1. Introduction
1. La reproduction assistée utilisant
des spermatozoïdes de donneurs existe depuis plusieurs décennies déjà.
La Société européenne de la reproduction humaine et d’embryologie
estime qu'il y a plus de 8 millions d'enfants dans le monde nés
grâce aux technologies de procréation assistée (PMA)
. Dans les différents
États membres du Conseil de l’Europe, il existe différents types
de législation concernant le don de gamètes humains, c’est-à-dire
de spermatozoïdes et d’ovocytes pour les traitements de PMA.
2. Traditionnellement, la plupart des États ont restreint le
droit d’une personne née d’une insémination artificielle avec donneur
(IAD) de connaître ses origines. Cette restriction peut provenir
de la législation, mais aussi de l’absence d’un système recueillant
les identités des donneurs. Ainsi, à l’instar des litiges parallèles concernant
l’adoption, en ce qui concerne la reproduction assistée utilisant
des gamètes humains, le conflit entre le droit d’information de
l’enfant et le droit d’anonymat de l’adulte était typiquement résolu
en faveur de l’adulte.
3. La règle d’anonymat des donneurs de gamètes a été introduite
dans la législation de nombreux États afin d’assurer le caractère
altruiste et volontaire du don, mais aussi afin de respecter la
vie privée du donneur ainsi que les intérêts de la famille légale
de la personne conçue. Il semblerait cependant que ces justifications au
principe d’anonymat soient aujourd’hui, dans une certaine mesure,
devenues obsolètes. En effet, le principe d’anonymat des donneurs
de gamètes humains est aujourd’hui remis en cause par la multiplication
des contestations qui en sont faites, par l’évolution des sociétés
ainsi que par l’évolution des technologies génétiques.
4. La commission des questions sociales, de la santé et du développement
durable a tenu une audition sur le sujet à Lisbonne (Portugal),
le 17 septembre 2018, à laquelle ont participé Mme Carla
Maria Pinho Rodrigues (Présidente du Conseil national de la procréation
médicalement assistée du Portugal), M. Miguel Oliveira Da Silva
(membre du Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe, Portugal),
deux personnes nées d’un don de gamètes et un donneur anonyme
.
5. Dans le présent rapport, j’entends donner une vue d’ensemble
du cadre juridique international/européen et des questions en jeu.
Sous l’angle des droits humains, il importe de trouver un équilibre
entre les droits et les intérêts de toutes les parties concernées,
c’est-à-dire les donneurs, les enfants/personnes conçues à partir d’un
don et les parents juridiques, les cliniques et les prestataires
de services, ainsi que les intérêts de la société et les obligations
de l'État.
2. Le cadre légal international/européen:
la reconnaissance progressive d’un droit d’accès à ses origines
6. L’anonymat des donneurs de
gamètes humains n’est plus un principe unanime au niveau européen.
En effet, une tendance internationale visant à reconnaître un droit
à la connaissance de ses origines génétiques au profit de la personne
conçue se développe depuis plusieurs décennies. En 1984, la Suède
fut le premier pays à lever le principe d’anonymat des dons de gamètes
.
Ce modèle suédois a ensuite été suivi par plusieurs autres pays tels
que l’Allemagne, la Suisse, les Pays Bas, l’Autriche, la Finlande,
l’Islande et le Royaume-Uni. Récemment, le Tribunal Constitutionnel
du Portugal a décidé que le don anonyme de gamètes était incompatible
avec la Constitution portugaise, faisant ainsi évoluer le cadre
légal des dons au Portugal et consacrant un droit d’accès aux origines
génétiques
.
La tendance croissante donnerait donc la priorité aux droits des
personnes conçues à la connaissance de leurs origines, et privilégie
donc la levée de l’anonymat des dons de gamètes.
7. Plusieurs instruments internationaux témoignent de cette évolution.
Tout d’abord, la Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE)
des Nations Unies du 20 novembre 1989 prévoit en son article 7.1
le droit de connaître ses parents «dans la mesure du possible»
. De surcroît, l’article 8 de la CIDE
énonce le droit de l’enfant de préserver son identité, y compris
ses relations familiales, sans ingérence illégales. Elle poursuit
en prévoyant que les États doivent accorder une assistance et une
protection appropriées pour que l’identité de l’enfant soit rétablie
aussi rapidement que possible
. Néanmoins, il convient de
préciser que la CIDE s’applique uniquement aux «enfants»
. Son champ d’application
ne s’étend donc pas à une personne adulte conçue à partir d’un don
de gamètes qui souhaiterait connaître ses origines génétiques.
