1. Introduction
1. La proposition de résolution
à l’origine du présent rapport, qui a été déposée le 27 janvier
2022, avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Fédération
de Russie, a pour objet la légitimité et la légalité des amendements
à la Constitution russe adoptés en juillet 2020, notamment une disposition ad hominem qui supprime la limitation
des mandats présidentiels. Cette dérogation permet à M. Poutine,
qui a exercé le pouvoir sans interruption en qualité de Président
ou de Premier ministre depuis 2000, de rester président jusqu’en 2036,
c’est-à-dire jusqu’à l’âge de 83 ans.
2. Depuis le début de la guerre d’agression russe à grande échelle
contre l’Ukraine le 24 février 2022, la question de la légitimité
de l’éventuelle réélection du Président Poutine lors du prochain
scrutin présidentiel en 2024 a pris une importance particulière.
L’autorité de M. Poutine a déjà été mise en question, tant au niveau national
qu’international, en raison de la décision juridiquement et moralement
répréhensible de lancer une guerre d’agression contre l’Ukraine
et de la mauvaise évaluation manifeste des risques encourus. Le
Président Poutine et son cercle restreint, visiblement réticent
pendant la retransmission à la télévision de la réunion du Conseil
national de sécurité le 21 février 2022
, ont clairement sous-estimé la résistance
de la population de l’Ukraine et sa volonté de lutter pour son indépendance
et l’existence même de son pays. Le Président Poutine a également
sous-estimé la détermination des pays occidentaux à soutenir l’Ukraine
en lui fournissant des armes et des munitions. En outre, les revers
militaires subis jusqu’à présent par les forces russes face à des Ukrainiens
largement désavantagés en armement ont montré à tous l’état de désorganisation
et de corruption de l’armée russe. La rébellion des mercenaires
du groupe Wagner a démontré la faiblesse du Président Poutine, même
si son chef et son lieutenant principal ont entretemps péri dans
le crash d’un avion.
3. Les membres du cercle rapproché du Président, qui sont conscients
des menaces que les décisions relatives à l'agression contre l'Ukraine
prises par ce dernier font peser sur leur pays, pourraient bien
se prévaloir de l’illégalité des amendements à la Constitution russe
adoptés en juillet 2020 – en particulier la dérogation à la limitation
des mandats présidentiels qui permet à M. Poutine de se représenter
à la présidence en 2024 et de rester potentiellement en fonction
jusqu’en 2036 – afin de se débarrasser d’un dirigeant dont les actes
menacent de plus en plus l’avenir de la Russie et les intérêts de
ses élites. Cette motivation des éléments les plus rationnels du
cercle restreint du pouvoir à se débarrasser du Président Poutine
pourrait être renforcée par les projets de plus en plus marqués
de la communauté internationale de création d'un tribunal international
ad hoc pour le crime d'agression,
afin de demander des comptes aux dirigeants politiques et militaires
de la Fédération de Russie pour l’agression militaire non provoquée
contre l’Ukraine
. Ceux qui contribuent à mettre fin
à la guerre rendraient un grand service aussi bien à la Russie qu’à
la paix et la sécurité internationales et pourraient s’attendre
à être traités avec plus d’indulgence par le futur tribunal.
4. La reconnaissance internationale explicite de l’illégalité
de ces amendements constitutionnels, qui pourraient en fait s’avérer
être une sorte de «loi constitutionnelle inconstitutionnelle» (concept
développé à l’origine par les cours constitutionnelles ou suprêmes
des États-Unis, de l’Allemagne et de l’Autriche et reconnu dans
de nombreux pays
) délégitimerait davantage l’ambition
de Vladimir Poutine de rester indéfiniment Président de la Fédération
de Russie, si tant est qu’il puisse continuer de réprimer toute
opposition politique sérieuse.
5. La question de la légitimité des amendements constitutionnels
de juillet 2020 a déjà fait l’objet d’un avis de la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise). Je présenterai
un résumé des principales conclusions au chapitre 2 du présent rapport.
Dans le chapitre 3, j’examinerai la question plus générale de la
nécessité de limiter les mandats dans les systèmes présidentiels,
qui a fait l’objet d’une autre étude de la Commission de Venise.
Il convient de noter que les deux études de la Commission de Venise
ont été réalisées avant l’expulsion de la Russie du Conseil de l’Europe
.
2. Avis intérimaire de la Commission de
Venise du 23 mars 2021
6. L’avis en question a été demandé
en mai 2020 par la Commission pour le respect des obligations et engagements
des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi) de
l’Assemblée dans le cadre de ses travaux sur la Fédération de Russie.
Il devait compléter l’avis antérieur demandé par la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme sur les amendements aux articles 79
et 125 de la Constitution russe (Avis CDL-AD(2020)009, adopté le 18 juin 2020). Cette
demande, formulée dans le cadre des travaux de la commission sur
la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de
l’homme, se limitait aux amendements (alors en projet) à la Constitution
relatifs à l’exécution, par la Fédération de Russie, des arrêts
de la Cour.
7. La Commission de Venise avait bénéficié, à l’époque, de la
pleine coopération des autorités russes compétentes, notamment de
la Cour constitutionnelle, du ministère de la Justice et du parlement.
