1. Introduction
1. Le 15 avril 2021, la commission
des questions sociales, de la santé et du développement durable
(la commission) a déposé une proposition de recommandation intitulée
«Prévenir les comportements addictifs chez l’enfant»
. La proposition a été renvoyée à
la commission pour rapport et j’ai été désignée rapporteure le 22 juin 2021.
La commission a examiné une note introductive lors de sa réunion
du 23 septembre 2022, et j’ai effectué une visite d’information
à Dublin (Irlande), les 4 et 5 mai 2023. La proposition alertait
sur l’exposition des enfants à des substances addictives ainsi qu’à
des addictions comportementales, dans le contexte de la pandémie
de covid-19 et de la crise socio-économique qui s’en est suivie.
2. Chaque enfant a droit à une vie saine. Tous les États membres
du Conseil de l’Europe sont parties à la Convention des Nations
Unies relative aux droits de l’enfant, qui garantit «le droit de
l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier
de services médicaux et de rééducation», et souligne que «[l]es
États parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris
des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives,
pour protéger les enfants contre l’usage illicite de stupéfiants
et de substances psychotropes, tels que les définissent les conventions
internationales pertinentes, et pour empêcher que des enfants ne soient
utilisés pour la production et le trafic illicites de ces substances».
L’Objectif de développement durable n° 3 des Nations Unies est de
permettre à tous de vivre en bonne santé et de promouvoir le bien-être
de tous à tout âge, ce qui suppose de renforcer «la prévention et
le traitement de l’abus de substances psychoactives, notamment de
stupéfiants et d’alcool». Il est donc essentiel de s’attaquer aux
comportements addictifs chez l’enfant pour protéger les droits humains
et assurer un développement durable, conformément aux cadres juridiques
et aux politiques à l’échelle internationale
. En outre,
de tels comportements ne se limitent pas à la consommation de substances
– ils peuvent aller de pair avec le défilement des médias sociaux,
les jeux, ou la pornographie. Ainsi, la pratique excessive de jeux
vidéo ou de jeux de hasard et d’argent en ligne peut entraîner des
risques et des dommages importants, notamment des addictions comportementales,
l’isolement social, l’endettement financier et la détresse psychologique.
Le Groupe Pompidou du Conseil de l’Europe
a récemment engagé des travaux dans
ce domaine
.
3. La pandémie de covid-19 a constitué une menace majeure pour
les catégories les plus vulnérables de la population, et les enfants
ont compté parmi les personnes qui ont été les plus exposées à ses
effets dévastateurs
. Les systèmes de santé, fortement
fragilisés ou défaillants dans certaines régions, ont été rapidement
saturés. Beaucoup de personnes souffrant d’autres maladies n’ont
pas été traitées par manque de place dans les centres de santé ou
par crainte de contracter la covid-19 en se rendant à l’hôpital
.
Un grand nombre d’enfants européens ont ainsi vécu une catastrophe
de santé publique liée à cette pandémie, et beaucoup d’entre eux
connaissent aussi des difficultés économiques
. La crise de santé mentale des
enfants et des adolescents qui en a découlé a contribué à l’apparition
de comportements addictifs chez les enfants. Les troubles liés à
la consommation de substances et les overdoses chez les adolescents
ont augmenté au cours de cette période
. Un rapport régional rédigé par le réseau
méditerranéen de coopération sur les drogues et les addictions du
Groupe Pompidou a mis en évidence le léger impact qu’ont eu les
restrictions imposées dans le cadre de la covid-19 sur la consommation
de substances et les comportements à risque chez les adolescents
de la région méditerranéenne
. Ce rapport fait un état
des lieux de la consommation de substances et de comportements à
risque des adolescents dans la région méditerranéenne. Il pourrait
être intéressant d’étendre le recueil de ces données à l’ensemble
des États membres du Groupe Pompidou et au-delà pour permettre aux
autorités d’avoir une approche comparative avec d’autres pays et
de s’inspirer de politiques nationales qui pourraient être transposées
dans leur propre pays.
4. Le présent rapport a pour objectif d’examiner les enjeux liés
aux comportements addictifs chez l’enfant au regard de la Convention
des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et des Lignes
directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur les
soins de santé adaptés aux enfants. Je souhaiterais proposer des recommandations
sur les mesures à prendre et la méthode à employer qui doivent exiger
la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant, être fondées sur
les droits humains et des données probantes, s’attaquer aux causes
profondes des comportements addictifs et démontrer leur efficacité.
