1. Introduction
1. Conformément à son mandat défini
dans la
Résolution 1115
(1997) (telle que modifiée), la commission de suivi est saisie
pour procéder à des examens périodiques réguliers du respect par
les États membres qui ne font pas déjà l’objet d’une procédure complète
de suivi ni d’un dialogue postsuivi des obligations contractées
lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe. Depuis l’adoption
de la
Résolution 2261
(2019), les rapports d’examen périodique sont soumis pour débat
de manière indépendante, accompagnés de résolutions spécifiques
à chaque pays. En ce qui concerne l'ordre et la fréquence des examens
périodiques, la commission de suivi opère une sélection des pays
motivée par des raisons de fond, selon ses méthodes de travail internes,
dans l'objectif de consacrer, au fil du temps, des examens périodiques
à tous les États membres.
2. Le 6 mars 2019, la commission de suivi a choisi quatre pays
– la France, la Hongrie, Malte et la Roumanie – pour faire l'objet
d'un examen périodique. À la suite de la décision du Bureau de modifier
la liste des pays, à laquelle s'est opposée la commission de suivi,
un avis sur l'interprétation des règles en vigueur a été demandé
à la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles.
Dans l'attente de ces éclaircissements, la commission de suivi a
décidé, le 16 mai 2019, de suspendre l’élaboration des autres rapports
d'examen périodique, dont celui sur Malte. L'avis de la commission
du Règlement a été adopté en janvier 2020. Le 16 janvier 2020, la
commission de suivi a décidé de reprendre l’élaboration des rapports d'examen
périodique. Malheureusement, celle-ci a encore été retardée par
le déclenchement de la pandémie mondiale de covid-19. En particulier,
la pandémie a retardé l'organisation d'une visite d'information
dans le pays, qui constitue un élément essentiel du processus d'élaboration
de tout rapport de suivi.
3. Le 22 juin 2020, M. Bernard Fournier (France, PPE/DC) et Mme Rósa
Björk Brynjólfsdóttir (Islande, GUE) ont été nommés rapporteurs.
Le 15 avril 2021, M. George Loucaides (Chypre, GUE) a été nommé rapporteur
à la place de Mme Brynjólfsdóttir, cette
dernière ayant quitté l'Assemblée. Dès que la situation épidémique
l'a permis, une visite d'information a été organisée à Malte. Elle
s'est déroulée du 25 au 27 octobre 2021. Nous tenons à remercier
le Parlement maltais pour son assistance dans l’organisation de cette
visite.
4. Malte a adhéré au Conseil de l’Europe le 29 avril 1965, devenant
ainsi son 18ème État membre. Récemment,
le pays a fait l'objet d'une très grande attention de la part de
l’Assemblée parlementaire depuis l'assassinat, le 16 octobre 2017,
de Daphne Caruana Galizia, journaliste spécialisée dans les faits
de corruption. Cet assassinat largement condamné par la communauté
internationale a donné lieu à l'adoption par l'Assemblée, le 26 juin 2019,
de la
Résolution 2293
(2019) «L’assassinat de Daphne Caruana Galizia et l’État de
droit à Malte et ailleurs: veiller à ce que toute la lumière soit
faite». La résolution se fonde sur le rapport de M. Pieter Omtzigt
(Pays-Bas, PPE/DC), élaboré pour la commission des questions juridiques
et des droits de l'homme
.
5. En élaborant son rapport sur le meurtre de Daphne Caruana
Galizia et sur la réaction des autorités à celui-ci, M. Omtzigt
a souligné une série de défaillances graves dans le fonctionnement
des institutions démocratiques maltaises. Les conclusions du rapport
concernant le dysfonctionnement du cadre institutionnel de Malte
ont été confirmées et développées par la Commission européenne pour
la démocratie par le droit (Commission de Venise) dans son «Avis
sur les dispositions constitutionnelles, la séparation des pouvoirs
et l’indépendance des organes judiciaires et répressifs [à Malte]»
, demandé par la commission des questions juridiques
et des droits de l'homme
. Dans son avis, la Commission
de Venise a conclu que les défaillances constatées nuisaient au
bon fonctionnement du système de contre-pouvoirs dans le pays et
à l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport à l’exécutif.
6. Le rapport de M. Omtzigt et l’avis ultérieur de la Commission
de Venise qui ont mis au jour une série de lacunes systémiques dans
les institutions démocratiques et de l’État de droit à Malte ont
été décrits par la plupart de nos interlocuteurs, y compris par
les représentants de la majorité au pouvoir et de l’opposition, comme
un tournant pour le pays. En effet, pour remédier aux dysfonctionnements
révélés, plusieurs réformes relatives au système constitutionnel
de contre-pouvoirs et au pouvoir judiciaire ont été engagées par
les autorités, en consultation étroite avec la Commission de Venise.
L’évaluation de ces réformes et les recommandations y afférant représenteront
une partie importante de ce rapport, qui abordera également la lutte
contre la corruption, l’environnement médiatique et certaines questions
relatives aux droits de l’homme. Si le présent rapport s’appuie
sur plusieurs éléments mentionnés dans le rapport de M. Omtzigt,
il convient de souligner dès le départ que l’enquête relative à
l’assassinat de Mme Daphne Caruana Galizia
et la réaction du gouvernement à celui-ci n’entrent pas dans le
cadre de ce rapport. Néanmoins, nous encourageons vivement les autorités,
et bien entendu l’ensemble des forces politiques de Malte, à donner
suite aux conclusions et à mettre pleinement en œuvre les recommandations
formulées par la commission indépendante d’enquête publique dans
son rapport sur l’assassinat de Mme Caruana
Galizia et la réaction des autorités à celui-ci.
2. Institutions démocratiques
7. Comme nous l’avons précédemment
indiqué, les observations et conclusions formulées par la Commission
de Venise dans son avis ont représenté un tournant pour le pays,
qui a engagé une série de réformes de son cadre constitutionnel
et institutionnel. En vue de préparer et de mettre en œuvre ces
réformes, deux avis supplémentaires ont été demandés par les autorités
à la Commission de Venise, l'un «sur des propositions de modifications
législatives pour donner suite aux recommandations de la Commission
de Venise»
et l'autre sur «dix lois et projets
de loi mettant en œuvre des propositions législatives objets de
l'avis CDL-AD(2020)006»
. Dans les paragraphes suivants,
nous dresserons un état des lieux du fonctionnement des principales
institutions démocratiques de Malte.
8. La mise en place d’un ensemble constitutionnel clairement
défini et opérationnel de contre-pouvoirs est d’autant plus importante
dans le contexte d’une polarisation politique et sociale profondément
enracinée à Malte, qui imprègne presque tous les aspects de la société
maltaise et met en danger le fonctionnement de ses institutions
démocratiques.
2.1. Parlement
9. Malte est une république parlementaire
dotée d'un parlement monocaméral. Le parlement comprend 79
sièges et est élu selon
le principe de la représentation proportionnelle (scrutin à vote
unique transférable). Peut-être aussi en raison de raisons historiques,
le paysage politique est, de fait, un système bipartite partagé entre
le parti travailliste et le parti nationaliste, qui est actuellement
dans l'opposition. Le parti travailliste est au pouvoir depuis 2013.
10. À Malte, les députés exercent leurs fonctions à temps partiel
et ont généralement besoin d’un emploi secondaire pour couvrir leurs
frais de subsistance. Ils ont donc moins de temps à consacrer à
leur activité parlementaire et au contrôle de l’action du gouvernement.
Par conséquent, comme l’a fait observer la Commission de Venise,
le parlement est une institution plutôt faible qui peine à remplir
correctement son rôle de surveillance de l’exécutif, surtout dans
une société de plus en plus complexe et interdépendante. Cette situation
est encore exacerbée par le fait que la Constitution exige que les
ministres maltais (actuellement au nombre de 26
)
soient aussi députés. De plus, afin de compléter leur salaire parlementaire,
de nombreux députés occupent des fonctions au sein d’«organes officiellement
désignés», et dépendent pour leur nomination du Premier ministre.
