1. Introduction
1. Les migrations sont un phénomène
naturel dans l’histoire de l’humanité. On a observé, tout au long
des siècles, des déplacements au sein de l’Europe et vers ou depuis
le continent. Ces mouvements ont profité aux individus et à la société
dans son ensemble et les ont fait progresser. L’Union européenne
a reçu un large soutien public quand elle a décidé de ne plus considérer
les frontières nationales comme des lignes de séparation en créant
un espace de libre circulation des personnes où même les contrôles
aux frontières seraient supprimés en application des accords de
Schengen. L’intégration des migrants est ainsi devenue une pierre
angulaire de la construction de sociétés et de nations stables et
prospères. Son échec provoque des souffrances humaines, des divisions
au sein de la société et une instabilité politique, économique et
sociale.
2. Si les données pour l’ensemble des États membres du Conseil
de l’Europe sont moins accessibles, Eurostat fournit des chiffres
à jour concernant l’Union européenne
: d’après ses estimations, en 2019, 2,7 millions
de personnes ont migré vers l’Union européenne tandis que 1,5 million
de personnes l’ont quittée. Fin 2020, 39 % des permis de séjour
délivrés dans l’Union européenne l’avaient été pour des raisons familiales,
17 % à des fins d’emploi et 9 % au titre de l’asile. Selon les données
de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) relatives
aux États membres du Conseil de l’Europe, les réfugiés les plus
nombreux se trouvent en Türkiye, où ils représentent environ 4,4 %
de la population, et en Allemagne, où ils sont environ 1,5 %.
3. Derrière ces chiffres se trouvent des êtres humains qui méritent
notre attention et dont l’intégration doit être un objectif commun
de tous les États européens. La situation des migrants exclus, marginalisés
ou victimes de discrimination suscite de vives préoccupations. D’un
point de vue humain, mais aussi social, économique et politique,
les migrants devraient être bien intégrés dans la société. C’est
cette idée qui a conduit à l’élaboration de la proposition de résolution
à l’origine du présent rapport (
Doc. 15335), déposée le 25 juin 2021
.
2. Définitions
4. Dans le processus d’immigration,
on distingue l’assimilation, l’intégration et l’inclusion des migrants
et des réfugiés. L’assimilation correspond à un processus dans lequel
les migrants et les réfugiés sont les seuls à devoir s’adapter aux
normes, aux comportements, aux valeurs et à la culture du pays d’accueil
et deviennent donc semblables à la majorité autochtone. L’intégration
est quant à elle définie comme un processus bidirectionnel où tous
les membres de la société trouvent un terrain d’entente et font
des compromis. Les critiques affirment que cette vision est purement
théorique et que dans la majorité des cas, la charge repose uniquement
sur les réfugiés et les migrants. L’inclusion implique aussi que
tous les membres de la société ont la possibilité de participer
à la vie sociale, culturelle et politique et favorise un sentiment
d’appartenance commune
. Dans mon rapport, le terme «intégration»
sera employé dans un sens plus large, impliquant une participation
inclusive des deux côtés, conformément à la définition suivante
de l’intégration des réfugiés, donnée par le HCR
: un processus dynamique à double
sens [conduisant à une appartenance pleine et entière à la société],
qui requiert […] que les réfugiés soient disposés à s’adapter à
la société hôte sans devoir abandonner leur propre identité culturelle
et que les communautés hôtes et les institutions publiques soient également
disposées à accueillir les réfugiés et à satisfaire les besoins
d’une population plurielle […] [C’est] un processus complexe et
graduel, comportant trois aspects – juridique, économique et socioculturel».
5. Des auteurs ont proposé un cadre conceptuel pour l’intégration,
divisé en quatre grands domaines: i.
Fondements:
statut de réfugié, accès aux droits et citoyenneté; ii.
Domaine fonctionnel: accès au logement, à
la santé, à la sécurité sociale, à un travail décent, à des services
financiers et à l’éducation; iii.
Domaine social:
contacts et rapports sociaux au sein de la société d’accueil, passerelles
sociales, réseaux, liens sociaux; iv.
Facilitation:
langue, formation, conseils, connaissances culturelles, sécurité
et stabilité
. La plupart des théories entendent
par «intégration réussie des nouveaux arrivants» un accès équitable
aux possibilités et ressources, une participation à la vie locale
et à la société, ainsi qu’un sentiment de sécurité et d’appartenance
dans leur nouveau foyer
.
6. Il est intéressant de noter que l’Organisation internationale
pour les migrations (OIM) et l’Union européenne ont adopté des définitions
présentant des points communs: dans les deux cas, le terme «intégration»
désigne un processus dynamique d’adaptation mutuelle dont l’aboutissement
implique un certain nombre de responsabilités de la part des migrants
et des sociétés d’accueil. Cette approche a servi de base à l’ensemble
des politiques de la Commission européenne sur le sujet, dont le
récent plan d’action sur l’intégration et l’inclusion 2021-2027.
À l’opposé, l’OCDE emploie une définition axée sur le résultat et
non sur le processus, qui considère l’intégration comme «la capacité
des migrants à atteindre les mêmes résultats sociaux et économiques
que les autochtones, compte tenu de leurs caractéristiques».
7. Outre le fait qu’il crée des problèmes sociaux, économiques
et psychologiques pour la personne qui arrive dans un nouveau pays,
le manque d’intégration des migrants et des réfugiés entraîne également
pour les États une perte d’impôts sur le revenu et de cotisations
aux régimes de retraite et de sécurité sociale en raison d’une faible
insertion professionnelle
. Il conduit en outre à la fragmentation
des sociétés et à l’instabilité politique.
8. Ces dernières années, le sujet des migrations et de l’intégration
a été au centre de l’attention des pouvoirs publics mais aussi des
partisans d’un populisme de droite en plein essor. Usant de propos déshumanisants
et toxiques, ces derniers influencent de plus en plus les médias,
le débat public et les mouvements politiques. Les discours et politiques
qui incriminent et déshumanisent les migrants ne leur laissent pas
de place dans la société. C’est pourquoi il est essentiel d’assurer
la réussite de l’intégration des migrants et des réfugiés dans tous
les États membres du Conseil de l’Europe et de mettre l’accent sur
les avantages que peuvent en retirer l’ensemble des parties prenantes.
L’approche assimilationniste est souvent critiquée au motif qu’elle
annihilerait les identités des minorités.
9. Enfin, le multiculturalisme est, en matière d’intégration,
parfois opposé à l’assimilation. Il promeut l’intégration des migrants
dans la société tout en défendant la préservation de leurs identités
culturelles. Cette approche de l’intégration est critiquée au motif
qu’elle encouragerait la ségrégation des migrants au lieu de favoriser
la cohésion entre les différents groupes de la société.
3. Action
européenne
10. Plusieurs normes juridiques
élaborées par le Conseil de l’Europe, ainsi que par l’Union européenne
et les Nations Unies protègent les migrants et les réfugiés contre
la discrimination, l’exploitation et la négligence. Par ailleurs,
des programmes et mesures spécifiques ont été élaborés pour améliorer
l’intégration des personnes qui se déplacent. La Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5) et la
Charte sociale européenne (STE no 35)
sont deux instruments majeurs du Conseil de l’Europe sur lesquels
les États membres devraient s’appuyer pour toutes leurs politiques,
notamment celles concernant l’intégration des réfugiés et des migrants.
11. Créée en 1956, la Banque de développement du Conseil de l’Europe
s’est vu confier comme une de ses principales missions le soutien,
l’intégration et le développement social des personnes déplacées
dans les États membres à la suite de la seconde guerre mondiale
. Cet objectif reste valide et nécessaire
compte tenu de la présence permanente de migrants et de réfugiés
en Europe.
12. L’Union européenne, qui repose sur les valeurs et libertés
fondamentales consacrées par les traités du Conseil de l’Europe,
a ajouté aux piliers de la Communauté économique européenne de 1957
la liberté de circulation des personnes entre ses États membres
. Cette liberté est désormais inscrite
dans l’article 3(2) du Traité de l’Union européenne, l’article 21
du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 45 de
la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cela dit,
une attention particulière doit également être portée aux non-ressortissants
de l’Union européenne qui se déplacent au sein de l’Union européenne.
Les initiatives récentes au niveau de l’Union européenne auront
certainement des répercussions sur les politiques d’intégration
des États membres du Conseil de l’Europe, comme indiqué dans la Résolution 2416 (2022)
«Pacte de l’Union européenne sur la migration et l’asile du point
de vue des droits humains».
13. Les personnes qui se déplacent sont également protégées par
le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et
le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels des Nations Unies. Les droits des réfugiés sont inscrits
dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole
de 1967. Des États du monde entier ont par ailleurs élaboré des
lois et normes régionales qui complètent le régime international
de protection des réfugiés. Si le HCR fait office de «gardien» de
la Convention de 1951 et de son Protocole de 1967, la Convention
de 1951 prévoit expressément que les États sont tenus de coopérer
avec ce dernier pour assurer le respect et la protection des droits
des réfugiés.