8. L’avis n’examinait et n’évaluait que les modifications constitutionnelles
elles-mêmes et la procédure suivie pour leur adoption et non la
législation prévue pour leur application, qui était alors encore
en préparation – d’où son nom d’«avis intérimaire». L’offre de la
Commission de Venise d’aider les autorités russes à rédiger la législation
d’application (voir paragraphe 189 de l’avis) n’a pas été acceptée.
9. La Commission de Venise critique vivement tant la procédure
d’adoption des amendements que leur contenu.
2.1. Questions
de procédure
10. En ce qui concerne la procédure
appliquée pour l’adoption des amendements constitutionnels, la Commission
de Venise estime que, compte tenu de leur importance et de leur
impact, il aurait fallu appliquer la procédure normale réservée
aux amendements constitutionnels. Cette procédure (définie dans
la loi sur la procédure d’adoption et d’entrée en vigueur des amendements
à la Constitution de la Fédération de Russie de 1998) exige notamment
la convocation d’une Assemblée constitutionnelle et l’adoption de
lois d'amendement spécifiques aux différentes modifications proposées,
plutôt qu’un seul vote en bloc sur tous les amendements. Au lieu
de cela, la loi d’amendement a mis en place une nouvelle procédure ad hoc en trois étapes. La première
étape, la rédaction des amendements et leur adoption par les deux
chambres du parlement et les entités constituantes de la Fédération,
a suivi la procédure normale d’amendement constitutionnel, jusqu’à
l’entrée en vigueur de l’article 3 de la loi d’amendement. Dans
la deuxième étape, à partir de l’entrée en vigueur dudit article 3,
une procédure sui generis établie
par ce même article a été enclenchée. Dans le cadre de cette procédure,
le Président demande l’avis de la Cour constitutionnelle sur la compatibilité
des amendements avec les chapitres 1, 2 et 9 de la Constitution
et sur la compatibilité avec la Constitution de la procédure d’entrée
en vigueur de l’article 1 de la loi d’amendement (qui énumère les amendements
substantiels à la Constitution). La Cour constitutionnelle était
tenue de rendre ses conclusions dans un délai de sept jours. Une
fois l’avis de la Cour constitutionnelle rendu, l’article 2 de la
loi d’amendement est entré en vigueur, et la troisième étape, régie
par les articles 2 et 3 de la loi d’amendement qui prévoyaient les
dispositions du vote ad hoc à
l’échelle nationale, a été lancée – un seul vote en bloc sur tous
les amendements, qui, de surcroît, n’était pas soumis aux exigences
procédurales rigoureuses applicables aux référendums.
11. La Commission de Venise a noté:
«que le vote ad hoc à l’échelle
nationale était soumis à des règles beaucoup moins élaborées et détaillées
que ne l’aurait été un référendum. Il en a résulté une réduction
substantielle des garanties procédurales, qui sont notamment destinées
à assurer un certain équilibre dans la manière dont les questions
sont présentées, et donc à accroître la légitimité du résultat du
référendum. La loi constitutionnelle fédérale sur les référendums
aurait exigé un temps d’antenne suffisant également pour les opposants
aux amendements (article 59, (9)). L’article 60 (5) de cette loi
aurait obligé les institutions de l’État à rester neutres. L’article 2
de la loi d’amendement établissant les règles ad hoc pour le vote panrusse
garantit un temps d’antenne à la seule Commission électorale centrale
et ne contient aucune disposition sur la neutralité des organes
d’État.»
«qu’en vertu de l’État de droit,
il est inapproprié d’introduire un nouveau type de référendum pour
une révision particulière de la Constitution. Même si le vote panrusse
n’a pas remplacé le vote de l’Assemblée et des sujets de la Fédération,
la Commission rappelle que, comme l’indiquent les Lignes directrices
révisées 2020 sur la tenue des référendums, “les référendums ne
peuvent être organisés si la Constitution ou une loi conforme à
la Constitution ne le prévoit pas, par exemple lorsque le texte soumis
à référendum relève de la compétence exclusive du Parlement”.»
«[L]a loi d’amendement
a également dérogé à l’article 2 (2) de la loi fédérale N 33-FZ
de 1998 sur la procédure d’adoption et d’entrée en vigueur des amendements
à la Constitution de la Fédération de Russie, qui prévoit qu’il
doit y avoir des lois modificatives spécifiques sur des sujets interdépendants, plutôt
qu’un seul vote en bloc sur tous les amendements. Les commentaires
[note de l’auteur: par la partie russe] insistent sur le fait que
les amendements sont tous liés les uns aux autres et que la condition
de la loi fédérale N 33-FZ est donc remplie. La Commission de Venise
ne peut pas suivre cet argument car les amendements couvrent un
très large éventail de questions.»
12. De plus, selon la Commission
de Venise, la loi d’amendement contredit l’article 135 de la Constitution russe
dans la mesure où les conclusions de la Cour constitutionnelle et
le vote panrusse prévu aux articles 2 et 3 n’étaient, en fait, pas
pertinents pour l’entrée en vigueur des amendements après leur adoption
par les deux chambres du Parlement et les entités constitutives
de la Fédération
.
