1. Introduction
1. Le rôle du Conseil de l’Europe
dans la prévention des conflits et la gestion des crises est défini
dans son Statut (STE no 1), adopté en
1949 par les gouvernements européens fondateurs.
2. Le Statut du Conseil de l’Europe énonce dans son préambule
que «la consolidation de la paix fondée sur la justice et la coopération
internationale est d’un intérêt vital pour la préservation de la
société humaine et de la civilisation». En effet, l’Organisation
cible une prévention structurelle des conflits grâce à ses instruments multilatéraux,
dont la collecte et l’analyse des informations sur les causes profondes
des conflits avant qu’ils n’éclatent, et le développement de stratégies
de prévention des conflits en coordination avec d’autres organisations
internationales.
3. Par ailleurs, aux termes de l’article 1er du
Statut, «le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus
étroite entre ses Membres afin de sauvegarder et de promouvoir les
idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun et de favoriser
leur progrès économique et social». Pour atteindre cet objectif
d’une union plus étroite, le Conseil de l’Europe doit œuvrer activement
à la prévention des conflits.
4. Enfin, si les questions relatives à la défense nationale sont
explicitement exclues du champ de compétences du Conseil de l’Europe,
ce dernier a joué un rôle actif dans la protection de la sécurité démocratique.
La sécurité est un concept plus étendu que la défense, et repose
dans une large mesure sur le respect des processus démocratiques,
des droits humains et de l’État de droit.
5. Cependant, la paix en Europe a récemment été fondamentalement
remise en question. Après une baisse progressive, le nombre de conflits
armés est reparti à la hausse en 2010. Quelque 35 conflits sont actuellement
en cours dans le monde. Plusieurs facteurs contribuent à cette recrudescence,
notamment l’effondrement de l’État de droit, la fragilité des institutions
étatiques, l’exploitation non durable des ressources naturelles
qui exacerbe le changement climatique, l’érosion du bien-être social,
l’affaiblissement du multilatéralisme et la passivité de la communauté
internationale face aux nouvelles menaces – tout ceci étant susceptible
de contribuer à la montée des régimes autoritaires.
2. Enjeux
en matière de sécurité démocratique
6. Le prix d’une guerre sera toujours
bien plus élevé que celui de sa prévention. Depuis l’escalade de l’agression
russe qui a débouché sur une invasion massive le 24 février 2022,
la guerre a fait, au 2 avril 2023, au moins 8 451 morts
, dont 501 enfants
, et 14 156 blessés parmi les civils,
et 10 villes ont été rasées, notamment Marioupol, Bakhmout et Volnovakha
. Plus de 3 500 établissements scolaires
et autres structures d’éducation ont été soit complètement détruits
soit endommagés
et la scolarité de plus de 5 millions
d’enfants est perturbée
. Les attaques contre le système
de santé ukrainien ont entraîné la destruction d’au moins 218 hôpitaux
et cliniques
. Plus de 13 millions d’Ukrainien·ne·s
ont été contraints de quitter leur foyer: environ 5 millions ont
été déplacés à l’intérieur du territoire ukrainien et 8 millions
ont dû chercher refuge à l’étranger
.
7. L'agression russe contre l'Ukraine ayant débuté le 20 février 2014
avec l'annexion de la Crimée, puis l'occupation des régions de Donetsk
et de Louhansk, il faut aussi inclure dans le bilan total les plus
de 14 000 personnes tuées et les près de 39 000 personnes blessées
au cours des huit années ayant précédé février 2022
.
8. Ces chiffres effrayants représentent des drames individuels,
des familles séparées et une nation déchirée. Malheureusement, ils
augmentent chaque jour avec la poursuite de l’agression russe. Ce
bilan ne tient pas non plus compte des pertes et des dommages subis
dans les territoires ukrainiens sous occupation russe, auxquels
la Fédération de Russie empêche toutes les missions d'observation
indépendantes d’accéder.
9. Les crimes commis par la Russie en Ukraine ont des répercussions
qui s'étendent bien au-delà du continent européen. Ainsi que l’a
souligné l’Agence internationale de l’énergie, le monde est confronté
à sa première «crise énergétique véritablement mondiale», conséquence
des effets à long terme de l’invasion massive de l’Ukraine par la
Russie
. En outre, la Russie a constamment
poursuivi une politique de militarisation politique et économique
de son commerce des hydrocarbures.
10. La Russie continue de bloquer l'exportation des céréales ukrainiennes.
En conséquence, l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient souffrent de
graves pénuries alimentaires. L'accord sur les céréales, conclu
le 22 juillet 2022 avec l'aide de la Türkiye et des Nations Unies,
a permis d'exporter partiellement des céréales, des produits alimentaires
connexes et des engrais depuis les ports ukrainiens d'Odessa, de
Yuzhny et de Chornomorsk. Cependant, le problème persiste car la
partie russe perturbe et limite constamment l’activité. Les prix
des denrées alimentaires ont atteint leur niveau le plus élevé depuis
10 ans
et, rien qu’en Afrique, plus de
346 millions de personnes manqueront de nourriture en 2023
.
11. Le montant total des travaux de reconstruction à réaliser
en Ukraine va déjà de 410 milliards d'euros
à plus de 1 000 milliards d'euros
. Tandis que la guerre fait toujours
rage, le coût de la reconstruction augmente chaque jour. Les activités
de déminage à elles seules pourraient durer 30 ans; il faudra donc attendre
des décennies avant que l'économie d'après-guerre ne revienne à
la normale.
