1. Introduction
1.1. Importance
de la contribution de l’Assemblée parlementaire
1. Après avoir organisé des débats
thématiques sur la crise provoquée par la pandémie de covid-19 et
sur l’intelligence artificielle, l’Assemblée parlementaire a pris
la décision de suivre le même modèle concernant un autre sujet d’actualité
brûlante – à savoir l’environnement et le changement climatique
– afin de contribuer aux efforts du Conseil de l’Europe dans ce
domaine. Ayant déjà souligné le lien entre l’environnement et les
droits humains, l’État de droit et la démocratie, l’Assemblée ne
doute pas que cette décision permettra d’apporter une contribution
utile et coordonnée aux travaux de l’Organisation en la matière.
2. La déclaration finale de la
Conférence
de haut niveau sur la protection de l’environnement et les droits de
l’homme organisée sous l’égide de la présidence géorgienne du
Comité des Ministres, à laquelle a participé le Président de l’Assemblée
en raison de l’intérêt marqué qu’il porte à ce sujet, appelle à
améliorer les normes juridiques paneuropéennes à la lumière des
urgences environnementales et des défis climatiques actuels. Par son
action, l’Assemblée prête son concours non seulement aux travaux
du Conseil de l’Europe en faveur de l’environnement, des droits
humains et de l’État de droit, mais aussi à la réalisation des objectifs
de développement durable de l’Agenda 2030 de l’ONU, lesquels couvrent
notamment les questions environnementales.
1.2. Rôle
de la commission sur l’égalité et la non-discrimination
3. La commission sur l’égalité
et la non-discrimination a été chargée par le Bureau de l’Assemblée
de préparer un rapport sur la lutte contre les inégalités dans l’accès
aux droits environnementaux et plus particulièrement sur l’accès
sans discrimination à un environnement sain. Le Bureau a précisé
que ce rapport devait prendre en considération les éléments suivants:
- les objectifs de développement
durable 3 et 10 des Nations Unies appelant respectivement à «donner les
moyens de vivre une vie saine et promouvoir le bien-être de tous
à tous les âges» et à «réduire les inégalités dans les pays et d’un
pays à l’autre» ;
- l’obligation pour les pays ayant les moyens d’assurer
un environnement sûr, sain et propre, de s’efforcer de protéger
à la fois leur population et les personnes les plus à risque dans
les pays moins privilégiés, créant ainsi les conditions d’une « justice
climatique » dans l’intérêt de toutes et de tous afin d’éviter des réactions
en chaîne de dégradation de l’environnement ;
- les problèmes sources d’injustices pour les peuples autochtones
et les minorités des États membres du Conseil de l’Europe, dont
les modes de vie et bien souvent les territoires, sont menacés du
fait du changement climatique et des dommages environnementaux ;
- la vulnérabilité accrue des femmes par rapport au changement
climatique et autres problèmes environnementaux, notamment dans
les pays en développement où les intéressées tirent souvent leurs revenus
d’une activité rurale et agricole, ainsi que le besoin d’intégrer
systématiquement la dimension de genre dans les politiques de protection
de l’environnement et de coopération au développement.
4. Lors de sa réunion du 15 octobre 2020, la commission m’a désignée
comme rapporteure. Mon travail sur un autre rapport de l’Assemblée
couvrant le même sujet – au nom de la commission des questions sociales,
de la santé et du développement durable et intitulé « Crise climatique
et État de droit » – m’a permis d’avoir une vue plus globale des
questions soulevées et de veiller à la complémentarité des deux
rapports. Dans le présent rapport, j’examine les initiatives déjà
lancées pour combler les inégalités environnementales aux niveaux
tant international, que national, régional et local.
5. Lors d’une audition tenue le 2 février 2021, des membres de
la commission ont rappelé que l’inégalité était à la fois la cause
et la conséquence du phénomène croissant des déplacements forcés
induits par le changement climatique, ainsi que des problèmes associés
à l’accueil et au traitement réservés aux « réfugiés climatiques ».
Le présent rapport ne traite pas de ces composantes importantes
de l’inégalité d’accès au droit à un environnement sûr, sain et
propre dans la mesure où celles-ci sont analysées dans le rapport
préparé parallèlement pour la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées
.
2. Définition des droits environnementaux
6. Avant d’examiner les sources
principales d’inégalité d’accès aux droits environnementaux, il
me paraît important d’en comprendre la portée. L’Assemblée a traité
ce sujet dans plusieurs textes récents, dont la
Résolution 2210 (2018) «Changement climatique et la mise en œuvre de l’Accord
de Paris» et la
Résolution 2307
(2019) «Un statut juridique pour les ‘ réfugiés climatiques’».
7. Selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement,
l’exercice des droits humains suppose obligatoirement l’existence
d’un environnement sûr, sain et propre
. Par conséquent, aucune gouvernance environnementale
durable ne saurait exister sans le respect concomitant des droits
humains. Une formulation analogue est reprise dans la déclaration
finale de la conférence précitée du Conseil de l’Europe. Pour cette raison,
et afin de garantir une définition cohérente et inclusive, j’ai
proposé de modifier le titre du présent rapport afin d’intégrer
la précision qu’il s’agit du droit à «un environnement sûr, sain
et propre», ce qui a été accepté par la commission le 2 février
2021.
8. La relation étroite entre l’exercice de ces droits et l’environnement
s’affirme de plus en plus, sachant que le droit à un environnement
sain est actuellement inscrit dans plus de 100 constitutions. Pourtant,
la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme estime
qu’au moins trois personnes perdent la vie chaque semaine en tentant
de protéger nos droits environnementaux, tandis que beaucoup d’autres
sont harcelées, intimidées, traitées comme des criminel·le·s et
contraintes de quitter leurs terres
.
9. Les droits liés à l’environnement sont soit substantiels,
soit procéduraux. Les droits substantiels couvrent les effets directs
de l’environnement sur l’existence ou l’accès aux droits fondamentaux
tels que le droit à la vie, à la liberté d’association et à la non-discrimination;
les droits à la santé, à l’alimentation et à un niveau de vie décent;
les droits culturels comme le droit d’accéder à un site religieux
ou traditionnel, et les droits collectifs affectés par la dégradation
de l’environnement, tels que les droits des peuples autochtones
. Les droits procéduraux prévoient
les moyens de mettre en œuvre les droits substantiels définis par
la loi et régissent notamment l’accès à l’information, la participation
aux affaires publiques et l’accès à la justice.
10. Dans mon rapport, j’ai étudié les mesures déployées pour éliminer
les discriminations et lisser les inégalités dans l’accès à ces
deux types de droits en m’appuyant notamment sur les 16 Principes-cadres relatifs
aux droits de l’homme et à l’environnement énoncés par le Rapporteur
spécial des Nations Unies
, lesquels font la synthèse
des principales obligations relatives aux droits humains se rapportant
aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, sain, propre et
durable
.
11. Le rapport s’est également enrichi des informations présentées
lors de l’audition du 2 février, au cours de laquelle la commission
a eu l’occasion d’échanger avec Mme Jannie
Staffansson, éleveuse de rennes en Suède et représentante du peuple
Sâme, et Mme Pegah Moulana, présidente
du comité de programmation sur la jeunesse du Conseil consultatif
de la jeunesse (CCJ) du Conseil de l’Europe et représentante du
British Youth Council au Conseil consultatif, qui a beaucoup travaillé
sur l’identification et la dénonciation des injustices climatiques.
3. Les
inégalités dans l’accès aux droits environnementaux sont nombreuses
et largement répandues
3.1. Santé
et environnement
12. Selon un rapport de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS) publié en mars 2016, 23 % des décès dans
le monde en 2012 (soit 12,6 millions) seraient attribuables à des
nuisances environnementales
.
Les causes de cette mortalité nous affectent toutes et tous, qu’il
s’agisse de la pollution de l’atmosphère et de l’eau, des conditions
sanitaires et d’hygiène insuffisantes, de la diffusion d’agents
chimiques et biologiques, de la pollution sonore, des radiations
ultraviolettes et ionisantes, des risques professionnels, des pratiques
agricoles (pesticides, réutilisation d’eaux usagées), de l’environnement
bâti (logements et routes) et des changements climatiques. Force
est de constater, néanmoins, que les régions et les populations
les plus pauvres souffrent bien davantage d’une protection insuffisante
contre ces risques et que certains groupes, dont les enfants et
les membres des minorités, sont particulièrement exposés.
3.2. Réduire
les inégalités face au changement climatique: un devoir pour tous
les pays « riches »
13. La question de la « justice
climatique » et de l’impact disproportionné du changement climatique
sur les populations les plus pauvres fait partie du débat environnemental
depuis le début. Ces inégalités sont flagrantes quand on compare
les pays entre eux, mais la question des inégalités et discriminations
au sein d’un même pays – relativement peu étudiée jusqu’à présent
– mérite également que l’on s’y intéresse
.
14. Depuis les années 1990, l’action face au changement climatique
est guidée par l’espoir d’une justice climatique
. Cette dernière
implique une bonne répartition des tâches et des responsabilités
entre les pays «riches» et ceux en développement. Le Protocole de
Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements
climatiques de 1997 consacre le principe de «responsabilité commune
mais différenciée»
.
