1. Introduction
1. En 2019, j'étais rapporteure
du tout premier rapport de l'Assemblée parlementaire sur la mise
en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention
et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique (STCE no 210, «Convention
d’Istanbul») intitulé «La Convention d’Istanbul sur la violence
à l’égard des femmes: réalisations et défis»
. Le rapport faisait le point sur
les premières réalisations de la Convention d'Istanbul et formulait
un certain nombre de recommandations, par exemple sur la coopération
avec le Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard
des femmes et la violence domestique (GREVIO) dans la mise en œuvre
et le suivi des activités, ainsi que sur les services de prévention et
de protection à fournir aux personnes à risque et aux victimes,
et sur la sensibilisation et la formation des professionnel·le·s
dans ce domaine.
2. L'invitation à la préparation d'un second rapport a été lancée
le 23 juin 2021 lorsque, à l'initiative de l'ancien Président de
l'Assemblée, Rik Daems, et en réponse au retrait de la Türkiye de
la convention, l'Assemblée a organisé un panel de haut niveau et
un débat interactif pour marquer les dix ans depuis son adoption,
intitulé «La Convention d’Istanbul: 10 ans après». Toutes et tous
les intervenant·e·s ont souligné l'importance vitale de la Convention
d'Istanbul, ont salué les progrès accomplis, ont réaffirmé leur
soutien et ont appelé à davantage de ratifications et à une mise
en œuvre effective, en s'engageant à lutter contre les idées fausses
et les réactions hostiles. En tant que Rapporteure générale sur
la violence à l'égard des femmes et coordinatrice du Réseau parlementaire
pour le droit des femmes de vivre sans violence, j’ai prononcé les conclusions
de l’événement en rappelant l’importance de la volonté politique
de changer la société et le besoin d’hommes et femmes champions
de la cause de mettre fin à la violence.
3. La proposition de résolution rédigée après l'événement déclarait
que le rôle moteur devait être joué par la Rapporteure générale
de l'Assemblée sur la violence à l'égard des femmes, avec le soutien
du Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans violence,
ce qui a abouti à ma nomination comme rapporteure. En tant que coordinatrice
du Réseau, j’ai bénéficié des conseils et de l'expérience des membres du
Réseau à tous les stades de la préparation du présent rapport. Le
Président de l’Assemblée, Tiny Kox, a aussi été un allié important
dans la promotion de ce travail au plus haut niveau.
4. A la suite de la célébration, le 11 mai, du dixième anniversaire
de l’ouverture à la signature de la convention, l'événement du 23
juin 2021 et la participation de l'Assemblée au Forum Génération
Égalité des Nations Unies (Paris, 30 juin-2 juillet 2021)
ont
été deux événements importants qui ont marqué une décennie d’action
encadrée par la Convention d’Istanbul. Par l'intermédiaire de son
Président, l'Assemblée s'est engagée auprès du forum à intensifier
ses efforts de promotion de la convention par tous les moyens.
2. Portée et objectifs du rapport
5. La Convention d'Istanbul est
toujours l’instrument juridique international le plus novateur et
avancé qui définit le droit des femmes à vivre sans violence comme
un droit humain. L'un des plus pertinents parmi les nombreux aspects
uniques de la convention dans le contexte du présent rapport, est
qu'elle prévoit explicitement une participation active des parlementaires
au fonctionnement et au suivi du traité. Dans son article 70, les
parlements nationaux et l'Assemblée du Conseil de l'Europe sont
invités à participer au suivi de la mise en œuvre au niveau national
et à faire régulièrement le point au sein de l'Assemblée.
6. Par conséquent, l'Assemblée a le devoir d'encourager l'implication
de chacun des parlements de ses États membres et de les pousser
à répondre aux attentes importantes découlant de la convention qui
pèsent sur les parlementaires, à savoir s'engager dans une action
positive en vue de la ratification et de la mise en œuvre de cette
dernière, y compris sur la base des conclusions et des recommandations
faites par les expert·e·s dans le cadre du mécanisme de suivi de
la Convention d’Istanbul. Le présent rapport examine les efforts
réalisés jusqu'à présent par les parlementaires aux niveaux national
et international pour promouvoir les objectifs de la convention
et met en évidence ceux qui ont obtenu les meilleurs résultats et
les plus visibles – que ce soit dans les cadres législatifs et politiques
des États pour mettre fin à la violence, ou par les preuves recueillies
sur le terrain qui montrent les effets positifs dans la prévention
et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence
domestique.
7. Deuxièmement, le titre du rapport indique d'emblée que l'accent
devrait être mis sur un examen des progrès accomplis et sur la mise
en valeur des principaux défis rencontrés au cours des huit années
écoulées depuis l'entrée en vigueur de la convention. Une liste
exhaustive des réalisations aurait certainement pu impressionner,
mais je pense que des informations détaillées sur certains domaines
d'excellence et d’autres domaines où de nouvelles stratégies ou
une action plus forte sont nécessaires sera certainement plus utile
à ce stade.
8. Mon travail sur ce rapport comporte une visite d'information
en Türkiye, au cours de laquelle j'ai échangé avec des organisations
de défense des droits des femmes et des autorités judiciaires et
exécutives nationales dans le but d’examiner comment les mesures
visant à protéger les femmes contre la violence avaient évolué depuis
le retrait de la Convention d'Istanbul et également afin de promouvoir
le retour de la Türkiye à la convention. J’ai aussi organisé une
audition en commission avec la participation du Président de l'Assemblée, Tiny
Kox, de la Présidente du Comité des Parties, l'Ambassadrice Marie
Fontanel, Représentante permanente de la France auprès du Conseil
de l'Europe, et de la Présidente du GREVIO, Iris Luarasi.
