1. Introduction
1. La protection des minorités
nationales est cruciale pour garantir l’égalité entre les personnes,
préserver la stabilité sociale et politique ainsi que la sécurité
démocratique, et promouvoir la diversité des cultures en Europe.
Appréhender les droits des minorités comme partie intégrante du
cadre des droits de l’homme a marqué une étape décisive pour les
personnes appartenant aux minorités nationales vers leur pleine participation
dans les sociétés au sein desquelles elles vivent, et la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales (STE no 157,
«la Convention-cadre») constitue un formidable outil à cet égard.
2. En 2006, l’Assemblée parlementaire a invité le Comité des
Ministres à poursuivre ses efforts pour encourager la pleine ratification
de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
par tous les États membres, sans réserves ni déclarations restrictives
.
Toutefois, aucune nouvelle ratification n’est intervenue depuis
lors. Quatre États membres ont signé mais n’ont toujours pas ratifié
la Convention-cadre, quatre ne l’ont toujours ni signée ni ratifiée
, et aucune déclaration ni réserve
n’a été retirée.
3. Au cours de cette même période, les 39 États Parties à cet
instrument ont continué à prendre des mesures afin de renforcer
la protection des personnes appartenant aux minorités nationales
qui relèvent de leur juridiction. Le Comité consultatif de la Convention-cadre
a régulièrement étudié la mise en œuvre de ce traité par les États
Parties et a adopté plusieurs commentaires thématiques relatifs
aux meilleures pratiques en ce qui concerne l’application de la
Convention-cadre.
4. Au vu de l’importance de la Convention-cadre en tant que premier
instrument multilatéral juridiquement contraignant en matière de
protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales,
la proposition de résolution à l’origine de ce rapport, déposée
en janvier 2017 par la commission sur l’égalité et la non-discrimination
, a invité l’Assemblée à étudier
la mise en œuvre de la Convention-cadre, à engager un dialogue avec
les États membres qui rencontrent encore des obstacles relatifs
à sa ratification et à examiner diverses façons de garantir l’application,
à travers l’ensemble de l’Europe, des principes et standards découlant de
la Convention-cadre.
2. Portée du rapport
5. Le présent rapport poursuit
deux objectifs principaux. Le premier répond à la nécessité de dépolitiser des
questions qui devraient au contraire être traitées sous l’angle
des droits de l’homme universels. En effet, l’adoption de la Convention-cadre
repose sur le postulat que la meilleure façon de garantir la protection
des minorités est de procéder à travers un engagement commun des
États membres du Conseil de l’Europe, qui consiste à protéger les
personnes appartenant aux minorités nationales relevant de leur
juridiction et à accepter que la situation de ces personnes fasse
l’objet d’un suivi multilatéral indépendant.
6. Or, en raison du fait qu’un petit nombre d’États n’ont pas
accepté cet engagement, il s’est créé un système à deux vitesses
en Europe. D’une part, 39 États, dont certains n’ayant reconnu l’existence
d’aucune minorité nationale sur leur territoire, se sont engagés
concrètement à renforcer la protection et la promotion des droits
des personnes appartenant aux minorités nationales et à soumettre
les mesures prises à un contrôle régulier. D’autre part, et bien
que des États qui ne sont pas Parties à la Convention-cadre prennent
déjà certaines mesures qui pourraient correspondre aux finalités
de cet instrument, aucun contrôle n’est effectué concernant la pertinence
de ces mesures ni leur compatibilité avec les principes de la Convention-cadre.
7. Par conséquent, ce rapport examine tout d’abord les mesures
déjà prises par les huit États qui ne sont pas Parties à la Convention-cadre,
les obstacles les empêchant de ratifier cet instrument et les perspectives de
sa ratification future par ces États.
8. Le second objectif consiste à examiner la mesure dans laquelle
la mise en œuvre de la Convention-cadre par les États Parties au
cours des vingt dernières années peut éclaircir les défis qui restent
à relever pour les États non Parties en ce qui concerne la ratification
de ce traité. Procéder à un examen détaillé de la situation en ce
qui concerne les droits des personnes appartenant à des minorités
nationales au sein de chacun des 39 États Parties irait clairement
au-delà de la portée de ce rapport. Mon analyse se fonde par conséquent
sur les éclairages qu’apporte le travail de suivi du Comité consultatif
,
et sur ses commentaires thématiques
.
3. Situation
en ce qui concerne les États membres n’ayant pas ratifié la Convention-cadre
9. En 2006, lors du dernier examen
détaillé de la ratification de la Convention-cadre par l’Assemblée,
le Comité consultatif se trouvait à mi-parcours de son deuxième
cycle de suivi, et il existait un seul et unique commentaire thématique
sur la Convention-cadre. Aujourd’hui, ces commentaires sont au nombre
de quatre; ils concernent l’éducation, la participation et les droits
linguistiques en vertu de la Convention-cadre, ainsi que son champ
d’application. Les avis du Comité consultatif incluent également
un ensemble considérable d’analyses, le quatrième cycle de suivi
étant déjà bien engagé. Cependant, dans la plupart des États qui
ne sont pas encore Parties à la Convention-cadre, les minorités,
si tant est qu’elles fassent l’objet de discussions, sont uniquement
examinées dans un contexte national, sans tenir compte de l’aspect
comparatif ni des meilleures pratiques qui ressortent du suivi continu
de la mise en œuvre de la convention par les États Parties. Il est
important à mes yeux d’encourager les États à profiter de ces ressources.