Compte tenu de la petite taille du Parlement maltais, cela signifie
que plus d'un quart des députés exercent des fonctions au sein des
organes gouvernementaux qu'ils sont censés contrôler et en dépendent
financièrement, ce qui affaiblit le contrôle parlementaire et augmente
les risques de conflits d'intérêts.
11. Le contrôle parlementaire est encore affaibli par le fait
que l’exercice à temps partiel de la fonction de député réduit également
le temps dont ils disposent pour préparer les débats et les projets
de loi. Pendant notre visite, nous avons été informés qu’en conséquence,
l’essentiel, si ce n’est l’ensemble de la législation, était préparé
par le gouvernement, affaiblissant ainsi la fonction législative
du parlement. Il faut également ajouter qu’un parlement à temps
partiel a besoin d’un important personnel de soutien parlementaire
pour effectuer des recherches et préparer les débats et les projets
de loi, ce dont il ne dispose pas pour le moment. La Commission
de Venise a par conséquent recommandé d'accroître le personnel parlementaire
pour assister les députés dans leur travail et de créer un «Conseil
d'État» chargé de conseiller le gouvernement et le parlement en
matière de gouvernance et de législation, rôle actuellement assumé
par l’avocat de l’État (State Advocate). Pour la Commission de Venise,
la création d'un tel conseil contribuerait à accroître la quantité
et la qualité des informations indépendantes dont disposent les
députés pour s'acquitter de leurs tâches
.
12. Comme nous l’avons indiqué au sujet de la nomination des députés
au sein d’«organes officiellement désignés», l’exercice à temps
partiel de la fonction de député à Malte rend le parlement, et en
conséquence le système de gouvernance maltais en tant que tel, vulnérable
aux conflits d’intérêts et à la corruption. Le fait que la plupart
des députés soient contraints d’exercer une activité lucrative parallèlement
à leur fonction parlementaire, dans une petite société telle que
Malte, augmente considérablement les risques de conflits d’intérêts
et affaiblit le contrôle parlementaire même lorsque les députés
n’occupent pas de poste au sein des «organes officiellement désignés».
Un certain nombre d'affaires récentes
ont malheureusement
montré que la vulnérabilité aux conflits d’intérêts et aux pratiques
de corruption n’était pas strictement hypothétique.
13. Il est regrettable que les réformes récemment mises en œuvre
par les autorités maltaises n’aient pas concerné le parlement et
son fonctionnement. À notre avis, des réformes de grande ampleur
visant à mettre en place un parlement exerçant à temps complet sont
essentielles pour assurer le bon fonctionnement des institutions
démocratiques et du système de gouvernance de Malte. Le parlement
pourra ainsi assurer un véritable contrôle parlementaire sur l’exécutif
et reprendre l’initiative en matière législative. En outre, le passage
à un système dans lequel les députés exercent leurs fonctions à
temps plein et sont correctement rémunérés permettra au parlement
de limiter et de circonscrire considérablement la possibilité pour
les députés d'occuper un emploi secondaire, puisqu'ils n'en sont
plus financièrement dépendants.
14. Pendant notre visite à La Valette, nous avons constaté que
tout en soulignant la nécessité de tenir compte des particularités
résultant de la taille relativement réduite de la société maltaise,
de nombreuses personnes, aussi bien au sein de la majorité au pouvoir
que de l’opposition, étaient favorables à la mise en place d’un
parlement à temps complet. Nous avons appelé l’ensemble des partis
politiques à entamer sans plus tarder le débat sur la réforme du
parlement, pour tirer parti de l’actuel élan réformiste. Nous avons
été informés de ce que les autorités entendaient engager le débat
sur cette question après les élections législatives, ce dont il
faut se féliciter.
15. Bien que favorables à la mise en place d’un parlement siégeant
à temps complet, plusieurs interlocuteurs ont toutefois exprimé
quelques hésitations concernant une interdiction générale des emplois secondaires
pour les députés qui, à leur avis, risquait de conduire certains
candidats qualifiés à ne pas se présenter aux élections législatives.
Nous comprenons, dans une certaine mesure, cet argument, étant donné que
dans plusieurs autres parlements de l’espace géographique du Conseil
de l’Europe, les députés peuvent exercer certaines fonctions secondaires.
Cependant, la liste des fonctions secondaires autorisées – notamment
au sein de ce que l’on appelle les «organes officiellement désignés»
– devrait être clairement définie et délimitée par la loi, afin
d’éviter tout conflit d’intérêts ou toute vulnérabilité aux pratiques
de corruption. Cette liste devrait être dressée dès à présent, sans
attendre la mise en place d’un parlement à temps complet
.
16. La mise en place d’un parlement à temps complet pourrait aussi
permettre un débat sur le réexamen de l’obligation constitutionnelle
imposée aux ministres d’être aussi députés. Supprimer cette obligation
pourrait à la fois renforcer le contrôle parlementaire et accroître
le vivier des candidats qualifiés pour exercer des fonctions ministérielles
à Malte.
17. Le Conseil de l’Europe, et en particulier la Commission de
Venise et l’Assemblée parlementaire, pourrait jouer un rôle important
dans la réforme susmentionnée du parlement en donnant des conseils
et des exemples de bonnes pratiques parlementaires en Europe.
18. Malte dispose d'un cadre juridique complet sur le financement
des partis politiques. Toutefois, de nombreux interlocuteurs, aussi
bien de la majorité au pouvoir que de l’opposition, ont fait savoir
que le financement des partis était un sujet de préoccupation. En
effet, il n’y a actuellement à Malte pas de système de financement
public des partis politiques, ce qui les rend dépendants des dons
privés, notamment de la part d’entreprises et d’autres intérêts
économiques. Il va sans dire qu’une telle dépendance augmente les
risques de conflits d’intérêts et de corruption. Nous exhortons
les forces politiques à mettre en place un financement public des
partis politiques assorti d’un ensemble complet de règles de financement
des partis et des campagnes, conformément aux recommandations du
Groupe d’États contre la corruption (GRECO).
2.2. Président
19. Le Président de Malte est élu
par le Parlement maltais pour un mandat de cinq ans et joue essentiellement
un rôle honorifique. Jusqu'aux récentes réformes, il était élu à
la majorité simple. De même, il y a peu, le Président pouvait être
révoqué par le parlement à la majorité simple, ce qui permettait,
dans les faits, sa nomination et sa révocation par la majorité au
pouvoir. La possibilité qu’avait le Président d'être un contrepoids
indépendant du pouvoir exécutif s'en trouvait dès lors réduite.
La Commission de Venise a par conséquent recommandé que le Président
soit nommé et révoqué à la majorité qualifiée afin de réduire sa dépendance
vis-à-vis de la majorité au pouvoir. En conséquence, en février
2020, des modifications constitutionnelles ont été adoptées de sorte
qu’une majorité qualifiée des deux tiers du parlement soit nécessaire
pour nommer et révoquer le Président. Si aucune majorité des 2/3
ne peut être trouvée pour nommer un président, le président sortant
reste en fonction jusqu'à ce qu'une telle majorité puisse être trouvée. La
Commission de Venise a recommandé de trouver un mécanisme anti-blocage
pour la nomination d'un président qui soit acceptable pour toutes
les parties
. Néanmoins, Il convient de se féliciter
de cette mesure qui vient renforcer la procédure de nomination et
de révocation du Président.
20. Compte tenu du renforcement des pouvoirs présidentiels en
matière de nominations judiciaires (voir ci-après), plusieurs interlocuteurs
ont proposé que Malte s’achemine vers une élection directe du Président.
Son rôle constitutionnel d’arbitre indépendant s’en trouverait ainsi
renforcé et il pourrait exercer un contrôle supplémentaire sur les
pouvoirs du gouvernement. Pour toutes ces raisons, nous recommanderions
en effet de se diriger vers une élection directe du Président. Cependant,
nous tenons à souligner qu’en principe, les normes européennes admettent
aussi bien l’élection directe que l’élection indirecte du Président.
