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Résolution 2253 (2019)
La charia, la Déclaration du Caire et la Convention européenne des droits de l’homme
1. L’Assemblée parlementaire rappelle
notamment sa Résolution
1846 (2011) et sa Recommandation 1987
(2011) «Combattre toutes les formes de discrimination
fondées sur la religion», ainsi que sa Résolution 2076 (2015) «Liberté
de religion et vivre ensemble dans une société démocratique» et
sa Recommandation 1962
(2011) sur la dimension religieuse du dialogue interculturel.
L’Assemblée a examiné à ces occasions la coexistence des différentes
religions dans une société démocratique. Elle rappelle que le pluralisme,
la tolérance et l’esprit d’ouverture sont les pierres angulaires
de la diversité culturelle et religieuse.
2. L’Assemblée réitère d’emblée l’obligation faite aux États
membres de protéger le droit à la liberté de pensée, de conscience
et de religion consacré à l’article 9 de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5, «la
Convention»), qui représente l’un des fondements d’une société démocratique.
Le droit de manifester sa religion est toutefois un droit relatif
dont l’exercice peut faire l’objet de restrictions découlant de points
spécifiques qui relèvent de l’intérêt général, et il ne peut, en
vertu de l’article 17 de la Convention, viser à détruire d’autres
droits ou libertés garantis par la Convention.
3. L’Assemblée rappelle également qu’elle a souligné à plusieurs
reprises être favorable au principe de la séparation de l’État et
de la religion, l’un des piliers d’une société démocratique, par
exemple dans sa Recommandation
1804 (2007) «État, religion, laïcité et droits de l’homme».
Il importe de continuer à respecter ce principe.
4. L’Assemblée estime que les diverses déclarations islamiques
sur les droits humains, adoptées depuis les années 1980, dont les
textes sont plus religieux que juridiques, ne sont pas parvenues
à concilier l’islam et les droits humains universels, surtout parce
que la charia est leur unique source de référence. C’est notamment
le cas de la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam de
1990 qui, bien qu’elle ne soit pas juridiquement contraignante,
a une valeur symbolique et une importance politique en matière de politique
des droits humains dans l’Islam. Il est donc extrêmement préoccupant
que trois États membres du Conseil de l’Europe – l’Albanie, l’Azerbaïdjan
et la Turquie (pour cette dernière, avec cette limite: «pour autant qu’elle
soit compatible avec ses lois et ses engagements au regard des conventions
internationales») – aient avalisé, expressément ou implicitement,
la Déclaration du Caire de 1990, tout comme la Jordanie, le Kirghizstan,
le Maroc et la Palestine, dont les parlements jouissent du statut
de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée.
5. L’Assemblée s’inquiète par ailleurs grandement du fait que
la charia – y compris des dispositions clairement contraires à la
Convention – s’applique officiellement ou officieusement dans plusieurs
États membres du Conseil de l’Europe, sur l’ensemble ou une partie
de leur territoire.
6. L’Assemblée rappelle que la Cour européenne des droits de
l’homme a déjà déclaré dans son arrêt Refah
Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie que
l’institution de la charia et d’un régime théocratique est incompatible
avec les exigences d’une société démocratique. L’Assemblée reconnaît pleinement
que les dispositions de la charia en matière, par exemple, de divorce
et de succession sont clairement incompatibles avec la Convention,
et en particulier avec son article 14, qui interdit toute discrimination
fondée notamment sur le sexe ou la religion, ainsi qu’avec l’article 5
du Protocole no 7 à la Convention (STE
no 117), qui consacre l’égalité des époux
en droit. La charia est également contraire à d’autres dispositions
de la Convention et de ses protocoles additionnels, dont l’article
2 (droit à la vie), l’article 3 (interdiction de la torture ou des
traitements inhumains ou dégradants), l’article 6 (droit à un procès
équitable), l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale),
l’article 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion), l’article
10 (liberté d’expression), l’article 12 (droit au mariage), l’article 1
du Protocole additionnel (STE no 9) (protection
de la propriété) et les Protocoles nos 6
(STE no 114) et 13 (STE no 187)
sur l’abolition de la peine de mort.
7. À ce propos, l’Assemblée déplore que, en dépit de la recommandation
formulée dans sa Résolution 1704
(2010) «Liberté de religion et autres droits de l’homme
des minorités non musulmanes en Turquie et de la minorité musulmane
en Thrace (Grèce orientale)», où elle demandait aux autorités grecques
d’abolir l’application de la charia en Thrace, cela n’ait pas encore
été fait. Les muftis continuent à exercer des fonctions judiciaires
sans garanties procédurales satisfaisantes. L’Assemblée dénonce
en particulier le fait que les femmes sont clairement désavantagées
dans les procédures de divorce et de succession, deux domaines clés de
compétence des muftis.
8. L’Assemblée est également préoccupée par les activités «judiciaires»
des «conseils de la charia» au Royaume-Uni. Bien qu’ils ne soient
pas considérés comme faisant partie intégrante du système judiciaire britannique,
les conseils de la charia cherchent à offrir une autre forme de
résolution des litiges au cours de laquelle les membres de la communauté
musulmane acceptent, parfois volontairement, souvent sous l’effet d’une
très forte pression sociale, leur compétence judiciaire religieuse,
principalement dans les questions liées au mariage et aux procédures
de divorce islamiques, mais également en matière de succession et
de contrats commerciaux islamiques. L’Assemblée s’inquiète du fait
que les décisions des conseils de la charia sont clairement discriminatoires
à l’encontre des femmes musulmanes en matière de divorce et de succession. L’Assemblée
est consciente que des tribunaux islamiques informels peuvent également
exister dans d’autres États membres du Conseil de l’Europe.
