café et une réunion informelle) qui offre également des possibilités de formation, de conseil et d’assistance judiciaire. Il mène aussi une activité de sensibilisation à la démocratie: de nombreuses femmes immigrées, souligne Mme Salimi, ne participent pas aux élections car elles ne sont pas bien au fait de la politique et ne savent même pas comment voter. En conséquence, le Centre organise des simulations de scrutin pour permettre aux participantes de «pratiquer/répéter» la procédure de vote. Cette expérience a suscité un grand intérêt et d’autres organisations amènent au Centre les personnes dont elles s’occupent pour leur montrer comment cela se passe. D’autres activités de formation à la politique consistent à résumer les programmes des divers partis politiques, pour aider les participantes à faire leur choix. Des responsables politiques de premier plan ont été invités à venir au Centre: même la Première ministre et la ministre des Finances s’y sont rendues et la plupart des partis politiques ont délégué d’éminents représentants. Cet exemple d’éducation politique est particulièrement intéressant. Bien que la participation au marché du travail soit une condition préalable à un niveau de vie décent, il ne faut pas, à mon sens, réduire l’intégration à l’obtention d’un emploi. À long terme en particulier, les personnes d’origine immigrée devront aussi avoir leur mot à dire sur le fonctionnement de la société dont elles font désormais partie.

– Centre norvégien pour la création de valeur multiculturelle, Norvège

31. Le Centre norvégien pour la création de valeur multiculturelle (Norsk senter for flerkulturell verdiskaping, NSFV), un «centre de documentation pour l’entrepreneuriat multiculturel», a été créé par Mme Zahra Moini, qui est d’origine iranienne. Le NSFV propose aux immigrés un programme d’assistance entrepreneuriale visant à les mobiliser et à les inciter à créer leur propre entreprise. Ce Centre fait office d’espace de coopération en réseau, dont l’une des fonctions les plus importantes est de faciliter le financement de projets grâce à un réseau d’établissements financiers. Participent à ce programme des immigrés de la première et de la deuxième génération ayant un bon niveau d’instruction et un potentiel entrepreneurial (environ 1 200 personnes à ce jour). Les stages de formation du NSFV commencent par renforcer la confiance en soi des participants. Le but ultime (et la philosophie sous-jacente) du Centre est d’aider les immigrés à créer leur propre entreprise, non seulement par solidarité mais aussi pour leur permettre d’apporter une contribution positive à l’économie nationale. C’est là une approche qui favorise davantage une autonomie accrue.
32. Le NSFV est un bon exemple de partenariat entre les secteurs public et privé, tant en termes de coopération (les acteurs et pouvoirs publics figurent parmi les 34 membres du partenariat établi par le NSFV) que de financement: les autorités locales tout d’abord, puis le gouvernement national, ont financé cette initiative couronnée de succès.

– Stadtteilmütter («mères de quartier»), Allemagne

33. Stadtteilmütter est un projet basé à Nuremberg qui s'appuie sur les expériences des femmes nouvellement arrivées. Des femmes vivant en Allemagne, en particulier à Nuremberg, depuis sept à neuf ans et qui se sont intégrées soutiennent d’autres femmes et des familles qui viennent de s'y installer. Des hommes sont également impliqués. À Nuremberg, il y a environ 15 «mères de quartier» volontaires et d'autres projets du même type ont également formé des femmes volontaires. Stadtmission Nuremberg, une association à but non lucratif, assure la coordination et l’information des volontaires. Chaque semaine, les «mères» se rendent auprès des femmes et de leurs familles, s'occupent d'elles et leur apportent une aide dans toutes sortes de domaines: traductions, visites conjointes auprès des services de la ville ou résolution de problèmes de la vie quotidienne qui posent de grandes difficultés aux personnes, notamment à celles qui se sont récemment installées. Lors de ces visites hebdomadaires des mères de quartier, des questions sont souvent posées sur le système éducatif et sur la santé des femmes et des enfants. Ce projet aide également à construire des liens avec les services de la ville qui peuvent apporter une aide dans ces domaines particuliers.
34. Pour soutenir les mères de quartier et leur fournir des informations importantes, des sessions de formation sont régulièrement organisées sur des sujets tels que les valeurs, la religion, les droits des femmes et des enfants, la violence domestique, les droits des étrangers et la consultation de spécialistes. L’expérience de l’immigration qu’ont acquise les mères de quartier joue un rôle crucial: leur riche expérience et leur histoire propre les aident à répondre de manière appropriée aux problèmes, aux besoins et aux attentes des familles qu'elles encadrent. La proximité culturelle et linguistique avec les bénéficiaires leur permet d'aborder certains sujets de manière directe. Les mères de quartier peuvent si nécessaire employer un ton que des Allemandes chercheraient à éviter ou qui leur semblerait gênant. Si une leçon doit être tirée de ce projet, c'est que très souvent, des activités plus petites et faciles à réaliser ont une grande valeur ajoutée en termes d'intégration.

