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Rapport | Doc. 14790 | 07 janvier 2019

La déchéance de nationalité comme mesure de lutte contre le terrorisme: une approche compatible avec les droits de l’homme?

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteure : Mme Tineke STRIK, Pays-Bas, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14375, Renvoi 4328 du 13 octobre 2017. 2019 - Première partie de session

Résumé

Afin de prévenir les actes de terrorisme sur leur territoire, un certain nombre d’États membres du Conseil de l’Europe ont adopté une législation qui vise à faciliter la déchéance de nationalité des individus qui prennent part ou sont soupçonnés de prendre part aux activités terroristes. Dans certains pays, la déchéance de nationalité peut avoir lieu sans condamnation pénale. D’autres pays établissent une distinction entre les citoyens dont la nationalité est acquise par la naissance et les citoyens naturalisés et vont jusqu’à autoriser la privation de nationalité lorsque celle-ci entraîne l’apatridie de l’intéressé.

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme rappelle que le droit international préconise la prévention de l’apatridie et interdit la privation arbitraire de nationalité, bien que les États conservent une importante marge d’appréciation pour décider des questions relatives à la nationalité.

La législation et la pratique qui autorisent la privation de nationalité envisagée comme une mesure de lutte contre le terrorisme suscitent plusieurs préoccupations quant à leur compatibilité avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme. Bien que les États jouissent d’un droit souverain légitime de garantir la sécurité sur leur territoire, le seul moyen de protéger efficacement les sociétés démocratiques consiste à veiller à ce que les mesures de lutte contre le terrorisme respectent l’État de droit. Il importe par conséquent que les États membres du Conseil de l’Europe recourent à d’autres mesures qu’à celle de la privation de nationalité de leurs citoyens.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 13 décembre
2018.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle ses Résolution 1989 (2014) sur l’accès à la nationalité et la mise en œuvre effective de la Convention européenne sur la nationalité, Résolution 1840 (2011) sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, Résolution 2091 (2016) sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak, Résolution 2090 (2016) «Combattre le terrorisme international tout en protégeant les normes et les valeurs du Conseil de l'Europe» et Résolution 2190 (2017) «Poursuivre et punir les crimes contre l'humanité, voire l'éventuel génocide commis par Daech».
2. L’Assemblée rappelle que les États membres du Conseil de l’Europe jouissent d’un légitime droit souverain de garantir la sécurité sur leur territoire, mais que nos sociétés démocratiques ne peuvent être protégées efficacement qu’à condition que ces mesures antiterroristes respectent l’État de droit. Etant donné que la privation de nationalité, dans le contexte des stratégies de lutte contre le terrorisme, est une mesure radicale qui peut être source de profondes fractures sociales, cette mesure peut être en contradiction avec les droits de l’homme. En toute hypothèse, la déchéance de nationalité ne devrait pas être politiquement motivée.
3. L'Assemblée rappelle que le droit à une nationalité a été reconnu comme «le droit d'être titulaire de droits» et est consacré par des instruments juridiques internationaux comme la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne sur la nationalité du Conseil de l’Europe (STE no 166). Bien que la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») ne garantisse pas ce droit en tant que tel, la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme montre que certains aspects de ce droit sont protégés au titre de l’article 8 de la Convention, qui consacre le droit au respect de la vie privée et familiale.
4. L’Assemblée observe que, si en droit international il convient de prévenir et d’éradiquer l’apatridie et d’interdire la privation arbitraire de la nationalité, les États conservent une marge d’appréciation étendue pour décider des personnes auxquelles ils peuvent octroyer la nationalité ou qu’ils peuvent priver de leur nationalité. La Convention des Nations Unies de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, qui a été ratifiée à ce jour par 32 États membres du Conseil de l’Europe, fixe les critères selon lesquels un État peut prévoir la privation de nationalité. La Convention européenne sur la nationalité de 1997 limite davantage les circonstances dans lesquelles la privation de nationalité peut survenir; mais cette dernière convention n’a jusqu’ici été ratifiée que par 21 États membres du Conseil de l’Europe.
5. L’Assemblée est préoccupée par le fait que certains États considèrent la nationalité comme un privilège, et non comme un droit. De nombreux États conservent la faculté de priver de nationalité, notamment, les personnes dont le comportement est de nature à porter gravement atteinte aux intérêts essentiels de l’État et/ou qui s’engagent volontairement dans des forces militaires étrangères. Certains États membres du Conseil de l’Europe disposent d’une législation qui autorise la déchéance de nationalité d’individus condamnés pour des infractions terroristes et/ou soupçonnés de mener des activités terroristes (par exemple le Danemark, la France, les Pays-Bas, la Suisse ou le Royaume-Uni). Certains de ces textes de loi ont été adoptés assez récemment (par exemple en Belgique, en Norvège ou en Turquie). Dans certains États membres, la décision de retirer la nationalité peut même être prise sans condamnation pénale. Une telle décision administrative peut faire l’objet d’un appel, mais sans les garanties procédurales du droit pénal, et la plupart du temps, à l’insu et/ou en l’absence de la personne concernée. De telles procédures violent les éléments constitutifs de l’État de droit. L’Assemblée s’inquiète également du fait que la privation de nationalité soit souvent utilisée dans le seul but de permettre l’expulsion ou le refus de la réadmission d’une personne qui a ou pourrait avoir pris part à des activités terroristes.
6. L’Assemblée estime que l’application des textes de loi tels que ceux mentionnés ci-dessus peut poser problème au regard des droits de l’homme à plus d’un titre. Premièrement, elle peut entraîner l’apatridie. Deuxièmement, elle suppose souvent une discrimination directe ou indirecte à l’égard des citoyens naturalisés, qui est contraire à l’article 9 de la Convention sur la réduction des cas d’apatridie et à l’article 5.2 de la Convention européenne sur la nationalité. Troisièmement, la privation de nationalité peut survenir sans garanties procédurales adéquates, surtout si elle est décidée à la suite d’une procédure administrative, sans contrôle juridictionnel, ce qui pose problème sous l’angle des articles 6 (droit à un procès équitable) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des droits de l’homme. Quatrièmement, dans certaines circonstances, la privation de nationalité à la suite d’une condamnation pénale peut porter atteinte au principe ne bis in idem, selon lequel nul ne peut être jugé ou condamné deux fois pour les mêmes faits (article 4 du Protocole no 7 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 117)), dès lors qu’elle représente une peine supplémentaire.
7. Le recours à la privation de nationalité doit dans tous les cas être appliqué dans le respect des normes qui découlent de la Convention européenne des droits de l’homme et des autres instruments juridiques internationaux pertinents. Toute privation de nationalité en raison d’activités terroristes doit être décidée et examinée par un tribunal pénal, dans le respect scrupuleux de l’ensemble des garanties procédurales, ne doit pas être discriminatoire et ne doit pas entraîner l’apatridie de l’intéressé; elle doit avoir un effet suspensif et doit être proportionnée au but poursuivi et uniquement appliquée si les autres mesures prévues par le droit interne s’avéraient inefficaces. La non-application de ces garanties peut entraîner une privation de nationalité arbitraire. La privation préventive de nationalité, sans contrôle juridictionnel, doit être évitée. La privation de nationalité d’un parent ne doit pas entraîner la privation de nationalité de son enfant.
8. L’Assemblée observe par ailleurs que le fait de priver de nationalité les personnes qui prennent part à des activités terroristes (et notamment les «combattants étrangers») ou qui sont soupçonnées d’y prendre part peut conduire à une «exportation des risques», puisque ces personnes peuvent se rendre ou demeurer dans des zones de conflit terroriste situées hors d’Europe. Cette pratique va à l’encontre du principe de coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme, réaffirmé notamment dans la Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui vise à empêcher les combattants étrangers de quitter leur pays, et peut exposer les populations locales à des violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Elle compromet également la capacité des États de s’acquitter de leur obligation d’enquêter sur les infractions terroristes et d’en poursuivre les auteurs. Dans un tel contexte, la privation de nationalité est une mesure antiterroriste inefficace et peut même aller à l’encontre des objectifs de la politique antiterroriste.
9. L’Assemblée appelle par conséquent les États membres du Conseil de l’Europe:
9.1. à revoir leur législation à la lumière des normes internationales qui interdisent la privation arbitraire de nationalité et à abroger tout texte de loi qui l’autoriserait;
9.2. à s’abstenir d’adopter de nouveaux textes de loi qui permettraient la privation de nationalité qui serait arbitraire, notamment parce qu’elle ne réaliserait pas un objectif légitime, serait discriminatoire ou disproportionnée ou manquerait de garanties procédurales ou de fond;
9.3. à veiller à ce que tout critère similaire à celui du «comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État» applicable à la privation involontaire de nationalité utilise une terminologie précise et soit accompagné d’indications écrites (accessibles au public) quant à leur portée et à leur interprétation. Ces orientations doivent favoriser une interprétation restrictive tenant compte des normes des droits de l’homme et du devoir de ne pas discriminer ou être arbitraire;
9.4. à prévoir des garanties contre l’apatridie dans leur législation nationale;
9.5. à ne pas faire de discrimination entre les citoyens en fonction de leur mode d’acquisition de la nationalité, afin d’éviter toute forme de discrimination indirecte à l’encontre des minorités;
9.6. dans la mesure où leur législation autorise la privation de nationalité des individus reconnus coupables ou soupçonnés d’activités terroristes, à réexaminer ces dispositions à la lumière des obligations internationales en matière de droits de l’homme, à s’abstenir d’appliquer cette mesure et à envisager et privilégier un recours plus large aux autres mesures de lutte contre le terrorisme prévues par leur droit pénal interne et d’autres textes de loi (interdiction de déplacement, mesures de surveillance ou ordonnance d’assignation à résidence, par exemple), tout en respectant les normes des droits de l’homme et de l’État de droit;
9.7. à abolir ou s’abstenir d’introduire des procédures administratives permettant la privation la nationalité non fondée sur une condamnation pénale;
9.8. s’abstenir de priver les mineurs de leur nationalité
9.9. dans la mesure où ils ne l’ont pas encore fait, à signer et/ou ratifier la Convention des Nations Unies sur la réduction des cas d’apatridie et la Convention européenne sur la nationalité.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 13 décembre 2018.

