1. Introduction
1. Le 21 mars 2017, j’ai déposé
une proposition de résolution inspirée par un discours prononcé
par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme,
M. Zeid Ra’ad Al Hussein, lors de la 33e session du
Conseil des droits de l’homme, le 13 septembre 2016. M. Al Hussein
faisait part dans son discours de ses préoccupations au sujet «du
refus croissant d’un nombre toujours plus important d’États membres
[des Nations Unies]» d’autoriser ses services ou ceux d’autres mécanismes
de protection des droits de l’homme à se rendre dans leur pays en
général ou dans des régions particulières de celui-ci. Au nombre
de ces préoccupations figurent plusieurs exemples qui concernent
des États membres du Conseil de l’Europe, en particulier le sud-est
de la Turquie, la région ukrainienne de Crimée (annexée illégalement
par la Fédération de Russie), les régions géorgiennes d’Abkhazie
et d’Ossétie du Sud (deux États autoproclamés, que ne reconnaissent
pas la quasi-totalité des membres de la communauté internationale
et qui bénéficient du soutien de la Russie), la région du Haut-Karabakh
de l’Azerbaïdjan
, dont l’indépendance autoproclamée
n’a pas été reconnue par la communauté internationale, où l’Arménie
exerce un contrôle effectif
, et l’Arménie.
La proposition de résolution faisait ensuite remarquer que les organes
de suivi du Conseil de l’Europe, notamment le Commissaire aux droits
de l’homme, avaient eu eux aussi du mal à se rendre dans certains
États membres ou certaines régions. Elle ajoutait que les États
membres du Conseil de l’Europe devaient donner l’exemple, en coopérant
avec l’ensemble des organes de défense des droits de l’homme auxquels
ils participent, et permettre une coopération entre les organes
du Conseil de l’Europe et des Nations Unies, de manière à intensifier
les synergies et à éviter le chevauchement d’initiatives parallèles.
La proposition de résolution préconisait par conséquent que l’Assemblée
examine les voies et moyens d’améliorer la coopération entre les
organes de suivi des droits de l’homme et de leur garantir un accès
sans entrave à tous les territoires de notre continent.
2. L’Assemblée a renvoyé cette proposition de résolution à la
commission des questions juridiques et des droits de l’homme le
30 mai 2017. J’ai été nommé rapporteur le 9 octobre 2017. Le 18
juin 2018, je me suis rendu à Genève où j’ai rencontré le Haut-Commissaire
aux droits de l’homme des Nations Unies, M. Al Hussein. Le 28 juin,
la commission a procédé à un échange de vues avec M. Christos Giakoumopoulos, Directeur
général «Droits de l'Homme et Etat de Droit» du Conseil de l’Europe.
3. Ce rapport abordera trois aspects de cette situation: premièrement,
j’examinerai dans quelle mesure les États membres du Conseil de
l’Europe ne coopèrent pas avec les mécanismes de suivi des droits
de l’homme des Nations Unies et du Conseil de l’Europe et comment
les deux organisations ont réagi face à ce problème; deuxièmement,
j’analyserai la coopération qui existe entre les Nations Unies et
le Conseil de l’Europe sur les questions relatives au suivi des
droits de l’homme; enfin, troisièmement, j’examinerai si, et comment,
une coopération et une coordination plus étroites entre les deux
organisations permettrait de renforcer le suivi des droits de l’homme
dans les situations qui posent problème.
2. Le(s) discours prononcé(s) par le Haut-Commissaire
aux droits de l’homme des Nations Unies devant le Conseil des droits
de l’homme
4. Dans son discours percutant
et passionné de septembre 2016, M. Al Hussein a évoqué plusieurs
points avec lesquels je suis totalement en accord et qui méritent
d’être rappelés ici. «Les membres des gouvernements me répètent
souvent (…) que les droits de l’homme sont utilisés de manière abusive,
comme un prétexte à une ingérence dans les affaires intérieures
des États souverains (…). Ils jugent les déclarations faites par
le Conseil des droits de l’homme au sujet d’allégations crédibles
de violations (…) “partiales”, “irresponsables”, “fallacieuses”
ou fondées sur des “hypothèses erronées”», a-t-il déclaré. Nous
avons déjà entendu les autorités et les représentants d’États membres
du Conseil de l’Europe tenir ce genre de propos, y compris au sein
de l’Assemblée. M. Al Hussein a par ailleurs posé une question qui
présente une importance fondamentale pour toute organisation internationale
vouée à la promotion et à la protection des droits de l’homme: «La
question des droits de l’homme est-elle exclusivement nationale?
Il appartient aux gouvernements de respecter leurs obligations en
matière de droits de l’homme et de respecter les normes en vigueur.
Mais le respect des droits de l’homme de toute personne, dans n’importe
quel pays, exige également – cela ne fait pas l’ombre d’un doute
– que nous lui accordions notre attention collectivement.» Il a
ensuite conclu très clairement au sujet des pays qui refusent de
coopérer avec les mécanismes internationaux de suivi des droits
de l’homme que «[l]es violations des droits de l’homme ne disparaîtront
pas si un gouvernement empêche l’accès des observateurs internationaux
et se lance ensuite dans une campagne de relations publiques destinée
à neutraliser toute publicité indésirable. Les efforts qu’ils déploient
pour esquiver ou refuser tout examen attentif de la situation nous
conduisent au contraire à nous poser une question évidente: quels sont
au juste les éléments que vous nous dissimulez?».