13. Je tiens à souligner que la rapidité avec laquelle ces amendements
ont été adoptés est également tout à fait extraordinaire: dans un
discours prononcé le 15 janvier 2020, le Président Poutine a proposé
de modifier diverses dispositions de la Constitution de 1993. Par
décret du même jour, il a créé un groupe de travail chargé d’élaborer
des propositions d’amendements. Le 20 janvier 2020, il a soumis
à la Douma d’État le projet de loi d’amendement. Trois jours plus
tard, le projet a été adopté en première lecture. Le 2 mars 2020,
M. Poutine a proposé des amendements supplémentaires à la Constitution.
Le projet, avec ces nouveaux amendements, a été examiné en deuxième
et troisième lectures à la Douma d’État les 10 et 11 mars 2020 respectivement,
puis a été approuvé par le Conseil de la Fédération de Russie le
11 mars et par les conseils législatifs de tous les sujets fédéraux
de la Fédération de Russie les 12 et 13 mars. Le 14 mars 2020, il
a été promulgué par le Président et publié. Le même jour, M. Poutine
a demandé à la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie
de vérifier la compatibilité de la loi d’amendement avec la Constitution,
ce que la Cour constitutionnelle a confirmé le 16 mars 2020. Le
vote populaire était initialement prévu le 22 avril 2020. Après
un report dû à la pandémie de covid-19, ce vote a eu lieu du 25 juin
au 1er juillet 2020. Une seule et unique
question était posée aux électeurs: «Approuvez-vous
les amendements à la Constitution de la Fédération de Russie?»,
ce qui ne leur donnait pas la possibilité de s’exprimer différemment
sur des points aussi disparates que la reconnaissance constitutionnelle
des droits sociaux, l’interdiction du mariage homosexuel et la disposition ad hominem permettant au Président
de déroger à la limitation constitutionnelle du nombre de mandats présidentiels.
14. En ce qui concerne la procédure suivie pour l’adoption des
amendements constitutionnels, la Commission de Venise a donc conclu:
«[qu’]au vu des sujets abordés,
une Assemblée constitutionnelle aurait dû être convoquée en vertu
de l’article 135. Comme une Assemblée constitutionnelle n’a pas
été convoquée, les amendements à la Constitution ont été adoptés,
selon l’article 136, après son adoption par le Parlement et les
sujets de la Fédération. Après ces deux étapes, les amendements
devaient entrer en vigueur conformément à l’article 136. Un résultat
négatif des étapes supplémentaires, c’est-à-dire le contrôle par
la Cour constitutionnelle et le vote panrusse, ne pouvait pas empêcher
l’entrée en vigueur des amendements. La procédure utilisée pour
amender la Constitution crée une tension évidente avec l’article 16
de la Constitution, qui préserve les "fondements solides du système
constitutionnel de la Fédération de Russie".»
2.2. Questions
de fond
15. Les modifications substantielles
adoptées en application de la nouvelle procédure décrite ci-dessus concernent
les domaines suivants, énumérés dans l’ordre où ils apparaissent
dans le rapport explicatif de la loi d’amendement:
- la position des candidats/titulaires
de fonctions;
- la structure des organes de l’État, leurs compétences
et leurs relations mutuelles;
- la protection des droits sociaux;
- les valeurs fondamentales de l’État;
- la relation entre le droit national russe et le droit
international.
16. Compte tenu du sujet du présent rapport et du fait que le
dernier point (la relation entre le droit national russe et le droit
international) a déjà été traité dans l’avis de la Commission de
Venise adopté le 18 juin 2020 sur le projet d’amendement à la Constitution
relatifs à l’exécution en Fédération de Russie des décisions de
la Cour européenne des droits de l’homme
, de même que dans le
dernier rapport de l’Assemblée sur la mise en œuvre des arrêts de
la Cour européenne des droits de l’homme
, je me limiterai à évaluer la première question
de fond, à savoir la position des candidats et des titulaires de
fonctions, ou plus précisément la dérogation
ad
hominem à la limitation constitutionnelle du mandat du
Président Poutine.
17. Le nouveau libellé de l’article 81 (3), interdit à une personne
d’exercer la fonction de président pendant plus de deux mandats.
Mais cette limitation ne s’applique pas aux présidents actuels ou
anciens, c’est-à-dire (bien qu’ils ne soient pas nommés expressément)
à MM. Poutine et Medvedev. Selon l’article 81 (3.1), cette disposition
«s’applique à la personne occupant et (ou) ayant occupé la fonction
de Président de la Fédération de Russie, sans tenir compte du nombre
de mandats qu’elle exerce ou qu’elle a accompli avant l’entrée en vigueur
des amendements correspondants à la Constitution de la Fédération
de Russie et n’exclut pas pour lui la possibilité d’occuper la fonction
de Président de la Fédération de Russie pour les mandats autorisés
par cette disposition».
18. Comme le souligne la Commission de Venise, «cette disposition
crée une exception pour les titulaires actuels et précédents de
la fonction, qui peuvent se présenter pour deux nouveaux mandats,
quel que soit le nombre de leurs mandats passés. Comme cette disposition
s'applique à deux personnes spécifiques, il s'agit d'un amendement
constitutionnel ad hominem».
