1. Introduction
1. L’inclusion des personnes en
situation de handicap a fait l’objet de nombreuses stratégies et
des progrès importants ont été réalisés ces dernières années. La
Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées
a marqué un véritable tournant en faisant de l’inclusion et de la
participation des priorités. Les personnes en situation de handicap
demeurent néanmoins particulièrement vulnérables face aux violences
et aux discriminations multiples.
2. Le mouvement #metoo a appelé toutes et tous à dénoncer les
violences sexuelles faites aux femmes dans de nombreux domaines
et a contribué à une prise de conscience collective de l’urgence
à les combattre. Nous avons cependant constaté que la situation
des femmes en situation de handicap n’a pas été suffisamment relayée
par le mouvement et reste méconnue de manière générale. Un #metoohandicap
a été créé mais n’a pas été largement utilisé. Les violences faites
aux femmes en situation de handicap demeurent un sujet tabou.
3. Les femmes en situation de handicap sont invisibilisées dans
nos sociétés et le contexte les vulnérabilise. Elles ne sont pas
reconnues comme des survivantes de violence, ou comme des actrices
de la lutte contre la violence fondée sur le genre. Les aménagements
ne sont pas systématiquement prévus afin de permettre leur participation
aux manifestations de lutte contre les violences faites aux femmes.
Les femmes en situation de handicap ne sont pas encore reconnues
par tous et par toutes comme des citoyennes à part entière, pouvant
vivre leur vie et faire leurs choix. Il est temps de dénoncer les
violences et discriminations dont elles peuvent être victimes, dans
certains cas quotidiennement, et d’agir afin de les prévenir et
de les combattre.
4. Les femmes en situation de handicap peuvent être victimes
de violences à leur domicile, dans la rue, au travail ou au sein
des institutions où elles peuvent résider. Ces violences peuvent
prendre différentes formes (physiques, sexuelles, psychologiques,
économiques). Le délaissement, la maltraitance et le défaut de soins peuvent
aussi être considérés comme des violences. Elles se produisent le
plus souvent dans des lieux clos et la situation de handicap accroît
le risque de violences. D’une manière générale, la pandémie de covid-19
et les confinements successifs ont eu un impact négatif, sur les
personnes en situation de handicap, les plaçant dans un isolement
plus important et engendrant une dépendance accrue.
5. La parole des femmes en situation de handicap est moins écoutée
et moins relayée. Elles peuvent aussi ne pas avoir conscience d’être
victimes de violences. La situation de dépendance, économique ou
en matière de soins, peut être un obstacle à la dénonciation des
violences. La peur de quitter le domicile et d’être placée dans
une institution est un obstacle à la libération de la parole.
6. La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et
la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique (STCE n° 210, «Convention d’Istanbul») mentionne clairement
la situation des femmes en situation de handicap. Dans son article
4.3, la Convention consacre le principe de non-discrimination. «[L]a
protection et le soutien fournis en vertu de la Convention d'Istanbul
doivent être accessibles à toutes les femmes sans discrimination,
y compris en ce qui concerne leur âge, leur handicap, leur statut
marital, leur association avec une minorité nationale, leur statut
de migrant ou de réfugié, leur identité de genre ou leur orientation
sexuelle.»
Une
victime de violences doit pouvoir avoir accès aux services d’assistance
et de protection. La Convention reconnaît que les femmes en situation
de handicap rencontrent des obstacles spécifiques dans leur accès
à la protection et aux services et demande que des réponses appropriées
soient apportées.
7. Au cours de ses visites d’évaluation, le Groupe d’experts
sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique (GREVIO, l’organe spécialisé indépendant chargé de veiller
à la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul) a constaté le nombre
limité de données, de recherches et d’études sur la prévalence de
la violence à l’égard des femmes en situation de handicap et l’absence
de coordination entre les politiques nationales sur la violence
à l’égard des femmes et les politiques sur les droits des personnes
en situation de handicap
.
Parmi les exemples, l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles
de Nouvelle Aquitaine a publié une enquête «Les femmes victimes
de violences en situation de handicap en Nouvelle-Aquitaine»
en
novembre 2021, sur la base de 39 entretiens. 90% des femmes interviewées
ont déclaré avoir subi des violences verbales et psychologiques,
90% de violences physiques et 50% de violences sexuelles. 80% des
professionnel·le·s interrogé·e·s connaissent au moins une femme
en situation de handicap victime de violences. Elles sont surexposées
à toutes les formes de violences.
8. La Recommandation CM/Rec(2012)6 du Comité des Ministres aux
États membres sur la protection et la promotion des droits des femmes
et des filles handicapées appelle les États à mettre en place des
mesures spécifiques afin d’améliorer l’accès des femmes en situation
de handicap à la justice et de les protéger contre les violences.
La Recommandation générale n° 35 sur la violence à l’égard des femmes
fondée sur le genre du Comité pour l'élimination de la discrimination
à l'égard des femmes des Nations Unies (CEDAW) souligne la nécessité
de prendre en compte les besoins des femmes en situation de handicap.
2. Portée du rapport
9. La proposition de résolution
à l’origine du présent rapport demande à l’Assemblée d’examiner
les mesures qui pourraient être renforcées afin de prévenir et de
lutter contre les violences faites aux femmes en situation de handicap.
Elle note que de bonnes pratiques pourraient être recueillies afin
de préparer des recommandations à l’attention des États membres.
10. Je tiens à souligner qu’il y a une multitude de handicaps
et que cette diversité doit être prise en compte dans l’élaboration
de politiques. J’ai examiné les obstacles auxquels les femmes en
situation de handicap doivent faire face et les moyens concrets
de les surmonter. J’ai collecté des données sur les violences, les discriminations
multiples, les mesures de prévention telles que les campagnes d’information,
la formation des professionnel·le·s, le soutien apporté aux survivantes,
notamment par des structures d’accueil accessibles, et leur accès
à la justice.