10. Par ailleurs, le processus de dialogue est important en tant
que tel et fait pleinement partie du rôle de l’Assemblée. J’ai par
conséquent cherché, tant en ma précédente qualité de président de
la sous-commission sur les droits des minorités qu’en tant que rapporteur
pour le présent rapport, à établir un dialogue avec les États membres
qui ne sont pas Parties à la Convention-cadre.
3.1. Méthodes
de travail
11. Lors de sa réunion qui s’est
tenue à Paris le 27 octobre 2016, la sous-commission sur les droits
des minorités a procédé à un premier échange de vues sur la ratification
des traités du Conseil de l’Europe relatifs aux droits des minorités,
en présence de la présidente du Comité consultatif ainsi que de
sa vice-présidente d’alors. La sous-commission a demandé aux présidents
des délégations nationales des huit États qui ne sont pas Parties
à la Convention-cadre de l’aider à identifier les interlocuteurs
appropriés. Deux membres de la délégation grecque auprès de l’Assemblée
parlementaire, ainsi qu’un membre de la Représentation permanente
de la Belgique auprès du Conseil de l’Europe, ont participé à la
réunion.
12. Faisant suite au renvoi de la question à notre commission
pour rapport, la commission a adopté le 19 mai 2017 un projet de
questionnaire adressé aux huit États membres qui ne sont pas Parties
à la Convention-cadre. Nous avons reçu des réponses de cinq de ces
États, qui ont été examinées par la sous-commission sur les droits
des minorités lors de sa réunion tenue le 12 octobre 2017 à Strasbourg.
13. Lors de la réunion tenue par la sous-commission le 21 novembre
2017 à Bucarest, les huit États qui ne sont pas Parties à la Convention-cadre
ont été invités à désigner un représentant pour participer à un
échange de vues en la présence non seulement de la sous-commission
mais également de la présidente du Comité consultatif. Seule la
Grèce, qui n’avait pas répondu à notre questionnaire écrit, a désigné
une représentante, avec qui nous avons tenu un échange de vues détaillé
(voir ci-dessous).
14. Dans le cadre de la préparation de ce rapport, j’ai également
tenu plusieurs réunions bilatérales avec les représentants de la
minorité de la Thrace occidentale (voir ci-dessous, paragraphe 3.2.4).
3.2. Réponses
des États qui ne sont pas Parties au questionnaire de la commission
3.2.1. Andorre
15. Dans sa réponse au questionnaire,
l’Andorre fait remarquer qu’il n’y a pas d’obstacles d’ordre constitutionnel
à la ratification de la Convention-cadre. Cependant, les liens institutionnels
avec l’Église catholique (l’un des coprinces étant l’Évêque de la
Seu d’Urgell) pourraient soulever des questions relatives à l’égalité
des confessions qui mériteraient un débat politique et sociétal.
La question de l’égalité devant la loi et de la non-discrimination
est, en Andorre, un principe normatif de premier ordre, et l’Andorre
a ratifié une longue liste de traités sur la protection des droits
des personnes. En outre, le gouvernement a adopté une stratégie progressive
afin de garantir l’égalité des droits des groupes vulnérables. L’Andorre
souligne que ses ressortissants sont eux-mêmes minoritaires au sein
de la population de leur pays; toutefois, depuis qu’il est devenu
plus facile d’obtenir la nationalité andorrane, la proportion de
ressortissants andorrans a augmenté et il est plus vraisemblable
que ce pays puisse un jour ratifier la Convention-cadre. Le Gouvernement
de l’Andorre a par ailleurs accepté d’envisager sa ratification
dans le cadre de l’Examen périodique universel des Nations Unies
. Il convient également de noter que l’Andorre
est Partie au Protocole no 12 à la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 177),
qui prévoit l’interdiction générale de la discrimination.
3.2.2. Belgique
16. La Belgique n’a pas répondu
au questionnaire et n’a pas non plus envoyé de représentant à l’audition tenue
à Bucarest. En 2002, la Conférence interministérielle de politique
étrangère belge a créé un groupe de travail chargé d’établir une
définition des minorités nationales dans le contexte belge. Toutefois,
peu de progrès ont été accomplis depuis lors. Le 17 juillet 2018,
en réponse aux questions récentes de deux parlementaires, le ministre
des Affaires étrangères a déclaré que la dernière réunion du groupe
de travail s’était tenue en juin 2016 et que son président avait
quitté ses fonctions peu de temps après. Le processus de désignation
d’un nouveau président était en cours. Une fois désigné, la première
tâche du nouveau président serait d'assurer un suivi approprié aux
décisions précédemment adoptées par le groupe de travail
. Selon la presse belge,
néanmoins, plusieurs membres de ce groupe de travail n’avaient pas
assisté à sa réunion de juin 2016, et ceux qui y avaient participé
s’étaient posé la question de la valeur ajoutée d’une poursuite
des travaux. Cependant, ils avaient estimé qu’il pourrait s’avérer
utile d’organiser une rencontre à Bruxelles avec le Comité consultatif
de la Convention-cadre, afin de s’entretenir avec celui-ci des éventuelles
implications d’une ratification de la Convention-cadre sur la législation
belge relative à l’emploi des langues en matière administrative
.