21. Les pouvoirs du Président sont limités. Cependant, son rôle
dans les nominations judiciaires a été considérablement renforcé,
aux dépens du Premier ministre, afin de répondre aux préoccupations
de la Commission de Venise dans son «Avis sur les dispositions constitutionnelles,
la séparation des pouvoirs et l’indépendance des organes judiciaires
et répressifs [à Malte]». Jusqu'à l'adoption, le 29 juillet 2020,
de six lois par le Parlement maltais pour donner suite aux recommandations
de la Commission de Venise, le Président nommait les juges et les
magistrats «conformément à l'avis du Premier ministre». En d'autres
termes, le Président nommait le candidat proposé par le Premier
ministre.
22. De plus, jusqu'en 2016, le Premier ministre était totalement
libre dans ses recommandations. Les premières réformes visant à
limiter les pouvoirs du Premier ministre à cet égard ont été adoptées
en 2016. À la suite de ces réformes, tous les candidats juges, à
l'exception du juge en chef, étaient recommandés au Premier ministre
par la Commission des nominations judiciaires, qui est une sous-commission
de la Commission pour l'administration de la justice (le Conseil
national du pouvoir judiciaire). La Commission des nominations judiciaires
se composait du juge en chef (
Chief Justice),
du médiateur (
Ombudsman),
du procureur général (
Attorney General),
de l’auditeur général (
Auditor General)
et du président de l'ordre des avocats. Cependant, les vacances
judiciaires n'étaient pas publiées et, au lieu de cela, la Commission
des nominations judiciaires avait créé un fichier permanent de candidats
sélectionnés parmi les avocats qui avaient exprimé leur intérêt
à devenir juge
. La commission n'était pas autorisée
à classer les candidats et le Premier ministre était libre de choisir
la personne qu'il préférait dans cette liste de candidats approuvés
lorsqu'un poste devenait vacant.
23. La situation a heureusement évolué et, depuis l'adoption de
la réforme du système de nomination en 2020, la Commission des nominations
judiciaires se compose aujourd’hui du juge en chef, de l’Auditeur général,
du médiateur, du président de l'ordre des avocats, ainsi que de
deux juges et d'un magistrat élus par leurs pairs. Par conséquent,
les juges détiennent la majorité au sein de la Commission des nominations, conformément
aux normes européennes, ce qui constitue une avancée positive. Par
ailleurs, outre l'appel public permanent pour les candidats au poste
de juge, les postes vacants individuels seront désormais publiés. La
Commission des nominations judiciaires sélectionne maintenant une
liste de trois candidats et l’envoie directement, sans l'intervention
du Premier ministre, au Président qui peut librement choisir en
fonction du mérite des candidats. La liste des trois candidats est
rendue publique par le Président, mais seulement après la nomination
du juge. La Commission de Venise avait recommandé que la liste soit
publiée avant la nomination, mais les autorités ont fait valoir
que, dans une petite société comme celle de Malte, cela pourrait conduire
à du lobbying et à des spéculations. La réforme de la structure
de nomination a conféré un nouveau pouvoir considérable au Président
qui n'avait autrement qu'un rôle honorifique, tout en réduisant
les larges pouvoirs discrétionnaires du Premier ministre, et a renforcé
l'indépendance du pouvoir judiciaire, conformément aux recommandations
de la Commission de Venise – et du GRECO.
24. Les réformes ont également modifié la procédure de nomination
du juge en chef, qui joue un rôle clé dans le système judiciaire
maltais. Afin de dépolitiser la procédure de nomination du juge
en chef, comme l'a recommandé la Commission de Venise, le juge en
chef est à présent nommé par le Président, conformément à une résolution
du parlement, adoptée à la majorité des deux tiers. Cependant, si
cela garantit un large soutien politique à la nomination du juge
en chef, il n’existe pas de mécanisme antiblocage. C’est pourquoi
la Commission de Venise a proposé de nommer le juge en chef sur
la base d'une élection par les juges de la Cour suprême en cas d'impasse
au parlement.
2.3. Gouvernement
25. Selon la Constitution maltaise,
le Président est officiellement investi du pouvoir exécutif, mais
ce sont le Cabinet et le Premier ministre qui assument la direction
générale et le contrôle du Gouvernement de Malte
. Comme l'a indiqué
la Commission de Venise dans son avis
, le Premier ministre est au cœur
du pouvoir politique de Malte et a des pouvoirs très larges.
26. Jusqu'à l'adoption des réformes en 2020, le Premier ministre,
entre autres:
- nommait les ministres
parmi les membres de la Chambre des représentants;
- recommandait au Président de Malte les candidats aux postes
de procureur général, de juge en chef et de juge;
- nommait le chef de la police, les conseils de gouvernance
de la police, le commissaire à la sécurité, le commissaire à la
protection des données, ainsi que d'autres hauts fonctionnaires;
- affectait les secrétaires permanents aux départements
ministériels. Dans ce contexte, il convient de noter que le secrétaire
permanent en chef, selon la loi sur l'administration publique, «reçoit
les instructions du Premier ministre»;
- recommandait au Président les membres de la Commission
électorale centrale, de la Commission du service public, de l'Autorité
de l'audiovisuel, de l'Autorité maltaise des services financiers
et de la Commission permanente de lutte contre la corruption.
27. Pour donner suite aux recommandations de la Commission de
Venise, la loi sur les pouvoirs de nomination a été modifiée afin
de limiter les pouvoirs du Premier ministre en matière de nomination
aux postes institutionnels clés. Selon ces modifications, les nominations
du gouverneur, du gouverneur adjoint et des directeurs de la Banque
centrale de Malte, du président de l'Autorité maltaise des services
financiers, des membres du conseil d'administration du Centre d'arbitrage
et du commissaire à l'information et à la protection des données
relèvent désormais du Cabinet des ministres et non plus du Premier
ministre seul.
28. Les réformes récentes ont, dans une certaine mesure, réduit
les pouvoirs et la liberté de décision du Premier ministre en matière
de nomination à des postes clés, mais ce dernier reste très puissant
et sa fonction est toujours insuffisamment contrebalancée par un
ensemble approprié de contrôles et d'équilibres institutionnels.
Comme nous l'avons indiqué ci-dessus, afin de faire effectivement
contrepoids à ces pouvoirs, il convient de mettre en place un véritable
contrôle parlementaire par une réforme du parlement lui permettant de
siéger à temps complet.
29. Le Premier ministre exerce un contrôle considérable sur la
fonction publique maltaise. Jusqu'à la mise en œuvre des réformes,
il nommait tous les secrétaires permanents, qui sont les plus hauts
fonctionnaires des différents ministères, ainsi que le secrétaire
permanent en chef. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Depuis la modification
de l'article 92 de la Constitution (qui régit la fonction de secrétaire
permanent), le secrétaire permanent en chef est nommé par le Président
sur les conseils du Cabinet des ministres et de la commission du
service public. Les secrétaires permanents devraient être nommés
sur la base d'une procédure fondée sur le mérite. Cependant, la
Constitution dispose toujours que le secrétaire permanent en chef
agit sur les instructions du Premier ministre. Par conséquent, par
le biais du secrétaire permanent en chef, qui donne son avis sur
la nomination des secrétaires permanents, le Premier ministre conserve
encore un contrôle considérable sur la fonction publique, ce qui
compromet son indépendance vis-à-vis des forces politiques.
30. Cette situation est encore aggravée par le nombre excessivement
élevé de personnes nommées pour des raisons politiques à des postes
de fonctionnaires. Ces «personnes de confiance», comme on les désigne à
Malte, sont nommées par le Premier ministre en contournant les procédures
normales de nomination à la fonction publique. En l’absence de véritable
base juridique qui définisse ces postes et les critères de nomination,
de nombreuses personnes de confiance sont nommées à des postes qui
ne sont pas considérés comme politiques. Si le nombre de nominations
politiques a toujours été relativement élevé au sein de la fonction
publique maltaise, il aurait cependant explosé sous l’actuel gouvernement.
