1. Introduction
1. La liberté d’expression et
la liberté des médias sont essentielles à tout processus démocratique.
Le rôle des médias est essentiel à l’intégrité du processus électoral,
dans un monde où la plupart des électeurs obtiennent des informations
capitales sur la vie politique par le biais des médias
. Ils offrent une plateforme de débat
aux partis politiques et aux candidats, relatent les événements
de la campagne, informent les électeurs sur la manière d’exercer
leurs droits et sur les résultats des élections; mais ils peuvent
(et devraient) aussi contribuer à surveiller le processus électoral,
y compris le déroulement du scrutin
.
2. Ainsi, la liberté des médias, protégée par l’article 10 de
la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5),
est une condition nécessaire pour garantir le droit fondamental
à des élections libres, affirmé par l’article 3 du Protocole additionnel
à la Convention (STE no 9). Il n’y a
d‘élections libres et équitables qu’à condition que l’électorat
soit bien informé par des médias indépendants, dans un contexte
pluraliste.
3. Néanmoins, dans de nombreux pays, les gouvernements en exercice
bénéficient d’une couverture médiatique disproportionnée et excessivement
positive, notamment en raison du contrôle qu’ils exercent sur les
médias publics et privés, ou de leurs relations étroites avec les
médias. En outre, durant les périodes électorales, la liberté des
médias et la sécurité des journalistes sont encore plus exposées
que d’habitude à de graves menaces, y compris des intimidations,
des attaques physiques et l’application de lois restrictives de la
liberté d’expression, ainsi que le dénigrement des médias d’opposition.
4. Les événements des dernières années ont également montré que
nous vivons dans un monde où la désinformation et la propagande
sont de plus en plus fréquentes et omniprésentes. Cette situation
sape la confiance du public dans le journalisme en tant que «chien
de garde de la démocratie» et risque de tromper le public en brouillant
les frontières entre la désinformation et les produits de médias
contenant des faits indépendamment vérifiables
.
5. Par ailleurs, le paysage médiatique dans les États membres
du Conseil de l’Europe s’est profondément transformé ces dernières
années, notamment en raison de l’expansion des médias en ligne et
du rôle croissant des médias sociaux. Ce virage technologique et
social modifie l’influence que les médias exercent sur l’ensemble
du processus de prise de décision démocratique, notamment en période
électorale, et pose des défis spécifiques auxquels la réglementation
actuelle ne répond pas entièrement. Plus particulièrement, la pratique
consistant à imposer des restrictions à la presse écrite et audiovisuelle
semble aujourd’hui obsolète, compte tenu de l'évolution importante
des services de médias en ligne au cours de la dernière décennie
et de la convergence croissante des services en ligne, des médias
imprimés et des médias audiovisuels traditionnels.
6. Dans le présent rapport, je me propose d’analyser la façon
dont il est possible de faire face efficacement à ces défis et,
plus en généralement, de consolider le rôle des médias en tant que
piliers d’un processus électoral réellement démocratique. Mon analyse
se fonde essentiellement sur le rapport d’expert de M. Rasťo Kužel
,
que je remercie pour son travail
. Je m’appuie aussi sur
les nombreux travaux du Conseil de l’Europe et ses instruments normatifs,
entre autres la Recommandation
CM/Rec(2007)15 du Comité des Ministres sur des mesures concernant la
couverture des campagnes électorales par les médias et des orientations
pratiques telles que le
Code
de bonne conduite en matière électorale de la Commission européenne pour la démocratie par le
droit (Commission de Venise) ou les
Lignes
directrices relatives à l’analyse des médias au cours de missions
d’observation, publiées conjointement par la Commission de Venise
et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme
de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH).
2. Des statuts différenciés en fonction
des types de médias
2.1. Les
lignes de division: radiodiffuseurs et médias imprimés; médias de
service public et médias privés; médias traditionnels et nouveaux
7. La réglementation de la couverture
médiatique des élections doit viser à concilier, d’une part, le
respect de l’indépendance éditoriale des médias et, d’autre part,
la nécessité de garantir l’équité de la couverture médiatique pendant
la période électorale. Ainsi, certaines restrictions à la liberté
d’expression peuvent s’imposer, alors qu’elles ne seraient habituellement
pas admissibles, afin de garantir la libre expression de l’opinion
du peuple sur le choix du corps législatif
. Ces restrictions ne sont toutefois
pas les mêmes pour tous les médias.
8. Ainsi, les médias imprimés (privés) peuvent être plus «partisans»
par rapport aux radiodiffuseurs, qui sont soumis à un grand nombre
de règles en ce qui concerne leurs activités pendant les élections,
y compris à l'obligation de couvrir les élections de manière «équitable,
équilibrée et impartiale». L’accès équitable concerne en particulier
le temps d’antenne qui est attribué aux candidats.
9. Les médias de service public, qui sont financés par l’argent
des contribuables, ont la responsabilité légale et morale de servir
les intérêts du public et non ceux du gouvernement, des partis politiques
ou des groupes d'intérêts privés. Leur utilisation pour promouvoir
un parti politique ou un candidat déterminés est un détournement
injustifié de fonds publics. Le citoyen est en droit d'insister
sur l'équité, l'équilibre et l'impartialité des médias de service
public et de veiller à ce que l'attitude du gouvernement à leur
égard garantisse l’accès à l'information qui lui est dû.
10. Il est important que les médias de service public donnent
aux électeurs des informations sur le rôle des élections dans une
démocratie, l’exercice du droit de vote, les principaux enjeux électoraux,
ainsi que sur les programmes et arguments politiques des différents
partis et candidats qui participent à l'élection. Dans ce cadre,
les émissions qui permettent de poser des questions aux leaders
de partis et aux candidats de premier plan, et d’organiser des débats
entre ces derniers, sont particulièrement importantes.
11. Des règles strictes d'impartialité et d'équilibre devraient
être appliquées lorsque les médias de service public font des reportages
sur le parti au pouvoir et sur les décisions et actions du gouvernement
en période électorale. Il faut veiller à ce que ces médias assurent
à tous les partis et candidats un accès équitable à l’antenne pour
qu'ils communiquent leurs messages directement au public, gratuitement
ou à des tarifs subventionnés. Un accès équitable est un accès non
discriminatoire qui est accordé selon des critères objectifs de
mesure des niveaux de soutien. Il comprend des facteurs tels que
la durée des interventions et les frais éventuels
.
