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Avis 297 (2019)
Budget et priorités du Conseil de l'Europe pour l'exercice biennal 2020-2021
1. Au moment de célébrer son 70e anniversaire,
le Conseil de l'Europe – et son Assemblée parlementaire – est pris
en otage par un État membre qui refuse de payer sa contribution
annuelle depuis le 1er juillet 2017.
La préparation de l'avis de l'Assemblée sur le budget et les priorités
pour l'exercice biennal 2020-2021 intervient de ce fait dans un
contexte extraordinaire. Face à la crise financière actuelle, il
est regrettable que l’Assemblée n’ait pas de prérogatives en matière
budgétaire. L’Assemblée réitère donc sa demande pour un meilleur équilibre
institutionnel entre les organes du Conseil de l’Europe en la matière.
L'Assemblée rappelle que le Conseil de l'Europe est une organisation
internationale de caractère politique, sans but économique ou lucratif, créée
par des États souverains. Le financement du Conseil de l'Europe
repose sur les contributions de ses États membres.
2. L’Assemblée considère que la pression budgétaire exercée par
un État membre sur le Conseil de l’Europe fait peser un risque sérieux,
qui pourrait déstabiliser l’Organisation et la priver des moyens
d’action lui permettant d’offrir à l’ensemble de ses États membres
et aux États partenaires les réponses leur permettant de relever
les défis concrets et de combattre les dérives actuelles.
3. L’Assemblée est consciente que le contexte politique interne
est défavorable, en raison de l’attitude de la Fédération de Russie,
qui, en utilisant le levier budgétaire pour parvenir à ses fins,
conduit le Conseil de l’Europe à subir la plus grave crise financière
de son histoire. Cela obligera l’Organisation à prendre des décisions
qui pourraient être irrémédiables et l’affaiblir au moment même
où cette dernière célèbre son 70e anniversaire.
4. L’Assemblée estime que les choix stratégiques de ces dernières
années, qui ont privilégié les programmes d’assistance et de coopération
pour certains pays et certains domaines d’action thématiques, financés
presque exclusivement par des ressources extrabudgétaires, ont finalement
affaibli le système de coopération intergouvernementale, qui est
essentiellement financé par le budget ordinaire.
5. L’Assemblée reste convaincue que c’est pourtant ce système
de coopération unique entre les États membres, centré sur l’élaboration
de normes communes et dont les conventions sont la principale source
de l’acquis du Conseil de l’Europe, qui constitue la raison d’être
de l’Organisation, comme elle l’a rappelé dans sa Recommandation 2114 (2017) «Défendre
l’acquis du Conseil de l’Europe: préserver le succès de 65 ans de coopération
intergouvernementale» et sa Résolution
2277 (2019) «Rôle et mission de l’Assemblée parlementaire:
principaux défis pour l’avenir».
6. En soixante-dix ans, le système conventionnel du Conseil de
l’Europe a fortement contribué à améliorer le fonctionnement des
institutions démocratiques en Europe, à développer l’État de droit
dans toute l’Europe et à protéger et promouvoir les droits de tous
les citoyens européens. Le Conseil de l’Europe demeure aujourd’hui
l’un des très rares forums multilatéraux capable d’élaborer rapidement
des instruments internationaux portant sur une gamme étendue de
sujets, dont beaucoup sont parmi les plus novateurs dans le monde,
pour relever les défis, répondre aux préoccupations des citoyens
européens et protéger leurs droits fondamentaux.
7. L’Assemblée apporte à ces instruments internationaux une contribution
essentielle dès leur processus d'élaboration et dans le suivi de
leur mise en œuvre efficace. Dans de nombreux cas, elle a identifié
les domaines dans lesquels la mise en place de nouvelles normes
serait pertinente. Il est donc important pour l’Assemblée de maintenir
cette capacité à réagir rapidement et d'aider tous les acteurs au
sein des États membres à les mettre en œuvre efficacement.
8. Dans ce cadre, l’Assemblée soutient pleinement les initiatives
prises par le Conseil de l’Europe concernant les questions liées
à l’intelligence artificielle, qui occupe une place de plus en plus
importante dans le fonctionnement de nos sociétés. Elle appelle
le Comité des Ministres à développer la coopération dans ce domaine
en élaborant un nouvel instrument juridique établissant un cadre
pour la conception, le développement et l’application de l’intelligence
artificielle, en conformité avec les normes du Conseil de l’Europe.
9. L’Assemblée se félicite également du fait que l'égalité entre
les femmes et les hommes reste l'une des principales priorités de
l'Organisation et que la Convention du Conseil de l'Europe sur la
prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et
la violence domestique (STCE no 210)
soit devenue un texte de référence mondial. Elle soutient également
la Stratégie du Conseil de l'Europe pour l'égalité entre les femmes et
les hommes 2018-2023, qui définit les priorités d'action pour les
années à venir, y compris l'intégration de la dimension de genre
dans toutes les politiques et activités de l'Organisation.