5. M. Al Hussein est revenu sur le sujet de l’accès des observateurs
internationaux lors de son allocution prononcée à l’occasion de
la 35e session du Conseil des droits
de l’homme, le 6 juin 2017. Une fois de plus, il a déploré le refus
opposé par la Turquie aux initiatives prises pour enquêter sur les
allégations de graves violations commises dans le sud-est du pays;
il a d’autre part salué l’intention manifestée par l’Arménie de renforcer
son engagement avec le Haut-Commissariat. Il s’est également réjoui
du fait que la Géorgie et l’Italie avaient toutes deux reçu plus
de cinq visites effectuées par les titulaires de mandats de procédures
spéciales du Conseil des droits de l’homme au cours des cinq années
précédentes.
6. Le 18 juin, date à laquelle je l’ai rencontré, M. Al Hussein
a prononcé ce qui sera sa dernière allocution (voir le paragraphe
suivant) devant le Conseil des droits de l’homme, à l’occasion de
sa 38e session. Il a une nouvelle fois
pointé du doigt «le troublant refus d’autoriser l’accès opposé par
un certain nombre de pays», qu’il a qualifié de «grave affront à
notre activité». Il a fait remarquer que ses services n’étaient
toujours pas autorisés à se rendre dans le sud-est de la Turquie,
bien qu’il ait constaté que la Turquie avait reçu des visites effectuées
par des organes des Nations Unies ayant trait aux questions de torture,
de liberté d’expression et de disparitions forcées en 2016. Il a
profondément regretté «l’absence d’avancée» dans l’obtention d’un
accès à «l’ensemble des conflits prolongés du Caucase du Sud», y
compris par «les autorités qui contrôlent» certaines parties du
territoire géorgien, dans le cadre des résolutions du Conseil des
droits de l’homme. M. Al Hussein a fait observer que les réponses
données par la Russie aux demandes de visite en Crimée adressées par
ses service, ainsi que par les titulaires de mandats de procédures
spéciales des Nations Unies, étaient «incompatibles avec les résolutions
de l’Assemblée générale», «bien qu’elles reconnaissent que les mécanismes
internationaux de protection des droits de l’homme doivent pouvoir
exercer leurs activités en Crimée». Il a également critiqué le refus
officiel de la Russie de répondre à toute communication de l’expert indépendant
sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre du Conseil des
droits de l’homme – malgré les graves allégations de persécution
de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre et intersexe (LGBTI),
surtout en République tchétchène – qui illustre «une attitude qui
priverait les décisions du Conseil de tout leur sens». M. Al Hussein
a également mentionné le fait que ses services et les titulaires
de mandats avaient été autorisés à accéder à la région de Transnistrie
dans la République de Moldova.
7. La question de l’accès n’était de loin pas la seule source
de préoccupation évoquée par M. Al Hussein dans ces discours prononcés
devant le Conseil des droits de l’homme, mais elle correspond à
mon mandat de rapporteur. Ses inquiétudes d’ordre général, qui concernent
à la fois l’attitude des États et la possibilité de la modifier
par l’intermédiaire des organes des Nations Unies, ont continué
de plus belle. Cette situation a contribué à le décider à ne pas
se présenter pour un second mandat de quatre ans; dans un courrier électronique
adressé aux membres de ses services que, «dans la situation géopolitique
actuelle, [briguer un deuxième mandat] pourrait [le] conduire à
supplier à genoux, modérer [son] discours de sensibilisation, renoncer
en partie à l’indépendance et à l’intégrité de [sa] parole»
.
Il est extrêmement regrettable qu’un défenseur et un partisan des
droits de l’homme aussi infatigable et courageux que M Al Hussein
quitte sa fonction de Haut-Commissaire, même si l’on peut espérer
qu’il aura pour successeur une personne de la même trempe. Il est
encore plus décourageant de savoir qu’il quitte ses fonctions essentiellement
parce qu’un grand nombre d’États, y compris des États membres du
Conseil des droits de l’homme, ont constamment manqué à leurs obligations,
et parce qu’il a le sentiment que le soutien politique indispensable
pour amener ces États à rendre réellement des comptes lui fait défaut.
8. Deux exemples récents de l’absence de coopération des États
membres du Conseil de l’Europe avec les visites obligatoires des
organes conventionnels de suivi des Nations Unies concernent le
Sous-comité pour la prévention de la torture (SPT), établi dans
le cadre du Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations
Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants (OPCAT). En septembre 2014, le SPT a suspendu
une visite en Azerbaïdjan après avoir été «empêché de se rendre
dans plusieurs lieux de détention et s’être vu interdire d’effectuer
son travail sur d’autres sites», ce qui représentait selon lui «de
graves violations des obligations de l’Azerbaïdjan», de sorte que
«l’intégrité de ses visites (…) s’en trouvait compromise au point
que celles-ci ont dû être suspendues»
.