15. La justice climatique veut aboutir à un monde sans «inégalités
d’accès à un environnement sain [sûr et propre] et à ses ressources»
.
Ces inégalités peuvent se classer en quatre catégories: les inégalités d’exposition
et d’accès à l’environnement, les inégalités d’impact des changements
climatiques, celles induites par les politiques climatiques, et
celles liées à l’accès à l’information et à la prise de décisions.
16. 10% des Etats les plus riches rejettent 50% des émissions
de CO2 chaque année, alors que 50% des plus pauvres n’en rejettent
que 10%. Face à cette réalité, le Groupe d'experts intergouvernemental
sur l'évolution du climat (GIEC) en appelle à des «devoirs environnementaux
des pays ou groupes sociaux les plus pollueurs»
. En outre, les personnes qui vivent dans
les pays «pauvres» ont un accès moindre à l’eau, aux soins de santé,
à un logement salubre; le changement climatique exacerbe les inégalités
préexistantes et renforce ainsi la violation d’une série de droits
fondamentaux.
3.3. Un
inégal accès individuel aux droits environnementaux
17. Le changement climatique accroît
également les inégalités entre les individus, dans l’ensemble des États
. Lorsque l’on
parle du rôle que doivent tenir les pays «riches» dans la réduction
des inégalités, il est nécessaire d’examiner la question des inégalités
interpersonnelles et pas uniquement interétatiques comme c’est encore
trop le cas aujourd’hui
. Il faut
le rappeler, les inégalités préexistantes (fondées sur les caractéristiques
personnelles, les inégalités économiques, politiques, etc.) sont
liées et aggravées par le changement climatique.
18. Ainsi, les personnes sujettes à ces inégalités rentrent dans
un «cercle vicieux» de discriminations multiples, par exemple les
personnes qui subissent déjà le racisme sont plus durement affectées
par le changement climatique
.
Il en va de même pour les plus pauvres, car l’adaptation au changement
climatique passe surtout par la richesse
.
3.4. Changement
climatique, minorités et peuples autochtones
19. Le 29 mars 2021, la sous-commission
sur les droits des minorités de la commission sur l’égalité et la non-discrimination
et l’Alliance parlementaire contre la haine (de l’Assemblée) ont
organisé un webinaire dans le cadre du Forum mondial de la démocratie
du Conseil de l’Europe sur le thème «Droits environnementaux et changement
climatique en Europe: entendre la voix des minorités et des peuples
autochtones», rejoignant ainsi la campagne thématique du mois de
mars «Inégalités, démocratie et changement climatique». Ce webinaire,
présidé par le président de la sous-commission, M. František Kopřiva,
a été une formidable occasion d’étudier au plus près et en profondeur
les défis particuliers du changement climatique auxquels se heurtent
certains groupes de la société
.
J’ai pu demander aux participant·e·s leur avis sur ce que les parlements
pourraient faire pour relever ces défis. Parmi leurs réponses figurait
la nécessité de réduire la marginalisation politique des minorités,
de combattre les stéréotypes liés aux auteurs des dommages climatiques
et de s’attaquer au cœur du problème en s’inspirant des modes de
vie traditionnels pour apprendre à passer d’une relation entièrement
«anthropocentrique» à une relation plus «écocentrique» entre les
êtres humains et leur environnement. Ces éléments clés apparaîtront
dans les recommandations du rapport.
20. Le changement climatique met en péril le mode de vie, et dans
certains cas l'existence même, des peuples autochtones, tant dans
le monde entier que dans les États membres du Conseil de l'Europe,
tels que le Danemark (Inuits), la Finlande, la Norvège et la Suède
(Sâmes), ainsi que la Fédération de Russie (Sâmes et autres groupes).
Les discriminations dans ces cas visent clairement les droits substantiels
et procéduraux. Les minorités et les « petits peuples » sont souvent
les premiers affectés par ces changements, dans la mesure où ils
dépendent davantage de leur territoire (avec lequel ils entretiennent
une relation forte) pour leur subsistance et ont du mal à faire
entendre leur voix dans le cadre de la prise des décisions – aux
niveaux national et international – relatives à l’environnement
.