3.4. L’approche reposant sur l’échange d’expériences

35. On ne saurait sous-estimer le rôle des réseaux dans le travail en faveur de l’intégration. Le soutien de femmes appartenant à la même communauté est particulièrement efficace à cet égard: il permet d’éviter les problèmes linguistiques, assure une meilleure communication et facilite le développement de la confiance. Même lorsque les participants proviennent de régions différentes, l’expérience commune de l’immigration et de l’installation dans un environnement nouveau facilite la compréhension mutuelle. Les projets en faveur de l’intégration ont tout à gagner de la participation de personnes issues de l’immigration, que ce soit comme bénévoles ou comme personnel rémunéré, selon la nature et le mode d’organisation des activités.

– FOKUS, Norvège

36. FOKUS, le Forum pour les femmes et le développement, se définit lui-même comme un «centre de connaissances et de documentation sur les questions concernant les femmes au niveau international en mettant l’accent sur la diffusion d’informations et la coopération au développement axée sur les femmes». Il s’agit d’un organe fédérateur qui rassemble 66 groupes et commissions de femmes au sein de partis politiques, de syndicats ainsi que d’organisations de solidarité et d’assistance. Grâce à FOKUS, j’ai eu la possibilité de rencontrer des représentantes d’associations de femmes bosniaques, kurdes, somaliennes et panafricaines, ainsi que des associations travaillant avec des immigrés ou actives dans le domaine du développement. FOKUS est le Comité national norvégien pour l’ONU-Femmes depuis 2010 et coordonne le contre-rapport national soumis au Comité de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Ce rapport couvre entre autres la situation des femmes immigrées en Norvège. L’organisation reçoit une aide financière de l’Agence norvégienne pour le développement (NORAD), du ministère des Affaires étrangères et du Téléthon national. Mes interlocutrices étaient toutes d’accord sur certains points comme la priorité absolue à accorder à l’information, la sensibilisation et l’éducation en particulier. Selon elles, il est essentiel de donner aux femmes immigrées les moyens de maîtriser le norvégien et d’acquérir une formation professionnelle.
37. Dans certains cas, les hommes empêchent les femmes de leur famille de s’inscrire à des cours. FOKUS considère que les activités de sensibilisation doivent être de préférence organisées par les autorités locales et destinées à l’ensemble de la communauté, en sorte que chacun soit invité à y participer et que les femmes ne risquent pas d’en être exclues. Les femmes immigrées devraient aussi recevoir des informations sur leurs droits, dont elles n’ont souvent pas connaissance, et bénéficier le cas échéant de conseils juridiques.