Il y aurait ainsi actuellement plus de 1 200 personnes de confiance
au sein de la fonction publique maltaise, ce qui est clairement
excessif au vu de la taille de cette dernière. Dans son rapport
sur Malte établi dans le cadre du cinquième cycle d'évaluation,
le GRECO s'est dit préoccupé par le nombre élevé de nominations
politiques et par l'absence de réglementation régissant ces postes,
qui pourrait conduire à du népotisme ou du moins en donner l'impression
. Pour corriger cette situation,
les autorités ont adopté des réformes juridiques dans le but de
limiter les personnes de confiance «aux conseillers de ministres
ou de secrétaires parlementaires, au personnel des secrétariats
des ministres ou des secrétaires parlementaires et aux nominations
à caractère temporaire lorsqu'un poste reste vacant après plusieurs
appels publics à candidature». Cependant, ces réformes ne fixent
toujours pas un nombre maximum de nominations de ce type ni leur
durée et n'empêchent toujours pas les nominations à des postes non
politiques. Pendant notre visite, de nombreux interlocuteurs ont fait
observer que malgré ces réformes, le recours aux personnes de confiance
dans la fonction publique maltaise restait très répandu, ce qui
équivalait à un système de favoritisme avec des risques évidents
de conflit d'intérêts et de corruption. Nous insistons pour que
des réformes supplémentaires soient engagées afin de limiter légalement
l’emploi de «personnes de confiance» à un petit nombre de postes
clairement définis et réglementés.
2.4. Médiateur
31. Le médiateur (ou Ombudsperson) est institué par la
Constitution maltaise et exerce une importante fonction de contrôle
institutionnel sur les autorités. Jusqu'aux récentes réformes, sa
nomination et ses pouvoirs étaient régis par une loi ordinaire,
à savoir la loi sur le médiateur. La Commission de Venise a invité
les autorités à élever sa nomination et ses pouvoirs au niveau constitutionnel,
recommandation qu’elles ont suivie en modifiant la Constitution
en 2020. Le médiateur est désormais nommé par le Président, agissant conformément
à une résolution du parlement adoptée à la majorité des deux tiers.
La majorité qualifiée est également nécessaire pour demander au
Président de révoquer le médiateur, ce qui ne peut être fait que
pour les seuls motifs d'incapacité à exercer ses fonctions ou de
mauvaise conduite avérée. Ces changements ont renforcé la fonction
et l'indépendance du médiateur.
32. Également à la suite des modifications constitutionnelles
susmentionnées, le droit du médiateur de mener des enquêtes indépendantes
a de fait été élevé au niveau constitutionnel, comme l'avait recommandé la
Commission de Venise. Le médiateur peut désormais transmettre des
preuves potentielles de pratiques de corruption directement au procureur
général, bien que le seuil reste très élevé, trop élevé selon plusieurs interlocuteurs.
En vertu de la loi sur le médiateur, ce dernier doit désormais rendre
compte annuellement, ou aussi souvent qu'il ou elle le juge nécessaire,
de ses activités au parlement, qui inscrira son rapport à l'ordre du
jour lors d'une session spéciale. Lors de notre réunion avec le
médiateur, nous avons cependant été informés qu’en dehors du rapport
annuel, les rapports ad hoc et
spéciaux du médiateur recevaient en réalité très peu, voire pas
du tout, d'attention du parlement.
33. La législation régissant l’institution du médiateur comporte
toujours plusieurs lacunes qui doivent être comblées. En effet,
si le médiateur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative
ou à la suite d’une plainte écrite, la formulation de la loi est
très restrictive quant aux personnes qui peuvent déposer une telle
plainte, la limitant dans la pratique aux personnes ayant un intérêt
ou ayant été lésées par une action. Une interprétation très stricte
de cette disposition pourrait par exemple empêcher les organisations
de la société civile de déposer des plaintes. De plus, le droit
de recevoir des informations n'a pas été élevé au niveau constitutionnel
et, comme l'a indiqué lui-même le médiateur à plusieurs reprises,
y compris lors de sa réunion avec nous, le manque d'application
par les autorités maltaises du droit du médiateur à l'information
empêche le bon fonctionnement de cette institution et est préoccupant.
2.5. Convention
constitutionnelle
34. Bien qu'ayant donné suite à
de nombreuses recommandations importantes de la Commission de Venise,
les réformes mises en œuvre en juillet 2020 n'ont été que partielles
et n'ont pas remédié à de nombreuses défaillances systémiques, principalement
en ce qui concerne le fonctionnement du parlement, et le contrôle
et la surveillance parlementaires. Dans son avis sur les réformes
adoptées
, la Commission de Venise a par conséquent
recommandé aux autorités d’engager une réforme constitutionnelle
globale en consultation étroite avec la société maltaise, ce que
nous soutenons sans réserve.
35. Le précédent Président de Malte a par conséquent créé une
Convention constitutionnelle chargée de formuler des modifications
à la Constitution
. L’actuel
Président de Malte, George Vella, entré en fonction le 4 avril 2019,
a maintenu la Convention constitutionnelle et, lors de sa réunion
avec nous, a confirmé qu’il soutenait fermement ce processus.
36. La Convention constitutionnelle n'a pas de pouvoirs exécutifs,
mais fait des recommandations au parlement qui, à la fin, sera chargé
d'adopter les modifications proposées à la Constitution. Nous avons
été informés que la Convention était composée de 150 membres, dont
environ 40 % étaient issus d'organes institutionnels et du monde
universitaire, et les 60 % restants provenaient de la société civile.
Cependant, les représentants de la société civile que nous avons
rencontrés ont dit s’interroger sur la manière dont les membres
de cette convention avaient été sélectionnés, notamment ceux qui
représentaient la société civile, et se sont plaints d'une absence
de consultation.
37. Si plusieurs consultations (en ligne) ont, semble-t-il, eu
lieu et des citoyens ont été invités à faire des suggestions via
un site web dédié, les travaux de la Convention ont été pour la
plupart stoppés par la pandémie de covid-19 et aucun résultat concret
n’a été obtenu.
38. Comme nous l’avons souligné dans le présent rapport, il reste
urgent de procéder à des réformes complètes des institutions démocratiques
et du système institutionnel d’équilibre des pouvoirs de Malte et
il est important que ces réformes de grande ampleur soient soutenues
et acceptées par l’ensemble de la société maltaise. Une Convention
constitutionnelle, si elle repose sur une représentation et une
consultation larges et complètes de la société maltaise, serait
en effet un excellent moyen de préparer ces réformes. Il faut cependant
donner à cette Convention un mandat clair et un calendrier strict
pour accomplir cette tâche, afin que l’adoption des réformes ne
soit pas excessivement retardée.
3. État
de droit
3.1. Réforme
du pouvoir judiciaire
39. La Commission de Venise, le
rapport de M. Omtzigt et la commission d'enquête indépendante créée
par les autorités maltaises ont soulevé plusieurs questions relatives
à l'indépendance du pouvoir judiciaire maltais et se sont déclarés
préoccupés par sa vulnérabilité à la politisation, qui, nuit à sa
capacité à lutter efficacement contre la corruption à Malte
.
40. Le système judiciaire maltais est composé d'une vingtaine
de juges et du même nombre de magistrats de première instance. Il
est dirigé par le juge en chef (Chief Justice). La procédure de
nomination des juges et des magistrats, ainsi que les pouvoirs discrétionnaires
excessifs du Premier ministre dans ce domaine, constituent les principales
failles du système, qui limitent l'indépendance du pouvoir judiciaire.
La procédure de nomination, et les modifications qui y ont été apportées
pour remédier à ces défaillances ont été décrites dans la partie
précédente.
41. La Commission pour l'administration de la justice est le principal
organe de direction du système judiciaire maltais. En vertu des
dispositions constitutionnelles, elle est composée de 10 membres:
le Président de Malte, qui est aussi Président de la commission,
le juge en chef, le procureur général, deux membres élus parmi les
juges des juridictions supérieures, deux membres élus parmi les
magistrats des juridictions inférieures (première instance), un
membre nommé par le Premier ministre et un membre désigné par le
chef de l’opposition et le bâtonnier de l’ordre des avocats. Seul
le Président dispose d’une voix prépondérante et, par conséquent,
les membres nommés par le pouvoir judiciaire disposent de la majorité
des voix au sein de la commission, conformément aux normes européennes.
Le procureur général n’en fait plus partie depuis les réformes adoptées
en juillet 2020.