11. J’ai utilisé une approche intersectionnelle dans mes travaux.
Comme c’est le cas dans toute la société, il y a aussi des groupes
marginalisés parmi les femmes en situation de handicap, victimes
de discriminations fondées sur leur origine sociale ou ethnique,
leur langue ou religion. Dans sa Résolution sur la situation des femmes
handicapées
, le Parlement européen a attiré
l’attention sur la double discrimination dont souffrent les femmes
et les filles en situation de handicap, car elles se trouvent à
l’intersection du genre et du handicap, et sur leur exposition à
des discriminations multiples en raison de l’intersection du genre
et du handicap avec l’orientation sexuelle, l’identité de genre,
le pays d’origine, le statut social, le statut migratoire, l’âge,
la religion ou l’origine ethnique. Le Conseil fédéral suisse, dans
son rapport sur les violences subies par des personnes handicapées
en Suisse, a noté que les violences structurelles faites aux personnes
en situation de handicap pouvaient prendre une dimension intersectionnelle.
«Les femmes et les filles handicapées, mais aussi les personnes
handicapées âgées, migrantes, LGBTIQ+ et ou/appartenant à d’autres
minorités font potentiellement l’objet de discriminations multiples
renforçant les violences à leur égard»
.
12. J’ai également essayé d’approfondir la question des stérilisations
forcées de personnes en situation de handicap, qui ont été reconnues
comme une forme de violence faite aux femmes en situation de handicap. Ces
stérilisations forcées sont encore autorisées dans treize États
membres de l’Union européenne selon les données collectées par Inclusion
Europe
.
13. Rien ne devrait être fait à l’attention des personnes en situation
de handicap sans elles. J’ai donc aussi été régulièrement en contact
avec des femmes en situation de handicap et des organisations les
représentant. J’espère que ce rapport contribuera à lutter contre
l’invisibilisation des femmes en situation de handicap, sensibiliser
les parlementaires sur cette question et appeler à l’action.
14. Le 11 octobre 2022, la Sous-commission sur le handicap et
la discrimination multiple et intersectionnelle de la commission
sur l’égalité et la non-discrimination (la commission) a tenu une
audition conjointement avec le Réseau parlementaire pour le droit
des femmes de vivre sans violence, sur la lutte contre les violences
faites aux femmes en situation de handicap, avec la participation
de Reem Alsalem, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence
contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences;
Helen Portal, Responsable du plaidoyer et des politiques auprès
de Inclusion Europe; Elisa Rojas, avocate au Barreau de Paris (en
ligne); et Claire Desaint, Vice-présidente de l’association Femmes
pour le Dire, Femmes pour Agir
.
15. J’ai tenu une réunion bilatérale virtuelle avec Pirkko Mahlämaki,
représentante du Forum européen des personnes handicapées (FEPH)
pour la Finlande, le 21 mars 2023. J’ai pu échanger au sujet du
rapport avec Yolanda Iriarte et Natalija Ostojic du Bureau régional
de l’ONU Femmes pour l’Europe et l’Asie Centrale le 23 mars 2023.
Le 28 mars 2023, je me suis entretenue avec Marine Uldry, coordinatrice
de politiques, FEPH. J’ai aussi pu tenir une réunion bilatérale
virtuelle avec Gerard Quinn, Rapporteur spécial des Nations Unies sur
les droits des personnes handicapées, le 14 avril 2023.
16. Le 25 avril 2023, la commission a tenu une audition avec la
participation d’Ana Peláez Narváez, Présidente du CEDAW, Secrétaire
Générale du Forum européen des personnes handicapées et Vice-Présidente
de la Fondation CERMI pour les femmes, et Iris Luarasi, présidente
du GREVIO, qui a présenté les travaux du GREVIO sur cette question.
Nous avons eu l’occasion de discuter des bonnes pratiques visant
à prévenir et à lutter contre les violences faites aux femmes en
situation de handicap, recueillies notamment lors des visites du
GREVIO.
17. J’ai pu discuter des violences faites aux femmes LBTI en situation
de handicap avec Akram Kubanychbekov (virtuellement) et Cianán B.
Russell (en présentiel), responsables du plaidoyer auprès d’ILGA Europe,
le 27 avril 2023.
18. J’ai effectué une visite d’information au Danemark les 12
et 13 juin 2023, lors de laquelle j’ai pu m’entretenir avec des
représentant·e·s de divers ministères, d’organisations œuvrant à
la lutte contre les violences fondées sur le genre et d’organisations
représentant les personnes en situation de handicap. J’ai tenu une
réunion virtuelle avec Lars Ahlburg, représentant de l’Association
danoise des personnes sourdes, le 19 juin 2023.
19. Le 21 juin 2023, j’ai rencontré Thomas Foehrlé, directeur
de l’association SOS Femmes Solidarités à Strasbourg et membre du
Haut Conseil à l’Égalité. J’ai pu discuter de la collecte de données
sur la violence fondée sur le genre avec Sami Nevala et Sanja Jovicic
de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA),
et Diego Costa de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes
et les femmes (EIGE), le 29 juin 2023. Le 20 juillet 2023, j’ai
échangé lors d’une réunion virtuelle sur la dimension intersectionnelle de
la lutte contre les violences faites aux femmes en situation de
handicap avec Monjurul Kabir, conseiller sénior et chef de l’équipe
égalité de genre, inclusion et handicap auprès de l’ONU Femmes à
New York. Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont pris
le temps de me rencontrer afin de partager leur expertise et leurs
recherches.
