1. Introduction
1. L’exposition des enfants aux
contenus pornographiques suscite une préoccupation croissante en Europe
et à travers le monde. Des enfants, dans certains cas âgés de 7
ou 8 ans à peine
, accèdent et/ou partagent des contenus
pornographiques à la maison, à l’école, avec des amis dans leur
quartier ou en ligne. Il n’est pas rare que des enfants découvrent
par hasard, sans vraiment les chercher, des contenus pornographiques
sur des appareils numériques, ou produisent et partagent des « images
autogénérées » sexuellement suggestives ou explicites sans être
pleinement conscients des conséquences de leurs actes
.
2. L’exposition sans précédent des enfants à des images pornographiques
nuit à leur développement psychique et physique, car elle augmente
les risques de construction de stéréotypes sexistes nuisibles, de dépendance
à la pornographie, de relations sexuelles précoces et malsaines,
déclenchant parfois des comportements sexuels préjudiciables chez
les enfants par rapport à leurs pairs, de violences et d’abus sexuels,
notamment de cyberharcèlement ; elle entraîne en outre des difficultés
à instaurer des relations équilibrées dans la vie future. Les moyens
existants pour combattre l’exposition des enfants aux contenus pornographiques
n’atteignent pas leurs objectifs. Le présent rapport a pour objectif
d’évaluer les moyens et les dispositifs dont nous disposons pour
lutter contre l’exposition des enfants aux contenus pornographiques
ainsi que de formuler des recommandations visant à améliorer la
protection des enfants.
3. J’aimerais remercier les nombreux collègues et experts pour
leurs avis et conseils sur l’élaboration du présent rapport. Les
membres de la Commission des questions sociales, de la santé et
du développement durable de la Croatie, de la France, de la Suède
et du Royaume-Uni ont apporté des contributions utiles. Je remercie
également M. John Carr, expert en matière de sûreté et de sécurité
sur internet, Royaume-Uni, Mme Julie
Miville-Dechêne, sénatrice, Sénat du Canada, et M. Iain Corby, directeur
exécutif de l’Age Verification Providers Association, qui ont fait
part de leurs réflexions sur ce sujet lors d’un échange de vues tenu
le 1er décembre 2021
. La contribution écrite fournie
par
MindGeek a facilité l’identification
des défis et dilemmes liés aux procédures de vérification de l’âge,
sous l’angle des fournisseurs de contenus réservés aux adultes.
2. Définitions et portée
4. Aux fins du présent rapport,
« enfant » s’entend de toute personne âgée de moins de 18 ans, conformément
à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant ;
« contenus pornographiques » s’entend de supports imprimés ou visuels
décrivant ou montrant explicitement des activités ou des organes sexuels,
dans un objectif de stimulation sexuelle ; « moyens et dispositifs »
s’entend des lois, politiques et autres mesures, y compris les activités
de sensibilisation et d’éducation ; enfin, l’« exposition aux contenus pornographiques »
recouvre l’exposition involontaire (par exemple la publicité en
ligne) et la facilité d’accès (par exemple l’absence de procédure
de vérification de l’âge, ou l’inefficacité d’une telle procédure).
5. Afin d’éviter toute confusion et tout amalgame, je me pencherai
exclusivement sur l’accès des enfants au matériel pornographique
(c’est-à-dire le matériel à caractère sexuel mettant en scène des
adultes), même si l’exposition à des contenus montrant des violences
sexuelles sur enfant
constitue
assurément un sujet de graves préoccupations, tout comme les contenus
à caractère sexuel autoproduits par les enfants eux-mêmes. Cet aspect
a été dûment reconnu par le Comité des Parties à la Convention du
Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation
et les abus sexuels (Comité de Lanzarote), qui concentre son dernier
cycle de suivi sur les défis posés par les images et/ou vidéos sexuelles
autoproduites par les enfants
. À mon sens, ces sujets méritent
d’être examinés par l’Assemblée dans des rapports distincts.
6. Il y a également lieu de noter que la pornographie en tant
que telle est un sujet complexe et controversé. Certains estiment
que la marchandisation du corps humain au travers de la production
et de la diffusion de contenus destinés à un public adulte constitue
une atteinte à la dignité humaine et est contraire à la morale, ajoutant
que l’exposition à la pornographie a des effets néfastes importants
sur le bien-être mental et physique des utilisateurs. D’autres sont
d’avis que la sexualité est une composante essentielle de la vie
humaine, que la demande de contenus destinés aux adultes ne cessera
jamais et que ceux-ci peuvent avoir une influence positive. Ils
avancent aussi que le fait de pousser l’industrie pornographique
dans la clandestinité exposerait les travailleurs du sexe à des
conditions de travail dangereuses et entraînerait la propagation
des pires formes de pornographie. Bien que cette question justifie
certainement la tenue d’un débat public et la conduite d’une action
politique, elle dépasse largement le cadre du présent rapport. Par
ailleurs, le rapport de M. Frank Heinrich (Allemagne, NI), présenté
à l’Assemblée en novembre 2021, portait déjà sur les dimensions
de genre et les effets de la pornographie sur les droits humains
.
3. Les
causes profondes: un accès aisé et anonyme aux contenus pornographiques
7. La révolution numérique qui
s’est produite au cours des dernières décennies a permis de mettre
en contact des gens se trouvant aux quatre coins de la planète,
mais elle a aussi facilité l’accès des enfants à des contenus pornographiques.
Il y a aujourd’hui de plus en plus d’enfants qui possèdent un smartphone
ou un autre appareil connecté à internet et qui disposent de leurs
propres comptes sur les réseaux sociaux
. Les principales sources de contenus
pornographiques pour les enfants âgés de 13-14 ans sont les annonces
qui apparaissent dans les fenêtres s’affichant sur l’écran de façon
automatique à l’ouverture d’une page web (
pop-up)
.
Les sites de partage de vidéos et de photos ou les sites des réseaux
sociaux constituent d’autres voies d’accès courantes aux contenus
pornographiques. Faute d’une réglementation suffisante de l’environnement en
ligne, la diffusion de contenus pornographiques est facilitée par
« le modèle du triple A »: à savoir le caractère accessible, abordable
et anonyme d’internet. En outre, du fait de la quantité de nouveaux
contenus téléchargés chaque minute, il s’avère pratiquement impossible
de modérer la pornographie en ligne
.