12. Pour blanchir ses crimes, la Fédération de Russie mène une
campagne de désinformation active contre l'Ukraine et le monde démocratique.
La propagande russe est particulièrement active dans toute la partie
sud et s’apparente à une tentative de déformer la perception qu'a
le monde de sa guerre d'agression illégale
. Parallèlement aux cyberactivités
malveillantes, les tentatives d'influencer l'opinion publique constituent
un problème persistant posé par la politique étrangère agressive
de la Russie, comme en témoignent de manière éclatante les tentatives
d'ingérence dans les élections présidentielles aux États-Unis et
en France et dans le référendum sur le Brexit au Royaume-Uni
. Avec le développement des plateformes
en ligne internationales, les citoyen·ne·s européens sont de plus
en plus exposés aux activités d'espionnage et aux campagnes de désinformation
menées par les régimes autoritaires, tout particulièrement la Russie
et la Chine
.
13. L’agression de la Russie contre l’Ukraine, à ses différents
stades et sous ses différents aspects, avec les souffrances qu’elle
entraîne, est soigneusement documentée dans les résolutions et l’avis
de l’Assemblée parlementaire et les débats qui les ont accompagnés:
Résolution 1988 (2014) «Développements récents en Ukraine: menaces pour le
fonctionnement des institutions démocratiques»,
Résolution 2063 (2015) «Examen de l'annulation des pouvoirs déjà ratifiés de
la délégation de la Fédération de Russie (suivi du paragraphe 16 de
la
Résolution 2034 (2015))»,
Résolution
2133 (2016) «Recours juridiques contre les violations des droits
de l’homme commises dans les territoires ukrainiens se trouvant
hors du contrôle des autorités ukrainiennes»,
Résolution 2132 (2016) «Conséquences politiques de l'agression russe en Ukraine»,
Résolution 2145 (2017) «Le fonctionnement des institutions démocratiques en
Ukraine»,
Résolution
2198 (2018) «Les conséquences humanitaires de la guerre en Ukraine»,
Résolution 2292 (2019) «Contestation, pour des raisons substantielles, des
pouvoirs non encore ratifiés de la délégation parlementaire de la
Fédération de Russie»,
Avis
300 (2022) «Conséquences de l’agression de la Fédération de Russie
contre l’Ukraine»,
Résolution
2433 (2022) «Conséquences de l'agression persistante de la Fédération
de Russie contre l'Ukraine: rôle et réponse du Conseil de l'Europe»,
Résolution 2436 (2022) «L'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine:
faire en sorte que les auteurs de graves violations du droit international
humanitaire et d’autres crimes internationaux rendent des comptes»,
Résolution 2448 (2022) «Conséquences humanitaires et déplacements internes
et externes en lien avec l’agression de la Fédération de Russie
contre l’Ukraine» et
Résolution
2482 (2023) «Questions juridiques et violations des droits de l'homme
liées à l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine».
14. L'Ukraine est l'exemple le plus récent et l'un des plus extrêmes
de l'efficacité limitée des procédures du Conseil de l'Europe lorsqu'il
s'agit de garantir la sécurité en tant qu'élément fondamental de
la protection de la démocratie et des droits humains, mais ce n'est
pas le seul.
15. L'agression menée par la Russie contre la Géorgie en 2008
a coûté la vie à 405 personnes, et 192 000 personnes ont été déplacées.
La Russie a créé dans la région un conflit gelé, qu'elle peut rallumer
à tout moment, à sa convenance, et porter au niveau d'une véritable
guerre. L’Assemblée a réagi en adoptant la Résolution 1633 (2008)
«Conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie», dans
laquelle elle tenait cependant les deux parties pour responsables
de l’escalade des tensions. L’Assemblée notait de plus que le déclenchement
de cette guerre avait surpris la plupart de ses membres, reconnaissant
ainsi l’inefficacité des systèmes d’alerte précoce et des autres
outils de prévention des conflits. Les tensions et les différends
dans les Balkans, en Irlande du Nord, à Chypre, dans le Caucase
et en République de Moldova sont également des sources de préoccupation
majeurs.
16. En 1949, le Conseil de l’Europe a été créé dans le but de
promouvoir la coexistence pacifique entre les nations. Dans le préambule
du Statut de l’Organisation, il est indiqué que «la consolidation
de la paix fondée sur la justice et la coopération internationale
est d’un intérêt vital pour la préservation de la société humaine
et de la civilisation». Bien que le Conseil de l’Europe ne soit
pas une organisation de défense, son mandat est directement lié
à la sécurité. En effet, le concept de sécurité est à la base des
principes fondamentaux des droits humains, de la démocratie et de
l'État de droit, et ces principes sont aussi les composantes du
concept de sécurité. La notion de sécurité démocratique, approuvée
pour la première fois par les chefs d’État et de gouvernement du
Conseil de l’Europe en 1993, lors du Sommet de Vienne, est aujourd’hui
plus que jamais d’actualité.
17. Au fil des ans, le Conseil de l’Europe a mis au point toute
une série d’outils destinés à prévenir les conflits: renforcement
de la confiance, alerte précoce et contrôle de conformité, limitation
des droits des auteurs d’actes répréhensibles, ou encore suspension
de la qualité de membre.