3. Obstacles
rencontrés par les femmes en situation de handicap
20. Les personnes en situation
de handicap rencontrent de nombreuses difficultés liées au manque d’accessibilité
des infrastructures, des bâtiments et des informations. Claire Desaint
a souligné lors de notre audition, que les femmes en situation de
handicap doivent «sans cesse s’organiser dans un environnement peu
accessible et une culture sociale peu favorable pour surmonter les
obstacles afin d’avoir un logement, un emploi, une vie sociale,
et des soins de santé». Ce manque d’accessibilité crée des dépendances,
et ces dépendances fragilisent encore indéniablement les femmes
en situation de handicap.
21. La vulnérabilité des femmes en situation de handicap est encore
trop souvent présentée comme une cause pouvant expliquer les violences.
Selon Elisa Rojas, «il est dangereux d’enfermer les femmes handicapées
dans la vulnérabilité et la notion de vulnérabilité ne devrait pas
servir à les essentialiser». Elle a aussi rappelé qu’une part de
cette vulnérabilité était construite socialement, car les femmes
en situation de handicap sont soumises à une dépendance financière,
matérielle et familiale organisée. «La société impose aux femmes
en situation de handicap des conditions d’existence et des représentations
qui les transforment en proies privilégiées et garantit l’impunité
aux agresseurs».
22. Elisa Rojas a également souligné lors de notre audition que
les femmes en situation de handicap n’étaient pas systématiquement
considérées comme femmes à part entière ou des adultes. «Le handicap
peut certes affecter la perception du danger, entraver la défense
et la communication. L’exposition aux violences est d’autant plus
grande si le handicap d’une personne l’éloigne du langage oral ou
facilite la manipulation». Elle a aussi indiqué que «les femmes
autistes ou ayant un handicap psychosocial sont particulièrement touchées
par les violences. Le manque d’informations peut rendre la notion
de consentement floue».
23. Selon Helen Portal, «lorsque la société considère et traite
une personne comme une personne de moindre valeur, ou de manière
inégale, les barrières qui protègent cette personne contre la violence psychologique,
physique ou sexuelle sont réduites». Elle a présenté trois catégories
de violences dont les femmes en situation de handicap peuvent être
victimes: la violence directe, lorsqu’il y a une intention de blesser
quelqu’un; l’attitude négligente lorsqu’une personne est blessée
car elle dépend d’une autre personne qui ne se soucie pas d’elle;
et la violence structurelle lorsqu’une personne est blessée par
un système, des règles ou la structure sociétale. Elle a aussi souligné
que peu de femmes ayant un handicap intellectuel parlaient des violences
car elles avaient peur de ne pas être crues, de perdre les soins
ou d’être blessées. Elles peuvent aussi avoir peur de la personne
qui a commis les violences, ou peur de devoir changer d’environnement
ou d’établissement. Elles peuvent craindre des représailles. L’instauration
d’un climat de confiance est primordiale.
24. Reem Alsalem a constaté que les femmes en situation de handicap
courraient un risque plus élevé de subir des violences sexuelles
que les femmes qui ne le sont pas. Elle a déploré le fait que dans
la plupart des pays on ne «donne pas aux femmes en situation de
handicap les moyens de prendre des décisions concernant leur propre
santé reproductive et sexuelle, ce qui entraîne des pratiques hautement
discriminatoires et préjudiciables». Elle a aussi souligné que les
barrières quotidiennes telles que le manque d’accessibilité physique,
les obstacles à la mise en œuvre des mesures d'hygiène de base,
le coût des soins de santé, les limitations de l'assurance maladie,
les lois discriminatoires et la stigmatisation, peuvent mettre leur
vie en danger dans un contexte de pandémie mondiale. Lors de la
pandémie de covid-19, les personnes en situation de handicap se
sont retrouvées dans une dépendance accrue à l’égard de la famille
et des soignant·e·s, ce qui a pu les pousser à ne pas porter plainte.
25. Il est essentiel de mettre fin au tabou sur les violences
sexuelles. Pirkko Mahlamäki a parlé d’un mur de silence autour des
violences sexuelles faites aux femmes en situation de handicap dans
les institutions et a présenté le travail effectué en Finlande pour
briser ce mur. D’après elle, des personnes ne dénoncent pas des faits
de violences sexuelles par peur de devoir quitter l’institution
où elles résident ou de renoncer aux soins qu’elles reçoivent. Selon
les travaux du GREVIO, la prévalence des violences sexuelles, notamment
du viol, est plus élevée chez les femmes en situation de handicap,
et plus particulièrement si elles vivent en institution. De plus,
elles disposent de peu de moyens de recours et sont très mal informées
sur ces derniers. Selon les données présentées par Thomas Foehrlé,
30% des agressions sexuelles dont sont victimes les femmes en situation
de handicap sont perpétrées au sein des institutions
.
26. Les auteurs des violences peuvent aussi être le ou la conjoint·e
ou un·e membre de l’entourage familial. Peu d’attention est portée
aux jeunes filles en situation de handicap victimes d’inceste. Dans
certains cas, «les femmes en situation de handicap sont utilisées
pour assouvir les besoins sexuels des membres de la famille», a
indiqué Thomas Foerhlé. L’étude de la FRA
démontre que les auteurs
de violences à l’encontre des femmes en situation de handicap sont
le plus souvent issus de leur entourage familial.
27. Lorsqu’une survivante de violences souhaite porter plainte,
elle peut être confrontée à un manque de temps ou de compétence
adéquate de la police, ou au manque d’accessibilité des infrastructures.
Les procédures sont encore trop souvent inadaptées et les formations
de sensibilisation à la prise en compte du handicap ne sont pas
encore systématisées. La présence d’un interprète en langue des
signes n’est pas systématiquement garantie, et le personnel accueillant
les survivantes n’a pas toujours reçu une formation prenant en compte
le handicap. Les informations concernant les services d’assistance
et de soutien aux survivantes de violences fondées sur le genre
ne sont pas systématiquement proposées dans un format accessible.