– Centre Stella, Norvège

38. Le Centre Stella est le centre d’expertise de la Croix-Rouge pour les femmes immigrées. Il a été créé en 2012 avec l’aide de la Direction gouvernementale de l’intégration et de la diversité (IMDi) et s’appuie sur des fonds à la fois publics et privés. Il se veut un espace inclusif qui promeut la participation et l’engagement dans la société norvégienne en mettant l’accent sur les compétences, le développement personnel, le travail en réseau et la coopération avec le monde des entreprises. Il offre des conseils personnalisés, des cours et activités à la carte ainsi que la possibilité de faire du bénévolat. L’ensemble des activités et programmes est gratuit pour les participantes. Le Centre coordonne ses activités avec d’autres initiatives de la Croix-Rouge et coopère avec les pouvoirs publics et leurs programmes. Il a pour groupe cible l’ensemble des femmes d’Oslo et des environs mais se concentre plus particulièrement sur les femmes appartenant à une minorité. Il propose des activités d’éducation, de formation et d’orientation, ainsi que d’autres activités de soutien, et coopère avec divers acteurs des secteurs public et privé: police, médecins participant à titre individuel et autres experts.

– Cinzia Hu, représentante de la communauté chinoise de Milan, Italie

39. Je me suis rendue dans le quartier chinois de Milan où j’ai rencontré Mme Cinzia Hu, diplômée de l’université de Bocconi, conseillère fiscale et l’une des représentantes les plus connues, bien qu’à titre non officiel, de la communauté chinoise. L’intégration a pendant longtemps été particulièrement ardue pour les immigrés chinois, en particulier pour des raisons linguistiques. Ils recouraient généralement à d’autres membres de la communauté chinoise pour résoudre leurs problèmes administratifs ou autres. Cependant, grâce à la scolarisation, mais aussi aux échanges professionnels avec les fournisseurs, ces obstacles ont généralement été surmontés, notamment parmi les jeunes.
40. Les nouveaux arrivants de toutes origines contribuent de façon non négligeable à l’économie, notamment en tant qu’entrepreneurs. Cependant, les Chinois viennent en première place pour le nombre d’entreprises créées. Selon Mme Hu, les femmes sont particulièrement actives au sein de cette communauté du fait de l’égalité relative entre les femmes et les hommes, l’égalité entre les sexes ayant été un objectif des pouvoirs publics en Chine depuis la venue des communistes au pouvoir. À Milan, les femmes sont souvent les intermédiaires principaux entre la communauté chinoise et le reste de la population. Elles semblent être plus ouvertes au reste de la société et à son évolution. Cependant, la communauté dans son ensemble s’intéresse traditionnellement très peu à la vie politique, y compris au niveau local. Les Chinois sont devenus un peu plus actifs il y a une dizaine d’années, lorsque des organisations ont été créées pour défendre les intérêts des commerçants contre les nouvelles réglementations plus strictes adoptées par les collectivités locales. Toutefois, comme l’a indiqué pour finir Mme Hu, la plupart des personnes d’origine étrangère ne peuvent pas voter et leur impact sur la politique reste donc très limité.

– Fondation Yasmin, Pays-Bas

41. La Fondation Yasmin, basée à La Haye aux Pays-Bas, se définit comme un «centre de participation» pour les femmes désireuses de développer leurs talents ou de travailler pour la société. Selon leur situation et leurs compétences, elles peuvent prendre part à des activités bénévoles ou à un travail rémunéré, ou suivre une formation. Un entretien initial permet aux nouvelles participantes de décrire leurs attentes et leurs besoins (apprendre le néerlandais ou acquérir d’autres compétences au moyen de cours en groupe ou de mentorat individuel, ou contribuer par leurs aptitudes à l’enseignement ou à l’animation des sessions). La Fondation Yasmin offre la possibilité de rencontrer des gens nouveaux, de nouer des contacts et d’échanger des expériences. L’éducation et le développement personnel sont au cœur de ce projet. «Les points forts des femmes deviennent ainsi les points forts de La Haye», affirme la Fondation. Ces mots résument une certaine idée de l’«intégration» que je soutiens et expliquent pourquoi nous devons travailler en ce sens.

– Talente-entwicklung, Autriche

42. Le projet Talente-entwicklung («Développement de talents») cherche à favoriser les échanges entre personnes d’origines différentes – Autrichiens et nouveaux arrivants – au moyen de divers enseignements et activités portant, entre autres, sur les langues, l’éthique, l’économie et le développement durable. Des activités pratiques sont aussi consacrées par exemple à la cuisine en utilisant des produits typiquement autrichiens et du monde entier.

