1. Introduction
1. Le débat sur le changement
climatique présente un grand intérêt non seulement pour la recherche scientifique
et économique et l’activisme écologique et social, mais aussi en
raison de son incidence sur le fonctionnement de la démocratie.
C’est pourquoi la commission des questions politiques et de la démocratie a
déposé, en janvier 2020, une
proposition
de résolution.
2. Certains spécialistes ont fait valoir que la réponse à la
crise climatique ne devrait pas suivre la voie démocratique ordinaire
,
cette crise devant être considérée comme une situation exceptionnelle,
à l’instar d’une guerre, qui nécessite de mettre la démocratie en
suspens pour y faire face efficacement
. À l’opposé, d’autres
affirment que nous avons besoin d’un sursaut de démocratie mieux
administrée pour affronter la crise climatique, et préconisent de
moderniser les processus démocratiques
.
3. La crise du climat, d’origine humaine, est responsable de
la montée des pandémies et des zoonoses, et une action immédiate
s’impose pour éviter la survenue d’événements catastrophiques. Comme
l’a déclaré Wangari Matthai, première femme africaine à avoir reçu
le prix Nobel de la paix, en 2004: «Dans quelques décennies, la
relation entre environnement, ressources et conflits pourrait sembler
presque aussi évidente que le lien que nous observons aujourd’hui
entre droits de l’homme, démocratie et paix.»
4. Le mode de gestion actuel de la crise post-pandémie, axé sur
un «retour à la normale» n’est pas la bonne réponse. C’est pourquoi
il nous faut insister sur l’urgence de traiter la crise climatique
en même temps que la crise liée à la pandémie.
5. Parallèlement à la montée des pressions en faveur de l’action
climatique dans le monde à la suite de l’Accord de Paris signé en
2015
, les appels en faveur
d’une démocratie participative et délibérative se sont multipliés,
avec une implication et un contrôle parlementaires, pour répondre
à la grande complexité des politiques publiques, raviver le débat
social sur la transition écologique et la relance verte, associer
les citoyens aux prises de décisions et améliorer les processus
de gouvernance. Cela vaut en particulier pour la politique climatique,
qui ne peut fonctionner qu’avec l’adhésion de la société, puisqu’elle
suppose des décisions politiques fermes et le soutien du public
aux actions entreprises
.
6. La démocratie participative et en particulier les assemblées
citoyennes sont un moyen de faire appel à la sagesse collective
et de restaurer la confiance dans la politique. Elles permettent
aux citoyens de se réapproprier l’espace public, l’«agora», qui
a été investi par les réseaux sociaux et les géants du numérique, qui
influent sur la politique par le biais d’algorithmes et servent
de support à la désinformation, à la haine, à la démagogie, à la
polarisation des conflits et à l’autoritarisme. Ces nouvelles formes
de participation démocratique sont susceptibles d’apporter, à la
place, des réponses plus démocratiques, justes et appropriées aux
crises sanitaire et environnementale que connaît l’humanité.
7. Les objectifs définis dans le Programme de développement durable
à l’horizon 2030 des Nations Unies reflètent également cette tendance.
Selon le Conseil de sécurité de l’ONU, la «Décennie d’action», qui
s’étend de 2020 à 2030, nécessite trois niveaux d’intervention dont
«l’action individuelle»
. Par ailleurs, l’objectif
16 mentionne également que «le dynamisme, l’ouverture, la participation
et la représentation à tous les niveaux caractérisent la prise de
décisions»
.
8. Du point de vue européen, les programmes de budgétisation
participative sont déjà une réalité, surtout à l’échelon local.
Au niveau de l’Union européenne, le Traité de Lisbonne de 2009 a
renforcé le rôle des citoyens dans la prise de décisions grâce aux
initiatives citoyennes européennes, qui constituent un instrument important
de la démocratie participative au sein de l’Union européenne. De
plus, en 2019, quelque 200 villes de l’Union européenne ont signé
la déclaration d’Eurocities sur l’engagement citoyen, qui vise à
accroître la participation des citoyens au processus décisionnel
.
9. Dès 2010, dans sa Résolution 1746 et sa Recommandation 1928
(2010) «Démocratie en Europe: crises et perspectives», l’Assemblée parlementaire soulignait
la nécessité d’accroître la participation active des citoyens et
d’assurer un plus grand engagement de tous dans la conduite des
affaires publiques. Tous les États membres du Conseil de l’Europe
étaient appelés à mettre en place des structures participatives
et délibératives, telles que des jurys ou conférences de citoyens,
pour faciliter la participation de ces derniers au processus décisionnel
s’agissant d’une affaire publique qui les concerne et qu’il convient
de traiter d’urgence.
10. Au niveau du Conseil de l’Europe, la
déclaration finale adoptée lors de la conférence de haut niveau intitulée
«Protection de l’environnement et droits de l’homme» organisée sous
l’égide de la présidence géorgienne en février 2020 appelle à moderniser
les normes juridiques paneuropéennes à la lumière des urgences environnementales
et des défis climatiques actuels, pour prévoir une coopération internationale
plus efficace, ancrer des approches communes entre les États membres
et explorer des voies viables pour de nouveaux développements juridiques,
aux niveaux national et européen.
11. L’Assemblée a entrepris l’élaboration de plusieurs rapports
pour faire entendre les préoccupations des parlementaires, ainsi
que pour guider et soutenir les actions du Conseil de l’Europe dans
ce domaine
.
Lors d’une rencontre à New York le 11 décembre 2020, Rik Daems,
Président de l’Assemblée, et António Guterres, Secrétaire général
de l’ONU, se sont accordés sur la nécessité de renforcer la coopération
en faveur d’un environnement sûr, propre, sain et durable, et ont
appelé à un changement de paradigme pour transformer cet objectif
politique en un «principe contraignant». Le débat de l’Assemblée
sur le thème «Environnement et droits de l’homme» prévu en septembre
2021 plaidera pour la reconnaissance juridique universelle du droit
de vivre dans un environnement sain
.
