1. Introduction
1. Suite au départ de M. Tobias
Zech de l’Assemblée parlementaire, j'ai été nommée rapporteure le 25 janvier
2018. Même si je n’avais travaillé qu’une année sur mon rapport
j’ai demandé à la commission, en janvier 2019, de donner son accord
pour une adoption du rapport le 5 mars. J’estime qu’il s’agit d’une
période critique pour le processus politique en Syrie, qui justifie
pleinement la tenue d’un débat de l’Assemblée dès que possible.
2. Comme le soulignait M. Staffan De Mistura, l'ancien Envoyé
spécial des Nations Unies pour la Syrie, à la fin de son mandat,
en décembre 2018, «nous avons besoin d’un nouvel élan d’ambition
commune et d’action concertée au sein du Conseil de sécurité des
Nations Unies si nous voulons que 2019 soit un véritable tournant pour
la Syrie». Comme le nouvel Envoyé spécial, le Norvégien Geir Pedersen,
a débuté ses consultations à Damas en janvier 2019, notre Assemblée
devrait apporter sa contribution et soumettre des propositions concrètes
sur la phase d’après-guerre en Syrie.
3. Ce conflit sanglant, qui a causé plus de 400 000 morts et
a contraint des millions de personnes à fuir depuis 2011, est devenu
de plus en plus complexe au cours des huit dernières années en raison
de la participation de différents acteurs internationaux et de l'évolution
de facteurs internes.
4. Depuis 2012, l’Assemblée a analysé le conflit syrien et des
questions connexes dans une série de textes, depuis la
Résolution 1878 (2012) sur la situation en Syrie
. En
juin 2018, l’Assemblée a adopté sa
Résolution
2224 (2018) sur la situation humanitaire des réfugiés dans les pays
voisins de la Syrie à laquelle je me réfère pour l’analyse approfondie
de la question des réfugiés.
5. Le 25 novembre 2016, suite à une demande de débat d'urgence,
l’Assemblée a également adopté la
Résolution
2138 (2016) et la
Recommandation
2096 (2016) sur la situation à Alep. Le rapport de M. Jean-Claude
Mignon
abordait les conséquences politiques
et humanitaires du conflit et proposait plusieurs recommandations
aux acteurs concernés.
6. Le Comité des Ministres a pris note de la
Recommandation 2096 (2016) et a adopté une réponse le 31 mai 2017 à la 1287ème réunion
des Délégués des Ministres
. Se référant à sa propre Déclaration
sur la situation en Syrie adoptée en 2012, le Comité des Ministres
a réaffirmé que seule une solution politique pouvait mettre fin
au conflit, ajoutant qu'un soutien en faveur d'une véritable transition
politique fondée sur le communiqué de Genève du 30 juin 2012 et
la Résolution 2254 (2015) du Conseil de sécurité des Nations Unies ouvrirait
la voie à une nouvelle constitution et à des élections libres et
équitables.
7. Depuis l’adoption de la
Résolution
2138 (2016), le Gouvernement syrien a repris Alep et d'autres zones essentielles
du pays avec l'aide de la puissance aérienne russe et des milices
parrainées par l'Iran. Daech a perdu le contrôle de Raqqa, une ville
qui était sa capitale auto-proclamée en Syrie, ainsi que d’autres
secteurs essentiels, tandis que le conflit s'est étendu au-delà
des frontières syriennes avec une intervention militaire accrue
de multiples acteurs. Les pourparlers de paix menés à Genève, Astana
et Sotchi ont produit quelques résultats sur lesquels je reviendrai
dans le présent rapport, et ont ouvert des perspectives en vue d’une transition
politique crédible.
8. J'ai l'intention de me concentrer principalement sur l'impact
du conflit syrien et d'examiner notamment les très nombreux problèmes
posés sur le plan humanitaire, les pourparlers de paix en cours
ainsi que le rôle des acteurs internationaux et les effets du conflit
sur les pays voisins
9. Le 24 octobre 2017, la commission des questions politiques
et de la démocratie a tenu un échange de vues avec M. Christian
Springer, fondateur de l'organisation à but non lucratif Orienthelfer.
Des auditions d'experts, auxquelles ont participé M. Tarek Mitri,
directeur de l'Université américaine de Beyrouth, M. Julien Barnes-Dacey,
du Conseil européen sur les relations extérieures, et M. Haid Haid,
de Chatham House, ont eu lieu le 14 novembre 2017, une autre s'est
déroulée le 12 mars 2018, avec M. Eugenio Dacrema, de l'Institut italien
d'études internationales (ISPI) à Paris, et enfin avec M. Sotirios
Roussos, Professeur associé à l’université du Péloponnèse, le 22
mai 2018 à Athènes.
10. Le 24 janvier 2018 et le 26 avril 2018, l’Assemblée a tenu
deux débats d'actualité: sur le rôle de l’Europe dans les initiatives
de rétablissement de la paix en Syrie, ouvert par Mme Rósa
Björk Brynjólfsdóttir (Islande, GUE), et sur l'intervention militaire
turque en Syrie, ouvert par M. Tiny Kox (Pays-Bas, GUE). Ces débats
ont grandement contribué à documenter mon rapport et je remercie
nos collègues pour leurs contributions.
11. Ensuite, le 24 octobre 2018 je me suis rendue en Jordanie
où j’ai exprimé nos sincères félicitations à ce pays pour sa contribution
à l’accueil des réfugiés syriens, qui y sont plus de 1,3 millions.
Ma visite a confirmé notre opinion commune, que la Jordanie et d’autres
pays voisins comme le Liban et la Turquie mériteraient un plus grand
soutien de la communauté internationale dans la gestion de ce problème
délicat.
12. Enfin, la commission a organisé un échange de vues avec la
participation de M. Salam Kawakibi, Directeur du Centre arabe de
recherche et d'études politiques, le 5 mars 2019 à Paris.