12. Dans plusieurs États membres, les principes qui s’appliquent
aux services de radiodiffusion des médias de service public devraient
s’appliquer également à leurs services audiovisuels non linéaires.
Dans la plupart des cas, les deux types de services se compléteront
et les utilisateurs pourront s'attendre à ce qu’ils soient tous
deux soumis aux mêmes obligations en matière d'impartialité, d'équité
et d'équilibre.
13. Bien que le statut des médias privés soit différent de celui
des médias publics, ils sont également censés fournir une couverture
objective et équilibrée de l’actualité, en particulier pendant la
période électorale.
14. Le terme «nouveaux médias» recouvre des médias utilisés à
différentes fins, notamment internet, les téléphones mobiles, les
médias sociaux tels que les blogues et les micro-blogues, les sites
de partage de vidéos et d’autres. Contrairement aux médias traditionnels,
les nouveaux médias sont généralement interactifs; ils utilisent
la technologie numérique, en ligne et mobile, et leurs contenus
sont souvent créés et gérés par les utilisateurs. En outre, ils
fonctionnent en temps réel et sont généralement transfrontières,
donc plus difficiles à réguler.
15. La ligne de partage entre les médias professionnels et les
médias sociaux est souvent floue. Par exemple, dans de nombreux
États membres, les sites d’actualités en ligne les plus populaires
sont gérés par des sociétés de médias imprimés historiques, comme
www.spiegel.de, qui est le site d’information en ligne le plus populaire en
Allemagne, ou le site
www.lemonde.fr, qui jouit d’une audience importante en France.
16. Par ailleurs, la plupart des journalistes utilisent internet
comme principale source d'information pour les reportages, et de
nombreux médias traditionnels créent des éditions en ligne ou se
transforment en services entièrement multimédias. De plus, les médias
professionnels utilisent aussi les apports du «journalisme citoyen»
et s'appuient sur des images et des vidéos à caractère personnel
provenant de téléphones mobiles pour couvrir certains sujets lorsqu’ils
ne peuvent pas compter sur leurs propres journalistes
. En effet, l'essor des nouveaux médias
ouvre de nouvelles perspectives et favorise la participation citoyenne,
le partage d'informations et de connaissances, l'inclusion et l'autonomisation.
Cependant, les médias en ligne peuvent aussi poser de gros problèmes
pouvant nuire à l'intégrité du processus électoral en raison, principalement,
de l'émergence de la désinformation et des fausses nouvelles
.
2.2. En
particulier: les services de médias audiovisuels
2.2.1. Journaux
télévisés et magazines d'actualités
17. Les journaux télévisés sont
tenus de présenter des informations diversifiées, pertinentes, actualisées, exactes,
équilibrées et factuelles et, en principe, de s'abstenir d'exprimer
des opinions. Il est important qu'un mécanisme juste et équitable
soit établi pour déterminer le pourcentage de couverture médiatique
qui doit être attribué aux candidats en lice. Les candidats doivent
recevoir une couverture médiatique proportionnée à leur importance
électorale et à l'étendue du soutien qu’ils reçoivent des électeurs.
Ainsi, il n'est pas nécessaire de surexposer les petits partis,
au détriment des plus grands. Néanmoins, même les petits partis
devraient bénéficier d'une couverture suffisante pendant la campagne
électorale, par exemple au moment du lancement de leurs programmes.
18. La loi prévoit en général des dispositions sur l'égalité de
traitement des candidats, mais il est très important que chaque
média puisse déterminer les formats et modèles électoraux qui lui
serviront de base pour répartir le temps d'antenne entre les candidats
.
Par exemple, le nombre de reportages consacrés aux partis en lice
est strictement contrôlé au Royaume-Uni, où la BBC prend des mesures
pour assurer la parité entre ces partis
. Dans certains États membres, les
médias audiovisuels sont critiqués parce qu’ils n’assurent pas une
analyse approfondie et une couverture complète de la campagne électorale,
des candidats et de leurs plateformes; cela peut biaiser le choix
que feront les électeurs le jour du scrutin.
19. Si les débats télévisés constituent le meilleur cadre pour
des échanges de vues, l’absence d’un des candidats ou des partis
réduit toujours leur intérêt aux yeux de l'électorat. La possibilité
d’entendre différents points de vue au cours d’un débat public permet
aux électeurs de mieux comprendre les choix qui s'offrent à eux
le jour du scrutin. Ces programmes, qui complètent les actualités,
favorisent le commentaire ou le débat et donnent aux différents
candidats la possibilité de présenter leurs opinions directement
aux téléspectateurs et aux auditeurs. Toutefois, les décisions sur
la manière dont cette équité devrait être assurée (par exemple, les
décisions concernant le format, le nombre de participants, la durée
de l'émission, etc.) devraient être laissées à l’initiative de l'organisme
de radiodiffusion lui-même.
20. Les talk-shows ont des formats qui attirent les téléspectateurs
car ils favorisent l’expression d’idées diverses et permettent aux
électeurs d’en savoir davantage sur les candidats. Ces émissions
doivent cependant également être encadrées par certaines règles
car elles peuvent tromper et désinformer de nombreux spectateurs
si elles ne sont pas contrôlées. En période électorale, il est essentiel
que les talk-shows soient conçus de façon à ce que les candidats
soient traités de manière équitable.
2.2.2. Temps
d'antenne gratuit sur les médias audiovisuels publics
21. Souvent, les médias audiovisuels
publics ont pour pratique d'offrir un temps d'antenne gratuit aux candidats
ou partis politiques pour qu’ils puissent communiquer leurs messages
à l'électorat. Il s’agit d’une forme directe de communication entre
les hommes et femmes politiques et les électeurs dans laquelle les médias
ne jouent aucun rôle intermédiaire. Le fait de donner du temps d'antenne
gratuit a l’avantage non négligeable de permettre aux petits partis
ou aux candidats mineurs, qui ne bénéficient pas d'une couverture importante
dans les médias, de diffuser leurs messages électoraux
.