21. L’identité des minorités ethniques et des peuples autochtones
est étroitement liée à un savoir traditionnel. À mesure que l’environnement
de la planète change ou que les groupes minoritaires sont obligés de
quitter leurs territoires historiques à la suite de catastrophes
naturelles ou d’une lente détérioration du climat, les spécificités
culturelles de ces groupes tendent à disparaître en raison d’une
déconnexion entre leur milieu naturel et les schémas culturels qui
les ont faits naître. L’adaptation du mode de vie conduit à une érosion
de la diversité culturelle, voire à l’extinction de cultures minoritaires,
y compris au niveau linguistique, et des perceptions uniques par
ces populations du monde dans lequel nous vivons. Les représentant·e·s
des jeunes avec lesquel·le·s j’ai pu échanger sont parfaitement
conscient·e·s de la manière dont cette évolution affecte leur identité
et leur patrimoine spécifiques en imposant une homogénéisation assortie
d’un manque de diversité culturelle, biologique et linguistique.
À cet égard, la corrélation entre biodiversité et diversité culturelle mériterait
des recherches et une attention plus approfondies.
22. Un des effets pervers des mesures visant à atténuer les effets
du changement climatique a été décrit par la représentante du peuple
Sâme lors du webinaire du 29 mars: l’installation d’un nombre croissant d’éoliennes
et autres «constructions vertes» en Laponie, sans concertation avec
les habitants sâmes, a entraîné la réduction des terres des populations
autochtones et la destruction de la biodiversité. Cela illustre l’injuste
répartition du fardeau de la lutte contre le changement climatique
et révèle des modèles d’inégalité et d’injustice où les autochtones
n’ont pas leur mot à dire sur la gestion des terres.
23. Une autre question problématique pour les populations autochtones
est le concept d’écocentrisme mentionné plus haut, qui peut aboutir
à un modèle de «conservation forteresse», dans lequel l’accès à
la nature est interdit au nom de sa protection. Dans certains cas,
ce modèle peut conduire à l’expulsion des populations autochtones
de leurs terres et les priver de ressources.
3.4.1. Le
cas particulier des Roms: intersectionnalité et « racisme environnemental »
24. Le changement climatique aggrave
de plusieurs manières la situation discriminatoire dont souffrent
les communautés roms. Tout d’abord, les habitations des Roms sont
souvent reléguées aux marges des zones résidentielles et occupent
des terrains vagues non entretenus – servant normalement à divers
types de décharges ou de sites d’enfouissement situés à proximité
immédiate de grands axes routiers pollués – où ils sont fréquemment
privés de services environnementaux de base tels que l’approvisionnement
en eau potable, la voirie et la gestion des déchets. Les Roms sont
donc affectés de manière disproportionnée par les nuisances environnementales
telles que la pollution et la dégradation de l’environnement, la
contamination des sites ou les industries polluantes. Aborder correctement
la question de la justice climatique suppose par conséquent un approfondissement
et une documentation du concept de racisme environnemental et de
ses liens avec la discrimination et l’exclusion
.
25. Cette marginalisation peut également se traduire par un «blâme
de la victime». En effet, les Roms sont si étroitement associés
à l'environnement dégradé dans lequel ils sont contraints de vivre
qu'ils sont perçus comme perpétuant sa détérioration. Les médias,
notamment, ont tendance à décrire les Roms comme faisant partie
intégrante du problème, et non comme les premières victimes de la
pollution et de la pauvreté, une combinaison qui les oblige à vivre
à côté des décharges, par exemple. En outre, certaines pratiques exclusivement
liées à leur situation d’extrême pauvreté (le fait de brûler des
ordures pour se chauffer, par exemple) stigmatisent encore un peu
plus les Roms comme contribuant à la pollution et aux dommages environnementaux.
26. Quelles que soient les circonstances, des informations disponibles
et accessibles aux populations autochtones et aux minorités permettraient
à celles-ci de donner leur consentement éclairé et de participer réellement
aux décisions qui concernent leur environnement immédiat – avec
des répercussions évidentes, aujourd’hui largement identifiées,
sur l’environnement dans son ensemble. Parmi les recommandations
des différentes personnes que j’ai pu entendre à ce sujet, la nécessité
de renforcer les institutions autochtones, de créer des «centres
de compétences» et de promouvoir des méthodes de collecte de données
pilotées par les communautés a été particulièrement soulignée.
3.5. Impact
différencié des changements climatiques entre les hommes et les
femmes
27. Dans beaucoup de pays, en particulier
les pays en développement et les régions les moins avantagées économiquement,
les femmes sont davantage affectées par les conditions météorologiques
extrêmes et d’autres impacts du changement climatique, notamment
parce que leur subsistance dépend plus de leurs activités agricoles
et des récoltes entre autres. 70% des femmes vivant dans les pays
les plus durement touchés par les changements climatiques travaillent
dans l’agriculture. Et 70% des personnes les plus pauvres dans le
monde sont des femmes
.