8. Selon l’Office britannique des visas cinématographiques (
British Board of Film Classification,
BBFC), il y a « 1,4 million de raisons d’agir », autant que le nombre
d’enfants qui visionnent chaque mois des contenus pornographiques
au Royaume-Uni. La plupart des enfants déclarent être tombés dessus
par hasard sans se douter qu’ils allaient être exposés à de tels
contenus. Par ailleurs, la majeure partie des parents sont favorables à
l’introduction d’une vérification de l’âge pour ces sites web et
une majorité d’enfants souhaiteraient être protégés des contenus
en ligne destinés aux adultes
. En France, plus de 82 % des adolescents
ont vu des contenus pornographiques. À l’âge de 12 ans, 1 enfant
sur 3 a vu de la pornographie. Le smartphone est le support le plus
utilisé par les jeunes pour regarder des vidéos pornographiques,
et les deux tiers des enfants de moins de 12 ans en possèdent un
. Pour faire face à cette situation
préoccupante, le Gouvernement français a lancé la campagne intitulée
« Je protège mon enfant de la pornographie », qui comprend un clip
de sensibilisation
et une plateforme d’information
en ligne à destination des parents, proposant des conseils et des
ressources utiles
.
9. La question de l’exposition des enfants aux contenus pornographiques
doit être examinée dans le contexte plus large de la sexualisation
de la culture populaire
. Aujourd’hui, les
enfants sont inondés d’images sexuelles explicites à la télévision
ainsi que dans les films, les publicités, les clips vidéo, les livres
et les mangas, les magazines et les jeux. Les limites de ce qui
est considéré comme acceptable ne cessent d’être repoussées et les
opinions sur la manière de traiter ce problème sont très clivées.
Certains magazines pour adolescents présentent le travail sexuel
comme étant un emploi comme un autre
et des médias traditionnels dépeignent
la pornographie comme une source de revenus très lucrative et socialement
acceptable
.
10. Dans le contexte de la pandémie de covid-19, le temps d’écran
a augmenté, l’encadrement a diminué et beaucoup d’enfants en quête
de réconfort ont fini par accéder à des contenus sexuellement explicites
et les partager. Le site web
PornHub a
fait état d’une augmentation d’environ 24 % en 2020 du nombre de visionnages
de matériel pornographique. Si la plupart des personnes qui regardent
ces contenus sont des adultes, il y a aussi des enfants parmi elles.
L’âge moyen de la première exposition à la pornographie étant de 11 ans,
les parents sont de plus en plus inquiets et ont besoin de recommandations
claires et concrètes
. Comme pour de nombreux autres fléaux
sociaux, la pandémie a mis à nu des problèmes qui existaient auparavant.
4. Effets
de l’exposition à des contenus pornographiques sur le bien-être
des enfants
11. Comme le signalent régulièrement
les experts, nous vivons une situation inédite. Les enfants n’ont jamais
été exposés à autant de contenus pornographiques qu’aujourd’hui.
L’impact de cette expérience n’a pas encore été pleinement observé
et analysé. Pourtant, cette problématique est de plus en plus évoquée
dans les médias traditionnels, et abordée par des personnalités
publiques et des célébrités. « Les parents sont fortement encouragés
à parler de la pornographie en ligne à leurs enfants dès l’âge de
neuf ans », titre un article du site internet du journal britannique
The Guardian . Billie Eilish, une chanteuse pop
américaine, a récemment déclaré que le fait d’avoir été exposée
à la pornographie dès l’âge de 11 ans avait « détruit » son cerveau
et lui avait valu de faire des cauchemars
. De plus, un corpus substantiel de
preuves scientifiques sur les conséquences d’une telle exposition
est en train de voir le jour.
12. Selon de récentes études, le cerveau d’un enfant est plus
vulnérable aux effets de l’exposition à des contenus pornographiques
en ligne que celui d’un adulte, car les neurones « miroirs » incitent
fortement les enfants, dont le cortex préfrontal est immature, à
faire preuve de mimétisme
. Une exposition précoce peut conduire
à un trouble du comportement sexuel compulsif ou trouble hypersexuel,
caractérisé par une tendance persistante à ne pas pouvoir contrôler
des pulsions sexuelles intenses, ainsi que par des fantasmes sexuels obsessionnels
excessifs, générant une souffrance et ayant des répercussions négatives
sur la santé et les relations de la personne concernée. Au fil du
temps, ces troubles peuvent provoquer une addiction, le développement
de relations et de comportements physiques anormaux, voire une altération
du fonctionnement général du cerveau
. En 2020, plusieurs neuroscientifiques
et cliniciens de renommée mondiale ont publié un article dans lequel
ils indiquent que l’utilisation problématique de la pornographie
peut être diagnostiquée comme un trouble de la dépendance et entrer
dans la catégorie des « autres troubles spécifiés dus à des comportements
addictifs » de la Classification internationale des maladies de
l’Organisation mondiale de la santé
.
13. La phobie sociale, la dépression et la perte de mémoire sont
autant de conséquences identifiées d’une exposition précoce à la
pornographie. Le visionnage de contenus pornographiques conduisant
à une certaine désensibilisation, les dysfonctions érectiles constituent
un problème non négligeable qui touche de plus en plus les jeunes
hommes. Si nombre d’entre eux sont traités pour ces troubles, notamment
via l’administration de médicaments, ils sont rarement interrogés
sur leurs addictions en ligne ou sur les causes profondes de leur mal-être
mental et physique. Cependant, ceux qui ont essayé de s’abstenir
de consommer des contenus sexuellement stimulants ont fait état
de changements étonnants, allant d’une amélioration de la concentration et
de l’humeur à une capacité accrue à vivre des relations intimes
et à des niveaux de performance intellectuelle nettement plus élevés
.
14. Dans bien des cas, l’exposition à la pornographie à un jeune
âge va de pair avec la construction de stéréotypes sexistes nuisibles,
en particulier pour les garçons, qui ont tendance à voir les filles
comme des objets à utiliser pour leur plaisir ou bien comme des
partenaires passives et soumises
, mais peut aussi donner
lieu à une certaine auto-objectification chez les filles, qui sont
susceptibles de s’identifier à une figure féminine pornographique
stéréotypée et de percevoir leur valeur personnelle principalement
en termes d’attrait sexuel. De même, la pornographie en ligne peut
avoir un impact négatif sur l’image de soi des garçons en les comparant
aux acteurs de films pornographiques et à leurs attributs sexuels
.