14. L’adoption du Pacte mondial pour les réfugiés en 2018, les
engagements pris par la suite au premier Forum mondial des réfugiés
en 2019 et le prochain Forum mondial des réfugiés qui se tiendra
en décembre 2023 donnent un nouveau souffle à l’intégration des
réfugiés en Europe. Le Pacte mondial pour les réfugiés, confirmé
en 2018 par l’Assemblée générale des Nations Unies, définit un cadre
permettant d’apporter une réponse plus rapide, prévisible, équitable
et globale à la question des réfugiés grâce à une approche faisant
intervenir l’ensemble de la société. Il reconnaît que les autorités
locales, notamment en milieu urbain, sont en première ligne et prend
note des possibilités de mobilisation des réseaux de villes. En
parallèle, des efforts ont été entrepris pour donner un ancrage
solide à la mise en œuvre du Pacte par les villes dans les forums
politiques internationaux sur les réfugiés et les migrants, parmi
lesquels la Conférence intergouvernementale chargée d’adopter le
Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières
.
15. Un examen de la situation actuelle des migrants et des réfugiés
dans les États membres du Conseil de l’Europe permet de se rendre
compte que de nombreux progrès ont été accomplis mais qu’il reste
encore beaucoup à faire pour assurer la pleine intégration de ces
populations dans les sociétés où elles ont choisi de s’établir.
Le cas des migrants irréguliers et sans-papiers et des apatrides
est particulièrement préoccupant de ce point de vue. L’absence de
statut juridique de nombreux apatrides entrave leur accès aux droits
et services. Par ailleurs, les réfugiés et les demandeurs d’asile
rencontrent de nombreux obstacles juridiques, administratifs et
pratiques
.
16. La question des migrations et de l’intégration a été traitée
dans divers rapports et résolutions du Conseil de l’Europe. En 2005,
l’Assemblée parlementaire a adopté la Résolution 1437 (2005) «Migration
et intégration: un défi et une opportunité pour l’Europe», qui soulignait
l’importance de politiques efficaces pour relever les défis de la
migration et assurer une intégration réussie des migrants et des
réfugiés
.
17. En 2014, l’Assemblée a adopté la
Résolution 2006 (2014) «L’intégration des migrants en Europe: la nécessité
d’une politique volontaire, continue et globale»
. Le rapport et la résolution mettaient
l’accent sur les progrès peu satisfaisants réalisés jusqu’alors
par les États membres en matière d’intégration des migrants et des
réfugiés au sein de la société. Pour améliorer l’intégration des
migrants, l’Assemblée a souligné la nécessité de revenir à des politiques
globales, de faciliter la formation professionnelle et la reconnaissance
des diplômes et, si possible, d’accorder des permis de séjour de
longue durée.
18. En 2017, l’Assemblée a adopté la
Résolution 2175 (2017) «Les migrations, une chance à saisir pour le développement
européen» donnant des exemples concrets de contribution des migrants
à la croissance économique, remettant en cause l’idée fausse selon
laquelle les migrants seraient une menace pour les populations locales
.
19. En outre, l’Assemblée a adopté la
Résolution 2176 (2017) «L’intégration des réfugiés en période de fortes pressions:
enseignements à tirer de l’expérience récente et exemples de bonnes
pratiques»
. Le rapport fournit un aperçu des
différentes approches nationales de l’intégration des migrants dans
les États membres du Conseil de l’Europe et met en exergue les bonnes
pratiques pouvant être mises à profit pour parvenir à associer les
réfugiés à la vie économique, sociale et culturelle quotidienne
de la communauté hôte.
20. Un an plus tard, l’Assemblée adoptait la
Résolution 2220 (2018) «L’intégration, l’autonomisation et la protection des
enfants migrants par la scolarité obligatoire»
. Ce rapport soulignait le fossé
entre les engagements des États en vertu de la législation nationale
et du droit international sur l’enseignement primaire et secondaire
et l’offre réellement en place pour les enfants migrants et réfugiés.
Des exemples venant d’États membres du Conseil de l’Europe illustraient
les bonnes pratiques et les nombreux points à améliorer. Les recommandations
constituent une liste récapitulative des conditions garantissant
l’éducation des enfants migrants.
21. En matière d’intégration, les États membres devraient baser
leurs actions sur les objectifs énoncés dans les pactes mondiaux
des Nations Unies sur les migrants et les réfugiés, comme convenu
dans la
Résolution 2379 (2021) «Le rôle des parlements dans la mise en œuvre des pactes
mondiaux des Nations Unies pour les migrants et réfugiés» et la
Résolution 2408 (2021) «70e anniversaire de la Convention
de 1951 relative au statut des réfugiés: le Conseil de l’Europe
et la protection internationale des réfugiés».
22. Différents échanges de vues ont eu lieu pour la préparation
du présent rapport. Le 19 septembre 2022, lors de sa réunion à Athènes,
la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées
a tenu un échange de vues avec Mme Maria Clara Martin,
représentante du HCR en Grèce, M. Gianluca Rocco, chef de mission
et coordinateur de la réponse régionale de l’OIM Grèce, Mme Melina Daskalaki,
conseillère spéciale du maire d’Athènes pour les migrants et les
réfugiés et présidente du centre d’accueil et de solidarité de la
ville d’Athènes, et M. Christos Papadopoulos, conseiller spécial
du maire dans le domaine de la culture, ville de Ioannina (Grèce).
Le 11 octobre 2022, la commission a tenu un échange de vues avec
Mme Salomé Brun de l’unité Communication
de la Conférence des OING (Médecins du Monde), et M. Samir Hećo,
responsable de projet au sein du service de l’Éducation du Conseil
de l’Europe. Enfin, le 7 décembre 2022, la commission a assisté
à un exposé sur la mise en œuvre de la politique d’asile au niveau
local à Bergen présenté par M. Sølve Sætre, chef de la section diversité
et inclusion de la ville de Bergen (Norvège) ainsi qu’à une projection
vidéo sur le programme d’intégration des réfugiés «Straight to work»
de la ville d’Øygarden. Le rapport mettra en avant un certain nombre
d’éléments clés de ces contributions.
4. Des
avantages pour toutes les parties prenantes
23. Des études montrent que les
pays d’accueil bénéficient de l’intégration réussie des migrants
et des réfugiés. Bien que l’État doive investir de l’argent dans
l’intégration des migrants à leur arrivée et pendant quelques années
ensuite, dès lors qu’ils obtiennent la résidence permanente, sont
intégrés au marché du travail et paient des impôts, leur impact
macroéconomique devient positif. Par ailleurs, les migrants et les réfugiés
viennent renforcer la population d’âge actif, apportent leurs compétences
et contribuent donc au développement du capital humain et au progrès
technologique
.
24. Le 19 septembre 2022, Mme Martin
a expliqué que l’intégration des migrants était fondamentale pour atteindre
l’autosuffisance, la stabilité et la paix sociale et pour prévenir
les conflits. La pleine intégration est définie comme la capacité
à subvenir à ses besoins et à faire partie de la communauté d’accueil.
Elle a ensuite donné un aperçu des avantages que les parties prenantes
peuvent tirer de l’intégration. Tout d’abord, tous les migrants
peuvent profiter aux communautés d’accueil en renforçant la main-d’œuvre,
la demande de biens et les initiatives entrepreneuriales. L’inclusion
de personnes d’origines diverses améliore en outre la productivité et
stimule l’innovation. Sur le plan économique, selon des études de
l’UE, une dépense d’un euro pour l’intégration des réfugiés peut
générer deux euros de bénéfices dans les 5 ans. En ce qui concerne
les aspects sociétaux, il a été noté que la paix et la cohésion
sociale sont favorisées, ce qui diminue le coût des conflits sociaux.
En conclusion, elle a souligné les contributions du Conseil de l’Europe
et a évoqué le rôle des parlements dans la promotion d’une législation
et d’un dialogue positifs.
25. M. Rocco a insisté sur les avantages suivants de l’intégration
des migrants: lorsqu’ils deviennent économiquement indépendants,
ils décongestionnent les structures d’accueil et soutiennent le
marché du logement. Il a cité un certain nombre d’études démontrant
l’impact positif de l’intégration sur la croissance économique,
quel que soit le niveau de développement du pays. Les migrants peuvent
trouver un emploi, payer des impôts et atténuer le phénomène de
fuite des cerveaux. En outre, l’intégration évite les coûts sociaux et
économiques élevés de la marginalisation. Il a également souligné
qu’il était impératif que les migrants soient formés, parlent la
langue locale et partagent les valeurs du pays d’accueil, sous peine
de rencontrer des difficultés dans les interactions avec la société.
Enfin, il a présenté le résultat positif du programme d’intégration lancé
en Grèce en 2018. En trois ans, 18 000 migrants ont bénéficié de
subventions et ont suivi un enseignement et des formations; 6 000
ont été mis en contact avec des employeurs, bien qu’ils soient essentiellement
employés comme travailleurs saisonniers. Le cas grec fait figure
d’exemple pour les autres pays car il témoigne du fait qu’une intégration
profitant à la fois aux migrants et à la société est possible.
26. De nombreuses études montrent les effets économiques de la
migration, qui sont souvent positifs également pour les pays d’accueil.
Une étude du Fonds monétaire international (FMI) a ainsi conclu
que l’impact à plus long terme des migrations sur le PIB par habitant
était positif, principalement en raison d’un accroissement de la
productivité du travail
.