13. À ce stade critique pour les négociations, il est vital que
notre Assemblée soutienne les efforts des Nations Unies et, notamment,
insiste sur la nécessité de faire participer toutes les forces politiques
syriennes, les experts, la société civile, les chefs religieux et
tribaux et les femmes au sein d’une future commission constitutionnelle,
dans le cadre de l’indispensable transition politique fondée sur
le communiqué de Genève du 30 juin 2012 et la Résolution 2254 (2015)
du Conseil de sécurité des Nations Unies. C’est pourquoi j’ai proposé
de modifier le titre de mon rapport comme suit: «La situation en
Syrie: des perspectives de solution politique?»
2. Données essentielles dans la perspective
de 2018-2019
14. La Syrie a commencé à sombrer
dans la guerre civile début 2011, quand les forces de sécurité gouvernementales
ont tiré sur les foules et tué des manifestants dans le contexte
de ce qui semblait alors constituer un «Printemps arabe». La répression
brutale des manifestations a engendré de nouvelles vagues de protestations.
Entre août et novembre 2011, les États-Unis, l'Union européenne,
la Turquie et les pays de la Ligue arabe ont imposé des sanctions
économiques contre le régime syrien en raison de la répression menée
contre des manifestants civils. En juin 2012, les combats ont gagné
Alep, la deuxième plus grande ville de Syrie, et son carrefour commercial.
15. Au cours des dernières années, le groupe djihadiste Daech
et d'autres groupes terroristes affiliés ont rejoint le conflit.
Daech s'est développé à partir de ce qui était al-Qaïda en Irak,
formé par des militants sunnites après l'invasion de 2003 menée
par les Etats-Unies, et est devenu une force majeure dans l'insurrection sectaire
du pays. En 2011, Daech a rejoint la rébellion contre le président
Assad en Syrie, où il a trouvé un refuge sûr et un accès facile
aux armes. En février 2013, des groupes armés, dont Daech, ont pris
le contrôle d'emplacements stratégiques dans la province de Raqqa
et ont conquis la ville un mois plus tard. La chute de Raqqa aux
mains de Daech a été suivie d'une vague d'attaques contre des civils
dans les zones rurales, d'arrestations d'activistes et d'enlèvements
d'étrangers.
16. Tout au long du conflit, on a assisté dans le pays à de multiples
tentatives de pourparlers de paix soutenues par les Nations Unies
ou la Fédération de Russie, mais la plupart d'entre elles n'ont
abouti qu'à des résultats limités. De même, la Commission d'enquête
indépendante des Nations Unies sur la Syrie a publié près d'une
douzaine de rapports relatant les atrocités commises pendant la
guerre. Mme Carla del Ponte, membre de
cette commission qu’elle a quittée en août 2017, a déclaré: «Au
début, il y avait du bon et du mauvais: le bon rôle pour l'opposition,
le mauvais pour le gouvernement. Aujourd'hui, en Syrie, tout le
monde est du mauvais côté. Le gouvernement Assad a commis d'horribles
crimes contre l'humanité et utilisé des armes chimiques, mais l'opposition
est désormais composée d'extrémistes et de terroristes». Elle a
ajouté: «Croyez-moi, les crimes commis en Syrie sont plus horribles
que ceux que j'ai vus au Rwanda et dans l'ex-Yougoslavie», avant
de conclure: «Je n'ai aucun pouvoir tant que le Conseil de sécurité
ne fait rien.
»
17. La période 2011-2017 a connu une alternance de désescalades,
de tensions, de combats ininterrompus et de négociations, avec l’implication
de la Russie, de l’Iran et de la Turquie, des vétos décisifs de
la Russie contre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations
Unies appelant à des sanctions contre le Gouvernement syrien suite
à l’utilisation d’armes chimiques, des attaques militaires américaines
contre des bases syriennes et le soutien aux forces kurdes, ainsi
que les réactions de la Turquie.
18. Selon les rapports des Nations Unies, depuis le début de l’année
2018 les belligérants ont mené des combats à Alep, dans le nord
de Homs, à Damas et dans les gouvernorats de Rif Dimachq, de Dara’a
et d’Idlib, et provoqué au total le déplacement de plus d’un million
d’hommes, de femmes et d’enfants syriens. Au 5 février 2019, des
milliers de personnes avaient fui les derniers bastions de Daech
à Hajin, dans le gouvernorat de Deir Ez-zor, dans le sud-est de
la Syrie. Les fugitifs font état de nombreuses victimes civiles, dont
des femmes et des enfants, de la destruction massive d’infrastructures
civiles et d’une pénurie de nourriture et de médicaments
.
19. Il y a eu une série d'escalades inquiétantes, notamment à
l'intérieur des zones de désescalade créées par les «garants d'Astana»
(Russie, Iran et Turquie) et en dehors de ces zones, un retour à
des combats acharnés pour la reconquête du territoire, ainsi que
de lourdes frappes aériennes soutenues sur le nord-ouest et la Ghouta
orientale assiégée. Il y a également eu plusieurs allégations d'attaques
au gaz de chlore dans la Ghouta, à Idlib, à Afrine et à Douma.
20. Le 20 janvier 2018, la Turquie a fait une incursion en Syrie,
appelée «Opération Rameau d'olivier», pour éliminer les milices
kurdes syriennes YPG (Unités de protection du peuple) de sa frontière
méridionale. Cette agression a eu des conséquences humanitaires
désastreuses pour les habitants d'Afrine et créé un risque de conflit
potentiel direct avec les États-Unis.
21. La Turquie, les États-Unis et la Russie, ainsi que le régime
syrien et les Kurdes, qui ont utilisé la guerre civile pour mettre
en place une région autonome dans ce qu'ils espèrent voir devenir
une Syrie fédérale post-guerre, luttent pour contrôler cette région
stratégique du nord de la Syrie qui jouxte l'Irak et la Turquie
et dispose d'importantes ressources en pétrole.