15. La fréquence de la recherche de contenus pornographiques sur
internet diffère en fonction du genre, les garçons étant plus enclins
que les filles à rechercher délibérément ce type de contenu. La
réaction à l’exposition varie elle-aussi en fonction du genre. Les
filles sont en général plus choquées et malmenées par ce type d’exposition,
tandis que les garçons, en particulier les adolescents, voient dans
ces contenus une source d’amusement ou d’excitation
. Par ailleurs,
les filles ont plus tendance à avoir honte de leur corps ou sont
davantage exposées au risque d’être contraintes d’accomplir des
actes sexuels.
16. Lorsqu’on les interroge, la plupart des jeunes s’accordent
à dire que le fait de regarder des contenus pornographiques en ligne
nuit à leur santé et à leurs relations sexuelles
. Par ailleurs, il semble y avoir
un fossé croissant entre les attentes des garçons et des filles
en termes de relations, ce qui entraîne des frustrations et un certain
ressentiment de part et d’autre.
17. Lorsque la pornographie est la source principale de l’éducation
sexuelle d’un jeune, le risque existe que cette personne adopte
des pratiques sexuelles extrêmes ou à risques et en vienne à justifier
la violence à l’égard des femmes. Les jeunes qui sont exposés à
la pornographie violente sont six fois plus susceptibles d’avoir
des comportements sexuels agressifs que ceux qui ont vu de la pornographie
non-violente ou n’ont pas vu de pornographie du tout
.
18. L’exposition à la pornographie en ligne prédispose les enfants
à avoir des relations sexuelles précoces et à subir des abus sexuels.
J’ai été frappé par une scène du film français « Polisse »
, dans laquelle une adolescente raconte
à un agent de la brigade de protection des mineurs qu’elle a été
obligée d’accorder des faveurs sexuelles pour récupérer son smartphone
dérobé. Les policiers, déconcertés, tentent de faire comprendre
à la jeune fille qu’elle ne doit pas monnayer sa dignité de cette
manière, ce à quoi elle rétorque: « Oui, mais c’était un téléphone
cher ». Bien que ce film soit une œuvre de fiction, il en dit long
sur nos sociétés et sur les attitudes que nous façonnons en nous
montrant incapables de traiter ce problème.
19. Les enfants en situation de vulnérabilité sont plus susceptibles
que d’autres d’être victimes d’abus sexuels, de tomber sur du matériel
pornographique, voire de le rechercher. Insuffisamment encadrés
et conseillés par leurs parents ou les personnes qui en ont la charge,
ils passent généralement plus de temps sur internet, ce qui augmente
la probabilité d’être exposé à des contenus pornographiques et de
se livrer à des pratiques à risque. Les enfants issus d’un milieu
familial difficile et présentant des comorbidités sous-jacentes, comme
la toxicomanie, l’alcoolisme, la dépression ou les troubles anxieux,
sont particulièrement vulnérables à cet égard.
5. Moyens
et dispositifs luttant contre l’exposition des enfants aux contenus
pornographiques
20. Il est incontestablement très
complexe de réglementer les entreprises du secteur informatique
et de l’internet, et l’on ne saurait nier qu’il existe une grande
variété de situations dans lesquelles les enfants peuvent se trouver
exposés à du matériel pornographique. De surcroît, la réticence
à légiférer en la matière est souvent liée aux principes de neutralité
du Net, de liberté d’expression et de protection de la vie privée
. Plusieurs solutions sont déjà toutefois
mises en œuvre et peuvent être développées davantage et encouragées.
Un large éventail d’outils technologiques a été mis au point pour
lutter contre l’exposition des enfants à la pornographie, notamment
des techniques de filtrage, basées soit sur l’image (détection de
la peau) soit sur le texte (mots-clés liés à un contenu pour adultes),
et des procédures de vérification de l’âge.
5.1. Logiciels
de contrôle parental et de blocage sur les ordinateurs publics
21. Les États à travers le monde
ont eu du mal à suivre le développement rapide de l’espace numérique
au cours des dernières décennies et ont renoncé dans une large mesure
à leur mission de réglementation de l’accès des enfants aux contenus
pornographiques. Ce sont en premier lieu les particuliers, comme
les parents et les personnes en charge des enfants, qui s’occupent
du contrôle des activités en ligne de leurs enfants.
22. Le contrôle parental est un aspect essentiel des stratégies
de réduction des risques. Les parents et les personnes ayant la
charge des enfants qui veulent empêcher ces derniers d’avoir accès
à des sites web nuisibles, à des fenêtres publicitaires intempestives
ou à des courriers électroniques contenant des images ou des vidéos
de nature sexuelle lorsqu’ils sont à la maison peuvent utiliser
un logiciel de filtrage ou de blocage.
23. L’utilisation de ce type de logiciel sur des ordinateurs publics
à partir desquels des enfants peuvent être exposés involontairement
à de telles images est plus discutable, eu égard à certaines considérations
liées à la liberté d’expression. Il devrait néanmoins être possible
d’envisager la mise en place de contrôles plus stricts sur les ordinateurs
publics et les appareils mobiles auxquels les enfants ont accès.
24. Malgré la mise à disposition de solutions techniques, il apparaît
de plus en plus clairement que les parents et les personnes s’occupant
des enfants ne s’acquittent pas correctement de cette tâche. La
plupart des parents ne mettent pas de filtres en place et 80 % des
parents qui installent un logiciel de contrôle parental ne l’activent
jamais, d’autant qu’ils n’ont pas forcément les compétences numériques
requises. En outre, les enfants ont tendance à mieux connaître la
technologie que leurs parents et ont accès à des appareils non équipés
d’outil de contrôle parental. De plus, il arrive fréquemment que
les parents n’aient pas conscience du type de contenus auxquels
leurs enfants ont accès (qui peuvent être explicites, violents,
ou dégradants), ou qu’ils perçoivent la consommation de pornographie
comme un rite de passage obligé à l’adolescence.
25. Dans le même temps, des études montrent que même les parents
qui avaient donné des raisons spécifiques de ne pas adopter le contrôle
parental déclarent qu’ils l’envisageraient s’il était plus facile
à utiliser. En effet, les parents toléreraient des répercussions
sur leur propre utilisation des technologies de l'information et
de la communication pour mieux protéger leurs enfants. Ils estiment
que l’amélioration des outils devrait également s’accompagner d’activités
de sensibilisation, notamment la diffusion d’informations dans les
écoles, la délivrance de formations sur le lieu de travail et l’organisation
de campagnes publicitaires publiques. Parallèlement à l’utilisation
accrue des contrôles techniques, les parents soulignent la nécessité
de maintenir un dialogue ouvert et constructif avec leurs enfants
sur l’utilisation de l’internet, notamment les contenus pour adultes
.