22. Le temps alloué doit être suffisant pour que les candidats
puissent communiquer efficacement et défendre leurs plateformes
auprès du public. L’allocation peut avoir lieu sur une base égale
ou proportionnelle selon le contexte dans lequel les élections se
déroulent. Il est possible d’appliquer une égalité stricte lorsque le
nombre de candidats en lice est limité. Pour les élections présidentielles,
les référendums et les premières élections démocratiques, les critères
d'égalité stricte coïncident mieux avec la nécessité de fournir
à tous les candidats des conditions de concurrence équitables
. Dans certains États membres, cette
disposition est utilisée pour démontrer que les candidats ont un
accès équitable aux médias d'État ou de service public alors qu'en
fait, il existe une disproportion énorme dans la couverture dont
bénéficient les candidats dans les journaux télévisés et les magazines
d’actualité.
2.2.3. Publicité
politique payante
23. Outre l'attribution de temps
et d'espace gratuits, la publicité politique payante constitue une
autre possibilité offerte à tous les partis politiques ou candidats
de diffuser leurs messages dans les médias. S’il est incontestable
que les électeurs ont besoin d'autant d'informations que possible
sur les candidats pour faire un choix raisonné, la publicité payante,
quant à elle, peut donner un avantage injuste aux partis ou aux
candidats qui peuvent se permettre d'acheter davantage de temps
d'antenne. Par conséquent, tous les pays n'acceptent pas cette pratique.
24. Compte tenu de l'impact croissant des médias sociaux durant
les élections, il paraît judicieux, s’agissant de la publicité politique
payante, d'appliquer à ces médias les mêmes règles qui s’appliquent
déjà aux médias traditionnels. Il faudrait cependant s’interroger
sur la capacité à faire appliquer ces règles sur internet et la nature
de l’organisme qui serait responsable de superviser leur mise en
œuvre et de la rendre obligatoire.
25. À la fin du mois d'octobre 2017, les sénateurs américains
ont annoncé qu’un nouveau projet de loi était en cours d’élaboration
visant à réglementer les publicités politiques en ligne. Le nouveau
projet de loi, appelé
Honest Ads Act,
obligerait des sociétés comme Facebook et Google à conserver des
copies des publicités politiques et à les rendre publiques. Les
sociétés seraient également tenues, conformément à la loi, de publier des
informations sur les destinataires de ces publicités, ainsi que
des informations sur l'acheteur et les tarifs appliqués aux annonces.
Les nouvelles règles permettraient d’aligner les règles de déclaration
sur les dispositions qui encadrent les publicités politiques dans
des médias tels que la presse écrite et la télévision, et s'appliqueraient
à n'importe quelle plateforme comptant plus de 50 millions de téléspectateurs
par mois. Les sociétés concernées seraient tenues de conserver et
de publier des données sur toute personne dépensant plus de $US 500 par
an pour des publicités à des fins politiques
.
2.3. L’impact
sur l’électorat de divers types des médias
26. Si les médias de radiodiffusion
restent la principale source d’information en période électorale, l’influence
des médias sociaux ne cesse de croître, surtout parmi les plus jeunes.
Toutefois, selon une étude réalisée par Reuters en 2016, les informations
télévisées demeurent toujours la source d’information la plus importante
pour les catégories plus âgées de la population, même si l’usage
général affiche une tendance à la baisse, notamment au niveau des
plus jeunes. En particulier, 28 % des 18-24 ans indiquent que les
médias sociaux représentent leur source d’information principale,
soit pour la première fois plus que la télévision (24 %). En ce
qui concerne l’Allemagne, l’étude suggère que la télévision, et
en particulier les très populaires bulletins d’information du soir
des radiodiffuseurs publics ARD et ZDF, demeurent la source d’information
la plus importante; en France, l’information télévisée est également
la première source d’information
.
27. Même si la lecture de la presse écrite reste plus courante
que l’usage des réseaux sociaux, l’écart se resserre. D’une manière
générale, si l’on assimile l’influence et la confiance, la radio
est le média dans lequel les européens ont la plus grande confiance,
suivie par la télévision. La confiance dans la presse écrite gagne du
terrain, celle pour l’internet est minoritaire, et la méfiance à
son égard augmente. Cependant, étant donné l’influence accrue des
médias sociaux, les appels se multiplient en faveur d’une forme
de réglementation des médias en ligne, en particulier en période
électorale. Les médias sociaux sont des sociétés privées avec un degré
«d’intérêt public» parce qu’elles jouent un rôle dans l’écosystème
d’information et dans les préférences des utilisateurs en matière
de médias. Elles jouent le rôle de coéditeurs non seulement en tant
que plateformes, mais recourent aussi à des algorithmes et produisent
des contenus.
3. Défis
posés par le nouvel environnement médiatique
3.1. Couverture
subjective et partisane et émergence de la désinformation et de
la propagande
28. Les médias, en particulier
les médias de service public, ont souvent des préjugés favorables
à l’égard des candidats sortants et cette partialité va généralement
à l’encontre des critères fixés par l’OSCE et d'autres normes internationales
en matière d’élections. Les médias de service public ou d'État risquent
d'être exploités par des gouvernements qui font ouvertement la promotion
de leurs programmes politiques. De plus, des études montrent qu’internet,
notamment les réseaux sociaux, ont été utilisés de façon intensive
– tant par des États que par des acteurs non étatiques – pour des
manipulations et des opérations de propagande.
29. Dans la
Résolution
2143 (2017) «Médias en ligne et journalisme: défis et responsabilité»
, l'Assemblée parlementaire s’est
montrée préoccupée par l'influence des médias en ligne sur les élections
, notamment en ce qui concerne les
nombreuses campagnes médiatiques en ligne lancées, souvent dans
le contexte politique, dans le but de nuire aux processus politiques
démocratiques
.
30. Selon un rapport de Freedom House, les tactiques de manipulation
et de désinformation jouent un rôle important dans les élections,
compromettant la capacité des citoyens à choisir leurs dirigeants
sur la base de nouvelles factuelles et de débats authentiques. Ces
dernières années, cette pratique s’est beaucoup répandue et est
devenue très perfectionnée sur le plan technique. Elle utilise notamment
des bots, des producteurs de propagande et des faux médias qui exploitent
les réseaux sociaux et les algorithmes de recherche pour obtenir une
visibilité optimale et intégrer leurs messages de façon transparente
dans des contenus de confiance. Il s’agit non seulement du problème
de l’exploitation de données privées à des fins politiques, mais
aussi du recours à des vidéos et des nouvelles trafiquées et à la
diffamation contre des candidats. Dans de telles conditions, n’importe
quelle campagne électorale est compromise. Les effets de ces techniques
de diffusion rapide sur la démocratie et l'activisme civique sont
potentiellement dévastateurs
. Cela est préoccupant. Ces actions
sapent la confiance, polluent l'espace de l'information et tentent
de détruire le discours public et les institutions démocratiques.