3.2.3. France
17. La France évoque des questions
d’ordre constitutionnel qui l’empêchent de ratifier la Convention-cadre, soulignant
que les notions constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination,
d’une part, ainsi que de l'unité et de l'indivisibilité de la nation
(qui portent à la fois sur le territoire et la population), d’autre
part, s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs
à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine,
de culture, de langue ou de croyance. Dans son avis du 6 juillet 1995,
le Conseil d'État a considéré que la Convention-cadre était, par
son objet même, contraire à l'article 2 de la Constitution française,
et il n’était pas dans l’intention des autorités françaises de procéder
à une révision constitutionnelle. Cependant, la France attire l’attention
sur les efforts considérables qu’elle fait pour lutter contre la discrimination
et les infractions motivées par la haine, y compris par le biais
d’une législation pénale forte, des travaux de la Délégation interministérielle
à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH),
ainsi que des campagnes de sensibilisation menées à l’échelle nationale
par les autorités. Par ailleurs, et compte tenu du fait que l'apprentissage
de la langue française joue un rôle crucial mais ne doit pas être
fait à l’exclusion d'autres langues, la France souligne que 14 langues
ou groupes de langues régionales sont enseignés en France métropolitaine
ou dans ses départements, régions ou collectivités d’outre-mer.
La France, toutefois, n’a pas signé le Protocole no 12
à la Convention européenne des droits de l’homme.
3.2.4. Grèce
18. Lors de l’audition tenue à
Bucarest, Mme Marina Telalian, Cheffe
du département des affaires juridiques au ministère des Affaires
étrangères de la République hellénique, a rappelé que la Grèce était
Partie au Traité de Lausanne. La Grèce n’a officiellement reconnu
qu’une seule minorité, la minorité religieuse (musulmane) résidant
en Thrace occidentale. Bien que la Convention-cadre donne aux États
la possibilité de définir quelles sont les minorités nationales
relevant de leur juridiction couvertes par ses dispositions, Mme Telalian
relève qu’il est difficile pour la Grèce de ratifier ce traité parce
que la minorité religieuse qu’elle reconnaît est constituée de trois
composantes, aux membres respectivement d’origine ethnique turque,
pomaque et rom, ayant la religion pour élément commun. Quant aux
personnes souhaitant être reconnues comme appartenant à une minorité
macédonienne, chacune est libre de s’identifier comme membre d’une
telle minorité; il s’agit là du droit individuel à la libre identification.
Toutefois, de l’avis des autorités, il n’existe pas de critère objectif
qui pourrait permettre à l’État de reconnaître officiellement l’existence
d’une minorité nationale. La Grèce estime ne pas avoir besoin de
ratifier la Convention-cadre, une législation très avancée, allant
au-delà des exigences du Traité de Lausanne, ainsi qu’un large éventail
d’outils de protection des droits des minorités, étant déjà en place.
Mme Telalian a expliqué de façon détaillée
les différentes mesures prises par la Grèce en ce qui concerne les
libertés de religion, d’association et d’expression, la participation
à la vie publique, le droit à l’éducation, la diversité culturelle,
la nomination et le rôle des muftis, le dialogue avec la société
civile et la législation anti-discrimination
. Au vu de ces éléments, la Grèce
considérait qu’il n’y avait pas de lacunes dans la protection législative
accordée aux minorités sur son territoire. L’absence de ratification
ne signifiait pas que la Grèce ne faisait aucun cas de cet instrument,
mais plutôt que la question de la ratification devait être envisagée
à la lumière de la situation spécifique de la Grèce, y compris concernant
l’existence ou l’absence de certaines minorités. La Grèce ne rejette
pas la possibilité de ratifier la Convention-cadre dans l’avenir.
Elle cherche également à s’assurer que la protection des minorités
n’est pas fonction de la réciprocité ou des relations interétatiques,
étant donné que dès l’adoption d’une approche bilatérale, la qualité
de la protection des minorités devenait directement dépendante de
la qualité de ces relations bilatérales.
19. Lors de nos échanges, les représentants de la minorité de
la Thrace occidentale m’ont exprimé leurs préoccupations quant à
la possibilité pour les personnes appartenant à des minorités de
s’identifier librement, quant au discours de haine et aux attaques
motivées par la haine commises à l’encontre des musulmans résidant
en Grèce, ainsi que sur les difficultés à exercer le droit à la
liberté d’association
,
les restrictions et le manque d’autonomie dans l’exercice de la
liberté de religion. Bien que les projets pilotes visant à accueillir des
enfants de langue turque dans des jardins d’enfants gérés par l’État
en Thrace occidentale aient été bien accueillis, la question du
droit à l’éducation a également été soulevée, notamment en ce qui
concerne la diminution du nombre d’écoles offrant un enseignement
en langue turque et la qualité de l’enseignement proposé dans ces
écoles.
3.2.5. Islande
20. L’Islande n’a pas répondu au
questionnaire et n’a pas non plus désigné de représentant à l’audition tenue
à Bucarest.
3.2.6. Luxembourg
21. Le Luxembourg a fait observer
que 47,7 % des habitants du Grand-Duché ne sont pas des ressortissants
luxembourgeois. Il a aussi souligné que même le Comité d’experts
de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE
no 148) (instrument auquel il est Partie)
juge inutile de suivre l’application de la Charte par le Luxembourg,
faute de langue pertinente à couvrir. En l’absence d’une définition de
cette notion par la Convention-cadre elle-même, le Grand-Duché de
Luxembourg entendait par «minorité nationale», au sens de la Convention-cadre,
un groupe de personnes installées depuis de nombreuses générations
sur son territoire, qui ont la nationalité luxembourgeoise et qui
ont conservé des caractéristiques distinctes du point de vue ethnique
et linguistique. Partant, il n'existait pas aux yeux du Grand-Duché
de «minorité nationale» au Luxembourg et, de ce fait, la Convention-cadre
ne pouvait être appliquée. Tout comme l’Andorre, le Luxembourg est
Partie au Protocole no 12 à la Convention
européenne des droits de l’homme, qui prévoit l’interdiction générale
de la discrimination.