En mai 2016, le SPT «a suspendu sa visite en Ukraine après s’être
vu refuser l’accès à des lieux situés dans plusieurs régions du
pays où il soupçonne que des personnes sont privées de liberté par
le Service de Sécurité ukrainien», notamment «certains lieux au
sujet desquels de nombreuses et graves allégations font état de
personnes détenues et d’actes de torture ou de mauvais traitements
qui peuvent avoir été commis»; là encore, le SPT «a conclu que l’intégrité
de la visite (…) se trouvait compromise au point que celle-ci a
dû être suspendue, car le SPT était dans l’impossibilité d’exercer
pleinement son mandat»
. Bien que les deux visites
aient ensuite pu avoir lieu sans entrave, les activités des organes
de suivi de la détention, comme le SPT (et le CPT), dépendent de
leur capacité à effectuer des visites inopinées et sans entrave
dans l’ensemble des lieux où les personnes peuvent être privées
de liberté; l’obstruction et les retards nuisent à l’efficacité
du suivi de la détention en laissant aux autorités la possibilité
d’améliorer les conditions de détention et de faire disparaître
tout élément de preuve des mauvais traitements commis.
9. Une étude réalisée en 2016 présente des données qui soulignent
les préoccupations évoquées par le Haut-Commissaire à propos des
activités exercées dans le cadre des procédures spéciales du Conseil
des droits de l’homme. Entre 2006, c’est-à-dire l’année où le Conseil
des droits de l’homme a été créé, et 2015, le nombre de visites
de pays effectuées et achevées en application des diverses procédures
spéciales a considérablement augmenté. Mais en parallèle, le nombre
de visites de pays «demandées» (demandées, mais qui n’ont pas été
acceptées, entreprises ou achevées) a également fortement augmenté;
en 2015, le nombre de visites «demandées» était pratiquement équivalent
à celui des visites «achevées». Cette étude, ainsi que les données
disponibles sur le site internet du Haut-Commissariat aux droits
de l'homme, révèlent l’augmentation également substantielle du nombre
d’États ayant adressé des «invitations permanentes» pour l’ensemble
des procédures spéciales thématiques; le 5 juillet 2018, tous les
États membres du Conseil de l’Europe, à l’exception de la Russie,
avaient adressé des invitations permanentes. S’il y a lieu de s’en
féliciter, l’étude de 2016 fait remarquer que «de nombreux États
[qui ont adressé une invitation permanente] rejettent, ignorent
ou retardent (…) les demandes» de visite
.
3. La
situation au sein du Conseil de l’Europe
10. Al Hussein a évoqué plusieurs
territoires situés au sein de l’espace du Conseil de l’Europe, qui
sont connus pour poser problème sur le plan de la protection des
droits de l’homme et de l’obligation de rendre des comptes en la
matière: le sud-est de la Turquie, la Crimée, l’Abkhazie, l’Ossétie
du Sud et le Haut-Karabakh. En dehors du sud-est de la Turquie,
toutes ces régions ont une caractéristique commune: leur revendication de
souveraineté est contestée, soit parce que leur indépendance autoproclamée
n’a pas été reconnue par la communauté internationale, soit, comme
c’est le cas pour la Crimée, parce qu’elles ont été annexées illégalement
par un autre État. On peut ajouter à cette liste de territoires
qui posent problème la partie nord de Chypre, dont l’indépendance
autoproclamée est uniquement reconnue par la Turquie; la Transnistrie, reconnue
uniquement par les autorités de fait de l’Abkhazie, de l’Ossétie
du Sud et de «l’Artsakh» (le Haut-Karabakh); le Kosovo*
,
reconnu par une majorité d’États membres du Conseil de l’Europe;
et les «républiques populaires» autoproclamées de Donetsk et Louhansk
dans l’est de l’Ukraine, qui sont toutes deux uniquement reconnues
par les autorités de fait de l’Ossétie du Sud. Sur le plan du suivi
des droits de l’homme par le Conseil de l’Europe, il convient cependant
d’établir d’importantes distinctions entre ces différents territoires;
nous les examinerons plus loin.
11. La situation en Fédération de Russie est elle aussi complexe,
en particulier pour le suivi du Commissaire aux droits de l’homme
et de l’Assemblée parlementaire. Le Commissaire aux droits de l’homme
a annulé sa visite du mois d’octobre 2016 en Russie en raison des
«restrictions inacceptables imposées à son programme» et ne s’est
pas rendu dans le pays depuis. Cela ne l’a pas empêché d’aborder
des questions qui concernent la Russie, notamment au moyen de déclarations,
articles et tierces interventions devant la Cour européenne des
droits de l’homme («la Cour»). De tels actes ne représentent cependant
pas le suivi effectif prévu par le mandat du Commissaire. Quant
à l’Assemblée, sa capacité à se mettre en rapport avec les autorités
russes et à contribuer ainsi à la mise en œuvre des normes du Conseil
de l’Europe en matière de droits de l’homme dans le Caucase du Nord
ou par rapport au meurtre de Boris Nemtsov, par exemple, a été considérablement entravée
depuis le mois d’avril 2014 par la décision prise par le Parlement
russe de ne pas coopérer avec l’Assemblée et, depuis janvier 2015,
de ne pas envoyer de délégation à l’Assemblée.