9. L’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe
à protéger les droits humains, indépendamment des pratiques ou des
traditions religieuses ou culturelles, sur la base du principe que,
en matière de droits humains, il n’y a pas de place pour les exceptions
religieuses ou culturelles.
10. L’Assemblée prend note, en l’approuvant, de l’arrêt de 2008
de la Chambre des Lords du Royaume-Uni qui porte sur ces principes.
11. L’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe
et les États dont les parlements jouissent du statut de partenaire
pour la démocratie auprès de l’Assemblée:
11.1. à renforcer le pluralisme, la tolérance et un esprit d’ouverture
par des mesures proactives prises par les gouvernements, la société
civile et les communautés religieuses, dans le respect des valeurs communes
telles que définies par la Convention européenne des droits de l’homme;
11.2. à concevoir et à mettre en œuvre des programmes éducatifs
et professionnels visant à enraciner les droits de l’homme et les
libertés fondamentales consacrés par la Convention, en particulier
les principes d’égalité de genre et de non-discrimination fondés
sur les croyances religieuses, dans la tradition culturelle et juridique
de leur pays;
11.3. à promouvoir, au sein des organisations multilatérales
dont ils sont membres ou observateurs, les valeurs universelles
des droits humains, sans aucune discrimination fondée, entre autres,
sur le sexe, le genre, l’orientation sexuelle, l’identité de genre
et l’appartenance, ou non, à une religion;
11.4. à prendre part au processus de révision de la Déclaration
du Caire engagé par l'Organisation de la coopération islamique (OCI),
afin de veiller à ce que la future déclaration des droits de l’homme
de l’OCI soit compatible avec les normes universelles des droits
de l’homme et avec la Convention européenne des droits de l’homme,
qui est contraignante pour l’ensemble des États membres du Conseil
de l’Europe et une source d’inspiration pour ceux dont les parlements
bénéficient du statut de partenaire pour la démocratie.
12. L’Assemblée appelle l’Albanie, l’Azerbaïdjan et la Turquie
à envisager de prendre leurs distances avec la Déclaration du Caire
de 1990:
12.1. en envisageant leur
retrait de la Déclaration du Caire;
12.2. en utilisant tous les moyens dont ils disposent pour faire
des déclarations visant à garantir que la Déclaration du Caire de
1990 n’a aucun effet sur leur ordre juridique interne, susceptible
d’être incompatible avec leurs obligations de Parties à la Convention
européenne des droits de l’homme; ou
12.3. en envisageant d’adopter un acte formel qui établisse
clairement la primauté de la source de normes obligatoires et contraignantes
qu’est la Convention.
13. L’Assemblée, tout en prenant acte de la modification de la
législation effectuée en Grèce, qui a rendu l’application de la
charia optionnelle pour la minorité musulmane dans les questions
de droit civil et de succession, appelle les autorités grecques:
13.1. à exécuter rapidement et pleinement
l’arrêt de Grande Chambre rendu par la Cour européenne des droits
de l’homme dans l’affaire Molla Sali
c. Grèce et, en particulier, à vérifier si la modification susmentionnée
de la législation suffira à satisfaire aux exigences de la Convention;
13.2. à autoriser la minorité musulmane à choisir librement
ses muftis par élection, exclusivement en qualité de chefs religieux
(c’est-à-dire sans compétence judiciaire), en abolissant ainsi l’application
de la charia, comme le préconisait déjà la Résolution 1704 (2010).
14. L’Assemblée, tout en se félicitant de l’avancée majeure en
direction d’une solution que représentent les recommandations formulées
dans le rapport indépendant du ministère de l’Intérieur sur l’application
de la charia en Angleterre et au pays de Galles, appelle les autorités
du Royaume-Uni:
14.1. à veiller à
ce que les conseils de la charia fonctionnent dans le respect de
la législation, surtout en ce qui concerne l’interdiction de la
discrimination à l’encontre des femmes, et à ce qu’ils respectent l’ensemble
des droits procéduraux;
14.2. à revoir la législation relative au mariage pour imposer
aux couples musulmans l’obligation légale d’enregistrer leur mariage
à l’état civil avant ou au moment où ils contractent le mariage
musulman, comme le prévoit déjà la législation pour les mariages
chrétiens et juifs;
14.3. à prendre des mesures coercitives pour contraindre les
célébrants de tout mariage, y compris islamique, à s’assurer que
ce mariage est également enregistré à l’état civil avant ou au moment
de la célébration du mariage religieux;
14.4. à éliminer les obstacles à l'accès des femmes musulmanes
à la justice et à intensifier les mesures visant à assurer la protection
et l'assistance à celles qui sont en situation de vulnérabilité;
14.5. à mettre en place des campagnes de sensibilisation pour
promouvoir auprès des femmes musulmanes la connaissance de leurs
droits, en particulier dans les domaines du mariage, du divorce, de
la garde des enfants et de la succession, et à travailler avec les
communautés musulmanes, les organisations de femmes et d'autres
organisations non gouvernementales pour promouvoir l'égalité de genre
et l'autonomisation des femmes;
14.6. à réaliser de nouvelles études sur la pratique «judiciaire»
des conseils de la charia afin de déterminer dans quelle mesure
le recours à ces conseils est volontaire, en particulier pour les
femmes, qui sont nombreuses à subir une intense pression communautaire
à ce sujet.
15. L’Assemblée appelle les pays (États membres et États observateurs)
membres de l’OCI, la Grèce et le Royaume-Uni à faire rapport à l’Assemblée
d’ici au mois de juin 2020 sur les mesures qu’ils auront prises
pour donner suite à la présente résolution.