3.2.7. Monaco
22. La réponse de Monaco réitérait
que la ratification de la Convention-cadre ne revêtait pas un caractère prioritaire,
ses ressortissants étant de fait minoritaires. Monaco n’a pas signé
le Protocole no 12 à la Convention européenne
des droits de l’homme.
3.2.8. Turquie
23. La Turquie souligne que dans
ce pays, chacun a les mêmes droits constitutionnels et les mêmes obligations,
sans discrimination aucune. Par ailleurs, elle attire l’attention
sur le fait que les droits de certaines minorités non musulmanes
sont reconnus et protégés par le Traité de Lausanne de 1923. Les
problématiques liées aux minorités nationales sont donc abordées
dans le cadre de ce traité. Les minorités non musulmanes reconnues
au sens du Traité de Lausanne disposent, par exemple, de leurs propres
écoles, lieux de culte, fondations, hôpitaux et organes de presse.
La Turquie estime qu’il y a eu des améliorations législatives relatives
à des problématiques concernant les minorités, qui concernent entre
autres des questions de propriété, de lieux de culte et de formation
du clergé et que des mesures avaient été prises dans le domaine de
l’enseignement et de la culture en faveur de la population non musulmane
et des besoins de sa vie communautaire.
3.3. Résumé
de la situation actuelle
24. Je me félicite des informations
communiquées par six des huit États contactés au sujet de la probabilité qu’ils
ratifient la Convention-cadre dans un avenir proche, même si je
regrette que cinq de ces États aient choisi de répondre uniquement
par écrit. Il est regrettable que ni la Belgique ni l’Islande n’aient
répondu à nos invitations multiples à entrer en dialogue autour
de ce sujet important. L’Islande avait également refusé de dialoguer
avec l’Assemblée lors de son dernier examen de la ratification de
la Convention-cadre; à l’époque, le rapporteur avait estimé que
cela tenait peut-être au fait que l’Islande constituait un pays
homogène sur les plans linguistique et ethnique
.
25. En ce qui concerne la Belgique, je constate que le gouvernement
fédéral a récemment fait un pas vers la création de conditions susceptibles
de permettre la reprise de discussions et de réflexions internes concernant
la définition des minorités nationales dans le contexte belge. Le
dialogue constitue la seule manière de progresser et je me félicite
de cette avancée, en espérant que ces discussions porteront rapidement
leurs fruits.
26. Trois pays, l’Andorre, le Luxembourg et Monaco, invoquent
le fait que leurs ressortissants sont numériquement minoritaires
dans leur pays. D’après l’Andorre, cette situation pourrait évoluer,
au fur et à mesure qu’un plus grand nombre d’habitants est en droit
d’acquérir la nationalité du pays. Cela pourrait faciliter à l’avenir
la ratification par l’Andorre. Monaco n’a exprimé aucun intérêt
pour la ratification de la Convention-cadre. Le Luxembourg a proposé
une définition des minorités nationales selon laquelle aucune minorité nationale
n’existerait dans le pays. Or, en l’absence d’une définition communément
acceptée du concept de minorités nationales, nous constatons qu’il
existe un éventail d’options, certains États ayant choisi une approche
plus restrictive et d’autres une approche plus large. En tout état
de cause, comme nous l’avons déjà souligné, l’article 6 de la Convention-cadre
s’applique même lorsqu’aucune minorité nationale n’est reconnue.
27. Tant la Grèce que la Turquie attirent l’attention sur les
garanties constitutionnelles relatives à l’égalité et la non-discrimination
et soulignent la protection dont bénéficient déjà les minorités
religieuses relevant de leur juridiction, conformément au Traité
de Lausanne. Dans sa réponse écrite à notre questionnaire, la Turquie n’aborde
pas la question de l’éventuelle reconnaissance en tant que minorités
d’autres groupes. La sous-commission sur les droits des minorités
a eu l’occasion de soulever cette question lors de l’audition tenue
à Bucarest avec les autorités grecques, mais celles-ci ont estimé
qu’il n’existait pas de critère objectif permettant la reconnaissance
en tant que minorité des personnes dont il était question dans cet
échange de vues. À ce stade, ni la Grèce ni la Turquie ne semblent
disposées à poursuivre la possibilité de devenir Partie à la Convention-cadre
en sus du Traité de Lausanne. Je reconnais que de bonnes raisons
peuvent sous-tendre le souhait de ne pas perturber l’équilibre obtenu
grâce à un traité de paix. Il convient toutefois de souligner que le
droit international n’empêche nullement un État Partie à un traité
de devenir également Partie à un autre traité couvrant un domaine
similaire, à condition bien sûr que ledit État respecte l’ensemble
de ses engagements et que ceux-ci ne se contredisent pas.
28. Seule la France estime qu’il existe des obstacles constitutionnels
de nature à empêcher sa ratification de la Convention-cadre, essentiellement
au motif que son ordre constitutionnel exclut la reconnaissance
de droits collectifs. (Sur ce point, voir ci-dessous le paragraphe 4.2.)
4. Enseignements
tirés de la mise en œuvre de la Convention-cadre par les États Parties
29. Les expériences des 39 États
membres du Conseil de l’Europe qui sont déjà Parties à la Convention-cadre,
tout comme les analyses obtenues grâce au travail de suivi du Comité
consultatif, peuvent fournir un éclairage utile aux États qui ne
sont pas Parties à cet instrument.