– Un témoignage intéressant: Fatuma Musa Afrah

43. En juin 2017, la commission sur l’égalité et la non-discrimination a tenu un échange de vues avec Fatuma Musa Afrah, une experte d’origine somalienne sur l’intégration des nouveaux arrivants et une intervenante dynamique actuellement basée à Berlin. Les compétences acquises par Mme Afrah proviennent en partie de sa propre expérience de nouvelle arrivante en Allemagne et de son travail de bénévole dans des camps de réfugiés. Ayant observé de près les différences de comportement entre hommes et femmes, elle est profondément convaincue que l’autonomisation des femmes doit constituer une priorité. Les hommes se sentent libres de sortir des camps, d’aller jouer au football ou même de sortir en boîte de nuit, alors que les femmes restent enfermées dans leurs chambres comme si sortir du camp était pour elles un comportement inapproprié. La clé est donc de sensibiliser les femmes à leurs droits. Différents moyens peuvent être employés à cette fin, à condition de bien prendre en compte les souhaits et les attentes des nouvelles arrivantes et de fournir aux mères des services de crèche ou de garderie pour leur permettre de suivre des activités de formation ou autres. L’apprentissage linguistique est le premier pas, et sans doute le plus important. L’éducation de base aux droits de l’homme est également importante. Mme Afrah a fourni un conseil général important qu’il est bon de garder en tête: lorsque l’on prépare des activités de soutien aux nouvelles arrivantes, il convient de ne pas perdre de vue que ces femmes ont souvent derrière elle un passé douloureux et ont parfois subi des violences sexuelles ou physiques, ou même été soumises à la torture. Leur fournir un lieu sûr est donc la première chose à faire pour commencer à répondre à leurs besoins.
44. Le témoignage de Mme Afrah a montré que la situation des femmes réfugiées varie en fonction de leur origine, de leur âge et de leur personnalité, et du fait de savoir si elles sont seules ou accompagnées par leur famille et des enfants. Le travail avec les réfugiées doit donc être un travail personnalisé, un processus au cas par cas. Le sens même de la notion d’intégration varie et ne peut s’appliquer de la même façon à chaque personne.

– Medica Mondiale, Germany

45. Medica Mondiale est une organisation qui travaille auprès des femmes et des jeunes filles dans les zones de conflit, dont l’Afghanistan, la République démocratique du Congo, le Liberia et le nord de l’Irak. Elle a développé une approche psychosociale unique pour intervenir auprès des femmes qui ont survécu à des actes de violence, une approche basée sur la solidarité et sensible au stress et autres traumatismes subis. Cette approche est désormais appliquée en Allemagne ainsi que dans d’autres régions d’Europe. Medica Mondiale a lancé un projet intitulé STAR (Stress and Trauma-sensitive Approach to promote Resilience of refugees) dans le Land de Rhénanie-Du-Nord-Westphalie. Un des points forts de STAR est le soutien des pairs, offert aux nouvelles arrivées par des femmes réfugiées ayant vécu un certain temps en Allemagne. Ce projet montre que différentes approches peuvent être combinées utilement. En effet, l’échange d’expériences est seulement l’un des éléments de ce projet. L’autonomisation des femmes, en particulier par l’amélioration de la confiance en soi, y joue également un rôle important. De plus, le soutien reçu des autorités locales est l’un des facteurs ayant déterminé son succès.

3.5. Facteurs structurels

46. Les facteurs structurels aptes à créer des conditions favorables à l’intégration sont de nature diverse. Ils comprennent premièrement la législation et les politiques, deuxièmement l’infrastructure et les services fournis par l'État et les collectivités locales, et troisièmement les services et l’infrastructure supplémentaires fournis par des acteurs non étatiques importants comme les organisations patronales et les syndicats. La réglementation légale et le soutien de l’administration publique déterminent aussi en grande mesure les possibilités d’intégration qui s’offrent aux nouveaux arrivants.