La hausse de la productivité des entreprises résultant de l’afflux de
migrants sur le marché du travail a été solidement démontrée par
plusieurs auteurs, par exemple Ottaviano, Peri et Wright, qui se
sont concentrés sur le secteur des services au Royaume-Uni
. Des
travaux scientifiques indiquent en outre qu’une augmentation du
nombre de réfugiés pousse les autochtones moins qualifiés vers des
emplois moins manuels, ce qui accroît leurs salaires et leur mobilité
professionnelle
.
27. Par ailleurs, l’immigration de travailleurs qualifiés contribue
grandement à l’innovation et à la délivrance de brevets aux États-Unis.
Il a également été démontré récemment que même en Europe, une augmentation du
nombre d’immigrés qualifiés entraîne une hausse de l’innovation
et de la délivrance de brevets aux entreprises
. Ces observations viennent
confirmer les études montrant qu’au Danemark et aux Pays-Bas, les entreprises
culturellement diverses sont bien souvent plus innovatrices et plus
susceptibles de déposer des demandes de brevet
.
28. La littérature scientifique étudie également les effets des
politiques d’intégration, qui sont généralement considérées comme
essentielles pour amplifier les avantages économiques des migrations.
En Europe, de nombreuses études se concentrent sur l’intégration
des migrants sur le marché du travail dans les pays nordiques car
ces derniers disposent de données de qualité accessibles et de politiques
d’intégration globales.
29. D’une manière générale, les résultats obtenus montrent que
la réussite des migrants sur le plan économique est positivement
associée à de meilleurs résultats scolaires et à une meilleure intégration
sociale de leurs enfants
.
Par conséquent, les politiques d’intégration visant à promouvoir
l’accès des migrants adultes au marché du travail ont d’importantes
retombées positives sur leurs enfants, qui accèdent à un niveau d’études
plus élevé et ont une meilleure situation professionnelle qu’en
l’absence de telles politiques
.
30. Par ailleurs, il a été fait remarquer que lorsqu’un groupe
de migrants est exclu de certains programmes d’intégration (cours
de langues, programmes de formation), il perd des possibilités de
développement de son capital humain et tend à se tourner vers l’économie
informelle
.
Une étude du FMI a montré que le soutien apporté aux jeunes migrants
joue un rôle essentiel dans la réduction du risque de les voir s’engager
dans des activités criminelles et violentes
.
31. Les réfugiés, quant à eux, ont beaucoup de difficultés à accéder
au marché du travail car ils ne sont pas sélectionnés sur la base
de leur niveau d’instruction et de leurs qualifications et ont souvent
subi un traumatisme et une perte de capital humain. Or, leur insertion
professionnelle contribuerait grandement à réduire la pauvreté et
les inégalités dans le pays d’accueil
. Leur intégration ferait également
baisser le coût public de l’aide aux réfugiés et améliorerait leur
situation économique. Certains travaux estiment qu’une intégration
incomplète des réfugiés sur le marché du travail coûterait à l’Union
européenne entre 0,4 et 0,6 % de son PIB
. Une
autre étude a calculé que l’intégration des réfugiés pourrait entraîner
à long terme une croissance du PIB de 0,2 à 1,6 % par rapport à
la valeur de référence, selon la conception et le financement des
politiques d’intégration
.
Le temps est également un facteur important. Une réduction de la
durée du processus d’examen des demandes d’asile augmente les chances
du demandeur d’asile de trouver un emploi. Une étude portant sur
la Suisse a montré qu’une diminution d’une année du temps d’attente
augmente le taux d’emploi de quatre ou cinq points de pourcentage
.
32. Il est unanimement admis que les cours de langues proposés
aux migrants profitent à l’économie du pays d’accueil. Par conséquent,
les politiques qui rendent les cours de langues obligatoires pour
les nouveaux arrivants ont des retombées économiques positives
.
De solides données en ce sens nous viennent du Danemark, de la Finlande,
de la Norvège et de la Suède
.
Ce résultat est très prononcé dans les pays nordiques, probablement
parce qu’ils comptent une plus forte proportion d’emplois nécessitant
des travailleurs hautement qualifiés, pour lesquels les compétences
linguistiques sont essentielles.
33. Certaines conclusions relatives aux politiques d’intégration
danoises montrent que les cours de langue associés à l’installation
des migrants dans des régions présentant un solide marché du travail
augmentent significativement leur situation professionnelle à long
terme
. En particulier, une réforme danoise
qui encourageait la formation linguistique des réfugiés adultes
a eu des effets intergénérationnels et a fait baisser le taux d’abandon
scolaire
.
Cela dit, la décision du Danemark de réduire les prestations d’aide
sociale versées aux migrants n’a pas donné de très bons résultats.
Si à court terme, les taux d’emploi des migrants ont augmenté, à
long terme, cela a eu un impact négatif sur leur employabilité
.
34. D’autres auteurs ont constaté qu’une amélioration de la maîtrise
du norvégien par les travailleurs immigrés entraînait une hausse
de productivité
.
Une étude relative à l’intégration des migrants sur le marché du
travail norvégien a montré que l’acquisition de capital humain par
la poursuite des études et la formation linguistique était essentielle
pour accroître les perspectives d’emploi à long terme des migrants.
35. De manière générale, des politiques actives du marché du
travail axées sur le recrutement des réfugiés à des postes impliquant
des tâches simples augmentent l’activité à court terme mais on ignore
leurs effets à long terme car une entrée rapide sur le marché du
travail ne permet pas de garantir un emploi au long cours
. On a vu par exemple qu’en
Suède, seules des études longues assurent un positionnement fort
sur le marché du travail pendant les années qui suivent
. Les
politiques de mise en correspondance des offres et des demandes
d’emploi pourraient être plus efficaces en étant associées à d’autres
politiques permettant aux migrants d’approfondir leurs connaissances
en langues et de perfectionner leurs compétences
.
36. Une politique danoise de 2013 visant à former les réfugiés
à des métiers qui manquaient de main-d’œuvre au niveau local a été
très efficace et a augmenté le taux d’emploi du groupe cible de
5-6 points de pourcentage après un an et de 10 points de pourcentage
après deux ans
.
37. La littérature scientifique montre également que les avantages
de l’intégration ne sont pas uniquement économiques. On a constaté
par exemple que dans les pays dotés de politiques d’intégration
inclusives, la population autochtone voyait moins les immigrés comme
une menace économique et affichait plus de sympathie à leur égard
. À l’inverse, lorsque des politiques
défavorables à l’intégration sont adoptées, les autochtones auront
plus tendance à éprouver un sentiment d’hostilité envers les immigrés
.
5. Lacunes
existantes
38. Les États devraient suivre
une approche fondée sur des données probantes pour planifier l’inclusion
en élargissant la collecte et l’analyse de données socio-économiques
sur la base des outils et des programmes existants des autorités
nationales et infranationales. Ils obtiendraient ainsi un aperçu
détaillé des profils des réfugiés et des migrants et des obstacles
pratiques, juridiques et administratifs les empêchant d’exercer pleinement
leurs droits économiques et sociaux.
39. Dans de nombreux pays, les pouvoirs publics financent l’intégration
des migrants et des réfugiés en versant aux collectivités locales
et régionales un montant forfaitaire non adapté aux besoins individuels.
Le versement d’une somme donnée par personne devrait donc tenir
compte des différents coûts locaux ou des besoins de certains groupes
de migrants et de réfugiés. Il y a lieu d’adopter une approche centrée
sur la personne pour le soutien à l’intégration et d’adapter les
services nationaux aux besoins et situations spécifiques. Il conviendrait
également d’élaborer et de mettre en œuvre des mécanismes de financement
plus efficaces et performants dans le cadre d’un dialogue entre
les responsables de l’élaboration des politiques et les collectivités
locales et autres acteurs auxquels il est dans bien des cas demandé
d’apporter des solutions (maires, autorités municipales, organisations
locales de la société civile et prestataires de services)
.
40. La plupart des migrants et des réfugiés ont participé au marché
du travail dans leur pays d’origine, et nombre d’entre eux ont une
formation professionnelle, des diplômes ou des titres universitaires.
Or, à leur arrivée dans les pays d’accueil, ces compétences et ces
diplômes ne sont souvent pas reconnus et ne peuvent être transférés,
ce qui complique leur intégration sur le marché du travail et les
conduit à accepter des postes pour lesquels ils sont surqualifiés.
L’insatisfaction qui en résulte rend encore plus difficile le processus d’intégration
.
41. De nombreux pays appliquent des politiques standardisées qui
ne mettent pas l’accent sur l’intégration des groupes vulnérables.
Ces politiques indifférenciées ne tiennent pas compte des besoins
particuliers des groupes vulnérables de migrants et de réfugiés.
Les groupes vulnérables de la société comprennent entre autres les
femmes, les enfants (non accompagnés), les personnes handicapées,
les personnes âgées, les membres de la communauté LGBTQI+, les apatrides,
les victimes de la traite des êtres humains et les victimes de torture
qui ont besoin d’un soutien psychologique spécifique
.
42. Depuis l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine,
des millions d’Ukrainiens ont fui leur pays en quête d’une protection
dans d’autres pays européens. Dans toute l’Europe, les Ukrainiens
bénéficient de services téléphoniques et de transports publics gratuits.
