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Recommandation 2156 (2019)
Don anonyme de sperme et d’ovocytes: trouver un équilibre entre les droits des parents, des donneurs et des enfants
1. On estime que plus de 8 millions
d'enfants dans le monde sont nés grâce aux technologies de procréation
médicalement assistée; nombre d’entre eux ont été conçus par don
de spermatozoïdes ou d'ovocytes. Traditionnellement, la plupart
des États privilégiaient les modèles de don anonyme car la législation
en la matière découlait souvent des lois adoptées dans le domaine
du don d'organes ou de l'adoption internationale. Les États ont
aussi cherché à préserver la filiation des enfants conçus par don conformément
à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant
(articles 3, 7 et 8). La plupart des États restreignaient par conséquent
le droit des personnes conçues par don de connaître leurs origines.
2. Au cours des dernières décennies, il y a eu une évolution
vers la reconnaissance d’un droit de connaître ses origines, lié
au droit à une identité et au développement personnel: dans le droit
international des droits humains, par l’inclusion de ce droit en
tant que droit à part entière des enfants dans la Convention des
Nations Unies relative aux droits de l’enfant, et dans le droit
européen des droits humains par la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme, qui reconnaît ce droit comme partie intégrante
au droit au respect de la vie privée. Ce droit comprend le droit
d'accéder à des informations qui permettraient de retrouver ses racines,
de connaître les circonstances de sa naissance et d'avoir accès
à la certitude de la filiation parentale.
3. Toutefois, ce droit n'est pas absolu et doit donc être contrebalancé
par les intérêts des autres parties impliquées dans le don de spermatozoïdes
et d’ovocytes: principalement les intérêts du ou des donneurs et du
ou des parents légaux, mais aussi ceux des cliniques et des prestataires
de services, ainsi que ceux de la société et les obligations de
l'État.
4. Jusqu’à récemment, cet équilibre entre les différents droits,
intérêts et obligations a souvent penché en faveur du droit du donneur
à la vie privée et donc à son anonymat. Cependant, plusieurs États
européens ont décidé de renoncer à cet anonymat, et l’État de Victoria
en Australie a aboli complètement et rétroactivement l'anonymat
des donneurs, ayant conclu que l'État avait la responsabilité de
donner à toutes les personnes conçues grâce à des donneurs la possibilité
d'accéder à des informations, y compris des informations permettant
l’identification de leurs donneurs. Il existe actuellement une grande
diversité de législations et de pratiques au sein des États membres
du Conseil de l’Europe en matière de procréation médicalement assistée.
5. Les traits caractéristiques du Conseil de l’Europe, à savoir
son mandat pour promouvoir les droits humains, la démocratie et
l’État de droit, ainsi que sa mission de promouvoir les bonnes pratiques
parmi ses États membres, font que l’Organisation est idéalement
placée pour faire face aux risques et aux défis liés à l’anonymat
des dons de spermatozoïdes et d’ovocytes. En conséquence, l'Assemblée
parlementaire recommande au Comité des Ministres de faire des recommandations
aux États membres afin d'améliorer la protection des droits de toutes
les parties concernées, tout en mettant l'accent sur les droits
de la personne conçue, qui se trouve dans la position la plus vulnérable
et pour laquelle les enjeux semblent être plus importants.
6. L'Assemblée invite le Comité des Ministres à examiner la question
de savoir si ces recommandations devraient à terme devenir juridiquement
contraignantes.
7. Quelle que soit la forme de ces recommandations, l'Assemblée
recommande qu'elles soient fondées sur les principes suivants:
7.1. il faudrait renoncer à l'anonymat
pour tous les dons futurs de gamètes dans les États membres du Conseil
de l'Europe et interdire l'utilisation de spermatozoïdes et d'ovocytes
donnés anonymement. Cela signifie que (sauf dans les cas exceptionnels
où le don provient d’un proche parent ou d’un ami), l’identité du
donneur ne serait pas révélée au moment du don à la famille, mais
au 16e ou 18e anniversaire
de l’enfant ainsi conçu. L’enfant conçu grâce à un don serait informé
à ce moment (de préférence par l’État) de l’existence d’informations
complémentaires concernant les circonstances de sa naissance. La
personne conçue par don pourrait alors décider si elle veut accéder
à ces informations comportant l'identité du donneur, et quand, et
si elle souhaite établir le contact (de préférence après avoir eu
accès à des services d'orientation, de conseil et de soutien appropriés
avant de prendre sa décision);
7.2. la renonciation à l'anonymat ne devrait avoir aucune conséquence
juridique sur la filiation: le donneur devrait être protégé contre
toute demande de détermination de la filiation ou d'une revendication
parentale ou successorale. Le donneur devrait bénéficier d’une orientation
et de conseils appropriés avant de s'engager à faire un don et avant
l’utilisation de ses gamètes. Le donneur ne devrait pas avoir le
droit de contacter un enfant né à partir d'un don, mais l'enfant
conçu ainsi devrait avoir la possibilité de contacter le donneur,
ainsi que d'éventuels demi-frères et demi-sœurs, après son 16e ou 18e anniversaire,
sous réserve que certaines conditions soient remplies;
7.3. les États membres du Conseil de l'Europe qui autorisent
le don de spermatozoïdes et d'ovocytes devraient créer et tenir
un registre national des donneurs et des personnes conçues par don,
en vue de faciliter l'échange d'informations, comme stipulé aux
paragraphes 7.1 et 7.2, mais aussi en vue d'imposer une limite supérieure
au nombre de dons possibles par le même donneur, de veiller à ce
que les parents proches ne puissent pas se marier et de garder la
trace des donneurs en cas de besoin médical. Les cliniques et les
prestataires de services devraient être obligés de tenir des dossiers adéquats
et de les partager avec les registres, et un mécanisme devrait être
mis en place pour assurer l'échange transfrontière d'informations
entre les registres nationaux;
7.4. l'anonymat des donneurs de gamètes ne devrait pas être
levé de manière rétroactive lorsque cet anonymat a été promis au
moment du don, hormis pour des raisons médicales ou lorsque le donneur
a consenti à la levée de l’anonymat et, par conséquent, à l'inscription
au registre des donneurs et des personnes conçues par don. Les donneurs
devraient obtenir orientation et conseil avant de décider s'ils acceptent
ou non de lever l'anonymat;
7.5. ces principes devraient être appliqués sans préjudice
de la priorité absolue qui est que le don de gamètes doit rester
un acte volontaire et altruiste commis dans le seul but d'aider
les autres, et donc sans aucun gain financier ou avantage comparable
pour le donneur.