31. Selon une étude menée par l'université d'Oxford, les campagnes
politiques, les gouvernements et les citoyens ordinaires du monde
entier emploient des personnes et des bots pour tenter de façonner artificiellement
la vie publique. L’étude montre que la propagande automatisée est
un phénomène lié aux récents efforts de désinformation et de manipulation
numériques et la définit comme l'utilisation d'algorithmes, de programmes
automatisés et de traitement humain visant à distribuer intentionnellement
des informations trompeuses sur les réseaux sociaux. Une personne,
ou un petit groupe de personnes, peut utiliser une armée de bots
politiques sur Twitter pour donner l'illusion d'un consensus à grande
échelle
.
32. Aujourd’hui, il y a suffisamment d’éléments de preuve pour
suggérer que les régimes autocratiques utilisent des bots politiques
pour faire taire les opposants et imposer les messages officiels
de l'État. Des bots politiques ont également été utilisés pendant
les élections pour influencer le vote ou diffamer les opposants. La
même étude d'Oxford prévient également que des acteurs politiques
anonymes exploitent des éléments clés de la propagande automatisée,
tels que des faux reportages, des campagnes coordonnées de désinformation
et des trolls, pour attaquer des défenseurs des droits de l'homme,
des groupes de la société civile et des journalistes. La propagande
automatisée est l'un des nouveaux outils les plus puissants contre
la démocratie.
3.2. Propos
inflammatoires et hostiles
33. Certaines formes de désinformation
et de propagande peuvent non seulement nuire à la réputation et
à la vie privée des individus, mais aussi inciter à la violence,
à la discrimination ou à l'hostilité contre des groupes identifiables
de la société
. Selon les normes internationales
et les recommandations sur le discours de haine, les médias doivent
refuser toute expression ouverte d'intolérance et déterminer de
façon réfléchie si la publication de telles manifestations ne favorise
pas la diffamation et la dérision pour des motifs tels que le genre,
la race, la couleur, la langue, la religion, l’appartenance à une
minorité nationale ou ethnique ou à un groupe ethnique, la différence
sociale ou l’opinion politique ou autre.
34. La nécessité de combattre de telles formes d'expression est
encore plus urgente dans des situations de tension, en temps de
guerre ou d’autres formes de conflit armé. Une responsabilité particulière
incombe aux gouvernements des États membres du Conseil de l’Europe,
aux autorités et institutions publiques aux niveaux national, régional
et local, ainsi qu'aux fonctionnaires, qui doivent s'abstenir d'effectuer
des déclarations, en particulier dans les médias, pouvant raisonnablement
être prises pour un discours de haine ou comme un discours pouvant
faire l'effet d'accréditer, de propager ou de promouvoir la haine
raciale, la xénophobie, l'antisémitisme ou d'autres formes de discrimination
ou de haine fondées sur l'intolérance. Ces expressions doivent être
prohibées et condamnées publiquement en toute occasion.
35. Cependant, une distinction claire doit être faite entre un
média qui transmet des commentaires racistes reflétant sa position
éditoriale et un média qui relaie de tels commentaires, formulés
par d'autres, dans le cadre d’un reportage. Les normes internationales
prévoient que les médias ne devraient pas être tenus légalement responsables
de la retransmission fidèle de déclarations d'autrui, même si ces
déclarations sont considérées comme illégales.
36. Dans ce contexte, il est important de déterminer si ces commentaires
ont été rapportés de façon provocatrice et si des points de vue
qui les contrebalancent ont également été exprimés, et de prendre
en considération d'autres éléments de contexte pour comprendre si
ces points de vue ont été présentés sous un jour positif ou négatif.
Les médias devraient en principe être exonérés de toute responsabilité
pour la diffusion de déclarations illégales faites directement par
des partis ou des candidats – que ce soit dans le cadre d’émissions
en direct ou de spots publicitaires – sauf si les déclarations ont
été jugées illégales par un tribunal, si elles constituent une incitation
directe à la violence et si le média a eu la possibilité d'empêcher
leur diffusion
.
37. Un autre aspect à prendre en considération est l'identité
de la personne qui est critiquée. La Cour européenne des droits
de l'homme a précisé que la portée de la diffamation est beaucoup
plus étroite lorsque la personne concernée, dont la réputation peut
être affectée, est un représentant public ou, plus généralement, un
homme ou femme politique. Elle part du principe que l’instauration
d’un débat politique et d’un régime de responsabilité, qui sont
nécessaires dans une démocratie, impose de ne pas restreindre l’expression déterminée
des opinions.
3.3. Manque
de reportages d’investigation et de couverture analytique et recul
de la pensée critique dans le public
38. Un certain nombre de rapports
finaux d'observation de l'OSCE/BIDDH soulignent le manque général d’analyse
et d’investigation dans les reportages des médias sur les élections.
En réponse à la propagande et à la désinformation, nous avons besoin
d’un journalisme de qualité et il serait donc souhaitable de soutenir
des initiatives, des formations et d'autres activités visant à améliorer
la qualité globale des reportages diffusés en période électorale.
39. D’aucuns craignent que les médias sociaux ne minent la qualité
des informations et que les informations dénaturées qui sont communiquées
aux citoyens n’affaiblissent la démocratie à l'ère numérique. D’autant
qu’il n’y a pas de débat significatif dans ce domaine, car les internautes
sont installés dans des «bulles de filtrage» qui regroupent des
personnes qui partagent les mêmes idées et sont enfermées dans des
chambres d'écho qui renforcent leurs propres préjugés. Le manque
de réflexion analytique dans les médias traditionnels et le rôle
négatif joué par les médias sociaux contribue à la diminution de
la pensée critique dans le public. Il est donc capital de s’interroger
sur la façon d’éliminer ces tendances négatives et de renforcer
les institutions démocratiques existantes.