19. Il convient de noter que sans cet amendement, M. Poutine ne
serait pas en mesure, en 2024, de briguer un nouveau mandat présidentiel
de six ans, la Constitution russe limitant la présidence à deux
mandats consécutifs. M. Poutine a effectué deux mandats consécutifs
de 4 ans entre 2000 et 2008 et aura accompli deux mandats consécutifs
de 6 ans entre 2012 et 2024.
3. Importance
des limitations des mandats présidentiels pour la sauvegarde de
la démocratie
20. Dans son avis intérimaire de 2021,
la Commission de Venise renvoie à ses travaux antérieurs sur la relation
entre les limitations de mandat et la démocratie
. Elle souligne que la limitation
du mandat de président d’un pays à un seul mandat avec le droit
à une seule réélection est une pratique courante. Dans la plupart
des cas (par exemple, en Finlande, en France, en Lettonie, en Lituanie,
en Roumanie, en République slovaque et en République tchèque), il
est interdit de briguer plus de deux mandats consécutifs; dans certains pays
(par exemple, en Allemagne, en Autriche, en Bulgarie et en Pologne),
à cette règle s’ajoute celle de l’exclusion d’un mandat supplémentaire
non consécutif. Dans certains pays, toute réélection est exclue
(par exemple, le Mexique, la République de Corée et la Suisse).
21. Dans son rapport de 2018 sur les limitations de mandat
, la Commission de Venise soulignait que:
«[L]es limitations du mandat présidentiel
sont courantes dans les systèmes présidentiels et semi-présidentiels
et existent également dans les systèmes parlementaires (que le président
soit élu au suffrage direct ou indirect); dans ces derniers, il
n’y a pas de limitation au mandat des premiers ministres, qui contrairement
aux présidents peuvent être à tout moment destitués par le parlement.
Dans les systèmes présidentiels et semi-présidentiels, les limitations
au mandat présidentiel constituent donc une sauvegarde contre le
risque d’abus de pouvoir par le chef de l’exécutif. Elles visent
de ce fait au but légitime de protéger les droits de l’homme, la
démocratie et la prééminence du droit.»
22. Je ne peux qu’être d’accord avec la Commission de Venise lorsqu’elle
constatait:
«[qu’]il y a de bonnes
raisons pour lesquelles les systèmes présidentiels contiennent des
limites strictes au mandat. Dans un système présidentiel qui accorde
d’importants pouvoirs exécutifs au président, plus le titulaire
reste longtemps en fonction, plus son pouvoir est cimenté.»
«[que] les limitations de mandat visent à éviter qu’une
démocratie ne devienne une dictature de fait. Elles peuvent même
renforcer la société démocratique, puisqu’elles imposent la logique
de la transition politique comme un événement prévisible dans les
affaires publiques. Elles peuvent constituer «un important rempart
contre les scénarios dans lesquels le vainqueur d’une élection emporte
toute la mise». Elles entretiennent aussi dans les partis d’opposition
l’espoir d’accéder prochainement au pouvoir à travers des procédures
institutionnalisées, et réduisent donc l’incitation à tenter un
coup d’État. Ainsi, les limitations de mandat visent à protéger
les droits de l’homme, la démocratie et la prééminence du droit,
qui sont des buts légitimes au sens des normes internationales.»
«[et qu’]au vu de l’analyse comparative des constitutions
des 58 pays étudiés, la suppression des limites à la réélection
présidentielle marque un recul en termes de réalisation démocratique,
du moins dans les systèmes présidentiels ou semi-présidentiels.
En éliminant un important rempart contre les concentrations excessives
de pouvoir, la suppression des limitations de mandat risque aussi
de saper divers aspects du droit de participer à la vie publique.»
23. De manière importante, et particulièrement pertinente dans
le cas présent, la Commission de Venise soulignait que:
«dans la mesure où des amendements
constitutionnels renforçant ou prolongeant le pouvoir des organes
supérieurs de l’État sont proposés, ces amendements (s’ils sont
promulgués) ne devraient prendre effet que pour les futurs détenteurs
du pouvoir et non pour l’actuel.»
24. Comme nous l’avons vu plus haut (paragraphe 17), la loi d’amendement,
tout en introduisant une limitation à deux mandats, crée une exception
pour les titulaires actuels et précédents de la fonction, qui peuvent
se présenter pour deux nouveaux mandats, quel que soit le nombre
de leurs mandats passés. Comme cette disposition s'applique à deux
personnes spécifiques, il s'agit d'un amendement constitutionnel ad hominem.
25. Les autorités russes, dans leurs réponses à la Commission
de Venise, résumées dans l’avis intérimaire de 2021, soulignaient
que la suppression des limitations de mandat avait été adoptée par
l’Assemblée fédérale, approuvée par toutes les entités constitutives
de la Fédération de Russie et approuvée par le peuple souverain
lors d'un vote national. Décompter les mandats du Président actuel
et du Président précédent reviendrait à appliquer la limitation
des mandats de manière rétroactive. Une réélection du Président
actuel ou du Président précédent dépendra de la volonté des citoyens
telle qu’elle s'exprimera lors d'élections au suffrage direct. Les
autorités russes ont insisté sur le fait que le principe constitutionnel
de la démocratie implique la possibilité pour le peuple d’exercer
le droit d’élire, lors d’élections libres, la personne qu’il juge
la plus digne d’occuper le poste de chef de l’État et que la participation
d’un président sortant ne préjuge en rien d’une victoire électorale.