22. En dépit des appels des Nations Unies pour un cessez-le-feu
début février 2018, les souffrances des civils ont empiré au cours
de cette année. Aux combats se sont ajoutées les frappes aériennes
pro-gouvernementales sur l'enclave de l'opposition dans la Ghouta
orientale à l'extérieur de Damas, qui était le dernier grand bastion
rebelle
et une offensive contre des rebelles
dans la province d'Idlib, dans le nord-ouest, deux zones qui avaient
été déclarées «zones de désescalade». L’assaut sur la Ghouta orientale,
qui a suscité un tollé international, a duré deux mois et culminé
dans une attaque chimique présumée, le 7 avril 2018; le Secrétaire
Général des Nations Unies a qualifié les conditions endurées par
les civils de «l’enfer sur terre».
23. Le 14 avril 2018, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France
procédaient à ce qu'ils ont appelé des «frappes chirurgicales» en
Syrie en réponse à l'attaque chimique présumée du 7 avril. Le Président
Poutine a condamné les frappes comme un «acte d'agression» et nié
les éléments de preuve attestant d'une attaque aux armes chimiques,
ajoutant que les frappes auront un effet destructeur sur le système
des relations internationales dans son ensemble
.
24. Pour sa part, l'Union européenne a condamné à nouveau avec
la plus grande fermeté l'utilisation répétée d’armes chimiques par
le régime syrien, confirmée par le Mécanisme d'enquête conjoint
des Nations Unies/Organisation pour l’interdiction des armes chimiques
(OIAC) et, se référant aux frappes aériennes des États-Unis, de
la France et du Royaume-Uni, a souligné que ces mesures avaient
été prises «dans le seul but d'empêcher le régime syrien d'utiliser
à nouveau des armes et des substances chimiques pour tuer ses propres citoyens»
.
25. En juin et en août 2018, le gouvernement syrien a lancé une
offensive dans l’est de la province méridionale de Daraa et sur
Idlib, où vivaient 2,9 millions de personnes. La Russie et la Turquie
ont toutefois décidé, en septembre 2018, d’éviter l’offensive syrienne
qui menaçait Idlib, qui aurait pu déclencher une nouvelle vague
de réfugiés vers la Turquie, où près de 4 millions de personnes
ont déjà fui.
26. Lors de son annonce de la «défaite de Daech», le 19 décembre
2018, le Président américain Trump a fait part de l’intention de
retirer la totalité des quelques 2 000 soldats américains présents
en Syrie. Le 17 février 2019, il a également demandé au Royaume-Uni,
à la France, à l'Allemagne et à d'autres alliés européens de reprendre
et de juger plus de 800 combattants de Daech détenus par des forces
dirigées par des Kurdes. En janvier 2019, les Nations Unies continuaient
d’exprimer leur inquiétude face aux informations signalant que des
civils, dont des femmes, des enfants et des personnels médicaux
avaient été tués et blessés en raison des intenses affrontements
entre groupes armés étrangers au gouvernement dans le nord-ouest
du pays. De récents combats ont aussi été signalés dans le nord
de Hama, dans le sud du gouvernorat d’Idlib, ainsi qu’à la frontière
irakienne, à Baghuz.
27. Fin janvier 2019, le Ministre turc des Affaires étrangères
a indiqué que la Turquie pourrait donner son accord à une offensive
syrienne limitée soutenue par la Russie pour reprendre Idlib, ce
qui constituerait un revirement politique majeur de la Turquie,
qui a soutenu les forces d’opposition syriennes tout au long de
la guerre. Trois millions de personnes vivent dans le gouvernorat
d’Idlib, où il subsiste un fort risque d’escalade militaire.
28. Dernière question mais non la moindre, nous devons garder
à l'esprit que la capture des territoires contrôlés par Daech ne
signifie pas la fin de sa menace idéologique et terroriste, les
forces de Daech se rassemblant déjà en Irak, notamment à Mossoul.
3. Les
conséquences humanitaires du conflit
29. Le nombre des victimes directes
du conflit a été estimé à plus de 400 000 selon les sources, dont
plus de 11 000 en 2017
et 19 799 en 2018
. Ce chiffre n'inclut pas les milliers
de personnes qui ont pu mourir en mer ou sur terre en essayant de
traverser les frontières internationales pour échapper à la guerre.
30. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)
a estimé que plus de 5,6 millions de
personnes ont fui la Syrie depuis 2011 et cherché refuge au Liban,
en Jordanie, en Turquie et au-delà, mais à peine 10 % des réfugiés
se sont tournés vers d’autres pays d’Europe. 6,6 millions de personnes
sont déplacées à l’intérieur de la Syrie, 13,1 millions de personnes
ont besoin d’une assistance et 2,98 millions résident dans des secteurs
difficiles d’accès et assiégés. 85 % des Syriens vivent dans la
pauvreté et la grande majorité d'entre eux dans une pauvreté abjecte,
voire extrême. Les parties engagées dans le conflit ont aggravé
la situation en ne permettant pas aux organisations humanitaires
d'accéder à nombre de personnes dans le besoin.
31. Même si les parties belligérantes ont quelque peu limité la
violence en instaurant des zones de désescalade, elles continuent
de perpétrer des crimes inimaginables contre des civils, en violation
flagrante du droit international et notamment des déplacements forcés,
des attaques délibérées et l'utilisation d'armes chimiques.
32. Le 21 décembre 2016, l’Assemblée Générale des Nations Unies
a décidé la création du Mécanisme international, impartial et indépendant (IIIM)
«pour ce qui est de recueillir, de regrouper, de préserver et d’analyser
les éléments de preuve attestant de violations du droit international
humanitaire, de violations du droit des droits de l’homme et d’atteintes
à ce droit, et de constituer des dossiers en vue de faciliter et
de diligenter des procédures pénales équitables, indépendantes (...)
devant des cours ou tribunaux nationaux, régionaux ou internationaux,
qui ont ou auront compétence pour connaître de ces crimes conformément
au droit international»
.