12. Mon rapport entend apporter une contribution au débat conjoint
et vise à réfléchir aux liens entre la démocratie participative
et délibérative et le changement climatique et à examiner les tendances
et les exemples de mécanismes participatifs en rapport avec la crise
climatique dans les États membres du Conseil de l’Europe. Quels
sont les avantages et les inconvénients de la démocratie participative?
Comment mettre en œuvre ce processus démocratique pour lutter efficacement
contre la crise climatique?
13. Le 16 décembre 2019, la sous-commission des relations extérieures
s’est réunie à Rovaniemi en Finlande pour discuter des opportunités
de coopération internationale dans la région arctique et des implications
politiques du réchauffement climatique. Les membres sont convenus
d’accroître la contribution parlementaire en proposant des lois,
en demandant à leurs gouvernements de rendre compte de leurs actions et
de l'application des lois et des engagements internationaux, et
enfin et surtout, en créant un pont entre les peuples et les institutions
.
14. Le 18 janvier 2021, j’ai assisté à la table ronde sur «La
démocratie représentative contre la crise climatique», organisée
par la sous-commission de la santé publique et du développement
durable avec le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux et qui
constituait leur contribution conjointe au Forum mondial de la démocratie.
Les approches participatives et délibératives y ont également été
abordées.
15. La commission a tenu trois auditions, qui ont grandement contribué
à éclairer mon rapport, le 15 octobre 2020 avec M. Thierry Pech,
coprésident de la Convention citoyenne pour le climat (France),
le 4 février 2021, avec Mme Helene Landemore,
Professeure associée de sciences politiques à l’Université de Yale,
M. Gerd Leipold, Directeur de Climate Transparency, et Mme Alice
Bergholtz, Membre du Bureau du Conseil consultatif pour la jeunesse
du Conseil de l’Europe (Conseil national des organisations suédoises
de la jeunesse – LSU), et, plus récemment, le 11 mai 2021 avec M. Archon Fung,
Professeur de citoyenneté et d’autonomie à la Kennedy School of
Government de l’Université d’Harvard.
16. La commission des questions sociales, de la santé et du développement
durable et la commission sur l’égalité et sur la non-discrimination
examinent également les aspects liés à la participation des enfants
et des peuples autochtones à la lutte contre la crise climatique,
et je renvoie à leurs travaux pour de plus amples informations.
2. Processus participatif et délibératif
et action climatique
17. La démocratie représentative
demeure la règle dans la plupart des démocraties du monde entier
ainsi que dans tous les États membres du Conseil de l’Europe. Cependant,
la représentation est toujours limitée et approximative, et peut
nuire à la bonne mise en œuvre des politiques dans toutes les couches
de la société. C’est la raison pour laquelle de plus en plus d’universitaires
tendent à s’intéresser aux modèles participatifs et délibératifs
et à la sagesse des foules
.
18. Ainsi que l’a souligné le Professeur Fung, les immenses défis
du changement climatique, ainsi que l’ampleur et la nature sans
précédent de celui-ci, notamment les conflits distributifs et les
difficultés d’adaptation dans la vie sociale, économique et personnelle
arrivent au plus mauvais moment, alors que, partout dans le monde,
les démocraties sont fragiles et que les citoyens ne font plus confiance
aux élus, aux institutions ni aux experts et ne croient plus que
l’État est géré dans l’intérêt de tous
. La participation et la délibération
des citoyens peuvent se révéler utile en apportant légitimité, confiance,
informations et égalité.
19. Avec la démocratie participative, un certain niveau du pouvoir
de décision est délégué aux citoyens pour qu’ils puissent agir directement.
Si l’objectif de la démocratie délibérative est de parvenir à un
consensus par le biais de débats publics, dans la démocratie participative,
les citoyens sont eux-mêmes des décideurs
. Certains
universitaires mettent aussi en avant les idées de «gouvernement
ouvert», d’intelligence collective et de pouvoir du plus grand nombre
.
20. La démocratie délibérative peut être une solution pratique
à de nombreux maux de la démocratie. La démocratie est assiégée
dans la plupart des pays, où les institutions démocratiques sont
peu approuvées et font face à une menace résurgente des régimes
autoritaires. La démocratie délibérative peut fournir un antidote
et revigorer notre politique démocratique
.
21. Les modes de participation évoluent constamment, en raison
notamment de l’impact de la numérisation sur la démocratie et sur
les moyens de communication individuels, permettant aux citoyens
engagés, en particulier aux jeunes, de prendre part au débat public.
22. Selon une étude menée récemment par l’Organisation de coopération
et de développement économiques (OCDE), les pouvoirs publics devraient
envisager de mettre au point une législation ou une réglementation
introduisant des obligations en matière de processus délibératifs
et permettant aux citoyens d’engager une telle procédure autour
de sujets essentiels. Ces processus peuvent revêtir diverses formes
à tous les échelons du gouvernement et porter sur de nombreuses
questions politiques, en particulier des conflits de valeurs, des
problèmes complexes impliquant des compromis et des enjeux à long
terme. L’étude recense 12 modèles de processus délibératifs, regroupés
sous quatre types d’objectifs: recommandations éclairées des citoyens
sur les questions de politiques publiques; opinion des citoyens
sur les questions de politiques publiques; évaluation citoyenne
éclairée des mesures de vote, et organes délibérants permanents
.
23. Dans son intervention devant notre commission, la professeure
Landemore a fait valoir que la démocratie délibérative avait plus
de chances de parvenir à dégager de bonnes solutions aux problèmes collectifs
que les processus moins inclusifs, méritocratiques ou oligarchiques
.
Selon elle, plus encore que la compétence individuelle, ce qui importe
pour l’intelligence collective, c’est la diversité des modes de
pensée des uns et des autres. Par conséquent, la sélection aléatoire
est le meilleur moyen de maximiser la diversité cognitive.
24. Les citoyens ordinaires devraient avoir accès au pouvoir législatif
par le biais de «mini-publics ouverts», de vastes organes délibératifs
chargés de déterminer l’agenda politique ainsi que de légiférer
sur certaines questions, composés de citoyens tirés au sort, qui
seraient également ouverts au reste de la population par des plateformes
de
crowdsourcing, la médiatisation
et au travers de référendums occasionnels, afin d’exploiter toute
la diversité des voix
.