En outre, la Directive sur la protection temporaire de l’Union européenne
a été activée, ce qui permet aux
réfugiés ukrainiens de rester trois ans dans un pays sans avoir
à demander l’asile. Elle leur octroie également un certain nombre
de droits, dont l’accès à un titre de séjour, au logement, à l’éducation,
au marché du travail, à l’aide sociale, aux soins médicaux, aux
services bancaires et à la libre circulation entre les pays européens.
Si cet exemple montre comment la protection internationale et l’intégration
des réfugiés devraient fonctionner, la réalité pour des millions
de migrants et de réfugiés originaires de pays du Moyen-Orient et
d’Afrique était complètement différente ces dernières années. Ceux-ci
ont régulièrement été confrontés au racisme, à la xénophobie et
à la discrimination, non seulement aux frontières, où ils ont souvent
été violemment repoussés, mais aussi dans les pays d’accueil, où
le discours public est terni par des propos déshumanisants et discriminatoires.
Ce «deux poids deux mesures» fait obstacle à une intégration réussie
de tous les migrants et réfugiés et fractionne la société
. On voit bien ici à quel point la
volonté politique peut influencer le cours des choses. Il y avait
incontestablement une très forte volonté politique de faire preuve
d’unité contre l’agression d’un État membre du Conseil de l’Europe.
Cette même volonté fait toutefois défaut lorsqu’il s’agit d’intégrer
les migrants et les réfugiés qui arrivent en Europe depuis d’autres
régions du monde.
43. Enfin, la pandémie de covid-19 a ralenti l’intégration des
migrants et des réfugiés dans le monde entier. Dans beaucoup de
pays, les programmes d’intégration ont été suspendus et les fermetures
d’écoles ainsi que l’enseignement à distance ont désavantagé les
migrants, les réfugiés et leurs enfants à bien des égards. Les administrations
ayant réduit leurs services ou fermé leurs portes, l’épidémie de
covid-19 a eu une influence sur les processus de demande et d’obtention
de permis de séjour et de travail, ce qui a entraîné une incertitude sociale
et économique pour les migrants et les réfugiés et a limité leurs
possibilités de réussir leur intégration
.
6. Comment
améliorer les politiques d’intégration?
6.1. Un
nouveau contrat social
44. Les évolutions majeures au
sein de la société amènent souvent les pouvoirs publics à opérer d’importants
changements qu’il pourrait être nécessaire de mieux préparer. L’intégration
des migrants et des réfugiés pourrait tirer parti d’un nouveau contrat
social tenant compte des droits et des responsabilités de toutes
les parties impliquées dans l’intégration des réfugiés et des migrants.
L’acceptation de ce nouveau contrat social tient à l’existence de
processus démocratiques permettant d’obtenir un soutien social.
45. Mettre en avant les droits et responsabilités des groupes
de population nouvellement arrivés permet de clarifier les choses
dès le départ et de bâtir une relation de confiance et de coopération
respectueuse entre les communautés locales et les bénéficiaires
de programmes de réinstallation. En ce qui concerne l’intégration
des réfugiés, les États membres devraient baser leurs actions sur
les objectifs définis dans les pactes mondiaux des Nations Unies
pour les migrants et réfugiés, comme cela a été souligné dans la
Résolution 2379 (2021) «Le rôle des parlements dans la mise en œuvre des pactes
mondiaux des Nations Unies pour les migrants et réfugiés» et la
Résolution 2408 (2021) «70e anniversaire de la Convention
de 1951 relative au statut des réfugiés: le Conseil de l’Europe
et la protection internationale des réfugiés».
6.2. Programmes
de mentorat et guides d’intégration
46. Les programmes de mentorat
ou «guides d’intégration» se sont révélés efficaces pour améliorer l’intégration
des migrants. Dans le cadre de ces programmes, des mentors locaux
accompagnent et guident les migrants et les réfugiés à leur arrivée
dans les pays d’accueil, les soutiennent pour leur orientation culturelle et
sociale, pratiquent avec eux la langue du pays d’accueil et les
aident à établir des relations personnelles et des réseaux de contacts
dans leur nouveau cadre de vie. Dans des villes de Bulgarie et d’Allemagne,
ces programmes ont donné d’excellents résultats sur le plan de l’intégration
des migrants et des réfugiés dans leur nouvel environnement. Bien
que certains d’entre eux reposent sur des bénévoles, ils doivent
recevoir un financement adéquat des États membres pour garantir
un niveau de qualité constant et permettre l’évaluation des résultats
de l’intégration
.
On peut également citer parmi les pratiques positives le mentorat
pour l’intégration des réfugiés sur le marché du travail. Des partenariats
pourraient être établis entre les secteurs public et privé pour
soutenir la mise en œuvre de programmes de mentorat
.
47. Un autre exemple de programme de mentorat, «Bergen Opportunity»,
a été mis en place dans la ville de Bergen (Norvège). Le «programme
de mentorat et développement du leadership» comptait au départ 20 participants
issus de la diversité et 20 mentors, comportait 10 modules et impliquait
6 à 12 réunions de mentorat par an. Le groupe actuel rassemble 80 participants
et 80 leaders du secteur public et du secteur privé ayant accepté
de travailler avec eux. Six participants au programme sur dix avaient
progressé dans leur carrière après un an et certains occupaient
de nouveaux emplois ou postes, y compris un poste de direction. Les
mentors et les participants ont donné une note élevée au programme.
Ce dernier a amélioré les CV et l’efficacité personnelle des participants
et a accru leur visibilité sur le marché de l’emploi. Parmi les
points forts cités par les mentors figurent les suivants: le programme
met l’accent sur le plus important: attirer et retenir les talents;
il met l’accent sur la diversité et l’inclusion; compétences et
potentiel se rencontrent; il a une influence sur l’état d’esprit
des leaders et accroît la capacité à établir des réseaux de contacts,
facteur important pour la progression de carrière.
48. Le programme «Bergen Opportunity» a été mis en œuvre dans
d’autres régions. Un modèle de projet a été élaboré pour l’Union
européenne par l’intermédiaire de REGAL (capacité régionale de formation
des adultes). Il inclut aujourd’hui les programmes «Stavanger Opportunity»,
«Trondheim Opportunity» et le réseau d’anciens élèves de «Bergen
Opportunity». Des synergies se sont créées entre les classes et
de nouveaux réseaux se sont développés par la suite.
6.3. Des
services d’interprétation au niveau national
49. Un autre facteur déterminant
pour une intégration réussie des migrants et réfugiés est la mise
à disposition de services d’interprétation tout au long du processus
d’intégration. La capacité à comprendre une situation et à y participer
activement est particulièrement importante dans les domaines de
la santé, de la justice, de l’asile, et pour les questions municipales.
Dans l’État allemand de Thuringe, par exemple, des services d’interprétation
professionnelle sont proposés dans plus d’une cinquantaine de langues
et mis à la disposition des utilisateurs dans des délais déterminés,
par internet ou par téléphone. Dans tout le Land, plus de 400 institutions
– collectivités locales, administrations, écoles, hôpitaux, médecins,
centres de conseil, foyers pour femmes et bien d’autres encore –
ont recours à ce service et assurent ainsi la communication avec les
personnes dont les connaissances en allemand sont insuffisantes.
Les services d’interprétation sont financés par le ministère des
Migrations, de la Justice et de la Protection des consommateurs
.
6.4. Éducation:
des cours de langues à l’éducation à la citoyenneté démocratique
et aux droits humains
50. Une formation linguistique
est indispensable pour pouvoir vivre dans un nouveau pays et notamment pour
trouver un emploi. Plus la formation est de qualité, plus elle accroît
ses chances d’être moins dépendante des services d’assistance et
plus autonome dans sa vie quotidienne. Compte tenu de l’importance
de savoir parler une langue pour trouver un emploi, une étude suisse
a conclu que la répartition des migrants dans un territoire multilingue
devrait avoir pour objectif de réduire le risque d’inadéquation
des compétences linguistiques pour faciliter l’intégration sur le
marché du travail
. Par
ailleurs, des programmes spécifiques destinés à informer sur les
évolutions sociétales dans le pays d’accueil, et notamment des programmes
faisant la promotion de l’éducation à la citoyenneté démocratique
et aux droits humains, seraient bénéfiques aux nouveaux arrivants
comme aux sociétés d’accueil.
51. Les réfugiés mettent en avant la nécessité de bénéficier d’un
apprentissage accéléré des langues car même la connaissance pratique
d’une langue n’est souvent pas suffisante pour s’assurer un emploi,
alors que la maîtrise de la langue libère la plupart des opportunités.
Les États sont invités à concevoir des cours de langues qui tiennent
compte du niveau d’éducation atteint et du degré de maîtrise de
la langue, du temps disponible (formation accélérée ou horaires
réduits), des modalités (en personne ou à distance) et des obligations
familiales
.
