1. Introduction
1. Une page de l’histoire de l’Europe
s’est tournée le 24 février 2022, lorsque la Fédération de Russie
a agressé sa voisine, l’Ukraine, violant ainsi la souveraineté et
l’intégrité territoriale de celle-ci, la Charte des Nations Unies
et portant atteinte à l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe.
2. L’agression de l’Ukraine par la Russie a fait l’objet d’une
condamnation ferme et immédiate par le Conseil de l’Europe, ainsi
que de la part d’États et d’autres organisations internationales
telles que les Nations Unies, l’Union européenne, l’Organisation
pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), l’Organisation de
Coopération et de Développement Économiques (OCDE) et l’Union interparlementaire.
3. Ainsi, dès le lendemain de l’agression, le 25 février 2022,
le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a décidé de suspendre,
avec effet immédiat, la Fédération de Russie de son droit de représentation
au sein du Comité des Ministres et de l’Assemblée parlementaire.
Suite à la demande du Comité des Ministres du 10 mars de consulter
l’Assemblée sur une potentielle future utilisation de l’Article
8 du Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1),
celle-ci a tenu une session extraordinaire les 14 et 15 mars 2022,
à l’issue de laquelle elle a adopté à l’unanimité l’
Avis 300 (2022) considérant que la Fédération de Russie ne pouvait plus
être un État membre de l’Organisation. En outre, l’Assemblée a estimé
que le Comité des Ministres devait demander à la Fédération de Russie
de se retirer immédiatement du Conseil de l’Europe. Lors d’une réunion
extraordinaire tenue le 16 mars, le Comité des Ministres a décidé,
dans le cadre de la procédure lancée en vertu de l’Article 8 du
Statut, que la Fédération de Russie cessait d’être membre du Conseil
de l’Europe à compter du même jour, 26 ans après son adhésion.
4. Pendant ce temps, et à ce jour, plus de 14 millions de personnes
ont été jetées sur les routes, fuyant les hostilités menées par
la Russie dont la gravité aura des conséquences désastreuses, notamment, humanitaires,
à très long terme. L’offensive militaire a délibérément ciblé les
civils, retrouvés pris dans des sièges, sous les bombardements et
attaqués par des frappes aériennes visant des villes densément peuplées. Toutes
ces personnes souffrent des conséquences terribles de ces combats,
des bombardements et de l’encerclement: angoisse, stress traumatique,
pertes d’êtres chers, blessures physiques et psychiques, privations
en tous genres, violence, viols etc.
5. La ville de Marioupol est devenue le symbole du martyre qu’endure
le peuple ukrainien. La découverte des charniers et des exactions,
telles que les exécutions sommaires et les viols, commises par les
forces russes dans les villes de Boutcha, Irpin, Borodyanka et Andriivka
a donné une nouvelle dimension à cette guerre totalement injustifiée.
6. Sous nos yeux, la situation humanitaire en Ukraine s’est gravement
détériorée au fil des semaines, avec un nombre élevé de victimes
civiles, dont des femmes et des enfants, et l’accroissement du nombre
de personnes déplacées et de réfugiés nécessitant une aide humanitaire.
7. A la mi-mai, nous avons dépassé le chiffre effarant de plus
de six millions de réfugiés ayant fui l'Ukraine, dont plus de 3
millions ont été accueillis rien qu’en Pologne. A ces chiffres s’ajoutent
plus de huit millions de personnes qui ont été déplacées à l'intérieur
du pays. Il s'agit de la crise de réfugiés qui a connu la croissance la
plus rapide en Europe depuis la seconde guerre mondiale, comme l'a
souligné le Conseil de sécurité des Nations Unies sur l'Ukraine.
Ces millions de personnes ont besoin d'aide humanitaire et de protection.
8. Les États frontaliers de l’Ukraine, notamment la Pologne,
la République slovaque et la Roumanie, où je me suis rendu, ont
fait preuve de solidarité exemplaire en organisant l’arrivée, l’installation
ou le transit des réfugiés obligés de fuir leur pays. La décision
de l’Union européenne visant à la mise en œuvre, pour la première
fois, de la directive 2001/55/CE (directive de protection temporaire)
est plus qu’importante mais sans mécanisme de solidarité, ces mouvements
de population pourraient se transformer rapidement en catastrophe humanitaire,
notamment en République de Moldova qui a atteint ses limites d’accueil
et où le bruit des bombes qui tombent en Ukraine résonne. Par ailleurs,
les risques de traite, d’exploitation et d’abus se sont déjà manifestés
à l’égard de femmes et d’enfants complètement démunis.
9. Pour les personnes qui n’ont pas quitté le territoire de l’Ukraine
mais qui sont forcées à l’exil, le risque d’insécurité alimentaire
n’est pas à minimiser. Cette insécurité peut aussi devenir un facteur
de nouveaux déplacements forcés. Ceci dit, si les personnes sont
obligées de quitter leur maison et leur vie d’avant le 24 février,
c’est bien en raison de l’agression russe, des bombardements visant
des objectifs civils et des exactions commises par les forces russes.
10. Tout déplacement forcé, notamment vers la Fédération de Russie
ou le Bélarus, constitue une violation du droit international humanitaire
, de même que les
bombardements et les pilonnages des villes situées à l’ouest de
l’Ukraine qui ont aussi accueilli des millions de personnes déplacées,
mettant en danger l’infrastructure des villes et des régions qui
ne sont pas équipées pour un accroissement de population aussi important
que celui qu’elles connaissent depuis le début de la guerre.
11. Le présent rapport dresse un état des lieux des conséquences
humanitaires pour les personnes déplacées et réfugiées ayant fui
la guerre en Ukraine afin de proposer des solutions ayant une valeur
ajoutée dans le cadre des instruments existants du Conseil de l‘Europe,
sur les moyens à mobiliser à terme pour répondre à l’ensemble des
défis provoqués par l’agression de la Fédération de Russie contre
son voisin ukrainien et sa population innocente.
12. Ces propositions sont notamment basées sur les visites d’information
conduites en Pologne, en Roumanie, en République slovaque et en
Ukraine en avril et en mai 2022 (voir les programmes de ces visites,
AS/Mig/Inf(2022)03 et
AS/Mig/Inf(2022)04)) et qui m’ont permis de constater la situation de mes
propres yeux. Je souhaite remercier vivement les délégations ukrainienne
et roumaine, ainsi que les Bureaux du Conseil de l’Europe de Varsovie
et de l’Organisation internationale de la migration (OIM) en République
slovaque pour l’aide qu’ils m’ont apportée dans l’organisation de
ces visites. Je remercie également la Commissaire aux droits de
l’Homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, la Représentante
spéciale de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe pour la
migration et les réfugiés, Leyla Kayacik, ainsi que Ioannis Dimitrakopoulos, Conseiller
scientifique du Directeur de l’Agence des droits fondamentaux de
l’Union européenne (FRA) pour les échanges de vues que la commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées a tenus avec
eux en mars et en avril derniers.
13. J’aurais préféré ne pas vivre une telle expérience en Europe
au XXIème siècle et voir un pays attaché à la démocratie et aux
droits humains être attaqué précisément pour ces raisons, au motif
de prétextes aussi pervers que mortifères.
2. Chiffres et données
2.1. Personnes
ayant fui les combats
14. A la mi-mai 2022, le nombre
de personnes déplacées en Ukraine s’élevait à 8 029 000
soit
18,2% de la population, chiffre en augmentation de 24% depuis le
17 avril. Selon les estimations de l’OIM, 22% de ces personnes déplacées
internes indiquent qu’au moins un membre de leur famille est un
enfant âgé entre 1 et 5 ans alors que 55% d’entre elles indiquent
qu’elles vivent avec au moins une personne âgée de plus de 60 ans.
23% de personnes déplacées attestent qu’au moins une personne de
leur famille est en situation de handicap et 31% affirment qu’au
moins une personne de leur famille a une maladie chronique.
15. Près de 66% des personnes déplacées internes sondées indiquent
qu’elles ont prioritairement besoin d’une aide financière, 23% indiquent
un besoin de médicaments et de soins médicaux et 17% de nourriture
.
16. A la même période, le Haut-Commissariat des Nations Unies
pour les Réfugiés (HCR) estimait que plus de 6,5 millions d’Ukrainiens
avaient fui le pays et que plus de 2 millions étaient retournés
en Ukraine
. Comme l’indique le
HCR, ce chiffre reflète les mouvements transfrontaliers et n’indique
pas nécessairement un retour durable. Jusqu’à présent, l’afflux
le plus important de réfugiés d’Ukraine vers les pays voisins s’est
opéré en mars avec 3 381 926 de personnes ayant quitté le territoire
(contre 1 501 654 en avril). Depuis le début de la guerre, le Pologne
a accueilli plus de 3 millions de réfugiés, la Roumanie presque
1 million, plus de 400 000 sont arrivés respectivement en République
de Moldova et en République slovaque et plus de 600 000 en Hongrie
.
17. Ces quelques chiffres vertigineux, montrant que plus d’un
quart de la population ukrainienne a dû quitter son toit, donnent
la mesure des besoins en aide humanitaire, non seulement en Ukraine
mais aussi dans les pays frontaliers, qui ont subi un impact conséquent
avec l’arrivée en masse, principalement de femmes et d’enfants en
bas âge, que ce soit à pied, en voiture ou en train. Heureusement,
la mobilisation quasi-instantanée de tous les acteurs, notamment
ceux de la communauté internationale, a permis de répondre aux besoins
urgents dès que les premières personnes ont atteint les frontières.
Si le chaos a régné les premiers jours, des efforts ont rapidement
été faits pour accueillir les réfugiés ukrainiens dans la dignité
et le respect de la loi.
2.2. Aide
humanitaire
18. S’il a fallu parer au plus
urgent dès le 24 février 2022, trois mois plus tard, il est nécessaire
de parler de besoins à long terme, non seulement pour la durée de
la guerre, mais aussi après, lorsqu’il faudra reconstruire l’Ukraine.