Ces recommandations pourraient aussi contribuer à la mise en œuvre
des Objectifs de développement durable des Nations Unies et de la Stratégie
du Conseil de l’Europe pour les droits de l’enfant (2022-2027)
.
2. But et portée du rapport
2.1. Vue
d’ensemble
5. Un comportement addictif est
un état de dépendance physiologique, physique ou psychologique à
une substance ou se caractérise par un usage compulsif et répété.
Les addictions peuvent se diviser en deux catégories: (i) les dépendances
liées à des produits: tabac, alcool, médicaments ou drogues; (ii)
celles non liées à des produits: dépendance au travail, aux jeux,
à internet, au téléphone, au sport… De plus, l’addiction est souvent
définie comme la perte de contrôle sur une action, ou sur la consommation
ou l’utilisation de quelque chose, au point que cela peut être nocif
pour la personne concernée
. L’individu concerné peut souffrir
d’anxiété, de dépression et avoir des pensées suicidaires. Il est
également possible qu’il ne soit pas en mesure d’accomplir certaines
tâches de la vie quotidienne. Les gènes peuvent influer sur le niveau
de récompense que les individus ressentent lorsqu’ils consomment
une substance pour la première fois ou qu’ils adoptent certains
comportements. Le désir accru de renouveler l’expérience liée à
la substance ou au comportement est influencé par des facteurs psychologiques,
sociaux et environnementaux. L’addiction accapare l’esprit de l’individu
en question, qui est incapable de penser à autre chose et organise
souvent sa journée autour d’elle. Une exposition régulière et un
usage chronique peuvent entraîner des changements cérébraux
. Les dommages encourus sont encore
plus néfastes pour le cerveau en développement des enfants. Plus
la dépendance est forte, plus ses effets sont importants et graves.
Tous les milieux sociaux et culturels sont touchés par ce phénomène,
mais le contexte peut avoir une incidence et les substances consommées
ainsi que les types de comportement observés peuvent varier.
6. Les enfants sont particulièrement vulnérables lorsqu’ils sont
exposés à des substances et comportements addictifs, car ils sont
à un stade où leur personnalité se forme. Ils sont aussi facilement influencés
par leur environnement, leurs amis et les médias. Ainsi, les conséquences
de la consommation de drogues par les parents se reflètent souvent
dans le développement de l’enfant
. Selon une récente étude menée auprès
de jeunes enfants et d’adolescents au Royaume-Uni, des enfants d’à
peine 11 ans boivent de l’alcool; si leurs amis en consomment déjà,
ils ont cinq fois plus de risques de tenter l’expérience
. Ce fait a aussi été évoqué avec
la plupart des interlocuteurs lors de la visite d’information en
Irlande, étant identifié par certains comme l’une des principales
causes des addictions chez les enfants, et qualifié d’«addiction intergénérationnelle».
Le marketing commercial cible souvent les enfants et les personnes
qui s’en occupent pour vendre des produits, même si ceux-ci sont
potentiellement nuisibles à la santé et au bien-être des enfants
. La consommation de médias sociaux
peut avoir des effets néfastes sur les enfants et les adolescents,
qui sont particulièrement influencés par les contenus auxquels ils
sont ainsi exposés. Des plateformes telles que YouTube et TikTok
privilégient la participation plutôt que la santé mentale de leurs utilisateurs
. Tout en ayant conscience
du lien très fort qui existe entre la restauration rapide, les boissons sucrées,
la publicité et les conséquences néfastes comme l’obésité, je ne
traiterai pas des troubles alimentaires dans le présent rapport,
dans la mesure où la problématique doit être abordée avec l’industrie alimentaire.
7. Les enfants ont donc particulièrement besoin d’être protégés
par leurs parents, les professionnels qui travaillent avec eux et
les décideurs. Les politiques pertinentes doivent dûment tenir compte
de l’intérêt supérieur de l’enfant et prévoir des garanties adéquates
à cet égard. Bien que les responsabilités incombent à la fois aux
personnes et aux institutions, l’augmentation exponentielle des
comportements addictifs chez l’enfant est clairement un problème
systémique, qui appelle des solutions systémiques.