12. Bien que la Cour, grâce à sa doctrine de la juridiction extraterritoriale
fondée sur l’exercice du contrôle effectif, ait affirmé que les
particuliers et les États pouvaient introduire des requêtes depuis
ou au sujet des «zones grises», l’exécution des arrêts de la Cour
peut poser problème. S’agissant de la Transnistrie, par exemple,
la Russie affirmait constamment n’être pas en mesure d’exécuter
l’arrêt
Ilascu, alors que
la Cour a constaté que la Russie exerçait une compétence extraterritoriale
sur la région
. Pour les autres arrêts
qui concernent la Transnistrie, le Conseil de l’Europe jouit cependant
d’une coopération bien meilleure, aussi bien avec la Russie qu’avec
la République de Moldova, dont il rencontre régulièrement les représentants
pour examiner les avancées à ce sujet
. Contrairement à
la position qu’elle adopte dans l’arrêt
Ilascu,
la Russie a fait part de sa volonté d’exécuter les arrêts de la
Cour relatifs à Simferopol en Crimée qui ont été rendus avant l’annexion
illégale de ce territoire, alors même que l’État défendeur et toujours
souverain est l’Ukraine. Même si cette situation peut présenter
un avantage pour le respect des droits de l’homme en Crimée, du
point de vue du Conseil de l’Europe elle est extrêmement problématique
sur le plan juridique et politique.
13. En principe, le Commissaire aux droits de l’homme représente
le mécanisme de suivi le plus souple. Les Commissaires, Gil Robles
et Hammarberg se sont rendus tous deux dans le Caucase du Nord;
le Commissaire Muižnieks n’y a pas effectué de visite, mais a traité
de questions relatives à la région par d’autres moyens
. Les commissaires
successifs se sont également rendus au Kosovo, au sujet duquel ils
ont publié des rapports
. Dans le cadre
de sa visite à Chypre, qui a fait l’objet d’un rapport en 2004,
le Commissaire Gil Robles a abordé la situation dans la partie Nord
de l’île
.
Le Commissaire Hammarberg a rencontré les autorités de fait d’Ossétie
du Sud et d’Abkhazie lors de sa visite de 2007
et
a tout particulièrement agi après le conflit de 2008 en Ossétie
du Sud, en proposant «six principes pour la protection des victimes»
et en facilitant un certain nombre d’échanges de prisonniers
. En
janvier 2012, le Commissaire Hammarberg s’est rendu en Transnistrie
«pour discuter avec les autorités de fait (…) et les représentants
des structures de défense des droits de l’homme de questions pressantes
touchant à la protection des droits des personnes vivant dans la
région»
.
Le Commissaire Muižnieks s’est également rendu en Transnistrie en
octobre 2017, dans le cadre d’une visite en République de Moldova
. En septembre 2014,
le Commissaire Muižnieks a effectué une visite à Kyiv, Moscou et
Simferopol pour la préparation de la première évaluation sur le
terrain de la situation des droits de l’homme en Crimée depuis mars
2014 par une institution internationale
.
14. Le CPT a pu visiter plusieurs «zones grises». En 2000, 2003
et 2006, par exemple, il a effectué avec succès des visites en Transnistrie.
Il est intéressant de constater que le rapport de la visite de 2000
a été publié avec l’accord «du Gouvernement moldave et des autorités
locales de la région transnistrienne de la République de Moldova»
et qu’il comportait uniquement les réponses de cette dernière
.
Mais en 2010, le CPT a interrompu sa visite en Transnistrie à la
suite du refus des autorités locales d’autoriser ses membres à s’entretenir
en privé avec des prévenus; cette question n’a toujours pas été
réglée et aucune visite ultérieure n’a eu lieu
.
Après être entré en contact avec le Gouvernement géorgien et les
autorités de fait de l’Abkhazie, le CPT a également effectué une
visite en Abkhazie en 2009, qui a fait l’objet d’un rapport remis
à la Géorgie
. Au
cours de cette période, le CPT a par ailleurs eu des contacts avec
les autorités de fait d’Ossétie du Sud, mais il n’a pas encore visité
ce territoire. Le CPT a pu se rendre au Kosovo depuis 2006 à la
suite d’un accord avec la Mission d’administration intérimaire des
Nations Unies au Kosovo (MINUK) et d’un échange de lettres avec
le Secrétaire Général de l'Organisation du Traité de l'Atlantique
Nord (OTAN). Les visites ont eu lieu en 2007, 2010 et 2015 et ont
donné lieu à des rapports officiellement remis à la MINUK et suivis
de ses réponses, malgré l’évolution de la situation politique et
administrative locale à la suite de la déclaration d’indépendance de
février 2008 et le début des opérations de la Mission Etat de droit
de l’Union européenne au Kosovo (EULEX) en décembre 2008
. Le CPT a également
pu effectuer des visites en Tchétchénie à plusieurs reprises pendant
le conflit et l’opération de lutte contre le terrorisme (1999-2009),
y compris en 2001, 2002 et 2003, et plus généralement dans le Caucase
du Nord en 2004, 2006 et 2008; malheureusement, la Russie n’a autorisé
la publication d’aucun rapport consacré à ces visites, même si le
CPT est parvenu à faire connaître certaines de ses constatations
au moyen de déclarations publiques exceptionnelles en 2001, 2003
et 2007. S’agissant du suivi des «zones grises» par le CPT, M. Costakis
Paraskeva, membre du CPT, a proposé deux conditions préalables:
les autorités de droit de l’État Partie doivent faciliter le travail
du CPT en permettant l’établissement d’un dialogue satisfaisant
entre le CPT et les autorités de fait avant, pendant et après la
visite; les autorités de fait doivent accepter l’ensemble des prérogatives
du CPT, même si elles ne s’estiment pas liées officiellement par
les dispositions des traités pertinents
.