26. En France, le 2 mars 2022, le Président de la République a
promulgué la loi n° 2022-300 visant à renforcer le contrôle parental
sur les moyens d’accès à internet. Elle prévoit l’obligation pour
les fabricants d’appareils connectés d’installer un logiciel de
contrôle parental et de proposer son activation gratuite lors de la
première mise à jour
. Seraient concernés les smartphones,
les ordinateurs, les tablettes, les consoles de jeux vidéo et autres
objets connectés (tels que les téléviseurs, les montres et les enceintes).
La loi introduit des sanctions en cas de non-respect de cette obligation,
prévoit des listes « noires » et « blanches » de sites web ou d’applications,
et vise à garantir une norme minimale commune à tous les fabricants
.
5.2. Vérification
de l’âge
27. Bien que les contrôles parentaux
aient assurément un rôle à jouer, les parents et les personnes en charge
des enfants ne doivent pas être tenus seuls responsables de la protection
de ces derniers contre l’exposition à la pornographie. Dans le monde
réel, nous trouverions également curieux que les parents d’un enfant
qui entre dans un magasin pour acheter des bonbons l’accompagnent
pour s’assurer qu’il n’achète pas un magazine vidéo pour adultes.
Les vendeurs du magasin ont aussi une responsabilité. Il apparaît
donc nécessaire d’adopter des règles et des règlements et de les
faire appliquer. En définitive, c’est à l’État d’assumer sa responsabilité
et de prendre des mesures plus fermes, malgré la complexité de la
tâche. La mise en place d’un système efficace de vérification de
l’âge est l’une des solutions envisagées pour l’avenir.
28. Les personnes qui affirment qu’il est acceptable que les enfants
soient exposés à la pornographie sont très peu nombreuses. Elles
ne peuvent ni citer ni faire référence à une étude scientifique
spécifique. Les éditeurs de matériel pornographique eux-mêmes reconnaissent
que leurs produits ne sont pas destinés aux enfants. Cependant,
l’absence d’obligations légales s’appliquant de la même manière
à tous les éditeurs de ce type de matériel n’incite pas ces derniers
à appliquer des contrôles ou des restrictions d’accès, d’autant
que les dispositions actuelles leur fournissent des incitations
financières pour qu’il n’y ait aucun contrôle. La mise en place
d’une vérification obligatoire de l’âge est un moyen d’obliger les
éditeurs de pornographie à tenir parole.
29. D’après les experts, il est utile de rappeler le contexte
dans lequel s’inscrit l’élaboration des mesures de vérification
de l’âge. Au Royaume-Uni, par exemple, les enfants ont commencé
à utiliser des smartphones dans les années 2001-2002, mettant ainsi
à mal les possibilités de surveillance des parents. Les enfants avaient
également commencé à utiliser des cartes de débit pour jouer et
parier. La dépendance des mineurs aux jeux d’argent est en augmentation.
L’absence de solutions techniques permettant de vérifier l’âge des joueurs
a exacerbé le problème. En 2003, les autorités ont passé en revue
toutes les formes de jeux d’argent. Le nouveau projet de loi sur
les jeux d’argent a rendu obligatoire la vérification de l’âge.
Le Royaume-Uni est ainsi devenu le premier pays à appliquer ce type
de contrôle en ligne. Pour pouvoir obtenir une licence, chaque société
de jeux en ligne a été contrainte de mettre en place des mécanismes
efficaces de vérification de l’âge. La nouvelle loi a créé un nouveau
marché et la technologie est devenue plus complexe au fil du temps. L’expérience
britannique peut et devrait être mise à profit en ce qui concerne
la pornographie.
30. Les prestataires de services de vérification de l’âge ont
recours à divers moyens technologiques. Souvent, une méthode d’identification
visuelle, comme un passeport ou une carte d’identité, est mise en œuvre.
Les pièces d’identité comportant une photo de leur détenteur s’avèrent
utiles, dans la mesure où un grand nombre de ces prestataires utilisent
des solutions biométriques de reconnaissance faciale. La pièce d’identité
est scannée et authentifiée, et les entreprises s’efforcent de vérifier
que les documents fournis par les clients sont réels et que la même
personne est en possession du document.
31. Certains fournisseurs proposent également un service d’« estimation
de l’âge » grâce à intelligence artificielle, basé sur la biométrie
faciale. Il s’agit d’un réseau neuronal qui a été entraîné à reconnaître
un visage âgé de 18 ans à partir de plusieurs milliers de photos
complétées par le mois et l’année de naissance. Le système qui voit
un nouveau visage effectue une analyse des pixels et estime l’âge,
avec une précision d’environ 1,5 an pour les 13-24 ans. Ce service
se révèle utile lorsque des adultes souhaitant confirmer leur âge
ne sont en possession d’aucune pièce d’identité officielle. Il n’y
a pas de reconnaissance unique d’un individu et l’image est instantanément
effacée. L’estimation de l’âge est également utile pour les jeunes
qui ne disposent d’aucun document d’identité officiel. Une marge
d’erreur peut être demandée par le régulateur lorsque l’âge est
proche de l’âge d’intérêt. Il peut exiger, par exemple, que les
personnes aient plus de 21 ans pour un âge d’intérêt de 18 ans
.
32. Une autre option consiste à se servir d’un « portefeuille
d’identité numérique » réutilisable. Voici ce qu’une personne peut
être invitée à faire: utiliser son numéro de téléphone pour télécharger
une application sur le site du fournisseur, créer un code PIN, scanner
son visage (afin que personne d’autre ne puisse utiliser la carte
d’identité à sa place) et scanner son document d’identité. Cette
opération prend généralement moins de cinq minutes et la société
de vérification de l’âge procède ensuite aux contrôles nécessaires.
L’application est généralement gratuite. Lorsque seul un critère
de majorité est requis (pour s’assurer par exemple, qu’une personne
a plus de 18 ans), seul cet attribut peut être transféré à la société
de contenu, ce qui permet d’être en conformité avec les obligations
en matière de minimisation des données (qui consiste à n’utiliser
qu’une quantité minimale de données à caractère personnel, nécessaire
pour atteindre un objectif spécifique).