6.5. Reconnaissance
des qualifications acquises à l’étranger
52. Le transfert des compétences
et des diplômes obtenus à l’étranger est particulièrement important
pour permettre aux migrants et aux réfugiés de réussir leur intégration
sur le marché du travail et de contribuer aux systèmes de sécurité
sociale et de retraite. Les «évaluations rapides» se révèlent très
efficaces de ce point de vue. En Norvège et en Allemagne, elles
sont utilisées avec succès et permettent aux migrants et aux réfugiés d’obtenir
la preuve de leurs capacités et par conséquent de bien s’intégrer
sur le marché du travail sans avoir à accepter des emplois pour
lesquels ils sont surqualifiés.
53. La reconnaissance des qualifications et des acquis revêt une
importance fondamentale. Qu’elle soit complète ou partielle, elle
ouvre des possibilités d’emploi ou de formation complémentaire et
permet aux réfugiés et aux migrants de mieux mettre à profit leurs
savoirs, aptitudes et compétences.
54. En Allemagne, le test MYSKILLS a été créé en collaboration
entre l’Agence fédérale pour l’emploi et la fondation Bertelsmann.
L’examen révèle les compétences professionnelles et vise à donner
des chances sur le marché du travail à ceux qui jusque-là avaient
des difficultés à prouver leur apprentissage informel ou non formel
de certaines aptitudes. L’évaluation MYSKILLS est disponible en
12 langues et pour 30 professions différentes proposées par les
agences et les centres pour l’emploi
.
55. L’Agence norvégienne d’assurance-qualité a élaboré un outil
d’évaluation similaire, qui comprend une évaluation rapide des qualifications
professionnelles du candidat pour un emploi particulier plutôt qu’une reconnaissance
formelle de ces qualifications. Une boîte à outils a également été
créée spécifiquement pour la reconnaissance des qualifications des
réfugiés
.
56. Le 11 octobre 2022, M. Hećo a présenté le Passeport européen
des qualifications des réfugiés
,
un projet international reposant sur la Convention sur la reconnaissance
des qualifications relatives à l'enseignement supérieur dans la
région européenne (STCE no 165, «Convention
de Lisbonne») dont le but ultime est de favoriser l’intégration
des réfugiés dans les sociétés d’accueil. Il a informé la commission
que 70 % des États parties à la Convention de Lisbonne n’avaient
que peu de moyens, sinon aucun, de mettre en œuvre l’obligation
découlant de l’article 7 du texte de reconnaître les qualifications
des réfugiés, même lorsqu’aucun document les attestant n’est disponible.
Le Passeport est un outil concret qui permet aux États membres de
se conformer à cette obligation. Ce projet a été financé par le
budget ordinaire du Conseil de l’Europe.
57. Le processus d’évaluation en trois étapes en vue de la délivrance
du Passeport est mené par une équipe d’évaluateurs professionnels
issus de différents centres internationaux de reconnaissance des
diplômes étrangers. Le Passeport est un document qui recense de
manière fiable la plus haute qualification obtenue, les autres qualifications,
les expériences professionnelles et les langues parlées par son
titulaire. Outre l’intérêt évident de l’EQPR pour les réfugiés,
M. Hećo a mentionné les avantages que peuvent en retirer d’autres parties,
dont les responsables des admissions dans les établissements d’enseignement
supérieur, les employeurs et les centres nationaux de reconnaissance
des diplômes étrangers.
6.6. Prise
en considération des besoins particuliers des groupes vulnérables
58. Les groupes vulnérables tels
que les femmes, les enfants (non accompagnés), les personnes âgées, les
personnes handicapées, les membres de la communauté LGBTQI+, les
apatrides et autres ont besoin d’un accompagnement spécifique pour
réussir leur intégration dans le pays d’accueil. L’augmentation
des capacités d’accueil des enfants migrants en crèche et dans d’autres
services de garde permettrait aux femmes de poursuivre leurs études
et d’accéder à l’emploi. Le Plan d’action pour l’intégration et
l’inclusion 2021-2027
publié par la Commission européenne
en novembre 2020 a été salué pour l’étendue de la prise en compte
des besoins spécifiques des femmes migrantes et notamment des défis
supplémentaires résultant du fait qu’elles ont des réseaux sociaux
plus limités et davantage de responsabilités liées aux enfants et
à la famille.
59. L’intervention de professionnels de santé d’origine immigrée
au domicile des personnes âgées et dans les hébergements collectifs
peut améliorer l’intégration des migrants et réfugiés âgés dans
la société et leur permettre de vieillir dans la dignité. Le renforcement
de l’empourvoirement des réfugiés et demandeurs d’asile présentant
un handicap et/ou une maladie de longue durée leur donnerait les
outils dont ils ont besoin pour exercer leurs droits fondamentaux.
Aux Pays-Bas, il existe des logements collectifs où les migrants
locaux et âgés vivent ensemble et s’entraident. Les professionnels
de santé des communautés ethniques font également le lien entre
les clients immigrés âgés et les services médicaux et sociaux de
quartier. En développant une telle approche de soins sensible à
la dimension culturelle, à laquelle les personnes âgées peuvent
participer activement, on améliore la prise en charge des migrants
et des réfugiés âgés
.
60. La Confédération nationale des personnes handicapées de Grèce
a mis en œuvre le projet «Planifier ensemble: favoriser l’autonomie
des réfugiés handicapés». Les réfugiés et les demandeurs d’asile
présentant un handicap et/ou une maladie de longue durée ont été
dotés des moyens nécessaires pour faire valoir leurs droits fondamentaux.
Le projet a souligné l’importance des nombreux avantages résultant
de la participation des réfugiés et demandeurs d’asile handicapés
et/ou atteints de maladies chroniques dans la planification et l’exécution
des initiatives et services qui leur sont destinés. Des actions
de sensibilisation aux besoins des réfugiés et des demandeurs d’asile
handicapés ont été menées auprès des professionnels et du grand
public, augmentant ainsi la probabilité que ce groupe reçoive une
aide adéquate. Ont été mis en place dans ce contexte: des séminaires
de sensibilisation et de formation sur les questions liées au handicap
et aux maladies chroniques à l’intention du personnel fournissant
des services aux réfugiés et aux demandeurs d’asile, des réunions
de consultation avec les réfugiés et les demandeurs d’asile handicapés
ou atteints de maladies chroniques et leurs familles ainsi qu’une
ligne d’assistance téléphonique pour l’aide aux réfugiés et aux demandeurs
d’asile handicapés et/ou atteints de maladies chroniques, également
en arabe et en farsi
.
61. La ville norvégienne de Bergen porte une attention spéciale
à la vulnérabilité particulière des réfugiés LGBTQI+. Elle octroie
un hébergement aux réfugiés vulnérables avec des identités sexuelles,
des identités de genre ou des expressions de genre diverses. En
outre, une formation et des instructions sont données au personnel
intervenant auprès des réfugiés. À Berlin, l’organisation «Schwulenberatung
Berlin» gère un centre d’accueil et d’hébergement officiel exclusivement
réservé aux réfugiés LGBTQI+, leur offrant un espace sécurisé où
ils peuvent bénéficier d’un soutien psychologique et de conseils
juridiques sur les procédures d’asile
.
6.7. Création
d’espaces pour rapprocher les migrants, les réfugiés et la population
locale
62. Les États devraient faire le
maximum pour éviter de construire de nouveaux centres de rétention.
Une telle mesure irait à l’encontre de l’objectif d’intégration
et d’inclusion pleine et entière des réfugiés et des migrants dans
leur pays d’accueil. Même en l’absence de camps, la ségrégation
des réfugiés et des migrants dans certaines zones urbaines nuit
au progrès social. Encourager les membres de la diaspora des réfugiés
et des migrants à se rencontrer, à confronter leurs expériences
et à constituer des réseaux d’entraide peut être bénéfique à court
terme pour la recherche d’emploi au niveau local, la résilience
ou l’établissement de nouveaux contacts, mais cela peut aussi devenir
problématique dans la mesure où cela peut empêcher certains groupes
de personnes de saisir des opportunités et d’avoir accès à des services
qui leur permettraient de participer pleinement au développement
économique et social du pays d’accueil. Il est essentiel, pour une intégration
réussie, de créer dans la sphère publique des espaces qui réunissent
la population locale et les migrants et réfugiés. Cela a pour effet
de réduire les tensions et de renforcer la cohésion sociale, en rapprochant
les différents groupes qui composent la société.
63. Dans le cadre du projet global «Bâtir la dignité» («Building
Dignity»), la ville de Bergen (Norvège) est en train de construire
un centre combinant services et apprentissage de manière à réunir
toutes les activités nécessaires sous un même toit et dans un lieu
adapté. Le centre sera situé dans le quartier de Landås, dans un
ancien établissement de formation pour enseignants. L’administration,
le centre de formation pour adultes et le centre d’intégration des
réfugiés seront tous installés dans le centre d’intégration de Bergen,
qui disposera également d’équipements sportifs et culturels pour
pouvoir être utilisé tout au long de la journée. Le centre, qui vise
à promouvoir l’inclusion et le dialogue interculturel, sera accessible
aux habitants et organisations du quartier
.
64. Dans le cadre de sa stratégie interculturelle, la ville de
Ioannina a créé un centre pour accueillir, informer, soutenir et
conseiller les demandeurs d’asile, les réfugiés et les migrants.