18. La prévention des conflits est l'option évidente et préférable,
qui permet de sauver des vies et d'économiser de l'argent. Mais,
alors que les États membres disposent d’une gamme si riche d'outils
de prévention des conflits, pourquoi échoue-t-elle?
19. Si l’on veut que le Conseil de l'Europe parvienne à protéger
la sécurité démocratique, il faut revoir les règles de l’Organisation
et de ses différents organes et les faire évoluer. Le présent rapport
s'appuie sur les recommandations et résolutions antérieures, et
sur l'analyse d’événements historiques et de faits intervenus récemment,
pour tenter de proposer des moyens de changer de manière significative
les règles et les méthodes du Conseil de l'Europe, afin qu’il puisse
agir de bonne foi et conformément aux objectifs définis dans son
Statut.
20. Pour que ce rapport ait une signification pratique, un effort
cohérent de renforcement de la sécurité démocratique est nécessaire
de la part de nos parlements et gouvernements respectifs. Cela suppose
de faire preuve de volonté politique, individuellement, au niveau
de chaque parlement national, et collectivement, au niveau de notre
Assemblée. Afin de garantir un engagement durable et des efforts
concertés dans un certain domaine, le Statut du Conseil de l'Europe
permet au Comité des Ministres d’adopter une politique commune: l’article 15.a
du Statut prévoit en effet la possibilité de «l’adoption par les
Gouvernements d’une politique commune à l’égard de questions déterminées».
3. Une
politique de sécurité démocratique commune
21. L'Assemblée devrait recommander
au Comité des Ministres d'adopter une politique de sécurité démocratique
commune, c’est-à-dire une politique commune visant à renforcer le
rôle du Conseil de l'Europe dans la prévention des conflits et à
créer les conditions préalables pour une paix durable. Cette politique
de sécurité démocratique commune devrait comprendre les volets suivants:
- donner un nouvel élan à l’action
préventive;
- faciliter l'élaboration de politiques équilibrées;
- promouvoir le multilatéralisme;
- renforcer l’obligation de rendre des comptes;
- faire respecter l'obligation d'indemnisation.
22. Le Conseil de l'Europe devrait jouer un rôle actif pour réformer
l'architecture internationale de la sécurité démocratique. L'Assemblée
devrait être une plateforme où les peuples d'Europe peuvent exprimer
leurs attentes légitimes vis-à-vis des organisations internationales.
Naturellement, le Conseil de l’Europe devrait éviter les interférences
avec les travaux d’autres organisations multilatérales et s’attacher
plutôt à coordonner les initiatives de ses États membres pour les
améliorer, et à concilier les points de vue et les efforts des États membres
concernant cette réforme. À l’heure où le fonctionnement d'organisations
internationales aussi fondamentales que l’ONU et l'Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) est entravé par
l’attitude de l’un de leurs membres qui fait de l’obstruction, il
est plus nécessaire que jamais que le Conseil de l'Europe joue un
rôle de soutien pour préserver l'État de droit international et
la prise de décision démocratique.
23. Dans le même temps, le Conseil de l'Europe devrait avoir une
capacité institutionnelle qui lui permette de mettre en œuvre cette
politique. La Secrétaire Générale du Conseil de l'Europe, assistée
d’une équipe dédiée composée d’agent·e·s du Secrétariat, devrait
coordonner tous les processus prévus par la résolution contenue
dans le présent rapport et veiller à ce que le Conseil de l'Europe
puisse se faire entendre sur les questions concernant la réforme
de l'architecture internationale de la sécurité.
24. La Secrétaire Générale devrait réagir aux signes de détérioration
de la protection des droits humains ou des relations interétatiques,
en jouant un rôle proactif de médiation, en appelant à la prudence
et en négociant une solution au conflit qui soit acceptable pour
toutes les parties.
25. Il incombe au Conseil de l'Europe d’aider ses États membres
à aligner leurs positions et à coordonner leurs actions dans le
cadre de la mise en œuvre d’une politique de sécurité démocratique
commune.
26. Il conviendrait de mener une révision semestrielle des développements,
des réalisations et des échecs liés à la mise en œuvre de la politique
de sécurité démocratique commune du Conseil de l’Europe. La révision pourrait
porter sur tous les aspects de la résolution contenue dans le présent
rapport, de la diplomatie préventive à la réforme de l’ONU en passant
par l’obligation de rendre des comptes. La révision pourrait aussi servir
de base à l’élaboration d’un «bulletin de sécurité démocratique»,
destiné à informer les décideurs et le grand public des mesures
prises par le Conseil de l’Europe pour prévenir les conflits et
assurer la sécurité démocratique.
27. La sous-commission des relations extérieures de la commission
des questions politiques et de la démocratie devrait jouer un rôle
actif dans la mise en œuvre de la politique de sécurité démocratique commune.
La sous-commission devrait promouvoir activement la diplomatie parlementaire
et le multilatéralisme, communiquer les préoccupations des citoyen·ne·s
des États membres du Conseil de l'Europe aux autres États et organisations
internationales, et promouvoir les normes et les outils du Conseil
de l'Europe dans le monde entier. Les activités menées par la sous-commission
dans ces domaines devraient venir compléter les mesures prises par
le Comité des Ministres pour mettre en œuvre la politique de sécurité démocratique
commune.
