Imprimer
Autres documents liés
Résolution 2256 (2019)
Gouvernance de l’internet et droits de l’homme
1. L’internet est un bien commun,
dont les utilisations influencent de nombreux aspects de la vie
au quotidien et touchent aussi la jouissance effective des droits
de l’homme et des libertés fondamentales. L’importance de l’internet
est telle que le futur de nos sociétés dépend désormais aussi du
futur de l’internet. Il est essentiel que l’évolution de l’internet
conduise nos sociétés vers plus d’information et de connaissance, d’innovation
et de développement durable, de justice sociale et de bien-être
collectif, de liberté et de démocratie. Pour atteindre cet objectif,
il est impératif d’assurer une protection plus effective des droits
de l’homme sur l’internet.
2. Les nombreux textes mûrement réfléchis adoptés en la matière
par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe témoignent très
clairement de l’importance cruciale que revêtent ces questions.
L’Assemblée parlementaire rappelle, entre autres, la Déclaration
sur des principes de la gouvernance de l’internet de 2011 et les
recommandations suivantes: CM/Rec(2012)3 sur la protection des droits
de l’homme dans le contexte des moteurs de recherche; CM/Rec(2012)4
sur la protection des droits de l’homme dans le cadre des services de
réseaux sociaux; CM/Rec(2013)1 sur l’égalité entre les femmes et
les hommes et les médias; CM/Rec(2014)6 sur un Guide des droits
de l’homme pour les utilisateurs d’internet; CM/Rec(2015)6 sur la
libre circulation transfrontière des informations sur internet;
CM/Rec(2016)1 sur la protection et la promotion du droit à la liberté
d’expression et du droit à la vie privée en lien avec la neutralité
du réseau; CM/Rec(2016)5 sur la liberté d’internet; CM/Rec(2018)2
sur les rôles et les responsabilités des intermédiaires d’internet;
et CM/Rec(2018)7 sur les Lignes directrices relatives au respect,
à la protection et à la réalisation des droits de l’enfant dans
l’environnement numérique.
3. L’Assemblée reconnaît l’accès universel à internet en tant
que principe clé de la gouvernance de l’internet et considère que
le droit d’accès sans discrimination à internet est une composante
essentielle de toute politique solide visant à promouvoir l’inclusion
et à soutenir la cohésion sociale, ainsi qu’un facteur essentiel
de développement démocratique et socio-économique durable.
4. L’Assemblée souligne l’importance de garantir le droit à un
internet ouvert et de bâtir un écosystème qui sauvegarde la neutralité
du Net. Elle note que les acteurs économiques qui contrôlent les
systèmes d’exploitation et leurs magasins d’applications peuvent
imposer des limitations non justifiées à la liberté d’accès des
utilisateurs aux contenus et aux services disponibles en ligne,
et que le risque de telles limitations s’accroît avec l'évolution
vers des terminaux toujours plus intelligents.
5. L’Assemblée rappelle la nécessité d’assurer une protection
effective du droit à la liberté d’expression et d’information, en
ligne et hors ligne, ainsi que l’obligation pour les États membres
du Conseil de l’Europe de veiller à ce que ce droit, pilier de toute
société démocratique, ne soit menacé ni par les pouvoirs publics
ni par les opérateurs du secteur privé ou ceux du secteur non gouvernemental.
En même temps, il faut faire plus pour contrer les dangers que les
abus du droit à la liberté d’expression et d’information sur l’internet
engendrent, tels que l’incitation à la discrimination, à la haine
et à la violence, ciblant en particulier les femmes ou les minorités
ethniques, religieuses, sexuelles ou autres, les contenus prônant
l’abus sexuel d’enfants, le cyberharcèlement, la manipulation de
l’information et la propagande, ainsi que l’incitation au terrorisme.
6. 6. Cette exigence se double aussi de la nécessité de garantir
que l’internet devienne un environnement sécurisé, où les usagers
sont à l’abri de l’arbitraire, des menaces, des atteintes à l’intégrité
physique et psychique, et des violations de leurs droits. Il faut
renforcer la sécurité des bases de données que les institutions
publiques ou privées gèrent; des échanges et transactions sur le
réseau; des usagers vulnérables, victimes de propos racistes et
haineux, de cyberharcèlement ou de toute autre atteinte à leur dignité;
des infrastructures stratégiques et des services essentiels qui
s’appuient sur l’internet pour leur fonctionnement; et de nos sociétés
démocratiques menacées par le cyberterrorisme et la guerre cybernétique.
