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Réponse à Recommandation | Doc. 14770 | 05 décembre 2018
État d’urgence: questions de proportionnalité relatives à la dérogation prévue à l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme
1. Le Comité des Ministres a examiné attentivement
la Recommandation 2125
(2018) de l’Assemblée parlementaire sur «État d’urgence:
questions de proportionnalité relatives à la dérogation prévue à
l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme».
Il a communiqué la Recommandation au Comité directeur pour les droits
de l’homme (CDDH) et au Comité de conseillers juridiques sur le
droit international public (CAHDI) et pris leurs commentaires en
considération dans la présente réponse.
2. L’exercice par un État du droit de dérogation à ses obligations
au titre de la Convention et des Protocoles pertinents est incontestablement
une question cruciale. Cette possibilité donnée aux États, dans
les circonstances, dans la mesure et de la manière énoncées à l’article 15,
est une caractéristique importante de l’instrument, qui permet à
la Convention et à son mécanisme de contrôle de continuer de s’appliquer
même dans les situations les plus critiques. On peut affirmer que
dans l’ensemble les États n’ont utilisé cette possibilité qu’avec
parcimonie. Comme l’indique la fiche thématique établie par le Greffe
de la Cour européenne des droits de l’homme sur cette question
,
dans toute l’histoire de la Convention huit États membres ont dérogé
à certaines de leurs obligations en vertu de cet instrument.

3. La Convention n’accorde pas aux États une liberté totale dans
ce domaine. Au contraire, le texte de l’article 15 circonscrit clairement
le droit de dérogation. De plus, et ce point est crucial, la portée
et la forme de la dérogation d’un État sont toutes deux soumises
au contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce contrôle
a été détaillé et appliqué dans diverses situations. Il a donné
lieu à un cadre jurisprudentiel très précis, que décrit le récent
guide sur la jurisprudence publié sous l’autorité du Jurisconsulte
de la Cour
. Eu égard en particulier au paragraphe 19.6
de la Résolution 2209
(2018) de l’Assemblée parlementaire portant sur le même
thème que sa Recommandation 2125
(2018), le Comité note l’importance d’assurer la continuité du
fonctionnement des institutions et processus démocratiques dans
les États membres en cas d’état d’urgence, ce qui apparaît également
dans des arrêts récents de la Cour. Ces arrêts soulignent que même dans
de telles circonstances toute mesure prise doit viser à protéger
l’ordre démocratique des menaces qui pèsent sur lui, et que tout
doit être fait pour protéger les valeurs d’une société démocratique
.
Ces arrêts récents illustrent également la capacité de la Cour à
traiter avec célérité les affaires ayant trait à l’état d’urgence et
aux dérogations au titre de l’article 15. La Cour ayant accordé
la priorité à ces affaires en raison de la privation de liberté
des requérants, les arrêts ont été rendus en un peu plus d’un an.
L’évaluation de la Cour concernant la dérogation a ainsi été effectuée
à un stade relativement précoce.


4. Outre le contrôle au niveau international, l’importance des
garanties et recours juridictionnels au niveau interne doit aussi
être soulignée. Comme le montre la jurisprudence de la Cour, l’évaluation
des plus hautes juridictions internes sur la validité des mesures
appliquées en vertu d’une dérogation au titre de la Convention, ou
toute autre procédure analogue prévue par le droit interne, revêt
une importance particulière. Les concepts de subsidiarité et de
responsabilité partagée dans la garantie des droits de l’homme,
qui ont été réaffirmés dernièrement dans la Déclaration de Copenhague,
sont également pertinents pour ce qui concerne l’article 15. De
même, le Protocole n° 16, entré en vigueur le 1er août
2018, peut également être pertinent ici. Les plus hautes juridictions
des États parties à cet instrument ont maintenant la possibilité
de demander à la Cour des avis consultatifs sur des questions de
principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits
et libertés définis par la Convention ou ses protocoles pertinents.
5. Le Comité rappelle qu’il a examiné, dans le cadre de la lutte
contre le terrorisme, la question de la dérogation aux obligations
de la Convention, rappelant aux États que les circonstances qui
ont amené à l’adoption de telles dérogations doivent être réévaluées
de façon régulière dans le but de lever les dérogations dès que
ces circonstances n’existent plus (voir les Lignes directrices sur
les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, ligne directrice
n° XV). Il rappelle également sa réponse à la Recommandation 1865 (2009) de l’Assemblée
parlementaire sur la protection des droits de l’homme en cas d’état
d’urgence (CM/AS(2010)Rec1865-final).
Il réitère la déclaration qui y est contenue, selon laquelle, compte
tenu de son impact pour les droits et libertés individuels, la déclaration
d’un état d’urgence doit être utilisée avec la plus grande précaution
et uniquement en dernier ressort, et ne doit jamais devenir un prétexte
pour restreindre indûment l’exercice des droits de l’homme fondamentaux.
6. Compte tenu des considérations exposées ci-dessus, et partageant
les vues qui lui ont été communiquées par le CDDH et le CAHDI, le
Comité ne voit pas à l’heure actuelle la nécessité d’envisager une recommandation
aux États membres sur cette question.