33. À ce jour, de nombreux fournisseurs de solutions technologiques
sont devenus membres de l’Age Verification Providers Association
(AVPA). L’adhésion à cette organisation à but non lucratif est ouverte
aux entreprises indépendantes proposant des services de vérification
de l’âge, qui sont tenues de se conformer au code de conduite de
l’AVPA. Ce code énonce des normes importantes en matière de respect
de la vie privée, de fourniture de méthodes de vérification de l’âge
adaptées, d’exactitude, d’indépendance et de responsabilité
. Un organisme d’évaluation de la
conformité baptisé Age Check Certification Scheme a été mis en place
pour s’assurer du bon fonctionnement des systèmes de vérification
de l’âge. Il dispose d’une équipe de jeunes gens bien réels, qui
utilisent de fausses dates de naissance, produisent de faux documents et
entrent de faux renseignements pour tenter de tromper les systèmes.
Une méthode de vérification de l’âge ne peut être efficace que si
elle est testée et éprouvée. En ce qui concerne l’estimation de
l’âge en tant que service, l’élément clé réside dans le fait que
l’image est instantanément supprimée et en aucun cas conservée. Ce
procédé est également employé en tant qu’indicateur de consentement
parental discret afin de prouver qu’un adulte est lui-même en âge
d’être parent, de la même manière que l’utilisation d’une carte
de crédit
.
34. En 2020, le Parlement français a adopté une loi instaurant
l’introduction d’un système national de vérification de l’âge pour
les sites pornographiques. La loi en question laisse aux sites la
liberté de décider de la manière de procéder à cette vérification.
L’une des mesures les plus prisées semble être de demander aux utilisateurs
de saisir un numéro de carte de crédit
. Pour sa part, la législation allemande
dispose que les fournisseurs de contenus extrêmes, notamment violents
ou pornographiques, ont le choix entre différentes options, dont
la vérification de l’âge, pour s’assurer de leur conformité avec
la loi
. Une action répressive est également
menée et vise les sites internet établis dans l’Union européenne
en dehors de l’Allemagne
. Les associations allemandes de protection
de la jeunesse peuvent demander aux fournisseurs d’accès à internet de
bloquer les portails de contenus pornographiques qui ne vérifient
pas l’âge de leurs utilisateurs. En juin 2020, la Commission chargée
de la protection de la jeunesse dans le domaine des médias a décidé
de bloquer plusieurs sites pornographiques, ce qui a donné lieu,
en septembre 2020, à la formation de recours contre cette mesure.
Il a fallu plus d’un an aux juges administratifs pour traiter les
plaintes dans le cadre de procédures accélérées
.
35. Au Royaume-Uni, le gouvernement a promulgué la loi sur l’économie
numérique de 2017. Les défenseurs des enfants et les organisations
caritatives ont salué cette réalisation, la qualifiante d’étape importante
pour faire du Royaume-Uni l’endroit le plus sûr du monde pour les
enfants où naviguer en ligne. Le British Board of Film Classification
a également élaboré une méthode de certification de l’âge avec la
société de cybersécurité NCC Group. Certains fournisseurs de services
de vérification de l’âge ont fait l’objet d’un contrôle fondé sur
ce dispositif et ont été jugés prêts. Cependant, face à une élection
imminente, le gouvernement a demandé au dernier moment l’arrêt de
sa mise en œuvre, faisant valoir qu’il convenait d’inclure la restriction
de l’accès aux sites pornographiques dans un ensemble plus large
de mesures visant également à intégrer les médias sociaux dans son
champ d’application. Les organisations de défense des enfants ont
vivement critiqué ce report. Par ailleurs, l’Open Rights Group a
été établi en vue de protéger les droits numériques des citoyens
britanniques, notamment en matière de vie privée et de liberté d’expression. Ses
membres s’inquiétaient des risques en termes de respect de la vie
privée liés aux projets de vérification de l’âge des sites web pornographiques
destinés aux adultes, proposés dans la loi sur l’économie numérique de
2017. Tout en affirmant que les enfants doivent être protégés contre
l’exposition à des contenus préjudiciables tels que la pornographie,
le groupe a soutenu que le système de vérification de l’âge proposé par
le Royaume-Uni était imparfait et engendrerait d’autres problèmes.
Les règles de confidentialité étaient inscrites dans un code de
pratique qui faisait uniquement office de guide et n’avait pas de
valeur juridique. Les sites pornographiques moins scrupuleux feraient
fi du code, créant ainsi des systèmes susceptibles d’exposer leurs
clients à des risques de chantage ou à des situations embarrassantes.
De plus, le coût lié à la mise en œuvre d’un dispositif de vérification
de l’âge favoriserait immanquablement les entreprises les plus riches
au détriment des plus pauvres, renforçant ainsi le poids des grands
acteurs établis. Un projet de loi sur la sécurité en ligne doit
être examiné en mars 2022, son adoption étant espérée d’ici la fin
de l’année. Autrement dit, cinq ans pourraient s’écouler avant l’entrée
en vigueur de la nouvelle loi sur la pornographie.
36. Comme l’ont souligné les fournisseurs de contenus réservés
aux adultes, l’intégration d’une procédure de vérification de l’âge
n’est pas une tâche aisée. Cependant, au cours des dernières années,
de nombreuses méthodes ont évolué, et les fournisseurs de services
de vérification de l’âge indiquent que l’intégration peut être réalisée
en moins de 2 heures. Bien que les innovations se poursuivent, cette
technologie n’est plus quelque chose de très nouveau. Si le secteur
des jeux d’argent fait appel à des transactions financières, la situation
est totalement différente lorsqu’il est question de contenus destinés
à des adultes, dans la mesure où les personnes concernées ont coutume
de garder l’anonymat et estiment que leur navigation sur des sites
pour adultes est un sujet extrêmement sensible. Pour assurer un
niveau de protection des enfants supérieur à celui qui est actuellement
en place avec la surveillance et les contrôles parentaux, et prévenir
la création de nouveaux problèmes, il convient d’établir des règles
du jeu équitables pour tous les sites hébergeant des contenus s’adressant
à des adultes, qu’il s’agisse de sites spécialisés dans ce domaine
ou de sites grand public incluant des contenus réservés aux adultes.
Le manquement aux règles ne doit pas profiter, et il faut au contraire
encourager leur respect afin d’éviter aux internautes les risques
bien réels auxquels ils s’exposent en se rendant sur des sites dont
les normes de sécurité ou de conformité des contenus sont faibles
voire inexistantes. Il convient aussi d’associer les moteurs de
recherche en ligne afin d’empêcher la promotion de sites non conformes.
La loi doit être « musclée » et mise en application très rapidement.
La confidentialité et l’intégrité des données des usagers sont primordiales
et doivent être protégées efficacement. Les fournisseurs de mécanismes
de vérification de l’âge doivent être agréés et soigneusement contrôlés
, et
il faut faire preuve de souplesse quant à la façon dont les systèmes
de vérification de l’âge sont utilisés. Ces dispositifs doivent être
financièrement abordables et capables de s’adapter à de grands volumes.