25. L’intérêt porté par les milieux universitaires aux liens entre
démocratie et environnement s’est intensifié dans les années 1970,
parallèlement à l’essor des mouvements écologiques modernes. Dans
les années 2000, certains chercheurs se sont efforcés de concilier
libéralisme et durabilité et d’étudier les liens entre protection
de l’environnement et démocratie délibérative
.
26. En 2002, alors que j’étais ministre des Affaires étrangères,
le premier sondage mondial en ligne sur l’environnement a été lancé,
à l’occasion du Sommet mondial des Nations Unies sur le développement
durable tenu à Johannesburg du 26 août au 4 septembre, qui avait
réuni plus de 25 000 personnes de 175 pays différents. Les résultats
pointaient un manque de confiance dans la capacité des gouvernements
à résoudre les problèmes environnementaux les plus marquants
.
27. Ces dernières années ont vu naître une nouvelle forme de démocratie
délibérative: les assemblées citoyennes, composées de personnes
tirées au sort, dont l’issue des discussions et délibérations constitue
une composante clé du processus de prise de décisions. Elles trouvent
leurs racines dans l’Athènes de l’Antiquité, avec les agoras, et dans l’Italie de la Renaissance.
28. Dans le domaine des politiques sur le changement climatique,
une liste de normes fondamentales a été établie pour veiller à la
qualité et au caractère démocratique des assemblées citoyennes sur
le climat
. Dans certains cas, cette expérience
a eu un très fort impact sur les responsables politiques, soit en
leur ouvrant les yeux, soit en leur révélant le potentiel de changement
progressif au niveau des attitudes et du soutien du public, qui
servent si souvent d’excuses à l’inaction.
2.1. Avantages
de la participation citoyenne
29. Au niveau des pouvoirs publics,
les assemblées de citoyens peuvent contribuer à la résolution de questions
politiquement controversées. Elles peuvent accroître la légitimité
de certaines décisions et mesures politiques. Pour les participants,
elles peuvent constituer un environnement d’apprentissage unique
et susciter un sentiment de fierté à l’idée de participer à la prise
de décision nationale. Quelques autres avantages de la démocratie
participative sont présentés ci-dessous:
- Une meilleure gouvernance: un
renforcement de la légitimité démocratique et de la confiance envers
les institutions grâce aux liens étroits tissés avec les citoyens,
une meilleure image des instances publiques, une multiplication
des possibilités d’exercice de la citoyenneté active et une plus
grande responsabilisation des instances publiques grâce à une diffusion
plus efficace de l’information et à un meilleur dialogue;
- Une meilleure représentation
de la population: la composition d’une assemblée citoyenne
peut être considérée comme représentative de la communauté locale,
puisque ses membres sont tirés au sort parmi un vivier de volontaires
répondant à des critères clés (âge, sexe, région, niveau d’études,
etc.). Elle reflète mieux les minorités et donne donc à entendre
la voix de tous les groupes sociaux, permettant ainsi aux élus de
faire le point sur les mesures climatiques qui pourraient être acceptées
par le grand public;
- Une meilleure cohésion sociale: le
rapprochement de communautés diverses et parfois hostiles, l’établissement
de relations au sein de différents groupes sociaux et communautés
ainsi qu’entre eux, le renforcement et la mise en place de nouveaux
réseaux permettant à différentes parties intéressées de travailler
ensemble grâce à l’établissement de relations plus constructives
fondées sur une meilleure connaissance mutuelle et égalité d’accès
aux processus d’élaboration des politiques et de décision;
- Une meilleure qualité des services,
des projets et des programmes: l’assurance que les investissements publics
reposent davantage sur les besoins exprimés par les citoyens, la
possibilité pour les citoyens de prendre leur part de responsabilité
dans l’amélioration de leur qualité de vie (par exemple, en matière de
santé et de bien-être, ou d’environnement local);
- Un meilleur renforcement des
capacités et apprentissage: un renforcement des connaissances
quant aux institutions publiques et au fonctionnement de la démocratie,
l’instauration d’un climat de confiance et d’optimisme parmi les
citoyens, un soutien accordé aux secteurs associatif et bénévole
en reconnaissant leur rôle essentiel dans le renforcement des capacités
de la collectivité et de groupes d’intérêts spécifiques (en particulier
les groupes défavorisés et exclus);
- Une meilleure compréhension
des multiples perceptions des personnes concernées par le changement climatique: cela
pourrait contribuer à créer des modes de persuasion plus efficaces
et connectés au réel, afin de communiquer l’urgence de la crise
climatique et d’améliorer le niveau national des connaissances environnementales.
2.2. Coûts
et obstacles à la participation citoyenne
30. Les coûts financiers comprennent
les heures travaillées du personnel (rémunéré et non rémunéré),
les dépenses de personnel, les honoraires et défraiements des consultants
externes et des participants, la formation du personnel et des participants,
les frais administratifs, la location de locaux et les frais liés
à la communication, au suivi et à l’évaluation. Parmi les coûts
non financiers figurent le temps consacré par les participants,
le temps nécessaire à l’acquisition des compétences nécessaires
à la nouvelle approche (au détriment de leur activité rémunérée
principale).
31. Les risques comprennent le risque d’entacher sa réputation
(en raison d’une mauvaise pratique participative), le stress, l’incertitude
et les conflits. Une analyse coûts-avantages pourrait donc s’avérer nécessaire
avant d’entreprendre un exercice participatif, quel qu’il soit.
3. Exemples
d’assemblées citoyennes européennes sur le changement climatique
32. On a vu apparaître des assemblées
citoyennes dans le monde entier, notamment en Allemagne, en Belgique,
en Espagne, en France, en Irlande, aux Pays-Bas, en Pologne, et
au Royaume-Uni, ainsi qu’en Australie, au Canada et aux États-Unis
.
Les études de cas présentées ci-après permettent de comprendre leur
fonctionnement, en pratique, au cours des vingt dernières années
dans un certain nombre d’États membres du Conseil de l’Europe.
3.1. Le
Jury citoyen en Poitou-Charentes
33. La région française du Poitou-Charentes
accueille l’une des plus anciennes assemblées de démocratie délibérative
d’Europe
,
qui a également une dimension internationale puisqu’elle mène des
projets conjoints avec la Toscane et la Catalogne
.