28. Gerard Quinn a lui aussi souligné l’importance de l’accès
à la justice. Le manque d’inclusion et d’accessibilité amplifie
les difficultés rencontrées par les femmes en situation de handicap
survivantes de violences. Mme Margreet
De Boer (Pays-Bas, SOC), ancienne membre de notre commission, a
travaillé en tant qu’avocate pour les survivantes de violences fondées
sur le genre. Elle a notamment travaillé sur certains cas de violence
à l’égard des femmes ayant un handicap psychosocial et a déclaré
à la commission que ces cas n'étaient malheureusement pas pris très
au sérieux. Dans un cas, un juge a décidé que le préjudice subi
ne serait pas indemnisé puisque la survivante n'avait pas souffert
en raison de son handicap. Lorsqu’une personne est mise sous tutelle,
sa parole est parfois remise en question. L’aide à la prise de décision
devrait être soutenu et progressivement remplacer la mise sous tutelle.
29. Les femmes LBTI en situation de handicap sont particulièrement
vulnérables aux violences fondées sur le genre. Selon les données
fournies par ILGA Europe, les femmes transgenres en situation de
handicap sont exposées à des risques importants d’être victimes
de violences sexuelles et physiques, ainsi que de discrimination
et de harcèlement. Les personnes intersexes en situation de handicap
et les femmes transgenres en situation de handicap auraient 10 fois
plus de risques d’être exposées à une attaque que les personnes
LGBTI n’ayant pas un handicap
.
30. Une femme en situation de handicap qui porterait plainte contre
son conjoint pour violences, pourrait se retrouver sans soutien
au quotidien. Elle pourrait donc hésiter à effectuer ces démarches
et à demander la mise en place d’une ordonnance de protection. Au
cours de ses travaux ces dernières années, le GREVIO a également
constaté l’absence de services d’accompagnement pour signaler les
violences à la police et aider les intéressées à participer aux
procédures judiciaires. Un accompagnement devrait être assuré pour
que personne ne craigne de porter plainte
.
4. Dispositifs
de soutien aux femmes en situation de handicap survivantes de violences
fondées sur le genre
31. L’environnement devrait s’adapter
aux personnes en situation de handicap, et non l’inverse. Un environnement
favorable encourage les personnes en situation de handicap à exercer
leurs droits et à participer aux procédures pénales. Garantir l’accessibilité
des bâtiments et la présence d’interprètes en langues des signes
devrait être une priorité.
32. Lors de notre audition, Claire Desaint a présenté les activités
de l’association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, qui a créé
un point d’écoute spécifique avec un numéro de téléphone dédié 01
40 47 06 06 (en France) et propose une assistance juridique et psychologique
afin d’assurer un soutien et un suivi aux bénéficiaires. Les services
d’assistance aux survivantes de violences devraient obtenir un soutien
financier pérenne afin de pouvoir fonctionner dans les meilleures
conditions et de garantir leur accessibilité. Les services d’aide
liés au handicap et les services de lutte contre la violence fondée
sur le genre devraient être qualifiés de services essentiels si
cela n’est pas encore le cas.
33. Il y a peu de campagnes d’information inclusives, s’adressant
à toutes et à tous. La participation de personnes en situation de
handicap à l’élaboration de programmes visant à leur apporter un
soutien est très importante. Les informations concernant les services
d’aide et les procédures à suivre devraient être distribuées dans
plusieurs formats accessibles, tout comme les campagnes d’information
et de sensibilisation.
34. En Géorgie, les femmes en situation de handicap bénéficient
d’une aide juridique gratuite. En Islande, des agent·e·s de protection
des droits informent les personnes en situation de handicap de leurs
droits et assurent le respect de ceux-ci. La police doit contacter
l’un·e de ces agent·e·s si une femme en situation de handicap porte
plainte pour violence. L’Association des refuges pour femmes a passé
un accord avec des hôtels qui accueillent les femmes victimes de
violence en vue d’en garantir l’accessibilité à celles qui se trouvent
en situation de handicap.
35. En Serbie, une application dénommée «Sound of Soul» possède
une interface secrète, qui permet à ses utilisateurs et utilisatrices
d’avoir une conversation en ligne avec des professionnel·le·s des
secteurs social et juridique afin d’obtenir de l’aide lorsqu’ils
ou elles sont victimes de violences. Cette application se veut d’ailleurs inclusive
puisqu’elle est disponible en plusieurs langues et accessible aux
personnes en situation de handicap visuel et auditif.
36. L’expérience des maisons des femmes, initiée en France, me
semble intéressante. Elles proposent un accompagnement global aux
femmes survivantes de violences, et l’accessibilité des nouvelles
maisons est garantie. Des équipements, comme des tables d’examen
gynécologique, devraient être adaptés aux besoins des personnes
en situation de handicap.
5. Mettre
fin aux stérilisations forcées
37. La question des stérilisations
forcées des personnes en situation de handicap doit retenir toute
notre attention. Les stérilisations forcées impliquent qu’une femme
en situation de handicap ne devrait pas «se reproduire». Selon Marine
Uldry, cela reflète le système patriarcal et le validisme de la
société. Il s’agit d’une forme de violence grave, par laquelle on
enlève la possibilité de procréer à une personne sans l’informer
ou en lui donnant des informations partielles. La personne peut
aussi être forcée à le faire pour avoir accès à des services. Lors
de notre audition, Helen Portal a souligné l’importance d’interdire
les stérilisations forcées. Selon Ana Peláez Narváez, la stérilisation
forcée, elle-même un acte de violence, expose les femmes en situation
de handicap à des risques accrus de violences sexuelles par la suite.