33. Le 10 février 2018, le Haut-commissaire aux droits de l'homme
des Nations Unies, Zeid Ra'ad Al Hussein, a déclaré qu'il faut «mettre
fin au climat d'impunité qui règne actuellement et protéger les
civils. Après sept ans de paralysie au sein du Conseil de sécurité,
la situation en Syrie doit de toute urgence être portée devant la
Cour pénale internationale, et les États doivent déployer bien plus
d'efforts concertés pour apporter la paix. La conduite et la gestion
de cette guerre sont une honte depuis le début et les tentatives
pour y mettre fin sont un échec cuisant de la diplomatie au niveau
mondial»
.
34. Le 22 février 2018, avec Mme Sevinj
Fataliyeva (Azerbaïdjan, CE), ancienne rapporteure sur la protection
des enfants touchés par les conflits armés, j'ai fait une déclaration
appelant toutes les parties au conflit à mettre fin à la tragédie
humanitaire dans la Ghouta orientale, en particulier dans l'intérêt
des enfants, le groupe le plus vulnérable
.
35. La Commission d'enquête internationale indépendante sur la
République arabe syrienne, créée en août 2011 par le Conseil des
droits de l'homme, a recensé environ 34 incidents documentés de
recours aux armes chimiques par diverses parties au conflit, ce
qui est strictement interdit en vertu du droit international, notamment
de la Convention de 1997 sur les armes chimiques, ratifiée par 192
États, dont la Syrie
. Selon une étude réalisée par l’Institut
de politique publique mondiale de Berlin en février 2019, au moins
336 attaques d'armes chimiques ont eu lieu depuis 2012
. La plus récente allégation d’attaque
chimique à Alep date du 24 novembre 2018. Selon le 63e rapport
mensuel de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (décembre
2018), des produits chimiques toxiques continuent d’être utilisés
comme des armes en Syrie
. À cet égard, notons qu’il appartient
au Conseil de sécurité des Nations Unies de prendre l’initiative
de saisir la Cour pénale internationale (CPI) de la situation en
Syrie. Ce pays n’étant pas un État Partie à la CPI, il faut une
saisine du Conseil de sécurité invoquant l’article 13(b) du Statut
de Rome pour habiliter la CPI à enquêter sur les crimes commis et
qui relèvent de sa compétence.
36. La vie sous la domination de Daech a également été marquée
par des exécutions sommaires, l’enrôlement d’enfants et de graves
châtiments corporels de civils accusés d'avoir violé l'idéologie
du groupe, et par la destruction de sites du patrimoine culturel,
notamment le Tetrapylon à Palmyre.
37. Dans le nord de la Syrie, les Unités de protection du peuple
kurde (YPG) ou les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont déplacé
des communautés afin de nettoyer les zones minées par Daech. Dans
certains cas, les forces des YPG ou les FDS n'ont pas fourni une
aide humanitaire suffisante aux communautés déplacées. Les forces
des YPG continuent d'enrôler de force des hommes et des mineurs
pour qu'ils servent dans l'armée.
38. S'exprimant devant notre commission, M. Springer, fondateur
de l'organisation à but non lucratif Orienthelfer, a évoqué la situation
désastreuse des réfugiés, en particulier au Liban, où se trouvent
les deux principaux camps de réfugiés et 2 000 camps irréguliers.
Le Liban, qui est un pays de 6 millions d'habitants, a accueilli
environ 1,5 million de réfugiés. Les organisations non gouvernementales
(ONG) ont un manque à gagner de 80 % parce que l'opinion publique
estime que les réfugiés peuvent retourner en Syrie
.
39. Les structures de sécurité et de paix des pays accueillant
des réfugiés ont été mises à rude épreuve, non seulement au Liban
mais aussi en Jordanie et en Irak. Les officiels jordaniens que
j’ai rencontrés à Amman en octobre dernier m’ont confirmé que la
lourde tâche qu’implique l’accueil des Syriens fuyant la guerre
a poussé la Jordanie au bord de ses capacités et pourrait l’amener
à reconsidérer sa politique à l’égard des réfugiés.
40. En octobre 2018, quelques jours avant ma visite, deux points
de passage essentiels des frontières avec les voisins de la Syrie,
Israël et la Jordanie, ont rouvert. D’après le HCR, jusqu’à 250 000
réfugiés syriens pourraient rentrer dans leur pays en 2019, tandis
que de nombreux autres se heurtent à des problèmes de documents
et de propriété que le Gouvernement syrien doit aider à résoudre.
Une étude réalisée en novembre 2018 par NAMA Strategic Intelligence
Solutions en partenariat avec la Konrad Adenauer Stiftung et portant
sur 1 306 Jordaniens et 600 réfugiés syriens a révélé que 33 % des
réfugiés syriens déclarent qu’ils «ne rentreront jamais au pays»
et que 24 % estiment qu’ils ne «rentreront probablement pas».
41. L’instabilité constitue un obstacle majeur au retour. Cela
suggère qu’il faut accorder la priorité à la sécurité, la stabilité
et la reconstruction de la Syrie pour renforcer l’attractivité du
pays et encourager le retour des réfugiés installés en Jordanie,
au Liban, en Turquie et dans d’autres pays d’Europe, atténuer la radicalisation
et la polarisation de la politique européenne vers l’extrême droite
et désamorcer les tensions dans les pays pauvres en ressources du
voisinage de la Syrie.
42. L'accord conclu par l'Union européenne avec la Turquie sur
les migrants n'a pas résolu le problème car les réfugiés syriens
semblent pris au piège dans des conditions qui violent leurs droits
les plus élémentaires, même en Europe. Par exemple, les conditions
inhumaines dans les camps de rétention en Grèce ont été critiquées
et par la communauté internationale et par les ONG.
43. L'éducation des enfants syriens est également un problème,
sans parler du traumatisme psychologique causé par la guerre. Des
ONG dispensent certes une éducation dans le cadre de plusieurs projets
européens, mais au moins un tiers des enfants syriens ne vont pas
à l'école, ce qui augmente le risque de radicalisation.