La dimension de genre devrait par conséquent être intégrée à la
gestion des politiques environnementales et à tout dispositif juridique
de coopération au développement.
28. La sous-représentation des femmes dans les instances décisionnaires
est également frappante: selon l’Institut européen pour l’égalité
entre les hommes et les femmes, ainsi que le Parlement européen
lui-même, les femmes sont encore sous-représentées dans les instances
décisionnelles mandatées pour gérer la question du changement climatique,
que ce soit au niveau de l’Union européenne ou des États membres
. En 2011, les femmes occupaient seulement
18,2 % des postes à haut niveau dans les ministères nationaux compétents
de l’UE-27 en matière d’environnement, de transport et de politique
énergétique. Bien que certains progrès aient été accomplis depuis,
une véritable mixité est encore loin d’être atteinte.
29. Un grand nombre de femmes se trouvent ainsi dans une situation
précaire et ont le plus grand mal à faire face aux changements climatiques.
De par cette situation, les femmes sont 14 fois plus exposées que
les hommes au risque de mourir d’une catastrophe naturelle
. Il existe également un risque
accru de violences faites aux femmes lors des déplacements de populations
liés aux changements climatiques
. Les femmes enceintes sont dans
une situation de particulière vulnérabilité; les canicules augmentent
les chances d’un accouchement prématuré. Le fait de vivre dans une
zone polluée ou dans une zone à risque, augmente les chances d’avoir
un enfant en mauvaise santé et les inégalités salariales empêchent
parfois les femmes d’accéder aux soins
.
30. Par ailleurs, les femmes sont sur-représentées dans les emplois
du secteur des soins de santé, dont 90% sont occupés par des femmes
.
Elles sont ainsi de plus en plus actives et demandées avec les changements
climatiques, ce qui fait peser une charge supplémentaire sur leurs
épaules. Les changements climatiques affectent les enfants, les
plus âgé·e·s, les malades et les personnes en difficulté financière.
En moyenne, plus de femmes que d’hommes sont âgées et/ou en situation
de pauvreté. Et ce sont des femmes qui s’occupent des enfants et
des malades
. Les changements
climatiques font ainsi peser un fardeau disproportionné sur les
épaules des femmes à travers le monde.
31. Les inégalités économiques entre les femmes et les hommes
se traduisent par la difficile protection de certaines femmes, en
particulier les femmes célibataires et les femmes âgées, contre
les effets des changements climatiques
. Par exemple, pendant la
canicule de 2003, au Portugal, deux fois plus de femmes que d’hommes
ont trouvé la mort
.
32. Cet impact disproportionné des changements climatiques sur
les femmes par rapport aux hommes dissone avec le constat suivant:
en moyenne, les femmes consomment moins d’énergie que les hommes
et sont plus sensibles à la protection de l’environnement. Par exemple,
en Grèce les hommes consomment environ 39% d’énergie de plus que
les femmes. En Suède, ce chiffre est de 22%. En particulier, les
femmes consomment moins d’électricité que les hommes de manière
générale
.
Les femmes utilisent plus de transports en commun que les hommes
et ont une consommation des transports moins énergivore que les hommes
. Les femmes produisent
moins de gaz à effet de serre que les hommes
et
se comportent généralement de manière plus responsable face aux
changements climatiques.
33. Face à ces constats, la problématique majeure est celle du
déficit de participation, d’information et de formation des femmes.
Cette problématique est connue de longue date. En 1995 à Beijing
lors de la conférence mondiale sur les femmes, une déclaration indique
que «les femmes ont un rôle fondamental à jouer dans l’adoption
de modes de consommation, de production et de gestion des ressources
naturelles durables et écologiquement rationnels». Cette même déclaration
contient un point «K» dont le premier objectif dispose qu’il est
nécessaire d’ «assurer une participation active des femmes aux prises
de décisions concernant l’environnement à tous les niveaux».
34. Cet objectif constitue la pierre angulaire de la réalisation
de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce n’est qu’avec cet
objectif rempli qu’il sera possible d’atteindre pleinement le 13ème objectif
de développement durable. Pour atteindre une égalité dans la participation,
il est fondamental d’assurer une égalité de formation et d’information,
cela permettant un meilleur accès aux structures qui construisent
la lutte contre les changements climatiques
. La participation
des femmes est un prérequis à la lutte contre les changements climatiques
;
or, leur participation aux prises de décisions qui intéressent l’environnement
est encore loin d’égaler celle des hommes
. Si
depuis les années 1990 leur implication augmente, les femmes restent
sous-représentées, que ce soit dans les sphères de prise de décisions
politiques mais aussi dans l’industrie, en particulier dans le secteur
de l’énergie. Dans l’ensemble des secteurs, que ce soit au niveau politique
ou de l’industrie, la part des femmes est généralement inférieure
à 30%
. Il est
aujourd’hui nécessaire d’assurer une égale participation des femmes
à tous les niveaux (national, européen, international) et cela passe
par l’égal accès à l’information et à la formation.