Travaillant avec l’ensemble de services municipaux, le centre interculturel
pour l’intégration sociale «Akadimia» contribue également à améliorer
leurs conditions de vie et les aide à accéder aux programmes de
sécurité sociale. Il organise des événements sociaux et culturels,
ainsi que d’autres activités interculturelles et offre des services d’interprétation
et de médiation culturelle à tous les services municipaux et leurs
entités juridiques. Des dépliants traduits en sept langues différentes
sont diffusés dans toute la ville pour faire la promotion des services
proposés par le centre
.
65. Le 19 septembre 2022, M. Papadopoulos a évoqué le programme
«Cités interculturelles» qui soutient les villes dans la révision
de leurs politiques à travers un prisme interculturel. La ville
de Ioannina en fait partie depuis 2015 et en a grandement bénéficié.
Un savoir-faire pratique et technique a été mis à la disposition
de l’administration de la ville. M. Papadopoulos a invité les parlementaires
à étudier la possibilité d’inclure leurs villes dans ce programme.
Il a également présenté le Centre interculturel d’intégration sociale
«Akadimia» qui apporte une assistance aux migrants par des services
d’interprétation, culturels et administratifs, ainsi que pour l’organisation
d’événements culturels et la coopération avec d’autres services
locaux, nationaux et internationaux. Les collectivités locales n’ayant
pas beaucoup de fonds en Grèce, le projet a été financé principalement
par l’Union européenne. Des discussions sont en cours pour prolonger
de deux ans le financement du centre, ce qui pourrait encore accroître
son efficacité.
6.8. Amélioration
des paramètres financiers
66. Les réfugiés et migrants ont
besoin d’un logement et d’une aide pour pouvoir subvenir à d’autres
besoins fondamentaux comme les soins de santé et l’accès de leurs
enfants à l’éducation. Ceux qui obtiendront le statut de réfugié
doivent pouvoir accéder au marché du travail car cela favorisera
leur intégration et leur contribution économique au pays d’accueil.
Un investissement initial substantiel est requis pour couvrir les coûts
de l’éducation et de la formation des réfugiés et de l’assistance
immédiate aux demandeurs d’asile. Le financement est donc un outil
important pour conduire les processus d’intégration dans un pays
et constitue un puissant levier pour la coordination dans ce domaine
.
67. Des incitations financières du gouvernement central pourraient
être accordées aux municipalités qui se montrent particulièrement
efficaces dans l’intégration des réfugiés. Les municipalités à travers
toute l’Europe sont dans bien des cas à l’origine d’initiatives
faisant office de référence pour l’obtention de résultats tangibles en
matière d’intégration des réfugiés. Comme la réponse à la situation
en Ukraine l’a une nouvelle fois démontré, les collectivités locales
européennes sont exceptionnellement efficaces en tant qu’intervenantes
de première ligne pour apporter des solutions concrètes et fournir
des services aux réfugiés. Les contraintes qui pèsent aujourd’hui
sur les autorités municipales et les services locaux exigent en
même temps qu’un financement adéquat de l’Union européenne et du
gouvernement central, une diversification des sources de financement
et un accès à des sources de revenus autonomes grâce à des partenariats
innovants non traditionnels, par exemple avec des acteurs du secteur
privé.
68. L’inclusion financière des migrants et des réfugiés devrait
également être renforcée, notamment pour ce qui est de l’accès à
des services de base comme les comptes bancaires, en menant un travail
de sensibilisation et d’information et en apportant un soutien aux
entrepreneurs migrants et réfugiés à travers un accès effectif à
des services de financement et de création d’entreprise
.
69. Des politiques de logement ciblées peuvent être mises en place
pour favoriser l’intégration. Un logement décent et abordable est
indispensable pour l’intégration réussie des migrants et leur accès
effectif au marché de l’emploi et aux services essentiels comme
la santé et l’éducation. Il faut également des politiques ciblées en
matière d’installation, qui visent à répartir la population de migrants
de manière juste et équilibrée sur le territoire national, à faciliter
les contacts entre les nouveaux arrivants et la population locale
et à empêcher la création de ghettos ou de sociétés parallèles,
diminuant ainsi le risque que les migrants s’engagent dans des activités
illégales.
70. La société civile et les ONG jouent un rôle capital dans l’intégration
des migrants et des réfugiés. Le 11 octobre 2022, Mme Brun
a présenté la Conférence des OING du Conseil de l’Europe, qui concentre
ses travaux sur l’accès des migrants et des réfugiés à leurs droits
fondamentaux et aux OING. Elle a fait remarquer que, bien que les
discours politiques ne véhiculent pas particulièrement des idées
d’intégration, la guerre en Ukraine a montré que l’intégration des
migrants et des réfugiés dans les sociétés européennes était tout
à fait possible. Elle a insisté sur le fait que, contrairement aux
acteurs politiques, les ONG mènent leur action humanitaire au plus
près des besoins des personnes et portent une attention particulière
aux populations vulnérables, souvent exclues de la société et marginalisées.
Elles ne sont pas non plus soumises à des échéances électorales
et sont donc très bien placées pour rechercher une politique de
soutien sur le long terme. Mme Brun a
souligné l’importance de la reconnaissance des diplômes pour l’intégration:
l’éducation et l’engagement professionnel aident les individus à
éviter la marginalisation car ils peuvent ainsi s’adapter plus facilement
sur le plan linguistique comme culturel. Rappelant l’objectif du
rapport, elle a indiqué que la présentation d’exemples de réussite
dans le domaine de la migration devrait permettre aux gouvernements
de développer les solutions existantes ayant fait leurs preuves
et d’y investir davantage. À cette fin, elle a présenté à la commission
l’ONG grecque Smile of the Child qui travaille sur des solutions
d’accueil globales en mettant l’accent sur l’intégration dans les
premiers cycles de l’éducation.
71. Un financement à long terme et indépendant des organisations
de la société civile est particulièrement important pour une intégration
réussie. Les obligations à impact social (OIS) peuvent être une
solution de financement efficace. Elles offrent un financement pour
la résolution de problèmes sociétaux et le soutien aux mesures préventives,
et rattachent la réussite financière à l’obtention de résultats
sociaux quantifiés. Les trois partenaires impliqués dans les OIS
sont les investisseurs privés, les pouvoirs publics et les organisations
de la société civile. L’un des projets les plus élaborés est celui
de l’Estonie: une étude de faisabilité et d’impact a été réalisée
pour donner aux décideurs des informations concrètes leur permettant
de déterminer si cette solution pourrait être testée dans leur pays.
Le ministère estonien de l’Intérieur a dirigé une étude de faisabilité portant
sur le lancement d’OIS publics pour renforcer les liens entre les
organisations de la société civile et les investisseurs privés sur
certaines questions sociales
.
6.9. Mise
en adéquation des qualifications des migrants et des perspectives
d’emploi
72. Dans l’idéal, les politiques
d’intégration devraient prendre en considération les profils particuliers
des immigrants et leurs chances de s’intégrer au sein de la population
locale. En Suède, après avoir reçu leur permis de séjour, les nouveaux
immigrants sont systématiquement informés des possibilités d’emploi
lors de réunions avec l’office national pour l’emploi. Leur placement
est régi par des accords entre les municipalités et le gouvernement
central
. Le Danemark a mis en place une
subvention permettant aux municipalités de récompenser les agences
locales de placement qui aident les migrants à trouver un emploi
correspondant à leurs qualifications
.
73. Les plateformes pour l’emploi offrant aux réfugiés des services
de placement complets adaptés à leurs besoins et à leur expérience
peuvent faciliter l’accès à un travail décent. Jobs4Ukr propose
par exemple des informations complètes, accessibles et fiables aux
réfugiés, aux employeurs et aux prestataires de services
. Outre sa fonction centrale consistant
à trouver des offres d’emploi en adéquation avec les compétences
et l’expérience des réfugiés, la plateforme est aussi un premier
moyen de réunir différents acteurs œuvrant à l’inclusion des réfugiés,
ce qui assure une réponse plus coordonnée et facilite la constitution
de nouveaux partenariats multipartites pour l’inclusion économique,
notamment avec le secteur privé.
74. Travailler avec les employeurs et les entreprises dans le
cadre de programmes dirigés vers le secteur privé peut contribuer
à accroître l’accès des migrants et des réfugiés à des offres d’emploi
satisfaisantes. Le HCR et l’OCDE ont élaboré des orientations spécifiques
dans ce domaine
.
6.10. Des stratégies de communication efficaces,
dont des programmes d’accueil
75. Il arrive que l’idée que la
population se fait de l’intégration des immigrés ne corresponde
pas aux faits. Les politiques d’intégration doivent comporter un
volet communication qui favorise une approche équitable et fondée
sur les faits tout en recensant et en abordant les avantages et
défis que les migrations peuvent présenter pour le pays d’accueil.
Les nouveaux canaux médiatiques offrent de nombreuses possibilités
à cet égard du fait de leur capacité à toucher des publics que les
médias traditionnels n’atteignent pas. D’autres difficultés se posent
toutefois, comme la diffusion d’informations trompeuses et de stéréotypes
négatifs
.
76. La ville espagnole de Sabadell a mis en place un programme
d’accueil assorti d’une campagne de communication par le biais de
photos, d’affiches, de communiqués de presse et des médias sociaux.