Avec la chute de Marioupol, on voit bien que l’armée russe n’a pas
d’autre objectif que l’anéantissement total de l’Ukraine. On peut
donc anticiper les chiffres colossaux qui vont suivre. On parle
de 599 milliards de dollars nécessaires à la reconstruction. Parallèlement,
l’engagement de la communauté internationale est sans précédent,
puisque plus de neuf milliards d’aide à l’Ukraine sont déjà sur
la table.
19. Les Nations Unies et ses partenaires, impliqués dans la fourniture
de l’aide humanitaire pour les communautés vulnérables de l’est
de l’Ukraine depuis plus de huit ans, ont augmenté le niveau de
leurs aides pour répondre aux besoins massifs et urgents de secours
et de protection des civils à travers le pays. Ainsi, un total de
44,4 millions de dollars a été alloué dans 24
oblasts,
fournissant une aide à plus de 2,1 millions de personnes dans le
besoin, notamment par le biais de la protection des infrastructures
civiles conformément au droit international humanitaire et aux droits
humains, et de la fourniture de services de base dans les zones touchées
par le conflit
.
20. Ces chiffres, en constante évolution, demeurent incomparables
aux besoins, puisque sur les 12 millions de tonnes d’aide humanitaire
nécessaires quotidiennement, seules 3 arrivent en Ukraine.
21. Une conférence de donateurs a été organisée le 5 mai à Varsovie,
marquant, je l’espère, le point de départ d’un «Plan Marshall» pour
l’Ukraine, comme l’ont appelé de leurs vœux le Président ukrainien Volodymyr
Zelensky et le Président du Conseil européen, Charles Michel. A
cette occasion, le Président Zelensky a lancé l’opération UNITED24,
lieu de collecte unique de dons caritatifs en faveur de l'Ukraine
. Les fonds seront transférés sur
les comptes officiels de la Banque nationale d'Ukraine et alloués
par les ministères désignés pour couvrir les besoins les plus urgents en
matière de défense et de déminage, d’aide médicale et de reconstruction.
Comme il l’a souligné, le financement octroyé à l'Ukraine est incontestablement
un investissement dans la sécurité de toute la région. A l’issue
de la conférence de Varsovie, plus de 6, 5 milliards de dollars
d’aide humanitaire provenant de fonds publics et privés ont été
promis à l’Ukraine
.
22. L'Union européenne, unie dans son soutien à l'Ukraine, a intensifié
son soutien politique, humanitaire, financier et militaire à l'Ukraine
depuis le début de la guerre. A la mi-mai, elle avait mobilisé 4,1
milliards d'euros d'aides macro financières (assistance, appui budgétaire,
aide d'urgence, aide de réponse de crise et aide humanitaire), en
plus des 1,5 milliard d'euros de dépenses militaires. Du jamais
vu.
23. Dans son Plan stratégique de reconstruction, dévoilé le 18
mai 2022, la Commission européenne a proposé d’octroyer neuf milliards
supplémentaires pour aider l’Ukraine à se reconstruire, ainsi que
la création d’une «plate-forme de reconstruction de l’Ukraine» (
Rebuild Ukraine) qui, à moyen et
long terme, et avec l’appui du G7, du G20, de pays tiers et d’institutions
financières internationales, voire de villes, pourrait coordonner
l’aide à la reconstruction du pays, une fois la guerre achevée
.
24. Ces chiffres sont vertigineux, mais l’ampleur sans précédent
de cette guerre menée en Europe met l’accent sur la nécessité d’une
Europe unie et solidaire.
25. Avec son mandat spécifique, la Banque de développement du
Conseil de l'Europe (CEB), reposant sur un accord partiel du Conseil
de l'Europe, a également un rôle fondamental à jouer, comme l’a
justement souligné le rapport intitulé «Conséquences de l'agression
persistante de la Fédération de Russie contre l'Ukraine: rôle et
réponse du Conseil de l'Europe»
.
3. Réponse
humanitaire internationale
3.1. Les
principales agences onusiennes
26. La réaction de l’Organisation
des Nations Unies (ONU) et de ses agences à l’agression de l’Ukraine
par la Russie a été immédiate, et le HCR et l’OIM ont renforcé leur
présence sur le terrain pour apporter de l’aide aux personnes déplacées
et réfugiées, à l’Ukraine et aux pays d’accueil. Les deux agences,
qui jouent un rôle déterminant, travaillent de concert, comme j’ai
pu l’observer à la frontière de la République slovaque avec l’Ukraine,
à Vyšné Nemecké où leurs tentes, les unes blanches, les autres bleues,
étaient installées côte à côte.
27. Les activités conduites par le HCR en Ukraine touchent au
plus près des besoins des personnes déplacées. Le HCR coordonne
la protection et les abris d'urgence «
Protection
and Shelter Clusters». L’agence onusienne est aussi impliquée
dans le soutien financier et matériel de la population. Ainsi, elle
a mis en place des centres d’accueil pour les personnes déplacées
et leur fournit une assistance financière importante notamment en
leur permettant de se doter d’une carte bancaire («
cash assistance» dont ont bénéficié
près de 700 000 personnes déplacées dans onze régions)
.
28. À l'intérieur de l'Ukraine, de nombreuses personnes prises
au piège sont dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins de base,
alimentaires, en eau et en médicaments. L'acheminement d'une aide
vitale reste difficile, avec un manque d'accès humanitaire sûr.
Le HCR et d’autres agences internationales continuent de s'efforcer
d'atteindre les zones durement touchées pour acheminer cette assistance
vitale grâce à des convois humanitaires inter-agences.
29. Dans les pays frontaliers, le HCR joue un rôle important dans
la prévention de la traite des êtres humains, de l’abus et de l’exploitation.
Ainsi, des centres de soutien à la protection des enfants et de
la famille (Blue Dots) ont
été mis en place en coopération avec l’UNICEF. Ces Blue Dots rassemblent un ensemble minimum
de prestations de protection et de services sociaux et d'orientation
pour les enfants et les familles. Ils visent à améliorer l'accessibilité
et la standardisation des services fournis par différents partenaires,
ainsi que la prévisibilité, avec un point bleu comme label reconnaissable.
30. Le HCR ne se limite pas à apporter de l’aide directe aux réfugiés
et aux personnes déplacées, puisqu’il est également engagé dans
des activités de sensibilisation des autorités aux frontières concernant
les violences basées sur le genre et la protection des enfants.
En collaboration avec d’autres agences, comme l’OIM, le HCR apporte
une aide psychologique, veille à la protection des personnes les
plus vulnérables notamment en les sensibilisant au risque de trafic
d’êtres humains.
31. De manière générale, le HCR a déployé ses mécanismes de coordination
afin de faciliter le travail des différents acteurs présents sur
le terrain, d’améliorer la fourniture de l’aide aux réfugiés et
d’assurer leur sécurité.
32. Son expérience de terrain est cruciale pour compléter l’aide
d’urgence apportée par les autorités ukrainiennes, les États frontaliers
ainsi que les nombreux autres acteurs, y compris ceux issus de la
société civile.
33. De son côté, l’OIM a pour priorité la sécurité et la protection
à court, moyen et long terme de toutes les personnes touchées par
la guerre
. Ses interventions
s’inscrivent dans le cadre des plans lancés en avril par le Bureau
de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) «
Ukraine Flash Appeal» et par le
HCR avec le «
Regional Refugee Response
Plan»
et les complètent. Elle
est chargée, notamment de la collecte, de l’analyse et de la diffusion
de données qui constituent un élément essentiel pour permettre à
l’Organisation mais aussi aux gouvernements des pays limitrophes
de mieux appréhender les besoins des personnes fuyant la guerre
et d’agir le plus rapidement possible.
34. L’OIM est membre actif du UN Country Team et du UN Humanitarian
Country Team et participe activement à plusieurs groupes de travail
aux niveaux régional et national (groupe de travail sur la gestion d’information,
groupe de travail sur le transfert de fonds («
cash
working group»), groupe de travail sur la protection,
groupe de travail sur la protection contre l’exploitation sexuelle
et les abus, task force anti-traite) afin d’intervenir dans plusieurs
domaines notamment au regard de l’aide financière, de la prévention
contre la traite des êtres humains, la santé, ou encore la fourniture
de produits de première nécessité
.
35. Ainsi, l’OIM joue un rôle clé dans la coordination de la réponse
d’urgence de soutien à l’Ukraine, comme j’ai pu le constater en
République slovaque (voir para 53)
. Une des fonctions importantes de
l’OIM est d’informer les personnes ayant traversé la frontière aux
points d'entrée en République slovaque (Vyšné Nemecké, Ubľa), et
se trouvant dans les centres à grande échelle, tels que ceux de
Michalovce et de Humenne, ou au
Hot Spot de
Košice, sur les services disponibles pour les étrangers en République
slovaque dans le cadre du Centre d'information sur la migration
(conseils juridiques et concernant les questions sociales, sur les
cours de langue disponibles, orientation culturelle, etc.). Elle
fournit de l’aide humanitaire directe en fonction des besoins du
terrain (couvertures, kits hygiéniques et désinfection, centres
d'allaitement, défibrillateurs), contribue à la protection et à
la prévention de la traite des êtres humains en assurant le transport
de personnes vulnérables, contribue à l’hébergement des réfugiés
notamment par le biais de contrats conclus avec Airbnb, participe
à l’aide financière directe des réfugiés par le biais de programmes
de versement d’espèces – «
cash-based
intervention». Dans le cadre de son mandat, l'OIM est
également active en matière de santé mentale et de soutien psychologique
des migrants, des communautés touchées par les situations d'urgence
et des communautés d'accueil. Le rôle de l’OIM dans l’aide au retour
volontaire et à la réintégration dans le pays d'origine est également
important. Enfin, l’OIM gère la plateforme («hub») humanitaire de
la République slovaque destiné à l’Ukraine (voir para 53).