4.1. Conséquences
de l’absence d’une définition des minorités nationales et de l’absence
de groupes au sein d’un État susceptibles de correspondre à une
telle définition
30. Pour quatre des huit États
n’ayant pas ratifié la Convention-cadre à ce jour, la question de
la définition des personnes couvertes et de la mesure dans laquelle
elles devraient être couvertes par ses dispositions semble poser
des difficultés majeures. Ainsi, l’Andorre, le Luxembourg et Monaco
mettent en avant la situation numériquement minoritaire de leurs
ressortissants et soulignent que dans ce contexte, la notion de
minorités nationales est difficile à définir, voire n’a pas de sens.
Bien que l’Islande n’ait pas répondu à nos invitations au dialogue,
il semblerait que son manque d’intérêt apparent pour la Convention-cadre
soit dû en partie au fait que la diversité n’ait pas été considérée
jusqu’à présent comme une question importante au sein de la société islandaise.
Par ailleurs, s’agissant de la Belgique, l’approbation de plusieurs
niveaux de gouvernement est nécessaire en ce qui concerne la définition
des minorités nationales applicable dans son contexte. Malgré la création,
il y a 16 ans, d’un groupe de travail chargé de traiter cette question,
à ce jour aucune définition consensuelle n’a pu être établie.
31. Les raisons pour lesquelles le texte de la Convention-cadre
ne contient aucune définition des minorités nationales sont bien
connues. La diversité des situations et la variété des problèmes
à résoudre en Europe ont été soulignées au moment de l’adoption
de cette convention. Il a ainsi été reconnu qu’il n’était pas possible,
à ce moment-là, de parvenir à une définition susceptible de recueillir
le soutien global de tous les États membres du Conseil de l’Europe,
et qu’il était nécessaire d’adopter une approche pragmatique
.
32. Cela étant dit, comme l’ont expliqué les représentants du
Comité consultatif lors de l’audition tenue par la sous-commission
sur les droits des minorités le 27 octobre 2016 à Paris, l’absence
d’une définition des minorités nationales dans la Convention-cadre
ne devrait pas être considérée comme un obstacle à la ratification,
car cela laisse aux États une certaine marge d’appréciation leur
permettant d’adapter cet instrument à leur contexte national. Au
moment de la ratification de la Convention-cadre, les États précisent généralement
dans une déclaration quels sont les groupes couverts sur leur territoire.
Certains États choisissent d’adopter une définition des minorités
nationales adaptée à leur contexte national; d’autres choisissent
de dresser la liste des minorités nationales qu’ils reconnaissent,
sans définir le terme; et un troisième groupe de pays affirme qu’il
n’y a pas de minorités nationales sur leur territoire mais qu’ils
ont ratifié la Convention-cadre dans un esprit de solidarité. En
tout état de cause, les auteurs de la convention ne visaient pas
à restreindre l’application
ratione personae de
ce traité. Comme indiqué lors de la conférence à l’occasion du 20e anniversaire
de la Convention, bien qu’elle ait été dans un premier temps perçue
comme une faiblesse, l’absence de définition a, dans les faits,
renforcé la résilience de cette Convention, permettant à chaque
État de s’adapter à ses exigences à son rythme et en fonction de
ses caractéristiques spécifiques
.
33. Adopté en 2016 et portant sur le champ d’application de la
Convention-cadre, le quatrième commentaire thématique du Comité
consultatif apporte un éclairage supplémentaire sur cette question
. Sans
adopter une approche normative, ce commentaire thématique se fonde
sur une lecture comparative des avis formulés par le Comité consultatif
au sujet du champ d’application de la Convention-cadre dans les
quatre cycles de suivi menés jusqu’à présent. Ce sujet a été choisi
afin d’aider à préciser qui entre dans le champ de la protection des
minorités nationales, comment et pour quels droits. Il peut s’avérer
particulièrement utile pour les États qui ne sont pas encore Parties
à la Convention-cadre, dans la mesure où il peut les aider à identifier
de manière plus précise les conséquences qui pourraient découler,
dans leur contexte national spécifique, de la ratification de ce
traité.
34. Il convient de relever en premier lieu un point inhérent au
texte de la Convention-cadre elle-même et qui a régulièrement été
souligné par le Comité consultatif, à savoir qu’adhérer à la Convention-cadre
n’oblige pas à adopter une approche du «tout ou rien», mais permet
aux États d’appliquer la Convention aux personnes appartenant à
différentes minorités nationales de manière flexible et suivant
une approche article par article, en adaptant les protections aux
situations spécifiques des différentes minorités nationales couvertes
.
35. Certains droits énoncés dans la Convention-cadre s’appliquent
à toute personne, indépendamment de la question de savoir si l’existence
de minorités nationales au sein de la société est officiellement
reconnue. Il s’agit en particulier des droits liés à la promotion
de la tolérance, au respect mutuel et au dialogue interculturel parmi
toutes les personnes vivant sur le territoire d’un État, ainsi que
de la protection contre les menaces ou les actes de discrimination,
d’hostilité ou de violence en raison de l’identité ethnique, culturelle,
linguistique ou religieuse (article 6). Par conséquent, le Comité
consultatif examine la mise en œuvre de ces obligations par tous
les États Parties, y compris ceux qui affirment avoir ratifié la
Convention-cadre dans un esprit de solidarité malgré le fait qu’ils
considèrent ne pas avoir de minorités nationales
.