28. Le volet de suivi de la politique de sécurité démocratique
commune, dirigé par la Secrétaire Générale du Conseil de l'Europe,
devrait s’appuyer sur les travaux de la commission pour le respect
des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe
(commission de suivi) et du Bureau du Commissaire aux droits de
l'homme, avec lesquels il devrait être coordonné.
4. Donner
un nouvel élan à l’action préventive
29. Tout au long de ses 74 ans
d'existence, le Conseil de l'Europe a joué un rôle actif dans la
prévention des conflits sur le continent européen. À cette fin,
il a utilisé toute une série d’outils, dont l’alerte précoce et
le suivi, le renforcement de la confiance et la promotion de valeurs
communes. Une nouvelle politique de sécurité démocratique commune
dépendra fortement de l’amélioration de ces outils et du renforcement
de l’action préventive menée par les États membres du Conseil de
l'Europe.
4.1. Alerte
précoce
30. Le Conseil de l’Europe et ses
États membres doivent se doter d’une capacité d’alerte sophistiquée permettant
de repérer le recul de la démocratie, les discours de haine et tout
signe de tension et d’hostilité dans les États membres et entre
eux.
31. Le Conseil de l'Europe a réalisé des progrès significatifs
dans l’observation des évolutions dans ses États membres, notamment
grâce aux travaux de la commission de suivi et du Bureau du Commissaire
aux droits de l'homme.
32. D’autres améliorations pourraient consister à accélérer les
procédures de détection et d’alerte et à mettre en place un système
d’évaluation des risques basé sur un modèle d’escalade des différends
et sur une notification publique immédiate aux États membres et
à leurs populations.
33. À cet égard, nous devrions répéter les appels à renforcer
la procédure d’alerte précoce lancés dans la Recommandation 2235 (2022)
«La sécurité en Europe face à de nouveaux défis: quel rôle pour
le Conseil de l’Europe?». L’Assemblée devrait aussi saluer la réponse
donnée à cette recommandation par le Comité des Ministres, qui a
indiqué qu’il pourrait envisager d’entamer des discussions sur un
éventuel mécanisme d’alerte précoce, et appeler à des discussions
concrètes, fondées sur des textes, pour examiner les propositions portant
sur une telle procédure.
4.2. Mesures
de confiance
34. Depuis sa création, le Conseil
de l’Europe a beaucoup investi dans le renforcement de la confiance
en développant l’idée d’un «patrimoine européen commun». Le renforcement
de la confiance grâce à la promotion de cette idée est au cœur même
de la Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur la valeur du patrimoine culturel
pour la société (STCE no 199, «Convention
de Faro», adoptée en 2005) et du «Programme de coopération et d’assistance
techniques relatives à la conservation intégrée du patrimoine culturel»,
qui contribue à la mise en œuvre des principes des conventions et
des valeurs de l’Organisation sur le terrain.
35. Le Conseil de l'Europe, et notamment son Assemblée, devraient
donner une forte impulsion politique en vue de favoriser un recours
accru aux mesures de confiance. En coopération avec les assemblées parlementaires
de l'OSCE, de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN)
et d'autres organisations, le Conseil de l'Europe devrait élaborer
un ensemble de mesures de confiance, englobant le suivi et la coopération entre
les membres de la société civile.
36. Dans ce contexte, l’Assemblée devrait condamner en particulier
la décision irresponsable de la Fédération de Russie (annoncée le
21 février 2023) de suspendre sa participation au traité New Start
sur la réduction et la limitation des armes stratégiques offensives.
37. L’Assemblée devrait recommander au Comité des Ministres de
poursuivre ses efforts de renforcement de la confiance. Bien que
ces mesures ne puissent pas, à elles seules, empêcher les guerres,
elles constituent un élément important de l'architecture globale
de prévention des conflits.
4.3. Devoir
de prévenir l’agression
38. Divers mécanismes internationaux
de protection des droits prévoient des mesures préventives et l'obligation
d'en faire bon usage. En particulier, l'article premier de la Convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide définit
l'obligation juridique de prévenir le génocide incombant aux États signataires
de la Convention. De manière analogue, l’article 2 de la Convention
des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants impose aux États l’obligation d’empêcher
que soient commis des actes de torture et d’autres traitements inhumains
ou dégradants.
39. L’article premier de la Charte des Nations Unies appelle explicitement
à prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et
d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression. En
fonction du contexte, ce devoir doit entraîner l'obligation, pour
les États, de négocier activement afin d'éviter l'escalade. En cas
d'imminence d'une attaque non provoquée, des mécanismes de défense
collective doivent être mobilisés pour fournir d'urgence une assistance
appropriée, y compris militaire, aux victimes potentielles de l'agression.
40. La défense et la sécurité collectives, évoquées à l'article
51 de la Charte des Nations Unies, devraient être accessibles à
tous les pays, et non réservées aux membres de l'OTAN. Nous devrions
encourager un dialogue sur le système de sécurité collective afin
de mettre en œuvre les dispositions de cette Charte.
41. Pendant huit ans, l'Ukraine a dû se défendre contre l'agression
russe avec des moyens très limités. Avant 2014 et avant 2022, un
certain nombre de services de renseignement étrangers étaient au
courant des projets d’agression de la Fédération de Russie. Pourtant,
l'aide apportée à l'Ukraine a été insuffisante. Si l'Ukraine avait
reçu une aide militaire plus importante avant le début de l'invasion
à grande échelle, cela aurait pu constituer un puissant moyen de
dissuader la Russie de mettre ses projets à exécution.