– Action des pouvoirs publics et infrastructure en Norvège

47. En Norvège, toute une série d’acteurs travaillent pour et avec les personnes d’origine immigrée: assistance et soutien leur sont apportés non seulement par les pouvoirs publics mais aussi par des organisations de la société civile; certaines d’entre elles ciblent spécialement les femmes.
48. Dans ce pays, l’infrastructure et les services d’intégration sont le résultat d’une réflexion approfondie au niveau politique et la dimension de genre de l’immigration est prise en compte dans toutes les politiques pertinentes. Les femmes immigrées peuvent par exemple s’occuper de leurs enfants à la maison pendant un an à compter de leur arrivée en Norvège (ce qui, d’un autre côté, peut rendre plus difficile pour ces femmes de nouer des liens avec la communauté locale et renforce le rôle de dispensatrice de soins qui leur est traditionnellement dévolu).
49. Le Gouvernement norvégien a adopté un plan d’action pour lutter contre les formes négatives de contrôle social, les mariages forcés et les mutilations génitales féminines, qui prévoit toute une gamme de mesures à appliquer de 2017 à 2020 
			(5) 
			The Right to decide
about one’s own life, An action plan to combat negative social control,
forced marriage and female genital mutilation 2017-2020 [Le droit
de décider de sa propre vie: Plan d’action pour combattre les formes négatives
de contrôle social, les mariages forcés et les mutilations génitales
féminines], Oslo, mars 2017.. Ce plan d’action est intitulé: «Le droit de décider de sa propre vie», ce qui indique bien que la liberté individuelle est considérée à juste titre comme quelque chose de non négociable. Le contrôle social négatif, défini comme «les différentes formes de surveillance, de pression, de menaces et de coercition employées pour s’assurer que les individus vivent conformément aux normes de la famille ou du groupe», est considéré comme un grand danger pour les droits de l'homme. Cet aspect de l’intégration des immigrés a probablement été négligé dans d’autres contextes et devrait faire partie du débat dans d’autres pays également.

– IMDi

50. La Direction gouvernementale de l’intégration et de la diversité (IMDi), a été créée le 1er janvier 2006 pour servir de «centre d’expertise et force motrice de l’intégration et de la diversité». Cette administration coopère avec les organisations d’immigrés, les municipalités, les organismes gouvernementaux et le secteur privé. Elle donne des conseils au gouvernement et met en œuvre les politiques publiques. Elle compte 220 agents et dispose d’un budget de 261,5 millions de couronnes (NOK). L’IMDi gère des subventions d’un montant d’environ 16 milliards de couronnes, soit l’équivalent de 1,6 milliard d’euros, ce qui est une somme considérable. Le caractère ambitieux du but poursuivi, à savoir «contribuer à garantir l’égalité des conditions de vie et la diversité par l’emploi, l’intégration et la participation», justifie l’investissement d’une telle somme d’argent public.

– Virke

51. La Fédération des entreprises de Norvège (Virke) représente plus de 20 000 entreprises qui emploient plus de 225 000 salariés en Norvège, dans des secteurs tels que le commerce, la technologie, le tourisme, la santé, l’éducation, la culture et l’action bénévole. Elle a accès au plus haut niveau politique puisqu’elle est consultée régulièrement par le gouvernement sur des questions économiques et influe activement sur la législation. Dans les limites de sa mission, Virke contribue à l’intégration des immigrés. Sa représentante, Mme Marte Buaas, m’a indiqué qu’un programme de mentorat pour les femmes d’origine immigrée avait été lancé en 2010. La Fédération identifie des personnalités aptes à servir de modèles positifs et donne aux stagiaires la possibilité d’entrer en contact avec elles et d’en tirer des enseignements. Il est en outre utile pour les employeurs d’apprendre à gérer la diversité, ce qui est de plus en plus important à l’heure de la mondialisation. La diversité sur le lieu de travail est une ressource et peut avoir des retombées positives sur l’activité des entreprises.