8. La pandémie de covid-19 ayant provoqué un accroissement de
l’anxiété chez les enfants, les comportements addictifs liés ou
non à des substances ont constitué des mécanismes d’adaptation chez
les jeunes, en particulier pendant les périodes de confinement
. Les parents et les autres personnes
en charge d’enfants ont été soumis à des pressions accrues, tandis
que les possibilités d’aller à la rencontre des enfants ayant besoin
d’aide ont été réduites compte tenu des priorités fixées et des
restrictions budgétaires. Cet aspect est traité par notre collègue
Simon Moutquin dans son rapport intitulé «Santé mentale et bien-être
des enfants et des jeunes adultes»
.
9. Une éventuelle dépression sous-jacente est un autre aspect
important à prendre en compte lors de l’examen des comportements
addictifs. Beaucoup des enfants qui présentent des addictions comportementales
étaient déjà dans un état psychologique fragile, caractérisé par
un sentiment profond de vide, des sautes d’humeur, de la détresse
et de l’apathie. La dépression peut se manifester de différentes manières,
et ne s’accompagne pas nécessairement d’une intense tristesse et
d’un manque d’estime de soi. Ainsi, les enfants peuvent dissimuler
leur état dépressif en adoptant un comportement hyperactif ou agressif. Des
recherches récentes ont révélé que les enfants touchés par des troubles
dépressifs ou d’anxiété ont une probabilité nettement plus élevée
de faire l’expérience de l’alcool ou du tabac
.
10. Souvent, les comportements addictifs peuvent être considérés
comme un mécanisme de protection face à des expériences insupportables
de souffrance et de solitude, masquant une estime de soi fragile
et un sentiment de profonde insécurité. Dès qu’ils sont contrariés
ou en colère, les adolescents se tournent souvent vers l’alcool
ou la drogue pour les aider à gérer leurs états d’âme
.
Dans pareils cas, l’alcool peut leur procurer une sensation d'euphorie
et de sociabilité, le cannabis un sentiment d’euphorie et de relaxation,
tandis qu’internet peut les aider à vivre «dans le monde» et à se
connecter aux autres. Par conséquent, le travail à mener auprès
des enfants et des adolescents présentant des comportements addictifs
doit viser à les aider à exprimer leurs expériences émotionnelles,
à réfléchir avant d’agir afin de dépasser le processus primaire d’évacuation
des tensions – en cherchant une échappatoire à la réalité – et à
examiner les conséquences de leurs actes. Il faut également veiller
à renforcer leur capacité à maîtriser leurs impulsions, qui peut
être mise à mal dans une situation de vulnérabilité émotionnelle,
et à mieux gérer leurs angoisses et leurs frustrations. Par ailleurs,
en vue du développement serein de l’enfant vers l’âge adulte, il
convient de noter qu’un enfant qui a expérimenté une substance a
plus de risque de devenir dépendent plus tard dans sa vie. En outre,
plus l’âge d’expérimentation est jeune, plus l’enfant qui a grandi
ou est devenu adulte est à risque. Par exemple, un enfant qui expérimente
de l’alcool à 11-12 ans a deux fois plus de risque d’être dépendant
qu’un enfant qui expérimente à 13-14 ans et quinze fois plus de
risque qu’un jeune qui expérimente après 18 ans
.
Je voudrais dès lors souligner l’importance de la prévention dès
le plus jeune âge.
2.2. Addiction
à des substances
11. L’addiction des enfants à certaines
substances a été favorisée par la facilité d’accès, la publicité généralisée
et les stratégies marketing ingénieuses. Au niveau mondial, plus
d’un quart des jeunes âgés de 15 à 19 ans disent consommer de l’alcool.
Environ 80 % des fumeurs adultes ont fumé leur première cigarette avant
l’âge de 18 ans et quelque 43 millions d’enfants (âgés de 13 à 15 ans)
ont consommé des produits du tabac en 2018
. Le cannabis/la marijuana est considéré
comme la substance psycho-active la plus consommée chez les adolescents.