9. Dans la continuité de la disposition de la Convention d'Istanbul
prévoyant une contribution de l'Assemblée, l'Assemblée souhaite
également apporter son expérience et l'influence de ses membres
à l'action future du Conseil de l'Europe à une grande échelle. J'espère
que le rapport pourra alimenter la réflexion sur la prochaine Stratégie
pour l'égalité entre les femmes et les hommes, qui sera mise en
place après la fin de la stratégie actuelle (2018-2023) (voir le
chapitre 3.3 ci-dessous).
3. Progrès
depuis 2019
3.1. Faire
progresser la convention
10. Bien des choses se sont produites
depuis le rapport et le débat de 2019. Tout d’abord, et c’est un
fait extrêmement positif, quatre nouveaux pays (Liechtenstein, République
de Moldova, Royaume-Uni et Ukraine) ont ratifié la convention entre
juin 2021 et août 2022, et le Kosovo*
a pris la décision de l’appliquer
sur son territoire. Trois États non membres (Israël, Kazakhstan
et Tunisie) sont à présent invités à adhérer par le Comité des Ministres.
L’espoir persiste de voir l’Union européenne ratifier la convention
dans un futur proche, et le rêve que tous les États membres fassent
de même ne semble plus être une pure fiction. Le retrait malheureux
de la Türkiye de la convention en 2021 a été naturellement décevant,
mais les 37 ratifications ou adhésions actuelles sont un succès
significatif qui doit être célébré, et certaines des 8 signatures
non encore suivies de ratification devraient conduire à des progrès
prochainement.
11. Le mécanisme de suivi de la Convention d'Istanbul a pris de
l'ampleur: au moment de l’adoption de ce rapport, le GREVIO a publié
des rapports d'évaluation de référence pour 29 États membres et
effectué des visites d'évaluation de 3 autres États. Il a également
publié deux documents clé: l’analyse horizontale à mi-parcours des
rapports existants du GREVIO
et
sa première Recommandation générale sur la dimension numérique de
la violence à l'égard des femmes.
12. De nombreux codes pénaux ont été alignés sur la convention,
avec l'introduction de nouvelles infractions sur le harcèlement,
les mutilations génitales féminines, le harcèlement sexuel et le
mariage forcé. Plusieurs États parties disposent désormais de définitions
juridiques du viol qui figure à l'article 36 de la convention comme
étant tout acte sexuel non consenti, ou sont en train d'introduire
des définitions fondées sur le consentement: les derniers pays ayant
apporté des changements à cet égard sont le Danemark, l'Espagne, la
Finlande et la Slovénie.
13. Le GREVIO est également membre fondateur des Mécanismes d'experts
indépendants sur la discrimination et la violence à l'égard des
femmes – la plateforme EDVAW, créée par la Rapporteure spéciale des
Nations Unies sur la violence contre les femmes et les filles et
composée de sept mécanismes mondiaux d'experts œuvrant à la lutte
contre la violence à l’égard des femmes et des filles. Le GREVIO,
représenté par sa présidente Iris Luarasi, préside actuellement
la plateforme.
14. Concernant l'Union européenne, le Parlement européen a demandé
pour la première fois à la Commission de lancer la procédure d'adhésion
de l'Union européenne à la Convention d'Istanbul dans sa Résolution
sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes du 25 février
2014. Depuis lors, il n'a cessé de souligner que la ratification
serait une démonstration puissante de l'engagement de l'Union européenne
à éradiquer la violence à l'égard des femmes et à établir un cadre
juridique européen cohérent pour ce faire. La Commission von der
Leyen a fait de ce dossier une priorité dans sa stratégie européenne
pour l'égalité des genres 2020-2025, mais comme les progrès sont
restés bloqués malgré un avis de la Cour de justice européenne selon
lequel l'adhésion est possible, des propositions pour une nouvelle
directive européenne ont été publiées en mars 2022
.
15. La proposition de directive utilise la Convention d'Istanbul
comme référence et son exposé des motifs stipule que «La Convention
d'Istanbul est le cadre international le plus complet pour lutter
de manière globale contre la violence à l'égard des femmes et la
violence domestique», et en outre, que «Pour les États membres qui
sont parties à la Convention d'Istanbul, les mesures de l'UE soutiendraient
la mise en œuvre de la convention».
3.2. La
construction d’un corpus de données et d’expérience
16. Toute cette documentation,
ainsi que les visites d'évaluation sur place qui permettent aux
États membres de s'engager dans l'application pratique des dispositions
du traité, s'accumulent pour constituer une solide ressource de
pratiques, de politiques et de jurisprudence et identifier les domaines
nécessitant une attention accrue.
17. En mars 2020, la Cour européenne des droits de l'homme et
le GREVIO ont lancé une nouvelle base de données HUDOC-GREVIO pour
permettre aux utilisatrices et utilisateurs publics d’effectuer
des recherches à l'aide de filtres par article et par mot-clé (par
exemple, formes de violence, groupes cibles, etc.) et de récupérer
des informations à partir des rapports d'évaluation de base du GREVIO
et des commentaires finaux respectifs des gouvernements; des recommandations
émises par le Comité des Parties ainsi que ses conclusions; des
rapports d'activité du GREVIO; et désormais des recommandations
générales du GREVIO, depuis l'adoption de la première (sur la dimension
numérique de la violence à l'égard des femmes) en 2022. La Cour
produit également des fiches d'information sur les attributions
de la convention
.
18. En avril 2020, le GREVIO s’est saisi pour la première fois
de sa capacité à soumettre des tierces interventions à la Cour européenne
des droits de l'homme. Dans l'affaire Kurt
c. Autriche (requête n° 62903/15), concernant le meurtre
d'un garçon de huit ans par son père alors que sa mère avait signalé
des violences domestiques, les observations du GREVIO se sont concentrées
en particulier sur l'importance d'appliquer une compréhension de
la violence domestique basée sur le genre, afin d'assurer une enquête
efficace, la poursuite des auteurs et la protection des victimes.