3.6. Inégalités
en matière d’information et de participation
35. La Convention d’Aarhus des
Nations Unies de 1998 sur l’accès à l’information, la participation
du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière
d’environnement
(signée par la Communauté européenne
en 1998 et approuvée au nom de l’Union en mars 2018) vise le droit
procédural lié à l’environnement et plus précisément « la démocratie
environnementale ». Selon cette convention, « afin d’être en mesure
de faire valoir ce droit et de s’acquitter de ce devoir, les citoyens
doivent avoir accès à l’information, être habilités à participer
au processus décisionnel et avoir accès à la justice en matière d’environnement, étant
entendu qu’ils peuvent avoir besoin d’une assistance pour exercer
leurs droits ». Ce texte servira de base à ma formulation de recommandations
sur l’obligation d’informer les citoyen·ne·s et d’assurer leur participation.
36. La contribution du Conseil consultatif de la jeunesse du Conseil
de l’Europe (CCJ) m’a aidée à approfondir la question de la participation
au débat et, en particulier, aux stratégies élaborées pour accompagner
et atténuer les effets de ce qui est devenu une véritable crise
climatique. Les éléments ci-dessous s’inspirent largement des commentaires
reçus des représentant·e·s du CCJ.
3.7. Action
de la jeunesse pour la justice climatique
37. L’intérêt et l’engagement des
jeunes pour les questions liées au changement climatique ont suscité
un mouvement mondial traduisant le refus des intéressé·e·s d’être
des victimes passives de la crise climatique. Des jeunes agissant
individuellement ou en groupe exigent, publiquement et à voix haute,
une action immédiate et une justice climatique de la part des décisionnaires
du monde entier. Les effets négatifs du changement climatique induits
par des décennies de surexploitation des ressources naturelles pèseront
le plus durablement sur les générations nées pendant cette période
particulière où les effets de « l’Anthropocène » commencent seulement
à être compris, de sorte que les mesures de préservation – ou idéalement
de renouvellement – de l’environnement demeurent isolées et inadéquates
quant à l’urgence d’agir.
38. Selon le CCJ, il est impératif d’impliquer les jeunes dans
la lutte contre la crise climatique et d’adopter des mesures durables
pour inverser les effets de cette dernière afin de réduire les obstacles
à leur autonomie, leur développement personnel et professionnel
et leur pleine participation à la société. Les jeunes n’ont jamais connu
un monde sans réchauffement climatique et font maintenant l’expérience
directe des conséquences désastreuses du changement climatique.
Il est donc devenu impératif non seulement d’impliquer les jeunes dans
l’élaboration des stratégies environnementales, mais aussi de réduire
le fardeau imposé à leur génération en matière d’adaptation et de
changement de mentalité, d’attitude et de comportement. Une approche intergénérationnelle
et la possibilité pour les jeunes de participer pleinement à l’élaboration
des stratégies d’adaptation et de politiques encourageant le changement
apparaissent donc fondamentales.
39. Afin de lutter contre le changement climatique, ou du moins
de s’y adapter, il conviendrait d’accroître la participation des
jeunes et d’associer celles et ceux issus des minorités ethniques
et des communautés autochtones aux efforts liés au climat, ainsi
que de leur accorder la possibilité de partager leur savoir-faire
et de répondre à leurs préoccupations.
4. Conclusions
et recommandations
40. Comme indiqué précédemment,
les sources de discrimination et d’inégalités dans l’accès au droit
à un environnement sûr, sain et propre se caractérisent par leur
multitude et leur gravité, les victimes étant souvent exposées à
une accumulation d’injustices liées à la pauvreté, l’exclusion sociale
ou la marginalisation, le manque de structures et de forums permettant
de réclamer la justice climatique, le défaut de reconnaissance de
la portée et de l’impact du changement climatique et l’absence de
reconnaissance des droits environnementaux et d’autres facteurs.
L’objectif de ce rapport est de montrer comment ces manifestations d’inégalité
sont liées aux conditions environnementales et que, tout comme l’inégalité
entre les hommes et les femmes conduit à la violence sexiste, l’inégalité
d’accès aux droits environnementaux conduit à un cercle vicieux
d’oppression et de besoins.