3.4. Problèmes
liés à la régulation des nouveaux médias
40. Les pratiques de régulation
appliquées aux médias traditionnels peuvent-elles servir aux nouveaux médias?
Telle est la principale question liée à la régulation des nouveaux
médias. À l’évidence, bon nombre des principes applicables en matière
de régulation des médias traditionnels ne le sont pas dans le cas
des nouveaux médias. Ainsi, le principe de régulation de l’audiovisuel
selon lequel le spectre des fréquences est une ressource limitée
et, donc, qui doit être partagée, ne s’applique pas sur internet.
En outre, avec la convergence des médias traditionnels et des nouveaux
médias, les gouvernements se trouvent confrontés à un défi: où et
comment délimiter la régulation? Faut-il réguler les blogs exprimant
des opinions bien arrêtées de la même manière que des campagnes
par des tiers? Est-il possible d’imposer des périodes d’interdiction au-delà
des frontières nationales, voire en-deçà
?
41. N’oublions pas que les restrictions juridiques répressives
imposées aux journalistes restent la plus grave menace qui pèse
sur la diversité et sur la qualité de l’information. Les médias
traditionnels peuvent être régulés d’une manière qui ne constitue
pas une censure et qui renforce, plutôt qu’elle ne restreint, la
liberté d’expression. Mais s’agissant des nouveaux médias, une telle
régulation s’est révélée extrêmement difficile. Certes, il est possible
de réguler les nouveaux médias, mais sur internet, les contenus,
par exemple, sont tellement divers et répandus que les tentatives
de régulation ont manqué de souplesse et tenu de la censure – interception
d’e-mails, fermeture de sites web et pression (ou actions en justice)
contre des fournisseurs d’accès internet. D’autres problèmes de
régulation tiennent au caractère international d’internet. Quant
aux tentatives des autorités nationales pour fermer des sites web,
elles se sont soldées par la création de sites miroirs (répliques)
en dehors des frontières nationales. L’autorégulation par les utilisateurs
des nouveaux médias est aussi plus difficile, sans compter que les
nouveaux médias ont souvent ignoré les conventions largement acceptées
par les médias traditionnels (par exemple, en ne rendant pas compte
des sondages des votants avant l’issue des scrutins)
.
42. Reste qu’on ne peut faire l’impasse sur l’impact grandissant
d’internet et des médias sociaux en période électorale. Par exemple,
lors des élections législatives de 2015 au Royaume-Uni, jusqu’à
1,6 millions de livres sterling ont été dépensées en publicité politique
via Facebook et Google, soit deux fois plus qu’en campagne télévisée,
et cinq fois plus que pour la campagne de presse
.
43. Depuis quelques années, la Cour européenne des droits de l’homme
développe une jurisprudence sur les médias en ligne. Mais c’est
en 2017 que, pour la première fois, la Cour a établi la responsabilité
des médias d’information en ligne lorsqu’ils rendent compte de graves
allégations portées contre un candidat politique. La Cour a établi
d’importants principes (article 10) applicables aux médias en ligne
durant des élections, en particulier lorsque des organes de presse
en ligne suivent des pratiques journalistiques «de bonne foi». En outre,
elle a prononcé d’importants arrêts concernant la responsabilité
des médias d’information en ligne pour les contenus générés par
les utilisateurs.
44. À noter que, en réaction à la critique de leur rôle dans les
élections américaines, les plates-formes médiatiques en ligne ont
commencé à prendre des mesures pour remédier aux tendances négatives divulguées
après les élections. Par exemple, Facebook permet à présent aux
utilisateurs de «marquer une actualité comme étant fausse» – les
actualités signalées comme «fausses» par les utilisateurs peuvent
ensuite être examinées par une personne chargée de la vérification
des faits.
45. De plus, en matière de publicité politique, plusieurs médias
sociaux ont mis en place des politiques d’autorégulation sur la
couverture des élections. Par exemple, dans la politique publicitaire
de LinkedIn, une règle dispose que toute publicité à caractère politique
doit clairement identifier la personne [ou l’entité] qui a payé
pour ce message. Les publicités qui ne sont pas financées par un
candidat ou une campagne doivent indiquer si le contenu est approuvé
par un candidat et, si ce n’est pas le cas, elles doivent comporter
les coordonnées de la personne ou de l’entité qui a payé pour le
message. Les publicités à caractère politique doivent respecter
les lois applicables, notamment les règles d’identification des
soutiens financiers et de communication en période électorale. De
même, la politique publicitaire de Twitter impose des restrictions
aux «campagnes politiques» et applique des règles spécifiques aux
pays. De plus, Twitter signale par un badge violet les publicités
liées à une campagne politique payées par des candidats ou des partis.
Quant à Google, son centre
AdWords applique
également des règles au «contenu politique» et à sa promotion, les
publicités devant respecter les lois en vigueur, notamment celles
concernant les «périodes de silence» en période électorale
.
4. Bonnes
pratiques en usage et solutions possibles aux défis posés par le
nouvel environnement médiatique
4.1. Vers
de nouveaux modèles de financement d’un journalisme de qualité
46. Un journalisme de qualité étant
essentiel pour faire face à l’émergence de la désinformation et
de la propagande, il est important de soutenir davantage les modèles
déjà opérationnels qui fonctionnent bien, notamment, mais pas uniquement,
les médias de service public. Ensuite, il ne faut pas oublier que l’information
reste potentiellement un actif précieux; or, il semble qu’à l’heure
actuelle, le secteur des médias ne soit pas capable d’en monétiser
toute la valeur. Ainsi, le journal néerlandais De Correspondent a au moins cinq
sources de revenus (abonnements, revente de technologies, gestion
des porte-parole, événements, édition de livres). Un moyen de mieux
monétiser l’information consiste à employer un vaste éventail de
formats et de canaux (livres, expertise-conseil, jeux vidéo).