38. La Convention d’Istanbul condamne clairement les stérilisations
forcées et les avortements forcés dans son article 39. Lors de ses
visites d’évaluation, le GREVIO appelle à mettre fin à ces pratiques
si elles sont encore autorisées. Des stérilisations forcées ont
été faites à des personnes en situation de handicap, des personnes
transgenres, des femmes roms ou des personnes considérées comme
«inadaptées». Dans son rapport d’évaluation (de référence) sur l’Islande,
le GREVIO a exhorté «les autorités islandaises à s’assurer que,
pour toute stérilisation de femmes en situation de handicap mental
ou physique, leur accord préalable et éclairé est obtenu sur la
base d’une compréhension exhaustive de la procédure.»
Dans
son rapport d’évaluation de référence sur la Serbie, le GREVIO a
exhorté «les autorités serbes à veiller à ce que les tuteurs légaux
et les professionnels de la santé respectent, en toutes circonstances,
la nécessité d'agir sur la base du consentement libre et éclairé
des femmes à l’exécution d’interventions médicales telles que l’avortement
et la stérilisation, et de faire respecter ce consentement, en particulier
concernant les femmes en situation de handicap dans les institutions
de soins.»
Le
GREVIO a aussi encouragé «les autorités allemandes à collecter des
données sur le nombre d’avortements et de stérilisations forcés,
afin de connaître leur ampleur, et à prendre d’éventuelles mesures
nécessaires.»
39. Dans son rapport ««La stérilisation forcée des personnes en
situation de handicap dans l’Union européenne»
publié en septembre
2022, le FEPH a constaté que la stérilisation forcée est pénalisée
en tant qu’infraction distincte dans le code pénal dans 9 États
membres de l’Union européenne. Certaines formes de stérilisation
forcée sont autorisées dans 13 États membres de l’Union européenne.
Le consentement à la stérilisation est donné par un·e représentant·e
légal·e, un médecin ou un tuteur ou une tutrice.
40. Des pressions peuvent être exercées afin d’accepter cette
pratique. Le FEPH recommande la pénalisation de la stérilisation
forcée dans tous les États, et d’assurer l’accès à la justice, ainsi
qu’une compensation pour les victimes. La contraception forcée peut
être annoncée comme une condition pour l’institutionnalisation,
même si cela ne figure pas dans un règlement intérieur (en Belgique,
France et en Hongrie selon le FEPH).
41. Je souhaite noter que des progrès ont été effectués en Suède,
en République tchèque et en République Slovaque, avec notamment
l’octroi d’indemnisations à des victimes de stérilisations forcées.
6. Etude
de cas: le Danemark
42. Le Danemark a fait de l’inclusion
des personnes en situation de handicap une priorité. Sachant cela,
j’ai demandé à la commission l’autorisation d’y effectuer une visite
d’information afin de pouvoir discuter des mesures prises afin de
prévenir les violences faites aux femmes en situation de handicap,
de la collecte de données, de l’accueil des survivantes de violences
et de leur accompagnement, et de l’inclusivité des structures.
43. Je me suis rendue au Danemark les 12 et 13 juin 2023 où j’ai
tenu des réunions avec des représentant·e·s des ministères des Affaires
sociales, de l’Égalité et de la Justice, des représentant·e·s d’ONGs
et de travailleurs et travailleuses sociaux. Cette visite d’information
m’a permis de découvrir le système danois de couverture universelle
et de soutien aux personnes en situation de handicap. Ce système suit
le principe selon lequel une personne en situation de handicap ne
devrait pas avoir à compenser son handicap par ses propres moyens.
La société a le devoir de la soutenir et de «compenser».
44. De nombreuses actions sont menées afin d’assurer l’inclusion
à l’école. Le soutien aux personnes en situation de handicap relève
de la responsabilité des municipalités et de nombreuses structures d’accompagnement
sont mises en place. Une assistance pour l’emploi est également
fournie. Par exemple, une personne sourde/malentendante peut être
accompagnée d’un·e interprète en langue des signes 20 heures par
semaine pour aller travailler.
45. L’inclusion des personnes en situation de handicap à l’école
et sur le marché du travail est relativement avancée. Néanmoins,
la question des violences faites aux femmes en situation de handicap
demeure un tabou. «Nous faisons l’expérience du silence», m’a dit
une activiste. «Quand une personne a un handicap, elle perd sa sexualité,
elle est moins considérée, sa parole est décrédibilisée», a-t-elle
poursuivi.
46. Le Conseil des femmes a reconnu qu’il y avait un manque de
connaissances et de données sur la situation des femmes en situation
de handicap. Il n’y a pas de données par genre dans les rapports
sur les violences faites aux personnes en situation de handicap
et pas de données concernant le handicap dans les rapports sur les
violences fondées sur le genre.
47. Selon les représentants de l’Institut danois des droits de
l’homme avec qui j’ai pu m’entretenir, la violence fondée sur le
genre n’est pas encore reconnue comme un problème systémique dans
le pays. Leur étude sur les violences et agressions sexuelles dans
les institutions démontre que le risque pour une personne en situation
de handicap qui résiderait dans ce type d’institution d’être victime
d’une agression sexuelle est sept fois plus important que pour une
personne qui ne résiderait pas dans ce type d’institution
.
Une autre recherche de l’Institut aurait démontré qu’une personne
sur cinq victime d’un crime violent avait un handicap psychosocial
.
48. Les représentant·e·s d’associations de personnes en situation
de handicap ont parlé de la peur de perdre l’assistance reçue au
quotidien si une plainte pour violence était déposée. La peur de
perdre la garde des enfants après avoir porté plainte, en se retrouvant
dans une situation de plus grande vulnérabilité, a également été
mentionnée.
49. Sur les 73 refuges pour survivantes de violence au Danemark,
23 sont accessibles aux personnes en situation de handicap. Il y
a peu de demandes d’accueil de la part de femmes en situation de
handicap. L’assistance juridique et soutien psychologique sont gratuits.