D’autres drogues illicites, telles que les amphétamines, sont également couramment
consommées par les adolescents dans de nombreuses régions du monde
. Certes, le tabagisme chez les jeunes
demeure un problème de santé publique, auquel se substitue progressivement
le vapotage, y compris chez les enfants
. En Irlande, le projet de loi 2023
de santé publique (tabac et produits d’inhalation de nicotine) est
actuellement débattu au parlement
. Ce projet de loi prévoit pour la
première fois l’interdiction de la vente de produits d’inhalation
aux enfants et dans les lieux destinés aux enfants et des restrictions
en matière de publicité. En France comme en Belgique, il est notamment
interdit de vapoter dans les établissements scolaires et les établissements
destinés à l'accueil, à la formation et à l'hébergement des mineurs.
Le Gouvernement français a récemment annoncé son intention d’interdire
les cigarettes électroniques jetables («puffs»).
12. L’abus de substances fait référence à l’usage nocif ou dangereux
de substances psychoactives, y compris l’alcool et les drogues illicites
. Ces dernières années, le champ
des addictions s’est élargi, de sorte qu’il ne se limite plus aux
seules drogues (au sens pharmacologique du terme), et s’étend à
d’autres comportements compulsifs (voir ci-dessous) tels que les
jeux de hasard et d’argent, les jeux vidéo et autres, qui, considérés
dans leur globalité, constituent des facteurs de risque majeurs
pour la santé publique. Les facteurs qui influent sur le passage
éventuel d’une consommation occasionnelle et récréative à une consommation
compulsive sont complexes. L’influence de la socialisation est déterminante,
tout particulièrement à l’adolescence. Néanmoins, dans ce cas, comme
pour de nombreuses maladies, une origine multifactorielle est reconnue.
Parallèlement à la famille, aux amis et au cercle scolaire, au moins
deux autres facteurs sont importants: celui lié aux caractéristiques
biologiques et personnelles de l’adolescent qui présente le comportement
addictif, et celui lié aux caractéristiques chimiques de la substance
consommée. Pour différencier l’usage de l’abus et l’abus de la dépendance,
il est important d’évaluer l’apparition de comportements caractéristiques
(besoin irrépressible, état de manque et tolérance) et la mesure
dans laquelle ces comportements altèrent le fonctionnement général
de l’enfant.
13. Bien que le rapport porte principalement sur la prévention,
je voudrais aussi ajouter qu’en matière de traitement les meilleurs
résultats sont obtenus grâce à des interventions intégrées. En fait,
aucun programme de traitement des troubles liés à l’usage de substances
ne peut être mis en œuvre sans l’implication (aussi bien dans la
phase de diagnostic que thérapeutique) du patient et de son entourage,
grâce à une psychothérapie individuelle et familiale, ainsi qu’à
un soutien médicamenteux visant à réduire le «manque», l’envie et
le besoin irrépressibles de consommer une substance psycho-active.
Dans les situations les plus difficiles, le placement au sein d’une
communauté thérapeutique
doit
être envisagé au cas par cas et uniquement après une évaluation
approfondie de l’intérêt supérieur de l’enfant. La mise en place
d’un soutien psychothérapeutique peut s’avérer utile pour les patients
les plus fragiles. Une visite fort instructive d’une Maison des
enfants, «The Den», située dans la banlieue de Dublin, a montré
l’importance d’un lieu accessible dédié aux enfants consommateurs
de substances, non seulement pour leur apporter une aide thérapeutique,
mais aussi pour leur offrir un lieu où ils se sentent en sécurité
et non stigmatisés, la plupart d’entre eux ayant subi des expériences
traumatisantes dans leur enfance. Comme l’ont indiqué les intervenants
de «The Den», le bien-être aussi bien physique que psychologique
et l’intégration sociale sont les pierres angulaires de la prévention. En
quelque sorte, les fondamentaux que l’on retrouve dans les traitements
les plus efficaces sont des éléments transposables en matière de
prévention.