47. Le journalisme traditionnel connaît un certain nombre de difficultés,
l’une des plus grandes étant due à la concurrence des plates-formes
des médias sociaux, lesquelles ont absorbé une grande partie des
revenus publicitaires qui, auparavant, maintenaient les médias traditionnels
à flot. Selon un article publié dans le quotidien britannique
The Guardian, en agissant comme
des entreprises de technologie tout en endossant, en fait, le rôle
d’éditeurs, Google, Facebook et autres ont conçu par hasard un système
qui «valorise» les contenus particulièrement séduisants et bon marché
aux dépens de contenus plus onéreux mais moins «diffusables». Quiconque
veut toucher un million de personnes au moyen d’une vidéo minable
sur les théories du complot, est tout à son affaire. En revanche,
si votre intention est de toucher une ville de 200 000 habitants au
moyen d’une salle de presse bien équipée, l’affaire est vouée à
l’échec
.
48. Au lendemain des élections de 2016 aux États-Unis, le rôle
des médias sociaux durant la période électorale a été au cœur des
débats. Bien que jusqu’alors, le débat ait montré que ces plates-formes
de médias sociaux (Facebook, Google et Twitter) ont avant tout le
souci de protéger leurs intérêts commerciaux, il semble qu’elles
aient au moins reconnu, dans une certaine mesure, qu’elles font
partie du problème, et qu’elles aient commencé à prendre des mesures
pour y remédier. Un certain nombre d’analystes estiment que les
plates-formes de médias sociaux doivent faire partie de la solution.
4.2. Vérification
des faits et démystification
49. De nouveaux projets sont apparus
après les élections de 2016 aux États-Unis. Leur principal objectif: apporter
au public les données nécessaires pour qu’il forme ses propres conclusions
sur les informations reçues.
50. Prenons l’exemple de
CrossCheck,
projet collaboratif de vérification en ligne lancé en février 2017,
qui a réuni 37 partenaires de presse en France et au Royaume-Uni
pour aider à signaler les déclarations fausses, trompeuses et déroutantes
qui circulaient sur internet au cours des dix semaines précédant
l’élection présidentielle française de 2017. S’il est sans doute
important de recourir aux technologies les plus récentes pour rechercher
comment automatiser la vérification et l’identification des trolls
en ligne, les journalistes professionnels et les analystes de médias
semblent particulièrement bien placés pour assurer une vérification vraiment
efficace. Les organes de presse doivent envisager d’inclure une
couverture critique de la désinformation et de la propagande dans
le cadre de leurs services d’information, en particulier pendant
les élections et à l’occasion de débats sur des questions d’intérêt
public
.
51. Un autre exemple pertinent est celui du
First
Draft, un projet du Centre Shorenstein sur les médias,
la politique et les politiques publiques de «John F. Kennedy School
of Government» de l'université de Harvard. Le projet utilise des
méthodes basées sur la recherche pour lutter contre la désinformation
en ligne et fournit en outre des conseils pratiques et éthiques
sur la façon de trouver, de vérifier et de publier du contenu provenant
des médias sociaux.
First Draft est
né en juin 2015 de la collaboration entre neuf organisations fondatrices
pour sensibiliser, mener des recherches et relever les défis liés
à la confiance et à la vérité dans les médias à l'ère numérique.
En tant que l'une des organisations fondatrices, Google News Lab
a fourni une assistance pour développer et maintenir le projet,
a soutenu la création de nouveaux contenus et a coordonné la communauté
de pratique. En septembre 2016,
First
Draft a commencé à se coordonner avec une communauté
de rédactions, de sociétés technologiques, d'organisations de défense
des droits de l'homme et d'universités du monde entier afin d'informer
et d'élargir son travail et de promouvoir la collaboration
.
52. D’après le Centre d'analyse des politiques européennes (
Center for European Policy Analysis),
les opérations de vérification et de démystification fonctionnent
lorsqu’elles ciblent des publics particulièrement réceptifs à des
arguments factuels. Pour être véritablement efficace, cette recherche
doit viser les médias et les décideurs et être adaptée à leurs programmes.
Qu’il s’agisse de réagir rapidement à la désinformation véhiculée
par les grands médias ou de contribuer à des débats politiques,
les sites de démystification luttant contre la désinformation diffusée
par le Kremlin méritent d’être renforcés et affinés pour obtenir
de vrais résultats
.
4.3. Renforcement
de la mission des médias de service public
53. La mission des médias de service
public est d’informer, d’éduquer et de divertir. Au cœur de cette mission
réside la notion de société informée. Les médias publics doivent
mettre un point d’honneur à cultiver et maintenir la démocratie
ainsi qu’à fournir aux citoyens les informations dont ils ont besoin
pour prendre des décisions informées leur permettant de se positionner
par rapport à leur communauté, à leur pays et au monde. À cette
fin, les radiodiffuseurs publics doivent assurer une couverture
globale et critique des institutions publiques.
54. Dans un monde où la désinformation et la propagande se multiplient
et se généralisent, où les gens ne savent pas à qui faire confiance,
c’est aux radiodiffuseurs publics qu’il incombe d’affirmer les plus
hautes valeurs journalistiques et d’offrir au public des reportages
dignes d’intérêt et de crédibilité, en privilégiant la vérification
des faits, le reportage approfondi et le journalisme d’investigation.
55. Le radiodiffuseur public sera toujours plus pauvre que ses
concurrents privés aux mains d’oligarques, et il n’aura pas les
moyens de séduire l’auditoire par des émissions de divertissement
de grande envergure. Néanmoins, dans un paysage médiatique fragmenté,
un radiodiffuseur public fort et indépendant pourrait devenir le
média le plus apprécié pour sa fiabilité, sa capacité de rester
ouvert aux diverses composantes de la société, de poser les bonnes
questions, et pour son effort d’y apporter des réponses par le biais d’investigations
non biaisées et d’un journalisme citoyen. C’est ce que tente Hromadske
TV, portail ukrainien d’actualités télévisées en ligne. Créée en
novembre 2013, la chaîne Hromadske TV est une tentative ambitieuse
de construire, à partir de rien, un radiodiffuseur public exempt
de tout intérêt politique et commercial, ou de propagande gouvernementale,
et financé uniquement par des donateurs et des subventions publiques.
Avec seulement 20 journalistes employés à plein temps, la chaîne
s’est efforcée de produire un journalisme impartial, devenant tout
spécialement réputée pour ses reportages en direct sur des manifestations
occupant la place de Maïdan.