L’organisation LEV apporte une aide juridique gratuite à toutes
les survivantes de violences. La ligne d’assistance est ouverte
7 jours sur 7, 24 heures sur 24, la visioconférence par Skype est
possible pour avoir une conversation en langue des signes. Un groupe de
femmes sourdes et malentendantes ont créé l’organisation non gouvernementale
«Signing out of violence» (Signer pour sortir de la violence), qui
propose des thérapies de groupe en langue des signes danoise aux survivantes
de violence.
50. Nous avons aussi pu discuter de l’importance de l’éducation
sexuelle à l’école et dans les institutions, afin de donner des
informations notamment sur le consentement, la prévention des maladies
sexuellement transmissibles et la contraception. Je me suis entretenue
sur ce sujet avec l’association danoise des jeunes en situation
de handicap.
7. Étude
de cas: l’Espagne
51. L’Espagne a fait de la prévention
et de la lutte contre les violences fondées sur le genre une priorité
ces dernières années. Le site internet de la Délégation gouvernementale
contre la violence fondée sur le genre
offre de nombreuses ressources utiles
afin de prévenir et de s’informer sur la violence fondée sur le
genre. Ce site, accessible en lecture à voix haute, diffuse de nombreux
guides, numéros de contact, ou encore des statistiques et données
à ce sujet.
52. Selon les chiffres du ministère espagnol pour l’Égalité
, 20,7% des femmes en situation
de handicap ont été exposées à des violences physiques ou sexuelles
par l’un de leur partenaire, contre 13,8% pour les femmes n’ayant
pas un handicap. 40,4% des femmes en situation de handicap ont subi
des violences, quel que soit leur type, au sein d’une relation de
couple, contre 31,9% pour les femmes n’ayant pas un handicap. 23,4%
des femmes en situation de handicap affirment que leur handicap
est une conséquence des violences physiques ou sexuelles commises
par un partenaire ou ex-partenaire. 13,7% des survivantes de violences
en situation de handicap ont recours à une assistance juridique.
53. La loi-cadre du 28 décembre 2004 relative aux mesures de protection
intégrale contre la violence de genre
a entraîné la mise en place de nombreuses
initiatives. Des agent·e·s de police spécialisés sur les violences
faites aux femmes
sont disponibles à tout moment pour
recueillir la parole des personnes concernées. Différentes unités
territoriales de la Guardia civil ont reçu un guide
à propos
de l’accueil et de la prise en charge par la police des personnes
en situation de handicap cognitif. Des tribunaux spécialisés sont présents
sur tout le territoire et avec une compétence tant civile que pénale.
Les bracelets électroniques antirapprochements pour les auteurs
de violence, avec une géolocalisation en temps réel, ont été diffusés
à grande échelle. Plus de 25 000 de ces bracelets ont été attribués
en 2020.
54. L’ensemble de ces mesures a été renforcé par le «Pacto de
Estado»
ratifié en décembre 2017 par les groupes
parlementaires, les communautés autonomes et entités locales, contenant
292 mesures concrètes réparties en 10 axes d’action afin de lutter
efficacement contre les violences faites aux femmes. Un milliard d’euros,
réparti entre les différentes communautés autonomes, a été alloué
exclusivement pour lutter contre ces violences. La loi dite «solo
sí es sí»
consacre une place centrale au
consentement et renverse la charge de la preuve, en permettant aux
femmes survivantes de violences de ne plus avoir à apporter la preuve
d’une violence ou intimidation pour qu’une agression sexuelle soit
considérée comme telle. Cependant, cette loi a également fait l’objet
de critiques, notamment car elle a supprimé l’ancienne distinction
qui était faite entre les cas d’abus sexuels et d’agressions sexuelles,
désormais tous les cas étant considérés systématiquement comme des
agressions sexuelles passibles d’un à quatre ans d’emprisonnement
.
55. L’ONG CERMI Mujeres
encourage à également prendre
en compte les autres violences liées à l’incapacité juridique, à
l’institutionnalisation ou à la pauvreté. De plus, même si des progrès
sont observables, tel que la suppression de la mention à l’article
156 du Code pénal selon laquelle il était légal de procéder à une stérilisation
non consentie à l’égard des personnes dont l’incapacité juridique
a été reconnue par un·e juge, CERMI Mujeres recommande tout de même
dans son rapport d’aller plus loin en visibilisant davantage dans les
formes de violences, la stérilisation forcée, l’avortement forcé,
ou encore l’institutionnalisation. Marine Uldry a souligné lors
de notre entretien que l’Espagne avait utilisé la Convention d’Istanbul
pour procéder au changement de législation sur les stérilisations
forcées.
56. Les femmes victimes de violences ont à leur disposition une
ligne d’écoute, le 016, une adresse mail, un numéro WhatsApp ainsi
qu’un
chat en ligne
. La ligne d’écoute est accessible
en 53 langues, est gratuite et confidentielle. Elle permet aux femmes
concernées de bénéficier d’informations, de conseils juridiques
mais aussi d’une assistance psychosociale délivrée par des personnes
qualifiées. Cette ligne est accessible aux femmes en situation de
handicap auditif ou lié à la parole, via l’utilisation d’outils
spécialisés comme SVIsual ou Telesor, mais aussi aux personnes malvoyantes.
57. En outre, l’accessibilité des services de police est progressivement
rendue possible grâce à des initiatives de certaines communautés
autonomes, comme aux Asturies
, qui mettent en place des formations et
développent l’utilisation de SVIsual ou encore de boucles auditives
pour permettre une meilleure prise en charge des personnes en situation
de handicap.