3.3. La
Stratégie pour l’égalité de genre 2018-2023
19. Le Conseil de l’Europe a conçu
sa première stratégie afin de rassembler et de renforcer son action
en faveur de l’égalité de genre, dont la Convention d’Istanbul est
une partie intégrante et centrale. La stratégie, mise en œuvre dans
le cadre de la Commission pour l’égalité de genre, permet un suivi
constitutionnel concret des rapports d’évaluation du GREVIO, en
soutien des mesures mises en place ou recommandées dans les États
membres. Dans le cadre de la stratégie, des activités de soutien
à l'adhésion des États qui ne sont pas encore parties à la Convention
d’Istanbul sont également organisées, par exemple l'évaluation des
lacunes législatives en Azerbaïdjan, en Lettonie, ainsi qu’au Kosovo,
avec la possibilité d'organiser une assistance technique et une
action de sensibilisation sur demande, financées en partie par la
Commission européenne.
20. Ces programmes ont également permis de préserver les liens
avec le gouvernement et la société civile en Türkiye. Une coopération
multi-agences a été mise en place avec ONU Femmes et le réseau d'ONG
WAVE (Women Against Violence Europe), qui permet de soutenir l'alignement
des politiques et les échanges entre pairs en Géorgie, en République
de Moldova, en Azerbaïdjan et en Arménie. Les programmes prévus
pour 2023 dans les Balkans utiliseront les rapports du GREVIO comme
feuille de route, puisque tous les pays concernés ont ratifié la
convention.
21. Les cours HELP (Human rights Education
for Legal Professionals) du Conseil de l'Europe comportent des
cours en ligne sur l'accès à la justice pour les femmes, et sur
la violence à l’égard des femmes pour les juristes, ainsi que sur
la violence à l'égard des femmes et la violence domestique pour
les forces de l'ordre (qui existe en 23 langues), adaptés sur demande
à différents groupes et contextes nationaux. Le succès de ces cours
est attesté par leur utilisation considérable: en Espagne, par exemple,
le cours sur la violence à l'égard des femmes a été intégré dans
toutes les formations destinées aux magistrat·e·s, et FRONTEX a
manifesté son intérêt pour son utilisation.
22. Lors de sa réunion en novembre, la Commission pour l'égalité
de genre a adopté des lignes directrices sur le rôle des hommes
et des garçons dans les politiques d'égalité entre les hommes et
les femmes et dans les politiques de lutte contre la violence envers
les femmes. Lors de la même réunion, la Commissaire aux droits de
l'homme du Conseil de l'Europe a proposé d'inclure la santé et les
droits sexuels et reproductifs des femmes dans la prochaine stratégie
pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2024-2029, et d'accorder une
attention particulière aux femmes et aux filles confrontées à la
marginalisation et à la discrimination intersectionnelle. Je soutiens
vivement ses propositions et les recommande à l'Assemblée.
4. La
Convention d’Istanbul face à des risques tenaces et émergents
4.1. Facteurs
liés au contexte
23. Malheureusement, parallèlement
aux progrès et au succès considérables, il y a eu de sérieux revers pour
la convention et par là-même pour la protection contre la violence
fondée sur le genre. Le plus regrettable d'entre eux, pour la portée
et l'efficacité directes du Conseil de l'Europe, a été le retrait
du traité du pays même où il a été ouvert à la signature et qui
a donné son nom à la Convention d'Istanbul: la Türkiye. Cela a des conséquences
potentiellement négatives pour la lutte contre la violence sur le
terrain. Ma visite d’information en Türkiye, décrite en détails
ci-dessous, m’a apporté beaucoup de matière à réflexion concernant
les exigences de la protection des femmes contre la violence au
niveau national et l’utilité d’adhérer à la convention, d’utiliser
son cadre normatif, de partager les bonnes pratiques et de bénéficier
de son système de suivi.
24. Je souhaiterais faire une remarque personnelle. Les difficultés
rencontrées par les femmes dans toute l’Europe, mais plus particulièrement
dans certains pays, permettent en réalité de montrer à quel point
ce traité est important pour la société civile partout, et à quel
point il est connu dans les milieux non spécialisés. Je ne connais
pas d’autre convention du Conseil de l’Europe qui ait été un slogan,
voire le thème central de manifestations dans les rues pour la défense
des droits des femmes (comme en Pologne et en Türkiye). C’est paradoxalement
la mesure de son succès, et en même temps la démonstration d’un
soutien populaire et un signe du besoin d’évolutions réelles sur
le terrain.
25. Une autre menace à la protection des femmes contre la violence
qui est apparue au cours de la période récente est la pandémie de
covid-19. Les confinements successifs en Europe, tout en prouvant
la résistance et la résilience de beaucoup de gens, ont exacerbé
les tendances violentes de certains en obligeant les femmes et d'autres
personnes vulnérables (les personnes handicapées, les personnes
LGBTI, et plus particulièrement les jeunes dépendant de leur famille)
à rester enfermés à huis clos avec des auteurs potentiels de violences
dans le contexte de leur foyer. La crise de la santé publique a
révélé la fragilité des mesures de protection contre la violence
et la nécessité de veiller à ce que ces mesures soient mieux adaptées
et coordonnées, tant dans l'espace public que dans les sphères privées.
Alors que la pandémie recule et que l’Europe porte son attention
sur les nouvelles crises au fur et à mesure de leur apparition,
les enseignements tirés de la covid-19 sur la nécessité d’empêcher
l’isolement et de faciliter l’accès à une aide d’urgence dans les
situations familiales de violence ne doivent pas être oubliés.