– FAFO

52. Le FAFO est un institut de recherche indépendant qui mène des études réalisées à la demande d’acteurs qui vont des syndicats aux organisations patronales en passant par les autorités locales et centrales, ainsi que des ONG. Le dernier entretien inscrit à mon programme de visite m’a permis de rencontrer la directrice de recherche du FAFO, Mme Hanne Cecilie Kavli, dont les travaux portent essentiellement sur la société multiculturelle et l’insertion des immigrés. Elle m’a fourni des informations sur la situation des immigrés en Norvège et j’ai pu discuter avec elle des questions d’éducation et de formation. Elle m’a expliqué qu’il fallait proposer aux immigrés une formation à la fois linguistique et professionnelle. La formation professionnelle est parfois négligée. Les stages d’accueil et d’orientation proposés aux immigrés ont un double objectif: faciliter l’accès à un emploi rémunéré, mais aussi la participation à l’ensemble de la vie sociale. Afin de réduire le nombre de participants, notamment de femmes, qui abandonnent la formation (problème que j’ai souvent observé en Allemagne), il importe de veiller à ce que les cours couvrent des questions touchant à la vie quotidienne.

– Action du conseil municipal de Milan

53. À Milan, j’ai rencontré Mme Diana de Marchi, présidente de la commission de l’égalité des chances et des droits civils du conseil municipal, et Mme Maryan Ismail, membre du Conseil national des communautés musulmanes. Le conseil municipal a inauguré il y a plusieurs années la Maison des droits, une structure publique proposant gratuitement des informations et des conseils juridiques, et mettant à disposition une ligne téléphonique d’urgence pour signaler les cas de discrimination fondée sur l’origine ethnique ou d’autres motifs. La lutte contre la traite des êtres humains fait également partie des priorités de cette Maison. En mai 2017, la Charte de Milan sur les migrations a été signée par un grand nombre de militants des droits de l’homme, d’avocats, d’intellectuels et de responsables politiques. Elle appelle les autorités nationales de toute l’Europe, ainsi que les institutions européennes, à protéger les droits des migrants, à promouvoir le rôle de la société civile et à veiller à ce que sa capacité d’apporter soutien et assistance aux migrants et aux réfugiés soit maintenue. La devise de la Charte est: «La solidarité n’est pas un crime.»

4. Prise en compte de la dimension de genre et protection des femmes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile dans les documents du Conseil de l’Europe