En outre, la division de la communication est invitée à mettre en
valeur la diversité comme un atout. La ville suit de très près les
médias sociaux locaux et d’autres canaux pour voir comment ils dépeignent
les minorités ou les migrants. Lorsque des médias locaux donnent
une image défavorable des personnes issues de l’immigration ou des
membres de minorités, le service de communication les contacte pour
leur expliquer la politique de communication du conseil municipal.
En outre, dans le cadre de sa stratégie «Sabadell antirumeurs»,
la ville a organisé des ateliers de formation sur la manière d’éviter
les stéréotypes négatifs dans les médias
, ceci afin d’assurer le respect
de la dignité des réfugiés et des migrants dans les médias, indispensable
à la réussite de tout programme d’intégration.
6.11. Améliorer l’accompagnement en matière
de santé publique des réfugiés et migrants vulnérables
77. La mise à disposition d’un
accompagnement en matière de santé publique est un élément important. Les
réfugiés, et en particulier les enfants, qui ont fui des zones de
conflit de haute intensité, peuvent avoir besoin d’un soutien psychologique.
Bien que la protection de la santé des migrants et des réfugiés
soit pour l’heure limitée à la garantie de soins physiques de base,
il convient de reconnaître que la santé mentale et le soutien psychologique
sont tout aussi importants. La stratégie et le plan d’action de
l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour la santé des réfugiés
et des migrants dans la région européenne (2016) placent l’amélioration
de la santé mentale des réfugiés et des migrants parmi les priorités
politiques.
6.12. Une approche systémique: exemples
de politiques nationales d’intégration
6.12.1. Norvège
78. Je profite de cette occasion
pour remercier les autorités norvégiennes et la délégation norvégienne
à l’Assemblée pour leur aide à l’organisation de la visite d’information
en Norvège, qui m’a permis d’en apprendre davantage sur le programme
d’intégration des réfugiés. J’ai pu voir comment ce dernier fonctionnait concrètement
dans la ville de Bergen, qui est également membre du programme des
Cités interculturelles du Conseil de l’Europe, et j’ai souhaité
mentionner cette expérience, que je trouve particulièrement utile
et intéressante.
79. En Norvège, en vertu de la loi sur l’intégration de 2021
qui est venue compléter la loi de 2003 sur l’introduction, les immigrés
âgés de 18 à 55 ans, accueillis dans le cadre d’un accord entre
la municipalité et la direction de l’intégration et de la diversité,
suivent un programme d’introduction
. Ce
dernier, qui s’étend sur une durée de trois mois à quatre ans, permet
aux migrants d’améliorer leur maîtrise du norvégien et d’acquérir
des compétences pour mieux s’adapter au marché du travail et à la
société norvégienne. Il peut être adapté aux besoins et objectifs
individuels des migrants, après un examen approfondi de leur profil.
Par ailleurs, les parents doivent suivre un
cours
de guidance parentale. Les participants au programme
perçoivent une aide à l’introduction qui est égale au double de
l’allocation de base du
régime d’assurance
nationale.
80. Depuis 2022, une loi sur l’interprétation demande aux services
publics de mettre à disposition des interprètes qualifiés lorsqu’elles
fournissent une assistance ou des services aux migrants.
81. Le nombre de réfugiés arrivant dans le cadre du programme
national d’installation des réfugiés à Bergen a augmenté et continuera
d’augmenter. En 2021, près de 150 réfugiés (principales nationalités:
Syrie, Afghanistan, Érythrée, République démocratique du Congo)
se sont installés à Bergen. En 2022 (au 6 novembre), il y en a eu
environ 550 (principales nationalités: Ukraine, Syrie), et d’autres
arriveront en 2023. En octobre 2022, on comptait quelque 300 participants
au programme d’introduction et 900 inscrits aux cours de norvégien.
82. Le document de base régissant les politiques d’intégration
des réfugiés en Norvège est la loi sur l’intégration. Le cadre en
matière d’intégration inclut les composantes suivantes: programme
d’introduction et formation en norvégien et sciences humaines; intégration
précoce dans la société norvégienne; indépendance financière; bonnes
connaissances en norvégien; connaissance de la vie sociale en Norvège;
qualifications formelles et connexion durable avec la vie active.
La participation des réfugiés aux programmes proposés est fortement
encouragée et repose souvent sur un contrat social qu’ils signent
avec les pouvoirs publics. Au cours des trois premiers mois suivant
leur installation, les réfugiés reçoivent le soutien dont ils peuvent
avoir besoin pour s’établir dans le pays d’accueil. Cela inclut
une «allocation de départ» (soutien financier), une aide pour trouver
un appartement, un bilan de compétences, un accès à l’éducation
et à des possibilités d’apprentissage non formel, un accès aux services
de santé, etc. Leur participation au programme d’introduction est
planifiée, et définit leurs objectifs spécifiques et le contenu
du programme de formation.
83. Le programme d’introduction s’adresse aux réfugiés de 18 à
55 ans. Ils ont le droit et le devoir d’y participer. Le but est
de les aider à postuler à une offre d’emploi ou à demander une poursuite
d’études, en fonction de leurs qualifications. Les objectifs sont
définis individuellement, sur la base d’entretiens faisant le point
sur leur formation et leur expérience, leurs centres d’intérêt et
leurs projets pour leur vie en Norvège. Le programme à temps complet
représente 37,5 heures par semaine, 47 semaines par an. La durée
et les éléments du programme sont adaptés à chaque personne en fonction
de ses objectifs et de son profil. Les objectifs varient en fonction
du groupe cible:
- si une personne
a au minimum achevé ses études secondaires, le but est de lui permettre
d’entrer dans l’enseignement supérieur et d’accéder à l’emploi.
Le programme dure alors 6 mois et peut être prolongé de six mois;
- si la personne n’a pas suivi d’études secondaires, il
s’agit de faire en sorte qu’elle puisse terminer ce cycle. Dans
ce cas, le programme s’étend sur trois ans, et peut être prolongé
d’un an;
- pour les autres catégories de personnes, les objectifs
sont variables et peuvent inclure l’accès à l’emploi, à l’éducation
primaire, à une partie de l’enseignement secondaire, etc.; le programme
dure alors deux ans, avec une extension possible d’un an.
84. L’Agence norvégienne pour l’assurance qualité de l’éducation
est chargée de la reconnaissance des études et formations suivies
à l’étranger. Les employeurs et agences de recrutement peuvent également bénéficier
d’une procédure rapide et gratuite d’évaluation des qualifications
étrangères. L’Agence propose en outre une procédure de reconnaissance
sur la base d’un entretien pour les réfugiés et personnes déplacées qui
ne disposent pas de documents attestant leurs études et leur formation.
Par ailleurs, les réfugiés sont prioritaires dans les formations
passerelles qui permettent aux personnes ayant une qualification professionnelle
d’exercer en Norvège.
85. Parmi les composantes obligatoires du programme d’introduction
figurent l’apprentissage du norvégien, les sciences humaines, la
préparation à la vie quotidienne dans un nouveau pays, une guidance
parentale et des éléments axés sur le travail ou la formation (différentes
formations comme travailleur de la santé, conducteur de bus, dans
l’hôtellerie, la fabrication de meubles, etc.). Des programmes permettent
d’associer cours de norvégien et formation professionnelle (éducation
formelle, à temps complet ou partiel). Les cours de langues et sciences
humaines sont destinés notamment aux réfugiés (dans le cadre du
programme d’introduction), aux familles bénéficiaires du regroupement
familial et aux travailleurs migrants. Différents niveaux sont proposés,
des compétences de base au niveau universitaire, et les cours ont
lieu en journée, en soirée ou sur internet.
86. L’accès à l’emploi étant le but ultime de la majorité des
réfugiés adultes, le programme «Straight to Work»
mis en place dans la municipalité
d’Øygarden s’est révélé extrêmement intéressant, car il a permis d’assurer
d’emblée l’empouvoirement et la pleine responsabilisation des réfugiés
en matière d’emploi.
6.12.2. Suède
87. La Suède occupe la première
place sur 26 pays dans le classement de l’Indice des politiques d’intégration
des migrants de 2020. L’élément central des politiques d’intégration
suédoises est le programme d’installation géré par le service public
pour l’emploi, dont l’objectif est de faire en sorte que les migrants nouvellement
arrivés atteignent le plus rapidement possible l’autosuffisance
. Dès l’obtention de leur titre de séjour,
les migrants entre 18 et 64 ans suivent un plan d’introduction,
de formation et de développement professionnel leur offrant des
cours de langues et des cours sur la société suédoise, ainsi qu’une
formation et une expérience professionnelle. Durant ce programme
de 24 mois, ils perçoivent une allocation d’introduction d’un montant
variable pour couvrir leurs frais de subsistance. La participation
à ces activités est obligatoire sous peine de perdre l’allocation
. Depuis 2021, une partie des nouveaux
arrivants en Suède peuvent bénéficier d’un programme intensif sur
une année visant à accélérer davantage l’accès des migrants au marché
de l’emploi
.