26. Enfin, tout récemment, la guerre ouverte a de nouveau éclaté
sur notre continent avec l’horrible agression de l’Ukraine par la
Russie, entraînant l’exclusion de cette dernière du Conseil de l’Europe
le 14 mars 2022. La Convention d'Istanbul renvoie à la Recommandation
CM/Rec(2010)10 du Comité des Ministres aux États membres sur le
rôle des femmes et des hommes dans la prévention et la résolution
des conflits et la consolidation de la paix. Elle rappelle aussi
dans son préambule «les violations constantes des droits de l'homme
en situation de conflits armés affectant la population civile, et
en particulier les femmes, sous la forme de viols et de violences
sexuelles généralisés ou systématiques et la potentialité d'une
augmentation de la violence fondée sur le genre aussi bien pendant
qu'après les conflits» et précise que «[l]a présente convention s'applique
en temps de paix et en situation de conflit armé».
27. La guerre se poursuit, et avec elle son lot d’atrocités; nous
constatons de nouvelles preuves de la fragilité des droits humains
que l’on pensait acquis, et plus particulièrement ceux des personnes
et groupes vulnérables. Les femmes se trouvent souvent physiquement
à la croisée de nombreux types différents de vulnérabilités et sont
donc particulièrement en danger. Le rapport élaboré par Petra Bayr
(Autriche, SOC) fera des recommandations spécifiques sur les violences
sexuelles liées aux conflits, notamment en relation avec la Convention
d'Istanbul, et les rapport et résolution de Yevheniia Kravchuk «Justice
et sécurité pour les femmes dans les processus de paix et de réconciliation»
donnent des indications sur la manière
dont les femmes doivent être autonomisées et protégées dans les
situations de conflit afin de pouvoir occuper pleinement leur juste
place dans les sociétés en temps de paix.
4.2. Des
représentations délibérément fausses et un recul
28. Les représentations fausses
et la désinformation sur la Convention d'Istanbul sont courantes, notamment
dans les pays où les valeurs et les cultures traditionnelles rendent
l'évolution et l'adaptation aux défis modernes particulièrement
compliquées et où les forces politiques conservatrices et populistes
cherchent à préserver les sociétés patriarcales (qui restreignent
les droits des femmes mais aussi des hommes). Les recherches montrent
qu’«il existe un mouvement transnational très organisé, bien doté
financièrement, qui s’efforce de saper les droits des femmes»
: il est important de le savoir pour
comprendre le contexte et l'origine des critiques intenses, des
interprétations erronées et des déformations des objectifs de la
convention. Le premier rapport sur les activités du GREVIO attirait
l'attention sur ce phénomène, l'identifiant comme une diversion
à la lutte contre la violence envers les femmes. Il a certainement
donné lieu à des retours en arrière et des contrecoups qui ne peuvent
que mettre les victimes encore plus en danger.
29. La convention est le premier traité international à contenir
une définition du genre, reconnaissant que les femmes et les hommes
ne sont pas seulement biologiquement femmes ou hommes, mais qu'il
existe également une catégorie de genre socialement construite qui
attribue aux femmes et aux hommes des rôles et des comportements
particuliers, ce qui peut contribuer à rendre acceptable la violence
à l'égard des femmes. Établir une différenciation entre les termes
«sexe» et «genre», en plus de poser certains problèmes d'interprétation
est
qualifié par les détracteurs de promotion d’une «idéologie du genre
destructrice», alors qu'il s'agit de travailler sur ces conceptions
sociales aux conséquences négatives sans pour autant remplacer une
définition biologique.
30. Un autre discours faux concerne la convention et l’identité
de genre. Son intention est de protéger toutes les femmes et les
filles de la violence, y compris les femmes LBTI. Elle ne couvre
pas la reconnaissance juridique du genre, mais prévoit que toutes
les femmes et les filles, y compris celles exposées à de la discrimination
intersectionnelle fondée sur leur orientation sexuelle ou leur identité
de genre, bénéficient de la série de mesures qui assurent leur sécurité
et leur apportent un soutien. D’autres types d'opposition ne sont pas
limités à la Convention d'Istanbul mais sont un phénomène des sociétés
polarisées d'aujourd'hui. Les identités non binaires font partie
de notre monde moderne et l'accès à l'égalité des droits devra évoluer
et s'adapter pour inclure ces identités; la Convention d'Istanbul
se concentre sur les femmes – dans toute leur diversité – qui sont
visées par les violences basées sur le genre de manière disproportionnée
simplement parce qu’elles sont des femmes.
31. On dit aussi que la Convention d'Istanbul «menace la famille
nucléaire et les valeurs familiales traditionnelles», alors qu'elle
n’exprime pas du tout de telles thèses et que la ratification ne
contraint pas les hommes ou les femmes à adopter un certain mode
de vie. Elle stipule simplement que les femmes victimes de violence
basée sur le genre ou de violence domestique ont le droit de recevoir
la protection et le soutien dont elles ont besoin pour quitter une
relation violente. Les fausses allégations affirment également que
la convention encourage la migration illégale, ce qui découle des
dispositions de son chapitre 7 (articles 59 à 61, sur le statut
de séjour, les demandes d'asile fondées sur le sexe et le non-refoulement)
qui visent à découpler le statut de séjour des femmes victimes de
celui de leurs agresseurs.