36. D’autres droits garantis par la Convention-cadre ont un champ
d’application large (mais pas universel) et un troisième groupe
de droits (dont par exemple la présentation d’indications topographiques
dans les langues minoritaires) a un champ d’application beaucoup
plus restreint, couvrant seulement les régions traditionnellement
habitées par un nombre substantiel de personnes appartenant à une
minorité nationale. Conformément aux termes explicites de la Convention-cadre,
le quatrième commentaire thématique du Comité consultatif précise
que l’accès à ces droits peut être limité aux zones géographiques
où les personnes appartenant à des minorités nationales résident
traditionnellement ou en grand nombre. Cependant, le Comité consultatif
a maintes fois invité les États Parties à favoriser l’exercice de
ces droits également lorsque les conditions ne sont pas formellement
remplies mais que la mise en œuvre de ces droits contribuerait à
créer une société ouverte
.
37. Par ailleurs, le Comité consultatif a toujours appelé les
États Parties à réexaminer périodiquement toute déclaration qu’ils
ont faite au moment de la ratification de la Convention-cadre. Cela
s’inscrit dans une logique de reconnaissance permanente de la diversité
existant au sein de la société, tout en reconnaissant que cette diversité
est elle-même dynamique et évolue au fil du temps. Cela permet aux
États de réagir concrètement face à des changements résultant, par
exemple, de la migration interne de personnes appartenant aux minorités
nationales des zones rurales vers les grandes villes
.
4.2. La
question des droits collectifs
38. Comme nous l’avons relevé ci-dessus,
la réticence de la France en ce qui concerne la ratification de
la Convention-cadre se fonde au moins en partie sur l’opinion selon
laquelle cela obligerait la France à reconnaître des droits collectifs.
Or, comme nous l’avons entendu à Bucarest, un tel argument traduit
une interprétation erronée de la Convention-cadre. En effet, le
rapport explicatif à cette convention précise que la possibilité
d’exercice en commun des droits et libertés reconnus par la convention
est distincte de la notion de droits collectifs. Bien que la Convention-cadre
prévoie l’exercice conjoint de certains droits, elle n’envisage
et n’implique la reconnaissance d’aucun droit collectif
. Il s’agit là d’une
logique qui n’est pas différente de celle qui permet déjà à la France
de reconnaître, par exemple, les libertés d’association, de réunion
ou de religion. Celles-ci sont des droits individuels de toutes
les personnes relevant de la juridiction de l’État, garantis par
la Convention européenne des droits de l’homme (entre autres instruments
internationaux), mais qui sont, à des degrés divers, exercés conjointement
avec d’autres personnes, et qui ne sont perçus comme des menaces
ni à l’unité ni à l’indivisibilité de la nation. Il convient également
de noter que la Convention-cadre a pour finalité de fournir une
plateforme appropriée pour l’affirmation des droits individuels
spécifiques des personnes appartenant aux minorités nationales sans
porter atteinte à leur intégration au sein de la société dans laquelle elles
vivent, afin de préserver la stabilité sociale et politique ainsi
que la sécurité démocratique et de promouvoir la diversité.
4.3. Les
traités bilatéraux, les relations interétatiques et la Convention-cadre
39. Un des avantages essentiels
de la Convention-cadre pour les États qui reconnaissent l’existence
de minorités nationales au sein de leurs sociétés, c’est le fait
qu’elle traite la protection des droits et des libertés des personnes
appartenant aux minorités nationales comme faisant partie intégrante
de la protection internationale des droits humains et les aborde
de manière universelle. En effet, cette convention se fonde avant
tout sur le devoir qu’ont les États de protéger les droits des personnes
appartenant aux minorités nationales relevant de leur juridiction.
Par conséquent, la reconnaissance et la protection des droits des personnes
appartenant aux minorités nationales ne dépendent pas de l’existence
d’un «État parent». La responsabilité à l’égard des personnes appartenant
aux minorités nationales incombe au premier chef à l’État où vivent
ces minorités, et la capacité des mesures mises en œuvre par cet
État à concrétiser les principes de protection fait l’objet d’un
examen par les mécanismes de suivi spécifiques auquel l’État a consenti.
40. Cette approche n’ignore pas l’atout supplémentaire que peuvent
constituer les contacts transfrontaliers et les bonnes relations
de voisinage pour faire avancer la protection des droits des personnes
appartenant aux minorités nationales, à condition toutefois que
les principes du droit international soient dûment respectés. Cela
est même reconnu par la Convention-cadre (article 18 lu conjointement
avec l’article 21). Cependant, il est bien connu que la protection
des droits des personnes appartenant aux minorités nationales constitue
le meilleur moyen de garantir la stabilité générale, la sécurité
démocratique et la paix, grâce au partage d’informations et de préoccupations,
à la poursuite d’intérêts et d’idéaux et à la protection supplémentaire
des droits des personnes appartenant aux minorités nationales telle
que consentie par l’État de résidence. Les accords bilatéraux ne
sont ainsi indiqués que dans la mesure où ils renforcent le processus
de protection des droits des personnes appartenant aux minorités
nationales, et non comme instrument se substituant aux obligations
de l’État de résidence. La même approche est suivie par le Haut-Commissaire
de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)
pour les minorités nationales
.