8. Dans le domaine assez proche de l'adoption internationale,
la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération
en matière d'adoption internationale, largement ratifiée, énonce,
à son article 30:
«1). Les autorités
compétentes d'un État contractant veillent à conserver les informations
qu'elles détiennent sur les origines de l'enfant, notamment celles
relatives à l'identité de sa mère et de son père, ainsi que les
données sur le passé médical de l'enfant et de sa famille.
2). Elles assurent l'accès de l'enfant ou de son représentant
à ces informations, avec les conseils appropriés, dans la mesure
permise par la loi de leur État .»
On peut certainement
affirmer que la situation des personnes conçues par don est plus
proche de celle des enfants qui ont été adoptés à l’international
que des bénéficiaires de dons d'organes
.
9. La Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention») peut également s’avérer utile sur ce point, en
ce qu’elle s’applique à toute personne, qu’elle soit mineure ou
adulte. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme a, depuis
le début des années 2000, fait une interprétation constructive de l’article
8 de la Convention qui prévoit le droit à la vie privée des personnes.
Elle a par exemple estimé que l’article 8 protégeait le «droit à
l’identité et à l’épanouissement personnel», qui inclut le droit
d’accès aux informations permettant d’établir «quelques racines
de son histoire»
. Elle a également
estimé que l’article 8 impliquait le droit de connaître les origines
et les circonstances de sa naissance
et le droit d’avoir accès à la certitude
de la filiation paternelle
.
10. La Cour souligne ainsi l’intérêt vital pour l’enfant, même
devenu adulte, à obtenir des informations indispensables pour découvrir
la vérité sur un aspect important de sa vie personnelle, qui inclut
l’identité du géniteur. Cependant, comme en témoignent les arrêts
de la Cour, ce droit de connaître ses origines n’est pas absolu
et doit toujours être mis en balance avec les intérêts des autres
parties concernées. Cette mise en balance penche souvent, et c’est
frappant, en faveur du droit à la vie privée du géniteur, et donc
en faveur de l’anonymat du donneur.
De plus, à ce jour, aucune des décisions
de la Cour ne concerne spécifiquement le droit d’une personne conçue
grâce à un don de gamètes d’accéder à des informations sur le donneur,
bien que plusieurs requêtes introduites contre la France à ce sujet
soit pendantes à ce jour
. Il n’est donc pas possible pour le
moment d’établir avec certitude si la Cour est en faveur ou non
de la levée de l’anonymat du donneur
.
11. Ainsi, au regard de la portée pouvant apparaître limitée des
instruments internationaux garantissant un droit de connaître ses
origines et compte tenu des disparités des législations nationales
qui demeurent, risquant d’augmenter le phénomène de procréation
médicalement assistée transfrontière, l’Assemblée devrait pointer
du doigt les lacunes existantes et formuler des recommandations
quant aux actions qui pourraient être prises en compte par les États
membres du Conseil de l’Europe et le Conseil de l’Europe lui-même
pour clarifier la situation et trouver le meilleur équilibre.
3. Les
enjeux en présence: les différents problèmes posés par l’anonymat
du don de gamètes
12. Différents problèmes sont posés
par le principe d’anonymat des donneurs de gamètes, qui amènent
à questionner l’opportunité de son maintien dans les législations
des États membres.
