Imprimer
Autres documents liés
Résolution 2245 (2018)
Accords négociés dans le cadre de procédures pénales: le besoin de normes minimales pour les systèmes de renonciation au procès
1. L’Assemblée parlementaire rappelle
l’obligation faite aux États membres de garantir des procès équitables
en matière pénale. Les garanties prévues par la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5, «la
Convention»), en particulier dans son article 6 (Droit à un procès
équitable), sont conçues pour protéger les innocents et pour promouvoir
l’égalité des armes entre le ministère public et la défense, dans l’intérêt
d’une justice effective.
2. Elle observe que, dans de nombreux États membres du Conseil
de l’Europe et dans les États qui jouissent d’un statut d’observateur
ou autre auprès du Conseil de l’Europe ou de l’Assemblée, la tenue
d’un procès ordinaire au pénal a progressivement été remplacée par
différentes formes de mécanismes de renonciation au procès (également
appelés transaction pénale, reconnaissance de culpabilité, procédure abrégée
ou procédure sommaire). Dans un certain nombre de pays, une minorité
de condamnations pénales seulement sont encore prononcées à l’issue
d’un procès ordinaire.
3. Le développement rapide des mécanismes de renonciation au
procès, en particulier en Europe centrale et orientale et dans les
pays qui ont succédé à l’ancienne Union soviétique, est en partie
le fruit des initiatives prises par les États-Unis pour promouvoir
la transaction pénale selon le modèle américain dans le cadre de l’assistance
technique dispensée aux nouvelles démocraties en vue de réformer
leur système judiciaire. Compte tenu des différences marquées qui
existent entre les systèmes de justice pénale en Europe et entre l’Europe
et les États-Unis, cette transposition présente des risques auxquels
il convient de remédier pour minimiser les abus. Notamment, les
pouvoirs étendus du ministère public (Prokuratura) dans les systèmes
de justice pénale de certains pays d’Europe orientale doivent être
contrebalancés par une défense plus solide et par un rôle plus dynamique
du tribunal, afin d’éviter que la transaction pénale vire au chantage.
4. Les mécanismes de renonciation au procès présentent des avantages
évidents:
4.1. ils permettent d’économiser
les ressources qu’exigeraient la réalisation d’une enquête complète et
approfondie sur l’ensemble des infractions présumées et la tenue
systématique d’un véritable procès public devant un tribunal. Certains
types d’infractions moins graves, et pourtant fréquentes, ne justifient pas
toujours de consacrer à chaque affaire les ressources limitées des
services répressifs et de l’appareil judiciaire requises pour un
procès ordinaire;
4.2. ils permettent aux services répressifs de concentrer leurs
ressources limitées sur des domaines prioritaires bien définis des
activités criminelles;
4.3. ils peuvent contribuer à la lutte contre la criminalité
organisée, le blanchiment de capitaux et les autres formes de criminalité
complexe, où le procureur peut proposer une transaction à d’éventuels témoins
à charge et ainsi pénétrer plus facilement les structures criminelles
fermées;
4.4. ils permettent aux suspects qui avouent et sont prêts
à accepter une condamnation d’éviter une longue enquête préalable
au procès, qui pourrait restreindre leurs droits.
5. Mais les systèmes de renonciation au procès présentent également
de sérieux inconvénients:
5.1. ils
peuvent conduire à des abus commis par le ministère public et aussi
par la défense. Le procureur peut menacer un prévenu d’une peine
anormalement lourde s’il refuse d’avouer, même en l’absence d’éléments
de preuve suffisants; et l’avocat de la défense peut, dans une affaire
complexe, persuader un procureur surchargé de travail d’accepter
des aveux partiels et une condamnation à une peine légère tout en
abandonnant les poursuites pour d’autres infractions plus graves.
Les victimes de la première forme d’abus sont habituellement les
jeunes délinquants et les délinquants pauvres, tandis que la deuxième
forme d’abus profite aux criminels fortunés en col blanc;
5.2. en permettant aux procureurs de faire l’économie d’un
procès public devant un tribunal, la renonciation généralisée au
procès finit par nuire à la capacité même des autorités à mener
des enquêtes solides;
5.3. la confidentialité de la «négociation» est préjudiciable
à la confiance des justiciables dans la justice et à l’application
équitable et non discriminatoire du droit;
5.4. en accroissant la capacité de traitement des affaires
du système de justice pénale sans accroissement des ressources,
la transaction pénale entraîne une augmentation du nombre global
des condamnations pénales. Cette augmentation (l’effet d’«élargissement
du filet» de la répression) peut être incompatible avec une politique
pénale optimale et les coûts induits par le surcroît de population carcérale
qu’elle entraîne risquent fort d’annuler l’économie de ressources
judiciaires réalisée grâce aux procédures de renonciation au procès.