4.4. La
ratification de la Convention-cadre n’est pas une fin en soi
41. Vingt ans après l’entrée en
vigueur de la Convention-cadre, un certain nombre d’améliorations
ont été constatées en ce qui concerne la protection des droits des
personnes appartenant aux minorités nationales dans l’ensemble des
États Parties. Il s’agit en particulier de l’adoption d’une législation
qui protège les personnes appartenant à des minorités nationales,
du renforcement des lois garantissant l’égalité et la non-discrimination,
et de la création de structures participatives ou consultatives
destinées à faciliter le dialogue entre les personnes appartenant
aux minorités nationales et l’État.
42. Ces constatations montrent que la ratification de la Convention-cadre
ne marque pas la fin de l’histoire, et qu’elle n’est pas une fin
en soi. Au contraire, elle fait partie d’un processus qui doit être
continu et qui suppose des efforts constants de la part des États.
S’ils acceptent les normes définies par la Convention et les mécanismes
de suivi associés, les États peuvent ainsi bénéficier d’une source
régulière d’analyses d’experts et d’avertissements préalables lorsque
les structures et les canaux mis en place à l’échelle nationale
pour protéger et promouvoir les droits des personnes appartenant
aux minorités nationales et faciliter leur participation pleine
et entière au sein de la société n’atteignent pas les objectifs
escomptés. La pleine ratification de la Convention-cadre par tous
les États membres du Conseil de l’Europe n’est donc pas simplement
un objectif symbolique mais un moyen de promouvoir la participation
pleine et égale de tous les membres de la société et de favoriser
la stabilité, la sécurité démocratique et la paix à travers tout
le continent.
5. Faire
avancer le dialogue
43. Indépendamment de la question
de savoir s’ils considèrent que des minorités nationales sont présentes sur
leur territoire, et même s’ils sont déjà Parties à des accords bilatéraux,
la Convention-cadre concerne tous les États. Elle prévoit trois
piliers essentiels, susceptibles d’aider les États à atteindre les
objectifs de stabilité, de sécurité démocratique et de paix qui
sont au centre de ce traité et au cœur même de la construction européenne.
La Convention-cadre permet l’expression et la reconnaissance de
la différence, tout en admettant que l’identification de chaque
individu peut être complexe, multiple et fonction de la situation,
que les minorités sont diverses et que les situations évoluent avec
le temps. Elle promeut l’égalité d’accès aux droits et aux ressources
malgré les différences, et traduit la nécessité pour les États d’adopter
une approche volontariste et des politiques claires dans ce domaine.
En effet, comme nous l’avons entendu à Bucarest, ce n’est pas la reconnaissance
de certains droits mais le refus ou l’absence d’accès à certains
droits qui peut susciter des divisions, des tensions ou un sentiment
de peur. La Convention-cadre a également pour finalité de renforcer l’interaction
et l’inclusion sociales par-delà les différences, exprimant ainsi
le fait (qui doit être reconnu tant par la société majoritaire que
par les minorités) que les droits des minorités ne peuvent être
protégés de manière efficace qu’au sein de sociétés intégrées et
inclusives où la diversité est ancrée, valorisée et vécue
.
44. Il serait erroné de rejeter la ratification de la Convention-cadre
en arguant que cela ne représente qu’un fardeau pour les États Parties.
Au contraire, comme l’ont souligné les représentants du Comité consultatif
lors de la réunion de la sous-commission sur les droits des minorités,
qui s’est tenue à Paris le 27 octobre 2016, ceux-ci peuvent en tirer
des bénéfices concrets. Premièrement, la ratification oblige l’État
à consulter les personnes appartenant aux minorités nationales ou
souhaitant être reconnues comme telles et à faire en sorte que celles-ci
puissent donner leur avis, en particulier sur les questions qui
les concernent. Cela renforce le dialogue entre les minorités et
l’État et promeut la confiance et la compréhension mutuelles. Deuxièmement, la
ratification incite les États à adopter des lois générales ou spécifiques
pour promouvoir l’accès aux droits et lutter contre la discrimination,
ainsi que des politiques et des stratégies visant à protéger les
droits des personnes appartenant aux minorités nationales. Troisièmement,
la participation de ces personnes à la vie économique et sociale
peut ainsi se voir améliorée. Quatrièmement, les personnes appartenant
aux minorités nationales qui estiment avoir été victimes d’une violation
de leurs droits ont généralement davantage accès aux voies de recours
internes dans les États qui ont ratifié la Convention-cadre.
45. Le mécanisme de suivi créé au titre de la Convention-cadre
repose sur un processus d’action responsable et de dialogue constructif.
L’objectif poursuivi, tout en tenant dûment compte des réalités historiques,
sociales, économiques et politiques et en respectant l’intégrité
territoriale et la souveraineté nationale des États, est d’aider
à la fois les États et les personnes appartenant aux minorités nationales
à identifier les solutions les mieux à même de favoriser le renforcement
du régime de protection de leurs droits tout en assurant une meilleure
intégration dans la société. Le rôle du mécanisme de suivi est de
contribuer à créer un climat de tolérance et de dialogue au sein
de la société, permettant à la diversité culturelle d’être une source
et un facteur, non de division, mais d’enrichissement pour chaque
société.
46. Enfin, je souhaite insister sur le fait que l’un des objectifs
essentiels de la Convention-cadre consiste à veiller à ce que toutes
les personnes appartenant aux minorités nationales puissent participer
à tous les aspects de la vie en société sur un pied d’égalité avec
les autres. Tous les États membres du Conseil de l’Europe, qu’ils
soient ou non Parties à la Convention-cadre, devraient agir dans
le but de parvenir à la pleine égalité des personnes relevant de
leur juridiction et à l’absence de toute discrimination à leur égard.