42. Le Conseil de l'Europe devrait promouvoir le devoir de prévenir
l'agression en tant qu'obligation juridique parmi ses États membres
et faciliter sa mise en œuvre par le biais de la politique de sécurité
démocratique commune.
5. Faciliter
l'élaboration de politiques équilibrées
43. Durant les premières phases
d’élaboration des politiques, la détérioration des normes démocratiques
et des droits humains peut être évitée au moyen de conseils politiques
et de changements législatifs opportuns. La Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) sert d’organe
consultatif majeur et de source d’expertise pour éclairer les processus
législatifs à un stade précoce de l’élaboration des politiques dans
de nombreux États du continent.
44. Le Conseil de l'Europe devrait intensifier ses efforts pour
mieux faire connaître la Commission de Venise, promouvoir ses travaux,
tant dans les États membres du Conseil de l'Europe que dans ses
relations extérieures, inviter davantage d'États à la rejoindre
en tant que membres à part entière et à utiliser davantage la possibilité
de lui demander des avis, renforcer sa capacité institutionnelle
à réagir rapidement à ces demandes et accroître son impact et son
rayonnement internationaux.
45. Les juridictions internationales peuvent jouer un rôle similaire.
Leurs avis consultatifs peuvent éclairer les responsables politiques
et prévenir l'émergence de différends. Le pouvoir de la Cour européenne
des droits de l'homme de donner des avis consultatifs pourrait être
élargi pour répondre aux préoccupations encore plus tôt, au stade
de l'élaboration des politiques.
6. Promouvoir
le multilatéralisme
46. Le monde devrait renouer avec
l’esprit oublié du multilatéralisme et de la coopération mutuellement bénéfique.
À cette fin, un respect strict des règles est indispensable. Les
règles placent en effet tous les acteurs sur un pied d’égalité.
Nous devons également repenser la notion de dialogue. Le processus décisionnel
international devrait être plus égalitaire, de sorte qu'aucun pays
ne puisse jouir d'une position privilégiée susceptible d'entraîner
des abus et des déséquilibres.
6.1. Coordination
interinstitutionnelle
47. Souvent, les institutions internationales
et leurs organes, comme l’ONU et son Assemblée générale, le Conseil
de l'Europe, l'OTAN, l'OSCE et leurs assemblées parlementaires,
le Parlement européen ou encore l'Union interparlementaire, agissent
isolément les uns des autres. Peu soucieux de l'opinion des uns
et des autres, les gouvernements et les parlements adoptent des
positions fragmentées et ne parviennent pas à élaborer de réponse
concertée aux agressions et aux violations des droits humains.
48. Les organisations internationales devraient coordonner leurs
travaux dans la mesure du possible. À cette fin, les membres de
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe pourraient être
régulièrement informés par le secrétariat de l'évolution récente
de la situation à l'Assemblée générale et au Conseil de sécurité
des Nations Unies, au Parlement européen, à l'Union interparlementaire,
à l’Assemblée parlementaire de l'OTAN et à l’Assemblée parlementaire
de l'OSCE.
6.2. Repenser
le dialogue
49. Il ne fait aucun doute que
le dialogue est essentiel au règlement pacifique des différends.
Cependant, insister sur le compromis conduit parfois à mettre sur
un pied d’égalité une victime et un agresseur.
50. Ces dernières années, le dialogue est devenu une fin en soi,
une panacée et un cliché néfaste. Cette erreur de jugement n'a pas
apporté la paix sur le continent européen. Il convient de rappeler
que la Fédération de Russie a lancé une véritable guerre malgré
des années d’apaisement, et alors même qu’elle avait été autorisée
à réintégrer l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en
2019.
51. Il est important que chacun puisse exprimer ses opinions lors
d’un échange ouvert. Toutefois, la communauté internationale n'a
aucun intérêt à parvenir à un semblant de compromis si les plateformes internationales
sont utilisées à mauvais escient pour diffuser de fausses nouvelles
et pour justifier des guerres d'agression. Par conséquent, les règles
de toutes les organisations internationales devraient prévoir qu'une majorité
de membres puisse décider de limiter les droits de vote et de parole
d'une délégation si un membre enfreint gravement le droit international
et les principes de l’organisation.
6.3. Respecter
les règles
52. Le respect des règles, qui
s’oppose à la prise de décision arbitraire, est essentiel pour construire
et préserver un cadre multilatéral sain, où règne un climat de paix
et de compréhension mutuelle.
53. Malheureusement, dans bien des contextes, nous n'avons pas
réussi à préserver cette clarté procédurale. Un exemple frappant
est celui de l'ONU: la Fédération de Russie a été admise comme membre des
Nations Unies et du Conseil de sécurité après la dissolution de
l'Union soviétique sans vote au titre de l'article 4 de la Charte
des Nations Unies, alors que la Yougoslavie, qui était dans la même
situation, a dû se soumettre à une procédure qui a duré huit ans.