7. Il faut également renforcer la protection de la vie privée
et des données personnelles dans le cyberespace, pour éviter que
les technologies qui font désormais partie de notre quotidien deviennent
des outils de manipulation des opinions et de contrôle sournois
de notre vie privée. À cet égard, l’Assemblée souligne à nouveau
la menace que représentent pour les droits de l’homme les systèmes
d’envergure mis en place par les services de renseignement en vue
de collecter, de conserver et d’analyser à grande échelle les données
des communications, et condamne sans réserve les dérives et les
abus de pouvoir qui, sous des prétextes sécuritaires, sapent les
fondements de la démocratie et de l’État de droit. Par ailleurs,
l’Assemblée est préoccupée par le fait que l’intérêt des entreprises
privées à avoir un accès aisé au plus grand nombre de données personnelles
et à les utiliser librement l’emporte encore sur la protection des
utilisateurs d’internet, malgré les avancées significatives dans
ce domaine.
8. Pour faire face à ces défis avec succès, il faut œuvrer ensemble
plus efficacement. Ainsi, l’Assemblée prône une réflexion critique
sur la gouvernance de l’internet et souligne l’importance cruciale
de cette question, qui doit être au cœur des politiques publiques
tant au niveau national que dans le cadre des relations multilatérales
régionales et globales. Il est essentiel que les gouvernements,
le secteur privé, la société civile, la communauté universitaire
et technique des internautes et les médias continuent d’entretenir
un dialogue ouvert et inclusif afin de définir et de concrétiser
une vision commune d’une société numérique fondée sur la démocratie,
l’État de droit et les libertés et droits fondamentaux. Les plateformes
de dialogue telles que le Forum des Nations Unies sur la gouvernance
de l’internet (FGI), de portée mondiale, le Dialogue européen sur la
gouvernance de l’internet (European Dialogue on Internet Governance-EuroDIG)
et le Dialogue européen du Sud-Est sur la gouvernance de l’internet
(South Eastern Pan-European Dialogue on Internet Governance-SEEDIG),
ainsi que les diverses initiatives nationales, contribuent à favoriser
une telle vision commune et une meilleure compréhension des responsabilités
et des rôles respectifs des parties prenantes, et elles peuvent jouer
le rôle de catalyseur de coopération dans le monde numérique. À
cet égard, l’Assemblée salue également la décision prise le 12 juillet
2018 par le Secrétaire général des Nations Unies de créer le Groupe de
haut niveau sur la coopération numérique, chargé de présenter les
tendances de l’évolution des technologies numériques, de recenser
les carences et les perspectives qu’elles recèlent, et de proposer
des moyens de renforcer la coopération internationale.