Enfin, il y a lieu de mener une action éducative d’envergure à l’intention
des parents et des personnes qui ont la charge d’enfants sur les outils
déjà disponibles, mais aussi à l’intention du public dans son ensemble,
en ce qui concerne la confiance dans les systèmes de vérification
de l’âge et la confidentialité des données.
37. Pour éviter les conflits d’intérêts et offrir un niveau de
protection supplémentaire, la vérification de l’âge doit être effectuée
de manière indépendante par des tiers dûment approuvés et réglementés
. Des services très divers commencent
à être commercialisés. La poursuite du développement vers un marché
bien portant de la vérification de l’âge doit être encouragée. Par
ailleurs, la technologie devrait faciliter la navigation des internautes
sur le Web. On peut espérer que d’ici quelques années, il sera communément
admis que les utilisateurs doivent prouver qu’ils ont l’âge requis
pour accéder aux contenus et services proposés par tous les sites
internet. La définition de normes, d’une réglementation et d’une
certification internationales, devrait accompagner un tel changement.
38. Enfin, les régulateurs devraient contrôler les sites de contenu
pour adultes utilisant la technologie de vérification de l’âge,
afin d’évaluer si les méthodes qu’ils utilisent sont efficaces.
Par exemple, la BBC a réalisé un documentaire intitulé Nudes4sale, dans lequel elle a constaté,
à l’aide d’une technologie d’estimation de l’âge facial, que plus
de 32 % des personnes qui avaient consulté un jour donné un site
internet interdit aux moins de 18 ans avaient moins de 17 ans. Il
peut être nécessaire de coordonner l’utilisation de ce type de contrôle
entre les juridictions afin de partager les ressources. Au Royaume-Uni,
la loi sur l’économie numérique prévoit une obligation légale de
coopération imposant aux sociétés de traitement des paiements de
bloquer les paiements et aux fournisseurs d’accès à internet de
bloquer certaines adresses URL, ce qu’elles font déjà depuis de
nombreuses années pour les contenus montrant des violences sur enfants.
Mastercard, en particulier, a été très favorable à cette initiative.
Toujours au Royaume-Uni, les régulateurs examinent actuellement
la manière dont les avatars (illustrations graphiques personnalisées
qui représentent un utilisateur d’ordinateur) peuvent procéder à
des achats tests (pratique qui vise à garantir la conformité des entités
commerciales avec la réglementation sur les restrictions d’âge).
L’idée poursuivie est d’automatiser ce processus et d’éviter les
problèmes éthiques liés aux achats tests effectués par de jeunes
mineurs.
39. Les mesures de vérification de l’âge, si elles sont nécessaires,
peuvent néanmoins affecter la capacité des utilisateurs à rester
anonymes en ligne et porter ainsi atteinte au respect du droit à
la vie privée. L’article 8 de la Convention relative aux droits
de l’enfant énonce que les enfants ont le droit de préserver leur
identité, tandis que l’article 8 de la Convention européenne des
droits de l’homme (ETS n° 5) dispose qu’ils ont droit au respect
de la vie privée et familiale. L’anonymat en ligne peut protéger
les enfants contre les cybercriminels ou les messages commerciaux
envahissants, mais il peut aussi compliquer la tâche des autorités
chargées de faire respecter la loi pour détecter et prévenir les
infractions
. Il est donc essentiel de
veiller à ce que les outils de vérification de l’âge soient créés
de manière à garantir un niveau maximal de protection de la vie
privée, tout en permettant une action efficace contre les activités
criminelles.
5.3. Éducation
et sensibilisation
40. Les écoles devraient jouer
un rôle plus important dans la lutte contre l’exposition des enfants
aux contenus pornographiques. Les programmes efficaces d’éducation
et de sensibilisation devraient être soutenus de manière systématique.
Certains de mes collègues de la commission des questions sociales,
de la santé et du développement durable ont fait part de leur crainte
que le fait d’aborder le sujet de la pornographie à l’école ne suscite
l’intérêt d’enfants qui, sans cela, n’auraient pas l’idée d’accéder
à des sites proposant des contenus réservés aux adultes. C’est certainement
un argument valable. Cependant d’après les experts, l’ampleur actuelle
de l’exposition des enfants à la pornographie l’emporte sur les
risques susmentionnés. Qui plus est, la sexualité fait partie de
la nature humaine, et la découverte sexuelle commence le plus souvent
dans l’enfance. La tenue dans le cadre de la classe de discussions
adaptées à l’âge et à la sensibilité affective, animées par des
enseignants bien formés, est certainement préférable à une exposition brutale
à des contenus non contrôlés (les images les plus choquantes étant
celles qui attirent souvent le plus l’attention du public)
.
41. Une éducation à la sexualité adaptée à l’âge et complète devrait
figurer dans les programmes scolaires. Les professionnels de l’éducation
devraient recevoir une formation appropriée pour qu’une communication ouverte
puisse s’instaurer avec les enfants, sur la base des principes de
respect de la dignité humaine et de l’égalité entre hommes et femmes,
et en faisant appel à l’esprit critique
.
Nous devrions être confiants dans le fait que les jeunes, même à
un âge précoce, peuvent réfléchir aux messages véhiculés par les
contenus à caractère sexuel et comprendre les différences entre
les relations dans la vie réelle et la « fiction » de la pornographie
.
De nombreux experts européens considèrent également que des programmes
d’éducation adaptés sont un moyen de prévenir la violence entre
enfants, que ce soit sous la forme d’une violence entre pairs ou
d’une violence dirigée contre des enfants plus jeunes. Une éducation
à la sexualité complète et adaptée à l’âge permettra une intervention
précoce en cas de « comportement sexuel préjudiciable » envers autrui
(dans un continuum allant du comportement normal au comportement
violent)
.
42. Pour l’heure, l’éducation à la sexualité, lorsqu’elle est
dispensée dans les établissements scolaires, est souvent insuffisante.
Beaucoup d’enseignants sont peu armés pour aborder ce sujet sensible.
Les jeunes jugent les cours désuets et estiment qu’ils ne reflètent
pas leur vie et ne leur donnent pas les outils nécessaires pour
naviguer dans le monde hypersexualisé d’aujourd’hui. Les professionnels
chargés d’enseigner à la génération suivante ce que sont l’amour
et le sexe, le consentement, les abus et les pratiques illégales,
doivent être pleinement soutenus. En outre, tous les pays ne sont
pas encore parvenus à un consensus social sur les rôles que les
écoles et les familles devraient respectivement jouer dans ce domaine,
ce qui suscite des débats controversés tant dans la sphère politique
que dans la sphère publique. Face à un vide créé par la société,
de nombreux enfants se tourneront vers des informations librement
accessibles sur les réseaux numériques, dont le contenu est au cœur
même du présent rapport.
