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Résolution 2245 (2018)

Accords négociés dans le cadre de procédures pénales: le besoin de normes minimales pour les systèmes de renonciation au procès

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 12 octobre 2018 (36e séance) (voir Doc. 14618, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteur: M. Boriss Cilevičs). Texte adopté par l’Assemblée le 12 octobre 2018 (36e séance).Voir également la Recommandation 2142 (2018).

1. L’Assemblée parlementaire rappelle l’obligation faite aux États membres de garantir des procès équitables en matière pénale. Les garanties prévues par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»), en particulier dans son article 6 (Droit à un procès équitable), sont conçues pour protéger les innocents et pour promouvoir l’égalité des armes entre le ministère public et la défense, dans l’intérêt d’une justice effective.
2. Elle observe que, dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe et dans les États qui jouissent d’un statut d’observateur ou autre auprès du Conseil de l’Europe ou de l’Assemblée, la tenue d’un procès ordinaire au pénal a progressivement été remplacée par différentes formes de mécanismes de renonciation au procès (également appelés transaction pénale, reconnaissance de culpabilité, procédure abrégée ou procédure sommaire). Dans un certain nombre de pays, une minorité de condamnations pénales seulement sont encore prononcées à l’issue d’un procès ordinaire.
3. Le développement rapide des mécanismes de renonciation au procès, en particulier en Europe centrale et orientale et dans les pays qui ont succédé à l’ancienne Union soviétique, est en partie le fruit des initiatives prises par les États-Unis pour promouvoir la transaction pénale selon le modèle américain dans le cadre de l’assistance technique dispensée aux nouvelles démocraties en vue de réformer leur système judiciaire. Compte tenu des différences marquées qui existent entre les systèmes de justice pénale en Europe et entre l’Europe et les États-Unis, cette transposition présente des risques auxquels il convient de remédier pour minimiser les abus. Notamment, les pouvoirs étendus du ministère public (Prokuratura) dans les systèmes de justice pénale de certains pays d’Europe orientale doivent être contrebalancés par une défense plus solide et par un rôle plus dynamique du tribunal, afin d’éviter que la transaction pénale vire au chantage.
4. Les mécanismes de renonciation au procès présentent des avantages évidents:
4.1. ils permettent d’économiser les ressources qu’exigeraient la réalisation d’une enquête complète et approfondie sur l’ensemble des infractions présumées et la tenue systématique d’un véritable procès public devant un tribunal. Certains types d’infractions moins graves, et pourtant fréquentes, ne justifient pas toujours de consacrer à chaque affaire les ressources limitées des services répressifs et de l’appareil judiciaire requises pour un procès ordinaire;
4.2. ils permettent aux services répressifs de concentrer leurs ressources limitées sur des domaines prioritaires bien définis des activités criminelles;
4.3. ils peuvent contribuer à la lutte contre la criminalité organisée, le blanchiment de capitaux et les autres formes de criminalité complexe, où le procureur peut proposer une transaction à d’éventuels témoins à charge et ainsi pénétrer plus facilement les structures criminelles fermées;
4.4. ils permettent aux suspects qui avouent et sont prêts à accepter une condamnation d’éviter une longue enquête préalable au procès, qui pourrait restreindre leurs droits.
5. Mais les systèmes de renonciation au procès présentent également de sérieux inconvénients:
5.1. ils peuvent conduire à des abus commis par le ministère public et aussi par la défense. Le procureur peut menacer un prévenu d’une peine anormalement lourde s’il refuse d’avouer, même en l’absence d’éléments de preuve suffisants; et l’avocat de la défense peut, dans une affaire complexe, persuader un procureur surchargé de travail d’accepter des aveux partiels et une condamnation à une peine légère tout en abandonnant les poursuites pour d’autres infractions plus graves. Les victimes de la première forme d’abus sont habituellement les jeunes délinquants et les délinquants pauvres, tandis que la deuxième forme d’abus profite aux criminels fortunés en col blanc;
5.2. en permettant aux procureurs de faire l’économie d’un procès public devant un tribunal, la renonciation généralisée au procès finit par nuire à la capacité même des autorités à mener des enquêtes solides;
5.3. la confidentialité de la «négociation» est préjudiciable à la confiance des justiciables dans la justice et à l’application équitable et non discriminatoire du droit;
5.4. en accroissant la capacité de traitement des affaires du système de justice pénale sans accroissement des ressources, la transaction pénale entraîne une augmentation du nombre global des condamnations pénales. Cette augmentation (l’effet d’«élargissement du filet» de la répression) peut être incompatible avec une politique pénale optimale et les coûts induits par le surcroît de population carcérale qu’elle entraîne risquent fort d’annuler l’économie de ressources judiciaires réalisée grâce aux procédures de renonciation au procès.