32. Enfin, certains pays affirment disposer déjà d'une législation
nationale suffisante. La convention porte sur l'élimination de tous
les types de violence à l'égard des femmes et de violence domestique,
dont aucun pays n'est à l'abri; la convention fournit un modèle
pour la législation nationale et possède une valeur ajoutée spécifique
à cet égard par rapport aux traités internationaux précédents. Les
rapports d'évaluation du GREVIO ont montré qu'elle établit des normes,
dans la législation et les politiques, vers lesquelles les approches nationales
doivent continuer à tendre. Ses dispositions complètes permettent
aux États parties d'atteindre le niveau nécessaire de prévention,
de protection et de soutien, et d'assurer des réponses efficaces
des forces de l'ordre et du système judiciaire pour envoyer le message
que la violence à l'égard des femmes est inacceptable. Le contrôle
efficace et constructif et le partage des meilleures pratiques,
ainsi que la coopération transnationale, sont parmi les nombreux
avantages de la ratification.
33. Les parlementaires ont le devoir de contrer ces tentatives
de remise en cause de l'importance de la Convention d'Istanbul par
des actions de sensibilisation qui utilisent des éléments de langage
compréhensibles par toutes et tous, afin de contrer le narratif
négatif et promouvoir une meilleure compréhension. Lors des séminaires
entre pairs, les parlementaires cherchant à persuader leur pays
d'adhérer à la convention ont régulièrement demandé de l’aide afin
de formuler des arguments leur permettant de contredire les contradicteurs
et de démystifier les mythes.
34. D'autres politiques et pratiques contribuent à la réorientation
des priorités qui est une condition préalable à la réduction des
violences basées sur le genre: certains pays, comme la France par
exemple, ont initié des politiques étrangères féministes qui représentent
un pas en avant significatif vers l’égalité et la mise en place d’une
perspective de genre intégrée. Je me réfère dans ce contexte à l'excellent
rapport de notre collègue Petra Stienen, sur la dimension de genre
dans la politique étrangère
.
35. Dans les cas où les États membres ne peuvent pas concilier
leurs politiques et législations avec certaines dispositions mais
souhaitent ratifier la convention, un système de réserves permet
la dénonciation d'un ou plusieurs articles, à condition que celles-ci
soient dûment justifiées. Elles sont sujet à une révision en vue
d'un éventuel renouvellement tous les cinq ans. Celles-ci sont différemment
perçues par les parties prenantes à la convention.
5. L'Assemblée
parlementaire et la Convention d’Istanbul
5.1. Les
parlements pour la promotion de la convention
5.1.1. Le
Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans violence
36. Créé en 2006, soit plusieurs
années avant l’adoption de la Convention d’Istanbul, le Réseau parlementaire
pour le droit des femmes de vivre sans violence offre un forum parlementaire
vital pour les travaux du Conseil de l’Europe visant à mettre fin
à la violence fondée sur le genre, faisant activement campagne pour
la ratification de la convention aux niveaux national, européen
et mondial et sa mise en œuvre effective dans la pratique. Il est
très largement connu chez des partenaires comme l’ONU (ONU femmes)
et l’Union européenne, et c’est pourquoi il est présent autour de
la table aux plus hauts niveaux du dialogue international autour
des droits des femmes.
37. Le réseau maintient une forte présence dans tous les forums,
notamment sur les réseaux sociaux, et les contributions financières
volontaires des parlements et des gouvernements lui fournissent
les moyens de mener des actions et développer des outils, comme
le manuel à l’usage des parlementaires sur la convention. Le réseau
saisit aussi l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination
de la violence à l'égard des femmes, le 25 novembre, pour lancer
des «mini-campagnes» de soutien à la convention.
5.1.2. Panel
de haut niveau et débat, mercredi 23 juin 2021 – «La Convention
d’Istanbul: 10 ans après»
38. Le mercredi 23 juin 2021, l’Assemblée
a tenu un panel de haut niveau et un débat interactif sur le thème «La
Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte
contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(Convention d’Istanbul): 10 ans après», présidé et modéré par Rik
Daems alors Président de l’Assemblée, panel qui a donné l'impulsion
pour le présent rapport. Parmi les participant·e·s figuraient Nadia
Mourad, militante des droits humains d’origine yézidie, lauréate
du Prix des droits de l’homme Václav Havel 2016, du prix Nobel de
la paix 2018 et du Prix Sakharov pour la liberté de la pensée, Marija Pejčinović-Burić,
Secrétaire Générale du Conseil de l'Europe, Alexander De Croo, Premier
ministre belge, Anca Dana Dragu, Présidente du Sénat roumain, Élisabeth
Moreno, Ministre déléguée auprès du Premier ministre français chargée
de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et
de l’Égalité des chances, et Dubravka Šimonovic, Rapporteure spéciale
des Nations Unies sur la violence contre les femmes et les filles,
ses causes et ses conséquences.
39. Nadia Murad a souligné que la Convention d’Istanbul a le potentiel
«d'apporter des changements significatifs pour les survivantes comme
les Yézidis et les femmes du monde entier en modifiant les normes internationales
relatives à la violence fondée sur le genre». Elle a fait remarquer
qu’afin de prévenir les violences sexuelles en temps de guerre,
il fallait créer un fondement solide pour l’égalité entre les femmes
et les hommes en temps de paix.
40. Pour le Premier ministre belge, Alexander De Croo, auteur
d'un livre intitulé Le siècle de la femme: Comment
le féminisme libère aussi les hommes, la Convention d’Istanbul
permet à chaque femme et à chaque fille de connaître ses droits
et de savoir à qui s'adresser pour les faire respecter. Mme Anca
Dana Dragu, première femme à présider le Sénat de Roumanie, a expliqué
comment la législation et les politiques publiques avaient été révisées
après la ratification de la Convention et comment de nouveaux partenariats
avaient été créés avec la société civile. Mme Élisabeth
Moreno, ministre délégué à l'Égalité entre les femmes et les hommes,
à la Diversité et à l'Égalité des chances, a déclaré que la France
avait fait de l'universalisation de la Convention d'Istanbul l’un
des objectifs majeurs de sa diplomatie féministe.