15. Le Comité consultatif pour la protection des minorités nationales
établi au titre de la Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales (STE no 157) a trouvé le moyen
de rendre des rapports sur certaines «zones grises». Dans le cadre
d’un accord conclu en 2004 entre le Conseil de l’Europe et la MINUK, le
Comité consultatif a entamé le suivi de la mise en œuvre de la Convention-cadre
au Kosovo; depuis cette date, quatre cycles de rapports ont été
achevés, en 2005, 2008, 2012 et 2016, qui comportent des rapports
et les observations officielles de la MINUK au sujet des avis du
Comité consultatif. En 2014, le Comité consultatif a publié un rapport
ad hoc sur la situation des minorités nationales en Ukraine, dans
lequel il a accordé une attention particulière à la situation des
Tatars de Crimée depuis l’annexion illégale de la Crimée par la
Russie; la délégation ne s’est pas rendue elle-même en Crimée, mais
a rencontré des représentants des Tatars de Crimée à Kiev et Odessa
.
16. En janvier 2016, à la demande du Secrétaire Général Jagland,
l'Ambassadeur suisse Gérard Stoudmann a effectué la première visite
d'une délégation internationale des droits de l'homme en Crimée depuis
18 mois. Le rapport qui en résulte ne traite pas des questions de
statut, tout en rappelant que le Conseil de l'Europe respecte pleinement
l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Il traitait «des questions
relatives aux normes et aux engagements inscrits dans la Convention
européenne des droits de l'homme (STE no 5),
ainsi que des recommandations et des propositions d'actions rapides
possibles, à l'attention du Secrétaire Général». Ces questions concernaient
l'application de la loi, les disparitions forcées, le système judiciaire,
les établissements pénitentiaires, la situation des Tatars de Crimée
et d'autres minorités, la liberté de religion, la liberté d'expression
et des médias, la liberté d'association et de réunion, l'éducation
et des questions humanitaires
.
17. Giakoumopoulos a souligné l’existence d’une grande diversité
de zones «grises» ou zones de conflit qui posaient problème et l’absence
d’une solution unique et générale. L’obtention, par les mécanismes
de suivi, de l’autorisation d’accès à des zones litigieuses qui
échappent au contrôle des autorités compétentes légitimes se heurte
à divers problèmes pratiques ou politiques (plus rarement à des
problèmes de sécurité). Certaines difficultés sont à la fois d’ordre
pratique et politique. L’itinéraire géographique emprunté pour accéder
à un territoire présente par exemple des difficultés à la fois pratiques
et politiques; l’entrée via la frontière commune d’un État souverain
et d’un pays voisin à un point qui se trouve sous le contrôle d’autorités
de fait pourrait être interprété comme une reconnaissance de la
légalité de leur pouvoir de contrôler l’accès à ce territoire litigieux ou
la circulation au sein de ce même territoire. De même, les contacts
établis avec les autorités de fait pour préparer une visite pourraient
également représenter une forme de reconnaissance. Les organes du
Conseil de l’Europe qui ont obtenu l’accès à des zones «grises»
y sont souvent parvenus grâce à une coopération étroite avec d’autres
organisations internationales déjà présentes sur le terrain, notamment
à diverses reprises les Nations Unies, l’Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe (OSCE) et l’Union européenne.
18. Pour ce qui est du suivi conventionnel, qui représente le
principal modèle de suivi du Conseil de l’Europe, les autorités
de fait ne sont pas juridiquement liées par le traité concerné.
Le dialogue entre les autorités de fait et l’organe de suivi ne
peut donc se fonder sur le traité lui-même, mais uniquement sur
des préoccupations et dispositions techniques particulières. Dans
des situations comme celles que rencontre le CPT, dont le travail
exige un accès complet et sans entrave à l’ensemble des lieux de
privation de liberté, il peut être difficile de parvenir à un accord
satisfaisant, par exemple à un accord sur les immunités des membres et
collaborateurs de l’équipe de suivi. Les visites d’étude ad hoc
restent possibles, mais ne sont pas comparables, car elles ne donnent
pas lieu au même processus de vérification du respect des obligations conventionnelles,
puis à la formulation de recommandations visant à l’amélioration
de la mise en œuvre de normes contraignantes précises.