6. L’Assemblée juge indispensable de prévoir des garanties adéquates
pour veiller à ce que les États membres jouissent des avantages
que peuvent offrir les mécanismes de renonciation au procès, tout
en minimisant les risques qu’ils présentent pour les droits de l’homme,
en particulier pour le droit à un procès équitable.
7. Elle salue et encourage le partage des bonnes pratiques déjà
en place dans plusieurs États membres, notamment:
7.1. l’obligation de recourir aux
services d’un avocat (en Croatie, en Estonie, en France, en Géorgie, en
Irlande, au Luxembourg, dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine»
et en Suisse);
7.2. l’imposition d’un minimum d’obligations en matière d’enquête
et de communication de leurs résultats (en Finlande, en Allemagne
et au Luxembourg);
7.3. l’obligation de contrôle juridictionnel des éléments essentiels
de la transaction pénale et la limitation de l’écart entre la peine
prononcée à l’issue d’un procès ordinaire et la peine proposée dans le
cadre d’une transaction pénale (en Allemagne);
7.4. l’interdiction de la renonciation au droit de recours
et la possibilité d’annuler dans certains cas une transaction pénale
(en Allemagne).
8. L’Assemblée appelle l’ensemble des États membres et des États
qui jouissent d’un statut d’observateur ou autre auprès du Conseil
de l’Europe ou de l’Assemblée à mettre en œuvre les garanties suivantes,
dont l’efficacité dépendra au final de l’existence d’une justice
véritablement indépendante:
8.1. rendre
obligatoire le recours aux services d’un avocat, en faisant de cette
obligation une condition de validité de la transaction pénale, au
besoin en le finançant par l’aide juridictionnelle, afin de garantir que
les prévenus, en particulier les prévenus vulnérables comme les
jeunes délinquants, sont traités de manière équitable, comme l’exige
l’article 6.3.c de la Convention;
8.2. imposer un minimum d’enquête sur l’infraction qui fait
l’objet de la transaction pénale et la communication des résultats
de l’enquête, afin de permettre au prévenu de faire un choix en
toute connaissance de cause, conformément au droit à la présomption
d’innocence consacré à l’article 6.2 de la Convention, et de préserver
la confiance du grand public dans l’équité du système de justice
pénale;
8.3. exiger le contrôle juridictionnel des éléments essentiels
de la transaction pénale, en particulier de la crédibilité et du
caractère volontaire des aveux, et de l’adéquation de la peine définie
dans la transaction pénale, et envisager que les auteurs d’actes
d’intimidation, de contrainte et d’autres abus commis à l’occasion
d’une transaction pénale aient à rendre compte de leurs actes de
manière satisfaisante;
8.4. limiter l’écart entre la peine prononcée à l’issue d’un
procès ordinaire et la peine proposée dans le cadre d’une transaction
pénale (la «pénalité pour demander un procès»), pour éviter que
le prévenu subisse des pressions excessives, tout en veillant à
ce que la peine se situe dans une fourchette acceptable et que le
public puisse constater que justice est faite;
8.5. interdire la renonciation au droit de recours, afin d’assurer
le contrôle suffisant au niveau national de la pratique effective
des juridictions inférieures en matière de transactions pénales;
8.6. prévoir la possibilité d’annuler une transaction pénale
dans certains cas, en particulier lorsque l’apparition ou la connaissance
de nouveaux faits rend la transaction pénale inappropriée et impose
la prise de mesures supplémentaires par le ministère public; en
pareil cas, les aveux faits à l’occasion de la transaction ne doivent
pas être utilisés contre le prévenu;
8.7. limiter au minimum le recours à la détention provisoire
à l’encontre des personnes soupçonnées d’infractions moins graves,
en privilégiant des mesures alternatives;
8.8. assurer un suivi des indicateurs de partialité ou de discrimination
fondée sur les origines ou la fortune dans la réduction de peine
proposée à l’occasion d’une transaction fondée sur une reconnaissance
de culpabilité et prendre les mesures qui s’imposent en matière
de sensibilisation, de formation et, si besoin est, en matière disciplinaire,
pour lutter contre toute partialité ou discrimination;
8.9. veiller à ce que les services répressifs et les juridictions
pénales disposent de ressources suffisantes, pour éviter un recours
excessif aux mécanismes de renonciation au procès motivé par des raisons
purement budgétaires et permettre la mise en œuvre concrète des
garanties recommandées ci-dessus;
8.10. veiller à ce que les tribunaux et les services répressifs
exercent un suivi et un contrôle suffisants pour éviter tout chantage,
toute pression ou toute autre forme de manipulation visant à contraindre
les suspects à prendre part à un mécanisme de renonciation au procès.