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Résolution 2275 (2019)

Rôle et responsabilités des dirigeants politiques dans la lutte contre le discours de haine et l’intolérance

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 10 avril 2019 (14e et 15e séances) (voir Doc. 14845, rapport de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, rapporteure: Mme Elvira Kovács). Texte adopté par l’Assemblée le 10 avril 2019 (15e séance).

1. L’Europe est confrontée à une recrudescence du discours de haine, y compris de toutes les formes d'expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale, la xénophobie, l’islamophobie, l'antisémitisme ou d'autres formes de haine fondées sur l'intolérance, y inclus l'intolérance qui s'exprime sous forme de nationalisme agressif et d'ethnocentrisme, de discrimination et d'hostilité à l'encontre des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, des immigrés et des personnes issues de l'immigration, des femmes et des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI).
2. Le monde politique n’est pas épargné par cette tendance inquiétante: le discours de haine et l’intolérance, qui font désormais partie du discours politique, sont utilisés non seulement par les groupes populistes et extrémistes, mais de plus en plus aussi par les représentants de mouvements et de partis de toutes tendances politiques. Les technologies de l’information ont beaucoup contribué à diffuser et amplifier le discours de haine, et donc à le banaliser aux yeux du grand public.
3. L’Assemblée parlementaire est préoccupée par la menace représentée par le discours de haine, qui déshumanise les individus et les groupes qu’il vise et les rend plus vulnérables à la stigmatisation, à la discrimination et à la violence. Le discours de haine érode le tissu social et entrave la coexistence pacifique dans la diversité. Il crée un sentiment d’exclusion parmi les groupes minoritaires et peut contribuer à l’aliénation, à la marginalisation, à l’émergence de sociétés parallèles et, à terme, à la radicalisation. Utilisé dans le débat politique, il devient un obstacle au dialogue constructif entre les forces politiques et mine les valeurs démocratiques.
4. L’Assemblée considère que le moyen le plus efficace de prévenir le discours de haine est de renforcer l’adhésion aux principes de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit, et de promouvoir un modèle de société qui accueille la diversité et respecte la dignité humaine. Les femmes et les hommes politiques, comme d’autres personnalités publiques, ont un rôle essentiel à jouer dans ce processus. Ils jouissent d’un statut et d’une visibilité qui leur permettent d’influencer un vaste public et de définir, dans une large mesure, les thèmes et la tonalité du discours public.
5. De fait, les femmes et les hommes politiques ont à la fois l’obligation politique et la responsabilité morale de n’utiliser ni propos haineux ni vocabulaire stigmatisant, et de condamner immédiatement et clairement leur utilisation par autrui, car leur silence peut être interprété comme une approbation ou un soutien. La protection renforcée de la liberté d’expression dont ils jouissent augmente d’autant leur responsabilité dans ce domaine.
6. L’Assemblée estime que toute une série de mesures sont nécessaires pour contrer le discours de haine: elles vont de l’autorégulation, notamment par les partis et les mouvements politiques, ainsi que dans les statuts et les règlements des organes élus locaux et nationaux, à des dispositions de droit civil, administratif et pénal qui interdisent l’utilisation du discours de haine et, en dernier recours, la punissent. Les restrictions et les sanctions devraient être proportionnées et ne devraient pas être détournées pour réduire des minorités au silence ou pour réprimer les critiques.
7. Des instruments d’autorégulation adoptés par des partis politiques, tels que des statuts ou des chartes, sont particulièrement efficaces et ont plus de chances d’être respectés, en raison de leur nature volontaire. La Charte des partis politiques européens pour une société non raciste, élaborée en 1998 sous les auspices de la Commission consultative de l’Union européenne sur le racisme et la xénophobie, donne des orientations en matière d’autorégulation par les partis dans ce domaine. Pour être adaptée à l’époque actuelle, elle devrait toutefois être mise à jour, de manière à prendre en compte les différentes formes de haine – quels qu’en soient les motifs – et les moyens techniques utilisés pour les répandre. Il faudrait aussi combler l’une de ses principales lacunes, à savoir l’absence de mesures pour les manquements à la charte.
8. Les médias, y compris les réseaux sociaux, devraient jouer un rôle important pour limiter l’impact du discours de haine, en communiquant des informations exactes et impartiales et en se gardant de donner une visibilité excessive aux propos stigmatisants ou injurieux, y compris lorsqu’ils sont tenus par des dirigeants politiques.