2.3. Addictions
liées à internet
14. Les addictions non liées à
des substances, également appelées addictions comportementales ou
de processus, sont encore plus fréquentes, plus insidieuses et moins
étudiées. Elles comprennent les addictions aux jeux vidéo en ligne,
aux réseaux sociaux, aux jeux de hasard et d’argent, à la pornographie
, et aux achats compulsifs. La technologie
est un outil fondamental de notre vie quotidienne, mais certaines
personnes peuvent en devenir «esclaves» ou «dépendantes» au point
de mettre en péril leur vie sociale et relationnelle, et ce dès
le plus jeune âge. Un phénomène particulièrement inquiétant est
celui des jeux d’argent et de hasard en ligne incluant les machines
à sous, loto/bingo, poker. L’addiction aux écrans est endémique
chez les enfants qui grandissent à une époque où tablettes et smartphones
sont facilement disponibles. En Irlande, un rapport indique que
presque tous les parents déclarent avoir été témoins d’un changement
négatif de l’humeur et de l’attitude de leur enfant en raison d’une
utilisation prolongée des écrans; plusieurs d’entre eux nourrissant des
craintes quant à la santé mentale et aux risques d’addiction inhérents
à un temps d’écran excessif. Selon l’Organisation mondiale de la
santé (OMS), les taux de dépendance aux jeux d’argent et de hasard
varient de 0,1 % à 6 % et les jeunes adultes sont parmi les plus
vulnérables. Jusqu’à 14 % des étudiants font état d’un problème
d’addiction à ce type de jeux
.
15. L’abus de jeux, y compris les jeux d’argent et de hasard en
ligne peut entraîner de graves dangers et des effets négatifs, tels
que la dépendance, l’endettement financier, l’isolement social et
la détresse psychologique. Malgré les arguments avancés par les
opérateurs de jeux en ligne, de nombreuses études confirment l’hypothèse
selon laquelle l’utilisation excessive de ces plateformes peut conduire
à la dépendance. Plusieurs programmes s’attaquent actuellement aux
problèmes liés à une telle pratique addictive. Ces programmes comprennent
des initiatives du secteur, des programmes d’auto-exclusion, des
campagnes de sensibilisation du public, des services de conseil
et de traitement, ainsi que des dispositions réglementaires
.
16. L’addiction à internet à l’adolescence peut constituer un
véritable syndrome qui touche aussi bien les garçons que les filles.
Les enfants concernés ressentent généralement un profond mal-être
dès lors qu’ils sont privés d’accès à internet, lequel ne peut être
apaisé d’aucune autre manière. Ce phénomène fait actuellement l’objet
d’études, mais identifier sans ambiguïté une «addiction à internet»
est assez complexe pour deux raisons. Il n’existe aucun paramètre
objectif permettant de catégoriser le concept, ou plus exactement
les conséquences précises d’un usage «excessif» d’internet. De plus,
il n’est pas rare que l’utilisation incontrôlée d’internet et des
réseaux sociaux (aussi bien sur ordinateur que sur smartphone) cache
ou découle d’autres types de problèmes. Selon une étude récente,
5 % des jeunes de 14 à 21 ans présentent une dépendance modérée
à internet, et 0,8 % une dépendance grave
. Il apparait également que ce phénomène
peut inclure l’addiction aux réseaux sociaux, aux jeux et aux achats
en ligne, ou aux sites pornographiques.
17. Par ailleurs, l’addiction à internet et aux réseaux sociaux
a souvent été associée à un syndrome baptisé «hikikomori» par les
Japonais, qui désigne un phénomène accru d’isolement social, en
particulier dans le cadre de la pandémie de covid-19. Le syndrome
d’hikikomori
se caractérise par un refus de la
vie sociale, scolaire ou professionnelle pendant une période prolongée,
d’au moins six mois, et par l’absence d’interactions sociales en
dehors de celles avec des parents proches. Les jeunes hikikomori
peuvent manifester leur malaise de diverses manières, en restant
cloîtrés chez eux toute la journée, en ne sortant que lorsqu’ils
sont sûrs de ne pas croiser de connaissances, voire en errant sans
but à longueur de journée, feignant d’être allés à l’école. Les
hikikomori limitent au maximum leurs relations avec l’extérieur,
et les seuls contacts qu’ils nouent sont ceux qu’ils établissent
sur internet.
18. Des indicateurs fiables permettraient d’aider les professionnels
mais aussi les décideurs politiques d’adopter une approche plus
précise de ces comportements, permettant d’identifier plus facilement
les enfants à risque et de développer des politiques de prévention
scientifiquement fondées. Ils permettraient également aux enfants
de s’auto-évaluer à condition qu’ils leur soient adaptés.