3.2. L’Union
européenne
36. L’Union européenne a rapidement
pris des mesures décisives pour condamner la Fédération de Russie, notamment
par une série de paquets de sanctions, ainsi que pour aider l'Ukraine
et les Ukrainiens. Ainsi, une série de décisions ont été prises
et d'initiatives lancées, pour venir en aide aux personnes fuyant
la guerre et cherchant refuge dans les pays voisins.
37. En particulier, l'activation de la directive européenne sur
la protection temporaire (décision du Conseil européen du 4 mars
2022) a été une étape à la fois cruciale et bienvenue, car elle
a fourni un cadre juridique clair pour accueillir les Ukrainiens
dans les pays de l'Union européenne.
38. Par ailleurs, la «Plateforme de solidarité», le bras «opérationnel»
de coordination des initiatives d’assistance humanitaire de l’Union
européenne et de ses pays membres, joue incontestablement un rôle majeur
dans l’aide humanitaire apportée à l’Ukraine
. Elle est le principal mécanisme
opérationnel et de coordination de l'Union européenne. Son rôle
est d’examiner les besoins identifiés dans les États membres et de
coordonner le suivi opérationnel en réponse. Elle coordonne le transfert
des personnes de la République de Moldova vers les pays de l'Union
européenne. Jusqu'à présent, 7 pays de l'Union européenne et la
Norvège se sont engagés à accueillir 14 500 personnes originaires
de République de Moldova. Les premiers transferts ont commencé le
19 mars 2022. Enfin, la plateforme élabore des lignes directrices
et des procédures opérationnelles normalisées pour faciliter ces
transferts, avec une attention particulière portée à la situation des
enfants, en particulier les mineurs non accompagnés.
39. Aussi, dès le 28 mars 2022, la Commission européenne, en coordination
avec la présidence française, a présenté un plan en 10 points pour
une coordination européenne renforcée sur l'accueil des personnes fuyant
la guerre contre l'Ukraine
. La feuille de route est en cours
d’élaboration mais déjà le 11 mai, la Plateforme de solidarité s'est
engagée à suivre et à mettre en œuvre un Plan commun de lutte contre
la traite des êtres humains pour faire face aux risques de traite
des êtres humains et soutenir les victimes potentielles parmi celles
qui fuient la guerre en Ukraine (voir para 95).
40. Enfin, la Commission européenne coordonne la plus vaste opération
du mécanisme de protection civile de l’Union européenne
. Outre la fourniture
d’aide financière pour des projets humanitaires (nourriture, eau, abris,
éducation) en Ukraine et dans les pays voisins, elle fournit également
du matériel médical notamment grâce au dispositif RescEU et aide
à l’évacuation de personnes malades chroniques vers des hôpitaux
à travers l’Europe
.
41. Les différentes agences de l’Union européenne sont également
impliquées. L’Agence des droits fondamentaux, la FRA, s’est rendue
au début du mois de mars dans les quatre pays de l’Union européenne qui
partagent une frontière avec l’Ukraine: la Hongrie, la Pologne,
la Roumanie et la République slovaque. Cette mission a donné lieu
au premier Bulletin sur la guerre en Ukraine publié par la FRA,
qui se concentre sur la situation des personnes qui ont fui l’Ukraine
dans ces quatre pays
.
42. Europol a déployé des équipes opérationnelles dans les pays
voisins de l’Ukraine
qui soutiennent
les autorités nationales par des contrôles de sécurité et des enquêtes
aux frontières extérieures de l’Union européenne afin de lutter
contre la menace terroriste et contre les criminels qui tentent
d’y entrer par le biais du flux de réfugiés ukrainiens
.
43. L’Agence de l'Union européenne pour la formation des services
répressifs (CEPOL) a quant à elle organisé, dès le début du mois
de mars 2022, des activités de sensibilisation aux défis et risques
générés par la crise actuelle des réfugiés ukrainiens et de partage
des bonnes pratiques en matière de gestion des frontières à l’attention
des personnes occupant des postes dans le domaine de la sécurité
et de la gestion des frontières
.
44. Afin de soutenir les États membres dans la gestion des personnes
fuyant l’Ukraine vers les pays voisins, Frontex (l’Agence européenne
de garde-frontières et de garde-côtes), au 12 mai 2022, avait déployé 527 agents
aux frontières entre l'Union européenne et l'Ukraine
. Elle a également organisé
des vols humanitaires pour des citoyens non ukrainiens afin qu’ils
puissent rejoindre leur pays d’origine
.
45. Enfin, la récente Agence de l’Union européenne pour l’asile
(EUAA) a mis en place le «Ukraine Emergency Response Board» pour
une meilleure coordination du soutien apporté aux États membres
ayant des besoins en matière d'asile et d'accueil et pour les aider
à mettre en œuvre la directive européenne sur la protection temporaire.
Par ailleurs, une formation est offerte dans chaque pays limitrophe
pour permettre aux différents acteurs de renforcer leur capacité
à gérer cette crise
ainsi que des recommandations
pratiques concernant notamment l’accueil d’urgence des personnes
déplacées en Ukraine
.
3.3. Le
Conseil de l’Europe
46. Notre Organisation a pris une
décision historique en suspendant la Fédération de Russie dès le lendemain
de son agression de l’Ukraine et en l’excluant le 16 mars, suite
à l’
Avis 300 (2022) adopté à l’unanimité par notre Assemblée
.
47. Grâce à la réaction rapide de ses organes statutaires, le
Conseil de l’Europe a démontré sa pertinence et sa valeur ajoutée
pour soutenir un de ses États membres, l’Ukraine, face à une guerre
atroce et totalement injustifiée.
48. La Commissaire aux droits de l’homme, Dunja Mijatović, s’est
activement mobilisée depuis le début de la guerre dans la réponse
à donner aux conséquences de la guerre en Ukraine en matière de
droits humains
. Ses activités ont donné lieu à des
déclarations et rapports ayant trait à la situation des réfugiés
et des personnes déplacées
.
49. La Représentante de la Secrétaire Générale sur les migrations
et les réfugiées, Leyla Kayacik, engagée dans le cadre de la mise
en œuvre du «Plan d’action du Conseil de l’Europe sur la protection
des personnes vulnérables dans le contexte des migrations et de
l’asile en Europe (2021-2025)»
, s’est rendue dans les pays frontaliers
pour faire suite à la réunion extraordinaire du Réseau de correspondants
sur les migrations du Conseil de l’Europe concernant la situation
des personnes fuyant l’Ukraine
. Ses recommandations à venir sont
attendues avec grand intérêt.
50. J’ai déjà mentionné la contribution importante de la CEB pour
répondre aux défis causés par la crise humanitaire (para. 25), il
faut ajouter celle du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux,
des mécanismes de suivi de l’Organisation qui ont rapidement réagi
dans le cadre de leur mandat respectif, et plus généralement les
Ajustements prioritaires au Plan d'action du Conseil de l'Europe
pour l'Ukraine 2018-2022 adoptés lors de la Conférence ministérielle
de Turin tenue le 20 mai dernier.
51. A ce stade, j’aimerais souligner que la situation actuelle
a été l’occasion pour tous les organes du Conseil de l’Europe de
montrer qu’ils peuvent et savent travailler ensemble. C’est, en
effet, grâce aux actions concertées et complémentaires qu’on arrive
aux meilleurs résultats, et les conclusions de la Conférence de Turin
sont là pour l’attester
.
4. Mes
observations sur le terrain
4.1. L’aide
humanitaire
52. La première constatation qui
s’impose d’emblée est que les besoins humanitaires sont bien supérieurs aux
quantités considérables de marchandises stockées dans les deux entrepôts
que j’ai pu visiter à Košice (République slovaque) et Chernivtsi
(Ukraine)
.
53. L’entrepôt de plus de 5 000 mètres carrés situé près de l’aéroport
de Košice est géré par l’OIM, présente en République slovaque depuis
2001. Aujourd’hui, il s’agit de la plaque tournante dans la région
qui coordonne les efforts humanitaires destinés à l’Ukraine. Les
biens sont stockés avant d’être envoyés à Ouzhgorod, en Ukraine,
où ils seront acheminés vers leur destination finale, comme Dnipro,
Zhitomir, Chernivtsi ou Zaparozhije. Environ 25 camions par jour
y transitent, principalement en provenance de Grèce ou de Turquie. Les
gammes des produits rangés sur les imposantes étagères sont des
plus variées, et répondent simultanément à tous les besoins de la
vie quotidienne: kits d’hygiène, couvertures, clous, bâches, contreplaqué,
appareils de cuisine, outils de construction, matelas etc.
54. L’entrepôt, ouvert dès le 25 février 2022, emploie notamment
des réfugiés et des étudiants ukrainiens. L’OIM fait face à de nombreux
défis, notamment concernant la question des chauffeurs, qui refusent
de se rendre en Ukraine, alors que les Ukrainiens ne sont pas autorisés
à quitter leur pays s’ils ont moins de 60 ans. Au-delà de la question
de l’écartement des rails des anciens pays soviétiques qui est différent
du reste de l’Europe, une décision stratégique a été prise de ne
pas utiliser les chemins de fer; cette option n’est donc pas discutable.
55. L’OIM essaye de répondre aux besoins les plus urgents dans
une situation extrêmement volatile, où de nombreux Ukrainiens tentent
de retourner chez eux alors qu’ils ont tout perdu, et doivent reprendre
la route vers un endroit plus sûr où ils pourront trouver un habitat
provisoire. Le logement est sans conteste un des plus grands défis
à long terme auquel l’Ukraine et les pays frontaliers devront faire
face, car même lorsque la guerre sera terminée, des millions d’Ukrainiens
ne sauront plus où retourner.
56. Pour le moment, on pare au plus urgent. Ainsi, par exemple,
l’OIM a conclu un accord avec Airbnb, en coopération avec la municipalité
de Košice, en louant des appartements pour trois mois au plus, où
des réfugiés seront logés provisoirement. En Pologne, l’Organisation
a également utilisé la plateforme Airbnb, pour y loger des ressortissants
de pays tiers avant leur rapatriement dans leur pays d’origine.