13. Tout d’abord, le principe d’anonymat des donneurs de gamètes
pose un problème de santé publique. En effet, il a pour conséquence
que la personne conçue à l’issue du don ne puisse être informée
des antécédents médicaux de son géniteur. De plus, il augmente les
risques de consanguinité, puisque certains donneurs ayant effectué
plusieurs dons peuvent se retrouver avec plusieurs progénitures,
sans aucun moyen pour ces dernières de savoir si elles sont apparentées
lorsqu’elles souhaitent nouer des relations entre elles
. Malgré
l’existence de limites quantitatives posées aux dons provenant d’un
seul et même donneur dans certains États, ce phénomène des «serials
donneurs» est accentué par l’absence récurrente de système d’échange
d’informations entre les différentes cliniques pratiquant l’insémination
artificielle avec donneur à l’intérieur d’un État (par exemple dans
mon pays natal, la Belgique ou, historiquement, aux Pays-Bas
), mais également par le phénomène
des dons transfrontaliers.
14. Ensuite, le principe d’anonymat soulève la question éthique
fondamentale de la place de la personne conçue. Si la quête identitaire
des personnes issues d’un don de gamètes anonyme diffère quelque
peu de celle des personnes adoptées et peut sembler, a priori, plus
«légère», elle n’en reste pas moins tout aussi légitime, comme en
attestent les revendications de nombreuses associations, telle que
l’association Procréation médicalement anonyme. Beaucoup de personnes
nées d’un don estiment que l’accès à l’identité de leur donneur
est un aspect essentiel de leur construction identitaire (en tant
qu’enfants et adultes). Certaines sont toutefois convaincues que
la sécurité affective et physique apportée à un enfant est plus importante
que la transmission du matériel génétique, et sont par conséquent
uniquement intéressées par la divulgation d’informations non identifiantes.
15. Souvent calqué sur le caractère anonyme du don d’organe, le
principe d’anonymat du don de gamètes a pourtant des implications
différentes. En effet, le don d’organe sauve une vie alors que le
don de gamète en créée une. Le don de gamètes sera donc à l’origine
de certaines caractéristiques physiques chez la personne conçue.
Ainsi je crois que l’accès à l’identité du donneur constitue un
paramètre fondamental pour la construction de l’identité de l’enfant.
Cependant, pour qu’un enfant né d’un don de gamètes soit en mesure
de construire son identité, il faut avant tout qu’il soit informé
de l’origine de sa conception, ce qui est loin d’être la norme,
même aujourd’hui
.
16. Une étude américaine de 2017 constate que sur un échantillon
de jeunes adultes américains, issus d’un programme de don de sperme
avec identité du donneur accessible, 40 % ont demandé à avoir accès
à l’identité du donneur
. Il ressort d’une autre étude américaine
de 2010 que 65 % des personnes conçues avec donneur de sperme considèrent
que ce dernier constitue la moitié de ce qu’ils sont, que 70 % d’entre
eux se sont déjà demandé à quoi pouvait ressembler la famille de
leur donneur et 69 % si la famille de leur donneur voudrait les
connaître
. Il est donc raisonnable de penser
qu’au moins une personne sur deux conçue par don cherche à connaître
ses origines, d’où l’importance pour ces personnes d’avoir accès
à certaines informations à propos de leurs géniteurs. En effet,
la «confusion généalogique» et le «sentiment d'identité fracturée» peuvent
causer des souffrances considérables aux personnes conçues par don
qui ne peuvent pas accéder aux informations qui leur permettraient
d’identifier leurs donneurs
. Il est intéressant de noter à cet
égard que la Commission parlementaire de réforme du droit victorien
(Australie) a reconnu dans son rapport d'enquête de 2012 que «les
personnes conçues par don souffrent
effectivement du
fait qu’elles ne connaissent pas leurs donneurs»
.
17. Enfin, le principe d’anonymat semble devenir obsolète en raison
du développement des technologies génétiques, qui permettent d’avoir
accès à ses données génétiques et donc de retrouver son géniteur.
En effet, les tests génétiques «récréationnels» se démocratisent
partout dans le monde et l’accès à ces tests, que ce soit via internet
ou lors de leurs voyages à l’étranger, est désormais très aisé
. De fait, aujourd’hui, l’anonymat des
donneurs n’est donc plus garanti. Il semblerait ainsi plus opportun
de prévenir les éventuelles dérives de l’évolution de ces technologies
en levant le principe d’anonymat du donneur de gamètes et en encadrant
la communication des informations à la personne conçue, plutôt que
de laisser perdurer un anonymat aujourd’hui devenu caduc.