41. L’Assemblée préconise un nouvel instrument juridiquement contraignant
pour protéger le droit à un environnement sûr, sain et propre. Jusqu’à
présent, la forme que devrait prendre ce texte n’a pas fait l’objet d’un
accord: devrait-il s’agir d’un nouveau protocole à la Convention
européenne des droits de l’homme (STE n° 5), de la révision d’une
convention existante ou de la rédaction d’un nouveau traité autonome ?
D’un accord-cadre ou d’une charte ? En tout cas, il existe un consensus
sur la nécessité de traduire les droits environnementaux en un corpus
auquel les États membres du Conseil de l’Europe pourraient adhérer
et qu’ils pourraient mettre en œuvre.
42. Dans cette optique, la série de recommandations que je propose
ici devra être reprise dans le type d’instrument finalement choisi,
quelle que soit sa forme, et pourra être modulée en fonction des
obligations souscrites par les signataires. Ainsi, le devoir de
solidarité entre les nations et les diverses communautés dans l’action
en faveur du climat et de l’environnement devrait être énoncé d’emblée
dans tout nouveau texte visant à garantir le droit à un environnement
sûr, sain et propre. Une attention particulière devrait être accordée
à la nécessité de mesurer, d’atténuer et d’empêcher les pays de
s’engager dans des activités industrielles et agricoles ayant un
impact négatif à la fois à l’intérieur et au-delà de leurs frontières.
43. Il faudrait également énoncer l’obligation d’adopter des dispositions
spécifiques pour garantir un accès universel et égal au droit à
un environnement sûr, sain et propre à tous les groupes de la société,
en identifiant les personnes les plus vulnérables aux effets négatifs
du changement climatique et les plus discriminées: femmes, jeunes,
membres de minorités et de populations autochtones et personnes
socialement défavorisées. Il est également nécessaire de faire en
sorte que les conditions de vie garantissent un environnement propre et
sain pour toutes et tous, notamment en réglementant les programmes
d'aménagement du territoire et de logement pour offrir un espace
suffisant à l'intérieur et à l'extérieur des zones bâties, avec
des espaces verts accessibles. La situation spécifique des Roms
devrait également être prise en compte et des mesures visant à dissiper
la discrimination et le «racisme climatique» devraient être énoncées
dans la législation.
44. Toutes les politiques et stratégies devraient intégrer la
dimension de genre et tenir compte, en particulier, de la situation
des femmes en tant que premières victimes de la détérioration de
l’environnement, tant dans les zones rurales qu’urbaines, en leur
qualité de gardiennes de la diversité culturelle menacée par la
réduction de la biodiversité qui va de pair avec l’appauvrissement
culturel, et fondées à ce titre à apporter leur contribution majeure
et éclairée à la recherche de solutions à la crise climatique. De
la même manière que pour les peuples autochtones, l'expérience de
longue date des femmes et leur proximité souvent étroite avec les
défis environnementaux – dans l'agriculture dans les zones rurales,
dans l'accueil et la prise en charge des familles en situation difficile
– devraient être utilisées pour identifier les problèmes et les
bonnes pratiques pour le futur.
45. Dans la perspective de la création d’un nouvel instrument
pour protéger le droit à un environnement sûr, sain et propre, il
convient de prendre en compte deux facteurs importants afin de favoriser
l’égalité d’accès à ce droit. Le premier est la nécessité d’étudier
d’autres expériences législatives, y compris en dehors de l’Europe –
par exemple, celles qui concernent les populations autochtones,
leurs traditions et leurs territoires. Un cas intéressant est celui
de la Colombie, qui a doté la région de l’Amazonie colombienne de
la personnalité juridique en réponse à une plainte déposée contre
les autorités gouvernementales par 25 jeunes de villes de l’Amazonie,
qui seraient les plus touchées par le changement climatique à travers
la déforestation. Ces jeunes ont allégué la violation de leur droit
à «jouir d’un environnement sain» ainsi que de leur droit à la vie
et à la santé.
46. Le présent rapport n’a pas vocation à établir le fondement
juridique de ce type de législation, ni même à promouvoir un modèle
en particulier. Toutefois, si l’on veut s’attaquer aux causes du
changement climatique et s’efforcer de minimiser les inégalités
dans l’application des droits environnementaux, il convient de réfléchir plus
avant à la relation entre l’environnement et l’humanité elle-même.
La préservation des éléments qui constituent notre environnement
doit être placée bien plus haut sur l’échelle des priorités qu’elle
ne l’est actuellement, et des sanctions doivent pouvoir s’appliquer
de façon plus universelle en cas de dommages et de dégradation.