57. A Chernivtsi, l’entrepôt humanitaire, situé dans un ancien
centre sportif, fonctionne depuis le 24 février 2022, sept jours
sur sept, 24 heures sur 24. Les denrées venant du monde entier y
sont classées, rangées, distribuées. Géré par l’État, des organisations
humanitaires ainsi que des volontaires individuels y travaillent. Le
responsable se plaint que la quantité d’aide a sensiblement diminué
depuis le début de la guerre, lorsque les volontaires préparaient
jusqu’à 6 000 sacs de courses par jour; actuellement, il n’y a de
denrées que pour en préparer 1 000 quotidiennement. Le responsable
nous explique que chaque sac pèse de 12 à 15 kilos afin qu’une personne
puisse le transporter sans aide. On comprend pourquoi les produits
conservés dans des bocaux en verre ne sont pas acceptés en raison
de leur poids. Chaque sac est censé durer une semaine, et le responsable
insiste sur la nécessité de fournir des produits variés aux personnes
déplacées. Une attention particulière est portée aux produits pour
bébés, pas seulement la nourriture, mais également les poussettes
et les produits d’hygiène, afin qu’ils souffrent le moins possible
de la guerre.
58. J’ai également visité la cantine populaire «Dolfin» à Ouzhgorod,
un des nombreux lieux où des repas sont distribués gratuitement
aux personnes déplacées. Le restaurant est géré par l’organisation
«World Central Kitchen» et des volontaires. L’atmosphère animée
qui y règne ne réussit pas à dissimuler l’incertitude qui entoure
son fonctionnement. Au moment de ma visite, les volontaires craignaient
que le propriétaire reprenne possession des lieux après l’avoir
mis gratuitement à disposition; ils constataient avec inquiétude
la diminution des dons et des produits mis à disposition par la
mairie. En effet, alors qu’au début de la guerre, «Dolfin» servait
plus de 5 000 repas par jour, début mai, ce chiffre était tombé
à 1 000. En Transcarpathie, la région prend en charge les frais
de nourriture pour les personnes déplacées, contrairement aux autres
régions où cette responsabilité incombe aux villes, comme à Chernivtsi.
59. L’État verse une allocation aux personnes déplacées qui sont
enregistrées: 2 000 hryvnias par adulte et 1 000 par enfant. Début
mai, même si seulement 2 millions de personnes déplacées étaient
enregistrées sur les 7 millions estimées (les autres ayant probablement
encore des moyens pour subvenir à leurs besoins), les systèmes informatiques
étaient trop lents pour répondre à toutes les demandes. On m’a expliqué
que la forte demande numérique avait entraîné la panne du système
informatique.
60. Les gouverneurs militaires des régions de Transcarpathie et
de Chernivtsi ont averti que les caisses des régions étaient presque
vides. Leur budget annuel destiné aux routes et aux différentes
infrastructures a été utilisé pour l’aide d’urgence, suite à l’agression
russe. Si la guerre se poursuit, il n’y aura plus – dans deux à trois
mois – suffisamment d’argent pour se procurer les millions de tonnes
de nourriture nécessaires quotidiennement pour nourrir gratuitement
toutes les personnes déplacées se trouvant sur leur territoire.
61. La visite des deux entrepôts, de la cuisine populaire, mes
rencontres avec une nouvelle génération de dirigeants ukrainiens
qui parlent de service public et d’intérêt général a posé un éclairage
brut sur la nécessité de maintenir un niveau constant d’aide alimentaire,
vestimentaire, de produits médicaux et d’hygiène et autres produits
de la vie quotidienne vers l’Ukraine, tout en renforçant l’aide
à plus long terme, notamment en ce qui concerne le logement. Ce
problème d’ailleurs n’est pas seulement pertinent pour l’Ukraine
mais également pour certains des pays frontaliers qui ont accueilli
de nombreux réfugiés.
4.2. Arrivées
et accueil d’urgence dans les pays frontaliers
62. L’arrivée aux frontières et
les mesures d’urgence mises en place dans les premières semaines
de la guerre sont maintenant bien documentées. La FRA, qui a été
la première à se rendre aux frontières de l’Union européenne avec
l’Ukraine après le début de la guerre, a récemment publié un rapport
qui détaille l’accueil fait aux réfugiés ukrainiens dans les premières
semaines de la guerre
. Avec ses visites en République de Moldova,
puis en Hongrie, Pologne, République slovaque, République tchèque
et Roumanie, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe a pu constater l’étendue des efforts faits par les autorités centrales,
locales et la société civile, et a formulé des recommandations précises
auxquelles je souscris pleinement
. De mon côté, j’ai aussi pu constater
ce désastre humanitaire qui s’est déroulé en quelques semaines seulement.
63. Nul n’était prêt à faire face à la vague de population qui
a fui les bombardements et les combats vers les pays frontaliers
dès le 24 février 2022.
64. Selon l’ensemble de mes interlocuteurs, les premiers à s’être
rendu à la frontière pour y accueillir leurs voisins ukrainiens
ont été des personnes individuelles, notamment des membres de la
diaspora ukrainienne, avant même les organisations non gouvernementales et les autorités.
À Košice, par exemple, les étudiants ukrainiens sont les premiers
à être venus en nombre apporter leur aide.
65. Le profil des exilés a changé au fil des semaines, mais les
femmes et les enfants restent la grande majorité puisque les hommes
entre 18 et 60 ans ne sont pas autorisés à quitter le pays en raison
de la loi martiale
. Au départ, les personnes qui sont
parties étaient celles plus aisées, motorisées, qui savaient où aller,
dans la famille ou chez des amis. Puis, ce sont les classes plus
populaires qui sont parties, victimes directes ou indirectes des
crimes commis par l’armée russe, ayant tout perdu. Au fil des semaines,
des personnes âgées, souvent isolées, ainsi que des personnes handicapées
ont pris la route. Des milliers d’enfants non accompagnés, orphelins
pour la plupart, ont également quitté l’Ukraine.
66. Des scènes déchirantes se sont produites aux frontières, où
les familles étaient séparées, les hommes restant sur place, devant
abandonner leurs femmes et enfants à un avenir incertain, alors
qu’eux retournaient vers la certitude de la guerre.
67. Les pays frontaliers ont immédiatement ouvert leurs frontières,
à la surprise parfois de la société civile. La situation a été plus
compliquée pour les Roms et les ressortissants de pays tiers, dont
j’évoquerai brièvement le sort ci-dessous (paras 112 et 113).
68. Des vagues de plusieurs milliers de personnes ont traversé
les frontières les premières semaines; on se rappelle les images
de files d’attente interminables de véhicules et de personnes à
pied. Jusqu’à 300 000 personnes ont traversé chaque jour la frontière
polonaise. Les premiers jours, leur enregistrement était très sommaire
puisque chaque personne passait en moyenne moins de deux minutes
au contrôle des passeports. Les contrôles à la frontière étant quasiment
inexistants, il n’est pas étonnant que la situation ait été confuse
au début. Ainsi, certaines personnes n’ont pas pu faire tamponner
leur passeport, et dans le cas de documents non biométriques, cela
a pu poser des problèmes plus tard lorsqu’elles ont demandé à bénéficier
de la protection temporaire prévue par la
Directive 2001/55/E.
69. Les premiers jours ont aussi vu des enfants isolés non accompagnés
et des femmes disparaître dans la nature, avant que des mesures
ne soient prises, notamment la collecte de données, pour enrayer
les risques de traite des êtres humains et d’abus et d’exploitation
(voir para. 90).
70. Les pays frontaliers ont fait preuve d’un accueil admirable
et d’un engagement fort, en fournissant dès le départ, un logement
d’urgence, un soutien psychologique, le transport gratuit, et surtout,
grâce à l’activation de la Directive de protection temporaire de
2001 dès le 4 mars 2022, un permis de séjour accompagné de certains
droits, notamment en matière de protection sociale et de santé.
71. Des mesures d’accueil ont rapidement été mises en place. Les
collectivités locales ont incontestablement joué un rôle fondamental
dans la gestion de l’arrivée et de l’accueil des réfugiés ukrainiens. Ainsi,
le camp de transit de Siret en Roumanie a été monté en quelques
heures seulement. Ces centres de réception, mis en place près des
frontières, étaient prévus comme un moment de pause, où les personnes étaient
censées passer de quelques heures à deux jours, pour se reposer,
réfléchir à l’endroit où elles voulaient se rendre, prendre un repas
chaud, une douche, obtenir une aide psychologique ou médicale le
cas échéant. Dans le centre de réception de Michalovce, elles peuvent
aussi demander la protection temporaire. Tous les services d’urgence
sont donc concentrés en un même lieu, ou plus précisément sous les
mêmes étoiles, puisqu’il s’agit en général de tentes installées
par exemple sur un terrain de football municipal, comme c’est le cas
à Siret.
72. Les personnes arrivant à pied étaient transportées depuis
la frontière par des bénévoles, la police, des compagnies de car
affrétées par les municipalités, bref, par toutes les bonnes volontés
émues du sort de celles et ceux qui fuyaient la guerre.
73. On m’a raconté qu’au fil des jours, les réfugiés avaient de
moins en moins d’idée concernant leur destination finale. Beaucoup
ont décidé de rester près de la frontière pour pouvoir retourner
rapidement en Ukraine. Certains ont fait le choix d’y retourner,
préférant ainsi le statut de personne déplacée à celui de réfugié.
Ces mouvements à deux sens de part et d’autre des frontières posent
des problèmes statistiques car il est difficile de comptabiliser
ceux qui sont restés dans les pays frontaliers et ceux qui sont
retournés en Ukraine, d’autant plus que certains retours sont de
court terme, pour rendre visite à un parent âgé, s’occuper des champs
ou contrôler l’état de son habitation, avant de quitter à nouveau
l’Ukraine jusqu’à la fois suivante. C’est la raison pour laquelle
il n’est plus possible d’entrer en Ukraine à pied du poste frontière
de Vyšné Nemecké en République slovaque, une exception ayant été
faite à mon égard lorsque j’ai moi-même traversé la frontière pour
me rendre à Ouzhgorod.