58. Dans son rapport 2020 d’évaluation (de référence) sur l’Espagne,
le GREVIO a émis quelques préoccupations sur la prise en compte
des femmes en situation de handicap dans les politiques et législations relatives
à la lutte contre la violence fondée sur le genre
. La politique espagnole
de lutte contre les violences faites aux femmes prend progressivement
en compte les violences spécifiques et multiples perpétrées à l’encontre
des femmes en situation de handicap. Il y a eu des efforts en termes
de visibilisation et de prise en compte des problématiques spécifiques
qui découlent de la discrimination et des violences multiples subies par
les femmes en situation de handicap. Certaines communautés autonomes
prennent d’ailleurs des initiatives encourageantes afin de visibiliser
et de lutter contre ces violences
, tout comme des ONG, par exemple
la Fundación CERMI Mujeres qui permet une assistance juridique pour
les femmes en situation de handicap victimes de violences. Néanmoins,
ces constats sont à nuancer puisque des efforts sont encore nécessaires,
notamment pour visibiliser certaines violences spécifiques aux femmes
en situation de handicap, mais aussi pour garantir encore davantage
leur accès aux services de police et de justice
.
8. Femmes
en situation de handicap en temps de conflit
59. En Ukraine, la majorité des
résident·e·s en institution sont des femmes et des filles en situation
de handicap. Selon Ana Peláez Narváez, elles courent un risque important
de tomber dans l’exploitation sexuelle, car la majorité des personnes
placées en institution ne sont pas inscrites à l’état civil et n’ont
pas de carte d’identité, les rendant plus vulnérables à toute forme
d’exploitation.
60. J’ai aussi reçu des informations du bureau régional de l’ONU
Femmes pour l’Europe et l’Asie Centrale concernant des mariages
forcés de femmes en situation de handicap en Ukraine. Le mariage
forcé serait utilisé pour permettre à des hommes de quitter le pays.
J’ai contacté le bureau de l’ONU Femmes afin d’obtenir plus d’informations
sur la situation des femmes en situation de handicap en Ukraine.
J’encourage la commission à poursuivre les travaux sur ce sujet.
9. Recommandations
visant à prévenir et à lutter contre les violences faites aux femmes
en situation de handicap
61. L’inclusion et le soutien à
la vie autonome sont des moyens efficaces de prévenir les violences
faites aux femmes en situation de handicap. Cela passe par l’inclusion
des personnes en situation de handicap à l’école, dès le plus jeune
âge, afin d’être intégré dans la société et de pouvoir se faire
des ami·e·s. La mise en œuvre de politiques d’inclusion dès le plus
âge a un impact sur le long terme, et contribue à l’inclusion des personnes
en situation de handicap sur le marché du travail. Une inclusion
pleine et effective va limiter les situations de dépendance qui
peuvent mettre les personnes en situation de handicap en danger.
L’inclusion doit être mise en œuvre de manière effective et être
visible. Gerard Quinn a souligné à plusieurs reprises l’importance
du lien social. Avoir un ou plusieurs ami·e·s est une forme de protection
contre les violences et une démonstration de l’inclusion dans la
société. Une mise à l’écart des personnes en situation de handicap, y
compris à l’école, est un acte lourd de conséquences.
62. Lors de notre audition, Elise Rojas a souligné que les femmes
en situation de handicap sont mises en danger via l’institutionnalisation.
Elles vivent dans des lieux fermés, encadrées par des professionnel·le·s
en situation d’autorité, avec un faible suivi et contrôle extérieurs.
Elles y sont exposées aux abus et aux violences de la part du personnel
encadrant ou des autres résidents. La promotion de la désinstitutionnalisation
est une recommandation importante. L’Assemblée s’est déjà exprimée
à ce sujet, appelant à mettre en œuvre la Convention des Nations
Unies relative aux droits des personnes handicapées. La Convention
met l’accent sur le choix du lieu de vie par les personnes en situation
de handicap. Néanmoins de nombreux États hésitent à se lancer dans
la voie de la désinstitutionnalisation. Selon Ana Peláez Narváez,
un argument économique ne saurait être acceptable pour garder les
personnes en situation de handicap dans des institutions. «On a
le droit de vivre et d’être inclus dans la société, quel qu’en soit
le coût», a-t-elle souligné lors de notre audition.
63. Près de 1,3 million de personnes en situation de handicap
vivent dans des institutions en Europe et sont particulièrement
vulnérables aux violences. Elles sont souvent privées de leur capacité
juridique dès leur entrée dans une institution. Des actions préventives
devraient par conséquent aussi être menées au sein des institutions.
Les personnes en situation de handicap qui résident dans ces institutions
devraient recevoir des informations sur la prévention des violences
fondées sur le genre, dans un format accessible. La formation des travailleurs
et travailleuses sociaux et du personnel médical sur les droits,
la dignité, l’autonomie et les besoins des femmes en situation de
handicap, dans toute leur diversité, est essentielle pour une meilleure compréhension
des éléments constitutifs des violences institutionnelles et leurs
conséquences.
64. Le contrôle des établissements recevant des personnes en situation
de handicap, par des instances indépendantes, devrait être renforcé.
Les membres du personnel qui dénoncent des violences devraient être écoutés
et protégés. Il faudrait pallier le manque de personnel dans ces
structures, qui peut mettre les résident·e·s dans une situation
problématique. L’accès aux soins gynécologiques devrait être facilité,
en dehors des établissements dans la mesure du possible. Des initiatives
telles que la tenue d’ateliers sur la question du consentement,
la vie affective et sexuelle, ainsi que les droits sexuels et reproductifs,
devraient être encouragées.
65. L’autonomie financière des femmes en situation de handicap
est un facteur déterminant de la prévention et de la lutte contre
les violences. Une femme en situation de handicap devrait recevoir
directement ses revenus, dont les aides qu’elles perçoit, et ne
pas devoir passer par un membre de sa famille. La déconjugalisation
de l’allocation adulte handicapé·e en France permet à la personne
en situation de handicap de recevoir directement l’allocation, indépendamment
du statut du conjoint. Cette mesure soutient directement l’empouvoirement.