44. Qui plus est, le Fonds des Nations Unies pour la population
a effectué une évaluation de la violence fondée sur le genre en
Syrie en 2017 et conclu que l'aide humanitaire était échangée contre
des services sexuels dans divers gouvernorats de Syrie.
45. L'Union européenne est un des principaux donateurs; elle a
octroyé plus de 10,8 milliards d’euros pour l’aide humanitaire,
le développement économique et la stabilisation depuis le début
de la crise. En juillet 2017, elle a annoncé une enveloppe de 1,5
millions d’euros pour soutenir la Commission d'enquête internationale indépendante
sur la République arabe syrienne
et, en
avril 2018, elle a réussi à mobiliser l'aide humanitaire aux Syriens
en Syrie et dans les pays voisins, y compris pour les communautés
d'accueil, moyennant des promesses de 3,5 milliards d'euros pour
2018 ainsi que des promesses pluriannuelles de 2,7 milliards d'euros pour
2019-2020.
Lors du Conseil des affaires étrangères
de l'Union européenne du 18 février 2019, les ministres de l'Union
européenne ont réaffirmé que l'Union européenne ne serait disposée
à aider à la reconstruction de la Syrie que lorsqu'une transition
politique globale, authentique et inclusive serait fermement engagée.
La conférence «Bruxelles 3» sur le thème «Soutenir l'avenir de la
Syrie et de la région», prévue du 12 au 14 mars 2019, visera à mobiliser
la communauté internationale pour qu'elle soutienne les efforts humanitaires
et de résilience du peuple syrien et des communautés hôtes.
46. En décembre 2018, les agences des Nations Unies et ses ONG
partenaires ont lancé le Plan régional 2019-2020 pour les réfugiés
et la résilience (3RP), doté de 5,5 milliards $US et visant à soutenir
les efforts nationaux de la Turquie, du Liban, de la Jordanie, de
l’Égypte et de l’Irak pour gérer les conséquences durables de la
crise syrienne. Comme le souligne le PNUD, en tant que communauté
internationale nous devons faire le maximum pour faire preuve de
solidarité à l’égard de ces hôtes vulnérables qui donnent tant malgré
leurs propres difficultés à joindre les deux bouts. Notre réponse
collective doit aussi permettre aux pays d’accueil d’obtenir le
soutien nécessaire à la poursuite de leur développement.
4. Engagement
de la communauté internationale: un équilibre complexe de pouvoirs
et de sphères d'influence
47. Le conflit a dégénéré au fil
des ans au-delà de la simple guerre civile entre partisans et opposants
du régime d’Assad. Le sectarisme en Syrie, encouragé sous la férule
d'Assad, a fini par créer une animosité entre les différentes communautés
religieuses. La guerre a reproduit cette segmentation entre groupes
religieux et ethniques. Le sectarisme est considéré comme un facteur
important contribuant à la guerre et à la difficulté à trouver une
solution politique.
48. De plus, l’implication d’acteurs internationaux a engendré
des alliances encore plus complexes et des intérêts divergents.
Par exemple, le clivage chiites/sunnites, les intérêts de l'Iran,
de l'Arabie saoudite, des Russes et des Américains ainsi que la
rivalité entre la Turquie et les Kurdes nuisent à l'équilibre des
pouvoirs et ajoutent à la complexité.
49. Au départ, un certain nombre de factions de l'opposition politique
se sont réunies au sein d’une «Coalition nationale syrienne» visant
à renverser le régime d'Assad. Ensuite, quatre principales factions
de groupes armés se sont affrontées dans le pays: les forces gouvernementales
syriennes (principalement l'armée arabe syrienne), l'opposition
syrienne (divers groupes armés constituant la Coalition nationale syrienne),
les forces kurdes, Daech et d'autres groupes terroristes comme Jaish
al Fateh, une alliance entre le Front Al Nosra et Ahrar-al-Sham.
50. Le pouvoir chiite en Iran semble dépenser des milliards de
dollars pour soutenir le gouvernement dominé par les Alaouites et
envoie des conseillers militaires et des armes tout en fournissant
des fonds et du pétrole. La Syrie est le principal pays de transit
des cargaisons d'armes iraniennes alimentant le mouvement chiite
islamiste libanais Hezbollah, qui a aussi envoyé des milliers de
combattants soutenir les forces gouvernementales.
51. La tension dans les relations entre l’Iran et Israël est encore
montée d’un cran au cours de l’année écoulée. Israël considère que
sa principale menace stratégique est la présence croissante à ses
frontières de groupes affiliés à l’Iran, ainsi que les ambitions
de ce pays de se doter de l’arme nucléaire et de missiles balistiques.
Le retrait de Syrie annoncé par
les États-Unis signifie également qu’Israël pourrait perdre son principal
allié contre les forces iraniennes.
52. L'Arabie saoudite, gouvernée par les sunnites, aurait fourni
une assistance militaire et financière aux rebelles syriens. Elle
voit dans le soutien de l’Iran aux groupes chiites une menace directe
contre les intérêts saoudiens.
53. Depuis 2014, les États-Unis ont fourni une assistance militaire
à l'opposition syrienne et aux groupes armés kurdes, craignant que
des armes perfectionnées ne tombent entre les mains des djihadistes.
Il en est aussi résulté une confrontation directe entre les États-Unis
et la Turquie. Il est possible que le retrait de l’armée américaine
incite Daech à retourner en Syrie. Le Président français Macron
a déclaré que Daech n’est pas encore vaincu et a réaffirmé que la
France resterait engagée en Syrie en 2019.
54. Même si Daech a perdu pratiquement tout le territoire qu’il
occupait, les experts estiment que des milliers de ses combattants
sont retournés à leurs racines insurrectionnelles et sont toujours
capables de mener des attaques. Daech a été accusé par les Nations
Unies de mener une campagne de terreur, infligeant des sanctions
sévères à ceux qui transgressent ou refusent d'accepter ses règles,
notamment des centaines d'exécutions publiques et d'amputations.