(open)
1. Renvoyant à sa Résolution … (2019) «La déchéance de nationalité comme mesure de lutte contre le terrorisme: une approche compatible avec les droits de l’homme?», l’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres:
1.1. de préparer une étude comparative sur la législation des États membres du Conseil de l’Europe autorisant la privation de nationalité, en mettant l’accent sur la privation de nationalité en tant que mesure de lutte contre le terrorisme;
1.2. de rédiger des lignes directrices sur les critères à appliquer pour la privation de nationalité et sur d’autres mesures contre le terrorisme pouvant être appliquées plutôt que la privation de nationalité.

C. Exposé des motifs, par Mme Tineke Strik, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. La proposition de résolution intitulée «La déchéance de nationalité comme mesure de lutte contre le terrorisme: une approche compatible avec les droits de l’homme?» a été renvoyée pour rapport à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme le 13 octobre 2017. La commission m’a nommée rapporteure lors de sa réunion à Paris le 12 décembre 2017. À l’occasion de sa réunion à Strasbourg le 26 juin 2018, la commission m’a autorisée à adresser un questionnaire aux délégations des parlements nationaux et aux institutions nationales de défense des droits de l’homme, en vue de réunir davantage d’informations sur la situation de la législation de leur pays à l’égard du recours éventuel à la déchéance de nationalité pour lutter contre le terrorisme. Le 10 septembre 2018, lors de la réunion de la commission à Paris, a eu lieu l’audition du professeur René de Groot, de la Faculté de droit de l’université de Maastricht (Pays-Bas), et de Mme Sandra Krähenmann, chargée de recherche à l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains de Genève (Suisse).
2. La proposition susmentionnée porte sur la légitimité de la déchéance de nationalité et sa compatibilité avec les normes européennes et internationales des droits de l’homme relatives à la nationalité dans le contexte des stratégies de lutte contre le terrorisme des États membres du Conseil de l’Europe. Pour prévenir les actes de terrorisme sur leur sol, un certain nombre d’États membres du Conseil de l’Europe adoptent des lois dans l’optique de faciliter la déchéance de nationalité des individus impliqués, ou soupçonnés de l’être, dans des activités terroristes. Dans certains pays, la déchéance de nationalité peut même être appliquée en l’absence de poursuites pénales et de condamnation. Ces pratiques suscitent des préoccupations liées à la proportionnalité, au droit à un recours effectif, à l’obligation de prévenir l’apatridie et, lorsque seuls les individus binationaux sont concernés, à une différence de traitement qui s’apparente à une discrimination.
3. En ce qui concerne la politique antiterroriste, certains principes de base s’imposent à tous les États, tels que l’obligation de garantir les enquêtes et les poursuites des crimes liés au terrorisme ainsi que l’efficacité de toute mesure. En outre, le contexte de lutte contre le terrorisme ne dispense pas les États membres de leurs obligations de respecter les droits de l’homme. Les États membres ont le droit souverain légitime d’assurer la sécurité sur leur territoire. Ce droit inclut la prise de mesures efficaces de lutte contre le terrorisme. Toutefois, nos sociétés démocratiques ne peuvent être efficacement protégées que si elles garantissent que ces mesures de lutte contre le terrorisme respectent l’État de droit. Un récent rapport d’Amnesty International 
			(3) 
			Amnesty
International, <a href='https://www.amnesty.org/download/Documents/EUR0153422017FRENCH.PDF'>Des
mesures disproportionnées – L'Ampleur grandissante des politiques
sécuritaires dans les pays de l'UE est dangereuse</a>, 2017. Voir également Service de recherche du Parlement
européen (EPRS), <a href='http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2018/621811/EPRS_STU(2018)621811_EN.pdf'>The
return of foreign fighters to EU soil: Ex-post evaluation</a>, 2018, p. 41. souligne que le recours à la déchéance de nationalité dans le cadre des stratégies de lutte contre le terrorisme peut être une source considérable de division de la société.
4. Nous examinerons par conséquent dans le présent rapport les principaux instruments juridiques internationaux relatifs au droit à une nationalité, puis nous aborderons la question du recours à la déchéance de nationalité comme mesure de lutte contre le terrorisme.

2. Le droit à une nationalité

5. Il convient d’examiner le pouvoir dont dispose un État de déchoir un individu de sa nationalité à la lumière du droit à une nationalité 
			(4) 
			Les termes «citoyenneté»
et «nationalité» seront utilisés indifféremment dans le présent
rapport, malgré la distinction faite entre ces deux notions par
certaines traditions juridiques; voir, par exemple, G.-R. de Groot
et O.W. Vonk, International Standards
on Nationality Law. Texts, Cases and Materials, Wolf
Legal Publishers, 2015, p. 3-4.. Bien que les dispositions sur la nationalité relèvent avant tout de l’ordre juridique interne, plusieurs instruments juridiques internationaux imposent des obligations juridiques visant à protéger le droit à une nationalité. Tel est notamment le cas de l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de l’article 20 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et de l’article 4 de la Convention européenne sur la nationalité du Conseil de l’Europe (STE no 166) de 1997 (CEN). Par ailleurs, une série d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme consacrent le droit d’accès à une nationalité sans discrimination et le droit des enfants à l’acquisition d’une nationalité: la Convention internationale de 1965 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques, la Convention de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention de 1989 relative aux droits de l’enfant.
6. L’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme précise que tout individu a droit à une nationalité et interdit la privation arbitraire de nationalité. L’article 4.a à 4.c de la Convention européenne sur la nationalité, ratifiée à ce jour par 21 États membres du Conseil de l’Europe 
			(5) 
			Il s'agit de l'Albanie,
l'Allemagne, l'Autriche, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, le
Danemark, la Finlande, la Hongrie, l'Islande, de «l'ex-République
yougoslave de Macédoine», du Luxembourg, de la République de Moldova,
du Monténégro, de la Norvège, des Pays-Bas, du Portugal, la Roumanie,
du Royaume-Uni, la République slovaque, la Suède et la République tchèque; voir: <a href='https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/treaty/166/signatures?p_auth=zOKcPPeJ'>www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/treaty/166/signatures?p_auth=zOKcPPeJ.</a>, reprend l’idée de la Déclaration universelle des droits de l’homme comme suit: «Les règles sur la nationalité de chaque État Partie doivent être fondées sur les principes suivants: a. chaque individu a droit à une nationalité; b. l’apatridie doit être évitée; c. nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité.»