34. En 2008, à la demande du Conseil régional, le jury citoyen
a établi un rapport sur la lutte contre le changement climatique
et les émissions de gaz à effet de serre. Plutôt que de faire appel
à des volontaires, ce qui aurait pu créer un biais sociologique
,
les membres du jury ont été tirés au sort.
35. Les principales activités comprenaient des séances de formation
et d’information pour maîtriser les enjeux d’un sujet complexe comme
le changement climatique, des auditions d’experts, l’élection de représentants
de la majorité et de l’opposition, la nomination d’un «tiers neutre»
et celle d’un groupe de professionnels indépendants et de contrôleurs
qualité
.
3.2. L’Assemblée
citoyenne irlandaise
36. Plus récemment, en 2016, l’Assemblée
citoyenne irlandaise (Thionól na Saoránach)
a été créée par le parlement. Elle se composait d’un président et
de 99 citoyens tirés au sort en veillant à constituer un échantillon représentatif
de l’électorat irlandais en termes d’âge, de sexe, de classe sociale
et de répartition régionale.
37. Cette assemblée a déjà joué un rôle déterminant dans le traitement
de certains sujets politiques controversés comme l’avortement et
le mariage homosexuel
,
ouvrant la voie à la tenue d’un référendum favorable à l’abrogation
du huitième amendement de la Constitution irlandaise.
38. En 2017, l’Assemblée citoyenne sur le changement climatique
s’est réunie pendant quatre week-ends pour auditionner des experts
ainsi que des représentants de groupes d’intérêts, et a adopté des recommandations
à l’issue d’un vote à bulletin secret
. Les militants irlandais engagés
dans la lutte contre le changement climatique se sont, dans un premier
temps, montrés sceptiques quant au fonctionnement pratique d’une
telle assemblée, mais ont finalement été surpris par la profondeur
des recommandations formulées
.
39. L’exercice ne s’est pas déroulé sans difficultés, notamment
en raison du peu de temps imparti aux délibérations – qui a limité
les possibilités d’aborder l’ampleur et l’étendue de la crise climatique
– et des modalités choisies pour prendre en compte les points de
vue du grand public et des groupes d’intérêts. Ces derniers ont
reçu quelque 1 185 propositions portant sur le thème du changement
climatique (contre, à titre de comparaison, plus de 12 000 propositions
sur la question politiquement sensible du droit à l’avortement).
De toute évidence, il est difficile de trouver un moyen d’intégrer
un tel volume de contributions dans le processus
.
40. Les 13 recommandations adoptées sur le changement climatique
étaient nettement plus radicales que beaucoup l’attendaient. Elles
ont apporté une précieuse source de données sur la connaissance
des questions environnementales en Irlande, ainsi que des leçons
sur l’engagement du public dans ce domaine
.
Le rapport final conclut que l’État devrait jouer un rôle moteur
en matière d’atténuation des effets du changement climatique. Il
recommande que les pouvoirs publics privilégient les investissements
dans les transports publics plus que dans de nouvelles routes, taxent
les émissions de gaz à effet de serre provenant de l’agriculture
et cessent de subventionner l’extraction de la tourbe. Fait frappant,
80 % des participants se sont dit prêts à payer des taxes plus élevées
sur les activités à forte intensité carbonique
.
41. Il convient de mentionner que les recommandations formulées
par l’Assemblée n’ont qu’une valeur consultative, la décision finale
appartenant aux pouvoirs publics. Pour savoir si l’Assemblée citoyenne
a vraiment contribué à renforcer l’action de l’Irlande face au changement
climatique, il faudra observer dans quelle mesure les 13 recommandations
seront reprises et mises en œuvre dans les politiques et, à terme, quelle
trajectoire suivront les émissions de gaz à effet de serre en Irlande
dans les années à venir
.
3.3. La
Convention Citoyenne pour le Climat française
42. En janvier 2019, sur fond de
manifestations des gilets jaunes, le Président Emmanuel Macron a annoncé
la mise en place d’un «Grand débat», doté d’une enveloppe de 4 millions
d’euros. L’initiative comprenait un forum en ligne, 21 assemblées
citoyennes et l’organisation de milliers de réunions publiques.
43. S’agissant du changement climatique, pour la première fois
en France, un panel reflétant la diversité des citoyens français
a été directement associé à la préparation de la loi. La Convention
citoyenne pour le climat a reçu pour mandat de définir une série
de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions
de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990), dans un
esprit de justice sociale.
44. La Convention a réuni cent cinquante personnes, toutes tirées
au sort, qui illustraient la diversité de la société française.
Les séances plénières ont été retransmises sur le site dédié de
la Convention.
45. Dans son intervention devant notre commission le 15 octobre 2020,
M. Pech, coprésident de la Convention, a souligné que l’indépendance
dans la direction et la modération des échanges, ainsi que les auditions
d’experts indépendants, permettaient un débat objectif et transparent.
Il a présenté comme capital, à terme, que les responsables politiques
soutiennent le processus et s’engagent à trouver des moyens de mettre
en œuvre les recommandations des citoyens. Selon M. Pech, le fait
que les recommandations émanent des citoyens eux-mêmes, et non des
politiques, permet de convaincre plus facilement d’autres citoyens
de leur importance et de leur neutralité.
46. En juin 2020, les membres de la Convention citoyenne ont été
reçus par le Président Macron qui a décidé de retenir 146 des 149
propositions formulées
. La Convention a proposé, entre
autres, d’ajouter à l’article 1er de
la Constitution française un nouvel alinéa: «La République garantit
la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte
contre le dérèglement climatique».
47. En décembre 2020, le Président Macron a confirmé son intention
de soumettre à référendum la proposition d’inscrire la protection
du climat et de l’environnement dans la Constitution française.
« Ce sera une réforme constitutionnelle»
qui «doit d’abord passer par l’Assemblée nationale puis le Sénat
et être votée en des termes identiques. Ce jour-là, elle sera soumise
à référendum», a-t-il affirmé, laissant à la législature nationale
le soin d’en déterminer le calendrier. D’après le Président français,
la réforme constitutionnelle proposée par la Convention citoyenne
sera intégrée à un projet de loi sur le climat, qui inscrira dans
la législation environ la moitié des mesures de la Convention
.