Ses combattants ont également perpétré des massacres de groupes armés
rivaux, de membres des forces de sécurité, de civils et de minorités
religieuses, et ont décapité des otages, dont plusieurs Occidentaux.
Plusieurs défis demeurent pour la Syrie d'après-guerre, comme le
sort des anciens combattants et sympathisants de Daech et la question
de savoir s'il devrait y avoir un processus d'intégration permettant
à ces personnes de vivre en paix dans cette région, après avoir
tenté de transformer leur mentalité violente.
55. Le retrait annoncé par les États-Unis est également préoccupant
pour la sécurité des Kurdes de Syrie qui se sentent trahis, notamment
suite à l’annonce par le Président turc d’une nouvelle opération
militaire contre le territoire kurde situé à l’est de Manbij. Le
gouvernement d’Assad et ses alliés veulent que ce territoire soit
à nouveau contrôlé par Damas.
56. Pendant des années, la Turquie a soutenu les groupes rebelles
contre le Gouvernement syrien. Elle a toutefois modifié sa position
en 2015 quand les Unités de protection du peuple kurde (YPG) ont
récupéré un vaste territoire du nord-est de la Syrie. Récemment,
le Président Erdoğan a déclaré que «l’unique objectif» de la Turquie
était de lutter contre des groupes comme Daech et le YPG, et le
ministre des Affaires étrangères, M. Mevlüt Çavuşoğlu, a ajouté
que la Turquie envisagerait de collaborer avec le Président Assad
s’il remportait des élections démocratiques.
57. La Russie est entrée dans le conflit en septembre 2015 en
bombardant des opposants à Assad, mais elle aurait auparavant discrètement
financé le régime d'Assad. La Russie a toujours affirmé qu’elle
ne ciblerait que les «terroristes».
58. Même parmi les sympathisants du régime, il existe des divisions
importantes: la Russie veut un État fort capable d'apporter la stabilité
et la sécurité à l'intérieur de la Syrie tandis que l'Iran vise
à créer un modèle semblable à celui du Liban et de l'Irak, avec
des acteurs non étatiques alliés à l'Iran et un État faible.
59. Fin décembre 2018, en signe de normalisation, les Émirats
Arabes Unis et le Bahrein ont rouvert leur ambassade à Damas. Le
régime syrien et l’Iran profiteront sans doute de ce rapprochement
pour faire la promotion de leur «discours de victoire» en Syrie.
5. Faits
récents dans le processus de paix
60. De nombreuses initiatives internationales
visant à faire cesser la guerre se succèdent depuis 2011, mais les
deux principales entreprises diplomatiques ont été les pourparlers
de Genève, à l’initiative des Nations Unies, et les négociations
d’Astana, avec la médiation de la Russie et de la Turquie.
61. Conformément au mandat donné par la Résolution 2254 (2015)
du Conseil de sécurité des Nations Unies, les pourparlers parrainés
par les Nations Unies ont concentré leur attention sur la gouvernance,
un calendrier et un processus de rédaction d’une nouvelle constitution
et d’organisation d’élections devant poser le fondement d’un règlement
du conflit dirigé par les Syriens et reconnu par ceux-ci. Les discussions s’intéressent
également aux stratégies de lutte contre le terrorisme. Les Nations
Unies ont organisé huit tours de pourparlers intra-syriens depuis
2016.
62. Parallèlement à ce processus, les parties ont été convoquées
à Ankara en décembre 2016 par la Russie, la Turquie et l’Iran, où
elles ont accepté un cessez-le-feu national qui a débuté le 30 décembre
2016. En 2017 et en 2018, les parties ont participé aux pourparlers
d’Astana, au Kazakhstan. Ces discussions organisées par les trois
garants, la Russie, la Turquie et l’Iran, ont permis d’obtenir la
création de quatre «zones de désescalade» en Syrie. Les résultats
sont encore assez mitigés. Astana a abouti à des cessez-le-feu partiels,
qui ont fréquemment été violés par toutes les parties au conflit,
et aucun progrès n'a été enregistré sur les questions comme l'accès
humanitaire aux zones assiégées.
63. L'ex-Envoyé spécial des Nations Unies, Staffan de Mistura,
a maintes fois déclaré que le processus de paix serait basé sur
la Résolution 2254 (2015) du Conseil de sécurité des Nations Unies,
appelant à la fin des attaques contre les civils, l'exclusion de
Daech et du Front al-Nosra, l'établissement d'une société multiethnique
incluant tous les groupes religieux et ethniques en Syrie, la création
d'une nouvelle constitution de la Syrie et la tenue d'élections
libres et équitables dans les 18 mois au plus tard. L’Envoyé spécial
a systématiquement réaffirmé la souveraineté de la Syrie et insisté
sur le fait que les Syriens doivent s’approprier et diriger le processus
politique.
64. La création d’un comité constitutionnel de 150 membres pour
la Syrie a été approuvée lors des pourparlers de paix de Sotchi,
en Russie, en janvier 2018,
dans le but d’instaurer un nouveau
système de gouvernance plus inclusif en Syrie, conformément au processus
politique dirigé et approuvé par les Syriens que demande la Résolution
2254 (2015) du Conseil de sécurité.
65. Au cours d’un briefing du Conseil de sécurité des Nations
Unies en octobre 2018, M. de Mistura a indiqué que le gouvernement
syrien avait proposé que les Nations Unies retirent leur liste de
50 personnes proposées pour participer aux travaux de ce comité
en vue de créer une Syrie d’après-guerre plus démocratique. Les
délégués de cette «troisième liste du milieu» étaient des experts
syriens, des représentants de la société civile, des indépendants,
des chefs de tribus et des femmes. Les autres délégués devaient
être désignés par le gouvernement et l’opposition.