54. La Stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2018-2023 du Conseil de l’Europe, adoptée récemment, comprend un nouvel objectif stratégique: «Protéger les droits des femmes et des filles migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile» (objectif no 5). Cet objectif concerne les politiques en matière d’immigration, d’intégration et d’asile. Il confirme la reconnaissance croissante de l’importance des femmes dans ce contexte.
55. Selon la Stratégie, «[i]l est capital d’intégrer les questions d’égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les mesures d’intégration, de manière à ce qu’aussi bien les femmes que les hommes migrant-e-s soient conscient-e-s de la nécessité de respecter et de défendre les lois et les politiques en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, même si elles ne correspondent pas à la situation de leur pays d’origine. Cela favoriserait l’intégration dans les sociétés européennes et sur les marchés du travail européens, et profiterait à toutes les femmes et tous les hommes, aux filles et aux garçons».
56. La Stratégie ajoute que l’action du Conseil de l’Europe en ce domaine visera à «soutenir l’intégration systématique d’une perspective d’égalité entre les femmes et les hommes dans les politiques et les mesures concernant les migrations, l’asile et l’intégration pour garantir les droits humains et les libertés fondamentales des femmes et des filles, des hommes et des garçons migrant-e-s, réfugié-e-s, et demandeur-se-s d’asile, indépendamment des comportements liés à des traditions ou à des cultures».
57. Les femmes migrantes et demandeuses d'asile sont particulièrement vulnérables à la violence sexiste. La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (CETS no 210, «Convention d’Istanbul») stipule que ses dispositions doivent être appliquées sans aucune discrimination fondée sur le statut d’immigrée, de réfugiée ou autre, et prévoit des mesures spécifiques pour la protection des femmes immigrées. Elle envisage par exemple la possibilité d'accorder un permis de résidence autonome aux femmes migrantes afin d’éviter les situations où ces femmes ne pourraient échapper à une relation abusive par crainte de perdre leur statut de résidence.
58. En ce qui concerne spécifiquement les femmes réfugiées et les demandeuses d’asile, la Convention d'Istanbul exige des États parties qu'ils fassent en sorte que la violence contre les femmes fondée sur le genre puisse être reconnue comme une forme de persécution au sens de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés (article 60.1). Il s’agit ainsi de remédier à l’absence de prise en compte de la perspective de genre dans la réglementation en matière d’asile, qui peut empêcher des femmes victimes de violence d’obtenir la protection internationale à laquelle elles devraient avoir droit.
59. L’Assemblée parlementaire a abordé à plusieurs reprises des questions touchant à la situation des femmes immigrées. Je voudrais en particulier mentionner trois textes récents qui sont particulièrement pertinents dans le contexte de ce rapport.
60. La Résolution 2159 (2017) «Protéger les femmes et les filles réfugiées de la violence fondée sur le genre» 
			(6) 
			Voir
également le Doc. 14284 (rapporteure: Mme Gisela Wurm, Autriche, SOC). analyse les diverses formes de violence fondée sur le genre auxquelles sont confrontées les femmes réfugiées (contrainte, sexe comme moyen de survie, esclavage sexuel, prostitution forcée, violence domestique, harcèlement ou autres formes d’extorsion) et indique les mesures concrètes que devraient adopter les États membres, en particulier: prévoir des dortoirs séparés et sûrs pour les femmes réfugiées; assurer la présence de femmes en nombre suffisant parmi le personnel de sécurité et les travailleurs sociaux; et fournir aux femmes réfugiées, dans une langue comprise d’elles, des informations sur leurs droits et les services d’aide existants.
61. La Résolution 2167 (2017) sur les droits en matière d’emploi des travailleurs domestiques en Europe, spécialement ceux des femmes 
			(7) 
			Voir également le Doc. 14322 (rapporteur: M. Viorel Riceard Badea, Roumanie, PPE/DC). souligne la vulnérabilité des travailleurs domestiques dont l’activité se déroule dans l’intimité des foyers et qui sont souvent invisibles, sous-payés et non déclarés. L’Assemblée déclare dans ce texte, qui n’ignore aucunement la dimension de genre de la question, qu’il est urgent de reconnaître le travail domestique comme un «vrai travail».
62. Enfin, la Résolution 2176 (2017) «L’intégration des réfugiés en période de fortes pressions: enseignements à tirer de l’expérience récente et exemples de bonnes pratiques» 
			(8) 
			Voir également le Doc. 14329 (rapporteure: Mme Susanna Huovinen, Finlande, SOC). souligne que l’intégration des réfugiés est un processus long et complexe qui suppose une détermination durable de la part des réfugiés eux-mêmes et des autorités, et un engagement constant de la société civile. Dans ce texte, l’Assemblée réaffirme entre autres le principe important selon lequel l’intégration n’est pas synonyme d’assimilation («selon laquelle les nouveaux arrivants adoptent la culture, les valeurs et les traditions du pays hôte en lieu et place des leurs») et ne s’apparente pas non plus au multiculturalisme, avec des communautés menant des existences à part.
63. Les principes énoncés dans ces textes sont pertinents et opportuns. Ils ont guidé mon travail et je me suis efforcée de produire un rapport et une résolution en harmonie avec eux. Il m’a paru nécessaire cependant de mettre plus fortement l’accent sur la dimension de genre, en soulignant le rôle positif que peuvent jouer les femmes.