88. Les bénéficiaires de la protection internationale ont pleinement
accès au système éducatif suédois
. Des
programmes ciblés répondent aux besoins des élèves immigrés et leur
garantissent l’égalité des chances
. Par ailleurs, le Conseil suédois
de l’enseignement supérieur peut évaluer les qualifications étrangères
pour aider les personnes qui recherchent un emploi ou désirent poursuivre
leurs études en Suède, ainsi que les employeurs qui souhaitent recruter
une personne ayant des qualifications étrangères
. Les informations sont disponibles
en plusieurs langues. Certaines universités proposent également
des cours accélérés pour les titulaires de diplômes de l’enseignement
supérieur. Les autorités nationales et régionales ont mis en place
un certain nombre d’initiatives pour aider, dans de brefs délais,
les entrepreneurs nés à l’étranger à créer rapidement leur propre
entreprise
.
89. Les migrants en situation régulière et les migrants sans papiers
ont accès au système de santé au même titre que les citoyens suédois.
Ces dernières années, les services de santé infantile suédois ont
travaillé à l’amélioration des compétences culturelles de leur personnel
soignant afin que ce dernier soit en mesure d’assurer une prise
en charge adéquate des enfants migrants et ont fait le nécessaire
pour accompagner les parents migrants dans l’éducation de leurs
enfants
.
L’accès des migrants aux services est facilité par un ensemble d’outils,
dont des services d’interprétation
. Les migrants sont également affiliés
au régime de retraite suédois. Enfin, l’Agence de l’immigration
est chargée de trouver des logements appropriés pour les personnes
accueillies dans ses services.
6.12.3. Finlande
90. En 2021, 8,5 % de la population
finlandaise était d’origine étrangère, un pourcentage bien inférieur
à celui d’autres pays de la région. Ce chiffre est le résultat de
récentes vagues d’immigration dans un pays qui jusque dans les années 1990
n’avait pas accueilli d’importants groupes de migrants. Les Russes
et Estoniens arrivés en Finlande après la chute de l’Union soviétique
représentent encore les deux principaux groupes d’immigrés, bien
que ces dernières années, d’importantes arrivées de migrants de
pays non européens aient été enregistrées
. En dépit de cette histoire récente
en matière de migrations, les politiques d’intégration de la Finlande
lui font obtenir la deuxième place du classement de l’indice MIPEX
de 2020, avec une augmentation de son score total depuis 2014.
91. Le fondement juridique de la gestion de l’intégration en Finlande
est la loi de 2010 sur la promotion de l’intégration des immigrés.
Elle est centrée sur l’évaluation des compétences de départ des
migrants, la préparation d’un plan d’intégration individualisé et
l’organisation de formations. Des cours de langue finlandaise ou
suédoise et de communication, ainsi que sur la société, la culture,
l’emploi et les compétences demandées sur le marché sont proposés.
Cela dit, contrairement aux autres pays nordiques, les immigrés
ne peuvent bénéficier de l’évaluation et du plan d’intégration que
s’ils sont demandeurs d’emploi ou s’ils ont moins de 18 ans et n’ont
pas de tuteur en Finlande. Par ailleurs, leur premier permis de
séjour doit dater de moins de trois ans. Ce chiffre de trois ans
est également la durée habituelle du plan d’intégration, qui peut
être étendu jusqu’à cinq ans
.
92. Bien que le ministère des Affaires économiques et de l’Emploi
soit chargé de l’élaboration des politiques d’intégration, ce sont
les municipalités locales qui en assurent la mise en œuvre concrète
. Au sein du ministère, un centre
d’expertise sur l’intégration des immigrants sensibilise aux politiques
d’intégration finlandaises. Il s’occupe également de la formation
de jeunes praticiens dans le domaine de l’intégration.
93. La reconnaissance et la validation en Finlande des qualifications
obtenues à l’étranger relèvent de manière générale de la compétence
du Conseil national finlandais de l’éducation. Des frais sont facturés
pour ce processus qui peut aboutir à une recommandation de suivre
une formation complémentaire pour acquérir le diplôme finlandais
équivalent. Les politiques éducatives finlandaises apportent aux
enfants des migrants un soutien linguistique, scolaire et social
supplémentaire tout au long de leur scolarité
.
94. Parmi les autres mesures destinées à favoriser l’intégration
des migrants, on peut citer l’initiative Startup Refugees, qui a
été conçue pour aider les migrants à créer leur entreprise ou à
trouver un emploi sur une plateforme de mise en relation
. Par ailleurs, les institutions
finlandaises essaient de répondre aux besoins des réfugiés et des
migrants mineurs non accompagnés sur le plan de la santé physique,
mais également de la santé mentale. Le centre PALOMA d’expertise
en santé mentale des réfugiés propose à cette fin une assistance
à tous les professionnels et organisations souhaitant travailler
sur les questions de santé mentale des réfugiés
.
6.13. Coopération paneuropéenne
95. Le 19 septembre 2022, Mme Daskalaki
a souligné l’importance des partenariats internationaux. De son point
de vue, les plans d’intégration devraient tenir compte du cadre
historique spécifique de la destination donnée. Elle a présenté
la nouvelle approche holistique du Centre grec d’intégration des
migrants. Ce dernier propose de nombreux services spécialisés: fourniture
d’informations, soutien psychologique, conseils juridiques, dépôt
de demandes de prestations sociales, mise en réseau, actions d’inclusion
sociale pour les adultes, activités interculturelles et cours préparatoires
à la demande de citoyenneté. Le centre pour migrants d’Athènes reçoit
chaque jour en moyenne 60 à 80 personnes pour des demandes d’informations.
Une trentaine de personnes suivent des cours de grec, d’anglais,
d’informatique et de préparation à l’examen de citoyenneté. En outre,
elle a mentionné le projet allemand MULTAKA, dans le cadre duquel
les musées forment des personnes d’origine immigrée au métier de
guide multiculturel. Ce programme a récemment également été mis
en œuvre à Athènes. Il permet aux migrants d’apporter leur culture,
leur expérience et leurs opinions. Mme Daskalaki
a présenté les propositions d’action concrète suivantes: renforcer
la participation des villes au processus décisionnel aux niveaux
national et européen, accorder aux villes un accès plus immédiat aux
financements européens, permettre des consultations directes entre
la Commission européenne et les villes et/ou régions. Il faut de
la clarté et de la transparence sur ce que l’Europe peut offrir
et souhaite recevoir, et concervoir et analyser les migrations comme
une question aux multiples facettes. Un cadre commun d’indicateurs
d’intégration est également nécessaire pour l’élaboration de politiques
fondées sur des données probantes. Enfin, il faut entendre toutes
les voix et convenir de priorités communes.
96. La mission d’information
menée
en Norvège a été très instructive et a démontré qu’une intégration réussie
bénéficie à la société dans son ensemble et maximise les avantages
pour toutes les parties impliquées dans le processus. Elle a également
montré que tout est possible quand il y a une volonté. Nous n’avons besoin
que d’une seule chose, c’est de volonté politique.
97. La visite en Norvège a fait suite aux travaux réalisés dans
le cadre du programme des Cités interculturelles du Conseil de l’Europe.
Ce programme «aide les villes et les régions à revoir et à adapter
leurs politiques à travers un prisme interculturel, et à développer
des stratégies interculturelles globales pour gérer la diversité
comme un avantage pour l'ensemble de la société»
. Par ailleurs, l’Assemblée devrait
promouvoir la coopération avec le Congrès des pouvoirs locaux et
régionaux du Conseil de l’Europe dans la mise en œuvre par ce dernier
de l’initiative Cities4Cities, une nouvelle plateforme de mise en
relation lancée pour apporter un soutien aux collectivités locales
et régionales ukrainiennes.
7. Conclusions
98. Dans ce rapport, j’ai souhaité
mettre en avant des exemples réussis d’intégration tout en soulignant
les lacunes existantes et leurs conséquences extrêmement négatives
pour les individus comme pour les États membres. En général, les
parlements examinent les progrès nationaux en matière de développement
social et d’intégration des migrations et des réfugiés et adoptent
des mesures en conséquence. Un examen européen au niveau de l’Assemblée
devrait conduire à une conscience accrue de ces questions au plan
politique et permettre de fixer les priorités de l’action du Conseil
de l’Europe.
99. L’Europe a démontré sa capacité à intégrer les réfugiés et
les migrants dans l’histoire moderne mais il est possible d’en faire
plus pour promouvoir l’intégration des réfugiés et des migrants
dans le respect des droits et de la dignité de chaque individu.
À cet égard, les États devraient prendre en considération, lors
de l’élaboration des politiques publiques en faveur de l’intégration
des migrants et des réfugiés, les recommandations formulées par
le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans
le document thématique «
Intégration
des migrants: il est temps que l’Europe prenne ses responsabilités» (2016).
100. Le projet de résolution recense diverses mesures susceptibles
d’améliorer la capacité des pays d’accueil à intégrer les personnes
arrivant d’autres pays. L’intégration est un investissement à long
terme dans le capital humain. Son but ultime est d’assurer l’inclusion
ou une participation sans exclusive des deux côtés, autrement dit
de faire en sorte que tous les membres de la société aient la possibilité
de participer à la vie sociale, culturelle et politique, de manière
à favoriser un sentiment d’appartenance commune. La participation positive
des réfugiés et des migrants, à l’issue d’un processus d’intégration
de qualité, peut contribuer à rendre les sociétés européennes plus
dynamiques, plus résilientes et plus cohésives.