2.4. Causes
profondes et conséquences de l’addiction
19. Pour lutter contre les comportements
addictifs, il est essentiel d’en comprendre les causes profondes. Cela
suppose d’examiner un large éventail de questions, allant de l’acceptation
culturelle des substances addictives et des pratiques commerciales
agressives ciblant les enfants et les adolescents à la facilité
d’accès aux appareils électroniques et au manque de temps parental
en raison des politiques du travail. Lors de la transition très
délicate de l’enfance à l’âge adulte, les adolescents traversent
une période de changements et sont particulièrement vulnérables
aux tentations de toutes sortes en raison des changements physiques, psychiques
et émotionnels qu’ils subissent. En général, cette phase de transformations
est surtout caractérisée par le goût du risque et des excès, l’attirance
pour l’interdit, le désir d’expérimenter. De nos jours, au-delà
d’une vie sexuelle précoce pour certains, cette période d’expérimentation
inclut la consommation de drogues tant légales qu’illégales
. Je remarque
que si le cas des adolescents est assez documenté, les causes addictives
chez les plus jeunes enfants sont moins bien connues.
20. Dans de nombreux cas, les addictions peuvent être déclenchées
par une expérience traumatisante
. Ces expériences
peuvent recouvrir des situations variées telle que les abus physiques,
sexuels ou psychologiques, la maltraitance, les discordes entre
parents. Les causes sous-jacentes de l’addiction sont généralement
invisibles. Outre un traumatisme, cause la plus fréquente, elles
peuvent comprendre la souffrance, des besoins non satisfaits, un
manque d’objectifs ou un manque de confiance en soi. Ces causes ont
pour point commun un environnement ou des situations stressantes
ou violentes. Par exemple, les adolescents confrontés au harcèlement
scolaire ou en ligne, ont des habitudes de consommation nettement plus
élevées
.
21. Il convient donc d’adopter une approche globale de la prévention,
qui couvre les aspects socioculturels et aborde les comportements
addictifs sous un angle systémique, ainsi que des approches axées
sur différents types d’addictions et de situations.
22. Les comportements addictifs peuvent avoir de graves conséquences
sur la santé physique et mentale des enfants. Selon les estimations
de l’UNICEF, chaque année 1,4 million d’enfants de 10 à 14 ans meurent d’un
accident de la route dû à la consommation d’alcool ou d’autres drogues.
Pour les jeunes, la consommation de drogues peut être un moyen de
se suicider ou un encouragement à passer à l’acte. De plus, les
addictions ont de graves répercussions sur le développement personnel
des enfants, leurs résultats scolaires et leurs chances de réussite
dans la vie. Des recherches ont montré que lorsque les enfants sont
exposés à des événements chroniques stressants, leur neurodéveloppement
peut être perturbé ou interrompu. En conséquence, le fonctionnement
cognitif de l’enfant ou sa capacité à faire face à des émotions
négatives ou déstabilisantes peuvent être altérés. Au fil du temps,
et souvent lors de l’adolescence, l’enfant peut adopter des mécanismes
d’adaptation nuisibles pour la santé, tels que l’usage de substance
ou l’automutilation. Ces mécanismes d’adaptation peuvent ultérieurement
engendrer des maladies, des handicaps, des problèmes sociaux et
une mort prématurée
.
3. Quelques
exemples de bonnes pratiques à retenir de la visite d'information
en Irlande
23. Je souhaite en particulier
m’intéresser aux exemples de pratiques nationales concernant les
approches globales de prise en charge des comportements addictifs
chez l’enfant. De ce point de vue, une visite d'information en Irlande
m'a permis d'examiner l'expérience des autorités irlandaises dans
la mise en pratique du document intitulé «De meilleurs résultats
pour un avenir meilleur: un cadre politique national pour les enfants
et les jeunes»
. Cette
politique a été prolongée et fait actuellement l'objet d'une révision
en vue de son adoption en 2024. En 2019, l’Irlande a lancé «une
déclaration stratégique et un guide pratique sur les préjudices
invisibles», qui visaient à lutter contre l’addiction à l'alcool
et aux drogues chez les enfants. «Grandir en Irlande» est une étude
sur les enfants financée par le gouvernement. Les données recueillies
dans ce cadre ont permis de rédiger le rapport «Émergence de générations
numériques? Conséquences de l’utilisation du numérique par les enfants
sur le bien-être psychologique et socio-affectif au regard de deux
cohortes en Irlande, 2007-2018». En outre, l’Irlande a été le premier
pays d’Europe à élaborer une stratégie nationale sur la participation
des enfants et des jeunes à la prise de décisions (en 2015) et associe
de longue date les enfants et les jeunes à l’élaboration des politiques
qui les concernent, ce qui fait qu’elle possède une riche expérience
en la matière.