Elles considéraient également que les amendements entraînent une
redistribution de l’autorité publique entre les différentes branches
du pouvoir, en particulier du président vers le parlement. Ces changements
significatifs justifient une règle transitoire de non-prise en compte
des mandats présidentiels antérieurs aux amendements. La Constitution
offre des garanties suffisantes de parlementarisme, de multipartisme,
de présence d’une concurrence politique, de séparation des pouvoirs
et de respect des droits et libertés assuré par une justice indépendante,
y compris par le biais de procédures constitutionnelles. Les autorités
russes ont enfin fait remarquer que les dirigeants d’autres pays
(par exemple, la Chancelière allemande Merkel, le Président finlandais
Kekkonen et le Premier ministre luxembourgeois Juncker) ont exercé leurs
fonctions pendant de très longues périodes.
26. Dans son rapport 2018 sur les limitations de mandat, la Commission
de Venise soulignait que, dans ses États membres:
«les limitations de mandat ne s’appliquent
pas au chef du gouvernement (habituellement le premier ministre):
techniquement, ce dernier peut être destitué à tout moment, tandis
que les systèmes présidentiels prévoient des procédures de destitution
rigides et exceptionnelles. Par conséquent, le risque d’abus de
pouvoir par le chef de l’exécutif est plus grand dans les régimes
présidentiels que dans les régimes parlementaires.»
27. Même les longs mandats des Premiers ministres dans des systèmes
parlementaires tels que l’Allemagne (chanceliers Merkel et Kohl)
ou le Luxembourg (M. Juncker) sont loin d’atteindre la durée potentielle
du mandat de M. Poutine, de 2000 à (selon les nouvelles règles) 2036,
avec seulement une courte interruption entre 2008 et 2012, lorsque
M. Medvedev était Président et M. Poutine, Premier ministre. En revanche,
la présidence de 16 ans du Président Franklin D. Roosevelt, qui
a remporté quatre élections présidentielles américaines consécutives,
a donné lieu à la mise en place d'une limite de deux mandats aux États-Unis
d'Amérique. De même, la Finlande a instauré une limite de deux mandats
présidentiels de six ans dans les années 1990.
28. L’argument des autorités russes selon lequel les amendements
constitutionnels ont apporté des changements si importants dans
la redistribution des compétences du président vers le parlement
qu’ils sont susceptibles de justifier une suppression des limitations
de mandat en faveur du Président sortant ne semble pas non plus
convaincant. L’emprisonnement ou l’exil forcé de tous les hommes
politiques restants qui s’opposent réellement au régime en place
sont suffisamment éloquents. L’Assemblée a déjà étudié le cas d’Alexeï
Navalny et d’autres prisonniers politiques et se penche maintenant
sur le sort de Vladimir Kara-Murza. Même les institutions les plus
prestigieuses de la société civile, dont Memorial et le Groupe Helsinki
de Moscou, ont été dissoutes, et leurs militants se trouvent en
prison ou en exil. En outre, depuis le début de l’agression russe
contre l’Ukraine, la Douma d’État et le Conseil de la Fédération
n’ont absolument pas réussi à obliger le Président et son entourage
à rendre des comptes, de quelque manière que ce soit.
29. Enfin, l’affirmation des autorités, faite en 2021, selon laquelle
la Constitution russe offre des garanties suffisantes «de parlementarisme,
de multipartisme, de présence d’une concurrence politique, de séparation des
pouvoirs et de respect des droits et libertés assuré par une justice
indépendante», n’est qu’une moquerie au vu du durcissement du régime
vers l’autoritarisme, qui n’a fait que s’intensifier depuis lors.
30. Il est intéressant de noter que le rapport de 2018 sur les
limitations de mandat se fonde sur une perspective différente de
celle qui fonde l’avis intérimaire de 2021. Cependant, la Commission
de Venise arrive au même résultat, qu’elle considère la question
sous l’une ou sous l’autre perspective.
31. Le rapport de 2018 a été établi à la demande du Secrétaire
général de l’Organisation des États américains, qui souhaitait que
la Commission de Venise entreprenne une étude sur le droit à la
réélection, afin de répondre à quatre questions en particulier:
- Les droits de l’homme englobent-ils
le droit à la réélection? Dans l’affirmative, quelles sont les limites
de ce droit?
- Les limitations de mandat restreignent-elles les droits
de l’homme et les droits politiques des candidats à l’élection?
- Les limitations de mandat restreignent-elles les droits
de l’homme et les droits politiques des électeurs?
- Quelle est la meilleure manière de modifier les limitations
de mandat dans un État constitutionnel?
32. En revanche, l’avis intérimaire de 2021 a été élaboré à la
demande de la commission de suivi de l’Assemblée, préoccupée par
la dérogation ad hominem à
la limitation du mandat présidentiel en Fédération de Russie, tout
comme les auteurs de la proposition de résolution à l’origine du
présent rapport.