43. Nous devons nous attacher non seulement à mettre en œuvre
des stratégies de réduction des risques, mais aussi à accompagner
les parents, et les personnes qui ont la charge d’enfants, dans
l’éducation de leurs enfants à des relations sûres et respectueuses
tant en ligne que dans leur vie quotidienne. Il s’agit notamment de
sensibiliser à la sécurité sur internet, de créer des possibilités
de formation et de proposer l’intervention de psychologues, de travailleurs
sociaux, et d’autres spécialistes dans ce domaine.
44. Il faut en outre encourager activement une éducation parentale
positive, car l’éducation sous la contrainte induit souvent des
comportements de recherche de réconfort, notamment un temps d’écran
excessif et l’utilisation de contenus pornographiques
.
Plus généralement, la qualité des relations parents-enfants ou personnes
en charge-enfants est un facteur important dans la probabilité de
l’exposition à la pornographie. Les enfants qui ont un lien affectif
médiocre avec leurs parents ou les personnes qui s’occupent d’eux
sont deux fois plus susceptibles que les autres de rechercher du
matériel sexuellement explicite en ligne. Les politiques sociales,
y compris les politiques de l’emploi, doivent donner aux parents
et aux autres personnes en charge des enfants les moyens de passer
du temps avec eux et les y encourager.
45. L’American College of Paediatricians demande instamment aux
professionnels de santé de sensibiliser les patients et leurs familles
aux risques liés à la consommation de pornographie et de proposer
des ressources permettant à la fois de protéger les enfants contre
le visionnage de tels contenus et de traiter les personnes souffrant
de ses effets négatifs
.
6. Coopération
internationale
46. Des progrès notables ont été
accomplis ces dernières décennies dans le domaine de la protection
des enfants contre les abus sexuels. La Convention du Conseil de
l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et
les abus sexuels (STCE n° 201, Convention de Lanzarote) a été ratifiée
par l’ensemble des États membres du Conseil, ainsi que par la Tunisie,
ce qui en fait l’un des instruments juridiques du Conseil de l’Europe
le plus ratifié. La recommandation CM/Rec(2018)7 du Comité des Ministres
sur les « Lignes directrices relatives au respect, à la protection
et à la réalisation des droits de l’enfant dans l’environnement numérique »
a été adoptée en 2018. Avec son Manuel pour les décideurs politiques,
elle sert de référence, non seulement aux gouvernements nationaux,
aux ONG et aux universitaires, mais aussi, de plus en plus, au secteur
privé, qui interagit régulièrement avec le Conseil de l’Europe dans
le cadre des nouvelles activités du « partenariat numérique »
.
47. La Commission européenne finance actuellement un consortium
composé d’experts universitaires spécialisés dans les droits de
l’enfant et le respect de la vie privée, et de fournisseurs de technologies,
qui a pour objectif de mettre en service les extensions de l’infrastructure
eIDAS
requises pour
donner corps à sa vision d’un système paneuropéen, ouvert, sécurisé
et certifié de vérification de l’âge et de consentement parental
interopérable, pour accéder aux services de la société de l’information
. Le consortium euCONSENT est censé
mettre sa technologie à l’essai au début de l’année 2022, pour un
lancement prévu d’ici l’été de la même année. Il entend garantir
à tous les fournisseurs de services une application égale sur la
base de normes claires, ainsi que le respect de la vie privée des
utilisateurs et de leur sécurité.
7. Vue
d’ensemble: la rentabilité de l’industrie pornographique face à
l’intérêt général
48. Pour élaborer des stratégies
efficaces de lutte contre l’exposition des enfants à la pornographie,
il nous faut examiner le modèle économique de ce marché. Apparemment,
les deux secteurs les plus lucratifs sont les services par abonnement
et la publicité (relative principalement à des services liés à la
pornographie). Ces deux secteurs se nourrissent souvent l’un de
l’autre
. Le fait de visionner des contenus
pornographiques crée vraisemblablement une demande en matière d’achat
d’accessoires sexuels, de services par abonnement et de chirurgie
esthétique des organes génitaux. Une dépendance précoce des enfants
à la pornographie se traduit par une augmentation des profits futurs.
Si l’accès illimité des enfants à la pornographie engendre un problème
important de dysfonctions érectiles chez les jeunes hommes, la demande
de Viagra ne fera que croître.
49. Même s’il est impossible d’évaluer avec précision le poids
économique de l’industrie de la pornographie, elle figure clairement
parmi les secteurs commerciaux les plus rentables, avec des estimations
allant de 6 à 97 milliards de dollars par an. Le secteur fait preuve
d’une grande capacité d’adaptation. Ses entreprises conçoivent de
nouveaux modèles économiques autour de l’octroi de licences, des
cours éducatifs, des webcams en direct, de la production participative,
de l’organisation d’événements et du commerce. Il dispose de ses
propres publications commerciales, événements, agents de talents
et lobbyistes, et peut exercer une influence sur les législateurs.
Les entreprises pornographiques sont les premiers adeptes de nombreuses fonctionnalités
technologiques, telles que les transactions par carte de crédit
numérique, la messagerie instantanée, la diffusion de fichiers vidéo
en continu (
streaming) et
la réalité virtuelle. Beaucoup d’autres entreprises dont les secteurs
d’activité n’ont apparemment rien à avoir avec le sexe profitent
aussi indirectement de la pornographie. C’est le cas, par exemple,
de certains opérateurs de téléphonie, fournisseurs de télévision
par satellite et chaînes hôtelières. La pornographie est également
une source importante de recettes fiscales
. L’industrie de la pornographie
est de toute évidence un géant, qui déploie ses « tentacules » dans
de nombreuses sphères de la vie publique et privée.
50. Le poids social et économique de la consommation de masse
de pornographie est encore plus difficile à évaluer que les profits
engrangés par ce secteur. La honte, la stigmatisation, la complicité
de la société et les puissants intérêts en jeu qui le caractérisent
contribuent également à son opacité. En soumettant cette question
à un débat public et à un examen parlementaire plus rigoureux, nous
faisons un premier pas dans la bonne direction.
8. Conclusions
et recommandations
51. L’exposition des enfants à
des contenus pornographiques nuit à leur développement personnel.