24. L’Irlande constitue une étude de cas intéressante. Si l’usage
des smartphones et l'accès à l'internet sont en hausse, ils n'ont
pas encore atteint les niveaux de saturation qui sont courants dans
plusieurs pays d'Europe du Nord et du continent. En effet, d’après
les données de l'enquête
EU Kids Online
Survey (2011), les enfants irlandais âgés de 9 à 16 ans
ont un accès fréquent à l'internet dans 93 % des ménages, En outre,
selon l'enquête
Net Children Go Mobile (2015),
46 % des enfants irlandais âgés de 9 à 16 ans utilisent leur smartphone
comme principale source d'accès à internet, et 63 % l'utilisent
au moins une fois par jour
. Selon les
deux enquêtes, les jeunes Irlandais utilisent internet moins souvent
que les jeunes des autres pays européens et passent globalement
moins de temps en ligne
.
25. Les modèles et les incidences de l'utilisation du numérique
sur le bien-être socio-psychologique des enfants ont été élaborés
en Irlande en étudiant deux cohortes de jeunes qui ont grandi à
«l'ère numérique», la cohorte de 1998 (interrogée en 2007/2008)
et la cohorte de 2008 (interrogée en 2017/2018)
. Dans le cadre du projet de recherche
Growing Up in Ireland (GUI), ces
deux cohortes ont fait l’objet d’une étude longitudinale multi cohorte
comprenant des données comparatives abondantes sur un nombre important
de jeunes de 9 ans ainsi que de modèles de régression linéaire multifactorielle.
26. Les résultats montrent que les enfants étaient plus impliqués
dans les médias sociaux et les appareils numériques en 2017-2018
qu’ils ne l’étaient en 2007-2008, lorsqu'ils regardaient davantage
la télévision et utilisaient des médias moins diversifiés. De plus,
passer plus de trois heures par jour à la télévision ou à des activités
numériques était lié à une baisse significative du bien-être socio-affectif
des enfants, même si ces effets ont été plus importants en 2017-2018
qu'en 2007-2008; les activités d'information et d'éducation en ligne (mais
pas les autres formes d’activités numériques) étaient un facteur
prédictif important du bien-être socio-affectif en 2017-2018. Dans
l'ensemble, l'étude révèle la persistance, mais aussi quelques changements importants,
des tendances récentes concernant l'utilisation du numérique par
les enfants et son incidence sur le bien-être socio-affectif en
Irlande.
27. Même si l'on constate une augmentation de la consommation
de cocaïne et une diminution de la consommation de cannabis en Irlande,
toutes les parties prenantes que j'ai rencontrées étaient fermement opposées
à la légalisation/dépénalisation du cannabis, compte tenu de ses
effets dévastateurs sur le cerveau des enfants. La question est
plutôt de mettre fin à l'offre et au trafic de toutes sortes de
drogues. Le phénomène est lié à de multiples facteurs communautaires,
notamment l'influence des pairs, la pauvreté, l'attitude des parents
à l'égard des drogues et, plus généralement, un environnement familial
dysfonctionnel. Le programme de traitement proposé consiste à s'attaquer
aux conséquences des expériences négatives vécues par les enfants.
M. Shane Mulligan, médecin à l'Agence Tusla pour la protection de
l'enfance et la famille, a souligné la nécessité d'une approche
globale, qui devrait inclure les parents ou les tuteurs.
28. En ce qui concerne les jeux d'argent et de hasard, le ministère
de la Santé, qui mène pour la première fois une enquête sur une
dépendance comportementale, a souligné la nécessité de disposer
de données. En attendant, le ministère réfléchit à un projet de
loi sur les jeux d'argent axé sur la prévention, ce qui est une véritable
évolution culturelle. Sur ce point, l'ONG Foróige, qui s'occupe
des enfants et des jeunes, a souligné la nécessité de renforcer
le programme familial de réhabilitation et de lutter contre la culture
de l'acceptation du problème.