41. Dubravka Šimonovic, Rapporteure spéciale des Nations Unies
sur la violence contre les femmes et les filles, travaille avec
la Convention d’Istanbul, entre autres cadres de législation modèle
sur l’incrimination du viol et les poursuites en la matière. La
Secrétaire Générale du Conseil de l'Europe, Mme Marija
Pejčinović-Burić, a souligné qu’aucun gouvernement ne peut à lui
seul recréer la protection qu’apporte ce traité multilatéral avec
son mécanisme de suivi international unique en son genre, qui contribue
à amener des changements, difficiles, certes, mais positifs.
5.1.3. Forum
Génération Égalité, France et Mexique, 28 juin-1er juillet 2021
42. En 2021, le Mexique et la France
ont co-organisé le Forum Génération Égalité des Nations Unies, qui marquait
les 25 années écoulées depuis la quatrième conférence mondiale sur
les femmes de Beijing et son plan d’action, la Plateforme de Beijing.
Les organisations, les ONG et le secteur privé ont été invités à s’engager
à agir pour autonomiser les femmes et promouvoir et protéger leurs
droits. Les événements ont été l’occasion pour l’Assemblée de renouveler
son engagement à mettre fin à la violence contre les femmes, et
le président Rik Daems a participé à la cérémonie officielle ouverte
par le Président français Emmanuel Macron.
43. L’Assemblée a pris un engagement de cinq ans concernant la
violence contre les femmes, qui était l’une des six «coalitions
d’action» du forum, entièrement axé sur la Convention d’Istanbul.
Les objectifs sont d’inciter tous les États membres du Conseil de
l’Europe à signer et ratifier la convention et de veiller à ce qu’elle
soit pleinement et effectivement mise en œuvre dans les États parties.
Cette action, qui sera mise en avant par l’intermédiaire de la Commission
sur l'égalité et la non-discrimination et du Réseau parlementaire
pour le droit des femmes de vivre sans violence, inclut des activités
de sensibilisation des parlementaires mettant en évidence les progrès
accomplis par la convention dans la lutte contre la violence à l’égard
des femmes; elle comprend aussi l’organisation de séminaires d’information
et de formation entre pairs dans les parlements nationaux à l’aide
du manuel à l’usage des parlementaires sur la Convention révisé
en 2019
, et des
activités visant à encourager les parlementaires à appliquer pleinement
l’article 70 de la Convention qui prévoit un contrôle parlementaire.
Un mécanisme a été mis en place afin de suivre la mise en œuvre
des engagements pris.
5.1.4. Des
outils et une action concertée
44. Le manuel révisé pour les parlementaires
a été un outil efficace de sensibilisation et de promotion, et sert
de base pour des séminaires et ateliers entre pairs dans les parlements
nationaux. Ceux-ci n'ont pas été possibles en 2020 et 2021 en raison
des restrictions dues à la covid, mais sont actuellement en cours
de reprise, avec un atelier à Rabat, au Maroc, le 5 décembre 2022,
ayant pour but d’examiner les changements législatifs et politiques
nécessaires à l'adhésion. Au cours de la période, plusieurs webinaires
en ligne ont été organisés sur différents aspects de la violence
à l'égard des femmes, co-organisés par la commission sur l'égalité
et la non-discrimination et le Réseau parlementaire pour le droit
des femmes de vivre sans violence.
45. Cette dynamique devrait être maintenue, en particulier grâce
au travail de la commission et du Réseau parlementaire, et en conformité
avec l’article 13 de la convention qui demande aux parties de promouvoir
ou mener des campagnes de sensibilisation, en coopération notamment
avec des organisations de femmes. Il est essentiel de maintenir
une grande visibilité et de tirer parti de la reconnaissance mondiale
déjà très importante de la Convention d’Istanbul parmi les organisations
partenaires et surtout le grand public. C’est la voie à suivre pour
ajouter aux quatre piliers de la Convention d’Istanbul – prévention,
protection, poursuites et politiques – le cinquième «P», pour parlements,
en tant que législateurs et garants de la conformité, comme le dit
le texte lui-même.
5.2. Les
parlementaires en tant que législateurs
46. Lors de son analyse horizontale
à mi-parcours 2022 des rapports d'évaluation de référence du GREVIO
, le groupe indépendant
d'experts sur la convention a noté que la ratification incitait
un certain nombre de pays à modifier leurs politiques et législations
qui ne portent pas seulement sur la violence domestique mais ciblent
les diverses formes de violence couvertes par la convention. L’Espagne
en est un exemple, qui a pris des mesures visant à étendre son action
contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes, au-delà
de la violence domestique. En Andorre, en Autriche, à Malte, à Monaco
et au Portugal, des normes législatives et politiques plus exigeantes
ont été introduites, ce qui montre bien, selon le GREVIO, «la dynamique
engendrée par la Convention d’Istanbul en faveur du changement ainsi
que le degré élevé d’engagement des parties»
.
47. De nombreux autres changements et des pratiques prometteuses
dans la législation sont mis en lumière dans l’analyse horizontale,
à la fois des mesures transversales et de la réglementation spécifique.
En Belgique, par exemple, une loi du 12 janvier 2007 connue sous
le nom de «Gender Mainstreaming», prévoit d’intégrer les principes
fondamentaux d’égalité entre les femmes et les hommes et de non‑discrimination
dans les politiques publiques, de leur élaboration à leur évaluation,
en particulier dans leur exécution par les pouvoirs publics et leurs
agents. Ce type de législation a été introduite dans plusieurs autres
pays. Dans des domaines spécifiques comme la migration, un certain
nombre de pays ont traduit dans la loi le droit d’une femme requérant
l’asile à demander que la personne chargée de l’entretien et l’interprète
soient des femmes – il s’agit de l’Autriche, de la Belgique, du
Danemark, du Monténégro, des Pays-Bas, de la Suède et de la Serbie,
où la loi a été amendée après ratification de la Convention d’Istanbul.