3. Procédure et garanties procédurales de la déchéance de nationalité

7. Une personne peut perdre sa nationalité, soit de plein droit, soit à son initiative ou à l’initiative de l’État 
			(6) 
			La terminologie
utilisée pour désigner l'acte ou les conditions dans lesquelles
un individu cesse d'être ressortissant d'un État donné est variable.
Aux fins du présent rapport, le terme «privation» désignera les
actes des pouvoirs publics qui dépouillent une personne de sa nationalité.
Il couvre à la fois la perte ex lege et
une décision active de retrait.. Selon les rapports du Secrétaire général des Nations Unies au Conseil des droits de l’homme, une mesure de privation de la nationalité doit satisfaire à un certain nombre de critères: elle doit être nécessaire, proportionnée et raisonnable pour ne pas être considérée comme arbitraire. Elle doit être prévue par la loi, poursuivre un objectif légitime, être proportionnée, être la moins attentatoire possible aux droits d’autrui pour atteindre son but légitime et respecter les normes de procédure judiciaire qui permettent sa contestation 
			(7) 
			Conseil des droits
de l’homme des Nations Unies, Droits de l’homme et privation arbitraire
de la nationalité, Rapports du Secrétaire général du 19 décembre
2011 et du 19 décembre 2013, A/HRC/19/43 et A/HRC/25/28.. À cet égard, les États sont tenus d’éviter les cas d’apatridie par des mesures législatives, administratives ou autres; cette obligation est le corollaire de leur droit de définir les conditions d’acquisition d’une nationalité 
			(8) 
			Voir
la note d’orientation du Secrétaire général du 28 juin 2011: Les
Nations Unies et l’apatridie, p. 3. (voir plus loin la partie 4).
8. Plus important encore, l’article 8 (4) de la Convention des Nations Unies de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie («Convention de 1961») précise qu’un État ne saurait exercer sa faculté de priver un individu de sa nationalité, sauf si cette privation est conforme à la loi, qui doit reconnaître à l’intéressé le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par une juridiction ou un autre organe indépendant. De même, en vertu de la CEN, les États doivent veiller à ce que les décisions relatives à la perte de nationalité soient motivées par écrit (article 11) et puissent faire l’objet d’un recours administratif ou judiciaire, conformément à leur droit interne (article 12).
9. Les problèmes liés à la perte involontaire de la nationalité, surtout en rapport avec un comportement indésirable, ont récemment été examinés par divers experts et par diverses instances, ce qui a conduit à la formulation de certaines recommandations précieuses. Ainsi, le projet de recherche financé par l’Union européenne, Perte involontaire de la citoyenneté européenne, a rédigé en 2015 des lignes directrices («ILEC Guidelines 2015»). Celles-ci recommandent que la perte de nationalité due à un comportement indésirable, comme un acte gravement préjudiciable aux intérêts essentiels de l’État ou l’engagement dans des forces militaires étrangères, soit soumise à la réunion des conditions suivantes: a) l’intéressé ne deviendra pas apatride; b) les autorités compétentes ont pris une décision explicite; c) «le caractère inacceptable du comportement indésirable de l’intéressé doit être démontré au-delà de tout doute raisonnable. Ce comportement doit être constitutif d’un crime et son auteur doit avoir été condamné par une juridiction pénale (ligne directrice IV.3).
10. Les «Conclusions de Tunis» 
			(9) 
			Sur la base de l'analyse
de l'interprétation de la Convention de 1961, qui a eu lieu à l'occasion
d'une réunion d'experts convoqués par le Haut-Commissariat aux réfugiés
des Nations Unies (HCR) à Tunis en 2013. font désormais de l’interdiction de la privation arbitraire de nationalité une norme du droit international. Se référant à l’article 8.4 de la Convention de 1961, elles déclarent que, «[e]n cas d’actes criminels allégués, il est fortement souhaitable que la privation de nationalité survienne uniquement à la suite d’une procédure en deux étapes, qui commence logiquement par la reconnaissance de la culpabilité de l’intéressé par une juridiction pénale. Elle est suivie par une décision de privation de nationalité prise par l’autorité compétente, de préférence une juridiction». S’agissant de la privation de nationalité motivée par un comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État (article 8.3.a.ii de la Convention de 1961), cette exception établit un seuil extrêmement élevé de privation de nationalité entraînant l’apatridie. L’expression «de nature à porter un préjudice grave» signifie que l’intéressé a la capacité d’avoir un impact négatif sur l’État, tandis que les «intérêts essentiels» fixent un seuil beaucoup plus élevé que celui des «intérêts nationaux», comme le confirment les travaux préparatoires. Cette exception ne vise pas les infractions pénales à caractère général; mais les actes de trahison et d’espionnage peuvent, en fonction de l’interprétation retenue par le droit interne, relever du champ d’application de cette exception. Les actes commis par l’intéressé doivent être incompatibles avec le devoir de «loyalisme» à l’égard de l’État de la nationalité. Il est important de noter que «l’expérience de certains États montre que les gouvernements ne tirent pas profit du fait de rendre un individu apatride par l’application de cette exception, en particulier parce qu’il peut s’avérer difficile dans la pratique d’expulser l’intéressé» 
			(10) 
			Paragraphes 27 et 69
des Conclusions de Tunis..
11. Selon un rapport de 2013 du Secrétaire général des Nations Unies, de nombreux États autorisent la privation de nationalité des auteurs d’actes de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État, mais le mode d’expression de ce motif en droit interne varie considérablement d’un État à l’autre. Certains États exigent que l’intéressé ait été condamné pour un crime ou un délit qui met en danger la sécurité de l’État, tandis que d’autres «autorisent la privation de nationalité lorsque celle-ci est jugée conforme à l’intérêt général, va dans le sens du bien public ou se justifie par des considérations de sécurité nationale» 
			(11) 
			A/HRC/25/28, 19 décembre
2013, paragraphe 13.. En raison des inquiétudes croissantes que suscite le terrorisme, certains États ont étendu les motifs de privation de nationalité aux infractions contre la nationalité ou dans l’intérêt général ou ont davantage fait usage du pouvoir de privation dont ils disposaient déjà. La marge d’appréciation considérable dont disposent les États pour décider s’il y a lieu de priver une personne de sa nationalité risque de conduire au non-respect de l’interdiction de la privation arbitraire de nationalité.
12. L’article 9 de la Convention de 1961 interdit de priver une personne ou un groupe de personnes de leur nationalité pour des raisons d’ordre racial, ethnique, religieux ou politique. De même, l’article 5 de la CEN précise que les dispositions d’un État relatives à la nationalité «ne doivent pas contenir de distinction ou inclure des pratiques constituant une discrimination fondée sur le sexe, la religion, la race, la couleur ou l'origine nationale ou ethnique» (paragraphe 1) et que chaque État partie «doit être guidé par le principe de la non-discrimination entre ses ressortissants, qu’ils soient ressortissants à la naissance ou aient acquis leur nationalité ultérieurement» (paragraphe 2).