42. Le Comité des juges et des magistrats, qui est une sous-commission
de la Commission pour l'administration de la justice, est chargé
des procédures disciplinaires. Il peut infliger des avertissements
ou des sanctions pécuniaires pour les infractions mineures, jusqu'à
la suspension d'un magistrat ou d'un juge pour une durée maximale
de six mois pour les atteintes plus graves au code de déontologie
ou aux règles disciplinaires. Pour révoquer un juge, le comité doit
faire rapport à la Commission de l'administration de la justice
en formation plénière. Cette commission, jusqu'à la mise en œuvre
des récentes réformes, pouvait ensuite proposer au parlement de
destituer le juge. Toute décision de démettre un juge de ses fonctions
devait avoir le soutien d'au moins la majorité qualifiée des deux
tiers du parlement. Puisqu'il était très problématique qu'un organe
politique tel que le parlement puisse jouer un rôle décisif dans
la révocation d'un juge, cette procédure a été modifiée par les
réformes adoptées en juillet 2020. La responsabilité finale de la
révocation d'un juge relève maintenant de la seule responsabilité
de la Commission pour l'administration de la justice.
43. La Cour constitutionnelle «statue sur les recours formés à
l’encontre des décisions adoptées par d’autres juridictions en matière
d’interprétation de la Constitution et de validité des lois ainsi
que sur les recours formés à l’encontre des décisions relatives
à des allégations de violation des droits de l’homme fondamentaux. La
Cour constitutionnelle statue également sur la validité de l’élection
des membres du parlement et sur la révocation de leur mandat, ainsi
que sur la validité de l’élection du Président du parlement. Elle
est composée du juge en chef et de deux autres juges»
. Les lois
ou les dispositions jugées inconstitutionnelles par la Cour constitutionnelle
ne sont pas automatiquement annulées ou supprimées de la loi. En
effet, il appartient au parlement de modifier la loi à la suite
d'un arrêt de la Cour constitutionnelle. Ce n’est pas toujours le
cas et, en conséquence, des dispositions anticonstitutionnelles
continuent d'être appliquées, ce qui entraîne des affaires répétitives
devant la Cour constitutionnelle. Comme l'a souligné la Commission
de Venise à diverses occasions concernant différents pays, l'exécution
des arrêts de la Cour constitutionnelle est une exigence essentielle
de l'État de droit. La Commission de Venise a donc recommandé de
modifier la Constitution maltaise de sorte que toute disposition
juridique jugée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle
perde force de loi. Cependant, les autorités ont fait valoir que
cela n'était pas conforme à la tradition juridique de Malte et qu’il
pouvait en résulter de nombreuses complications, notamment en ce
qui concernait le cadre juridique régissant la protection des loyers
à Malte, avec de graves conséquences sociales. Bien que nous comprenions l’importance
du contrôle des loyers, cela ne devrait pas supprimer les effets
d’un arrêt de la Cour constitutionnelle et nous exhortons par conséquent
le parlement à veiller à ce que les dispositions ayant été déclarées
inconstitutionnelles perdent automatiquement et immédiatement leur
valeur juridique, comme l’a recommandé la Commission de Venise.
44. Il y a peu, la grande majorité des poursuites à Malte étaient
exercées par la police, qui est compétente à la fois pour les enquêtes
et les poursuites à Malte. Ce n'était que pour les affaires les
plus graves que le procureur général engageait des poursuites. Dans
son rapport d'évaluation, le GRECO a estimé que le rôle central
de la police était excessif
. En conséquence,
en 2019, des réformes ont été mises en œuvre de sorte que toutes
les infractions passibles de deux ans d'emprisonnement ou plus fassent
l’objet de poursuites par le bureau du procureur général. En ce
qui concerne les infractions passibles de moins de deux ans d’emprisonnement,
les poursuites continuent d’être exercées par la police, mais l’objectif
est de transférer à brève échéance l’exercice de toutes les poursuites
au bureau du procureur général, dès qu’il aura acquis les capacités
nécessaires pour prendre entièrement le relais de la police nationale.
Dans le cadre des mêmes réformes, les fonctions d’avocat de l’État
et de procureur général ont été séparées, conformément aux recommandations
de la Commission de Venise.
45. Il y a peu, les décisions du procureur général de ne pas engager
de poursuites ne pouvaient pas faire l'objet d'un recours, contrairement
aux normes européennes. À la suite des réformes de juillet 2020,
une telle décision de ne pas poursuivre est aujourd’hui également
soumise à un contrôle judiciaire par les juridictions civiles, comme
c'est le cas pour les décisions du chef de la police lorsque la
police est compétente pour poursuivre. Ces recours peuvent notamment
être introduits par le médiateur, l'auditeur général, la Commission permanente
de lutte contre la corruption et le commissaire aux normes de la
vie publique, qui ont obtenu le statut de parties lésées.
3.2. Lutte
contre la corruption
46. Comme l'a souligné le GRECO
dans son rapport d'évaluation sur Malte établi dans le cadre de
son cinquième cycle d'évaluation
, ainsi que le rapport d'enquête
indépendante sur le meurtre de Daphne Caruana Galizia, les déficiences
du système d'équilibre des pouvoirs et du cadre de l'État de droit
ont rendu le secteur public maltais vulnérable à la corruption.
Cette situation est aggravée par la relativement petite taille du
pays et par le fait que l'économie maltaise est principalement orientée
vers les secteurs des services financiers (offshore) et des jeux
en ligne. Bien que «Malte dispose sur le papier d’un arsenal impressionnant d’institutions
publiques impliquées dans des fonctions de contrôles et d’équilibre
des pouvoirs»
, la perception de la corruption
est élevée avec peu de réactions visibles aux allégations de corruption,
ce qui a créé un sentiment d'impunité pour ces actes en l’absence
de stratégie globale cohérente de prévention de la corruption dans
les institutions publiques
. Afin d’attirer l’attention sur
l’ampleur et la gravité du problème, l’enquête indépendante a conclu
qu’il régnait à Malte une «culture de l’impunité», qui, selon beaucoup
d’interlocuteurs, conjuguée à une «omerta institutionnelle», avait
créé une situation dans laquelle, jusqu’au meurtre de Daphne Caruana
Galizia, les personnes proches du pouvoir politique dans le pays
étaient pratiquement intouchables. Venir à bout de cette culture
de l’impunité et de cette omerta institutionnelle est l’un des principaux
défis à relever par la société maltaise et ses institutions démocratiques.
47. Outre les structures chargées de faire respecter la loi, Malte
dispose de deux organes institutionnels spécialisés dans la lutte
contre la corruption et sa prévention: la Commission permanente
de lutte contre la corruption et le commissaire aux normes de la
vie publique. Ces institutions sont complétées par l'auditeur général,
qui contrôle les dépenses des organismes publics, et la Cellule
d’analyse du renseignement financier, qui est l’instance maltaise
spécialisée dans la lutte contre le blanchiment de capitaux.
48. La Commission permanente de lutte contre la corruption a été
créée en 1988 pour conseiller les organes ministériels sur les questions
de lutte contre la corruption et enquêter sur les pratiques de corruption présumées
ou suspectées de la part d'agents publics. Elle est composée de
trois membres qui, depuis les réformes de 2020, sont nommés par
le Président: le premier sur la base d'une résolution adoptée à
la majorité des deux tiers par le parlement, le deuxième sur recommandation
du Premier ministre et le troisième sur recommandation du chef de
l'opposition. Auparavant, ses membres étaient nommés par le Président
sur les conseils du Premier ministre après consultation du chef
de l’opposition, ce qui réduisait son indépendance, sachant que
de surcroît, elle rend compte au ministre de la Justice. Les réformes
ont également conféré à la commission le droit de signaler directement
les cas constatés de corruption au procureur général, ce qu'elle ne
pouvait pas faire précédemment
. En outre, les réformes
ont précisé que le trafic d'influence et les infractions comptables
constituaient des actes de corruption relevant de la compétence
de la Commission permanente de lutte contre la corruption. En raison
de ces faiblesses structurelles, la commission a, pour l’heure,
obtenu peu, voire pas de résultats concrets en matière de lutte
contre la corruption et de prévention de celle-ci à Malte. Dans
son rapport d'évaluation sur Malte, le GRECO a noté que la Commission
permanente de lutte contre la corruption était un organe faible,
dont les pouvoirs d'enquête étaient limités à un petit nombre d'infractions
pénales, et dont la «contribution aux efforts de lutte contre la
corruption de Malte [avait] été négligeable»
. Le GRECO s'est
également déclaré préoccupé par les problèmes que pouvait poser l'existence
de juridictions parallèles entre les mains de la police et de la
commission, et a estimé que cette dernière «pourrait être supprimée».