19. Les organes de suivi adressent généralement des rapports aux
États Parties, mais lorsqu’une visite concerne plus précisément
une région qui échappe au contrôle des autorités d’un État Partie,
le fait d’adresser un rapport aux autorités de fait pourrait être
interprété comme une forme de reconnaissance de ces dernières. En
outre, les rapports des organismes de suivi comportent souvent les
réponses des autorités nationales, mais la réponse des autorités
de fait est dépourvue de fondement juridique. La publication des
rapports du CPT exige en particulier l’autorisation de l’État Partie;
là encore, cette situation se complique en cas de visite dans une
région contrôlée par une autorité de fait et présente une dimension
politique: le fait de demander ou de dépendre de «l’autorisation»
des autorités de fait pour procéder à une publication est dépourvue
de fondement juridique conventionnel et peut être pris pour une
marque de reconnaissance. La terminologie employée pour décrire
le statut des territoires et les autorités dans les rapports, ainsi
qu’au cours des contacts préparatoires, représente un élément crucial,
toujours extrêmement sensible et souvent très difficile.
20. Le suivi des droits de l’homme n’équivaut pas à des visites
humanitaires ad hoc ponctuelles; il concerne la gouvernance, les
droits et la mise en œuvre des normes juridiques et des mesures
prises pour remédier aux manquements constatés. Le suivi des droits
de l’homme est étroitement lié aux questions d’État de droit et
vise à améliorer la situation des personnes qui résident dans un
territoire donné. Les recommandations formulées dans le cadre d’un
suivi comportent souvent des propositions de modification des normes,
d’élaboration de pratiques compatibles avec le respect des droits
de l’homme et de mise en place de nouvelles institutions. Mais lorsqu’il
est question de «zones grises», ces propositions peuvent être sources
de tension avec les autorités de droit, qui cherchent à prévenir
jusqu’à l’apparence d’une reconnaissance, par une organisation internationale,
de la légalité des autorités de fait. En revanche, lorsque les autorités
centrales de droit ont un intérêt politique à voir s’effectuer un
rapprochement avec les autorités de fait, l’action des organes de
suivi, ainsi que leurs rapports et recommandations, peuvent s’avérer
fort utiles pour progresser sur la voie de l’établissement de la
confiance et de la paix, en se fondant sur le respect des droits
de l’homme et en garantissant celui-ci.
21. Lors d’une conférence consacrée à «La dignité humaine en temps
de conflits et de crises – Les droits de l’homme et le droit humanitaire
à la croisée des chemins» (Nafplion, Grèce, 26-27 mai 2017), le prédécesseur
de M. Giakoumopoulos au poste de directeur général, M. Philippe
Boillat, a prononcé un discours dans lequel il proposait une solution
pour surmonter les obstacles rencontrés par les organes de suivi au
cours de leurs interventions dans les «zones grises». S’inspirant
de l’exemple de la Crimée, M. Boillat a observé que l’accès sur
place dépendait du consentement de l’État, en l’absence duquel aucun
organe de suivi ne s’était rendu en Crimée depuis 2014, qu’il s’agisse
d’un organe soumis à l’obtention d’une autorisation, comme la Commission
européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), ou d’un organe
dont le mandat ne prévoit juridiquement aucune exigence d’autorisation,
comme le CPT, qui a le droit de se rendre dans tout lieux de détention
en temps de paix, de conflit ou d’état d’urgence. M. Boillat a ainsi
soutenu que le principe de responsabilité collective devait primer
sur le refus d’autorisation d’un État lorsque la dignité humaine
était en jeu, ce qui donnait naissance à une «présomption de consentement
de l’État» à une intervention dans les régions litigieuses. À l'heure
actuelle, l'absence de consentement, quelle qu'en soit la justification,
empêche toute intervention du Conseil de l'Europe dans les zones
contestées. La présomption de consentement, même réfragable, permettrait
de renverser cette tendance, au moins dans les cas les plus graves
de violation de la dignité humaine, comme les menaces pour la vie,
la torture, les traitements inhumains ou dégradants ou le refus
de satisfaire aux besoins humanitaires élémentaires. De ce point
de vue, l’article 9 de la Convention européenne pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(STE no 126) est éclairant, car il permet
à un État de faire connaître ses objections au moment ou au lieu
d’une visite du CPT «dans des circonstances exceptionnelles [uniquement]
pour des motifs de défense nationale ou de sûreté publique ou en
raison de troubles graves dans les lieux [de détention], de l'état
de santé d'une personne ou d'un interrogatoire urgent, dans une
enquête en cours, en relation avec une infraction pénale grave».
4. La
coopération entre les mécanismes de protection des droits de l’homme
du Conseil de l’Europe et des Nations Unies
22. Il suffit de lire les préambules
de la Charte des Nations Unies de 1945 et du Statut du Conseil de
l’Europe (STE no 1) de 1949 – qui réaffirment
tous deux leur engagement en faveur de la paix, de la démocratie,
des droits de l’homme et de l’État de droit – pour constater le
parallélisme entre les missions essentielles des deux organisations.