66. Dans leurs observations, le CEDAW et le Comité des droits
des personnes handicapées (CDPH) ont à plusieurs reprises souligné
que les femmes en situation de handicap sont particulièrement touchées
par les discriminations à l’embauche. Cette situation de dépendance
entraîne des difficultés concrètes puisqu’elle limite les possibilités
d’action des femmes en situation de handicap, notamment lorsqu’il
s’agit de porter plainte pour violences. Des mesures accompagnant
l’inclusion sur le marché du travail devraient être encouragées.
67. Il est important d’avoir des données chiffrées sexuées afin
de fournir l’assistance nécessaire. La prise en compte du handicap
devrait être systématique lors des enquêtes sur les violences faites
aux femmes. Le CEDAW a effectué cette demande à de nombreuses reprises.
68. La lutte contre les préjugés à l’encontre des personnes en
situation de handicap, notamment au sein des forces de l’ordre,
me semble primordiale. Des associations telles que Droit pluriel
en France ont demandé à ce que policiers et gendarmes reçoivent
des formations sur les spécificités du handicap, et qu’ils aient
des outils de communication adaptés aux différents types de handicap
. Les survivantes de violences fondées
sur le genre, dont les femmes en situation de handicap, se heurtent
à des obstacles considérables dans l’accès à l’aide et à la justice.
La Fédération Femmes Solidarités prône l’inversion de la charge
de la preuve. L’accès aux traitements post-traumatiques devrait
être assuré à toutes les survivantes de violences, y compris les femmes
en situation de handicap.
69. L’éducation à la vie sexuelle et affective est encore trop
souvent mise de côté pour les personnes en situation de handicap.
Elle permet de mieux connaître son corps, ses droits et le fonctionnement
de relations dans le respect de l’autre. Les femmes en situation
de handicap devraient bénéficier d’un accompagnement adéquat pour
prendre des décisions plus autonomes concernant leur santé. Le GREVIO
a souligné que les droits reproductifs des personnes en situation
de handicap devaient être respectées et que l’ensemble des moyens
de contraception devaient être proposés. Les stérilisations et avortements
forcés doivent être interdits.
70. Elisa Rojas a souligné que les femmes en situation de handicap
étaient souvent infantilisées et qu’elles n’étaient pas supposées
avoir une sexualité adulte
. «On leur demande de
rester des petites filles pour les exclure de la sexualité et de
la maternité (…) On pense communément que les femmes handicapées
seraient victimes de violences uniquement car elles sont vulnérables,
alors qu'elles le sont également parce que ce sont des femmes».
Une part de la vulnérabilité des femmes en situation de handicap
est organisée, car elles ne sont pas inclues dans les campagnes
de sensibilisation et sont moins informées. Cette vulnérabilité
est supposée par la société en général et renforcée par le manque
d’inclusion. Les campagnes d’information sur la prévention des violences
fondées sur le genre, et les droits sexuels et reproductifs, devraient
être inclusives et accessibles aux personnes en situation de handicap,
dans toute leur diversité.
71. Lors de notre audition, l’ancienne présidente du GREVIO, Iris
Luarasi, a souligné l’importance de construire la confiance des
survivantes de violences, y compris des femmes en situation de handicap.
La question de la confiance est effectivement déterminante et devrait
être prise en compte par toutes les personnes qui accompagnent les
personnes en situation de handicap. Une personne en mesure de faire confiance
à sa famille, au personnel socio-médical, aux forces de l’ordre
et au système judiciaire sera plus forte.
72. La situation des femmes âgées en situation de handicap est
particulièrement préoccupante. La commission pourrait tenir dans
les prochains mois un échange de vues sur leurs besoins spécifiques
avec Claudia Mahler, Experte indépendante des Nations Unies sur
les droits des personnes âgées.
10. Conclusions
73. Les femmes en situation de
handicap, dans toute leur diversité, sont invisibilisées et mises
à l’écart dans nos sociétés. La réflexion sur la lutte contre les
violences faites aux femmes en situation de handicap amène à une
réflexion plus large sur la façon dont les personnes en situation
de handicap sont considérées.
74. Une société qui isole les personnes en situation de handicap
n’est ni pleinement démocratique, ni inclusive. Les personnes en
situation de handicap ont le droit de vivre en pleine inclusion
dans la société. Leur participation à la vie sociale, économique
et politique de nos pays est bénéfique à de multiples niveaux. Cette participation
doit être soutenue et progresser. La réduction des dépendances peut
contribuer à réduire les facteurs de risque. Une logique d’accompagnement
et de soutien à la prise de décision autonome visant à l’inclusion
dans la société devrait remplacer une logique d’assistance.
75. Afin d’obtenir des résultats tangibles, la prévention et la
lutte contre les violences faites aux femmes en situation de handicap
doivent devenir une priorité politique. La question du handicap
devrait systématiquement être prise en compte lors de l’élaboration
de politiques d’égalité des genres et de prévention et de lutte
contre les violences fondées sur le genre, et les politiques du
handicap devraient intégrer une dimension de genre. Les femmes en
situation de handicap devraient pouvoir participer aux processus
décisionnels qui les concernent.
76. Un changement systémique est nécessaire afin de lutter contre
les causes structurelles et de prévenir les violences fondées sur
le genre faites aux femmes en situation de handicap. Nous devons
lutter contre les visions stéréotypées des femmes en situation de
handicap et œuvrer à faire advenir une société pleinement inclusive,
qui va promouvoir l’égalité, prévenir l’isolement, la violence et
les discriminations multiples, et mettre fin à l’impunité des auteurs
de violences.