4. Arguments
en faveur de la levée de l’anonymat pour une meilleure protection
des personnes conçues
18. Il convient d’abord de préciser
qu’il s’agit non pas de supprimer l’anonymat de manière absolue,
mais simplement de le lever, de sorte que les parents ne connaissent
pas l’identité du donneur au moment de l’insémination et inversement,
mais que la personne conçue puisse accéder à certaines informations.
Il paraît donc plus juste de parler d’un droit d’accès aux informations
que de l’abolition de l’anonymat du don de gamètes. Il semblerait
toutefois que certains obstacles, aussi bien pratiques qu’éthiques,
se dressent contre une telle levée de l’anonymat.
19. L’argument systématiquement invoqué par les cliniques pratiquant
les inséminations artificielles avec donneur est celui d’une baisse
du nombre de donneurs en cas de levée de l’anonymat des dons. Cependant, les
statistiques ne permettent pas de confirmer cet argument. En effet,
aucune baisse des dons n’a été constatée dans les pays qui ont consacré
le droit d’accès aux origines. En Suède par exemple, la légalisation en
1984 consacrant l’accès des personnes issues d’un don à leurs origines
génétiques a entraîné une baisse du nombre de donneurs la première
année seulement, mais cette tendance s’est aujourd’hui inversée
. Au Royaume-Uni, depuis 2005, date
du changement législatif, les dons n’ont cessé de croître
. Les différentes études conduites
permettent de constater une modification sensible du profil des
donneurs, ceux-ci étant généralement plus âgés et ayant mieux mûri
leur geste, et non une réduction de leur nombre.
20. Enfin, un obstacle éthique est souvent brandi par ceux qui
s’opposent à la reconnaissance d’un droit de la personne conçue
d’accéder aux informations sur son géniteur: le risque d’un effritement
de la sphère familiale composée des parents juridiques et de la
personne conçue au profit du donneur, parent biologique, et donc
le risque que la filiation soit «réduite» à la parenté biologique.
Cependant, il est constant que les personnes conçues cherchant à
connaître leurs origines génétiques ont déjà des parents et ne sont
pas dans une quête affective ou à la recherche d’une famille, mais
à la recherche d’une partie de leur histoire et de leur identité.
Ainsi, au regard de l’évolution des sociétés et des mentalités quant
au pluralisme des constructions familiales qui peut être constaté
de nos jours, il semble aisé d’imaginer une coexistence pacifique
de la vérité des origines et de la filiation juridique, sans menacer
cette dernière, leurs attributions et prérogatives étant clairement
distinguées
.
21. De surcroît, dans les pays où un droit d’accès aux origines
a été consacré, la levée de l’anonymat n’a pas eu de conséquence
juridique pour la filiation, puisque celle-ci est déjà établie entre
la personne conçue et le parent juridique
. Le donneur est
ainsi à l’abri de toute demande de filiation, d’héritage ou de responsabilité. Le
rôle de l’État et de ses autorités dans cette évolution sera donc
primordial, aussi bien afin d’éliminer les risques juridiques pour
la filiation au travers de la législation, que pour recenser les
donneurs et receveurs des dons de gamètes afin d’améliorer la transparence
des techniques d’IAD.
5. Concilier
tous les intérêts
22. Je pense qu’il est utile de
préciser une fois de plus quels sont les intérêts des uns et des
autres en matière de don de gamètes. J’ai identifié les parties
concernées suivantes: le(s) parent(s) juridique(s), le(s) donneur(s),
la personne conçue à partir du don (enfant et adulte), les cliniques,
les prestataires de services et la société (l’État).