4. L’interdiction d’entraîner l’apatridie

13. Les principaux instruments juridiques internationaux contre l’apatridie sont la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. 71 États, dont 32 États membres du Conseil de l'Europe, sont Parties à cette dernière 
			(12) 
			Il
s'agit de l'Allemagne, l'Albanie, l'Arménie, l'Autriche, l'Azerbaïdjan,
la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, du
Danemark, de l'Espagne, la Finlande, la Géorgie, la Hongrie, l’Irlande,
l'Italie, la Lettonie, du Liechtenstein, de la Lituanie, du Luxembourg,
de la République de Moldova, du Monténégro, de la Norvège, des Pays-Bas,
du Portugal,  la Roumanie, du Royaume-Uni, de la Serbie, la République
slovaque, la Suède, la République tchèque et l’Ukraine.. Le Conseil de l’Europe a élaboré de nombreux instruments dans ce domaine, en particulier la Convention européenne sur la nationalité de 1997 et la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention des cas d’apatridie en relation avec la succession d’États (STCE no 200). L’article 1 de la Convention de 1954 a établi la définition de l’apatridie qui, selon la Commission internationale de droit, devait être considérée comme une définition du droit international coutumier. Les États membres sont donc contraints d’utiliser la définition voulant qu’un apatride soit «une personne qui n’est pas considérée comme un national, par un État, au terme de son droit».
14. Il importe de noter que la déchéance de nationalité entraînant l’apatridie n’est pas en soi arbitraire et contraire au droit international 
			(13) 
			S. Mantru, «Terrorist’ citizens and the human
right to nationality», Journal of Contemporary
European Studies, 2018, vol. 26, no 1,
p. 30., malgré l’interdiction qui en est faite par l’article 8.1 de la Convention de 1961 et les dispositions des articles 4.b et 7.3 de la CEN. Plus particulièrement, une personne peut être privée de sa nationalité si elle l’a obtenue par une fausse déclaration ou tout autre acte frauduleux (article 8.2.b de la Convention de 1961). En outre, certains États contractants ont déclaré qu’ils se réservaient le droit de privation de nationalité, que prévoyait déjà le droit interne au moment de la signature, de la ratification ou de l’adhésion à la Convention de 1961, pour un ou plus des trois motifs supplémentaires. L’article 8.3.a autorise cette privation si, «dans des conditions impliquant de sa part un manque de loyalisme envers l’État contractant», un individu a apporté son concours à un autre État ou reçu de lui des émoluments, au mépris d’une interdiction expresse de l’État contractant (alinéa (i)) ou a eu un comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État (alinéa (ii)) 
			(14) 
			L'Autriche,
la Belgique, la Géorgie, l'Irlande, la Lituanie et le Royaume-Uni
ont formulé des réserves au sujet de l'article 8.3 de la Convention
de 1961.. L’article 8.3.b autorise également la privation de nationalité si «un individu a prêté serment d’allégeance ou a fait une déclaration formelle d’allégeance à un autre État, ou a manifesté de façon non douteuse par son comportement sa détermination de répudier son allégeance envers l’État contractant».
15. L’article 7.1 de la CEN prévoit des motifs de perte involontaire de la nationalité, dont l’acquisition de la nationalité à la suite d’une conduite frauduleuse, par fausse information ou par dissimulation d’un fait pertinent de la part de l’auteur de la demande (alinéa (b)), l’engagement volontaire dans des forces militaires étrangères (alinéa (c)), un comportement portant un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État Partie (alinéa (d)) ou l’absence de tout lien effectif entre l’État partie et un ressortissant qui réside habituellement à l’étranger (alinéa (e)). L’article 7.2 de la CEN règle la situation des enfants qui peuvent perdre leur nationalité lorsque leurs parents perdent la leur, à l’exception des cas visés par les alinéas c) et d) du paragraphe 1. Si l’un de ses parents conserve cette nationalité, l’enfant ne la perd pas. La Convention relative aux droits de l’enfant, et en particulier son article 8 lu de concert avec les articles 2 et 3, peut être interprétée comme limitant toute privation de la nationalité d’un enfant en raison du comportement des parents, que ces derniers conservent ou non leur nationalité.
16. En vertu de l’article 7.3 de la CEN, il est uniquement possible de priver une personne de sa nationalité et que l’intéressé devienne ainsi apatride dans le cas où la nationalité a été acquise par des moyens frauduleux. Dans tout autre cas, le retrait de la nationalité n’est pas autorisé si la personne devenait apatride. La privation de la nationalité dans le cas de double ou multiple nationalités est uniquement permis si le comportement porte un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État Partie. En dessous de ce seuil, la privation de nationalité n’est pas autorisée. La mention d’un «comportement» apporte la précision qu’une évaluation individuelle doit être mise en œuvre et que l’application à des catégories d’individus est prohibée. La privation de nationalité ne peut alors être invoquée qu’en cas de double nationalité ou nationalité multiple. Le Rapport explicatif de la CEN (paragraphe 67) indique de plus que ce motif de déchéance de la nationalité n’est pas établi de manière systématique dans les cas liés au terrorisme. Il explique que l’expression «comportement portant un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État partie» inclut la trahison et les autres activités dirigées contre les intérêts essentiels de l’État concerné (par exemple le fait de travailler pour des services secrets étrangers), mais pas les infractions pénales à caractère général, quelle que puisse être leur gravité. Malgré ces limitations, les actes terroristes prévus par la législation nationale de certains États membres de l’Union européenne revêtent de nombreuses formes différentes 
			(15) 
			Université d’Amsterdam,
Migration Law Clinic, The legality of revocation of Dutch nationality
of dual nationals involved in terrorist organisations, juillet 2018,
p. 27.. Il est intéressant de constater que la CEN ne comporte pas les deux motifs mentionnés à l’article 8.3.a.i et 8.3.b de la Convention de 1961, c’est-à-dire le fait de recevoir des émoluments interdits d’un autre État et de prêter serment d’allégeance ou faire une déclaration formelle d’allégeance à un autre État, et que le rapport explicatif de la CEN reste muet sur ce point. Ce silence peut s’interpréter comme une exclusion de ces deux types de comportement du champ d’application du «comportement portant un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État partie». D’après le professeur de Groot, la législation nationale autorise la privation de nationalité pour ce dernier motif dans 22 États membres du Conseil de l’Europe, dont sept États qui ont ratifié la CEN.

5. Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

17. Bien que le droit à une nationalité ne soit pas garanti en tant que tel par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») ou ses Protocoles, la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») a observé qu’un refus arbitraire d’accorder la nationalité pouvait, dans certaines circonstances, poser problème sous l’angle de l’article 8 de la Convention, compte tenu des répercussions qu’un tel refus pourrait avoir sur la vie privée de l’intéressé 
			(16) 
			Karassev
c. Finlande, Requête no 31414/96,
décision sur la recevabilité du 12 janvier 1999 et Genovese c. Malte, Requête no 53124/09,
arrêt du 11 octobre 2011.. Dans l’arrêt Mennesson c. France 
			(17) 
			Requête no 65192/11,
arrêt du 26 juin 2014., la Cour a rappelé que la nationalité était un élément de l’identité d’une personne et que l’incertitude inquiétante dans laquelle se trouvaient deux des quatre requérants (enfants nés d’une gestation pour autrui transfrontière) quant à la possibilité d’obtenir la reconnaissance de la nationalité française était susceptible d’avoir des répercussions négatives sur la définition de leur identité personnelle. Dans l’affaire Ramadan c. Malte 
			(18) 
			Requête no 76136/12,
arrêt du 21 juin 2016., qui concernait la perte de nationalité acquise par mariage, la Cour a souligné que le retrait arbitraire de la nationalité pouvait poser problème sous l’angle de l’article 8 de la Convention. Dans ce cas toutefois, la décision de l’État n’a pas été considérée comme arbitraire, dans la mesure où, d’une part, elle avait un fondement légal et respectait la procédure et, d’autre part, les répercussions de ce retrait n’étaient pas considérées comme suffisamment graves puisque le requérant continuait à vivre à Malte malgré la perte de sa nationalité. Dans l’affaire K2 c. le Royaume-Uni, la Cour a examiné la question de la privation de nationalité dans le contexte du terrorisme et des considérations de sécurité nationale. Elle a déclaré cette requête irrecevable au motif qu’elle était manifestement mal fondée, puisque les mesures en question avaient respecté les garanties procédurales exigées au titre de l’article 8. Elle a également noté que le requérant ne deviendrait pas apatride en perdant sa nationalité britannique, puisqu’il avait acquis par la suite la nationalité soudanaise. Il convient aussi de mentionner les éléments du «test» de procédure régulière défini par la Cour, par exemple, au paragraphe 50 de l’arrêt K2: «Pour déterminer l’arbitraire, la Cour a examiné si la révocation était conforme à la loi; si elle était accompagnée des garanties procédurales nécessaires, y compris si la personne privée de la citoyenneté avait la possibilité de contester la décision devant les tribunaux offrants les garanties pertinentes; si les autorités ont agi avec diligence et rapidité (Ramadan c. Malte, précité, par. 86-89).» La Cour examine en ce moment des affaires qui concernent la déchéance de la nationalité française en avril 2015 de quelques individus condamnés pour des actes liés au terrorisme 
			(19) 
			Ghoumid c. France, Requête no 52273
et quatre autres requêtes similaires, communiquées le 23 mai 2017..
18. Il est intéressant de constater que la question de la discrimination illégale entre ressortissants danois de souche et ressortissants danois d’origine ethnique étrangère a été examinée par la Cour dans l’affaire Biao c. Danemark sous l’angle de l’article 14 de la Convention, qui interdit la discrimination 
			(20) 
			Biao
c. Danemark, Requête no 38590/10,
arrêt du 24 mai 2016.. La Cour a conclu à la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, en raison du refus des autorités danoises d’accorder le regroupement familial à la femme du requérant, naturalisée danoise; ce refus était dû à l’application de «l’exigence d’attachement» à laquelle peuvent uniquement satisfaire les personnes qui possèdent la nationalité danoise depuis au moins 28 ans. La Cour a estimé que «la règle des 28 ans» avait un effet discriminatoire, puisqu’elle favorisait les ressortissants danois d’origine ethnique danoise. Ce faisant, la Cour s’est notamment référée à l’article 5.2 de la CEN.

6. Jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne

19. Alors que les règles sur l’acquisition de la nationalité ne relèvent pas du champ d'application du droit de l'Union européenne, les règles relatives au retrait de la citoyenneté de l’Union en font partie. Dans son arrêt du 2 mars 2010, Rottmann contre Freistaat Bayern 
			(21) 
			Affaire C-135/08, paragraphes
55 et 56., la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) précise que la situation d’un citoyen de l’Union européenne devenant apatride par suite du retrait de sa nationalité entre dans le champ d’application du droit de l’Union européenne. En effet, l’intéressé perdrait ainsi le statut de citoyen de l’Union européenne conféré par l’article 20 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui est censé être le statut fondamental des ressortissants des États membres. Concernant l’examen du critère de proportionnalité, la CJUE a jugé qu’il incombait au juge national de prendre en considération les conséquences potentielles d’une telle décision pour la personne concernée et, si nécessaire, pour sa famille, sur le plan de la perte des droits inhérents à la citoyenneté de l’Union. À cet égard, il est nécessaire d’établir, en particulier, si cette décision se justifie en fonction de la gravité de l’infraction commise, du temps écoulé entre la prise de la décision de naturalisation et la décision de retrait de la nationalité et si la personne concernée pourrait retrouver sa nationalité d’origine.

7. La législation nationale relative à la déchéance de nationalité, et plus particulièrement à la déchéance de nationalité pour infractions terroristes