L'Assemblée devrait saluer les efforts visant à attirer l'attention sur
ces incohérences qui sapent la légitimité des institutions internationales,
par exemple la Résolution 2787-IX du Parlement ukrainien
et la Déclaration du ministère ukrainien
des Affaires étrangères
sur l'illégitimité de la présence
de la Fédération de Russie au Conseil de sécurité des Nations Unies
et à l’ONU dans son ensemble, qui sont déjà soutenues par l'Estonie
et la Pologne
.
54. En 2019, notre Assemblée, en vertu d’un vote à la majorité,
a dérogé à son Règlement en invitant les parlements des États membres
du Conseil de l’Europe «qui [n’étaient] pas représentés par une
délégation à l’Assemblée» à présenter leurs pouvoirs en cours de
la partie de session de juin 2019
. Cette dérogation a consacré une
application inégale du Règlement, taillée sur mesure pour le retour
de la Fédération de Russie, État agresseur, au sein de l'Assemblée.
Les conséquences de cette mesure dangereuse sont bien connues. Il
est grand temps d’en tirer la conclusion que les règles et leur
application égale à tous sont d’une importance cruciale
.
6.4. Rendre
l’ONU plus égalitaire et plus efficace
55. L’ONU n’a pas réussi à empêcher
l’agression russe ni à y mettre fin. Le Conseil de sécurité (organe spécifiquement
investi de la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité
internationales) a été complètement paralysé en raison de l’utilisation
abusive du droit de veto par la Fédération de Russie.
56. En conséquence, l’Assemblée devrait soutenir les propositions
faites par Emmanuel Macron et par Charles Michel lors du débat à
haut niveau qui a eu lieu à l’Assemblée générale des Nations Unies
du 20 au 26 septembre 2022: certains événements, tels que la perpétration
de crimes de masse internationaux ou le déclenchement d’une guerre
d’agression, d’ailleurs condamnée par l’Assemblée générale, devraient
entraîner la suspension du droit de veto.
57. L’Assemblée devrait appeler une nouvelle fois à organiser
un vote à l’Assemblée générale pour demander à la Cour internationale
de Justice de rendre un avis consultatif sur les possibilités de
limiter le droit de veto qui sont implicites dans les buts et principes
de la Charte des Nations Unies ou dans les principes généraux du
droit. Cet appel de l’Assemblée figure déjà dans sa Résolution 2436 (2022)
«L'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine: faire
en sorte que les auteurs de graves violations du droit international humanitaire
et d’autres crimes internationaux rendent des comptes». Les restrictions
au droit de veto pourraient se fonder sur l’article 2, paragraphe
2, de la Charte, qui prévoit que les membres de l’ONU, afin d’assurer
à tous la jouissance des droits et avantages résultant de leur qualité
de Membre, doivent remplir de bonne foi leurs obligations.
58. L'Assemblée générale devrait jouer un rôle plus important
dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Elle
a une responsabilité subsidiaire dans ce domaine en cas de blocage
du Conseil de sécurité. Elle devrait exercer ces pouvoirs plus activement,
qui consistent notamment à recommander une action collective en
vue d'imposer des sanctions dans le cadre des résolutions «L’union
pour le maintien de la paix», à créer des tribunaux ad hoc afin de garantir l’obligation
de rendre des comptes, à déployer des forces de maintien de la paix
et éventuellement à déférer des situations à la Cour pénale internationale.
La promotion d’un rôle plus actif de l’Assemblée générale, qui est
une question de culture juridique et d’application plutôt que de
modification de la loi, devrait devenir partie intégrante des efforts
de plaidoyer déployés par le Conseil de l’Europe dans le cadre de
la politique de sécurité démocratique commune.
7. Renforcer
l’obligation de rendre des comptes
59. L’obligation de rendre des
comptes joue un rôle dissuasif. Sachant qu'ils devront inévitablement assumer
les conséquences de leurs actes illicites, les agresseurs seront
dissuadés de perpétrer toute forme de violation.
7.1. Renforcer
la justice internationale
60. Les juridictions internationales
devraient disposer d’une compétence large et obligatoire pour demander des
comptes aux auteurs de violations du droit international. Plus il
y aura de pays qui reconnaîtront la compétence des juridictions
internationales (Cour internationale de Justice, Cour européenne
des droits de l’homme, Cour pénale internationale), moins il y aura
de décisions unilatérales donnant lieu à une escalade de la violence
et à une agression.
61. Nous devons donner un nouvel élan à la reconnaissance de la
compétence des juridictions internationales. Telle est aussi la
conclusion tirée le 12 janvier 2023, lors du débat ministériel tenu
au Conseil de sécurité de l’ONU sur le thème «Promotion et renforcement
de l’État de droit dans le maintien de la paix et de la sécurité
internationales: l’État de droit entre les nations», par Joan E.
Donoghue, présidente de la Cour internationale de Justice, et par
Dapo Akande, professeur à l’université d’Oxford
.
62. Cependant, le renforcement de la justice internationale comporte
en fait deux aspects. En ce qui concerne l’efficacité de la justice
internationale, la rapidité et la durée des procédures sont des
facteurs décisifs. Les États membres devraient faciliter les discussions
sur la rationalisation de la justice internationale et prendre en
compte les expériences pertinentes, telles que la pratique consistant
à fixer des délais clairs pour l'obtention d'une décision, intégrée
dans le mémorandum d'accord sur le règlement des différends de l'Organisation
mondiale du commerce.
