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Recommandation 2156 (2019)

Don anonyme de sperme et d’ovocytes: trouver un équilibre entre les droits des parents, des donneurs et des enfants

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 12 avril 2019 (18e séance) (voir Doc. 14835, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteure: Mme Petra De Sutter; Doc. 14854, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Pierre-Alain Fridez). Texte adopté par l’Assemblée le 12 avril 2019 (18e séance).

1. On estime que plus de 8 millions d'enfants dans le monde sont nés grâce aux technologies de procréation médicalement assistée; nombre d’entre eux ont été conçus par don de spermatozoïdes ou d'ovocytes. Traditionnellement, la plupart des États privilégiaient les modèles de don anonyme car la législation en la matière découlait souvent des lois adoptées dans le domaine du don d'organes ou de l'adoption internationale. Les États ont aussi cherché à préserver la filiation des enfants conçus par don conformément à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (articles 3, 7 et 8). La plupart des États restreignaient par conséquent le droit des personnes conçues par don de connaître leurs origines.
2. Au cours des dernières décennies, il y a eu une évolution vers la reconnaissance d’un droit de connaître ses origines, lié au droit à une identité et au développement personnel: dans le droit international des droits humains, par l’inclusion de ce droit en tant que droit à part entière des enfants dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, et dans le droit européen des droits humains par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui reconnaît ce droit comme partie intégrante au droit au respect de la vie privée. Ce droit comprend le droit d'accéder à des informations qui permettraient de retrouver ses racines, de connaître les circonstances de sa naissance et d'avoir accès à la certitude de la filiation parentale.
3. Toutefois, ce droit n'est pas absolu et doit donc être contrebalancé par les intérêts des autres parties impliquées dans le don de spermatozoïdes et d’ovocytes: principalement les intérêts du ou des donneurs et du ou des parents légaux, mais aussi ceux des cliniques et des prestataires de services, ainsi que ceux de la société et les obligations de l'État.
4. Jusqu’à récemment, cet équilibre entre les différents droits, intérêts et obligations a souvent penché en faveur du droit du donneur à la vie privée et donc à son anonymat. Cependant, plusieurs États européens ont décidé de renoncer à cet anonymat, et l’État de Victoria en Australie a aboli complètement et rétroactivement l'anonymat des donneurs, ayant conclu que l'État avait la responsabilité de donner à toutes les personnes conçues grâce à des donneurs la possibilité d'accéder à des informations, y compris des informations permettant l’identification de leurs donneurs. Il existe actuellement une grande diversité de législations et de pratiques au sein des États membres du Conseil de l’Europe en matière de procréation médicalement assistée.
5. Les traits caractéristiques du Conseil de l’Europe, à savoir son mandat pour promouvoir les droits humains, la démocratie et l’État de droit, ainsi que sa mission de promouvoir les bonnes pratiques parmi ses États membres, font que l’Organisation est idéalement placée pour faire face aux risques et aux défis liés à l’anonymat des dons de spermatozoïdes et d’ovocytes. En conséquence, l'Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres de faire des recommandations aux États membres afin d'améliorer la protection des droits de toutes les parties concernées, tout en mettant l'accent sur les droits de la personne conçue, qui se trouve dans la position la plus vulnérable et pour laquelle les enjeux semblent être plus importants.
6. L'Assemblée invite le Comité des Ministres à examiner la question de savoir si ces recommandations devraient à terme devenir juridiquement contraignantes.
7. Quelle que soit la forme de ces recommandations, l'Assemblée recommande qu'elles soient fondées sur les principes suivants:
7.1. il faudrait renoncer à l'anonymat pour tous les dons futurs de gamètes dans les États membres du Conseil de l'Europe et interdire l'utilisation de spermatozoïdes et d'ovocytes donnés anonymement. Cela signifie que (sauf dans les cas exceptionnels où le don provient d’un proche parent ou d’un ami), l’identité du donneur ne serait pas révélée au moment du don à la famille, mais au 16e ou 18e anniversaire de l’enfant ainsi conçu. L’enfant conçu grâce à un don serait informé à ce moment (de préférence par l’État) de l’existence d’informations complémentaires concernant les circonstances de sa naissance. La personne conçue par don pourrait alors décider si elle veut accéder à ces informations comportant l'identité du donneur, et quand, et si elle souhaite établir le contact (de préférence après avoir eu accès à des services d'orientation, de conseil et de soutien appropriés avant de prendre sa décision);
7.2. la renonciation à l'anonymat ne devrait avoir aucune conséquence juridique sur la filiation: le donneur devrait être protégé contre toute demande de détermination de la filiation ou d'une revendication parentale ou successorale. Le donneur devrait bénéficier d’une orientation et de conseils appropriés avant de s'engager à faire un don et avant l’utilisation de ses gamètes. Le donneur ne devrait pas avoir le droit de contacter un enfant né à partir d'un don, mais l'enfant conçu ainsi devrait avoir la possibilité de contacter le donneur, ainsi que d'éventuels demi-frères et demi-sœurs, après son 16e ou 18e anniversaire, sous réserve que certaines conditions soient remplies;
7.3. les États membres du Conseil de l'Europe qui autorisent le don de spermatozoïdes et d'ovocytes devraient créer et tenir un registre national des donneurs et des personnes conçues par don, en vue de faciliter l'échange d'informations, comme stipulé aux paragraphes 7.1 et 7.2, mais aussi en vue d'imposer une limite supérieure au nombre de dons possibles par le même donneur, de veiller à ce que les parents proches ne puissent pas se marier et de garder la trace des donneurs en cas de besoin médical. Les cliniques et les prestataires de services devraient être obligés de tenir des dossiers adéquats et de les partager avec les registres, et un mécanisme devrait être mis en place pour assurer l'échange transfrontière d'informations entre les registres nationaux;
7.4. l'anonymat des donneurs de gamètes ne devrait pas être levé de manière rétroactive lorsque cet anonymat a été promis au moment du don, hormis pour des raisons médicales ou lorsque le donneur a consenti à la levée de l’anonymat et, par conséquent, à l'inscription au registre des donneurs et des personnes conçues par don. Les donneurs devraient obtenir orientation et conseil avant de décider s'ils acceptent ou non de lever l'anonymat;
7.5. ces principes devraient être appliqués sans préjudice de la priorité absolue qui est que le don de gamètes doit rester un acte volontaire et altruiste commis dans le seul but d'aider les autres, et donc sans aucun gain financier ou avantage comparable pour le donneur.