23. Le(s) parent(s) juridique(s) sont ceux qui cherchent à fonder
une famille en ayant recours à la PMA, au don de spermatozoïdes
et/ou d’ovocytes. Sans leur désir d’enfant, aucun bébé conçu de
la sorte ne verrait le jour, contrairement aux enfants adoptés ou
abandonnés à la naissance. Les parents juridiques ont l’intention, le
droit et l’obligation d’élever l’enfant né d’un don de gamètes,
ce qui a conduit les législateurs et les tribunaux de divers pays
à faire en sorte que le ou les donneurs ne puissent pas remettre
en cause la filiation juridique. Cependant, à ma connaissance, il
n’existe pas de juridiction qui oblige les parents juridiques à
informer leur enfant de l’origine de sa conception. Je doute pourtant
qu’il soit réellement dans l’intérêt de ces parents de préserver
la «paix familiale» en cachant à leur enfant la façon dont il a
été conçu, dans la mesure où il y a des chances qu’il le découvre
à un moment ou un autre. Une divulgation «tardive» ou accidentelle
peut donner à l’enfant le sentiment d’avoir été trahi par le(s)
parent(s) juridique(s), et engendrer une certaine distanciation plutôt
que la «paix familiale», ce qui va à l’encontre de l’intérêt des
parents juridiques
. Cependant, dans certaines
cultures (y compris en Europe), l'utilisation de la PMA continue
d'être considérée comme négative (même si la stigmatisation semble
diminuer), ce qui peut expliquer la réticence de certains parents
à divulguer des informations à ce sujet.
24. Quels sont les intérêts du donneur? Conformément aux normes
du Conseil de l’Europe, le don de gamètes se veut un acte volontaire
et altruiste fait dans le seul but d’aider les autres
, et donc
sans aucun profit ou avantage comparable pour le donneur. Cela n’empêche
pas toutefois le remboursement des dépenses justifiables occasionnées
par le don lui-même (par exemple, les frais de déplacement, l’achat
de médicaments) ou une indemnisation pour la perte de revenus. Certains
donneurs ont reconnu avoir d’autres motivations que le «seul but
d’aider les autres»: le remboursement des frais engendrés peut être
relativement élevé, s’agissant en particulier des dons d’ovocytes
transfrontaliers, d’où parfois une certaine incitation financière;
d’autres ont avancé des motifs psychologiques, comme un désir d'immortalité.
Dans la plupart des cas, il est dans l’intérêt du donneur d’être
protégé contre toute revendication d’ordre juridique, financier
ou parental. Cependant, certains donneurs – en particulier à un
moment ultérieur de leur vie et s’ils n’ont pas eux-mêmes fondé
de famille – apprécient d’avoir des contacts avec les enfants/adultes
issus du don et sont désireux d’établir une relation avec eux (pouvant
aller dans certains cas isolés jusqu’à la filiation juridique). Mais
il n’est généralement pas dans l’intérêt du donneur que son identité
soit révélée sans son consentement dans les cas où l’anonymat lui
avait été assuré au moment du don.
25. Comme indiqué précédemment, les enfants conçus à partir d’un
don de gamètes n’ont pas seulement un certain intérêt, mais également
le droit de connaître leurs parents dans la mesure du possible;
à l’âge adulte, ils conservent le droit de connaître leurs origines
et les circonstances de leur naissance. Pour des raisons médicales
et afin d’éviter la consanguinité, il est dans leur intérêt d’avoir
au moins accès à des informations non identifiantes concernant leurs
donneurs. Cependant, en ce qui concerne leur construction identitaire
et leur épanouissement personnel, il est habituellement aussi dans
leur intérêt d’avoir accès à des informations sur l’identité des
donneurs
. Je suis toutefois d’avis que la possibilité
d’exercer leur droit d’accès à de telles données devrait être laissée
à la discrétion des personnes nées d’un don
. Par ailleurs, j’estime qu’il
n’est pas dans l’intérêt de ces dernières d’avoir bien plus de demi-frères
ou demi-sœurs que la norme.
26. Les cliniques et les prestataires de services ont intérêt
à pouvoir proposer une offre complète de services de PMA dans le
respect de la loi et à tenir des registres précis, quelle que soit
la situation juridique du pays concerné afin d’être en mesure de
se conformer à cette législation (y compris lorsqu’elle est modifiée rétroactivement).
Les dons transfrontaliers de gamètes et la PMA devraient être très
méticuleusement répertoriés.