66. Les dirigeants syriens affirment que la réforme constitutionnelle
est une affaire intérieure et insistent sur le principe de la non-ingérence,
ajoutant que la constitution est une question sensible qui relève
de la souveraineté nationale. Je suis tout à fait d’accord avec
l’ex-Envoyé spécial qui note que le Conseil de sécurité est seul
responsable du maintien de la paix et de la sécurité internationales.
Il a chargé les Nations Unies de faciliter le processus politique
interne à la Syrie pour la mise en œuvre de la Résolution 2254.
Il s’agit de la seule possibilité de permettre aux Syriens de déterminer
leur propre avenir.
67. Selon les Nations Unies, la composition du «troisième groupe
du milieu» doit répondre à des critères d’inclusion, de crédibilité
et de diversité, réunir des personnes n’appartenant ni au gouvernement,
ni à l’opposition et comporter un minimum de 30 % de femmes. La
participation des femmes aux processus de paix est essentielle.
Une étude réalisée en 2015 par l’Institut de hautes études internationales
et du développement de Genève sur un échantillon de 40 processus
de paix a révélé que les accords de paix auxquels participent les
femmes ont 35 % de chances de plus de durer au moins 15 ans.
68. Le 27 juin 2018, notre commission a organisé un échange de
vues avec la participation de Mme Rajaa Altalli,
cofondatrice et codirectrice du Centre pour la société civile et
la démocratie en Syrie, qui a également participé à un événement
organisé en marge par la Conférence des organisations internationales
non gouvernementales (OING) sur l’application de la Résolution 1325
(2000) du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes,
la paix et la sécurité. Mme Altalli est
aussi membre du Conseil consultatif des femmes syriennes créé en
2015 par les Nations Unies pour conseiller son Envoyé spécial. Ce
Conseil s’est réuni à Genève mais n’a pas participé aux négociations
officielles. Nos échanges ont confirmé l’importance de faire participer
les femmes à la prévention des conflits, à leur règlement et aux
efforts de réconciliation pour garantir que les intérêts des femmes
et leur expérience vécue soient pleinement pris en compte dans les
processus de paix, et que les femmes soient également prises en
compte dans les efforts de relèvement du pays suite au conflit.
69. Quelques progrès ont été réalisés au fil des nombreuses réunions
organisées fin 2018 et début 2019, et notamment entre les représentants
du groupe des garants d’Astana sur la Syrie (Iran, Turquie et Russie)
, entre les participants aux réunions
quadripartites (Allemagne, France, Russie et Turquie), et entre
les membres du Groupe restreint (Égypte, France, Allemagne, Jordanie,
Arabie saoudite, Royaume-Uni et États-Unis). Ces consultations ont
une fois de plus confirmé l’importance de la création d’un comité
constitutionnel validé et dirigé par la Syrie avec la médiation
des Nations Unies, pour préparer une réforme constitutionnelle susceptible
d’être approuvée par le peuple.
70. Le 15 janvier 2019, le nouvel Envoyé spécial des Nations Unies
pour la Syrie, Geir O. Pederson, a ouvert les consultations à Damas
afin d’obtenir un soutien pour une solution politique avec la médiation
des Nations Unies, en traitant toutes les questions liées à la gouvernance,
au processus constitutionnel et à la nécessité d'élections supervisées
par les Nations Unies.
6. Conclusions
et recommandations
71. Ce qui a commencé par une répression
brutale par les forces de sécurité syriennes contre des manifestants
civils mécontents du régime d'Assad début 2011 a engendré huit longues
années d’une guerre sanglante, l’une des pires crises humanitaires
que le monde ait connues depuis la seconde guerre mondiale.
72. Ce conflit continue d’avoir des conséquences dramatiques pour
le peuple syrien et a déjà coûté la vie à plus de 400 000 personnes
et déplacé environ 11,7 millions d’autres, soit 50 % de la population
syrienne, dont plus de 5,6 millions ont cherché refuge dans les
pays voisins et au-delà. Il a également un impact déstabilisateur
sur le Proche-Orient et le monde arabe, ainsi que sur l’Europe où
il exacerbe les divergences politiques et sectaires et la propagation
du terrorisme.
73. La situation humanitaire reste extrêmement préoccupante, avec
13 millions de Syriens qui ont besoin d’une aide humanitaire, dont
un tiers vivant dans des secteurs coupés du reste de la Syrie, y
compris 2 millions de personnes déplacées dans la zone dite «de
désescalade» d’Idlib.
74. L’impact du conflit armé sur les civils de Syrie, et notamment
dans le nord-ouest, le nord-est et le sud-est du pays, reste très
alarmant. Les progrès dans la reconquête de territoires de Syrie
qui étaient aux mains de Daech et d’autres groupes terroristes méritent
certes d’être salués, mais nous devons aussi prier instamment toutes
les parties impliquées dans les opérations militaires correspondantes
de prendre toutes les précautions possibles pour éviter de nuire
aux milliers de civils piégés entre les frappes aériennes et les combats
au sol, conformément à leurs obligations prévues par le droit international
humanitaire. À Idlib et dans les secteurs voisins, nous appelons
toutes les parties à respecter la désescalade et la zone démilitarisée
qui a été convenue, ainsi qu’à protéger les civils.
75. Notre Assemblée devrait saluer les progrès dans les négociations
réalisés par l’Envoyé spécial des Nations Unies et par la communauté
internationale, y compris dans le cadre d’Astana, et appeler l’ensemble de
la communauté internationale à unir ses efforts afin de permettre
au processus politique défini par le Conseil de sécurité des Nations
Unies d’aller de l’avant. Elle devrait appeler toutes les parties
au conflit:
- à renforcer le
cessez-le-feu dans toutes les parties du pays, à permettre aux convois
humanitaires de passer et à faciliter l’envoi rapide, en toute sécurité
et sans entraves d’une assistance humanitaire soutenue;
- à mobiliser des fonds pour répondre aux besoins immédiats
et vitaux du peuple syrien, et en particulier des enfants, et protéger
notamment leur droit à la vie, l'accès à une nourriture suffisante,
à des abris et à des soins médicaux;
- à prendre des mesures conformes au droit international
pour entraver et tarir l’afflux de combattants terroristes étrangers
qui rejoignent Daech et les groupes terroristes apparentés, en lien
avec les décisions du Conseil de sécurité des Nations Unies;
- à créer les conditions nécessaires à un retour volontaire,
sûr et digne des réfugiés et des personnes déplacées, dans le respect
des normes internationalement acceptées des droits de l’homme et
du droit humanitaire, y compris des droits au logement, à la terre
et à la propriété.
