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Résolution 2329 (2020)
Enseignements à tirer pour l’avenir d’une réponse efficace et fondée sur les droits à la pandémie de covid-19
1. En 2015,
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis au point un outil
spécial pour déterminer à quelles maladies et à quels agents pathogènes
donner la priorité en matière de recherche et développement dans
un contexte d’urgence de santé publique. En 2018, une «maladie X»
a été ajoutée à la liste, afin de prendre en compte une épidémie
grave qui pourrait être causée au niveau international par un agent pathogène
que l’on ignorait jusqu’alors être transmissible aux humains.
2. À la suite de l’épidémie d’Ebola en 2015-2016, l’Assemblée
parlementaire a adopté la Résolution 2114 (2016) sur la gestion des urgences de santé publique de portée
internationale. Dans cette résolution, l’Assemblée faisait un certain
nombre de recommandations – toujours valables – pour mieux préparer
le monde à l’inévitable pandémie mondiale à venir, en explorant
de façon urgente de nouvelles méthodes de travail pour affronter
les crises sanitaires internationales avant qu’elles ne se produisent. Malheureusement,
l’appel de l’Assemblée est en grande partie resté sans écho.
3. C’est sous la forme de la covid-19 provoquée par un nouveau
coronavirus – le 2019-nCoV (également appelé SARS-CoV-2) – que cette
«maladie X» a touché un monde peu préparé à y faire face. Signalée
pour la première fois au bureau de l’OMS en Chine le 31 décembre
2019, l’épidémie a été décrétée urgence de santé publique de portée
internationale par l’OMS le 30 janvier 2020, et l’état de pandémie
a été déclaré le 11 mars 2020. Le virus s’est propagé sur six continents;
il a infecté des millions de personnes et causé plusieurs centaines
de milliers de morts en quelques mois.
4. Malheureusement, face à la propagation rapide du virus et
à des prévisions de mortalité alarmantes, des États ont opté pour
le repli nationaliste ainsi que pour des réponses répressives et
autoritaires plutôt que de réagir posément et généreusement en adoptant
des mesures efficaces fondées sur des faits établis, coordonnées
sur le plan international et respectueuses des droits humains. De
nombreux États semblent avoir pris conscience trop tardivement du
danger qui les guettait (ou n’ont pas voulu le voir). Même au niveau européen
et international, y compris à l’OMS, le sentiment que la réponse
a été trop tardive est difficile à dissimuler.
5. L’inaction du début, la lenteur des réponses apportées par
la suite, des mesures hâtives et des réouvertures prématurées pourraient
bien avoir un coût en termes de pertes humaines, mais aussi de dommages
potentiellement durables pour nos systèmes politiques, démocratiques,
sociaux, financiers et économiques, et de non-respect de plusieurs
droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme
(STE no 5) et d’autres instruments juridiquement
contraignants du Conseil de l’Europe, ainsi que par des conventions
des Nations Unies, telles que la Convention relative aux droits
des personnes handicapées. Les mesures de santé publique visant
à atténuer les effets de la maladie qui ont une incidence sur les
droits humains (mise en quarantaine, distanciation physique, traçage
des contacts, contrôles aux frontières et limitation des déplacements,
par exemple) doivent être fondées sur des normes pertinentes et
sur la confiance du public pour être efficaces: il importe qu’elles
soient conçues et mises en œuvre de manière transparente, appuyées
sur des faits établis et respectueuses des droits, qu’elles soient
dépolitisées, coordonnées aux niveaux national, régional et international,
communiquées de façon claire et appliquées de manière équitable, comme
indiqué dans la Résolution
2114 (2016) de l’Assemblée.
6. Même si le premier pic de la pandémie semble être passé dans
la majorité des pays européens, la crise sanitaire n’est pas encore
terminée – et ne le sera peut-être pas avant un certain temps. Les
leçons à tirer des souffrances endurées ces derniers mois doivent
être que, pour éviter une catastrophe en termes de pertes humaines
et de lourdeur de la maladie, ainsi que de conséquences tout aussi
catastrophiques pour l’économie et les droits humains, nous devons
agir vite pour endiguer toute résurgence, en prenant des mesures
efficaces, testées et éprouvées, mises en œuvre dans le respect
des droits.