3.4. La
Climate Assembly United Kingdom (Assemblée britannique sur le climat)
48. Instaurée en 2019 par la Chambre
des communes du Royaume-Uni, la Climate Assembly UK est composée
de plus de 100 membres tirés au sort et représentatifs de la population
britannique. Ils se sont réunis pendant six week-ends en 2020 (d’abord
en présentiel puis en ligne en avril-mai durant le confinement), et
ont entendu des témoignages équilibrés sur les choix auxquels le
Royaume-Uni est confronté, ont tenu des débats sur le thème et formulé
des recommandations sur ce que le pays devrait faire pour réduire
les émissions de gaz à effet de serre et atteindre la neutralité
carbone d’ici 2050, sur la base du principe d’«équité».
49. Le calendrier modifié en raison de la pandémie de covid-19
prévoyait un bref délai permettant de réfléchir à l’impact du coronavirus
sur la lutte contre le changement climatique. Les fruits de cette
réflexion sont publiés dans le rapport final de la Climate Assembly,
afin d’orienter le débat sur les mesures de relance
.
50. En septembre 2020, la Climate Assembly UK a rendu son rapport
final aux commissions parlementaires, intitulé
«The
path to net zero», dans lequel
elle appelle fermement le parlement et le gouvernement à relever le
défi visant à atteindre l’objectif du «zéro émissions nettes» d’une
manière claire et responsable. Elle a demandé au gouvernement «d’établir
un consensus entre les partis qui garantisse un certain degré de certitude
et permette une planification à long terme et une transition progressive»,
ajoutant que «ce n’est pas le moment pour les partis politiques
de chercher à marquer des points».
51. Beaucoup de participants racontent que cette expérience leur
a «ouvert les yeux» et a «changé leur vie». Parmi les propositions
les plus avancées figurent l’imposition d’une taxe aux personnes
qui prennent fréquemment l’avion, l’interdiction de la vente des
SUV et une réduction de la consommation de viande, pour mettre en
avant les bienfaits – souvent ignorés – d’un régime largement végétarien
pour la santé et pour l’environnement
.
52. Nous ne disposons pas d’informations précises quant aux suites
que le gouvernement entend donner aux recommandations finales, qui
pourraient probablement avoir un rôle consultatif
; certains soulignent
le risque que le gouvernement fasse simplement «son marché» parmi
les mesures, en sélectionnant celles qui confortent sa position
et en ignorant les plus exigeantes
.
53. Un
rapport
de l’Institute for Government (Royaume-Uni) estime que le défi décisif pour atteindre
l’objectif «zéro carbone» en 2050 consistera à bâtir, et à conserver,
un consensus public et politique. Le modèle de la Climate Assembly,
déployé à plus grande échelle, pourrait représenter un important
moyen d’y parvenir, dans le cadre d’une stratégie plus large d’association
de la population. Ce modèle a aussi démontré son potentiel pour
aborder des sujets politiques complexes au niveau national. Une
évaluation officielle devrait être réalisée en 2021. Sur les 110
participants, 90 % se sont dit «d’accord» ou «parfaitement d’accord»
avec l’idée que des assemblées de ce type devraient être utilisées
plus souvent pour orienter les prises de décisions gouvernementales
et parlementaires
.
3.5. Premiers
retours d’expérience sur les assemblées citoyennes en France et
au Royaume-Uni
54. Il existe quelques points communs
entre les expériences d’assemblées citoyennes menées dans différents
pays. Ainsi, en France comme au Royaume-Uni par exemple, ces initiatives
ont vu le jour dans le sillage de mouvements de contestation.
55. Ces assemblées suivent peu ou prou le même format: information,
délibération, vote. Les membres sont sélectionnés au hasard parmi
un échantillon correspondant à certains critères, qui sont similaires
mais non identiques d’un pays à l’autre, toujours dans le but de
refléter la population du pays. La plupart des assemblées sont ensuite
divisées en sous-groupes, chargés de travailler sur différents sujets.
La question posée et les objectifs varient, par exemple au niveau
de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou du temps imparti.
56. Le budget n’est pas non plus le même d’un pays à l’autre.
Par exemple, le budget de la Convention citoyenne pour le climat
(France) était près de dix fois supérieur à celui de la Climate
Assembly (Royaume-Uni): respectivement 5,4 millions d’euros et 520 000
livres britanniques. Il faut en tenir compte au moment de tenter
des comparaisons.
57. En France, les représentants de la société civile ont joué
un rôle formel et actif dans la détermination de l’ordre du jour.
Les représentants de la société civile au comité de gouvernance
de la Convention, qui se sont baptisés «Gilets citoyens», ont activement
œuvré à définir la problématique globale de la Convention. Ils ont cocréé
des mesures de politique, en se fondant sur l’apport d’experts.
58. En revanche, la problématique de la Climate Assembly avait
été définie par des commissions parlementaires du Royaume-Uni, et
se centrait sur des choix politiques prédéterminés en amont par
des experts sans participation du comité consultatif de citoyens.
59. En résumé, la Convention citoyenne pour le climat était conçue
comme une instance politique, alors que la Climate Assembly était
un exercice délibératif visant à orienter le travail des instances
politiques. Les participants français étaient encouragés à s’engager
politiquement. Les participants britanniques, au contraire, devaient
se montrer apolitiques et mener un processus de recherche rigoureux
et délibératif, en vue d’orienter la définition des politiques.
Aucun membre du parti au pouvoir n’intervenait dans ce processus.
Les participants à la Climate Assembly devaient conserver un maximum
d’indépendance, afin de rester représentatifs des «citoyens ordinaires».
60. En France, les participants avaient plus de latitude pour
solliciter des contributions extérieures, discuter avec leur entourage,
des députés ou des experts et pour s’exprimer dans les médias, le
but étant de bâtir une intelligence collective et un consensus pour
influencer la définition des politiques. Ils ont communiqué librement entre
eux sans l’ingérence d’aucun tiers, avaient accès à une plate-forme
en ligne favorisant leur engagement et ont suivi de nombreux webinaires
pour continuer à apprendre et conserver l’élan entre deux sessions.