7.2. Étendre
la compétence de la Cour pénale internationale
63. Le droit pénal international
et l’obligation de rendre des comptes sont des facteurs importants
du système général de dissuasion. Actuellement, le Statut de Rome
confère à la Cour pénale internationale (CPI) une compétence à l’égard
de quatre crimes internationaux: le crime de génocide, les crimes
contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression.
64. L’obligation de répondre du crime d’agression est considérablement
limitée par des modalités particulières d’exercice de la compétence,
qui ont été instaurées dans le cadre des amendements apportés au Statut
de Rome lors de la conférence de Kampala. Contrairement à ce qui
se passe pour les autres crimes, la CPI peut exercer sa compétence
à l’égard du crime d’agression uniquement si les auteurs de ce crime
sont des ressortissants d’un État qui a ratifié le Statut de Rome
ou si le Conseil de sécurité en a saisi la CPI. Bien souvent, le
crime d’agression n’est pas sanctionné et l’agresseur jouit de l’impunité.
L'exemple le plus marquant est l'agression russe contre l'Ukraine.
65. Deux solutions parallèles sont nécessaires. Premièrement,
il est nécessaire de modifier le Statut de Rome et de faire en sorte
que les règles d’exercice de la compétence soient les mêmes à l’égard
des quatre crimes internationaux. Rien ne justifie de créer des
régimes différents pour les crimes internationaux les plus graves.
66. Deuxièmement, le Statut de Rome devrait conférer aussi à l’Assemblée
générale, et pas seulement au Conseil de sécurité, le pouvoir de
saisir la CPI de certaines situations. En effet, l’Assemblée générale
a, elle aussi, même si ce n’est qu’à titre subsidiaire, la responsabilité
du maintien de la paix et de la sécurité internationales.
7.3. Tribunaux
ad hoc
67. Les solutions décrites ci-dessus
sont des moyens véritablement efficaces de garantir l’obligation
de rendre des comptes mais elles requièrent une planification rigoureuse
et des efforts considérables et ne peuvent être mises en œuvre immédiatement.
Or, c’est en ce moment que des crimes sont commis.
68. En conséquence, une solution complémentaire est nécessaire
dans l’intervalle pour combler les lacunes du système actuel: créer
un tribunal
ad hoc, par exemple
un tribunal spécial pour le crime d’agression contre l’Ukraine.
Un tel tribunal (mis en place par l’intermédiaire de l’ONU ou du
Conseil de l'Europe) devrait refléter la volonté de l’ensemble de
la communauté internationale de faire en sorte que les auteurs de
ce crime répondent de leurs actes
. Sur cette base, le tribunal sera
compétent pour poursuivre de hauts responsables russes
.
69. Le tribunal devrait être pleinement international car, si
l’on optait pour un tribunal hybride, cela soulèverait de sérieuses
questions constitutionnelles en droit ukrainien et compliquerait
considérablement les poursuites
. Ce point de vue est exprimé dans
le rapport qui accompagne la Résolution 2482 (2022) «Questions juridiques
et violations des droits de l'homme liées à l’agression de la Fédération
de Russie contre l’Ukraine»
.
70. Le tribunal spécial n’interférera pas avec l’action de la
CPI mais la complétera et la facilitera
. Le Conseil de l'Europe devrait
définir toutes les modalités avec le Gouvernement ukrainien et procéder rapidement
à la création du tribunal, sur la base des principes susmentionnés
et selon une feuille de route convenue d'un commun accord. L'engagement
de l'ONU est hautement souhaitable; sa contribution concrète dépendra
de la possibilité de réunir un soutien en faveur de la création
d'un tel tribunal à l'Assemblée générale. Le Conseil de l'Europe
devrait utiliser ses contacts extérieurs pour assurer un soutien
au tribunal spécial au-delà de ses propres membres.
7.4. Une
politique de sanctions économiques
71. Enfin, la responsabilité financière
de l'agresseur devrait aussi se traduire par des sanctions sévères. Certes,
les efforts déployés actuellement pour réduire la capacité de la
Russie à financer la guerre, qui prennent la forme de 10 trains
de sanctions adoptés par l'Union européenne, constituent une étape
importante vers la paix, mais cette guerre aurait pu être évitée
si des sanctions sérieuses avaient été imposées immédiatement après
l'annexion illégale de la Crimée ou même déjà après l'agression
menée par la Russie contre la Géorgie.
72. Par conséquent, les États membres du Conseil de l'Europe devraient
considérer que des mesures économiques restrictives, proportionnées
et opportunes, sont un moyen important de garantir la sécurité démocratique.
8. Faire
respecter l'obligation d'indemnisation
73. Le principe fondamental du
droit international coutumier selon lequel les États sont tenus
de réparer le préjudice causé par leurs faits internationalement
illicites est affirmé dans la jurisprudence de la Cour internationale
de Justice et dans les articles sur la responsabilité de l’État
pour fait internationalement illicite élaborés par la Commission
du droit international.
74. Si un État qui enfreint le droit international refuse de se
conformer à l'obligation d'indemnisation, la communauté internationale
devrait faire respecter cette obligation. La confiscation de biens
appartenant à l'État et de biens appartenant à des personnes privées
qui contribuent à une violation du droit international devrait être
considérée comme une sanction légale.