10. L'Assemblée, se référant à sa Résolution 2271 (2019) et à sa Recommandation 2150 (2019) «Renforcement
de la coopération avec les Nations Unies dans la mise en œuvre du
Programme de développement durable à l'horizon 2030», se félicite
de la décision du Comité des Ministres d'accorder une attention
particulière à cet agenda au cours du prochain exercice biennal,
et appelle au renforcement de la contribution du Conseil de l'Europe,
notamment en fournissant un soutien à ses États membres en vue de
la réalisation des objectifs de développement durable.
11. Depuis juillet 2017, le Conseil de l’Europe est confronté
à une situation budgétaire et financière sans précédent liée au
défaut de paiement volontaire d’un de ses États membres. Dans ce
contexte, l’Assemblée demande au Secrétaire Général du Conseil de
l'Europe et au Comité des Ministres de rechercher des alternatives
au plan de contingence du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
aboutissant à une réduction du budget de 32,4 millions d’euros.
À ce titre, elle revient sur l’idée proposée par son rapporteur
général sur le budget d’étudier la faisabilité d’une cession de
créance à une tierce partie.
12. L’Assemblée remarque que cette possibilité existe au niveau
international et qu’elle a été utilisée par plusieurs États dans
le passé. La cession de créances internationales et la cession internationale
de créances sont une action connue dans le commerce international,
qui est encadrée par la Convention des Nations Unies sur la cession
de créances dans le commerce international du 12 décembre 2001.
13. L’Assemblée regrette que cette alternative n’ait pas été étudiée
et qu’un plan de contingence soit mis en place pour absorber la
dette laissée volontairement par un État membre (près de 90 millions
d’euros à la fin de 2019). La mise en œuvre de ce plan signifiera
qu’un nombre important d’activités et des pans entiers du travail
du Conseil de l’Europe pourraient disparaître, dont certains de
manière irrémédiable pour les États membres. Le coût humain sera
également très lourd, avec un plan de départ de 250 personnes, soit
près de 10 % des effectifs du Conseil de l’Europe, que les États
membres devront financer.
14. L’Assemblée note que le programme et le budget 2020-2021,
qui s'inscrivent dans un contexte d’incertitude persistante concernant
le paiement des contributions obligatoires de la Fédération de Russie, affichent
néanmoins une volonté de promouvoir une Organisation de plus en
plus adaptable et confiante dans son savoir-faire et son expertise
grâce à des réformes visant à améliorer ses processus et procédures
de travail.
15. Dans ce contexte, l’Assemblée a pris note de l’intention du
Secrétaire Général du Conseil de l'Europe de rationaliser le programme
d'activités et de concentrer les activités sur neuf programmes opérationnels,
avec un ensemble cohérent de sous-programmes. Cela devrait conduire
à mettre davantage l'accent sur les priorités politiques, à améliorer
les synergies et à réduire les doubles emplois, et permettra une
plus grande souplesse de gestion dans la mise en œuvre des mesures
de réforme administrative.
16. L’Assemblée constate également que le Conseil de l’Europe
pourrait devoir se priver d’agents qui ont une expérience et une
connaissance approfondies des domaines d’action du Conseil de l’Europe
qu’il serait difficile de remplacer. La politique en matière de
ressources humaines conduite ces dernières années (avec un recours
massif aux contrats à durée déterminée) affaiblit la transmission
des connaissances et de l’acquis du Conseil de l’Europe puisqu’elle
exclut la formation d’une nouvelle génération d’agents.
17. Par conséquent, l’Assemblée s’attend à ce que le Conseil de
l’Europe mette en place une politique du personnel suffisamment
attractive pour retenir de bons candidats et leur offre également
une perspective d’évolution de carrière, malgré les incertitudes
budgétaires actuelles. Dans ce contexte, le nouveau projet de stratégie
des ressources humaines 2019-2023, qui a fait l’objet d’une vaste
consultation incluant le personnel à tous les niveaux, devrait permettre
de répondre aux besoins du Conseil de l’Europe, tout en répondant
aux aspirations légitimes de son personnel.
18. L’Assemblée acceptera de prendre sa juste part des efforts
collectifs demandés, à plusieurs conditions:
18.1. que toutes les pistes alternatives à la réduction du budget
de l’Organisation soient sérieusement étudiées;
18.2. que toutes les entités et secteurs du Conseil de l’Europe
contribuent à l’effort général;
18.3. que les efforts demandés à l’Assemblée ne la privent pas
de ses capacités opérationnelles.