9. Dès lors, l’Assemblée recommande aux États membres du Conseil
de l’Europe de mieux centrer leur travail sur la gouvernance de
l’internet sur la protection des droits de l’homme, en donnant pleinement application
aux recommandations du Comité des Ministres dans ce domaine et,
dans ce contexte:
9.1. de mettre
en œuvre des politiques nationales d’investissement public cohérentes,
avec l’objectif d’un accès universel à l’internet; ces politiques
devraient viser en particulier à corriger les déséquilibres géographiques
(par exemple entre les zones urbaines et les zones rurales ou isolées),
à aplanir le fossé numérique entre les générations et à éradiquer
les inégalités de genre, ainsi que d’autres inégalités dues aux
différences socio-économiques et culturelles ou à des handicaps;
9.2. d’être actifs dans les instances internationales pour
garantir la neutralité du Net et sauvegarder ce principe dans le
cadre de la législation nationale, qui devrait, entre autres:
9.2.1. établir clairement le principe de liberté de choix des
contenus et applications, quel que soit le terminal;
9.2.2. prévoir le droit des utilisateurs de supprimer des applications
préinstallées et d’accéder aisément aux applications proposées par
des magasins d’applications alternatifs, avec l’obligation pour
les acteurs économiques concernés d’offrir des solutions techniques
adéquates à cette fin;
9.2.3. imposer la transparence des critères de référencement
et de classement employés par les magasins d’applications et, à
cet égard, prévoir la collecte de l’information pertinente auprès des
fabricants de terminaux;
9.2.4. prévoir l’enregistrement et le suivi des signalements
des utilisateurs finals, ainsi que le développement d’outils de
comparaison entre les pratiques des acteurs économiques concernés;
9.3. de réfléchir à des politiques globales de lutte contre
la criminalité informatique et contre les abus du droit à la liberté
d’expression et d’information sur internet; ces politiques devraient
s’appuyer non seulement sur une législation pénale à jour, mais
aussi sur le renforcement des moyens de prévention, y compris l’établissement
de forces de police spécialisées dans le dépistage et l’identification
des criminels informatiques, et dotées de moyens techniques adéquats,
la sensibilisation et une meilleure éducation des utilisateurs,
ainsi qu’une collaboration accrue avec les opérateurs de l’internet
et une responsabilisation plus grande de leur part;
9.4. d’assurer, en même temps, que toute décision ou action
nationale entraînant une restriction du droit à la liberté d’expression
et d’information est conforme à l’article 10 de la Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5) et d’éviter
que la protection des utilisateurs et les exigences sécuritaires
ne deviennent un prétexte pour museler les opinions dissidentes
et pour porter atteinte à la liberté des médias;
9.5. de reconnaître et de mettre en œuvre efficacement le principe
de la «sécurité dès la conception» et, à cet égard:
9.5.1. d’assurer
que la sécurité est un trait fondamental dans la conception de l’architecture principale
de l’internet et des infrastructures informatiques des services
essentiels, afin de renforcer la résilience vis-à-vis des diverses
formes d’attaques terroristes ou criminelles et de réduire le risque
et les conséquences potentielles des pannes;
9.5.2. de prévoir des obligations de gestion des risques et de
signalement des incidents pour les opérateurs de services essentiels
et les fournisseurs de services numériques;
9.5.3. de prôner une coopération européenne et internationale
accrue visant à assurer un niveau élevé de sécurité des réseaux
et des systèmes d’information;
9.5.4. de promouvoir le développement des normes de sécurité
internationales harmonisées concernant «l’internet des objets»,
y compris la mise en place d’un mécanisme de certification;
9.5.5. de prévoir la responsabilité des entreprises privées (mais
aussi, le cas échéant, des autorités publiques) en cas de dommages dus
à une sécurité insuffisante des objets connectés qu’elles produisent
et commercialisent, et d’introduire des régimes d’assurance obligatoire (entièrement
financés par le secteur privé) afin de mutualiser les risques.
10. L’Assemblée souligne que les enfants exigent une protection
spécifique en ligne et doivent être éduqués sur la manière d’éviter
les dangers et de bénéficier au maximum d’internet. Les États membres
du Conseil de l’Europe, avec les autres parties prenantes, doivent
tirer entièrement parti de la Recommandation CM/Rec(2018)7 du Comité
des Ministres.
11. L’Assemblée considère que la Convention du Conseil de l’Europe
sur la cybercriminalité (STE no 185, «Convention
de Budapest») devrait être mieux utilisée pour améliorer la collaboration
interétatique visant à renforcer la cybersécurité. Par conséquent,
l’Assemblée appelle les États membres:
11.1. à ratifier la Convention de Budapest, s’ils ne l’ont pas
encore fait, et à garantir sa pleine mise en œuvre, en tenant dûment
compte des notes d’orientation sur les attaques visant les infrastructures d’information
critiques, sur les attaques par déni de service distribué, sur le
terrorisme et sur d’autres questions;
11.2. à encourager l’achèvement des négociations sur le deuxième
protocole additionnel à la Convention de Budapest sur une coopération
internationale renforcée et l’accès aux preuves d’activités criminelles
stockées dans le nuage (cloud);
11.3. à renforcer les synergies entre la Convention de Budapest,
la Convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants
contre l'exploitation et les abus sexuels (STCE no 201,
«Convention de Lanzarote») et la Convention du Conseil de l’Europe
sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes
et la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d’Istanbul») pour remédier à la cyberviolence, en suivant
les recommandations figurant dans l’Étude cartographique sur la cyberviolence,
adoptée par le Comité de la Convention sur la cybercriminalité (T-CY)
le 9 juillet 2018;
11.4. à soutenir, et à utiliser au mieux, les programmes de
renforcement des capacités menés par le Bureau du programme du Conseil
de l'Europe sur la cybercriminalité (C-PROC).