74. Certaines personnes ont quitté l’Ukraine en train ou en autocar.
Ainsi, de nombreux centres d’accueil d’urgence se trouvent près
des gares et des gares routières. A Košice par exemple, c’est la
piscine «Etoile rouge» qui fait office de centre d’accueil d’urgence,
pouvant accueillir jusqu’à 400 personnes par jour, et géré par la
ville avec le soutien de l’OIM et de la société civile, et qui assure
notamment les repas. Ces lieux d’accueil bénéficient souvent d’un
statut précaire. L’adjoint au maire de Košice m’a expliqué qu’il
faudrait libérer la piscine en vue de l’été, alors qu’à Michalovce,
le propriétaire du terrain souhaiterait à terme le récupérer. Même
si la vague des arrivées a sensiblement baissé, il est indispensable
de maintenir de telles structures en cas de nouveaux flux de réfugiés
qui ne manqueraient pas de se manifester notamment en cas de combats
et de bombardements touchant des régions jusque-là épargnées.
75. Il est difficile de ne pas comparer cette ouverture à l’attitude
hostile de certains pays aux migrants venant d’autres régions du
monde, notamment d’Afghanistan et de Syrie et aux doubles standards
qui ont pu être constatés dans ce domaine. On peut cependant se
réjouir de ce précédent, car cela prouve que lorsqu’un pays en a
la volonté, il peut s’ouvrir aux autres. Il s’agit d’un message
positif dont il faut tirer profit.
76. On peut se féliciter que les pays frontaliers de l’Ukraine
aient réussi à organiser l’accueil des Ukrainiens si rapidement,
sans plan de crise pré-établi. Cependant, il faut rappeler que sans
la société civile, les autorités n’y seraient pas arrivées toutes
seules. Le secteur privé a également joué un rôle conséquent. Ainsi,
à Michalovce, mes interlocuteurs slovaques ont souligné que le centre
de réception qui s’y trouve est un bon exemple de coordination entre
l’État, la société civile et le secteur privé. Celui qui gère le
centre vient de l’événementiel.
77. Les centres de réception que j’ai visités offrent des capacités
suffisantes et de relativement bonnes conditions de séjour. Beaucoup
reposent sur des volontaires, parfois livrés à eux-mêmes. Ils m’ont
raconté avoir été dépassés au début, insuffisamment coordonnés avec
les autorités, notamment à la frontière. Des mécanismes de coordination
ont progressivement été mis en place mais la société civile considère
qu’elle n’est toujours pas traitée comme partenaire à part entière.
78. La question de la coordination avec les autorités nationales,
notamment le ministère de l’Intérieur, est fondamentale pour assurer
une prise en charge efficace. Certaines tensions existent entre
les municipalités, qui sont dans l’opposition, et le pouvoir central,
rendant notamment difficiles les transferts de fonds.
79. L’élan de solidarité a été immédiat, spontané et sans limites.
Pourtant, les mois passant, il n’est plus possible d’y compter à
long terme et des solutions pérennes doivent être envisagées notamment
en termes de logement.
4.3. Protection
temporaire
80. La Directive de protection
temporaire a été activée le 4 mars 2022. Depuis, les quatre États
membres de l’Union européenne limitrophes de l'Ukraine l’ont transposée
et ont intégré la décision de mise en œuvre dans leur législation
nationale
. Ils appliquent la protection temporaire
aux ressortissants ukrainiens et aux bénéficiaires d'une protection
internationale, y compris les apatrides et les membres de leur famille. Cependant,
la protection des ressortissants de pays tiers non ukrainiens fuyant
la guerre varie.
81. Comme les ressortissants ukrainiens possédant un passeport
biométrique peuvent entrer dans la zone Schengen, et en Roumanie,
sans visa pendant 90 jours, la demande de protection temporaire
n’a pas toujours été demandée d’emblée. En effet, de nombreux Ukrainiens
espéraient pouvoir retourner chez eux après une victoire rapide
de l’armée ukrainienne. Malheureusement, plus les semaines passent,
moins la possibilité d’un retour rapide est certaine. Aussi, étant
donné l’étendue des dommages causés par l’armée russe, il apparaît clairement
que des milliers de personnes ne sauront pas où retourner.
82. Les bénéficiaires de la protection temporaire reçoivent un
permis de séjour valable un an, pouvant être prolongé jusqu'à trois
ans. Ils bénéficient de droits et d’avantages tels que l'accès à
l'emploi, au logement ou à l'hébergement, à la protection sociale
et aux soins médicaux. Les enfants ont accès à l'éducation et les familles
ont le droit de se réunir. Les bénéficiaires ont également accès
aux services bancaires et peuvent se déplacer librement dans les
pays de l'Union européenne pendant 90 jours sur une période de 180
jours
.
83. Les ressortissants de pays tiers non ukrainiens qui résident
en permanence en Ukraine doivent également être protégés, conformément
à l'article 2.2, de la décision d'exécution. Les États membres de l'Union
européenne doivent soit appliquer le régime de protection temporaire
de l'Union européenne, soit fournir une protection adéquate en vertu
de leur législation nationale. Les États membres de l'Union européenne
peuvent également étendre le régime à d'autres ressortissants de
pays tiers non ukrainiens en séjour régulier (article 2.3 de la
décision d'application). Cela s'applique à ceux qui sont entrés
dans l'Union européenne après le 24 février 2022 et qui ne peuvent
pas retourner en toute sécurité dans leur pays ou région d'origine.
84. En Pologne, la société civile a pointé du doigt un certain
nombre de lacunes dans la loi du 12 mars 2022 transposant la directive,
notamment au regard des mères étrangères d’enfants ukrainiens et
de l’accès à certains services. Des amendements ont subséquemment
été adoptés pour y remédier.
85. L’article 10 de la directive prévoit que les États membres
sont dans l’obligation de fournir des informations, y compris par
écrit, aux personnes éligibles à la protection temporaire. Cette
information n’a pas toujours été fournie de façon systématique et
fiable au départ, même si la situation s’est sensiblement améliorée
depuis. En pratique, cette information est souvent fournie par la
société civile, comme en République slovaque où ce sont les ONG
«Ligue des droits de l’homme» et «Mareena» qui ont créé les premiers
sites internet d’information sur les procédures et les droits afférant
à la directive.
86. En République slovaque toujours, les demandes de protection
temporaire peuvent se faire en quatre lieux, dont le centre d’accueil
de Michalovce. Le Bureau régional de la police des réfugiés basé
à Košice s’occupant uniquement de l’enregistrement des enfants de
moins de 6 ans, des femmes enceintes et des personnes de plus de
65 ans et en situation de handicap, il a fallu transporter les autres
demandeurs de protection temporaire de Košice à Michalovce pour
y faire leur demande là-bas. Le nombre de personnes enregistré à
Michalovce était disproportionnellement plus important qu’à Košice
(7 100 contre 3 500) alors que la plupart résidait à Košice. Cela
a créé des problèmes bureaucratiques obligeant par la suite que
les réfugiés changent de lieu d’enregistrement.
4.4. Risques
de traite des êtres humains et travail forcé
87. Les acteurs internationaux
présents sur le terrain ont identifié le risque de traite des êtres
humains comme élevé dès les premières heures de la guerre. Les organes
et institutions du Conseil de l’Europe ont rapidement réagi en appelant
les États à agir de toute urgence pour protéger les personnes réfugiées
fuyant l'Ukraine contre la traite des êtres humains, comme la Secrétaire
Générale, à l’occasion de la journée internationale de la femme
du 8 mars, appelant à la protection particulière des femmes et des
filles
, la Commissaire aux droits de l’homme
suite à sa visite dans les pays frontaliers
, et le Groupe d’experts sur la lutte
contre la traite des êtres humains (GRETA) dans une déclaration
du 17 mars
.
88. Nos interlocuteurs ont unanimement souligné le chaos qui a
régné les premiers jours et confirmé les risques élevés de traite
des êtres humains. La plupart des personnes fuyant l’Ukraine étant
des jeunes femmes avec ou sans enfants, c’était une aubaine à ne
pas manquer pour les trafiquants qui profitent de la misère humaine
pour prospérer.
89. Rapidement cependant, des mesures ont été prises pour éviter
que les femmes fuyant la guerre ne se retrouvent entre les griffes
de trafiquants. Ainsi, à Vyšné Nemecké, un des points de passage
de la frontière entre la République slovaque et l'Ukraine, un point
d’accueil «meet and greet»
a été installé où les véhicules venant chercher les personnes réfugiées
sont enregistrés et leurs conducteurs contrôlés. Le risque n'est
tout de même pas complètement effacé en cas de «départ volontaire»,
puisque dans ce cas, la police ne peut rien faire pour empêcher
le départ de la passagère vers un destin inconnu. Par ailleurs,
l'endroit est situé au milieu de nulle part et n'est pas clairement
indiqué; il est donc aisé de le manquer et d'utiliser ce prétexte
pour se rendre directement à la frontière et s'y garer tranquillement.
90. Tandis que le HCR et l'UNICEF ont mis en place des Blue Dots, l'OIM, de son côté, a
installé des bannières à la frontière, distribué des brochures alertant
sur le risque de traite des êtres humains, dans le but de renforcer
la vigilance de celles qui traversent la frontière, et de les aider
“à s'aider elles-mêmes”. L'organisation non gouvernementale «La
Strada» joue également un rôle de prévention notamment au regard du
travail forcé, un autre danger qui guette les personnes fuyant l'Ukraine.
Même si les chiffres sont difficiles à estimer, le risque de voir
des personnes non déclarées, sans salaire adéquat et sans aucune
protection sociale, n'est pas à minimiser.
91. D'autres mesures ont été mises en place, telles que l'enregistrement
des personnes qui proposent des services d’hébergement ou l'organisation
d'opérations de police discrètes aux points d’arrivée.