61. Beaucoup de participants français se sont mis à agir comme
des représentants de fait, s’exprimant dans les médias au nom de
toute la Convention et recueillant les opinions des personnes qu’ils
estimaient représenter. Au contraire, les participants britanniques
n’étaient encouragés ni à s’exprimer dans les médias, ni à effectuer
des recherches supplémentaires sur le thème du changement climatique
entre deux sessions. Ils ne devaient recevoir que des informations
«équilibrées, complètes et précises».
62. En conséquence, la Convention française a engendré un véritable
débat national, par opposition à la Climate Assembly, qui n’avait
jamais poursuivi ce but. D’après un sondage réalisé par Odoxa, la
majorité des personnes interrogées approuve la plupart des 149 propositions,
résultat qui plaide clairement en faveur du changement
.
63. Par ailleurs, la Climate Assembly du Royaume-Uni avait une
gouvernance très structurée, tandis que l’assemblée française suivait
une approche plus collective et d’auto-organisation. Le processus
britannique se fondait sur des règles de participation précises
et connues; le processus français n’en avait pas et faisait confiance
aux citoyens pour qu’ils s’organisent et se régulent par eux-mêmes.
64. L’une des étapes cruciales consistait à consulter la législation
nationale et européenne existante pour vérifier la conformité et
les doublons entre cette législation et les mesures proposées. En
France, le «comité légistique» n’avait qu’un rôle d’appui et de
conseil sur les projets de mesures, qui ont été soumises pour adoption
«sans filtre», selon le souhait de la Présidence française.
65. Des recherches sont actuellement menées pour savoir si le
comité légistique a influencé le travail des citoyens, en les poussant
à affiner leurs propositions pour éviter qu’elles ne soient rejetées.
Au Royaume-Uni, au moment de la publication du rapport, les commissions
parlementaires concernées ont servi d’instances de contrôle
.
66. Lors de son intervention devant notre commission, la professeure
Landemore a reconnu que les citoyens français étaient en mesure
de prendre part à l’établissement de la loi, en collaboration avec
des élus et des experts, en avançant des propositions poussées et
parfois radicales. Elle a cependant souligné que, malgré les bonnes
intentions, cette approche de la gouvernance n’en restait pas moins
descendante et opaque et qu’il aurait fallu donner aux citoyens
davantage de contrôle sur le programme et les procédures.
67. La conception des processus participatifs revêt une véritable
importance. À défaut de faire confiance aux citoyens, les personnes
chargées de leur élaboration auront tendance à limiter leurs sources,
la structure de leurs conversations et leurs réponses. La responsabilité
«après coup», c’est-à-dire la capacité des membres de l’assemblée
citoyenne à évaluer toute législation issue de leurs délibérations
et à apporter leur contribution, est également essentielle pour
maintenir un dialogue entre les citoyens, le gouvernement ou le parlement.
En l’absence d’un suivi responsable, le processus risque de se résumer
à un exercice vide de sens, ayant peu ou pas d’impact. La participation
ne fonctionne qu’à condition d’avoir une incidence réelle sur le pouvoir.
4. Exemples
de participation citoyenne aux niveaux européen et international
68. À l’échelle des Nations Unies,
un projet en cours vise à constituer une assemblée citoyenne mondiale en
vue d’influencer les décideurs qui se réuniront en 2021 à Glasgow
pour la COP26 (26e Conférence des Nations Unies sur les changements
climatiques). Une assemblée virtuelle, composée d’un millier de personnes
tirées au sort dans le monde entier, fonctionnera plusieurs mois,
en amont des débats de la COP26 prévue en novembre 2021. Bien qu’elle
n’ait aucun pouvoir de contrainte sur les gouvernements, ses partisans pensent
que leurs recommandations auront suffisamment d’autorité morale
pour influencer les décideurs politiques
.
69. Le «vote populaire sur le climat», une initiative du Programme
des Nations Unies pour le développement dont les résultats ont été
publiés en janvier 2021, est un autre exemple significatif. Avec
1,2 million de personnes ayant répondu à ce sondage, il s’agit de
la plus grande enquête d’opinion publique jamais réalisée sur le
changement climatique, couvrant 50 pays soit plus de 56 % de la
population mondiale. Elle a fourni aux décideurs politiques des
informations fiables leur permettant de savoir si les gens considèrent
le changement climatique comme une urgence et comment ils souhaitent
que leur pays réagisse, dans le contexte notamment d’une pandémie
mondiale
.
70. La Conférence sur l’avenir de l’Europe organisée par l’Union
européenne et présentée à notre commission le 30 mars 2021 par Mme Dubravka-Šuica,
vice-présidente de la Commission européenne
, vise à associer directement
les citoyens à la définition de la voie à suivre, grâce à la mise
en place, d’une série d’assemblées et de panels de citoyens à l’échelle
européenne, et notamment de plateformes numériques multilingues.
La question de l’environnement devrait figurer en bonne place sur
la liste des priorités et notre Assemblée pourrait apporter une
contribution concrète aux thèmes de la conférence après le débat
qu’elle tiendra en septembre en vue de promouvoir la reconnaissance
juridique universelle du droit de vivre dans un environnement sain.
71. Au niveau du Conseil de l’Europe, le neuvième Forum mondial
de la démocratie tient également compte des évènements mondiaux.
Des discussions, désormais en ligne, ont commencé en novembre 2020
et se poursuivront jusqu’en novembre 2021, pour donner à un large
éventail d’acteurs l’occasion d’échanger et de participer à des
webinaires. Il est prévu d’aborder chaque mois un thème différent
,
axé sur la démocratie et l’environnement, pour aboutir en novembre 2021
(sous réserve de l’évolution de la pandémie) à la tenue du Forum
habituel à Strasbourg, où j’espère présenter mon rapport.