20. Afin de réunir des informations supplémentaires sur la privation de nationalité envisagée comme une mesure de lutte contre le terrorisme, j’ai adressé un questionnaire aux délégations des parlements nationaux, par l’intermédiaire du Service de recherche du Parlement européen (EPRS), et aux institutions nationales de défense des droits de l’homme (INDH), grâce à l’assistance du Réseau européen des institutions nationales des droits de l'homme (REINDH). J’ai reçu les réponses de 27 États membres: Allemagne, Albanie, Andorre, Autriche, Croatie, Chypre, Espagne, Estonie, Finlande, Géorgie, Grèce, Hongrie, Lettonie, «l'ex-République yougoslave de Macédoine», Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République slovaque, Slovénie, Suède, Suisse, République tchèque et Turquie. Quatre INDH ont également répondu à mon questionnaire: la Commission nationale consultative des droits de l’Homme de France, la Commission nationale des droits de l’homme de Grèce, le Centre national slovaque des droits de l’homme et le médiateur d’Ukraine.
21. Le questionnaire comportait les questions suivantes:
i. Dans quel(s) cas votre législation autorise-t-elle la déchéance de nationalité?
ii. La décision de déchoir une personne de sa nationalité dépend-elle de la durée de sa nationalité (à la naissance, par naturalisation, par mariage, etc.)? Si oui, quels arguments ont été avancés pour justifier la différence de traitement entre les catégories distinctes de citoyens?
iii. Est-il possible de déchoir une personne de sa nationalité si celle-ci devient de ce fait apatride?
iv. Si votre législation autorise la déchéance de nationalité pour des infractions liées au terrorisme ou d’autres infractions graves, quelle est la procédure de déchéance? Veuillez préciser, s’il y a lieu, le rôle joué par la procédure pénale.
v. Si votre législation ne permet actuellement pas la déchéance de nationalité pour les motifs susmentionnés, une modification de la loi est-elle en cours pour autoriser ce type de déchéance de nationalité?
22. S’agissant de la première question, il ressort des réponses reçues que certains États n’autorisent pas la déchéance de nationalité si celle-ci est contraire à la volonté de l’intéressé. Il est donc uniquement possible de perdre sa nationalité par renonciation et/ou par l’exercice du droit au choix (en Croatie, dans «l'ex-République yougoslave de Macédoine», en Pologne, République slovaque avec quelques exceptions, Suède, République tchèque et, dans une certaine mesure, au Portugal). Les Constitutions de la Croatie, de la République tchèque, de la Pologne et de la République slovaque précisent clairement qu’un ressortissant peut uniquement perdre à sa nationalité à sa demande.
23. D’autres États membres autorisent la perte involontaire de nationalité pour divers motifs prévus par leur législation, comme l’acquisition de la nationalité d’un autre État (Allemagne, Autriche, Andorre, Estonie, Géorgie, Grèce, Lituanie, Lettonie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, République slovaque et Ukraine, ainsi que l’Espagne dans certaines circonstances), la résidence à l’étranger (Grèce et Pays-Bas), l’engagement volontaire dans les forces armées ou dans une organisation militaire d’un autre État et/ou le fait de servir un pays étranger contre les intérêts de l’État de nationalité (Allemagne, Andorre, Autriche, Estonie, Espagne, France, Géorgie, Grèce, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Slovénie, Turquie et Ukraine), le refus de servir dans les forces militaires de l’État (France) ou la communication intentionnelle de fausses informations ou la dissimulation de faits applicables aux conditions d’acquisition de la nationalité dans une attestation ou pendant la procédure de naturalisation (Allemagne, Belgique, Chypre, Espagne, Estonie, Finlande, Géorgie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas et Ukraine). Certains États autorisent également la privation de nationalité pour d’autres actes préjudiciables à la sécurité de l’État: Chypre, lorsque l’intéressé «manque de loyalisme», «porte atteinte à l’honneur de la République» ou se livre à un commerce illicite avec l’ennemi en temps de guerre, et la Lettonie et la Slovénie, en cas d’activités visant à renverser l’ordre constitutionnel.
24. Dans quelques États membres, la déchéance de nationalité est possible pour une infraction pénale commise par l’intéressé: à Chypre, pour les «crimes odieux moralement obscènes», ou en Slovénie, si l’intéressé est un «auteur récidiviste d’infractions pénales passibles de poursuites de plein droit et de troubles à l’ordre public».
25. En Belgique, en France, aux Pays-Bas, en Suisse et en Turquie, la déchéance de nationalité est possible si l’intéressé a commis une infraction grave, y compris une infraction à caractère terroriste.
26. En Norvège, à la suite de la récente modification de la loi relative à la nationalité, il sera désormais possible, à compter du mois de janvier 2019, de déchoir de sa nationalité un citoyen qui «s’est conduit de manière gravement préjudiciable aux intérêts essentiels de l’État», c’est-à-dire qui a été condamné pour des crimes tels que le génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre, l’atteinte aux intérêts nationaux ou pour des actes à caractère terroriste ou liés au terrorisme, si ces infractions sont passibles d’une peine de plus de six ans d’emprisonnement.
27. Les parlements et/ou les INDH de certains États qui autorisent la perte involontaire de nationalité ont clairement indiqué que leur législation nationale n’autorisait pas la déchéance de nationalité pour les infractions liées au terrorisme (Allemagne, Albanie, Andorre, Espagne Finlande, Grèce, Hongrie, Lettonie, Lituanie, République slovaque et Ukraine) ou pour quelque infraction que ce soit (Hongrie).
28. Pour ce qui est de la deuxième question, certains États membres qui autorisent la perte involontaire de la nationalité indiquent qu’en général la décision de retrait de la nationalité ne dépend pas de son mode d’acquisition (Allemagne, Andorre, Autriche, Chypre, Grèce, Lettonie, Suisse et Turquie). Pour d’autres États, le mode d’acquisition de la nationalité peut avoir une importance pour son retrait (Norvège et Espagne). En Belgique, Estonie, France et Luxembourg, il est uniquement possible de priver de leur nationalité les citoyens naturalisés, et non ceux qui ont acquis leur nationalité à la naissance. Aucune explication n’est cependant donnée pour cette différence de traitement.
29. Certaines délégations ont répondu que la décision de privation de nationalité ne dépendait pas de la durée de la nationalité dans un État donné (Allemagne, Grèce, Norvège, Pays-Bas, Slovénie et Turquie). L’exception à cette règle est toutefois fréquente en cas de naturalisation obtenue par des moyens frauduleux (par exemple en Allemagne, en Hongrie et en Lettonie). À Chypre, l’individu condamné à une peine d’emprisonnement pour «crimes odieux» au cours des dix années qui suivent l’acquisition de la nationalité peut être déchu de sa nationalité.
30. S’agissant de la troisième question, la plupart des réponses indiquent qu’il n’est pas possible de déchoir une personne de sa nationalité si celle-ci devient de ce fait apatride (par exemple en Belgique, en France, au Luxembourg, en Norvège, aux Pays-Bas et en Suisse). Mais la législation de certains États membres autorise la privation de nationalité même si celle-ci entraîne l’apatridie de l’intéressé, en particulier lorsque la nationalité a été acquise par acte frauduleux ou lorsque la décision de naturalisation est invalide (Allemagne, Belgique, Lettonie, Norvège et Pays-Bas).
31. La réponse turque indique que la législation turque relative à la nationalité repose sur le principe selon lequel «toute personne devrait avoir une nationalité». Toutefois, il n’existe aucune réglementation relative à l’apatridie lorsque les conditions de perte de la nationalité sont réunies, sauf en cas de perte de la nationalité turque par l’exercice du droit au choix. La délégation hongroise a indiqué que l’un des principes de la loi relative à la nationalité hongroise consistait à diminuer les cas d’apatridie; toutefois, «l’apatridie n’est pas un facteur d’exclusion».
32. Quant à la quatrième question, les informations suivantes ont été communiquées au sujet de la procédure de déchéance de la nationalité pour des infractions liées au terrorisme (Belgique, France, Norvège, Pays-Bas, Suisse et Turquie) ou d’autres infractions graves (Chypre et Slovénie). L’Autriche a indiqué qu’il était possible de priver de nationalité les individus ayant rejoint des forces militaires étrangères ou se portant volontaires pour intégrer un groupe de combattants organisés prenant part à des conflits violents à l’étranger: la privation de nationalité est décidée à la suite d’une procédure administrative.
33. En Belgique, en vertu des articles 23.1 et 23.2 du Code belge de la nationalité, depuis juillet 2015 la privation de nationalité peut-être être infligée comme peine accessoire à une personne reconnue coupable d’une infraction terroriste et condamnée à une peine d’emprisonnement d’au moins cinq ans. Cette décision est prise par la cour d’appel à la demande du procureur. Elle est susceptible de recours au même titre que la peine principale, conformément au Code de procédure pénale, et devient exécutoire une fois la privation de nationalité inscrite au registre de l’État civil.
34. À Chypre, l’auteur d’un «crime odieux» peut être déchu de sa nationalité sur décision du Conseil des ministres.
35. En France, une personne condamnée pour une infraction terroriste peut être privée de sa nationalité si les faits sur lesquels repose sa condamnation ont eu lieu avant l’acquisition de la nationalité ou au plus tard 15 ans après celle-ci (article 25-1 du Code civil). En vertu de l’article 61 du Décret no 93-1362 du 30 décembre 1993, l’intéressé doit être informé des motifs juridiques et factuels de sa privation de nationalité. Il dispose d’un mois pour formuler ses observations. À l’expiration de ce délai, le gouvernement peut déclarer par décret et après avis du Conseil d’État la déchéance de la nationalité française de l’intéressé. Cette décision est susceptible de recours devant le Conseil d’État 
			(22) 
			Après les attentats
survenus à Paris en novembre 2015, le président Hollande avait proposé
de modifier la Constitution pour permettre la déchéance de nationalité
des ressortissants nés français et titulaires d’une double nationalité,
mais cette proposition n'avait pas abouti. Voir également Commission
de Venise, Avis no 838/2016 sur le projet
de loi constitutionnelle de «protection de la nation» de la France,
CDL-AD(2016)006, et l'avis de notre commission sur le rapport de
la commission des questions politiques et de la démocratie «Combattre
le terrorisme international tout en protégeant les normes et les
valeurs du Conseil de l'Europe» (rapporteur pour avis: M. Pierre-Yves
Le Borgn’, France, SOC), Doc. 13960..
36. Aux Pays-Bas, la déchéance de nationalité pour activités terroristes est possible dans deux cas: après condamnation définitive pour certaines infractions terroristes ou lorsqu’un citoyen a rejoint une organisation terroriste à l’étranger qui représente une menace pour la sécurité nationale. Dans le premier cas, la décision est prise par le ministre compétent, qui doit tout d’abord informer l’intéressé de son intention de révoquer sa nationalité et de la possibilité qui lui est donnée de formuler des observations avant la prise de cette décision. La décision est ensuite susceptible de recours dans le cadre d’une procédure de contestation administrative ou devant une juridiction. La durée de la peine est d’une importance limitée pour le ministre. Dans le deuxième cas, c’est-à-dire celui de «l’apparente appartenance à une organisation terroriste à l’étranger», la déchéance de nationalité n’est pas soumise à une condamnation pénale préalable. Cette procédure est applicable si l’intéressé a quitté le territoire néerlandais et si, sur la base de son comportement, il est établi au-delà de tout doute raisonnable qu’il souscrit aux idées d’une organisation terroriste inscrite sur la liste établie par le ministre, qui ne comprend pour l’instant que des organisations liées à l’islam, qu’il a l’intention de rejoindre cette organisation et qu’il a agi pour le compte de celle-ci. La déchéance de nationalité doit intervenir dans l’intérêt de la sécurité nationale. La personne concernée n’est pas informée au préalable de la décision de déchéance de nationalité en cours, car le but poursuivi par le gouvernement est d’empêcher le retour de ces personnes aux Pays-Bas. Cette décision est susceptible de recours direct devant une juridiction administrative. Le recours doit être déposé dans un délai de quatre semaines à compter de la prise et de la publication de la décision. La juridiction saisie procède à un contrôle «minime», c’est-à-dire procédural, de la décision, souvent en absence de l’intéressé. Cette procédure de déchéance de nationalité qui ne doit pas être basée sur une condamnation pénale peut être appliquée aux personnes ayant 16 ans ou plus 
			(23) 
			Loi du 10 février 2017,
portant modification de la loi relative à la nationalité néerlandaise
à propos de la déchéance de la nationalité néerlandaise dans l'intérêt
de la sécurité nationale..
37. En Slovénie, en vertu de l’article 26 de la loi relative à la nationalité, «l’auteur récidiviste d’infractions pénales poursuivies de plein droit et de troubles à l’ordre public» peut être privé de sa nationalité. La privation de nationalité est décidée par le service administratif compétent et est susceptible de recours devant le ministre de l’Intérieur, puis devant le tribunal administratif.
38. En Suisse, la privation de la nationalité peut être décidée à l’issue d’une condamnation pénale, bien que cette dernière ne soit pas indispensable dans certains cas (par exemple si la procédure pénale n’a pu aboutir à une condamnation faute de coopération internationale et par manque de preuves provenant de l’étranger). La procédure est lancée par le secrétariat d’État aux Migrations, qui entend l’intéressé avant de prendre la décision de le priver de sa nationalité. La décision est susceptible de recours devant le tribunal administratif dans un délai de 30 jours à compter de sa notification.
39. En Turquie, à la suite de la modification de la loi relative à la nationalité turque en 2017, il est désormais possible de procéder à une déchéance de nationalité en cas d’infraction liée au terrorisme et d’autres infractions graves. En conséquence, les citoyens qui font l’objet d’une enquête en cours du procureur ou d’une procédure pénale en cours devant un tribunal pour les infractions énumérées par le Code pénal turc et qui ne peuvent être contactés parce qu’ils se trouvent à l’étranger font l’objet d’une notification auprès du ministère, un mois avant la date de leur audition par le procureur ou de l’audience du tribunal. En l’absence de leur retour dans un délai de trois mois à compter de l’annonce faite par le ministère de l’Intérieur, ils peuvent être déchus de leur nationalité turque par décision du Président de la République.
40. En Norvège, en vertu d’un nouvel article de la loi relative à la nationalité norvégienne qui entrera en vigueur en 2019, les personnes condamnées pour des infractions terroristes passibles d’une peine de plus de six ans d’emprisonnement pourront être déchues de leur nationalité. Cette décision peut être prise après une condamnation pénale.
41. S’agissant de la cinquième question, la plupart des réponses indiquent qu’aucune modification de la législation n’est prévue par les parlements nationaux. Toutefois, en Allemagne, en Finlande et au Portugal ont été déposées des propositions de modification de la législation relative à la nationalité, en vue de permettre la déchéance de nationalité des personnes titulaires de plusieurs nationalités condamnées pour des infractions terroristes. En République tchèque, en 2016, le dirigeant du mouvement Liberté et Démocratie directe (SPD) a tenté de lancer un débat sur une modification de la Constitution visant à permettre la déchéance de nationalité des terroristes condamnés, mais sa proposition n’a pas abouti.
42. J’ai obtenu à propos de certains États membres qui n’avaient pas répondu à mon questionnaire des informations provenant d’autres sources. D’après un document du EPRS 
			(24) 
			EPRS, Acquisition and
loss of citizenship in EU Member States. Key trends and issues,
juillet 2018, p. 7., d’autres États membres de l’Union européenne autorisent la déchéance de nationalité des auteurs de graves infractions commises à l’encontre de l’État (Bulgarie et Danemark), des auteurs d’actes commis à l’encontre de l’ordre constitutionnel et des institutions de l’État (Danemark), des personnes qui ont manqué de loyalisme par leurs actes ou leurs discours (Malte et Irlande) et, plus généralement, des auteurs d’actes commis à l’encontre des intérêts nationaux (Roumanie et Royaume-Uni). En Bulgarie, en Irlande et à Malte, ces motifs peuvent uniquement être invoqués pour déchoir de leur nationalité des citoyens naturalisés. Une autre étude révèle que la loi relative à la nationalité bulgare permet de priver de sa nationalité un citoyen naturalisé condamné pour une «grave infraction commise à l’encontre de la République», mais uniquement s’il se trouve à l’étranger et ne devient pas apatride 
			(25) 
			Commission européenne
et Réseau européen des migrations, <a href='https://ec.europa.eu/home-affairs/sites/homeaffairs/files/what-we-do/networks/european_migration_network/reports/docs/ad-hoc-queries/visas/604_emn_ahq_revoking_citizenship_terrorism_25september2014_en.pdf'>Ad-Hoc
Query on Revoking Citizenship on Account of Involvement in Acts
of Terrorism or Other Serious Crimes</a>, Compilation publiée le 26 août 2014, p. 3 et 7-9.. Au Danemark, la privation de nationalité en cas de double nationalité est possible pour les personnes condamnées pour une infraction liée au terrorisme, y compris pour les infractions accessoires de préparation, d’incitation et de recrutement 
			(26) 
			Code pénal danois,
chapitre 13.. Au Royaume-Uni, l’article 40 de la loi relative à la nationalité britannique autorise la privation de nationalité lorsque le ministre de l’Intérieur la juge «conforme au bien public» et si elle n’entraîne pas l’apatridie de l’intéressé. Toutefois, depuis la loi relative à l’immigration de 2014, le ministre de l’Intérieur peut priver un citoyen naturalisé de sa nationalité si l’intéressé «s’est conduit de manière gravement préjudiciable aux intérêts essentiels du Royaume-Uni, de l’une de ses îles ou d’un territoire britannique d’outre-mer» et s’il existe «des raisons valables de croire que l’intéressé peut, en vertu de la législation d’un pays ou territoire étranger, devenir ressortissant de ce pays ou territoire» (article 40.4.a de la loi). La conduite jugée «gravement préjudiciable aux intérêts essentiels du Royaume-Uni» est soumise à des critères plus exigeants que ceux qui prévalent pour la prise d’une décision «conforme au bien public»; elle concerne la sécurité nationale et les personnes qui prennent les armes contre les forces britanniques ou alliées. Le ministre de l’Intérieur est habilité à priver une personne de la nationalité britannique sans qu’une condamnation préalable soit nécessaire. Ses décisions font l’objet d’un contrôle juridictionnel et, lorsque la sécurité nationale est en jeu, ce contrôle est exercé par une juridiction spéciale – la Commission spéciale des recours en matière d’immigration – dont la procédure est en partie secrète.