92. Ces mesures nécessaires sont clairement insuffisantes, notamment
lorsque des femmes cherchant à fuir l'Ukraine utilisent les réseaux
sociaux pour trouver de l'aide ou lorsque des personnes peu scrupuleuses vont
jusqu'à traverser la frontière ukrainienne pour aller y chercher
directement leurs futures victimes.
93. C'est la raison pour laquelle le plan commun de lutte contre
la traite des êtres humains qui vient d’être dévoilé par la Commission
européenne est des plus bienvenus
. Élaboré sous la direction du coordinateur anti-traite
de l'Union européenne
et avec le soutien des agences de
l'Union et des États membres, il vise à sensibiliser, à renforcer
la prévention contre la traite des êtres humains, à améliorer l'application
de la loi et la réponse judiciaire, ainsi qu'à améliorer l'identification
et le soutien aux victimes. Le plan aborde également la coopération
au niveau mondial et avec les pays tiers, en particulier la République
de Moldova et l'Ukraine. Il ne sera possible d’évaluer son impact
qu’une fois opérationnel.
94. Bien entendu, il demeure crucial d’intensifier et de systématiser
les efforts pour prévenir et combattre la traite des êtres humains,
en s’inspirant de la Note d’orientation publiée par l'organe spécialisé
du Conseil de l'Europe, le GRETA
.
4.5. Le
sort des personnes vulnérables
95. Le Plan d’action du Conseil
de l’Europe sur la protection des personnes vulnérables dans le
contexte des migrations et de l’asile en Europe (2021-2025)
fournit des orientations précieuses
sur la façon dont doivent être traitées les personnes vulnérables.
La Représentante spéciale de la Secrétaire Générale sur les migrations
et les réfugiés s’est elle-même engagée à fournir des réponses concrètes
aux nombreux défis posés par l’exil de millions d’Ukrainiens en
situation de vulnérabilité
.
96. Les enfants constituent un groupe particulièrement vulnérable
d’autant plus que 90% des personnes qui ont fui l’Ukraine sont des
femmes et des enfants selon l’UNICEF
. C’est la raison pour laquelle le
Comité des parties à la Convention sur la protection des enfants
contre l'exploitation et les abus sexuels (STCE n° 201) (Comité
de Lanzarote) a appelé, dans une déclaration du 25 mars 2022, à
protéger d’urgence les enfants ukrainiens en situation de migration
contre les abus sexuels
.
97. Le nombre exact d'enfants arrivés non accompagnés (sans aucun
accompagnateur) et de ceux qui sont arrivés séparés (ceux qui arrivent
sans leurs parents, mais accompagnés d'autres parents ou aidants,
tels que des amis de la famille) est encore inconnu.
98. Certains enfants sont partis avec une note parentale autorisant
l'enfant à voyager avec d'autres adultes. D’autres, séparés et non
accompagnés, ont été identifiés et orientés vers les services de
protection de l'enfance.
99. Certains des enfants vivant dans des institutions ont été
transportés d'Ukraine en groupes avec le personnel travaillant dans
ces institutions. Ces groupes ont été évacués par les voies officielles
ou des initiatives privées. Souvent, ces enfants ne faisaient que
transiter par les pays frontaliers pour se rendre en Allemagne,
en Lituanie, en Espagne ou dans d'autres pays de l'Union européenne.
100. En Pologne, mes interlocuteurs de la société civile m’ont
fait part de leur préoccupation concernant l'absence d'enregistrement
des enfants ukrainiens dans les premiers jours. Depuis, un registre
a été mis en place, obligeant les autorités à enregistrer les enfants
non accompagnés entrant en Pologne. Cette mesure ne s'applique qu'aux
enfants de nationalité ukrainienne.
101. La loi polonaise stipule qu'une personne peut être nommée
tuteur (opiekun) pour un nombre
indéterminé de mineurs non accompagnés tant que leurs intérêts ne
sont pas en conflit. La nouvelle institution d'un “tuteur temporaire”,
créée par la nouvelle loi sur l'assistance aux ressortissants ukrainiens,
adoptée en mars et modifiée en avril 2022, reflète cette disposition,
permettant la prise en charge par une seule personne d’un nombre
illimité d'enfants ukrainiens non accompagnés. Si une personne est
désignée comme tuteur temporaire pour plus de 15 enfants, pour chaque
groupe de 15 enfants au-delà des 15 premiers, au moins un accompagnateur
supplémentaire rémunéré doit être engagé par le bureau local d'aide
sociale, pendant au moins 40h/semaine, pour aider le gardien temporaire
à prendre soin du groupe. Les tribunaux aux affaires familiales
sont tenus de statuer sur chaque demande concernant chaque enfant
non accompagné. La nouvelle procédure simplifiée prévoit que lorsque
la personne à désigner est déjà la personne qui s'occupe de fait
de l'enfant, le tribunal peut renoncer à l'audience publique et
statuer uniquement sur la base de pièces jointes au dossier. Si
les ONG que j'ai rencontrées se sont félicitées de cette procédure
simplifiée pour les cas les plus simples afin d’éviter un engorgement
des tribunaux, elles ont également indiqué que celle-ci pouvait
aussi potentiellement créer des problèmes.
102. Un problème inhabituel a été soulevé concernant les adolescents
de 16 ans et plus, partis sans leurs parents, parfois accompagnés
de frères ou sœurs plus jeunes dont ils avaient la charge. Mineurs,
ils devraient bénéficier de la protection qui leur est due, alors
qu’eux-mêmes – ainsi que leurs parents – se considèrent comme de
jeunes adultes autonomes. Les systèmes en place ne sont pas en mesure
de fournir des solutions adéquates à de telles situations.
103. En Roumanie, l’Unité de protection de l’enfance a reçu plus
de 2 700 enfants mineurs non accompagnés, dont 255 seulement sont
enregistrés dans le système de protection sociale.
104. Selon les informations que j’ai reçues, 75 % des orphelins
sont handicapés. Leur sort à long terme est très préoccupant. La
ville de Iaşi accueille deux centres de placement pour orphelins.
105. Les enfants ukrainiens restés en Ukraine ont parfois eu la
chance de rester avec leur père.
106. L’Ukraine étant un pays où la gestation pour autrui est permise,
de nombreux bébés sont nés sans que leurs parents d’intention n’aient
pu venir les chercher
. Certains d’entre eux sont gardés
par les sage-femmes des maternités où ils sont nés. Quel que soit
leur statut familial, il est important de ne pas oublier ces enfants et
de prendre en compte leur meilleur intérêt.
107. Le sujet des mineurs non accompagnés et séparés a fait l’objet
du rapport intitulé «Protection et prise en charge des enfants migrants
et réfugiés non accompagnés ou séparés» auquel je renvoie pour une
analyse plus approfondie.
108. Les personnes âgées constituent un autre groupe de personnes
vulnérables en raison du risque de paupérisation. En Roumanie, plus
de 1 000 personnes ont demandé à bénéficier des services sociaux
alors qu’il n’existe aucun mécanisme pour gérer les urgences sociales
dans le pays. La mise en place d’un tel système serait bénéfique
au-delà de la question des réfugiés ukrainiens.
4.6. Situations
de discrimination
109. Les préoccupations concernant
la discrimination à l'encontre de la minorité rom, des ressortissants
de pays tiers non ukrainiens, des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles,
trans, intersexuées (LGBTI), ainsi que d'autres groupes marginalisés,
méritent une étude à part entière. Ces préoccupations m’ont été
signalées par des représentants d’organisations de la société civile
et d’organisations internationales que j’ai rencontrés.
110. Les Roms, souvent apatrides, continuent de souffrir de stigmatisation
et de discrimination même en temps de guerre. Comme me l’a dit une
de mes interlocutrices slovaques: «ici, on a le racisme sous la
peau» en référence au traitement différencié dont sont victimes
les personnes d’origine rom. Lors de mes missions, j’ai entendu
plusieurs exemples de discrimination en matière d’accès au logement,
à l’éducation ou à la possibilité de retour en Ukraine en cas d’apatridie.
J’ai aussi vu de mes propres yeux comment la responsable d’un centre
d’accueil s’adressait avec mépris à un enfant rom. La Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a aussi fait part d’allégations
concernant des Roms ayant fait l’objet de discrimination dans la
fourniture d’aide humanitaire ou de transport. Elle rapporte également
que des Roms auraient été expulsés de lieux de transit, comme des
gares routières ou ferroviaires, ou de foyers d’hébergement et s’inquiète
de la disponibilité d'hébergements adéquats pour certaines familles
roms
.
111. Les ressortissants de pays tiers ont en principe bénéficié
de l’aide au retour dans leur pays d’origine, notamment par le biais
de vols retours organisés par l’OIM, mais ceux qui ne bénéficiaient
pas de protection consulaire, comme les Syriens ou les Palestiniens,
se sont retrouvés dans une zone grise sans pouvoir bénéficier de
la protection temporaire réservée aux Ukrainiens. Un certain nombre
d’étudiants auraient aimé avoir la possibilité de passer leurs examens
en Ukraine. Au-delà des images choquantes des hommes étrangers sortis
de cars pour faire de la place aux femmes et enfants ukrainiens
prioritaires, il y a eu clairement des doubles standards appliqués
aux non Ukrainiens qui ont fui l’Ukraine, qui mériteraient que l’on
s’y attarde pour voir de quelle façon l’Europe pourrait renoncer
à la forteresse dans laquelle elle est en train de s’enfermer. Le
sort des migrants en situation irrégulière détenus en Ukraine devrait
être clarifié
.
112. Le discours de haine, si ce n’est des attitudes haineuses,
ont touché de nombreuses personnes LGBTI, qui représentent une catégorie
de personnes particulièrement vulnérables. Leurs besoins spécifiques, notamment
celui de ne pas être stigmatisées après avoir quitté l’Ukraine,
ont été pris en compte principalement par la société civile et par
les organisations internationales
. A l’occasion de la Journée internationale
contre l'homophobie, la biphobie et la transphobie du 17 mai 2022,
la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a également
rappelé le sort peu enviable des personnes transgenres restées en
Ukraine
. Dans une Déclaration adoptée le
1er avril 2022, Christophe Lacroix (Belgique, SOC), rapporteur général
de l’Assemblée sur les droits des personnes LGBTI a appelé tous
les États membres du Conseil de l’Europe à garantir le plein respect
des droits des personnes LGBTI en Ukraine ou qui fuient ce pays
.