7. En cas de flambées épidémiques du coronavirus SARS-CoV-2 sur
leur territoire, l’Assemblée recommande par conséquent aux États
membres:
7.1. de prendre des mesures
rapides et soutenues pour réduire les contacts humains par la distanciation
physique, autant que possible sur une base volontaire, et, si nécessaire,
par le confinement/des fermetures dans le respect des droits pendant
la durée nécessaire à la réduction de la propagation active du SARS-CoV-2
au sein de la population jusqu’à un niveau contrôlable grâce à l’utilisation
rigoureuse de tests, au traçage des contacts en respectant la protection
des données, au placement en quarantaine et à l’auto-isolement,
en respectant le principe de proportionnalité et en prenant en compte
l’impact de telles mesures sur les droits fondamentaux y compris
les droits sociaux et économiques, ainsi que sur la santé physique
et mentale, et en mettant en œuvre des mesures compensant leurs
effets négatifs;
7.2. de fournir des équipements de protection au personnel
de santé et aux autres travailleurs essentiels, de renforcer et
d’optimiser les capacités du système de santé en mobilisant les professionnels
de santé non actifs et en augmentant, d’une part, les approvisionnements
en équipements de diagnostic nécessaires pour traiter les patients
de manière efficace et en toute sécurité – notamment les tests diagnostiques,
l’oxygène et les respirateurs/ventilateurs – et, d’autre part, le nombre
de lits de soins intensifs disponibles dans les hôpitaux;
7.3. de veiller à ce que toutes les mesures de santé publique
respectent les droits humains, intègrent la dimension de genre,
impliquent de façon importante les femmes dans la prise de décision et
protègent les groupes vulnérables de la population (en particulier
les personnes handicapées, les enfants et les personnes âgées);
7.4. de mettre en place des conditions pour isoler et traiter
les cas symptomatiques qui ne nécessitent pas d’hospitalisation
immédiate, sur une base volontaire, afin d’éviter les foyers d’infection
au sein d’un foyer/d’une famille et de fournir la supervision médicale
nécessaire pour permettre une hospitalisation rapide au cas où la
santé du patient se détériorerait;
7.5. d’ouvrir les frontières et de lever les restrictions non
indispensables sur les déplacements pour ne pas entraver l’action
d’urgence transfrontalière, au moins au sein de l’Union européenne,
afin que les mesures de santé publique puissent être planifiées
au niveau central, et mises en œuvre par zone géographique régionale
plutôt qu’à l’échelon juridictionnel (des États membres), en fonction
des besoins, là où les flambées épidémiques se produisent.
8. L’Assemblée recommande que les États membres, à tout moment:
8.1. rendent disponibles des informations
fiables sur les changements dynamiques comparatifs dans le nombre
de décès dus à différentes pathologies au cours des trois dernières
années, et le nombre de personnes infectées par la covid-19 parmi
eux;
8.2. communiquent des informations complètes en temps utile,
claires pour tous et accessibles aux personnes handicapées, et assurent
que les décisions sont fondées sur des avis scientifiques éprouvés et
sont transparentes (y compris par la publication des avis d’experts);
8.3. mènent des campagnes actives et massives de tests pour
toutes les personnes présentes sur leur territoire, quel que soit
leur statut, ne se limitant pas aux personnes hospitalisées, au
personnel de santé ou aux autres travailleurs essentiels, et déploient
la recherche d’anticorps sur des échantillons représentatifs de
la population à grande échelle dès que possible;
8.4. soutiennent activement la recherche, le développement
et la production responsables de médicaments, de kits de diagnostic,
de vaccins et de matériels de protection individuelle, et encadrent les
prix dans un esprit de solidarité, de sorte que les médicaments,
tests ou vaccins ainsi développés soient accessibles et abordables
pour tous, en particulier les groupes vulnérables;
8.5. priorisent et systématisent la solidarité, la coordination
et la coopération européennes et internationales; les équipements
de protection ne devraient pas être stockés par les États «pour
parer à toute éventualité», mais plutôt être distribués là où les
besoins sont les plus importants en Europe et dans le reste du monde;
8.6. établissent et tiennent à jour un répertoire transfrontalier
en libre accès des lits disponibles au sein des unités de soins
intensifs (USI), ainsi que des lits ventilés, dotés en personnel
dans les USI, et les mettent à la disposition des États membres
dans le besoin;
8.7. évitent tout abus de pouvoir de la part de l’exécutif,
toute mesure disproportionnée et inutilement répressive limitant
les droits humains ou la dignité humaine, ainsi que toute discrimination
dans la mise en œuvre des mesures de santé publique, en portant
une attention particulière sur la discrimination à l’égard des personnes
handicapées et des personnes âgées, notamment en évitant les systèmes discriminatoires
de triage;
8.8. réaffirment le rôle fondamental des parlements dans leur
mission de contrôle des actions du gouvernement et s'assurent qu'ils
sont en capacité d'exercer pleinement cette mission, en les dotant
à la fois des moyens techniques et d'un niveau d'information suffisant;
8.9. veillent, dans leurs plans de relance et de sauvegarde
économiques, à ne pas créer les conditions de futures dégradations
des écosystèmes susceptibles de générer d'autres épidémies de nature
zoonotique et, pour cela, conditionnent les aides mises en place
à des critères environnementaux et sociaux ambitieux, en phase avec
les objectifs de développement durable des Nations Unies.