33. Dans son rapport de 2018 (paragraphes 94 et 95), la Commission
de Venise reconnaissait que:
«dans
les démocraties modernes, la souveraineté d’une nation est exercée
par le peuple. Toute autorité de l’État doit émaner du peuple. Nul
ne peut donc se prétendre habilité à se représenter après un premier
mandat si la constitution l’interdit. La restriction du droit d’éligibilité
dérive d’un choix souverain du peuple, visant aux buts d’intérêt
général susmentionnés, qui prévalent sur les droits du président
en exercice. [...] Pour les raisons susmentionnées, il est évident
que la limitation des mandats présidentiels en vue de la préservation
de la démocratie, valeur fondamentale du Conseil de l’Europe avec
les droits de l’homme et la prééminence du droit, ne constitue pas
une discrimination au sens de l’article 1 du Protocole n° 12. Les
limitations des mandats présidentiels visant à asseoir la démocratie,
c’est-à-dire le but même des droits électoraux, ne sont pas non
plus discriminatoires ou déraisonnables au sens de l’article 25
du PIDCP. Les limitations de mandat ne font pas partie des cas de
discrimination énoncés dans les traités internationaux. Toutefois,
elles doivent être neutres et non imposées ou supprimées en vue
d’interrompre prématurément le mandat d’une personne ou d’assurer
le maintien en fonctions d’un responsable en exercice (par la levée
des limitations à son mandat). Le risque peut être évité si de tels changements
ne bénéficient pas au titulaire de la fonction concernée.»
34. Que ce soit du point de vue du président sortant qui souhaite
briguer un mandat supplémentaire ou de celui des défenseurs de la
démocratie qui s’inquiètent du pouvoir écrasant de l’exécutif, il
est évident que toute modification des limitations du mandat présidentiel
doit être soigneusement examinée par la société dans son ensemble.
Pour reprendre les termes de la Commission de Venise:
«la décision de modifier ou de
supprimer les limitations du mandat présidentiel doit faire l’objet
d’un examen public poussé, puisqu’elle a un impact significatif
sur le système politique, sur la stabilité du pays et sur la confiance
envers le processus électoral. Sur le long terme, la réforme de
ces dispositions peut avoir des effets sur la qualité de la démocratie,
voire sur sa solidité. Un large consensus, ainsi que le respect
des procédures constitutionnelles et légales, est crucial pour maintenir
une démocratie forte et la confiance envers les institutions et
les processus électoraux.»
35. Compte tenu de la procédure rapide suivie pour l’adoption
des amendements en question et du traitement et du vote conjoints
de questions très disparates (voir paragraphe 13 ci-dessus), cette
condition n’a évidemment pas été remplie en l’espèce.
4. Audition
de la présidente et de la secrétaire de la Commission de Venise
en avril 2023
36. Comme une visite en Fédération
de Russie n'était manifestement pas envisageable et que la Commission
de Venise elle-même était confrontée au refus des autorités russes
de coopérer à la poursuite de ses travaux sur ce sujet, j'ai organisé
une audition devant la commission des questions juridiques et des
droits de l'homme lors de sa réunion d'avril 2023 avec la participation
de la Présidente de la Commission de Venise, Mme Claire
Bazy Malaurie, et de la Secrétaire de la Commission de Venise, Mme Simona
Granata-Menghini. A ma demande, elles ont également présenté les
positions et arguments avancés par les autorités russes alors que
ces dernières coopéraient encore à l'élaboration de l'avis intérimaire.
37. Mme Bazy Malaurie a relevé qu'à chaque fois que la Commission
de Venise avait travaillé avec la Russie, elle s'était heurtée à
des experts en droit qui, dans la tradition sophiste, sont très
doués pour saper les notions largement admises comme des normes
de base par les juristes. Dans son avis intérimaire de 2021, la Commission
de Venise a soigneusement rassemblé les réponses précises qu'elle
avait obtenues lors de ses échanges avec les autorités russes et
les experts juridiques et parlementaires russes. Ces réponses ont montré
que les autorités russes étaient fondamentalement en désaccord avec
l'approche adoptée par la Commission de Venise, qui veut que la
Constitution fixe les principes fondamentaux de la séparation des pouvoirs.
Sur le plan procédural, les amendements ont été adoptés selon une
procédure que la Constitution ne prévoit pas, notamment le «vote
populaire», qui ne correspond pas à un référendum en bonne et due
forme. Mme Bazy Malaurie a expliqué qu'à
sa grande surprise, en matière de séparation des pouvoirs, les réponses des
autorités ont montré qu'en Russie le Président n'est pas réputé
appartenir à l'un des trois pouvoirs, malgré les pouvoirs exécutifs
étendus de ce dernier et de l'administration présidentielle, qui
devraient être contrebalancés par un autre pouvoir. Le Président
peut passer outre la Douma lorsqu'il nomme le Premier ministre,
et le «système de multipartisme» et «l'indépendance du pouvoir judiciaire»
évoqués par les interlocuteurs russes n'existent tout simplement
pas. Le Président a même le droit de révoquer les juges de la Cour
constitutionnelle lorsqu'ils font preuve d'un «manque de dignité»
dans l'exercice de leurs fonctions. Mme Bazy
Malaurie a indiqué que la Commission de Venise n'avait jamais reçu
d'explications sur la définition de la «dignité» ou du «manque de
dignité», ni sur ce qui pourrait entraîner la révocation d'un juge.