8. Les travaux antérieurs de l’Assemblée

43. L’Assemblée travaille depuis longtemps sur les questions liées à la nationalité, comme en témoigne la Résolution 1989 (2014) sur l’accès à la nationalité et la mise en œuvre effective de la Convention européenne sur la nationalité. Dans cette résolution, elle déplore le faible nombre de ratifications de la CEN par les États membres et appelle tous les États membres du Conseil de l’Europe concernés à la signer et/ou à la ratifier.
44. Dans sa Résolution 1840 (2011) sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, l’Assemblée considère que le terrorisme doit être traité en priorité par le système de justice pénale, assorti des garanties d’un procès équitable, dont le respect est soigneusement vérifié et qui permettent de protéger la présomption d’innocence et le droit à la liberté de tous. Elle souligne que les mesures administratives coercitives prises à des fins préventives devraient avoir une durée limitée, n’être appliquées qu’en dernier ressort et être soumises à des conditions rigoureuses, notamment à des exigences minimales sur le plan des éléments de preuve, du contrôle juridictionnel ou d’un contrôle politique approprié 
			(27) 
			Adoptée
le 6 octobre 2011, paragraphe 6..
45. Dans son rapport sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak de janvier 2016, la commission des questions politiques et de la démocratie insiste sur le fait que les mesures prises pour retirer la nationalité ne semblent pas être véritablement dissuasives et pourraient même avoir l’effet inverse 
			(28) 
			Doc. 13937 (rapporteur: M. Dirk van der Maelen, Belgique, SOC)
du 8 janvier 2016, paragraphe 66.. Par ailleurs, dans un rapport intitulé «Combattre le terrorisme international tout en protégeant les normes et les valeurs du Conseil de l’Europe», la même commission s’oppose aux «lois prévoyant de retirer aux binationaux leur citoyenneté européenne, car elles sont susceptibles de créer une discrimination entre les citoyens d’un pays européen, à savoir entre les binationaux et les autres». De son point de vue, si ce type de mesure était appliqué à tous les ressortissants nationaux, elle créerait des apatrides et ne dissuaderait probablement aucun kamikaze 
			(29) 
			Doc. 13958 (rapporteur: M. Tiny Kox, Pays-Bas, UEL) du 26 janvier
2016, paragraphe 36..