9. L’Assemblée se réfère à un échange de lettres entre le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et les principaux acteurs des technologies de l'information pour promouvoir un internet ouvert et sûr, où les droits de l'homme, la démocratie et l’État de droit sont respectés dans l'environnement en ligne, comme un exemple utile de dialogue et de coopération avec les intermédiaires de l'internet.
10. L’Assemblée se félicite des travaux menés par la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) dans ce domaine et soutient, en particulier, sa Recommandation de politique générale no 15 sur la lutte contre le discours de haine, qui propose nombre de mesures pour prévenir et combattre le discours de haine, soutenir ceux qu’il cible, et encourager l’autorégulation par les institutions publiques et privées, notamment les organes élus et les partis politiques.
11. L’Assemblée rappelle que son Alliance parlementaire contre la haine, un réseau de parlementaires qui s’engagent à prendre position ouvertement, fermement et de manière proactive contre le racisme, la haine et l’intolérance, quels qu’en soient les motifs et les manifestations, est un exemple de forum de discussion et d’échange de bonnes pratiques qui devrait être imité dans les parlements nationaux. Elle rappelle aussi le Mouvement contre le discours de haine et précise que, même si la campagne du Conseil de l'Europe s’est terminée en 2017, ses comités nationaux, quant à eux, restent actifs.
12. Considérant ce qui précède, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
12.1. à suivre la situation concernant le discours de haine, y compris dans le discours politique, et à recueillir des données exactes et comparables sur sa nature et sa prévalence, ventilées selon le motif de discrimination, le groupe cible, le type d’auteur et le moyen utilisé;
12.2. à mettre en œuvre la Recommandation de politique générale no 15 de l’ECRI, en adoptant des dispositions de droit administratif, de droit civil et, en dernier recours, de droit pénal;
12.3. à encourager les partis et les mouvements politiques à adopter des instruments d’autorégulation, comme des codes de conduite et des chartes éthiques, qui interdisent et sanctionnent l’utilisation du discours de haine par leurs membres;
12.4. à encourager les médias à donner des informations exactes, impartiales et responsables sur des sujets concernant des individus et des groupes qui sont vulnérables à la discrimination et à la haine;
12.5. à engager le dialogue et la coopération avec les intermédiaires de l’internet, en particulier les réseaux sociaux, pour les encourager à adopter et appliquer des instruments d’autorégulation, afin de prévenir et de sanctionner l’usage du discours de haine, et à s’engager à retirer les contenus insultants;
12.6. à promouvoir des activités d’information et de sensibilisation à l’intention des femmes et des hommes politiques et des représentants élus, à tous les niveaux, portant en particulier sur les initiatives et mesures adoptées pour lutter contre le discours de haine et l’intolérance, y compris au niveau international, telles que la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste et l’Alliance parlementaire contre la haine;
12.7. à former les agents publics aux droits fondamentaux, à l’égalité et à la non-discrimination, en particulier dans les établissements scolaires et d’autres institutions éducatives, ainsi que dans des contextes où une discrimination institutionnelle est possible, y compris dans les forces de police et la justice, les forces armées, les services juridiques et le corps médical;
12.8. à promouvoir des activités de sensibilisation du grand public au racisme et à l’intolérance, et, spécifiquement, au discours de haine;
12.9. à soutenir les comités nationaux du Mouvement contre le discours de haine;
12.10. à encourager les femmes et les hommes politiques à diffuser, y compris dans les médias sociaux, des messages positifs concernant des minorités dans leur pays.
13. L’Assemblée invite les parlements des États membres, ainsi que les parlements ayant le statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie:
13.1. à fournir aux parlementaires et aux autres acteurs politiques des informations et une formation sur les moyens de prévenir et d’identifier le discours de haine en ligne et hors ligne, et d’y répondre, ainsi que sur les droits de l’homme, l’égalité et la non-discrimination, et sur l’utilisation pernicieuse des réseaux sociaux et d’autres médias, notamment la désinformation;
13.2. à veiller à ce que leurs statuts et leur règlement contiennent des dispositions spécifiques contre le discours de haine et le langage stigmatisant, et à ce qu’ils prévoient des sanctions en cas de non-respect et des mécanismes de plainte accessibles;
13.3. à créer des groupes de réflexion, auxquels participent des parlementaires, des experts et des représentants de la société civile, pour surveiller le discours de haine et recommander des mesures de lutte contre ce phénomène au niveau national.
14. L’Assemblée parlementaire estime que le 25e anniversaire de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance, en 2019, est une bonne occasion de mettre à jour la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste, d’y inclure des mesures en cas de violation de celle-ci, et de la relancer.