4.4. Renforcement
de l’indépendance des instances de régulation des médias
56. L'organisme chargé de superviser
la couverture médiatique des élections doit avoir de l'expérience,
des ressources suffisantes, des connaissances, du savoir-faire et
un mandat pour superviser le respect des règles. Il doit réagir
rapidement en cas de plaintes des candidats, ou à chaque fois qu'il
constate une violation, enquêter de façon approfondie sur les violations
alléguées et imposer les recours effectifs qui s’imposent lorsque
des violations ont eu lieu
. Il est important que les sanctions
imposées par le régulateur soient proportionnées à la gravité de
l'infraction commise par le média incriminé.
57. Dans les États membres, les autorités devraient veiller (tant
sur le plan législatif que pratique) à l’indépendance politique
et opérationnelle des instances de régulation des médias, conformément
aux normes établies par le Conseil de l’Europe
. Si ces instances entendent être
respectées pour leur indépendance et leur crédibilité, elles doivent
faire montre de diversité dans leur composition et compter, entre
autres membres, des experts dotés d’une formation et de l’expérience
en matière de médias et sélectionnés parmi, entre autres, des organisations
de la société civile traitant de la liberté d’expression.
58. Compte tenu des changements dans l’environnement médiatique,
la prochaine étape pourrait consister à créer des départements de
surveillance des médias, ou à renforcer ceux déjà en place, tant
en termes d’allocation de fonds que de formation en analyse quantitative
et qualitative des médias.
4.5. Réglementation
des contenus en ligne; législation visant à lutter contre le discours
de haine et les appels à la violence en ligne
59. Certaines mesures prises par
des intermédiaires d’internet pour limiter l’accès à ou la diffusion
de contenus numériques, y compris par le biais de processus automatisés
tels que des algorithmes ou des systèmes numériques de retrait de
contenus fondés sur la reconnaissance numérique, qui ne sont pas transparentes
par nature, ne respectent pas les normes de procédure minimales
et/ou restreignent de manière excessive l’accès à des contenus ou
leur diffusion, peuvent susciter des préoccupations légitimes. La
décision d’un État d’ordonner le blocage de sites entiers, d’adresses IP,
de ports et de protocoles internet est une mesure extrême qui ne
peut être justifiée que dans le cadre strict fixé par l’article
10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les systèmes
de filtrage de contenus imposés par un gouvernement qui ne sont
pas contrôlés par l’utilisateur final ne sont pas justifiables en
tant que restriction à la liberté d’expression
.
Ces questions étant traitées dans d’autres rapports en cours, je
me limite ici à le rappeler.
4.6. Transparence
accrue concernant les propriétaires des médias et prévention des concentrations
de médias
60. Pour contrer la désinformation,
la manipulation et la propagande, il faut plus d’indépendance; or
celle-ci est étroitement liée à la transparence et au pluralisme.
Il importe d’accroître encore la transparence de la propriété des
médias dans plusieurs États membres, de manière à savoir qui sont
les véritables propriétaires. Le fait que des responsables et des
partis politiques demeurent propriétaires de médias continue de
poser problème dans certains États membres. Si l’introduction de
restrictions rigoureuses serait problématique au regard de l’article
10 de la Convention européenne des droits de l’homme, il est essentiel
que le public ait conscience de l’influence que les propriétaires
de médias peuvent exercer.
61. La transparence aide à réduire les abus d’influence aussi
lorsqu’elle est appliquée à la publicité politique. Lorsque les
médias acceptent de faire de la publicité politique payante, il
convient que toute annonce politique payante, quelle que soit la
catégorie de médias, soit directement reconnaissable en tant que
telle et que le public puisse connaître le parti ayant sollicité
l’achat de l’annonce. Il existe des cas où, pendant des campagnes
électorales, des médias ont accepté, contre de l’argent, d’accorder
une plus grande attention à certains responsables politiques dans
leurs bulletins d’information consacrés à la campagne. Il s’agit
de pratiques de corruption qui devraient être sanctionnées par les
instances de régulation et les autorités judiciaires compétentes.
Par ailleurs, la transparence de la publicité politique doit être
assurée aussi hors ligne.
62. Dans un certain nombre d’États membres du Conseil de l’Europe,
la monopolisation persistante du marché des médias par de puissants
groupes proches du pouvoir politique a privé le public d’une réelle diversité
des sources d’information et, par là même, a affaibli les garanties
de pluralisme. Cette concentration excessive de la propriété des
médias devrait être évitée grâce à des mesures adéquates. Il convient
d’utiliser des instruments appropriés pour améliorer la concurrence,
inciter les anciens acteurs à assouplir les monopoles de l’information
et permettre à de nouveaux acteurs d’entrer sur la scène des médias.
4.7. Surveillance
et analyse des médias
63. Durant des élections, la surveillance
des médias fournit des critères auxquels se référer pour juger de l’équité
du processus électoral. Cette surveillance évalue la conduite des
médias au cours des différentes étapes du processus électoral, notamment
quant au respect des normes internationales et de la réglementation
locale applicables à la couverture des élections. Ainsi est-il possible
d’établir si les candidats jouissent d’un accès équitable aux médias
pour transmettre leurs messages aux électeurs et si les informations ainsi
transmises permettent aux citoyens d’opérer un choix dûment éclairé
lors du scrutin. Des données statistiques sur des questions, telles
que le temps consacré aux candidats, la couverture médiatique des candidats
et autres acteurs politiques majeurs, les analyses de l’impartialité,
la portée et la qualité des campagnes d’éducation de l’électorat,
la pertinence des informations concernant les élections, etc., servent
de base à des analyses.
64. Les résultats de la surveillance montrent comment les médias
se comportent et permettent de tenir le public et les candidats
informés sur ces questions. Si des failles sont identifiées, une
action corrective doit être prise pour améliorer la couverture médiatique
ou pour protéger les droits et les libertés des médias. Ainsi la surveillance
des médias devrait-elle devenir un processus permanent et solide,
tant en termes quantitatifs que qualitatifs, capable de fournir
un feedback au secteur et d’assurer le respect des normes professionnelles
et éthiques des médias.
4.8. Éducation
aux médias et au numérique
65. Il est important que les gens
comprennent le danger de la désinformation et de la propagande véhiculées
sur internet. Aussi les États membres doivent-ils prendre des mesures
pour promouvoir une éducation aux médias et au numérique, notamment
en intégrant ces sujets dans les programmes scolaires et en menant
auprès de la société civile et autres parties prenantes des actions
de sensibilisation sur ces questions
.
