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Résolution 2237 (2018)
Réglementer le financement étranger de l'islam en Europe afin de prévenir la radicalisation et l'islamophobie
1. La question du financement étranger
de l’islam en Europe occupe une place importante dans le débat public
de nombre d’États membres du Conseil de l’Europe depuis plusieurs
années déjà et peut susciter des inquiétudes. L’Assemblée parlementaire
considère que, quelles que soient ces éventuelles inquiétudes, il appartient
aux États membres de faire en sorte qu’elles ne débouchent pas sur
une suspicion généralisée à l’égard de l’ensemble du financement
étranger.
2. Rappelant que le droit de demander et de recevoir des dons
volontaires est inhérent aux activités religieuses, selon la Commission
européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise)
du Conseil de l’Europe, et ce, quelle que soit l’origine de ces
dons, l’Assemblée appelle les États membres à réaffirmer clairement
que tout financement étranger d’un culte n’est pas, en lui-même,
problématique et qu’il peut, bien au contraire, contribuer au dialogue
interreligieux ou à l’exercice d’un culte plus ouvert.
3. L’Assemblée note que, au-delà de la diversité des situations,
des rapports entre États et cultes, de l’organisation du culte musulman
lui-même et de ses modes de financement, les interrogations qui
pèsent sur certains financements étrangers de l’islam ont trait
à une réalité qui, en dépit de l’absence de données statistiques
globales et agrégées, est indéniable.
4. Cette réalité concerne tout d’abord l’utilisation du fait
religieux par des États comme moyen d’influence sur le territoire
d’autrui, utilisation qui devient problématique lorsqu’elle dépasse
le simple soutien permettant à une communauté religieuse d’exercer
librement son culte et vise soit à exporter une forme radicale de
l’islam, soit à promouvoir une forme d’islamo-nationalisme dans
des communautés ciblées.
5. À cet égard, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1743 (2010) «Islam, islamisme
et islamophobie en Europe» dans laquelle, il y a déjà huit ans,
elle avait constaté avec préoccupation que «certaines organisations islamiques,
qui exercent leurs activités dans les États membres, ont été lancées
par des gouvernements étrangers qui leur dispensent une aide financière
et des directives politiques (…) Il importe de mettre en lumière
cette expansion politique nationale vers d’autres États sous couvert
de l’islam (…) Il convient (…) que les États membres imposent aux
associations islamiques et aux autres associations religieuses de
faire preuve de transparence et de rendre des comptes, par exemple
en exigeant la transparence de leurs objectifs statutaires, de leurs
dirigeants, de leurs membres et de leurs ressources financières».
6. Au regard des différents types de mesures prises par certains
États membres pour réglementer le financement étranger de l’islam,
l’Assemblée appelle les États membres:
6.1. à empêcher tout financement de l’islam sur leur territoire,
lorsqu’il est prouvé, par des critères objectifs, qu’il est utilisé
par d’autres États en vue d’une expansion politique nationale sous
couvert de l’islam;
6.2. à rejeter toute tentative d’ingérence sur leur territoire
de la part d’organisations étrangères qui visent à mettre en place
une société parallèle, et à ne pas permettre que les financements
étrangers parviennent aux organisations qui sapent les droits de
l’homme et le respect de la personne humaine et qui s’opposent au
vivre-ensemble garanti par les principes des droits de l’homme,
de la démocratie et de l’État de droit. En particulier, toute tentative
étrangère d’endoctriner la jeunesse doit être empêchée;
6.3. à assurer le respect plein et entier du cadre constitué
par la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5), la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la Commission de
Venise et l’Assemblée; cela implique, en particulier, le fait qu’une
interdiction générale de tout financement étranger est vraisemblablement
déraisonnable et non nécessaire dans une société démocratique, que
toute réglementation établissant une discrimination fondée sur des
motifs religieux entre différents groupes religieux est à proscrire
et que toute réglementation portant sur l’encadrement du financement
doit être proportionnée;
6.4. à se concentrer sur un renforcement de la transparence,
notamment à travers un rendu annuel des comptes identifiant clairement
l’origine de tout financement étranger et son utilisation, y compris lorsque
ces financements relèvent de systèmes de transferts financiers informels,
tels les passeurs de fonds ou les réseaux hawala.
Elle recommande également d’associer les organisations musulmanes
à ce renforcement de la transparence, en menant des actions de prévention
tant à l’égard des donateurs que des structures qui reçoivent les
dons.
7. Lorsque des mesures aux effets plus drastiques sont envisagées,
comme dans le cas d’une large interdiction du financement étranger,
l’Assemblée recommande:
7.1. d’engager
préalablement une vaste consultation aux objectifs clairement définis;
7.2. de traiter l’ensemble des cultes sur un pied d’égalité;
7.3. de s’abstenir de faire peser sur la communauté musulmane
une forme de suspicion généralisée qui peut conduire à l’islamophobie,
et, plus largement, d’instrumentaliser la question du financement étranger.
8. L’Assemblée note que réglementer le financement du culte musulman
peut avoir des conséquences positives sur l’intégration des communautés
musulmanes dans la société européenne en favorisant l’émergence
d’interlocuteurs représentatifs auprès des pouvoirs publics. Elle
est également convaincue que la réponse pertinente à la théologie
salafiste, fruste et primaire, qui nourrit le terreau à partir duquel
peuvent se développer les passages à l’acte terroriste est celle
d’un islam cultivé. À cet égard, elle prend note d’une tendance
assez largement partagée dans plusieurs États membres visant à améliorer
le niveau de formation des imams, y compris dans le domaine théologique,
et à limiter l’accueil d’imams formés à l’étranger, tout en consultant
les représentants des communautés musulmanes.
9. C’est pourquoi l’Assemblée encourage les États membres à mettre
en place des cursus favorisant cet islam cultivé, les appelle à
y consacrer des moyens conséquents qui répondent également au besoin
des communautés religieuses, et soutient les initiatives consistant
à créer des facultés de théologie européennes ouvertes à l’islam.
10. L’Assemblée prend également note de récentes études montrant
que l’intégration des musulmans dans plusieurs pays européens, notamment
au regard de leur fort degré d’attachement à leur pays de résidence, semble
avoir progressé depuis une quinzaine d’années; que leurs spécificités,
tant dans leur rapport à la religion qu’à travers leur lien avec
leur pays d’origine ou avec celui de leurs ascendants, demeurent;
et que perdure, dans des proportions non négligeables, l’islamophobie
dont ils sont les victimes.
11. Rappelant les paragraphes 3, 13 et 20 de sa Résolution 1743 (2010),
ainsi que sa Résolution
2076 (2015) «Liberté de religion et vivre ensemble dans
une société démocratique», l’Assemblée appelle les États membres
à prendre en compte ces spécificités et à accentuer leur lutte contre
l’islamophobie, car, si le financement étranger peut faciliter la
radicalisation, l’islamophobie est elle aussi un de ses terreaux.
12. L’Assemblée invite enfin les États membres à mettre en œuvre
le Plan d’action du Comité des Ministres sur la lutte contre l’extrémisme
violent et la radicalisation conduisant au terrorisme, tout en notant
l’importance que ce plan accorde, dans son volet préventif, aux
mesures qui favorisent le vivre-ensemble sur un pied d’égalité dans
des sociétés démocratiques multiculturelles.