La commission a fait valoir qu’en procédant à sa dissolution, Malte manquerait
à ses obligations au titre de la Convention des Nations Unies contre
la corruption, et a fait observer que le nombre relativement faible
de poursuites engagées s’expliquait par le niveau élevé de preuves
requises pour établir des faits individuels de corruption. Ayant
noté que la commission est composée au total de trois membres et
d’un secrétaire, nous nous interrogeons sur sa capacité à contribuer
à la lutte contre la corruption enracinée et quasi omniprésente
à Malte qui a été mise en lumière par le rapport d’enquête indépendante
sur l’assassinat de Daphne Caruana Galizia.
49. En 2017, le Parlement maltais a adopté la loi sur les normes
de la vie publique. Par la suite, en 2018, le commissaire aux normes
de la vie publique a été nommé par le Président de Malte pour un
mandat fixe de cinq ans sur la base d'une résolution du parlement
adoptée à la majorité des deux tiers. Le commissaire est chargé
de vérifier les déclarations d'intérêts et de patrimoine des membres
de la Chambre des représentants (y compris les ministres), des secrétaires
parlementaires et des assistants parlementaires, ainsi que de certaines
autres catégories d'agents publics. De plus, le commissaire enquête
sur les violations des normes et règles de déontologie et rend compte
de ses conclusions au parlement; il surveille les activités de lobbying
et conseille le gouvernement sur ces questions. Le commissaire est
tenu de faire rapport au parlement au moins une fois par an sur
les activités de son bureau.
50. Les travaux du commissaire sont supervisés par la Commission
des normes de la vie publique, qui est composée du Président du
parlement, de deux membres nommés par le Premier ministre et de
deux membres nommés par le chef de l'opposition. La commission décide
de toute action et sanction ultérieure sur la base des rapports
reçus du commissaire, ce qui a été perçu comme un obstacle à l’efficacité
des activités du commissaire, dans la mesure où la commission est
par nature un organe politique, avec des conflits d’intérêts possibles.
Depuis les réformes de 2020, le commissaire aux normes de la vie
publique peut directement faire rapport au commissaire de police
ou au procureur général «lorsqu'il ressort à première vue de l'enquête
qu'une infraction pénale ou une pratique de corruption a été commise»
. Pendant notre visite, le commissaire
a souligné que le niveau de preuve requis était celui de la «probabilité»,
sans devoir aller «au-delà de tout doute raisonnable», ce qui garantissait
que toute suspicion d’acte de corruption signalée par le commissaire
pouvait donner lieu à une enquête appropriée de la police. Ces changements
répondent à une recommandation importante de la Commission de Venise
et du GRECO.
51. Outre sa fonction de surveillance, le commissaire peut aussi
donner des lignes directrices et adresser des recommandations aux
autorités, notamment sur la manière dont la législation doit être
interprétée lorsqu’il est question de conflits d’intérêts et de
corruption. L’actuel commissaire considère que cette mission constitue un
élément très important de l’activité de son institution et qu’elle
devrait être davantage renforcée et élargie. Le commissaire aux
normes de la vie publique est généralement perçu comme une institution
efficace et efficiente, ne serait-ce qu’en raison de l’impartialité
et de l’engagement de l’actuel titulaire du poste, et plusieurs interlocuteurs
ont estimé qu’il fallait accroître ses prérogatives et ses ressources
pour pérenniser son travail, et qu’il devait absorber la Commission
permanente de lutte contre la corruption. Nous recommandons donc aux
autorités de renforcer les pouvoirs et les ressources du commissaire
et d'envisager de rationaliser davantage les institutions de lutte
contre la corruption afin d'éviter les chevauchements et les interférences entre
elles.
52. Deux textes législatifs importants contribuent à prévenir
et à lutter contre la corruption: la loi de 2008 sur la liberté
d'information et la loi de 2013 sur la protection des lanceurs d'alerte.
La loi sur les lanceurs d'alerte est largement considérée comme
l'une des meilleures d'Europe même si certaines préoccupations subsistent, notamment
le fait que les lanceurs d'alerte qui divulguent des informations
aux médias ne sont pas (bien) protégés et que les lanceurs d'alerte
externes doivent s'adresser au Bureau du Cabinet des ministres pour bénéficier
de l'immunité de poursuites, ce qui, pour le commissaire aux normes
de la vie publique, pourrait empêcher des agents publics de se manifester
pour dénoncer des actes de fraude et de corruption.
53. La mise en œuvre et le respect de la loi sur la liberté d’information
sont un sujet de préoccupation, dans la mesure où bon nombre de
ses dispositions ne sont pas ou seulement partiellement appliquées
par les autorités et avec de tels retards qu’ils rendent les informations
ineffectives. La plupart des représentants des médias et de la société
civile que nous avons rencontrés pendant notre visite, ainsi que
les institutions publiques, comme celle du médiateur, se sont plaints
du manque structurel de suites données à leurs demandes d’information.
C’est une situation préoccupante à laquelle il convient de remédier
sans tarder. Dans ce contexte, il importe de souligner que pour
y parvenir, la seule modification de la législation ne suffira pas: elle
devra être accompagnée, dans la même mesure, d’un changement des
comportements et du développement d’une culture de transparence
et d’ouverture.
54. Malte, en tant que grand centre financier et bancaire international,
est très vulnérable au blanchiment de capitaux
. En 2019, dans son rapport d’évaluation
mutuelle du cinquième cycle, le Comité d’experts sur l’évaluation
des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement
du terrorisme (Moneyval) et le Groupe d’action financière (GAFI)
ont déclaré douter de la capacité de Malte à lutter efficacement
contre le blanchiment de capitaux et à engager des poursuites en
la matière, notamment en raison d’un manque de ressources humaines
et financières. Malte a été placée sous procédure de suivi renforcée
et menacée d’être inscrite sur la liste noire si ces problèmes n’étaient
pas réglés lors de la prochaine évaluation mutuelle. Dans leur premier
rapport de suivi renforcé de 2021, Moneyval et le GAFI ont considéré que
les autorités maltaises avaient accompli des progrès encourageants
dans la résolution des problèmes constatés dans le rapport d’évaluation
mutuelle du cinquième cycle et que sa situation était désormais conforme
ou globalement conforme aux recommandations du GAFI. Si le risque
de placement sur la liste noire était écarté, des mesures supplémentaires
devaient être prises pour respecter pleinement les recommandations.
Malte restait par conséquent sous procédure de suivi renforcé.
55. Le programme de résidence par investissement, plus couramment
connu sous le nom de programme de «passeports dorés», est également
une source de préoccupation particulière en ce qui concerne le blanchiment
de capitaux et la corruption. Cette législation permet à de riches
investisseurs d’obtenir la nationalité maltaise et donc des passeports
de l’Union européenne en échange d’investissements considérables
dans l’économie maltaise.
4. Droits
de l’homme
56. Malte dispose d’un système
institutionnel et juridique de protection des droits de l’homme
bien développé. Cependant, un certain nombre de problèmes de droits
de l’homme sont récemment passés sur le devant de la scène. L’assassinat
de Daphne Caruana Galizia a mis en lumière le problème de la sécurité
des journalistes et de la liberté des médias à Malte, mais l’attention
a aussi été attirée sur les droits des femmes et l’égalité entre
les sexes, ainsi que sur le traitement des migrants en situation
irrégulière et des réfugiés. De plus, la culture de l’impunité
profondément ancrée évoquée
plus haut, porte atteinte à la protection des droits de l’homme
dans plusieurs domaines, et en particulier dans celui des médias.
Il convient d’y remédier en priorité.