5. Conclusions

64. La manière dont est comprise et traitée l’intégration varie selon les États membres du Conseil de l’Europe, comme le montrent les visites d’information que j’ai effectuées pendant la préparation de ce rapport. L’histoire de chaque pays en matière d’immigration détermine les aspects de l’intégration qui sont privilégiés au niveau national.
65. Étant donné le rôle particulier que jouent les femmes dans l’intégration, notamment à l’intérieur de la famille et sous l’angle des générations futures, il est indispensable d’adopter une perspective de genre lors de l’élaboration des politiques d’intégration.
66. Le travail de recherche, les auditions et les visites d’information menées en vue de la préparation de ce rapport m’ont permis d’identifier six aspects, étroitement liés entre eux, qui sont pertinents au regard de l’intégration des femmes, à savoir: l’égalité juridique entre les femmes et les hommes et la protection des droits des femmes; l’autonomisation propre des femmes; leur autonomisation au sein de la famille; l’acquisition des compétences linguistiques de base; l’insertion dans le marché de l’emploi; et, enfin, la participation des femmes à la vie sociale.
67. J’ai également pu recueillir des indications utiles sur les mesures concrètes à prendre au regard de ces six aspects. L’éducation y tient une place déterminante: les nouvelles arrivantes devraient avoir accès à l’enseignement scolaire, à l’apprentissage tout au long de la vie et à la formation professionnelle. Le tout premier pas, cependant, est l’acquisition de la langue locale. La maîtrise de cette langue est le premier – et le plus important – outil d’intégration dans le pays d’accueil, et une condition indispensable pour l’accès à toutes les autres formes d’éducation. Souvent, il est utile d’inclure les hommes dans les activités d’intégration, plutôt que de cibler les femmes indépendamment. Toutefois, il est nécessaire de prévenir et de contrer les risques d’effets négatifs du contrôle social sur les femmes.
68. En Norvège, les politiques d’intégration sont mises en œuvre grâce à une coopération constante entre divers acteurs. Les pouvoirs publics participent à cette mise en œuvre au niveau central, régional et local, sur la base d’une claire répartition des tâches, et sont engagés en permanence dans un dialogue avec la société civile, notamment les organisations qui représentent les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile, en particulier les femmes. En effet, la contribution d’un large éventail d’acteurs – universités et autres établissements d’enseignement, syndicats et employeurs – est nécessaire. Même les organes diplomatiques et consulaires peuvent jouer un rôle dans la protection des droits des femmes.
69. L’exemple de la Norvège montre aussi que les politiques d’intégration nécessitent un financement adéquat. Les activités d’information et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes doivent constituer un élément à part entière des politiques d’intégration: les femmes et les hommes d’origine immigrée doivent en particulier être sensibilisés aux valeurs d’égalité entre les sexes qui sont inscrites dans les systèmes légaux des États membres du Conseil de l’Europe.
70. Les femmes devraient aussi, dans la mesure du possible, recevoir des conseils au sujet des possibilités d’éducation et d’emploi qui s’offrent à elles dans le pays d’accueil, en les aidant aussi à comprendre les attentes de la société hôte qui ne sont pas nécessairement identiques à celles de leur pays d’origine. En apprenant à connaître leur rôle et leurs opportunités, les femmes développeront leur amour propre et acquerront une plus grande confiance dans leurs capacités personnelles. Les programmes de mentorat et l’exemple de personnalités modèles pourront y contribuer de manière efficace. Les programmes d’intégration mis en œuvre en Allemagne offrent de bons exemples à cet égard, qui pourront être reproduits dans d’autres contextes.
71. Il faut aujourd’hui investir du temps et des ressources pour faciliter l’intégration des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile, dans l’intérêt du bien-être de l’ensemble de la société. Le rôle clé des femmes dans ce processus doit être reconnu et mis en valeur. Elles constituent en effet des acteurs clés du changement et méritent d’être soutenues dans cette fonction. L’argent utilisé à cette fin ne constituera pas tant une dépense qu’un investissement en vue de l’avenir dans nos pays, et contribuera de manière positive non seulement à la production de richesse mais aussi au maintien de la cohésion sociale.