Leurs rapports synergétiques, qui se renforcent mutuellement, sont
illustrés par le préambule de la Convention européenne des droits
de l’homme de 1950, résolu «à prendre les premières mesures propres
à assurer la garantie collective de certains des droits énoncés
dans» la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée
par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948. Les rapports
entre les deux organisations se fondent sur un accord passé entre
leurs secrétariats respectifs le 15 décembre 1951 et sur un échange
de lettres du 19 novembre 1971, qui porte sur des dispositions en
matière de coopération et de liaison. Depuis, plusieurs autres accords
et protocoles d’accords ont été signés par le Conseil de l’Europe
et divers organes des Nations Unies, notamment le Haut-Commissariat
aux droits de l'homme (HCDH), le Haut-Commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés (HCR), l’UNICEF et l’ONU Femmes. Les organes des Nations
Unies ont également la possibilité de participer à divers comités
d’experts du Conseil de l’Europe: le Haut-Commissariat aux droits
de l'homme, par exemple, peut participer aux réunions du Comité
directeur pour les droits de l’homme (CDDH), du Comité ad hoc sur
les droits des personnes handicapées (CAHDPH), du Comité ad hoc
d’experts sur les questions relatives aux Roms et aux Gens du voyage
(CAHROM) et du Comité ad hoc pour les droits de l’enfant (CAHENF)
.
23. Les contacts à haut niveau se sont poursuivis jusqu’à aujourd’hui:
ainsi, le 12 février 2015, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme
des Nations Unies, M. Al Hussein, s’est adressé au Comité des Ministres; le
23 juin 2015, le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon
s’est adressé à l’Assemblée parlementaire; et le 15 février 2018,
le président du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, M. Vojislav
Šuc, s’est adressé au Comité des Ministres. De même, le Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe a pris la parole devant les organes
des Nations Unies, notamment au «Segment de haut niveau» du Conseil
des droits de l’homme en 2016. Les contacts et les échanges d’informations
sont également facilités par les services diplomatiques communs
des États membres; ainsi, le 9 février 2018, l’ambassadeur d’Islande auprès
des Nations Unies et président de la Troisième Commission de l’Assemblée
Générale, qui traite des questions relatives aux droits de l’homme
et reçoit les rapports des procédures spéciales du Conseil des droits de
l’homme, a présenté une note d’information au Comité des Ministres
sur les travaux de la Troisième Commission lors de la 72e session
de l’Assemblée générale
.
24. Tous les deux ans, l'Assemblée Générale des Nations Unies
adopte une résolution sur «la coopération entre les Nations Unies
et le Conseil de l’Europe», sur la base d’un projet adopté par le
Comité des Ministres du Conseil de l’Europe et déposé à New York
par son président. La résolution la plus récente, qui date de 2016, «demande
de nouveau que la coopération entre l’Organisation des Nations Unies
et le Conseil de l'Europe soit renforcée en ce qui concerne la protection
des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la promotion de
la démocratie, de l'état de droit et de la bonne gouvernance à tous
les niveaux». La résolution, malgré son approche généraliste, donne
une vue d’ensemble de certaines activités concrètes de coopération
entre les deux organisations. Elle encourage notamment la poursuite
de la coopération entre les mécanismes des deux organisations dans
le domaine de la prévention de la torture, de la lutte contre la
traite des êtres humains, des droits de l’enfant, de l’égalité entre
hommes et femmes, de la liberté d’expression, des nouveaux médias
et de la société de l’information, ainsi qu’avec le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés. La résolution de 2016 prend
également note de «la contribution du Conseil de l’Europe (…) à
l’examen périodique universel [par le Conseil des droits de l’homme
des Nations Unies] de la situation des droits de l’homme dans les
États qui en sont membres», de «la mise en œuvre effective de la
déclaration commune sur le renforcement de la coopération entre
le secrétariat du Conseil de l’Europe et le Haut-Commissariat des
Nations Unies aux droits de l’homme [signée le 26 septembre 2013]»
et encourage les Nations Unies, «notamment le Conseil des droits
de l’homme, les titulaires de mandat au titre d’une procédure spéciale,
le Haut-Commissariat et les organes conventionnels des droits de
l’homme, et le Conseil de l’Europe, ainsi que son Commissaire aux
droits de l’homme, à continuer de coopérer pour promouvoir et garantir
le respect des droits de l’homme et appuyer les défenseurs des droits
de l’homme»
.
25. Outre sa contribution directe à l’Examen périodique universel
du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le Conseil de
l’Europe participe aussi à la mise en œuvre du «Programme de développement durable
à l'horizon 2030» des Nations Unies. Un document publié sur le site
du Conseil de l’Europe énumère les activités pertinentes, notamment
l’accès à la justice, la justice constitutionnelle, la corruption,
la coopération dans la lutte contre la cybercriminalité, le blanchiment
de capitaux et le financement du terrorisme, la liberté d’expression,
la lutte contre la discrimination et la promotion et la protection
de la société civile
.
26. Lors de leurs réunions respectives de juin et juillet 2018,
le SPT des Nations Unies et le CPT du Conseil de l’Europe ont «décidé
de renforcer la complémentarité et la subsidiarité pour faire ressortir
leurs atouts et leur valeur ajoutée respectifs». La décision prise
par le SPT «d’accorder une attention particulière à la possibilité
d’activités complémentaires et de renforcement de la coopération
dans les pays qui ont connu de graves manquements à leur coopération
avec le CPT» est particulièrement bienvenue du point de vue du présent
rapport. Comme l’ont indiqué les présidents des deux organes, il
s’agit de veiller à ce que «le SPT, le CPT et les MNP [mécanismes
nationaux de prévention] puissent consulter réciproquement leurs
rapports de visite avant même leur publication. C’est là l’un des
meilleurs moyens d’éviter tout chevauchement d’activité, en assurant
la cohérence et en renforçant l’efficacité des mécanismes de prévention
en Europe». Je souscris pleinement à ce point de vue.