4.1. Liberté
des médias
57. Malte dispose d’un environnement
médiatique pluraliste, mais la plupart des médias privés sont liés
aux principaux partis politiques ou à leurs partisans et promeuvent
leur point de vue politique. En conséquence, l’environnement médiatique
reflète la profonde polarisation politique de la société maltaise.
Cette situation est aggravée par le fait que le radiodiffuseur public
est largement considéré comme le porte-parole du gouvernement, toujours
favorable au parti qui dispose de la majorité au pouvoir. Dans le
même temps, Malte possède une solide infrastructure informatique
qui offre à la population un large choix de médias internet.
58. Malte a été classée en 81ème place
sur 180 pays dans le Classement mondial 2021 de la liberté de la presse
établi par Reporters sans frontières (RSF). Dans son rapport 2021
sur Malte, RSF a notamment conclu que «le musellement de la presse
par la structure politique, la discrimination dans l’accès aux informations
et un système judiciaire inefficace ont continué à entraver les
enquêtes d’intérêt public et à constituer des menaces pour les journalistes
exerçant leur métier»
, ce qui nous inquiète profondément.
L’enquête indépendante ouverte à la suite de l’assassinat de Daphne
Caruana Galizia a tiré des conclusions similaires en ce qui concerne
la liberté des médias et le rôle des autorités dans cette affaire,
ce qui souligne encore davantage la gravité de la situation.
59. Dans son récent rapport sur Malte, la Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe a appelé les autorités à engager
des réformes pour renforcer la protection des journalistes et à
«s’abstenir de toute conduite propre à encourager le discours de
haine contre ces derniers»
.
Malheureusement, les représentants des médias que nous avons rencontrés
pendant notre visite ont fait savoir que le harcèlement des journalistes,
y compris les menaces à leur vie et leur sécurité, ainsi que le
trolling sur les médias sociaux, se
poursuivaient avec autant d’intensité sans, semble-t-il, donner
lieu à des enquêtes effectives de la police. Le rapport d’enquête
indépendante a recommandé de charger une unité spéciale de la police
d’enquêter sur les menaces et les attaques contre les journalistes.
Les autorités n’ont pas suivi ce conseil, mais la police elle-même
a créé un point de contact spécial pour les journalistes qui s’est
apparemment montré plus disposé à enquêter sur les menaces, y compris
celles qui provenaient des médias sociaux. Si cette initiative a
été saluée par les représentants des médias que nous avons rencontrés,
ils ont aussi souligné que, compte tenu de la gravité de la situation,
un tel point de contact ne pouvait se substituer à l’unité de police
spécialisée recommandée dans le rapport d’enquête indépendante.
60. Comme indiqué dans la précédente partie, les journalistes
de Malte rencontrent des obstacles considérables pour obtenir des
informations des autorités. En effet, leurs demandes d’informations
fondées sur la loi relative à la liberté d’information sont souvent
ignorées ou donnent lieu à des réponses excessivement tardives afin
de les rendre ineffectives. Les médias jouent un rôle essentiel
dans la transparence de l’administration du pays, et, par conséquent,
dans le bon fonctionnement des institutions démocratiques et dans
la lutte contre la corruption. Des modifications à la loi sur la
liberté d’information devraient être adoptées afin de combler les
lacunes qui sont arbitrairement utilisées par les autorités pour
rejeter les demandes d’information publique.
61. L’utilisation abusive de la législation anti-diffamation pour
réduire les journalistes au silence est de plus en plus préoccupante.
Si la diffamation est dépénalisée depuis 2018, la législation maltaise
en la matière peut être utilisée abusivement, notamment en permettant
que des actions en diffamation puissent être intentées au civil
contre des héritiers en cas de décès de la personne poursuivie,
ce qui a un effet dissuasif sur les journalistes
. De plus, les poursuites stratégiques
contre la mobilisation publique, ou poursuites-bâillons, se multiplient
contre les journalistes. Les poursuites-bâillons sont des procès
intentés dans l’intention d’intimider, et finalement de censurer
les journalistes qui ne peuvent assumer les frais élevés qu’il leur
faudrait engager pour se défendre. De telles poursuites sont intentées
à Malte comme dans des juridictions étrangères. Le recours à ces
procédures représente indubitablement une menace contre la liberté
d’expression. Selon certaines informations, les autorités maltaises
auraient l’intention de mettre en œuvre une législation contre les poursuites-bâillons
et souhaiteraient coordonner cette initiative au niveau européen
dans la mesure où il s’agit d’un problème qui transcende les territoires
nationaux. Dans le même temps, nous exhortons les autorités maltaises
à modifier la législation relative à la diffamation pour empêcher
son utilisation abusive.
62. Le rapport d’enquête indépendante a formulé plusieurs recommandations
pour renforcer la sécurité des journalistes et préserver la liberté
d’expression et la liberté des médias à Malte. Nous exhortons les
forces politiques maltaises à mettre pleinement en œuvre ces recommandations
sans hésitation ni retard.
63. Dans un développement positif, nous avons été informés qu'un
comité d'experts sur les médias a été établi le 11 janvier 2022
et est actuellement présidé par l'ancien président de l'enquête
publique. Ses tâches consistent à analyser l'environnement médiatique
à Malte et à donner des conseils sur les projets de modification
de la législation afin de renforcer la protection de la liberté
des médias à Malte.
4.2. Droits
des femmes
64. Comme l’a indiqué la Commissaire
aux droits de l’homme dans son récent rapport, malgré des progrès considérables,
les inégalités entre les femmes et les hommes sont profondément
enracinées dans la société maltaise et les attitudes paternalistes
et les stéréotypes concernant le rôle des femmes dans la famille
et dans la société persistent. Cette situation est souvent perçue
comme étant liée à la nature conservatrice de la société maltaise,
ce qu’ont contesté les représentants des organisations de femmes
que nous avons rencontrés, en attirant notre attention sur le fait
que Malte avait adopté en 2018
,
avec un soutien considérable de la société, une législation et un
plan d’action sur les droits des personnes LGBTI qui étaient, à
de nombreux égards, conformes aux bonnes pratiques européennes.
65. Malte a signé et ratifié la plupart des instruments internationaux
de protection des droits humains qui concernent les droits des femmes
et l'égalité entre les femmes et les hommes, y compris la Convention européenne
sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes
et la violence domestique (STCE No. 210, Convention d'Istanbul).
Le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes
et la violence domestique (GREVIO) a publié son rapport d’évaluation
de référence consacré à Malte
en novembre 2020. Dans ce rapport,
le GREVIO s’est félicité des mesures juridiques prises et des modifications
apportées à la législation par les autorités maltaises, mais a insisté
sur le fait que des efforts bien plus considérables devaient être
faits pour mettre en œuvre la convention dans la pratique. À cet
égard, il a fait observer que l’approche neutre qui consistait à
employer le terme de «violence fondée sur le genre» dans la législation
ne reconnaissait pas les manifestations et les effets disproportionnés
de la violence à l’égard des femmes. Le GREVIO a insisté sur la
nécessité de renforcer l'application d'une perspective de genre
et d'améliorer considérablement la formation initiale et continue
de tous les professionnels inter-agissant avec les victimes. Il
a également insisté sur la nécessité d'intensifier la coopération
inter-institutionnelle. En ce qui concerne les ordonnances de protection,
le GREVIO a estimé qu'elles devaient être disponibles indépendamment
ou cumulativement à d'autres procédures judiciaires. Les ordonnances
de protection posent également un problème, car elles ne constituent
pas un moyen de prévenir les infractions et la charge de la preuve
incombait à la victime, ce qui pouvait l'exposer à un risque de
victimisation.