72. Pour ce qui est de l’avenir, je me félicite de la proposition
faite lors de l’audition du 4 février 2021 de créer à l’échelle
européenne une «Assemblée de citoyens pour le climat et l’avenir
de l’Europe», avec la participation de groupes de citoyens, d’experts
et d’élus, en s’appuyant sur l’expérience passée des assemblées
citoyennes et en y associant les médias pour engager un débat et
un discours européens sur le sujet. J’encourage le Conseil de l’Europe
et l’Union européenne à unir leurs forces dans ce domaine.
73. Il est également essentiel d’impliquer davantage les jeunes
dans les processus décisionnels. Les conclusions de la réunion du
groupe de travail du Conseil mixte pour la jeunesse du Conseil de
l’Europe, chargé de «rendre le secteur jeunesse plus vert», tenue
en février 2021 juste après la réunion consultative sur «La crise
climatique, les jeunes et la démocratie», ont mis en avant le fait
que l’absence de représentants de la jeunesse dans les processus
décisionnels sur la crise climatique inquiète beaucoup les jeunes,
qui ont le sentiment que leur avenir leur échappe et qu’ils ne sont
pas pleinement associés à la lutte contre la crise climatique.
74. Il faudrait établir une nouvelle norme sur l’utilisation de
la démocratie participative en tant qu’outil d’épanouissement, donnant
aux jeunes la possibilité de prendre part à la réponse. Le Conseil
consultatif pour la jeunesse du Conseil de l’Europe incarne parfaitement
la démocratie participative au niveau européen et sert d’exemple
à tous les États membres qui s’engagent dans des processus participatifs
.
5. Observations
finales et recommandations
75. L’Accord de Paris signé en
2015 a encouragé l’adoption de mesures plus rigoureuses à l’égard
du changement climatique et, parallèlement à un mouvement citoyen
d’envergure mondiale fortement porté par les jeunes, a sensibilisé
l’opinion publique à cette cause et créé une pression politique
et une dynamique propices à une action plus ambitieuse en faveur
du climat. Ces dernières années, les mouvements de protestation
ont fait la preuve de leur force mais les voix exprimées ont néanmoins
besoin d’une structure institutionnelle pour permettre une participation
citoyenne durable, régulière et efficace.
76. Les actions en justice sur les questions de changement climatique
se sont multipliées, les citoyens s'adressant aux tribunaux pour
contester les politiques gouvernementales, ainsi que celles des
entreprises privées, en faisant valoir le devoir de l'État de protéger
l'environnement de manière adéquate. L'implication des jeunes dans
ces litiges, dans l'intention de rendre les gouvernements responsables
des effets du changement climatique, est en augmentation.
77. Au cours du demi-siècle passé, les pays démocratiques se sont
davantage mobilisés face à la crise climatique, tandis que les régimes
non démocratiques n’ont pas encore fait preuve d’un réel leadership.
De fait, des élections régulières, la liberté d’expression, d’association
et de réunion, un secteur de la société civile actif et le pluralisme
politique permettent aux partis politiques et aux citoyens eux-mêmes
de défendre et de soulever de nouveaux sujets.
78. Cependant, la pandémie de covid-19 montre que, si au départ
une approche descendante semblait porter ses fruits, à mesure que
la pandémie se poursuit, l’adoption d’un comportement adaptatif
plus difficile nécessite la participation de tous.
79. Mais contrairement à une pandémie, le changement climatique
est loin d’être une crise ponctuelle. Il exige une adaptation à
long terme de nos sociétés. Tous les citoyens doivent modifier leur
mode de vie et changer leurs modes de consommation et de production,
et seuls des citoyens informés et engagés sont à même de renforcer
la résilience et de tirer parti de la capacité collective.
80. Les pouvoirs publics doivent combiner un engagement politique
clair et une gouvernance descendante avec des formes de gouvernance
ascendantes et participatives, afin de répondre à l’urgence de la
crise climatique, de mettre un terme aux approches élitistes, d’assurer
la cohérence des mesures et de permettre aux citoyens de contribuer
de manière significative.
81. La démocratie représentative doit aussi être enrichie par
la participation afin de répondre de manière crédible à la demande
des citoyens d’être plus régulièrement associés à la prise de décisions
publiques. La démocratie participative peut s’exprimer sous diverses
formes et elle est davantage influencée par l’impact du numérique
sur la démocratie. Les citoyens engagés, en particulier les jeunes,
saisissent constamment les nouvelles opportunités de participation
au débat public.
82. L'une d'entre elles, les assemblées de citoyens, qui sont
au cœur de mon rapport, a été qualifiée de «moyen de combler un
déficit démocratique», pour débloquer des situations complexes,
enlisées dans une impasse politique. Les assemblées de citoyens
permettent d’impliquer utilement les personnes qui ne participent
généralement pas activement au processus politique et peuvent s’avérer
un puissant outil formateur et être sources de légitimité démocratique.
Elles peuvent également réduire l’impact des théories du complot et
des infox, ainsi que les craintes des décideurs quant au coût politique
des mesures à adopter. Il convient de tenir compte à leur égard
des caractéristiques suivantes:
- Il
importe de veiller à ce que les assemblées restent des événements
qui ne sont ni liés à des partis politiques, ni dominés par le pouvoir,
l’argent ou des logiques partisanes. En revanche, ces assemblées devraient
s’appuyer sur la raison, des données probantes, des arguments, des
perspectives et différentes formes de connaissances, qu’elles soient
locales, techniques, scientifiques, voire d’ordre affectif ;
- En vue de limiter l’influence excessive de groupes d’intérêts
et de lobbies, les citoyens devraient être tirés au sort, en veillant
à tenir compte d’une représentation de tous les groupes d’âge, niveaux
de qualification, disparités socio-économiques ainsi que de la répartition
géographique;
- Il faut associer étroitement la communauté scientifique
et collaborer avec elle pour prendre des décisions significatives
fondées sur des données scientifiques;
- Les avis des experts doivent être confrontés à ceux des
groupes d’intérêts, et les assemblées de citoyens doivent être ouvertes
à un large éventail de parties prenantes, dont les ONG, l’industrie,
les militants écologistes, etc. Ces assemblées ne doivent pas exclure
les points de vue des activistes de la lutte contre le changement
climatique, des défenseurs de l’environnement ou des opposants à
certains aspects de la politique climatique, mais elles peuvent
toutefois contribuer à faire barrière aux climatosceptiques .