66. Dans son rapport sur la lutte contre les techniques de désinformation
employées par la Russie (
Defending and
Ultimately Defeating Russia’s Disinformation Techniques),
le Centre d'analyse des politiques européennes estime que, pour
toucher les publics les plus vulnérables, il faut intégrer l’éducation
aux médias dans les programmes de grande écoute au lieu de lui consacrer
des émissions d’actualités ou jeux vidéo à part
.
4.9. Soutien
de la société civile
67. La propagande a pour principal
objectif de semer le doute, de déformer la vérité, de diviser les
États membres, de manigancer une fracture stratégique entre l’Union
européenne et ses partenaires de l’Amérique du Nord et de paralyser
le processus décisionnel. Son but est aussi d’affaiblir l’histoire
européenne fondée sur les valeurs démocratiques, les droits humains
et la primauté du droit. Parce que la propagande vise aussi à tuer
le militantisme, il incombe à la société civile d’y résister. Il
est important que la société civile identifie et attire l’attention
sur les fausses nouvelles, la désinformation et la propagande au
moyen de mesures permanentes de vérification factuelle et de surveillance
des médias afin d’informer précisément les gens sur l’essence de
ces actes de propagande.
5. Conclusions
68. Les États doivent promouvoir
un environnement de communication libre, indépendant et pluraliste,
qui est essentiel pour lutter contre la désinformation et la propagande
et assurer l’effectivité du droit à des élections libres.
69. Dans ce contexte, les pouvoirs publics doivent toujours s’abstenir
de toute tentative d’influencer ou de censurer les contenus médiatiques,
ou d’intervenir de toute autre manière dans les activités des médias
et des journalistes, en sapant l’indépendance des médias. Aucune
ingérence dans les activités des journalistes et du personnel des
médias ne devrait être tolérée, et toute allégation à cet égard
devrait immédiatement donner lieu à une enquête sérieuse; cela est
encore plus important durant les périodes électorales.
70. Pour promouvoir le pluralisme, les États doivent veiller à
interdire une concentration excessive de la propriété des médias
et à imposer la transparence des structures de propriété des médias.
La présence de médias de service public forts, indépendants, dotés
de ressources suffisantes est à la fois une condition du pluralisme
et une garantie que la diversité de la société puisse trouver une
place dans un environnement médiatique surpeuplé où au risque de
la désinformation et de la manipulation s’ajoute celui d’une pensée majoritaire
qui voudrait s’imposer comme pensée unique.
71. Les médias de service public devraient être libres de critiquer
les activités ou l’inaction des pouvoirs publics. L’État n’est pas
le patron des médias de service public; c’est aux citoyens qu’ils
appartiennent, non aux pouvoirs en place, et ils ne doivent subir
aucune pression ni représailles pour les informations qu’ils diffusent,
pour autant qu’ils respectent leur devoir d’impartialité.
72. Tous les médias devraient éviter de diffuser des informations
non vérifiées ou des rumeurs, pour provoquer un scandale ou à des
fins de propagande. Si, malgré tout, le message est jugé important,
sa diffusion devrait s’accompagner d’un avertissement précisant
l’absence de vérification. Il faut distinguer clairement les faits
des commentaires et opinions.
73. Il faut renforcer la protection contre le discours de haine
et contre la propagande d’État. Cependant la répression est insuffisante.
Les États devraient encourager toutes les parties prenantes, y compris
les médias, les intermédiaires d’internet, la société civile et
le monde universitaire, à développer des initiatives participatives
et transparentes pour mieux faire comprendre l’impact de la désinformation
et de la propagande sur la démocratie, ainsi que pour trouver des
solutions adéquates à ces phénomènes.
74. Une instance de régulation solide est essentielle pour veiller
à ce que les médias maintiennent des normes journalistiques. Pour
être efficaces, les instances de régulation ont besoin de lignes
directrices claires indiquant précisément quand sanctionner les
médias pour infraction à la législation régissant le «discours de haine»,
l’«incitation à la violence» ou autre. Les autorités devraient veiller
à l’indépendance politique, opérationnelle et financière des instances
de régulation des médias, conformément aux recommandations du Conseil
de l’Europe. Pour rehausser la confiance du public dans ses actions,
il conviendrait de renforcer le mécanisme de contrôle de la qualité
des instances de régulation des médias, notamment par une obligation de
publier en ligne des rapports annuels détaillés sur l’ensemble de
leurs activités, budgets, décisions et résultats de délibérations.
En période de campagne électorale, la mise en place d’une surveillance systématique
des médias aiderait les instances de régulation à identifier toute
couverture inéquitable et partiale des candidats ainsi qu’à prendre
rapidement des mesures correctives.
75. Il conviendrait d’envisager de créer des plates-formes consacrées
à la connaissance des médias (discussion, formations, études et
réflexion), afin de rehausser le niveau de la profession journalistique
et d’en expliquer les aspects «malsains», tels que la propagande.
La possibilité d’échanger des expériences par le biais de réseaux
de médias et d’associations journalistiques d’envergure internationale,
contribuerait à atteindre ces buts.
76. Il est recommandé aux États membres de renforcer la réglementation
afin d’assurer que la publicité politique soit au moins aussi transparente
en ligne que hors ligne. De plus, les entreprises de technologie devraient
contribuer à la lutte contre la désinformation et la propagande
en réexaminant les algorithmes qui servent à l’édition des actualités,
en désactivant les bots et les faux comptes utilisés à des fins antidémocratiques.
Quant aux annonceurs, il est important qu’ils ne financent pas les
sites web qui font la promotion du discours de haine, qui diabolisent
les personnes LGBT et qui incitent à la violence.
77. Enfin, à côté des mesures d'intervention réglementaires, il
faudrait tenir compte de la possibilité de promouvoir des mesures
d'autorégulation ou de corégulation. Il est peu probable qu’un système
de régulation étroitement contrôlé par le gouvernement soit un gage
de pluralisme et de diversité dans les médias. En revanche, un système
volontaire offrant de solides garanties juridiques ou constitutionnelles
d'indépendance des médias peut encourager le pluralisme et le protéger
contre toute ingérence gouvernementale ou politique, et contribuer
au développement des compétences et des normes professionnelles.