4.7. Accès
aux droits
4.7.1. Le
logement
113. En Ukraine, comme dans les
pays frontaliers, l’hébergement d’urgence a été mis en place en
parallèle avec l’accueil chez les particuliers qui se sont portés
volontaires. Même plusieurs mois après le début de la guerre, le
nombre de lits nécessaires reste impressionnant. Les autorités respectives
ont répondu rapidement au besoin d’hébergement d’urgence, avec l’aide
de l’OIM le cas échéant. Des écoles, des salles de sport ont été
réquisitionnées. Des containers ont été rapidement montés, comme
ceux que j’ai pu voir face à la gare de Košice.
114. Des milliers de volontaires ont accueilli des réfugiés chez
eux, à Varsovie, à Ouzhgorod, partout où je suis allé et bien au-delà.
Des hôteliers ont mis leurs hôtels à disposition, tel l’hôtel Mandachi
à Suceava en Roumanie. Cependant, la bonne volonté individuelle
n’est pas suffisante pour faire face aux besoins.
115. Très rapidement, deux défis se sont manifestés. En Pologne,
en République slovaque et dans les régions d’Ukraine qui accueillent
les personnes déplacées, telles la Transcarpathie ou la région de
Chernivtsi, le prix des loyers a explosé. Par ailleurs, le nombre
de logements, notamment sociaux, était insuffisant même avant la
guerre dans certains pays comme la Pologne ou la République slovaque.
Il n’y en a donc pas suffisamment pour faire face à l’arrivée massive
des réfugiés ukrainiens dont le retour en Ukraine est hypothétique
tant que durera la guerre. Construire des logements sociaux est
une nécessité absolue selon mes interlocuteurs, tout en soulignant
qu’il faudra le faire en évitant de créer des ghettos ou de provoquer
du ressentiment parmi les populations locales nécessiteuses qui
ont parfois l’impression de passer après les réfugiés ukrainiens.
116. Certains pays ont mis en place une allocation pour soutenir
les hôtes, mais celle-ci est insuffisante et le risque que l’enthousiasme
des populations locales diminue à long terme est réel
. En Ukraine,
l’État couvre les charges des personnes accueillant des personnes
déplacées. Au fil des mois, des ONGs continuent de mettre en contact
les réfugiés ou personnes déplacées avec des personnes qui souhaitent
les héberger chez elles.
117. Le marché du logement de grandes villes comme Varsovie, déjà
surpeuplées, est saturé, mais l’alternative de partir vers des villes
plus petites ou à la campagne n’est pas toujours une option car
l’accès à l’emploi ou aux crèches y serait moins aisé.
118. En Ukraine, le constat est le même: explosion du prix des
loyers et insuffisance de logements pour accueillir toutes les personnes
déplacées. De plus, il faudra reconstruire dans les régions qui
ont été affectées par les destructions de l’armée russe. Les défis
sont donc colossaux.
119. L’insuffisance de logements s’accompagne d’un autre défi auquel
les collectivités locales ne peuvent faire face toutes seules, celui
des infrastructures. Comme me l’a expliqué le Gouverneur militaire
de Transcarpathie, la région n’est pas équipée d’infrastructures
pouvant accueillir plus d’un quart de population en plus. Il faut
donc mettre à niveau l’évacuation d’eau et des déchets, les services
et les transports de toute urgence.
120. A Ouzhgorod, plus de 4 000 personnes sont hébergées dans des
lieux publics, tels que les écoles et les salles de sport. Il s’agit
en général de populations défavorisées, dont des Roms. A Chernivsti,
400 bâtiments publics sont utilisés, dont une école que j’ai pu
visiter et qui est impeccablement entretenue. Comme me l’a expliqué
le Gouverneur militaire régional, une des chances de l’Ukraine est
que le Président Zelensky a fait rénover les écoles après son élection;
elles étaient dont bien équipées pour permettre un accueil adéquat
des personnes déplacées après le début de la guerre.
121. Le directeur d’école que j’ai rencontré s’est transformé du
jour en lendemain, en «chef» de centre d’hébergement. Il veille
à ce que tout soit en ordre, à ce que ses «pensionnaires» aient
tout ce dont ils ont besoin, n’hésitant pas à envoyer une vieille
dame de Kharkiv faire la sieste après le déjeuner, d’un ton à la
fois ferme et bienveillant. L’école abrite une petite ménagerie
où quelques animaux cohabitent au milieu de plantes verdoyantes.
Ce lieu hors du temps est devenu celui où adultes et enfants viennent
se ressourcer après les trop nombreuses sirènes qui hurlent le jour
comme la nuit.
122. Cette solution, toutefois, n’est pas durable, notamment parce
qu’il faudra rouvrir les écoles à la rentrée. Les gouverneurs militaires
des deux régions et les maires des deux villes pensent aussi à la
baisse des températures qui viendra avec l’automne. Il est urgent
d’anticiper.
123. Un programme national de construction de logements pour les
personnes déplacées a été adopté, mais il prendra au moins un an
pour être mis en œuvre. Une idée émise par le Gouverneur militaire
de la région de Chernivtsi est de rénover environ 150 bâtiments
publics qui ne sont pas utilisés en les transformant en immeubles
d’habitation. Une excellente idée qui nécessite toutefois des donateurs
et des investisseurs. Le Gouverneur militaire de la Transcarpathie,
quant à lui, recommande d’apporter une aide financière aux habitants
des zones rurales afin qu’ils rénovent et modernisent eux-mêmes
leurs maisons pour être en mesure d’accueillir des personnes déplacées.
Avant que notre réunion ne s’achève, mon interlocuteur m’a montré
un tableau détaillant les besoins de 111 000 logements uniquement
pour sa région.
124. Toutes les idées sont bonnes à prendre à condition de coordonner
les efforts. C’est au niveau local que l’on connaît le mieux les
besoins, et c’est la raison pour laquelle il est si important de
soutenir des jumelages circonstanciés entre les villes et les régions
d’Ukraine avec celles du reste de l’Europe.
4.7.2. L’éducation
125. En Ukraine, les écoles sont
fermées depuis le 24 février 2022, et l’enseignement est dispensé
en ligne. On peut dire que l’une des seules conséquences positives
de l’épidémie de covid-19 a été que le système éducatif ukrainien
était prêt pour l’enseignement en ligne. Ceci dit, beaucoup de questions
ne sont pas réglées, même si on peut supposer que l’année scolaire
s’achèvera sans trop de problèmes.
126. Beaucoup d’enfants hébergés dans les centres d’accueil pour
personnes déplacées en Ukraine n’ont pas accès à l’internet, encore
moins à des ordinateurs, comme j’ai pu le constater. J’ai parlé
à des enfants complètement désœuvrés pour lesquels l’école était
un lointain souvenir.
127. La plupart des enseignantes se trouvent maintenant à l’étranger
(voir para 139). Seront-elles encouragées à/obligées de revenir
en Ukraine pour reprendre leur poste? Sinon, qui dispensera les enseignements
lorsque les écoles rouvriront? Ces questions, pour le moment sans
réponses, devront être réglées en prenant en compte la volonté de
chacune, les conditions de sécurité, et en maintenant l’équilibre des
besoins et des intérêts de toutes les parties prenantes.
128. Pour ceux qui ont traversé la frontière, l’école constitue
un grand dilemme que ce soit pour les parents, les enfants et pour
les autorités ukrainiennes au regard de l’intégration: faut-il intégrer
le système national ou bien faut-il continuer de suivre le programme
ukrainien dans l’espoir d’un retour rapide? Clairement, les autorités
ukrainiennes comptent sur un retour de leurs ressortissants dès
que la situation le permettra et se refusent à l’idée d’une fuite
des cerveaux.
129. La situation des enfants scolarisés à l’étranger varie selon
les pays d’accueil. J’ai pu observer que l’intégration dans les
classes était plus simple dans les pays habitués aux élèves allophones,
tels la France et la Suisse, puisque le système éducatif possède
les outils nécessaires pour prendre en compte leurs besoins spécifiques.
130. L’Ukraine encourage vivement ses élèves à suivre les enseignements
en ligne suivant le système ukrainien. En Pologne, les ONGs rencontrées
ont constaté avec regret le manque d’intégration des enfants ukrainiens
qui n’ont pas pu se faire d’amis car ils ne vont pas à l’école polonaise.
Cependant, pour scolariser les quelque 50 000 enfants ukrainiens
présents sur le territoire, il faudrait construire 10 à 15 écoles,
ce qui est impensable à court terme. L’organisation de la diaspora
ukrainienne «Nasz Wybór» a réussi à ouvrir une école entièrement
en ukrainien suivant le programme ukrainien avec les onze niveaux
d’enseignement pour 270 élèves. L’établissement est financé notamment
par l’organisation «Save the Children»
. Les enseignantes sont des réfugiées,
22 ont pu être recrutées sur les plus de 200 candidatures reçues.
Un accord a été conclu avec les autorités ukrainiennes, les élèves
seront testés à Lviv et leurs résultats seront validés. L’école
est censée fonctionner jusqu’à la fin de l’année scolaire, l’incertitude
règne pour la suite.
131. En Roumanie et en République slovaque, les enfants sont intégrés
dans les écoles locales. En Roumanie, ils le sont principalement
dans les classes où sont enseignés le français et l’anglais. Les enseignants
regrettent l’absence de manuels qui répondent aux besoins des nouveaux
arrivants. En République slovaque, les élèves ukrainiens bénéficient
de cours de langues supplémentaires. Les classes sont bondées, là-bas
aussi le nombre d’écoles est insuffisant pour répondre à l’arrivée
en masse d’enfants en âge d’être scolarisés.