Dans cette optique, les États ont d’ailleurs adopté des lois anti-discrimination
de plus en plus rigoureuses au fil des années. Ce processus devrait
aboutir à la ratification du Protocole no 12
à la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit une
interdiction générale de la discrimination applicable au niveau
international. À ce jour, cet instrument a été ratifié par 20 États
membres. Parmi les 27 autres États membres, 18 ont signé mais n’ont
pas ratifié le protocole et neuf États membres ne l’ont ni signé
ni ratifié. J’encourage vivement ces 27 États à accélérer leurs
démarches visant à ratifier le Protocole no 12.
6. Conclusions
47. Construire des sociétés dans
lesquelles les minorités nationales peuvent exprimer librement,
sûrement et de manière pacifique leur identité et leur culture nécessite
des efforts concertés et une attention constante, de même qu’une
adaptation permanente aux évolutions sociétales. Toutefois, ces
efforts seront certainement récompensés, les sociétés devenant grâce
à eux plus ouvertes, plus tolérantes et robustes, et par conséquent mieux
à même de faire face aux défis posés par un monde qui est en constante
évolution.
48. Une tendance inquiétante à la repolitisation de la protection
des droits des personnes appartenant aux minorités nationales, à
l’instrumentalisation de cette question et/ou à son analyse à travers
le prisme de la sécurité semble aujourd’hui se dessiner en Europe
.
Ce phénomène est regrettable puisqu’il peut tendre à créer une dynamique
du «nous contre eux», à raviver des controverses dangereuses où
des «États parents» justifient des interventions (quelle qu’en soit
leur nature) sur le territoire de l’État de résidence des personnes appartenant
aux minorités nationales selon des modalités contraires au droit
international. Il est à souligner que la Commission européenne pour
la démocratie par le droit (Commission de Venise) a déjà, dans son rapport
de 2001 sur le traitement préférentiel des minorités nationales
par leur État parent
, examiné de manière approfondie les
limites qui s’imposent en conformité avec le droit international
aux interventions d’un État parent en faveur d’une minorité vivant
dans un autre État.
49. Il convient, tel qu’il est prévu par la Convention-cadre,
d’adopter une approche multilatérale et fondée sur les droits humains.
Tous les États, et pas seulement les États parents, doivent dire
leur inquiétude dès lors qu’un État empêche ou limite l’exercice
des droits des personnes appartenant aux minorités nationales. Les États
doivent concentrer leurs politiques en la matière sur l’avancement
de la protection des droits des personnes appartenant aux minorités
nationales et se garder d’introduire des lois qui restreindraient
les droits déjà reconnus ou limiteraient l’exercice de ces droits
puisque de telles mesures portent atteinte au niveau de protection
garanti en vertu de la Convention-cadre.
50. Je suis fermement convaincu que la ratification de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales par chacun des 47 États
membres du Conseil de l’Europe serait dans l’intérêt non seulement
de toutes les personnes appartenant à une minorité nationale en
Europe, mais aussi de tous les États membres. Aussi longtemps que
cela n’aura pas été fait, l’absence de ratification de la Convention-cadre
par certains États continuera à affaiblir la protection qu’elle
peut apporter.
51. Certes, la pleine ratification de la Convention-cadre ne peut
se faire sans volonté politique de la part des huit États membres
qui n’y sont pas encore Parties, et il est essentiel d’entamer un
dialogue sur la meilleure manière de progresser sur ce chemin. Je
suis persuadé que l’Assemblée devrait aider les États à surmonter les
obstacles rencontrés dans ce domaine. Par conséquent, mon rapport
se propose depuis le départ comme un moyen de renouer un dialogue
fondé sur l’ensemble des informations et analyses disponibles aujourd’hui quant
aux implications de cette ratification. Bien que jusqu’à présent
les États concernés n’aient saisi cette occasion que dans une faible
mesure, j’espère que les éléments présentés dans mon rapport pourront
fournir une base constructive pour la poursuite du dialogue et les
prochaines étapes.
52. Ce dialogue doit bien sûr reposer sur une expertise certaine.
Par les voix de ses représentantes qui ont participé depuis 2015
à plusieurs auditions tenues par la sous-commission sur les droits
des minorités, le Comité consultatif de la Convention-cadre a précisé
qu’il se tient prêt à fournir une source d’expertise. Différents
biais ont été évoqués, qu’il s’agisse des échanges tenus avec des
parlementaires nationaux au sein de la sous-commission, d’échanges
directs avec les gouvernements, de conférences, tables rondes ou séminaires,
ou en invitant les États intéressés à prendre part à un exercice
de simulation de suivi montrant ce que suppose le fait de rédiger
un rapport étatique et de recevoir des conseils, comme cela s’est
déjà fait dans certains États pour la Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires.
53. Le processus de préparation de ce rapport a montré une fois
de plus que dans le domaine des personnes appartenant aux minorités
nationales, il n’existe pas de solution toute faite. En même temps,
il est apparu qu’une approche des enjeux pragmatique, fondée sur
les droits et axée sur la création de sociétés intégrées, permet
de trouver des solutions qui bénéficient non seulement aux personnes
appartenant aux minorités nationales mais aussi à nos sociétés dans
leur ensemble.
54. Je suis convaincu que les États qui ne sont pas Parties à
la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
devraient réexaminer la situation dans leur pays, en tenant compte
des avantages que présenterait la ratification de cet instrument
pour leur société ainsi que pour la protection des droits des personnes
appartenant à des minorités nationales à travers l’ensemble de l’Europe.
Les recommandations formulées dans le projet de résolution se concentrent
sur ces questions.