9. Conclusions et propositions

46. En droit international, le droit à la nationalité est généralement considéré comme «le droit d’être titulaire de droits» et, par conséquent, comme un droit de l’homme. L’apatridie doit être évitée et la privation arbitraire de nationalité est interdite. Toutefois, la privation de nationalité ne fait pas en soi l’objet d’une interdiction absolue. La Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, ratifiée par 32 États membres du Conseil de l’Europe, l’autorise pour certains motifs, même si l’intéressé devient de ce fait apatride. La Convention européenne sur la nationalité limite ces motifs et prévoit que la privation de nationalité qui entraîne l’apatridie est uniquement admissible en cas d’acquisition frauduleuse de la nationalité; mais cette convention a été ratifiée uniquement par 21 des 47 États membres du Conseil de l’Europe. De nombreux États concernés par la menace du terrorisme, comme la Belgique, la France et le Royaume-Uni, ne l’ont pas ratifiée. Compte tenu des risques qui découlent des motifs parfois étendus de la privation de nationalité, certains États, surtout en Europe centrale, probablement en raison de leur expérience historique des régimes autoritaires, ne prévoient pas cette possibilité.
47. De nombreux autres États conservent un motif général de privation de nationalité en cas d’engagement dans des forces militaires étrangères et/ou pour diverses formes de comportement de nature à «porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État». Certains États prévoient expressément la possibilité de priver de leur nationalité les citoyens qui ont participé ou pourraient avoir participé à des activités terroristes (Belgique, Danemark, France, Royaume-Uni, Suisse et Turquie) et d’autres l’autorisent même si l’intéressé devient de ce fait apatride (Royaume-Uni et Turquie). Le retrait de la nationalité peut être soit réactif, c’est-à-dire décidé à la suite d’une condamnation pénale (par exemple en Belgique, au Danemark ou en France), soit préventif, c’est-à-dire pris sous forme d’une mesure administrative fondée sur la participation de l’intéressé à une organisation terroriste (aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Turquie). Une distinction s’apparentant à une discrimination (indirecte) est souvent faite entre les ressortissants qui ont acquis leur nationalité à la naissance et ceux qui l’ont acquise ultérieurement: dans certains États, seuls ces derniers peuvent être privés de leur nationalité (Belgique, France, Luxembourg et Royaume-Uni). En outre, la pratique de certains États montre que la déchéance de nationalité des citoyens titulaires d’une double nationalité reconnus coupables ou soupçonnés d’actes de terrorisme est possible: cette pratique a été signalée aux Pays-Bas, où la déchéance de nationalité est souvent utilisée comme mesure de lutte contre le terrorisme à l’encontre des ressortissants titulaires d’une double nationalité d’origine marocaine ou turque; elle s’apparenterait à une discrimination indirecte faite entre les citoyens titulaires d’une seule nationalité et les citoyens titulaires d’une double nationalité en fonction de leur origine nationale ou raciale. Ces ressortissants sont très souvent titulaires d’une double nationalité parce qu’ils ne sont pas autorisés à renoncer à la nationalité de leurs parents par la législation de l’État de leur autre nationalité (par exemple le Maroc), malgré l’absence de lien certain avec ce pays 
			(30) 
			Rapporteur spécial
des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination
raciale, de xénophobie et de l'intolérance qui y est associée, Amicus
Brief présenté devant le Service néerlandais d'immigration et de naturalisation,
23 octobre 2018.. Il existe donc une tendance à inscrire la faculté de déchéance de la nationalité dans le cadre juridique visant à lutter contre le terrorisme. Certains États ont récemment adopté une nouvelle législation qui leur laisse davantage de latitude pour déchoir de leur nationalité les personnes susceptibles de prendre part à des activités terroristes (par exemple la Belgique, les Pays-Bas, la Turquie ou, tout récemment, la Norvège). D’autres pays, comme la Suisse, commencent à appliquer les dispositions pertinentes d’anciens textes de loi sur la privation de nationalité à des actes considérés comme gravement préjudiciables aux intérêts essentiels de l’État 
			(31) 
			S. Krähenmann,
Foreign Fighters under International Law, Academy Briefing No. 7,
Académie de droit international humanitaire et de droits humains
de Genève, 2014..
48. Les universitaires ont critiqué le recours à la privation de nationalité comme mesure de lutte contre le terrorisme, surtout lorsqu’elle entraîne l’apatridie 
			(32) 
			G.-R. de Groot et O.W.
Vonk, op. cit., p. 32.. Elle peut en effet s’avérer préoccupante à plus d’un titre au regard des droits de l’homme: discrimination contre les ressortissants naturalisés; discrimination indirecte en fonction de l’origine, de la race ou de la religion; absence de recours effectif (surtout en cas de privation préventive, lorsqu’il n’existe aucun recours judiciaire ou que le contrôle juridictionnel est limité); droit à un procès équitable et à des garanties procédurales, consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (surtout en cas d’accès restreint au dossier de la procédure pénale pour des raisons de sécurité nationale ou si l’intéressé se trouve à l’étranger) et principe selon lequel nul ne peut être jugé ou condamné deux fois pour les mêmes faits (ne bis in idem) si la décision se fonde sur une condamnation pénale préalable (article 4 du Protocole no 7 à la Convention européenne des droits de l’homme). Lorsque la privation de nationalité est un motif d’expulsion, elle peut également poser problème sous l’angle de l’article 3 de la Convention si la personne peut être expulsée vers un pays où elle serait victime de torture ou de peines ou traitements inhumains ou dégradants. Elle peut également poser problème au regard de l’article 8 de la Convention, qui consacre le droit au respect de la vie privée et familiale. Selon l’avis de la Commission du droit international, la privation de nationalité «aux seules fins» d’expulsion est «abusive, et même arbitraire» au sens de l’article 15.2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme 
			(33) 
			Nations
Unies, Commission du droit international, projet d'articles sur
l'expulsion des étrangers, 2017, article 8 et commentaires.. La privation de nationalité porte également atteinte à la jouissance des droits politiques (notamment le droit de vote) et à une série de droits socio-économiques, dont le droit au travail, à la sécurité sociale, à un logement convenable, à la santé, etc. La privation préventive de nationalité imposée sans décision de justice est particulièrement controversée. La privation de nationalité d’un parent peut également entraîner la privation de nationalité de l’enfant et devrait être évitée, surtout si l’enfant risque de devenir apatride. L’intérêt supérieur de l’enfant doit être le premier élément pris en compte, conformément à l’article 3 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Comme de nombreux États autorisent uniquement la déchéance de nationalité des ressortissants titulaires d’une double nationalité ou d’une nationalité multiple, une course à la privation de la nationalité risque de s’engager entre les États concernés pour être le premier à priver un individu de sa nationalité. Cette «course» implique également le risque de négliger les garanties d’une procédure régulière.
49. La privation de nationalité peut également provoquer une «exportation des risques», car un terroriste condamné ou supposé peut, une fois déchu de sa nationalité, devenir un membre permanent de «l’armée internationale des terroristes», en se rendant ou en demeurant dans les zones de conflit, comme en Syrie ou en Irak. Le risque se déplace alors d’un pays européen à la zone de conflit et peut s’avérer plus difficile à supprimer. Cette pratique est contraire au principe de coopération internationale énoncé par diverses résolutions des Nations Unies et en particulier par la Résolution 2178 (2014) 
			(34) 
			Adoptée
le 24 septembre 2014. du Conseil de sécurité, qui vise à empêcher les combattants étrangers de quitter leur pays, ainsi que par des instruments régionaux (comme la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme et son protocole additionnel (STCE nos 196 et 217)). Elle peut également rendre plus difficile, voire impossible, le suivi de ces personnes et l’engagement de poursuites à leur encontre. Ce faisant, les États négligent et échappent à leur obligation d’enquêter sur les infractions terroristes et de poursuivre leurs auteurs au détriment d’une sécurité mondiale durable. La sécurité nationale est uniquement assurée à court terme et la menace principale est déplacée à l’étranger, ce qui expose les populations locales à des violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire.
50. Le but poursuivi par la privation de nationalité dans le cadre de la lutte contre le terrorisme n’est pas toujours clair. Lorsque cette mesure est appliquée à la suite d’une condamnation pénale, elle vise principalement à punir l’intéressé. Lorsqu’elle est préventive, le risque ainsi prévenu est «exporté». Cela amène à douter de la proportionnalité de la privation de nationalité conçue comme une mesure de lutte contre le terrorisme et les États devraient envisager un recours à d’autres mesures. Si la personne fait l’objet d’une enquête judiciaire, la juridiction compétente devrait réfléchir à l’application de mesures provisoires adéquates (par exemple l’interdiction de déplacement, l’arrestation, l’assignation à résidence, la surveillance électronique, etc.) et à la nature de la peine à infliger. Une peine d’emprisonnement, assortie de peines accessoires adéquates (comme l’interdiction d’exercer certains droits), peut s’avérer suffisante dans certains cas. Outre les poursuites pénales, certains États confrontés à la menace terroriste (par exemple la France, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni) recourent à certaines mesures administratives à des fins préventives. Il existe un vaste éventail de mesures antiterroristes de ce type à leur disposition: interdiction de déplacement, mesures restrictives, assignation à résidence, restrictions géographiques, suppression des prestations sociales, etc. Malgré le caractère controversé de certaines de ces mesures, elles peuvent être préférables à la privation de nationalité dès lors qu’elles sont utilisées dans le respect des normes relatives aux droits de l’homme 
			(35) 
			B. Boutin, Administrative Measures against Foreign Fighters.
In Search of Limits and Safeguards, International Centre
for Counter-Terrorism, La Haye, décembre 2016..
51. Le droit des droits de l’homme stipule clairement qu’il existe un droit à la nationalité et une interdiction de la privation arbitraire de celle-ci, ce qui limite alors considérablement la liberté qu’auraient les États à concevoir ou traiter la nationalité comme un privilège. À la lumière de cette interdiction issue du droit international, la résurgence de l’exercice par les États de leur faculté de priver de nationalité les personnes soupçonnées de prendre part à des activités terroristes est très problématique. La loyauté à l’égard de l’État n’est pas seulement prise en compte dans les décisions d’octroi de la nationalité, elle reste un important facteur d’appréciation du comportement de l’intéressé par la suite. Dans certains États, le manque de loyauté à l’égard de l’État, notamment les activités terroristes, peut entraîner une déchéance de la nationalité 
			(36) 
			S. Krähenmann, The
Challenge of «Foreign Fighters» to the Liberal International Legal
Order, dans How international law works
in times of crisis, édité par George Ulrich and Ineta
Ziemele, Oxford University Press, à paraître en 2019.. Celle-ci accroît le risque de marginalisation et d’aliénation des titulaires d’une double nationalité ou des ressortissants naturalisés, qui risquent de se sentir traités comme des citoyens de seconde zone. Ce sentiment pourrait éventuellement faire naître une vague de radicalisation ou une sympathie à l’égard des organisations terroristes.
52. En conclusion, plusieurs arguments parlent en défaveur de la privation de nationalité en général. Néanmoins, les États conservent cette faculté et certains d’entre eux ont étendu l’utilisation de cette mesure à la lutte contre le terrorisme. À la lumière des considérations relatives aux droits de l’homme et des autres éléments qui précèdent, la privation de nationalité ne devrait pas intervenir pour des raisons d’activités terroristes. Les États dont la législation autorise la privation de nationalité doivent cependant veiller à ce qu’elle ne soit pas arbitraire. Il importe en particulier qu’elle soit décidée ou contrôlée par une juridiction pénale, dans le respect scrupuleux de toutes les garanties de procédure, qu’elle ne soit pas discriminatoire et qu’elle n’entraîne pas l’apatridie. Elle devrait être proportionnée au but poursuivi et uniquement appliquée si les autres mesures prévues par le droit interne se révèlent insuffisantes. La notion de «comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels» doit faire l’objet d’une interprétation étroite et reposer sur une évaluation individuelle, et il importe que les intérêts de la sécurité nationale soient soigneusement appréciés au regard des droits de l’homme. Le terrorisme représente certes une grave menace pour nos sociétés, mais il ne doit pas nous conduire à lui sacrifier nos valeurs. En outre, la privation de nationalité n’est pas une mesure efficace pour lutter contre le terrorisme et peut même aller à l’encontre des objectifs de la politique antiterroriste.