83. Les contributions des assemblées citoyennes peuvent éclairer
l’action environnementale et fournir aux pouvoirs publics des informations
utiles sur les préférences des citoyens et les compromis qu’ils
sont prêts à faire
. Au final,
il appartient aux décideurs de donner corps aux recommandations
et aux propositions des assemblées de citoyens et de veiller à ce
qu’elles soient dûment intégrées au processus politique, notamment via
les commissions parlementaires concernées, afin d’assurer la légitimité
des résultats. Le gouvernement et le parlement devraient examiner
les conclusions de ces dernières et déterminer en toute transparence
la marche à suivre, qui peut ou non inclure la possibilité de tenir
un référendum.
84. Il faut encore attendre pour savoir si les assemblées citoyennes
pour le climat auront un impact significatif sur les politiques
climatiques. Les données montrent qu’elles ont eu un effet important
et immédiat sur le contexte des politiques climatiques, en particulier
en France et au Royaume-Uni. Cependant, pour réussir, la lutte contre
le changement climatique pourrait requérir des actions allant bien
au-delà de ce que les assemblées pour le climat ont proposé à ce
jour
.
85. Les prochaines assemblées citoyennes devront peut-être aller
encore plus loin pour s’attaquer aux causes structurelles du changement
climatique. Cela suppose, entre autres
- d’affirmer explicitement la nécessité d’un changement
structurel ambitieux;
- de communiquer aux citoyens les prévisions disponibles
les plus frappantes sur l’impact du changement climatique, qui devraient
être illustrées par des exemples concrets, afin de rendre tangibles
les conséquences prévisibles sur la vie quotidienne;
- de communiquer tous les scénarios possibles, à travers
une approche tournée vers l’avenir;
- de concevoir un processus solide et indépendant comprenant
des procédures applicables aux décisions clés, à la définition de
l’ordre du jour, à la sélection des experts, au vote, etc.;
- de donner aux citoyens leur mot à dire sur l’ordre du
jour, pour favoriser l’engagement et la créativité et éviter les
effets délétères de la polarisation du groupe;
- de veiller à ce que les recommandations des citoyens soient
complétées par le travail de spécialistes, par une évaluation des
coûts et par l’apport de faits avérés, pour éviter de donner un
poids démesuré aux contributions des citoyens ou de ne se fonder
que sur leur travail;
- de mettre en place un suivi responsable, permettant aux
membres des assemblées citoyennes d’évaluer tout texte législatif
issu de leurs délibérations et d’y apporter leur contribution.
86. Les assemblées citoyennes devraient générer un débat public
national, afin que les citoyens gagnent en pouvoir et en confiance,
que les mesures proposées aient plus de chances de remporter l’adhésion
de la population et qu’une pression s’exerce sur les décideurs politiques
pour qu’ils mettent les recommandations en œuvre.
87. Les pouvoirs publics devraient aussi envisager d’investir
dans d’autres approches de sensibilisation et de formation des citoyens,
en vue de créer de nouvelles formes de citoyenneté environnementale,
en passant par les médias et par des campagnes pédagogiques ciblées.
88. Les exemples de participation citoyenne aux niveaux européen
et international montrent qu’il est possible d’étendre les pratiques
participatives à une plus grande échelle. Notre Assemblée devrait
participer activement à la conférence de l’Union européenne sur
l’avenir de l’Europe et apporter une contribution dans le domaine
de l’environnement et des droits humains.
89. Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne pourraient également
envisager de conjuguer leurs efforts pour mettre en place à l’échelle
européenne une «Assemblée de citoyens pour le climat et l’avenir
de l’Europe» et j’espère que le Forum mondial de la démocratie qui
se tiendra en novembre examinera également cette possibilité.
90. Il convient d’accorder une attention particulière à la participation
des jeunes afin de veiller à les associer à la prise de décisions
en matière de lutte contre la crise climatique et affectant directement
leur avenir. Le Conseil consultatif pour la jeunesse du Conseil
de l’Europe incarne parfaitement la démocratie participative au niveau
européen et sert d’exemple à tous les États membres qui s’engagent
dans des processus participatifs.
91. Se référant à la Charte du Conseil de l'Europe sur l'éducation
à la citoyenneté démocratique et l'éducation aux droits de l'homme
et au Cadre de référence des compétences
pour une culture de la démocratie
, les gouvernements devraient également
encourager une participation constante des jeunes et une éducation
à la citoyenneté dans les écoles et les universités, ainsi que dans
les groupes de citoyens et les organisations non gouvernementales.
Cette démarche implique d’autoriser les enfants et les adolescents
à intervenir dans les processus de prise de décisions, essentiels
pour leur permettre de participer à la vie publique et pour promouvoir
l’esprit critique et la participation à des pratiques démocratiques.
92. Dans son mandat 2020-2021, le Comité européen sur la démocratie
et la gouvernance (CDDG) du Conseil de l’Europe a abordé la question
de la démocratie participative et délibérative dans le cadre de
son travail sur la démocratie et la technologie. Son étude des conséquences
de la transformation numérique sur la démocratie et la bonne gouvernance
fournit un certain nombre d’études de cas tirées de l’expérience
des États membres du Conseil de l’Europe et reconnaît que la technologie
propose une large gamme d’outils profitables à la démocratie délibérative,
qui contribuent à l’importance grandissante de cette dernière en
tant que complément de la démocratie représentative.
94. Enfin, l’expérience de la démocratie participative et délibérative
dans plusieurs États membres du Conseil de l’Europe illustre le
potentiel de l’approche délibérative dans d’autres domaines, comme
la sécurité et les migrations, et pour d’autres débats sur certains
conflits de valeurs ou sur d’autres enjeux complexes ou à l’échelle
d’une population, qui pourraient là aussi aboutir à des réformes
constitutionnelles.
95. Une fois qu’ils sont confrontés à la complexité des politiques
et qu’ils la saisissent, les citoyens ont tendance à se forger des
opinions plus nuancées et moins radicales, ce qui facilite l’application
du processus démocratique et une approche constructive qui transcende
la multiplicité des intérêts et renforce le soutien public aux actions
en faveur de l’environnement.