9. En outre, au regard de la pandémie actuelle, l’Assemblée parlementaire
appelle les États membres à intensifier leurs efforts en vue:
9.1. d’évaluer l’état de leurs systèmes
sanitaires et de leurs systèmes de préparation aux pandémies et
de surveillance des infections afin de les améliorer le cas échéant,
en vue de garantir le libre accès à des soins de santé publique
de haute qualité, guidés par les besoins des patients plutôt que
par le profit, indépendamment de leur sexe, de leur nationalité,
de leur religion ou de leur statut socio-économique;
9.2. d’évaluer l'efficacité des mesures prises pour lutter
contre la pandémie actuelle, y compris les dommages collatéraux
(en particulier à l’encontre du plein exercice des droits humains,
y compris les droits sociaux et économiques), afin d’en tirer des
enseignements en prévision des futures urgences de santé publique.
10. Au-delà de la pandémie actuelle, la préparation en matière
de santé publique et la sécurité sanitaire mondiale doivent adopter
une approche «Une seule santé» (One Health) englobant
les interactions entre les animaux, les êtres humains et l’environnement
qui contribuent aux maladies, et nous protéger contre ces dernières.
Les efforts doivent être intensifiés aux niveaux national et international
pour trouver la prochaine zoonose avant qu’elle ne se transmette
aux humains, pour renforcer davantage la coordination des systèmes de
dépistage et d’intervention en cas de maladie chez les animaux et
les humains, et pour protéger les écosystèmes sur lesquels reposent
la santé humaine, la santé animale et la santé environnementale.
Cela inclut le fait d’identifier et de combattre le changement climatique
en tant que moteur des nouvelles menaces sanitaires, et d’améliorer
les politiques réglementant l’agriculture animale et la lutte contre
la destruction par l’homme de l’habitat naturel sauvage.
11. La sécurité sanitaire internationale et européenne, ainsi
que les mesures de préparation aux pandémies doivent également être
fondées sur des données et sur des preuves, et comprendre des dispositions
relatives aux droits humains. Différentes sources de données accessibles
au public doivent être rassemblées en vue de créer une infrastructure
unifiée au niveau international, qui facilitera la modélisation
pour la prise de décision. Ces modèles doivent être traduits en
déclencheurs d’action. En cas de transfert de données sensibles,
il faut garantir des protections appropriées en matière de protection
de la vie privée et de la sécurité.
12. L’Assemblée recommande par conséquent que l’Union européenne
établisse un système régional capable de soutenir les institutions
internationales responsables dans leurs efforts pour veiller à une préparation
et une réaction efficaces en cas de pandémie.
13. Par ailleurs, afin de permettre à l’OMS de mieux s’acquitter
de son mandat, qui est d’atteindre le meilleur niveau de santé possible
pour tous, l’Assemblée recommande une réforme de l’organisation
qui:
13.1. permette à l’OMS de ne
pas dépendre des contributions volontaires pour remplir ses fonctions essentielles;
13.2. dote l’OMS des pouvoirs nécessaires pour effectuer des
visites inopinées dans les États membres pendant une crise sanitaire
susceptible d’évoluer en urgence de santé publique d’intérêt international;
13.3. réexamine et renforce le Règlement sanitaire international
en vue de redéfinir la gouvernance mondiale pour lutter contre les
maladies, d’assurer une meilleure adéquation du traité avec ses
objectifs (y compris la gouvernance des informations telles que
l’échange d’échantillons et de séquences génétiques) et d’explorer
les mécanismes de respect des obligations dans ce cadre;
13.4. mette en place un contrôle efficace et indépendant, idéalement
parlementaire, de l’organisation: par l’Union interparlementaire
au niveau international et, au niveau régional, par les assemblées parlementaires
régionales, telles que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
pour la Région européenne de l’OMS;
13.5. oblige l’OMS à élaborer des stratégies d’endiguement adaptables
au niveau régional pour lutter contre les risques futurs pour la
santé, en tenant compte des réalités quotidiennes des pays, des
régions et des populations.
14. L’Assemblée propose aux États membres d’intensifier leurs
efforts pour faire des progrès en ce qui concerne la Charte sociale
européenne (STE n° 35 et STE n° 163) et la Convention du Conseil
de l’Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine (Convention
d’Oviedo, STE n° 164) qui facilitent la sauvegarde des droits sociaux,
économiques et autres droits humains qui sont les plus vulnérables
lorsqu’on s’attaque à une pandémie.
15. Enfin, l’Assemblée propose d’établir, aux Nations Unies, un
système d’inspection permanent pour les événements biologiques actuels
et futurs aux conséquences graves, y compris peut-être la nomination
d’un facilitateur permanent au Bureau du Secrétaire général des
Nations Unies. La supervision et la responsabilité internationales
de la préparation aux pandémies devraient également être assurées
par les Nations Unies, par l’intermédiaire d’une entité extérieure
indépendante.