Elle a ajouté que le Conseil de la Fédération avait été légèrement
renforcé par les amendements, mais qu'en même temps sa composition
était devenue plus «centralisée», en raison de la possibilité donnée
au Président de nommer de nouveaux membres à vie. Une fois que le
Président cesse ses fonctions, il devient automatiquement membre
du Conseil de la Fédération et bénéficie d'un régime d'immunité
très spécial, à vie.
38. Mme Granata-Menghini a rappelé que la Commission de Venise
avait déjà abordé la question de la limitation des mandats dans
d'autres constitutions, dans le cadre de l'équilibre des pouvoirs.
Le fait de disposer d'un pouvoir excessif et de rester trop longtemps
au pouvoir entraîne une distorsion du pluralisme politique, de l'équilibre
des pouvoirs et l'absence de conditions équitables pour le déroulement
des élections. À l'inverse, une étude commandée par l'Organisation
des États américains a cherché à déterminer si la limitation des mandats
constituait une ingérence excessive dans les droits de l'homme que
sont le droit de vote, le droit d'élire et le droit d'être élu.
La Cour européenne des droits de l’homme a souligné l'importance
de la non-discrimination à ce propos, comme dans l'affaire Sejdić et Finci sur les élections
en Bosnie-Herzégovine. La Commission de Venise n'a pas trouvé trace
d'un «droit à être réélu» ou à se présenter à une réélection; dans le
choix d’un système électoral particulier ou d’une limitation des
mandats dans la Constitution, le peuple est souverain. Les Constitutions
présentent des modalités différentes (par exemple, un nombre maximum
de mandats consécutifs, un nombre maximum d'années au pouvoir).
S'agissant de la violation des droits des électeurs lorsqu'ils ne
peuvent pas choisir de maintenir en fonction un président aussi
longtemps qu'ils le souhaiteraient, Mme Granata-Menghini a indiqué
que le droit de participer à des élections véritablement libres et
équitables pouvait être compromis par des limites de mandat excessivement
larges, lorsque le président est au pouvoir depuis si longtemps
qu'il procède à de nombreuses nominations qui portent atteinte à «l'indépendance»
d'autres organes de l'État. La Commission de Venise ne souscrit
donc pas à la pratique de certaines cours constitutionnelles d'Amérique
latine, qui ont estimé que certaines dispositions constitutionnelles
relatives à la limitation du nombre de mandats étaient contraires
aux normes internationales. Toute modification constitutionnelle
nécessite un large consensus, de vastes consultations et le respect
total de la procédure de modification. Les règles ne peuvent être
modifiées de manière ad hoc, ad personam ou à la hâte. Les juridictions
constitutionnelles devraient avoir le pouvoir de contrôler la procédure
suivie pour l'adoption des amendements constitutionnels. Si les
juridictions doivent contrôler la teneur des amendements, cette
compétence doit être clairement définie à l'avance. Enfin, les référendums
tendent, dans une certaine mesure, à conférer une plus grande légitimité
à une réforme. Mais ils peuvent aussi être utilisés pour contourner
le parlement et la procédure prescrite par la Constitution. Les
référendums doivent obéir à des règles et à des normes strictes.
La Fédération de Russie, en revanche, a eu recours à une procédure beaucoup
plus simple, qui offrait davantage de possibilités de mener une
campagne unilatérale. La limitation des mandats implique également
que leur titulaire peut éventuellement être amené à rendre des comptes:
il en est conscient et agit en conséquence. Par conséquent, l'extension
de l'immunité au-delà de la limitation des mandats va à l'encontre
de l'objectif même d'une limitation prévue par la Constitution.
39. En réponse à ce débat, Mme Bazy Malaurie a confirmé que le
Président russe jouissait d'une immunité totale en droit russe.
Une fois qu'il ne sera plus président, il sera membre du Conseil
de la Fédération et, en tant que tel, continuera à bénéficier d'une
immunité de fonction. Il jouira toujours, en fait et en droit, d'une immunité
de fonction et d'une immunité personnelle. Cette immunité ne peut
être remise en cause en vertu des amendements adoptés, qui interdisent
toute procédure à l'encontre d'un président ou d'un ancien président. Elle
a également attiré l'attention sur une autre nouvelle disposition
de la Constitution russe, qui prévoit de «soutenir» la population
et la culture russes.
5. Conclusions
40. Les limitations de mandat servent
à contrôler ceux qui pourraient être tentés d'utiliser leur pouvoir présidentiel
pour limiter toute opposition, et elles préservent les freins et
contrepoids qui s'érodent au fil du temps lorsque les présidents
sont peu à peu coupés de toute voix critique. Les présidents qui
savent que leur mandat est limité et qui souhaitent vraisemblablement
demeurer le reste de leur vie dans leur pays d’origine sont incités
à ne pas recourir à une force excessive contre leurs opposants politiques,
car ils savent qu’un jour l’un d’entre eux pourrait leur succéder
à l’issue d’une élection et qu’ils ne seront plus en mesure d’exercer
le pouvoir politique pour se protéger des conséquences de leurs
agissements
.