Elle est nuisible à l’avenir de nos sociétés. Les États membres
du Conseil de l’Europe doivent agir avec plus de détermination pour
protéger les enfants contre l’exposition à des contenus pornographiques.
Bien qu’il n’y ait pas de solution facile, plusieurs solutions ont
été retenues et sont en cours de mise en œuvre.
52. Des progrès importants ont été réalisés en ce qui concerne
les technologies de vérification de l’âge. Elles peuvent être sûres,
conviviales et fiables. Toutefois, le succès de leur introduction
passe par des investissements financiers massifs, le soutien d’une
législation pertinente et une mise en application impartiale et
systématique. En outre, il est essentiel de veiller à ce que les
régulateurs créent des conditions de concurrence équitables lorsqu’ils
imposent des obligations en matière de vérification de l’âge, tant
en ce qui concerne les fournisseurs spécialisés de matériel pornographique
que les plateformes grand public qui proposent des contenus pour
adultes. Sinon, il ne sera pas possible de demander aux sites web
eux-mêmes de coopérer à la mise en œuvre des dispositifs de vérification.
Or il est de loin préférable d’obtenir leur coopération que de les
contraindre à se conformer.
53. L’ampleur actuelle de l’exposition des enfants à la pornographie
appelle des réponses proportionnées. Il est crucial d’élaborer des
méthodes d’application qui puissent être utilisées à grande échelle,
plutôt que de recourir à de nombreuses ordonnances judiciaires pour
régler les litiges.
54. En ce qui concerne la difficulté de faire appliquer la loi
de manière extraterritoriale, les experts proposent de se pencher
sur les services de soutien dans le pays en question, qui permettent
aux utilisateurs d’accéder à des contenus destinés aux adultes.
Il faudrait accorder davantage d’attention au rôle que les institutions financières,
les banques, les opérateurs de télécommunications, les fournisseurs
d’accès à internet et d’URL, les organisations sportives, les acteurs
du secteur des voyages et du tourisme et les organisations non gouvernementales
peuvent jouer dans l’amélioration des politiques stratégiques de
protection de l’enfance dans ce domaine. Il importe, à cet égard,
de renforcer le dialogue et la coopération avec ces parties prenantes, en
s’appuyant sur les connaissances techniques pertinentes et les enseignements
tirés de l’expérience. En revanche, des sanctions importantes sont
nécessaires pour décourager la non-conformité. Ces sanctions devraient
être inscrites dans la législation et appliquées de façon cohérente
dans la pratique.
55. Les dispositifs de contrôle parental et de blocage des publicités
peuvent être d’une aide précieuse. Ces contrôles de sécurité devraient
être installés par défaut sur tous les appareils concernés, et être
faciles d’utilisation. Ils doivent être suffisamment efficaces pour
empêcher l’accès à des contenus destinés aux adultes sur les appareils
utilisés par les enfants.
56. L’éducation a un rôle essentiel à jouer s’agissant de dispenser
une éducation à la sexualité adaptée à l’âge et complète, qui prépare
les enfants à avoir des relations sexuelles saines fondées sur le
respect, l’attention et l’amour, tout en tenant compte de leur âge
et de leur degré de maturité. Même si la sexualité est un aspect
important de l’existence humaine, les enfants ne devraient pas être
poussés ou forcés à la découvrir. Dans le même temps, ils devraient
avoir accès à des informations appropriées, proposées dans des environnements
sûrs et en bénéficiant de l’aide de professionnels dûment formés,
plutôt que de chercher à s’informer sur internet, où les contenus
les plus scandaleux et choquants suscitent généralement le plus d’attention
et gagnent ainsi en visibilité.
57. L’élaboration de normes internationales sur la protection
des enfants contre les abus sexuels a enregistré des progrès considérables
au cours des dernières décennies. Cependant, les instruments nationaux
et internationaux existants ne semblent pas offrir une protection
suffisante aux enfants contre l’exposition aux contenus pornographiques.
De nombreux textes et lignes directrices ont été élaborés et rédigés
à une époque où internet, les réseaux sociaux et les technologies
de l’information et de la communication n’en étaient qu’à leurs
débuts et où les contenus sexuellement explicites n’étaient pas
aussi étroitement liés à la présence d’un environnement numérique
aisément accessible. Nous devons faire en sorte de disposer de normes
et de lignes directrices à jour répondant aux besoins actuels de
protection des enfants dans ce domaine.
58. Enfin, nous devons nous efforcer de renforcer les défenses
de nos sociétés face à la course aux profits. Les contenus pour
adultes constituent un commerce extrêmement lucratif. Le fait d’avoir
aujourd’hui la possibilité de produire, de partager et de consommer
des volumes illimités de ce type de contenu ne signifie pas pour
autant que nous devrions le faire. Même si « le sexe fait vendre »,
chaque publicité ou programme de divertissement ne doit pas nécessairement
contenir des images à connotation sexuelle. Nous devons déterminer
le lieu et le moment appropriés pour diffuser des contenus destinés
aux adultes.
59. Mais surtout, les stratégies de lutte contre l’exposition
des enfants à la pornographie doivent être cohérentes et complètes.
Pour garantir leur efficacité, nous devons tenir compte de la capacité
de l’industrie de la pornographie à générer des profits colossaux
et à influer sur d’autres sphères de la vie. Tant dans le cadre
de mes travaux de recherche documentaire qu’à l’occasion de mes
contacts avec des experts, j’ai pris connaissance de cas où des
lois ont été rédigées, mais n’ont pas été adoptées ou, si elles
ont été adoptées, n’ont jamais été appliquées. J’ai aussi rencontré
des exemples d’enquêtes de police bloquées en raison d’un flou juridique,
ou de solutions techniques qui ont été mises au point, mais n’ont
jamais été pleinement appliquées, parce qu’elles n’étaient pas suffisamment
conviviales, étaient aisément contournables ou tout simplement inadaptées.
Que ce soit par manque de volonté politique, sous la pression de
puissants lobbies, ou encore par résignation face à un phénomène
perçu comme ingérable et inévitable – nous sommes pour l’heure incapables
de résoudre collectivement ce problème. La principale conclusion
à tirer du présent rapport est sans doute que la lutte contre l’exposition
des enfants à la pornographie ne doit pas être confiée à un groupe
de personnes et d’associations concernées. Elle doit devenir une
priorité pour l’ensemble de la société, les médias devant se comporter
de manière responsable et les gouvernements devant rendre compte
des mesures prises pour répondre à ce problème.