27. La société – et par conséquent l’État – a un intérêt à garantir
la santé individuelle et publique, et donc à veiller à la mise en
place d’un cadre juridique et réglementaire adéquat qui permette,
au minimum, de remonter jusqu’aux donneurs en cas de besoin médical
(pour une transplantation par exemple), et de consigner toutes les
informations d’une manière qui garantisse l’impossibilité pour deux
proches parents de sang de se marier. L’État a également l’obligation
de défendre et protéger les droits fondamentaux de ses citoyens
sur un plan plus général, y compris les droits de toutes les parties
prenantes évoquées dans ces paragraphes, et un intérêt à préserver
la «paix sociale».
28. La conciliation de tous les intérêts susmentionnés n’est pas
chose facile, et différentes solutions ont été trouvées dans divers
pays à des moments différents. Il n’y a peut-être pas de solution
universelle. Cependant, de toute évidence, certaines approches se
sont avérées plus efficaces que d’autres pour éviter les abus et maintenir
la «paix sociale». Il conviendrait de ne pas oublier que des personnes
conçues à partir d’un don de gamètes risquent de perdre leur vie
si leur donneur ne peut pas ou ne souhaite pas être identifié (alors
qu’elles ont besoin d’une transplantation, par exemple), et que
certains donneurs et personnes nées d’un don ont fortement souffert
d’une divulgation accidentelle (notamment dans des cas de consanguinité).
6. Conclusions
et recommandations
29. Les traits caractéristiques
du Conseil de l’Europe, à savoir son mandat dont l’étendue consiste
à promouvoir les droits humains, la démocratie et l’État de droit
ainsi que sa mission de promouvoir les bonnes pratiques parmi ses
États membres, font que l’Organisation est idéalement placée pour
s’attaquer aux risques et aux défis liés à l’anonymat des dons de
gamètes
.
Il lui revient donc de formuler des recommandations aux États afin
d’améliorer la protection des droits de toutes les parties concernées,
à savoir les parents, les donneurs et les enfants, mais en mettant
toutefois l’accent sur les droits de la personne conçue, qui se
trouve dans la position la plus vulnérable et dont les enjeux semblent
plus importants.
30. Ma recommandation serait de lever l’anonymat pour tous les
futurs dons de gamètes réalisés en Europe. Cela voudrait dire que
(sauf dans les cas exceptionnels, où le don vient d’un proche parent
ou d’un ami), l’identité du donneur ne serait pas révélée au moment
du don, mais qu’à son 16e ou 18e anniversaire
, l’enfant ainsi conçu serait informé
(de préférence par l’État) de l’existence d’informations complémentaires
concernant les circonstances de sa naissance. Il appartiendrait
ensuite à la personne née d’un don de décider si, et à quel moment,
elle souhaite avoir accès à ces informations portant notamment sur
l’identité du donneur. Dans ce scénario, la situation juridique
du donneur – caractérisée par l’absence de droits ou de responsabilités parentaux
– ne changerait pas
.
31. Dans une telle hypothèse, il incomberait aux cliniques d’informer
l’État de la naissance d’un enfant conçu à partir d’un don de gamète,
de son identité et de celle du donneur, et à l’État de tenir à jour
un registre de tous ces enfants et de leurs donneurs. Une limite
à ne pas dépasser du nombre de dons possibles par un même donneur
devrait également être établie et correctement appliquée.
32. En ce qui concerne les dons faits dans le passé et pour lesquels
l’anonymat a été garanti, je ne pense pas qu’il faille lever cet
anonymat de manière rétroactive, hormis pour des raisons médicales
ou lorsque le donneur y a consenti
.
La levée de l’anonymat ne devrait entraîner aucun changement au
niveau de la filiation juridique même lorsque le donneur a accepté
la démarche. Les donneurs devraient bénéficier de conseils avant
de décider de lever ou non l’anonymat. Une orientation, des conseils
et un soutien appropriés devraient également être offerts aux personnes
conçues par don avant qu'elles ne se décident à exercer leur droit d'accès
à des informations contenant l'identité du donneur.
33. Ces principes devraient être appliqués sans préjudice de la
priorité absolue, qui est que le don de gamètes doit rester un acte
volontaire et altruiste commis dans le seul but d'aider les autres,
et donc sans aucun gain financier ou avantage comparable pour le
donneur. Je suggère de laisser au Comité des Ministres le soin de
décider si ces recommandations devraient à terme devenir juridiquement
contraignantes.