132. J’ai entendu la même constatation absolument partout où je
me suis rendu: «il n’y a pas assez de crèches, il n’y en avait pas
suffisamment avant la guerre». Cette pénurie contribue sans aucun
doute à la difficulté des mères de jeunes enfants à s’intégrer dans
le monde du travail.
133. Quant aux étudiants, la plupart ont eu la chance de pouvoir
continuer leurs études en ligne. Ceux qui se trouvent en Pologne
se rendront à Lviv pour y passer leurs examens de fin d’année, notamment
les étudiants en médecine. Même si la plupart des étudiants non
ukrainiens ont été rapatriés dans leur pays d’origine, il faudrait
aussi leur donner la possibilité de passer leurs examens et de poursuivre
leurs études le cas échéant.
134. Je ne peux qu’espérer un retour rapide des enfants dans leur
foyer auprès de leur père, mais il serait illusoire de croire qu’on
peut vivre en exil dans l’illusion que rien n’a changé. Un système
en ligne ne peut entièrement remplacer l’enseignement classique.
Aller à l’école, c’est aussi se sociabiliser. Apprendre une langue,
c’est une richesse qu’il faut préserver. Il est donc crucial que
les pays d’accueil puissent correctement accueillir tous les élèves
ukrainiens dès la rentrée de septembre et que des cours de langues
leur soient systématiquement prodigués. En Ukraine, les écoles doivent
pouvoir retrouver leur destination après que les personnes déplacées
auront été relogées dans des logements dignes et pérennes.
4.7.3. L’emploi
135. S’il y a un défi qui est loin
d’être réglé, c’est bien celui de l’emploi. En Ukraine, de fait,
des millions d’Ukrainiens sont sans emploi, notamment les personnes
déplacées. Au sein de l’Union européenne, même si la Directive de
protection temporaire donne accès au marché du travail aux réfugiés
ukrainiens qui en bénéficient, plusieurs obstacles l’empêchent concrètement:
la barrière linguistique, l’équivalence des diplômes et la garde
des jeunes enfants.
136. Pour aider à remédier à cette situation, plusieurs systèmes
et mécanismes ont été mis en place dans les pays d’accueil. Ainsi,
en Pologne, «Nasz Wybór» a organisé un système de mentoring pour aider les femmes
à préparer un CV conforme aux attentes des employeurs polonais.
Un système accéléré de reconnaissance des diplômes ukrainiens de
médecine y a aussi été introduit. En Roumanie, le centre d’accueil de
réfugiés de Iaşi que j’ai visité dispense des cours de roumain en
anglais. A Chernivtsi, entièrement ukrainophone dont beaucoup d’habitants
parlent aussi le roumain, les personnes déplacées russophones suivent
des cours d’ukrainien pour ne pas courir le risque d’être stigmatisées.
137. Un problème différent touche les enseignantes réfugiées à
l’étranger. L’éducation étant organisée en ligne depuis le début
de la guerre, celles-ci travaillent à plein-temps et touchent leur
salaire ukrainien, bien insuffisant au regard des coûts de la vie
au sein de l’Union européenne.
138. Leur présence à l’étranger inquiète les autorités ukrainiennes
puisqu’il n’est pas clair qui enseignera à la rentrée lorsque les
écoles rouvriront. Le Gouverneur militaire de la région de Transcarpathie
a confirmé qu’il était inquiet du manque de personnel dans les crèches,
les écoles et les hôpitaux. Les entreprises qui emploient des personnes
déplacées reçoivent une compensation financière de la part de l’État.
139. Paradoxalement, la guerre en Ukraine a également causé une
pénurie de main d’œuvre en Pologne, puisque plus d’un million d’Ukrainiens
y vivaient avant la guerre, la plupart travaillant dans le bâtiment.
Ces ouvriers sont tous retournés en Ukraine après le 24 février
2022 pour y défendre leur pays.
140. De nombreuses entreprises basées dans les zones de guerre
ont été relocalisées en Ukraine même, comme à Chernivtsi et à Ouzhgorod,
ainsi qu’à l’étranger. En République slovaque par exemple, plus
de 90 entreprises de technologie informatique ont été relocalisées
d’Ukraine mais aussi du Bélarus.
141. Au-delà des mesures immédiates, des solutions d’avenir sont
déjà envisagées. Ainsi, la région de Chernivtsi serait prête à mettre
gratuitement à la disposition d’entreprises des terrains lui appartenant,
à charge pour celles-ci d’y construire des logements et de s’y installer
à long terme.
142. Les idées ne manquent pas à ceux qui dirigent les régions
et les villes d’Ukraine. Ce sont eux qui connaissent le mieux les
besoins de leurs territoires et c’est vers eux qu’il faut se tourner
pour analyser les besoins et les opportunités au plus près de la
réalité.
4.7.4. Protection
sociale, santé et aide psychologique
143. La guerre que subissent les
Ukrainiens depuis le 24 février 2022 a eu des conséquences directes
sur leur santé. Les malades chroniques, les personnes atteintes
de maladies graves, celles qui sont atteintes de troubles mentaux,
celles qui ont souffert de traumatismes, les femmes enceintes, celles
qui ont accouché, les victimes de viols, tous et toutes ont dû faire
face à des systèmes saturés pas toujours équipés pour les accueillir
selon les critères d’Hippocrate.
144. La protection sociale est assurée aux réfugiés qui bénéficient
de la protection temporaire. Par ailleurs, chaque personne reçoit
une modeste indemnité, plus ou moins importante selon les pays d’accueil,
à partir du premier mois de l’obtention de ce statut. Cependant,
cela ne suffit pas pour vivre, et beaucoup de réfugiés ukrainiens
subviennent à leurs besoins grâce à l’aide apportée par leurs familles
hôtes. Pour nombre d’entre elles, cette aide constitue un poids
qu’elles ne pourront pas continuer de porter dans la durée.
145. Sans s’attarder sur cette question importante, je voudrais
souligner trois problèmes principaux auxquels sont confrontés les
Ukrainiens, que ce soit en Ukraine ou à l’étranger. En Ukraine d’abord,
le nombre d’opérations prévues a été multiplié par trois à Ouzhgorod
avec l’arrivée des personnes déplacées. Ce n’est pas seulement le
personnel médical qui manque, mais les équipements et les médicaments,
produits à Kyiv et à Kharkiv. A l’étranger, les droits reproductifs
des femmes sont mis à mal en Pologne, ce qui en a poussé certaines
à venir se faire avorter en République slovaque. Enfin, pour les
maladies chroniques, il n’y a pas toujours d’adéquation entre les
traitements prescrits en Ukraine et ceux du pays d’accueil. Il a
fallu trouver des systèmes d’équivalence, anxiogènes pour les patients.
146. Heureusement, la barrière linguistique n’a pas toujours été
un obstacle, notamment en République slovaque où travaillaient déjà
de nombreux médecins ukrainiens, mais il est crucial d’assurer une
passerelle rapide pour les professionnels de santé ukrainiens réfugiés
afin que leurs diplômes soient rapidement reconnus et qu’ils puissent
commencer à exercer, aussi pour pallier les systèmes de santé parfois
insuffisants des pays d’accueil.
147. Il y a également un énorme besoin de personnel qualifié pour
assurer les soins psychologiques aux personnes ayant souffert de
traumatismes dus à la guerre. J’ai pu voir des dessins d’enfants
indiquant sans aucune ambiguïté qu’ils ont été victimes de traumatisme.
J’ai été impressionné par les soins d’urgence prodigués par le Centre
d’intervention «IPČKO» en République slovaque, notamment grâce à
la technique du «huggy puppy therapy» (que l’on peut traduire par
«thérapie du doudou-câlin») et par les efforts faits au centre d’accueil
des réfugiés de Iaşi à plus long terme. Une interprétation de qualité
est essentielle pour que le soutien psychologique puisse avoir un
effet.
4.8. L’intégration
148. L’intégration n’est pas seulement
un dilemme pour les Ukrainiens qui ont fui la guerre à l’étranger.
Pour les pays d’accueil, la question se pose aussi, notamment en
République slovaque, au départ, considérée comme un pays de transit, mais
où, de plus en plus souvent, les réfugiés restent. Comme les chiffres
ne sont pas fiables, il est difficile de planifier leur intégration,
mais il est clair que plus les gens qui arrivent sont pauvres, plus
il est certain qu’ils n’iront pas plus loin. Il faut donc soutenir
les pays d’accueil à aider à l’intégration de ces personnes. Pour
le moment, les acteurs principaux de l’intégration sont les organisations
non gouvernementales, qui proposent des cours de langues, des activités
culturelles etc., tel que le Centre polonais pour l’aide humanitaire
et la Fondation Ocalenie en Pologne ou l’organisation «Mareena»
et la Ligue des Droits de l’Homme en République slovaque.
149. L’incertitude n’est pas propice aux projets à long terme mais
je suis convaincu de l’enrichissement mutuel dont bénéficieront
les sociétés d’accueil et les Ukrainiens grâce à une intégration
ciblée et bienveillante quelle que soit la durée de l’exil de ces
derniers.
5. Conclusion
150. Une image ne m’a pas quitté
depuis le périple que j’ai entrepris pour préparer ce rapport. C’est
celle que m’a soufflée Serhiy Osachuk, le Gouverneur militaire de
la région de Chernivtsi: des enfants jouant aux cubes de construction,
qui s'appliquent à monter, à combiner, à assembler des pièces de
toutes les tailles, de toutes les formes, de toutes les couleurs,
pour construire le plus bel artefact du monde. Pour lui, c'est ça
l'Ukraine: une communauté qui œuvre ensemble à construire un pays
où il fait bon vivre, dans la joie et le plaisir de l'effort. Si
la Russie, avec son agression, a suspendu ce processus, elle ne
pourra jamais l'arrêter, et le plus tôt elle le comprendra, le mieux
cela vaudra. Mes propositions ont pour objectif d'aider l'Ukraine
à ne jamais abandonner son ambition et à y aboutir dès que possible.