41. C’est pourquoi je suis convaincu que les limitations de mandat
présidentiel sont non seulement légitimes en démocratie (du point
de vue des droits du dirigeant) mais aussi nécessaires pour préserver
les droits du peuple. La limitation des mandats a pour effet d'inciter
le président, surtout s'il s'agit de son dernier mandat, à se préoccuper
des défis auxquels le pays est confronté, à assurer sa place dans
l'histoire et à aider ses alliés politiques à conserver la confiance
de la population, plutôt qu'à réprimer brutalement l'opposition.
42. Il convient de noter qu'une fois qu'un président s'est engagé
sur la voie de l'oppression radicale de l'opposition et de la brutalité
envers son propre peuple, il sait qu'il ne peut plus faire marche-arrière.
En renonçant à ses fonctions, il risque d’être tenu responsable
pour ses méfaits; pour éviter cette situation, il cherchera jusqu'à
la fin de sa vie à s'accrocher à ses fonctions à un prix toujours
plus élevé pour son propre pays, son propre peuple et, en fin de
compte, pour lui-même.
43. C'est pourquoi un pays qui franchit un grand pas pour étendre
la limitation des mandats au-delà de deux mandats s'écarte tout
autant de la démocratie et de l'État de droit. D'autres États, notamment
des États membres du Conseil de l'Europe, ont été trop lents à réaliser
les dangers de ces modifications constitutionnelles et ont accepté
trop rapidement le résultat d'une procédure profondément viciée,
en particulier le «vote populaire».
44. Un président et ses alliés politiques disposent généralement
d’un pouvoir considérable pour nommer leurs partisans à des postes
élevés de l’État, qu’il s’agisse des plus hautes juridictions, de
la commission électorale, de la Cour des comptes, des forces armées,
de la Banque centrale ou d’autres institutions. Ces institutions
étatiques ont pour fonction de contrôler les pouvoirs présidentiels.
Ces freins et contrepoids ont tendance à s’éroder au fil du temps
lorsqu’un président reste en fonction, car il nomme ses amis et
alliés à ces postes clés. Les voix dissidentes disparaissent elles
aussi de son cercle restreint. Le président fait parfois lui-même
les frais de ces dérives, étant donné que le système de freins et
de contrepoids existe pour éviter les erreurs à grande échelle.
C'est malheureusement ce qu'on observe en Russie: le Président Poutine
n'a manifestement plus reçu d'informations et de conseils fiables
sur la puissance effective des forces armées russes et sur la volonté
(et la capacité) de résistance du peuple ukrainien, sans parler
des aspects juridiques et moraux du déclenchement d'une guerre d'agression,
lorsqu'il a décidé d'envahir l'Ukraine. C'est exactement le type
d'erreur et de crime à grande échelle que le système d'équilibre
des pouvoirs est censé prévenir.
45. Dans le projet de résolution, j'ai résumé les principales
conclusions de ce rapport de manière à adresser un signal fort à
la communauté internationale et à la société russe, qui doivent
comprendre que la dérogation à la limitation des mandats présidentiels
en faveur du Président Poutine n'est ni légitime, ni même conforme
à la Constitution russe, et n'est pas davantage conforme aux normes
internationales conçues pour protéger les freins et contrepoids
destinés à empêcher le basculement dans la dictature, avec toutes
les conséquences néfastes que cette situation peut avoir pour la
Russie et ses voisins.
46. Quant aux conséquences que doivent entraîner ces conclusions,
l’Assemblée pourrait envisager, tout d'abord, d’inviter les organes
constitutionnels russes compétents, à savoir la Douma d'État, le
Conseil de la Fédération et la Cour constitutionnelle, à revenir
sur la dérogation ad personam à
la limitation des mandats présidentiels en faveur de M. Poutine
et de M. Medvedev. Deuxièmement, l'Assemblée pourrait souhaiter inviter
la communauté internationale dans son ensemble à réduire au minimum
les contacts avec M. Poutine, qui devraient être limités à ceux
qui sont inévitables pour des raisons humanitaires et dans la poursuite
de la paix. Cette recommandation devrait s'appliquer, en particulier,
après l'expiration de son mandat actuel en 2024. Troisièmement,
l'Assemblée devrait rappeler que tous les États parties au Statut
de Rome de la Cour pénale internationale sont juridiquement tenus
de procéder à l'arrestation de M. Poutine, s'il pénétrait sur leur territoire,
en vertu du mandat d'arrêt délivré par la Cour pénale internationale
le 17 mars 2023. Ce mandat d'arrêt se fonde sur les crimes de guerre
que M. Poutine aurait commis en supervisant la déportation vers
la Russie d'un grand nombre d'enfants ukrainiens des zones temporairement
occupées de l'Ukraine. Enfin, l'Assemblée devrait saisir cette occasion
pour réitérer son soutien à la création d'un tribunal pénal international ad hoc pour le crime d'agression
et se féliciter des progrès réalisés à cet égard. Un tel tribunal
devrait avoir la possibilité d'enquêter sur les événements survenus
depuis l'annexion illégale de la Crimée en 2014 et, par conséquent,
sur la guerre dans la région du Donbas et la destruction du vol
MH17.