En France, la réforme de l’asile lancée après la ratification de
la Convention d’Istanbul offre aux demandeurs la possibilité non
seulement de requérir que l’interprète et la personne chargée de
l’entretien soient des femmes, mais aussi d’être accompagnés d’une tierce
personne lors de l’entretien lié à l’entretien d’asile, qu’il s’agisse
d’un avocat ou d’une avocate, ou d’un conseiller ou une conseillère
membre d’une ONG spécialisée. D’autres législations relatives à
des articles de la convention ont été introduites, comprenant des
sujets tels que la protection et le soutien des victimes et des témoins,
la priorisation des enquêtes sur la violence domestique et les crimes
liés à la violence sexuelle, les problèmes de consentement, et bien
d’autres.
48. Ce sont seulement quelques exemples des évolutions positives
inspirées par la convention et mises en place grâce à des propositions
de nouvelle législation. Toutefois, il ressort clairement des chapitres
de l’analyse à mi-parcours consacrés aux défis de la mise en œuvre
qu’il reste encore beaucoup à faire. La conclusion de cette analyse
indique: «Il ressort clairement de ce qui précède que si toutes
les Parties ont pris des mesures concrètes pour mettre en œuvre
la convention, il leur reste encore des difficultés à surmonter,
ce qui sera possible à condition qu’il y ait une volonté politique
soutenue d’appliquer la convention et de lui donner un sens à l’échelon
national. Cette analyse se veut donc un exercice d’état des lieux
autant qu’un appel à l’action, aussi bien à l’intention des gouvernements
qui ont déjà fait l’objet d’une évaluation que des prochains sur
la liste du GREVIO». J’appelle toutes et tous mes collègues parlementaires
à prendre note de cet appel résolu à l’action.
5.3. Le
contrôle parlementaire de la mise en œuvre – essentiel pour le progrès
sur le terrain
49. Dans son rapport d’évaluation
de référence sur la Belgique, le GREVIO a considéré comme prometteuse
et conforme à l’article 70, paragraphe 1, de la convention, la pratique
émergente consistant à soumettre au parlement national ainsi qu’aux
parlements des entités fédérées des rapports d’avancement sur la
mise en œuvre du plan d’action national de lutte contre les violences
à l’égard des femmes. Cela devrait être promu de manière généralisée
par les parlementaires et fait partie des recommandations qui accompagnent ce
rapport. La remise des rapports aux parlements, la priorité donnée
à la discussion des conclusions et au suivi législatif le cas échéant
constituent des phases essentielles d'une mise en œuvre efficace.
50. L'Assemblée devrait prévoir un examen annuel de l'action de
mise en œuvre de la Convention d'Istanbul, invitant les membres
à soumettre des informations sur cette action tant dans le cadre
des rapports du GREVIO qu'en dehors des cycles d'évaluation, en
vue d'améliorer la connaissance institutionnelle de ses dispositions
et leur application dans les États Parties et l'amélioration de
leur mise en œuvre par un large partage de pratiques et d'exemples
de mesures législatives. Les recommandations du Comité des Parties
à la Convention devraient être incluses dans cet examen. Sans une
nouvelle visibilité et une priorité accordée à la mise en œuvre,
les progrès indéniables des mesures de protection et de prévention
affichés par le mécanisme de contrôle continueront d'être contredits
par les statistiques toujours choquantes sur la violence à l'égard
des femmes et la violence domestique.
6. Les
défis à relever au niveau national – une étude de cas de la Türkiye
51. Les 6 et 7 juin 2022, j’ai
effectué une visite d’information à Istanbul et Ankara, qui a été
précieuse car elle m'a permis d'avoir une bonne vue d'ensemble des
réponses nationales à la violence à l'égard des femmes dans ce pays,
qui correspondent dans de nombreux domaines à celles des autres
États membres du Conseil de l'Europe. Ma visite dans un pays qui
ne fait plus partie de la convention peut ne pas paraître pertinente, mais
un de mes objectifs était de militer pour le retour du pays, ce
que j’ai pu faire sans rencontrer de réactions hostiles de la part
des autorités que j’ai rencontrées. En tout cas, je suis revenue
de cette visite encore plus convaincue des avantages de l'adhésion
à la Convention d'Istanbul, tout en prenant note des politiques
de lutte contre la violence mises en place, et je continuerai à
faire tout ce qui est en mon pouvoir pour encourager une nouvelle
ratification de la part de la Türkiye.
52. Je tiens à remercier tout particulièrement le président de
la délégation turque auprès de l’Assemblée, M. Ahmet Yildiz, pour
avoir facilité mes rencontres à Ankara et pour la réunion bilatérale
substantielle et ouverte que nous avons eue. Mes sincères remerciements
vont également au secrétariat de la délégation, en particulier à
Mme Handan Karakaş pour l'organisation
efficace de la visite. J'ai également pu participer à un déjeuner
de travail avec des membres du Parlement turc et de la délégation
auprès de l'Assemblée – Sena Nur Çelik, Emine Nur Günay, Feleknas
Uca ainsi que Fatma Aksal.
53. À Istanbul et à Ankara, j'ai rencontré un grand nombre de
femmes professionnelles très dévouées et déterminées, travaillant
pour des ONG défendant les droits des femmes dans tout le pays.