66. L’actuelle législation relative à l’égalité, à savoir la loi
sur l’égalité entre les hommes et les femmes, date de 2003 et, selon
de nombreux interlocuteurs, doit être renforcée. Un projet de nouvelle
loi sur l’égalité, ainsi qu’une législation relative aux droits
de l’homme, dont un projet de loi portant création d’une Commission
pour les droits de l’homme et l’égalité, ont été élaborés et présentés,
mais le processus d’adoption est au point mort. Nous avons été informés
par la majorité au pouvoir et par l’opposition que l’adoption de
ces lois aurait lieu lors de la nouvelle convocation du Parlement
maltais après les élections du 26 mars 2022. Grâce à la législation adoptée,
12 sièges pour les femmes ont été ajoutés au Parlement maltais à
la suite de ces élections. Les disparités en matière d’emploi entre
les femmes et les hommes sont importantes à Malte et les femmes demeurent
peu représentées en politique et au gouvernement. À cet égard, nous
nous félicitons de la législation récemment adoptée pour accroître
la représentation des femmes au sein de la nouvelle formation du
parlement
. Cela devrait
constituer une avancée importante dont s’inspirera, espérons-le,
le gouvernement qui sera formé après les élections.
67. Les droits en matière de procréation sont une source de préoccupation.
Malte possède l’une des législations les plus strictes en matière
d’avortement du monde et est le seul État membre du Conseil de l’Europe
à interdire totalement l’avortement, y compris en cas de viol ou
de danger pour la vie de la mère. Le fait de chercher à se faire
avorter ou de se faire avorter est passible d’une peine de prison
pouvant aller jusqu’à trois ans, bien que dans la pratique, de telles
sanctions ne sont pas infligées. Le fait de pratiquer ou de prescrire un
avortement est passible d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à
quatre ans et peut entraîner la perte de l’autorisation d’exercer
la médecine
.
En revanche, le fait de chercher à se faire avorter ou de se faire
avorter à l’étranger n’est pas considéré comme une infraction. Une
proposition de légalisation de l’avortement a été présentée en 2021
par un député du parti démocratique
,
mais selon les informations disponibles, elle n’aurait pas recueilli
le soutien des deux principaux partis. La pilule contraceptive du
lendemain n’est légale à Malte que depuis 2016, et de nombreuses
pharmacies refuseraient de la délivrer pour des raisons de conscience. Sans
vouloir entrer dans un débat idéologique, nous considérons qu’en
ce qui concerne les droits et la santé en matière de procréation,
la situation doit être améliorée et nous espérons que le nouveau
parlement se saisira de cette question à titre prioritaire.
4.3. Migrants
et réfugiés
68. Malte est un État méditerranéen
qui se trouve en première ligne du phénomène migratoire. Le nombre de
migrants en situation irrégulière et de demandeurs d’asile qui atteignent
les côtes maltaises est extrêmement élevé pour un pays relativement
peu peuplé comme Malte
.
Les autorités maltaises ont fait savoir que leur pays ne pouvait
pas faire face seul à de si nombreux migrants et demandeurs d’asile
et se sont plaintes du manque de solidarité au sein de l’Union européenne
au regard de la situation difficile qu’il traversait. Si nous demandons
instamment aux autres États européens de faire preuve d’une solidarité
proportionnée avec Malte, cela n’exonère pas Malte de ses responsabilités
et obligations en matière de droits de l’homme vis-à-vis des migrants
en situation irrégulière et des demandeurs d’asile, point sur lequel
a également insisté la Commissaire aux droits de l’homme dans son
récent rapport.
69. Il y a peu, les nouveaux arrivants étaient généralement placés
en rétention jusqu’à ce qu’une décision soit prise les concernant.
En raison de cette façon de procéder et de l’arrivée d’un nombre
croissant de migrants, une situation encore aggravée par la pandémie
de covid-19, le système d’accueil des migrants a été submergé. Le
Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou
traitements inhumains ou dégradants (CPT) a mené une visite
ad hoc à Malte du 17 au 22 septembre
2020, qui l’a amené à la conclusion que les centres d’accueil étaient
au bord de l’effondrement, et qu’en particulier, la protection des
personnes vulnérables n’était pas assurée. Certaines mesures spécifiques
de lutte contre la covid-19 se sont révélées si problématiques qu'elles
pouvaient s'apparenter à des traitements inhumains et dégradants
incompatibles avec l'article 3 de la Convention européenne des droits
de l'homme (STE n° 5)
.
70. Bien que Malte ait aboli la détention obligatoire des migrants,
dans la pratique, beaucoup d’entre eux sont toujours placés en rétention,
et, malgré les efforts considérables des autorités, la situation
reste préoccupante dans les centres d’accueil et les centres de
rétention. Des efforts supplémentaires sont nécessaires en la matière.
71. Dans son dernier rapport sur Malte
, l'ECRI s'est inquiétée du niveau élevé
d'hostilité à l'égard des immigrés, de l'absence de stratégie d'intégration
à long terme pour les réfugiés et les bénéficiaires de formes locales
de protection, ainsi que des risques d'exploitation des migrants
dans des emplois non déclarés ou par des salaires extrêmement bas.
L'ECRI a également attiré l'attention sur le caractère très restrictif
des règles en matière de regroupement familial, qui ne prenaient
en compte que les conjoints et les enfants mineurs non mariés dans
la définition des membres de la famille.
4.4. Autres
questions concernant les droits humains
72. Dans son dernier rapport sur
Malte, le Groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres
humains (GRETA) s'est inquiété de ce que Malte restait un pays de
destination pour les victimes de la traite des êtres humains
. Il a estimé que la définition légale
de la traite des êtres humains devait être modifiée et que le fait que
l’infraction de traite soit commise contre un enfant devait être
considéré comme une circonstance aggravante. Un service d’assistance
et de soutien aux victimes de la traite devait être mis en place,
une formation devait être dispensée à tous les professionnels chargés
de mettre en œuvre les mesures d'assistance et de protection des
victimes de la traite et un système statistique complet et cohérent
sur la traite devait être développé.
73. Dans son rapport
, l’ECRI s’est déclarée préoccupée
par le discours de haine et les actes de violence inspirés par la
haine. Le Code pénal ne réprime l’incitation à la haine ou à la
violence que si la ou les personnes concernées se trouvent à Malte.
Il convient de remédier à cette situation.
5. Conclusions
74. Les événements qui ont suivi
l'assassinat de Daphne Caruana Galizia ont mis en lumière une polarisation
politique et sociale profondément ancrée dans la société maltaise
et un dysfonctionnement systémique des institutions démocratiques
dans le pays. L'avis de la Commission de Venise sur le système constitutionnel
d'équilibre des pouvoirs et l'indépendance du pouvoir judiciaire,
ainsi que le rapport de la commission publique indépendante mise
en place par les autorités à la suite de l'assassinat de Daphne Caruana
Galizia ont constitué un moment décisif pour le pays. Les autorités
et le Parlement maltais ont réagi en adoptant une série de réformes
bienvenues pour remédier aux lacunes de l'institution démocratique
et de l'État de droit. Si ces réformes constituent un progrès notable,
elles ne répondent que partiellement aux préoccupations et aux lacunes
constatées. Une réforme complète et globale des institutions démocratiques
et du système d'équilibre des pouvoirs de Malte est toujours nécessaire
et urgente. Un aspect essentiel de cette réforme devrait être une
réforme en profondeur du Parlement maltais, en vue d'établir un
parlement à temps plein capable d'assurer un contrôle parlementaire
adéquat et de reprendre l'initiative législative. Cela permettrait
également à Malte de remédier à une série de vulnérabilités importantes
de ses institutions politiques aux conflits d'intérêts et à la corruption.
75. Nous nous félicitons du fait que la nécessité d'une réforme
globale des institutions démocratiques de Malte, y compris de son
Parlement, est soutenue par toutes les principales forces politiques
de Malte, et même par une majorité considérable de la société maltaise.
Dans ce rapport et cette résolution, nous avons présenté un certain
nombre de recommandations pour ces réformes qui devraient aider
à guider les autorités et le Parlement maltais dans cette tâche
importante. Nous sommes convaincus que le Conseil de l'Europe, et
plus particulièrement sa Commission de Venise, peut et doit jouer
un rôle important en aidant les autorités à élaborer et à mettre
en œuvre ces réformes indispensables. L'Assemblée devrait continuer
à suivre de près ce processus et nous suggérons donc que la commission
de suivi accepte de présenter à l'Assemblée un prochain rapport
d'examen périodique sur le respect des obligations d'adhésion de
Malte, au plus tard dans cinq ans.