75. La Fédération de Russie refuse de verser des indemnisations
à l’Ukraine pour les dommages colossaux qu’elle cause. Par conséquent,
ses avoirs ainsi que les avoirs des oligarques sanctionnés pour
leur soutien à l'agression contre l'Ukraine devraient être confisqués
et le produit de leur vente devrait être utilisé pour la reconstruction
de l'Ukraine.
76. Si les biens appartenant à l'État sont protégés par l’immunité
souveraine, cette protection n’est cependant pas absolue. L'immunité
n’est pas synonyme d'impunité.
77. L’immunité souveraine ne peut pas servir à éviter à un État
agresseur d’assumer les conséquences de ses actes. Tout État est
habilité à prendre des contre-mesures en réponse à une guerre d’agression.
La confiscation des réserves souveraines russes et d’autres biens
appartenant à l’État constitue une mesure pleinement proportionnée
et conforme au droit international si ces biens confisqués sont
consacrés à la reconstruction de l’Ukraine.
78. Il convient de mentionner que le Parlement européen, dans
sa résolution du 19 janvier 2023, a accepté la possibilité de «priv[er]
[l]es avoirs [souverains de l’État russe] de la protection de l’immunité
souveraine ou [de limiter] cette protection au regard de la gravité
de ces violations»
.
79. En outre, les biens de personnes privées déjà soumises à des
sanctions pourraient être confisqués selon une procédure sans condamnation.
L’application d’une telle procédure doit être assortie des garanties nécessaires:
il faut notamment prouver que ces personnes ont soutenu l’agression
et les crimes de guerre et respecter leurs droits de propriété,
leur droit à un procès équitable et tous leurs autres droits humains.
La Cour européenne des droits de l'homme a considéré une procédure
sans condamnation comme légale dans plusieurs affaires, en particulier
dans des affaires concernant la mafia italienne
.
80. Certains pays ont déjà commencé à confisquer des avoirs russes.
Le Canada a approuvé des dispositions législatives suffisamment
étendues pour permettre la confiscation de biens appartenant à l’État
et de biens appartenant à des personnes privées. Il importe de noter
que, selon le critère retenu par le Canada, une personne peut se
voir confisquer ses biens si elle figure sur la liste des personnes
soumises à des sanctions pour avoir contribué à l’agression russe
contre l’Ukraine. Dans sa Résolution 2434 (2022) «Comment faire
bon usage des avoirs confisqués d’origine criminelle?», l’Assemblée
appelle à confisquer les avoirs des citoyen·ne·s et des entreprises
publiques russes frappés de sanctions ciblées en raison de leurs responsabilités
dans la guerre d’agression lancée contre l’Ukraine par la Fédération
de Russie. L’Estonie a fait part, elle aussi, de son intention de
prendre des mesures de confiscation
.
81. Compte tenu de ce qui précède, nous devons renouveler notre
forte pression politique en faveur d'une confiscation étendue mais
légale. C’est une politique profondément juste: il s’agit de faire
payer à l’agresseur les dommages qu’il a causés, d’établir des principes
de responsabilité solides, qui continueront à s’appliquer au-delà
de cette guerre, et d’empêcher que d’autres agressions se produisent
dans l’avenir.
9. Conclusions
82. La plupart des solutions proposées
dans ce rapport sont bien connues et loin d'être nouvelles. Cependant,
ce rapport, qui en fait la synthèse, se veut aussi novateur, dans
la mesure où il tend à générer un nouvel élan, à donner une nouvelle
impulsion pour un changement global. Il propose, pour le Conseil
de l’Europe, une feuille de route pour ses activités liées à la
sécurité démocratique.
83. Le rapport s’attache à promouvoir une idée nouvelle: l’adoption
d’une politique de sécurité démocratique commune, visant à intensifier
les efforts consacrés par le Conseil de l'Europe à la protection
et au renforcement de la sécurité internationale. Cette politique
devrait garantir que les dispositifs d’alerte précoce et les mesures de
confiance sont pleinement utilisés, améliorer les processus d’élaboration
des politiques, renforcer l’obligation de rendre des comptes et
permettre de prévenir les conflits dans l’avenir.
84. La mobilisation des efforts dans le domaine de la sécurité
est pleinement justifiée car il est impossible de garantir les droits
humains en l’absence de sécurité démocratique.
85. Le Conseil de l'Europe devrait promouvoir le dialogue multilatéral
constructif et contribuer à harmoniser les positions de ses États
membres sur le fonctionnement et la réforme d’autres organisations
internationales. Cela permettra d’élaborer une réponse commune forte
aux violations du droit international.
86. Le Conseil de l'Europe devrait encourager toutes les initiatives
– allant du renforcement de la justice internationale à l'élimination
des lacunes en matière de compétence pénale internationale – visant
à obliger les responsables de violations du droit international
à répondre de leurs actes.
87. L’immunité n’est pas synonyme d'impunité. Par conséquent,
le Conseil de l'Europe devrait faire respecter l'obligation d'indemniser
la victime de l’agression, notamment au moyen de mesures légales
de confiscation de biens appartenant à l’État ou à des personnes
privées.
88. Atteindre ces objectifs requiert un engagement ferme et une
volonté de vaincre la résistance au changement. Le Conseil de l'Europe
devrait tirer pleinement parti de son potentiel afin de contribuer
à la réforme de l'architecture de sécurité mondiale car les résultats
de cette réforme auront un impact direct sur la sécurité démocratique
de ses États membres.