19. L’Assemblée invite les États membres à participer davantage
au financement du Conseil de l’Europe. Cet appel fait écho aux demandes
répétées de l’Assemblée contenues dans plusieurs de ses avis budgétaires et
dans sa Recommandation 1812
(2007) sur la dimension politique du budget du Conseil
de l’Europe. Dans cette dernière, elle demandait au Comité des Ministres
de revoir la méthode de calcul des barèmes des contributions en
vue d’accorder un poids plus important au produit intérieur brut
et à établir un taux minimal des contributions des États membres
permettant de couvrir au moins les coûts administratifs d’un juge
à la Cour européenne des droits de l'homme.
20. L’Assemblée, se référant à son Avis 288 (2015) sur le budget et
les priorités du Conseil de l’Europe pour l’exercice biennal 2016-2017,
souligne non seulement l’importance des contributions volontaires,
mais aussi le danger qu’elles peuvent engendrer concernant l’équilibre
financier du Conseil de l’Europe. C'est pourquoi l'Assemblée est
favorable à l'idée de créer un fonds destiné à recevoir des contributions
volontaires pour le budget ordinaire, qui représente le poumon de
l'Organisation. Elle espère qu'un tel fonds sera créé rapidement.
21. L'Assemblée estime qu'un montant minimal de contribution au
budget ordinaire doit être payé par chaque État membre, afin de
couvrir le coût budgétaire annuel d'un juge à la Cour européenne
des droits de l'homme, d'un administrateur et d'un assistant à plein
temps, ainsi que les charges administratives afférentes à leur travail
et à leur présence à Strasbourg.
22. Dans sa Recommandation
2124 (2018) «Modification du Règlement de l’Assemblée:
l’impact de la crise budgétaire sur la liste des langues de travail
de l’Assemblée», l’Assemblée a suggéré au Comité des Ministres de
prendre plusieurs décisions d’ordre budgétaire et financier, notamment
constituer un compte de réserve obligatoire financé par tout ou
une partie substantielle du reliquat constaté à la fin de chaque
exercice ou cycle budgétaire. Il s’agit là d’une demande répétée
de l’Assemblée figurant dans ses avis sur le programme et le budget
du Conseil de l’Europe (en particulier les Avis 268 (2008), 279 (2010) et 281 (2011)).
23. Se référant à son Avis
294 (2017), «Budget et priorités du Conseil de l'Europe
pour l'exercice biennal 2018-2019», l’Assemblée demande au Comité
des Ministres de revenir à une croissance réelle du budget du Conseil
de l’Europe afin de renforcer les capacités opérationnelles de l’Organisation.
Dans ce contexte, elle regrette vivement que la demande d’un retour
à une croissance zéro en termes réels du budget, que le Secrétaire
Général avait présentée pour l’exercice biennal 2018-2019, ait été
rejetée en raison du refus de deux États sur les 47 représentés
au Comité des Ministres. Sachant que le règlement financier prévoit l’adoption
du budget sur la base de la majorité des deux tiers, l’Assemblée
s’étonne que les États membres favorables au retour à une croissance
zéro en termes réels n’aient pas insisté davantage.
24. L’Assemblée procédera au cours de sa partie de session de
juin 2019 à l’élection d’un·e nouveau/nouvelle Secrétaire Général·e
du Conseil de l’Europe qui prendra ses fonctions le 1er octobre
2019 pour un mandat de cinq ans. Aussi l’Assemblée invite-t-elle
le Comité des Ministres à prendre un engagement ferme pour assurer
au Conseil de l’Europe durant cinq ans une croissance réelle du
budget ou au moins zéro en termes réels pour tenir compte de l’inflation.
Elle considère qu’une telle décision serait un signe clair de soutien des
États membres au/à la futur·e Secrétaire Général·e, en donnant à
l’Organisation un cadre budgétaire plus stable pour les cinq années
de son mandat.
25. Enfin, l’Assemblée se félicite de la décision adoptée par
le Comité des Ministres lors de sa 129e Session (Helsinki,
17 mai 2019) sur «Une responsabilité partagée pour la sécurité démocratique
en Europe – Garantir le respect des droits et obligations, principes,
normes et valeurs», qui rappelle que «conformément à l’article 38
du Statut, l’une des obligations fondamentales des États membres
est de s’acquitter de leur contribution obligatoire au budget ordinaire».
Se référant à sa Recommandation 2153
(2019) «Rôle et mission de l’Assemblée parlementaire:
principaux défis pour l’avenir», l’Assemblée invite le Comité des
Ministres à faire en sorte que l’ensemble des États membres se conforment
à leurs obligations statutaires et lui demande d’appliquer sans
délai les articles 8 et 9 du Statut du Conseil de l'Europe (STE no 1)
si la Fédération de Russie persiste à refuser de payer une partie
ou la totalité de ses contributions non versées.