76. Des violations graves des droits de l'homme, notamment des
meurtres, y compris d'enfants, de personnel médical et de patients
hospitalisés, des actes de torture, des arrestations arbitraires,
des bombardements disproportionnés et aveugles de zones civiles,
des enlèvements, des exécutions, une privation systématique, dans
certaines zones, de nourriture et d'eau, et l’entrave de tout traitement
médical, ont été quelques-uns des principaux problèmes soulevés
par la communauté internationale.
77. L’établissement des responsabilités pour les violations graves
du droit international humanitaire et des droits de l’homme, les
crimes de guerre et les crimes contre l’humanité est essentiel pour
parvenir à une paix durable en Syrie et faciliter le processus de
réconciliation nationale et de justice transitionnelle. C’est pourquoi notre
Assemblée doit:
- appeler toutes
les parties au conflit, et notamment le Gouvernement syrien, la
société civile et le système des Nations Unies à pleinement coopérer
avec le Mécanisme international, impartial et indépendant chargé
de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du
droit international commises en République arabe syrienne depuis
mars 2011, en fournissant notamment les informations et la documentation
pertinentes;
- demander que la situation en Syrie soit portée devant
la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité des Nations
Unies en vertu de l’article 13(b) du Statut de Rome.
78. Je suis également consternée par les allégations d’attaques
chimiques qui auraient frappé Alep le 24 novembre 2018. Le recours
aux armes chimiques par toute partie et en toutes circonstances
est injustifiable. Notre Assemblée devrait à nouveau condamner avec
la plus grande fermeté l'utilisation répétée des armes chimiques,
qui est strictement interdite en vertu du droit international, notamment
de la Convention de 1997 sur les armes chimiques, ratifiée par 192
États, dont la Syrie. Il est impératif que ses auteurs soient identifiés afin
de pouvoir leur demander des comptes.
79. L’Assemblée devrait en outre exhorter toutes les parties à
respecter la feuille de route pour la paix, dans le respect du processus
politique mené par la Syrie sous les auspices de l'Envoyé spécial
des Nations Unies pour la Syrie, conformément à la Résolution 2254
(2015) du Conseil de sécurité des Nations Unies et au Communiqué
de Genève du 30 juin 2012, et saisir l’actuelle opportunité d’instaurer
une paix durable, notamment:
- en
réalisant des avancées vers la création d’un comité constitutionnel
dont la composition serait légitime, crédible, diversifiée et équilibrée,
chargé de préparer une réforme de la Constitution, en tant que contribution
au règlement politique et à l’instauration d’une Syrie d’après-guerre
plus démocratique, conformément à la déclaration finale de Sotchi
du 30 janvier 2018;
- en veillant à ce que le comité constitutionnel permette
une participation inclusive de l’opposition politique et de la société
civile, avec notamment des délégués représentant des experts syriens,
des organisations non gouvernementales, des chefs religieux et tribaux
et un minimum de 30 % de femmes, comme le proposent les Nations
Unies.
80. Le Conseil de l'Europe pourrait soutenir les efforts des Nations
Unies, étant donné son expertise dans le domaine institutionnel
et les objectifs fixés par la Résolution 2254 (2015) du Conseil
de sécurité des Nations Unies. Le comité constitutionnel pourrait
s’appuyer sur l’expérience et le savoir-faire de la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) dans le processus
de réforme constitutionnelle à venir.
81. Ensuite, j’insiste sur le fait que la crise des réfugiés syriens
relève de la responsabilité non seulement des États voisins et de
l'Europe, mais de la communauté internationale dans son ensemble.
Je tiens à vivement saluer les efforts considérables consentis par
le Liban, la Jordanie, la Turquie, l’Irak et l’Égypte pour accueillir
les réfugiés syriens. Au 24 janvier 2019, 3,5 millions de Syriens
étaient enregistrés par le Gouvernement turc, 2 millions de Syriens
étaient enregistrés par le HCR en Égypte, en Irak, en Jordanie et
au Liban, et plus de 33 000 réfugiés syriens étaient recensés en
Afrique du Nord. Conformément à la
Résolution 2224
(2018) sur la situation humanitaire des réfugiés dans les pays
voisins de la Syrie, nous devons renouveler notre appel au États
membres du Conseil de l'Europe:
- à
accroître les contributions financières au Plan régional des Nations
Unies pour les réfugiés et la résilience, afin de soutenir les efforts
nationaux consentis en Turquie, au Liban, en Jordanie et en Irak;
- à réaliser un partage plus efficace des responsabilités
par la mise en œuvre de réinstallations et d’autres formes d’admission
légale des réfugiés de la région dans leur pays;
- à utiliser tous les moyens diplomatiques existants pour
favoriser un partage plus équitable des responsabilités avec les
pays non membres de l’Union européenne et ceux qui participent au
processus au Moyen-Orient.
82. Enfin, notre Assemblée devrait soutenir sans réserve les efforts
du nouvel Envoyé spécial des Nations Unies pour la Syrie, M. Geir
O. Pedersen, et s’associer à l’objectif des Nations Unies de mettre
un terme aux souffrances du peuple syrien et de parvenir à un règlement
durable et pacifique du conflit grâce à un processus politique inclusif,
dirigé par la Syrie et répondant aux aspirations légitimes du peuple
syrien.