Ce changement doit en outre s’accompagner d’une meilleure compréhension
du fait que la protection des droits environnementaux de toutes
les communautés est bénéfique – voire une condition préalable –
à la jouissance de ces droits par toutes et tous, aujourd’hui et
dans un avenir proche.
47. La diversité culturelle doit être reconnue comme un moyen
de protéger la biodiversité, qui est au cœur de la stabilité environnementale.
Par conséquent, la préservation des cultures minoritaires est essentielle,
non seulement pour garantir que les populations qui vivent selon
ces cultures soient autorisées à exercer leur droit en ce sens,
mais aussi pour préserver l’environnement tel que nous le connaissons,
indispensable à l’épanouissement de la vie humaine. Les futurs cadres
juridiques doivent donc prévoir des dispositions relatives à la
nécessité de protéger et de promouvoir les cultures diverses et
minoritaires.
48. Il conviendrait de traiter la question des inégalités en matière
de participation et de prise de décision afin que tous les groupes
sous-représentés décrits ci-dessus puissent faire entendre leur
voix au moment d’adopter des décisions et politiques concernant
leur environnement et les droits qui s’y rattachent. Le droit à
un environnement sain ne pourra être exercé que par le plus grand
nombre possible d’habitant·e·s de la planète, et l’atténuation des
dommages climatiques ne pourra s’avérer efficace que si la connaissance
de notre planète et la responsabilité de la gestion de ses ressources
sont partagées par l’ensemble de la société.
49. Le renforcement des inégalités par le changement climatique
ne s’arrêtera pas si rien n’est fait. Il faut ainsi allier lutte
contre les inégalités, contre la pauvreté et contre le changement
climatique. Cela pour que toutes et tous puissent jouir du droit
à un environnement sûr, sain et propre. Il est d’abord nécessaire
de continuer à mettre en œuvre et de renforcer certaines bonnes
pratiques liées à la protection de l’environnement et aux politiques
de développement durable:
- mettre
en œuvre et renforcer le mécanisme d’aide financière des pays «riches»
aux pays «pauvres» prévu dans la Convention de 1992 sur la diversité
biologique, en y ajoutant des obligations supplémentaires des pays
«riches» prévues dans la Convention-cadre de 1992, en particulier l’obligation
d’aide financière aux pays en développement et de transfert de technologies;
- renforcer et rationaliser le mécanisme de développement
propre du Protocole de Kyoto de 1997, en vue de réduire les émissions
de gaz à effet de serre;
- renforcer et mettre en œuvre la volonté d’aide des pays
«riches» aux pays «pauvres» inhérent aux accords de Paris de 2015,
en particulier, mettre en œuvre, à tous les niveaux, l’article 9
de l’Accord de Paris;
- respecter et renforcer le principe de responsabilité commune
mais différenciée.
50. Ensuite, il est nécessaire de prendre une série de mesures
pour que les pays développés luttent efficacement contre les inégalités
tout en protégeant l’environnement et en assurant un développement
«vert» des pays en voie de développement. Il faut inclure les effets
redistributifs et la notion d’équité dans les politiques de lutte
contre le dérèglement climatique, dans les politiques d’adaptation
et dans celles de promotion du droit à un environnement sûr, sain
et propre. En particulier, il faut répartir les coûts d’atténuation des
effets du changement climatique en répartissant les bénéfices environnementaux
et en partageant les plans d’action ainsi que les financements.
51. Les politiques d’atténuation doivent être rationalisées pour
prendre en compte les inégalités et les réduire à long terme, en
mettant en œuvre le principe de «responsabilité commune mais différenciée»,
en trouvant des indicateurs précis d’évaluation de la mise en œuvre
de ce principe, en atteignant la neutralité carbone au plan universel
dans le respect des spécificités de tous les pays. La nécessité
de faire disparaitre les inégalités doit être intégrée à toute action
de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’adaptation au
climat. Cela devra passer par une bonne gestion des taxes ayant
pour but le financement de la lutte contre le réchauffement climatique
, par la rationalisation du
principe du «pollueur payeur» et par la promotion de projets qui
protègent et font participer les plus vulnérables.
52. Enfin, comme dans toutes les mesures nécessaires à la réduction
des inégalités d’accès aux droits environnementaux, il faut favoriser
l’aide financière et technologique, la coopération interétatique
et l’information, la participation et la formation des plus vulnérables.
Le travail essentiel des organisations non gouvernementales nationales
et internationales dans ce domaine doit également être reconnu,
et leur œuvre de sensibilisation et de plaidoyer encouragée.