27. Bien qu’elle concerne les synergies entre les organes internationaux
qui assurent le suivi des mesures de lutte contre la corruption
et non de protection des droits de l’homme, une récente étude du
Groupe d'États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l'Europe
met en avant une série de points qui seraient tout aussi pertinents
pour de nombreuses formes de suivi des droits de l’homme
.
Elle fait ainsi remarquer que, si les organes internationaux de
suivi de la lutte contre la corruption analysent et évaluent la
mise en œuvre des instruments juridiques correspondants, leur mode
de fonctionnement présente des différences objectives: leurs cadres
juridiques sont différents; les cycles actuels d’évaluation portent
sur des thèmes différents et le calendrier de ces cycles est lui
aussi différent; leurs membres et leur champ d’application géographique
sont différents; la composition de leurs plénières et de leurs délégations
nationales est différente; enfin, leurs mandats sont différents,
puisqu’ils prévoient ou non, par exemple, une assistance technique.
L’étude propose également des mesures qui pourraient être prises
pour renforcer la coopération (en matière par exemple de visites
de pays, de réaction en cas de non-conformité d’un État, d’établissement
des questionnaires d’évaluation et de partage des informations et
de l’expertise), la coordination des aspects organisationnels (c’est-à-dire
des programmes annuels de visite), la collecte et l’échange de données,
ainsi que la formation des experts et des agents. Là encore, on
constate aisément à quel point ces mesures seraient applicables
à la plupart, voire à la totalité des organes de suivi des droits
de l’homme.
28. Il est par conséquent clair que les deux organisations partagent
de nombreux objectifs communs, poursuivent actuellement des activités
dans de nombreux domaines identiques et disposent bien souvent d’organes
comparables, qui exercent des fonctions similaires. L’exemple du
CPT et du SPT montre qu’il est toujours possible de renforcer encore
la coopération et les synergies, tandis que l’exemple du GRECO donne un
cadre analytique en vue de déterminer s’il y a lieu d’y procéder
et de quelle manière. J’encourage le Conseil de l’Europe à étudier
de manière systématique ces possibilités pour l’ensemble des mécanismes
de suivi des droits de l’homme qui n’ont pas encore ou qui ont récemment
agi en ce sens, cette démarche pouvant être étendue aux mécanismes
comparables d’autres organisations internationales, notamment l'OSCE.
5. Conclusions
et recommandations
29. Les discours du Haut-Commissaire
aux droits de l’homme des Nations Unies brossent un tableau alarmant
du rejet, par de nombreux États, du suivi indépendant assuré par
les mécanismes de défense des droits de l’homme mandatés par les
Nations Unies, à commencer par ses propres services. Du point de
vue du Conseil de l’Europe, il est particulièrement préoccupant
de constater que certains de nos propres États membres ne coopèrent
pas pleinement avec les mécanismes des Nations Unies. D’autre part,
il est un peu rassurant de voir que plusieurs mécanismes du Conseil
de l’Europe, notamment la Cour européenne des droits de l’homme,
le Commissaire aux droits de l’homme et le CPT, sont parvenus à
gérer la situation des droits de l’homme dans les «zones grises»
et d’autres territoires qui posent problème, même si la couverture géographique
et institutionnelle demeure incomplète.
30. Il est par ailleurs encourageant de constater que le socle
institutionnel de la coopération entre les deux organisations est
ancien et raisonnablement bien développé, du moins en principe.
Les deux organisations reconnaissent clairement qu’elles partagent
des buts communs, ce qui a conduit à l’établissement d’un large éventail
d’accords, de contacts et d’activités de coopération. Il est cependant
plus difficile de déterminer si le suivi des droits de l’homme en
fait partie. De fait, on ignore dans quelle mesure la coopération
dans ce domaine est concrètement réalisable ou juridiquement faisable:
le CPT, par exemple, travaille de manière confidentielle; cette
confidentialité pourrait être difficile à maintenir si des «éléments
extérieurs» participaient à l’établissement des rapports. Au vu
du récent accord entre le CPT et le SPT et de la récente étude sur
la coopération entre les organes de lutte contre la corruption,
qui ont conduit à formuler plusieurs propositions essentielles et
intéressantes d’amélioration, il importe que des organisations comme
le Conseil de l’Europe, les Nations Unies et d’autres encore éventuellement
(par exemple l'OSCE), examinent l’ensemble des possibilités de renforcement
de la coopération, en vue non seulement d’assurer un suivi général
des droits de l’homme plus efficace, mais également d’utiliser de
la manière la plus efficiente qui soit les ressources que les États
mettent à leur disposition à cette fin.
31. Compte tenu du manque de coopération avec les mécanismes de
suivi internationaux des droits de l’homme et de la possibilité
de renforcer la coopération entre les mécanismes de suivi comparables
des différentes organisations internationales, je propose une série
de conclusions et de recommandations qui figurent dans les projets
de résolution et de recommandation.