Le jour même de ma visite à Ankara le Conseil d'État, la plus haute
juridiction administrative de la Türkiye, tenait des audiences dans
le cadre de plus de 200 recours demandant l'annulation de la décision
du Président Erdoğan de retirer la Türkiye de la Convention d'Istanbul
. Ainsi j’ai pu profiter de la présence
de nombreuses avocates militantes de toute la Türkiye et échanger
avec un groupe de 30 d'entre elles le soir, après avoir passé la
journée à rencontrer les autorités compétentes. A Istanbul, j'ai
eu la chance de bénéficier des locaux de la Fondation Refuge pour
Femmes Mor Çatı (Toit Pourpre)
pour rencontrer et échanger avec
la Fondation et avec d'autres ONG sur leur travail et les défis
auxquels elles font face.
54. À la Fondation Mor Çatı, j'ai rencontré des représentantes
de l'Association du barreau d'Istanbul, du Lobby européen des femmes,
de la Coordination de la coalition des femmes pour la Türkiye, de
Women for Women's Human Rights-New Ways, de la Fondation Bibliothèque
et du Centre d'information des femmes et de l'Association Red Pepper.
Lors d’une réunion ultérieure à Ankara, j'ai entendu et échangé
avec d'autres représentantes du Lobby européen des femmes et de
la Coalition des femmes, notamment pour les femmes handicapées,
la Plateforme des femmes pour l'égalité Eşik Platform, l'Association
de recherche et de solidarité culturelle gay et lesbienne KAOS-GL,
l'Union des femmes turques (Türk Kadınlar Birliği), la Fédération
des associations de femmes turques et le Barreau Hatice Demir Diyarbakir.
55. J'ai également rencontré Emma Sinclair-Webb, directrice associée
et directrice de Human Rights Watch en Türkiye, qui a présenté un
rapport tout récemment publié intitulé «La Türkiye échoue auprès
des victimes de violence domestique»
et
a participé à la discussion. Elle m’a informée sur certaines des
menaces qui pèsent sur les droits des femmes dans le pays, et je
recommande vivement de consulter cette publication, dont j'ai également
pu faire la promotion lors de ma rencontre au ministère de la Famille,
où j’ai reçu l’assurance que l’ONG serait prochainement invitée
à faire une présentation.
56. Mes entretiens avec les autorités turques visaient à examiner
les dispositions actuelles en matière de protection des femmes contre
la violence, afin de déterminer si la nouvelle législation nationale
entrée en vigueur récemment est efficace pour lutter contre la violence
à l'égard des femmes, et si elle reste inspirée des dispositions
de la Convention. J'ai rencontré la Procureure, Mme Emine
Avcıoğlu, M. Murat Çetinkaya, M. Ahmet Hamdi Taşyapan et Mme Elif
Çelik au ministère de la Justice, le Dr Sibel Ozdemir, chef du département
de lutte contre la violence à l'égard des femmes et de la famille
de la police nationale turque, M. Şeref Malkoç, Médiateur en chef
de Türkiye, avec Mme Fatma Benli Yalcin
et Mme Celile Özlem Tunçak, Médiatrices,
Mme Fatma Aksal, Présidente du Comité
sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes et Mme Öznur
Çalık, Présidente du Comité de recherche du parlement sur la violence
contre les femmes, et enfin avec Mme Gülser
Ustaoğlu, Chef de la Direction de la Condition Féminine au Ministère
de la Famille et des Politiques Sociales.
57. De toute évidence, lorsqu'on utilise la Convention d'Istanbul
comme curseur, les positions de la société civile et des autorités
nationales s'opposent radicalement sur le besoin d’appartenir à
la convention. En réalité, je crois que sur beaucoup des questions
débattues, notamment celles concernant les mesures, actions et moyens
déployés sur le terrain, les approches pourraient être moins irréconciliables
et les manquements tragiques dans la protection des femmes contre
la violence pourraient être mieux résolus par la coopération entre
la société civile et les autorités nationales et régionales.
58. Cependant, des divergences culturelles et politiques – déjà
présentes dans la société turque dans son ensemble – sont des obstacles
au dialogue et au progrès, en particulier lorsqu'il s'agit de la
protection contre la violence fondée sur le genre pour des groupes
spécifiques tels que les femmes en situation de handicap, les femmes
LBT et les minorités, et de l’accès de toutes les femmes à la santé
et aux droits sexuels et reproductifs fondamentaux. La Convention
d’Istanbul reste le meilleur cadre pour la protection, et dans certaines
régions de la Türkiye, les autorités locales et les organisations
de femmes continuent de modeler des politiques sur ses dispositions.
Je serais extrêmement satisfaite si les autorités turques se rendaient
compte que la convention n'a que des avantages pour la protection
des femmes contre la violence et la prévention de la violence domestique
et prenaient la décision de redevenir un État partie.
7. Conclusions
59. La Convention d'Istanbul est
l'un des traités les plus jeunes et les plus dynamiques du Conseil
de l'Europe. Ce fut un plaisir de faire le point sur la façon dont
sa portée s'est développée au cours des huit dernières années depuis
son entrée en vigueur et continue de se développer. Je félicite
tous les intervenant·e·s qui ont travaillé pour assurer ce succès.
60. Tous les États membres du Conseil de l'Europe devraient ratifier
et mettre en œuvre la convention si nous voulons avoir une chance
de réduire la violence sexiste en Europe.
61. L'Assemblée et les parlements nationaux doivent intensifier
leurs efforts pour promouvoir la Convention d'Istanbul et s'opposer
fermement à ses détracteurs.
62. Le 4e Sommet des chefs d'État et
de gouvernement du Conseil de l'Europe, annoncé pour mai 2023, sera
une bonne occasion pour l'Organisation d'accorder une priorité renouvelée
à la protection des femmes et des filles contre la violence et de
faire avancer la mise en œuvre de la Convention d'Istanbul comme
le meilleur moyen d'accomplir ce progrès. L'Assemblée espère que
ce sera le cas.