12. L’Assemblée encourage les États membres du Conseil de l’Europe
à s’engager avec le Groupe de haut niveau sur la coopération numérique
créé par le Secrétaire général des Nations Unies et à contribuer
à ses travaux. L’Assemblée recommande aux États membres du Conseil
de l’Europe d’œuvrer ensemble pour améliorer, tant au niveau interne
qu’au niveau international, les processus de prise de décision sur
les questions concernant l’internet, en prônant une gouvernance
de l’internet qui soit multipartite et décentralisée, transparente
et responsable, collaborative et participative. À cet égard, ils
devraient:
12.1. participer activement,
y compris avec leurs parlementaires, au FGI, à EuroDIG et à d’autres plateformes
de dialogue régionales et nationales sur la gouvernance de l’internet;
12.2. promouvoir le caractère ouvert du processus de prise de
décision, afin d’assurer une participation équilibrée des parties
qui y ont intérêt, selon des modalités variables en fonction du
rôle qui est le leur par rapport aux questions traitées, et rechercher,
dans la mesure du possible, des solutions consensuelles, tout en
évitant les situations de blocage;
12.3. permettre que les différents groupes d’acteurs puissent
administrer eux-mêmes les processus de désignation de leurs représentants,
mais exiger que les procédures établies à cette fin soient ouvertes, démocratiques
et transparentes;
12.4. encourager une dynamique de recomposition des intérêts
au sein des divers groupes de parties prenantes, par exemple par
le biais de structures associatives ou fédératives devant respecter
les critères d’une démocratie interne; concernant la représentation
des usagers, encourager une représentation équilibrée selon les
sexes, l’âge, ainsi que l’origine ethnique;
12.5. développer, au niveau national, des mécanismes multipartites
qui devraient servir de lien entre les discussions menées à l’échelle
locale et les travaux des instances intervenant à l’échelle régionale et
mondiale; assurer une bonne coordination et une communication fluide
entre ces différents niveaux et favoriser une dynamique qui soit
à la fois ascendante (du niveau local au niveau multilatéral) et descendante
(du niveau multilatéral au niveau local);
12.6. éviter de concentrer les pouvoirs décisionnels entre les
mains des autorités publiques et préserver le rôle des organisations
chargées des aspects techniques et des aspects de gestion de l’internet,
ainsi que le rôle du secteur privé;
12.7. viser à identifier les centres de décision les plus appropriés
en termes d’efficacité, en raison de leur connaissance des problèmes
à traiter et de leur capacité d’adapter les solutions aux spécificités
des communautés qui doivent assurer leur mise en œuvre, en ayant
égard également à une répartition horizontale des compétences décisionnelles
entre acteurs de nature différente;
12.8. exiger que tous ceux qui participent à la gouvernance
de l’internet assurent la transparence de leur action, celle-ci
étant une condition sine qua non d’une gouvernance responsable.
À cette fin:
12.8.1. il faut pouvoir identifier quelle responsabilité
chacune des parties prenantes assume par rapport à la décision finale
et à sa mise en œuvre;
12.8.2. au niveau multilatéral, la communauté des États devrait
définir des procédures décisionnelles plus claires, en consultation
avec les autres parties prenantes;
12.8.3. le sens des décisions prises devrait être compréhensible
pour leurs destinataires et ces décisions devraient être publiques,
donc documentées, classifiées et publiées de manière à être aisément
accessibles à tous;
12.9. maintenir une attitude proactive pour soutenir les aspects
participatif et collaboratif du processus de décision; à cet égard,
donner aux partenaires concernés les moyens de participer utilement
à la prise de décision et inclure dans ces processus des experts
d’autres domaines, au-delà du cercle des professionnels du métier,
afin que ces experts puissent également contribuer au développement
de l’internet.