6. L’Assemblée juge indispensable de prévoir des garanties adéquates pour veiller à ce que les États membres jouissent des avantages que peuvent offrir les mécanismes de renonciation au procès, tout en minimisant les risques qu’ils présentent pour les droits de l’homme, en particulier pour le droit à un procès équitable.
7. Elle salue et encourage le partage des bonnes pratiques déjà en place dans plusieurs États membres, notamment:
7.1. l’obligation de recourir aux services d’un avocat (en Croatie, en Estonie, en France, en Géorgie, en Irlande, au Luxembourg, dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et en Suisse);
7.2. l’imposition d’un minimum d’obligations en matière d’enquête et de communication de leurs résultats (en Finlande, en Allemagne et au Luxembourg);
7.3. l’obligation de contrôle juridictionnel des éléments essentiels de la transaction pénale et la limitation de l’écart entre la peine prononcée à l’issue d’un procès ordinaire et la peine proposée dans le cadre d’une transaction pénale (en Allemagne);
7.4. l’interdiction de la renonciation au droit de recours et la possibilité d’annuler dans certains cas une transaction pénale (en Allemagne).
8. L’Assemblée appelle l’ensemble des États membres et des États qui jouissent d’un statut d’observateur ou autre auprès du Conseil de l’Europe ou de l’Assemblée à mettre en œuvre les garanties suivantes, dont l’efficacité dépendra au final de l’existence d’une justice véritablement indépendante:
8.1. rendre obligatoire le recours aux services d’un avocat, en faisant de cette obligation une condition de validité de la transaction pénale, au besoin en le finançant par l’aide juridictionnelle, afin de garantir que les prévenus, en particulier les prévenus vulnérables comme les jeunes délinquants, sont traités de manière équitable, comme l’exige l’article 6.3.c de la Convention;
8.2. imposer un minimum d’enquête sur l’infraction qui fait l’objet de la transaction pénale et la communication des résultats de l’enquête, afin de permettre au prévenu de faire un choix en toute connaissance de cause, conformément au droit à la présomption d’innocence consacré à l’article 6.2 de la Convention, et de préserver la confiance du grand public dans l’équité du système de justice pénale;
8.3. exiger le contrôle juridictionnel des éléments essentiels de la transaction pénale, en particulier de la crédibilité et du caractère volontaire des aveux, et de l’adéquation de la peine définie dans la transaction pénale, et envisager que les auteurs d’actes d’intimidation, de contrainte et d’autres abus commis à l’occasion d’une transaction pénale aient à rendre compte de leurs actes de manière satisfaisante;
8.4. limiter l’écart entre la peine prononcée à l’issue d’un procès ordinaire et la peine proposée dans le cadre d’une transaction pénale (la «pénalité pour demander un procès»), pour éviter que le prévenu subisse des pressions excessives, tout en veillant à ce que la peine se situe dans une fourchette acceptable et que le public puisse constater que justice est faite;
8.5. interdire la renonciation au droit de recours, afin d’assurer le contrôle suffisant au niveau national de la pratique effective des juridictions inférieures en matière de transactions pénales;
8.6. prévoir la possibilité d’annuler une transaction pénale dans certains cas, en particulier lorsque l’apparition ou la connaissance de nouveaux faits rend la transaction pénale inappropriée et impose la prise de mesures supplémentaires par le ministère public; en pareil cas, les aveux faits à l’occasion de la transaction ne doivent pas être utilisés contre le prévenu;
8.7. limiter au minimum le recours à la détention provisoire à l’encontre des personnes soupçonnées d’infractions moins graves, en privilégiant des mesures alternatives;
8.8. assurer un suivi des indicateurs de partialité ou de discrimination fondée sur les origines ou la fortune dans la réduction de peine proposée à l’occasion d’une transaction fondée sur une reconnaissance de culpabilité et prendre les mesures qui s’imposent en matière de sensibilisation, de formation et, si besoin est, en matière disciplinaire, pour lutter contre toute partialité ou discrimination;
8.9. veiller à ce que les services répressifs et les juridictions pénales disposent de ressources suffisantes, pour éviter un recours excessif aux mécanismes de renonciation au procès motivé par des raisons purement budgétaires et permettre la mise en œuvre concrète des garanties recommandées ci-dessus;
8.10. veiller à ce que les tribunaux et les services répressifs exercent un suivi et un contrôle suffisants pour éviter tout chantage, toute pression ou toute autre forme de manipulation visant à contraindre les suspects à prendre part à un mécanisme de renonciation au procès.