29. La Stratégie nationale de lutte contre la drogue aborde trois
grands domaines d'intervention: la prévention de la consommation
de drogues et d'alcool chez les jeunes, le développement d'interventions
de prévention et de réduction des risques ciblant les groupes à
risque, et l'amélioration de l'accès aux services pour les femmes,
les enfants et les jeunes
.
4. Actions
possibles dans les domaines de l'éducation, de la protection sociale
et de la santé
30. De nombreuses catégories de
groupes sociaux sont touchées par la pauvreté urbaine, en particulier
les enfants des familles à faible revenu. Le nombre d'enfants des
rues augmente et les plus vulnérables sont les filles. Les enfants
des rues sont marginalisés et constituent, à l’adolescence, un groupe
difficile d'accès. Leur ressentiment souvent profond et leur grande
méfiance à l'égard des systèmes formels et traditionnels les empêchent
d'accéder aux soins de santé et aux services publics. De nombreux
enfants des rues ont déjà été victimes d'abus et tous sont exposés
à la violence, à la prostitution et à la toxicomanie. Dans de telles circonstances,
ils se réfugient dans la toxicomanie pour "échapper" à ces expériences
traumatisantes. Ce constat, mentionné par nos interlocuteurs irlandais,
peut-être transposé dans de nombreux pays européens, y compris le
mien. Certains d'entre eux tombent dans la criminalité et leur niveau
de toxicomanie est généralement très élevé.
31. Les systèmes scolaires et de protection de l'enfance sont
à bout de souffle dans de nombreux pays, exposant des milliers d'enfants
à un risque accru de maltraitance, d’abandon, d'exploitation sexuelle
et d’exploitation par le travail. Les appels aux lignes d'assistance
téléphonique pour la protection de l'enfance ont considérablement
augmenté dans le monde entier pendant le confinement. Si nous n'agissons
pas, les résultats peuvent être catastrophiques pour cette génération,
aujourd'hui et à l'avenir
. Je suis favorable à prioriser les
moyens en faveur du soutien aux enfants, qui leur permettent d’évoluer
dans un environnement scolaire ou socio-éducatif serein, et de développer
les services de protection de l’enfance. Je crois fortement qu’un
pays qui investit dans l’enfance et dans sa jeunesse investit non
seulement pour leurs droits humains mais aussi pour construire une
société plus résiliente et à terme économiquement stable.
32. Il est important de recenser les moyens de soutenir et de
protéger la génération covid-19. L'idée que la covid-19 a mis tout
le monde sur un pied d’égalité est absurde. L'égalité d'accès aux
soins, fondée sur le modèle de la solidarité, ne s’est pas vérifiée
pendant la pandémie, qui a eu un effet négatif disproportionné sur les
plus pauvres et les plus vulnérables. Cela a été constaté aussi
bien pour l'impact de l'épidémie elle-même sur les pauvres, les
personnes âgées et les personnes médicalement vulnérables, que pour
la crise scolaire actuelle causée par la pandémie, qui a une incidence
particulièrement négative sur les enfants les plus pauvres et qui
crée les conditions d’un futur échec scolaire
. Lorsque les écoles ont finalement
rouvert, de nombreux enfants pauvres ne sont jamais retournés en
classe. La pauvreté est la principale explication de l'absence des enfants
à l'école
, et la pauvreté est la principale
cause profonde de la toxicomanie, comme l'ont indiqué la plupart
des parties prenantes que j'ai rencontrées lors de ma visite d'information
en Irlande. La lutte contre la pauvreté et l'extrême pauvreté des
enfants et de leur famille est donc une mesure préventive essentielle
pour éviter les comportements addictifs. Les dépenses urgentes en
matière de santé et de sécurité sociale devraient également être
une priorité lorsqu’il s’agit d’allouer des crédits limités. Il
est inacceptable de laisser le secteur de l'éducation aux prises
avec des réductions budgétaires
.
33. Les tendances à la hausse de la consommation d'alcool et de
drogues illicites chez les enfants représentent un défi sociétal
important dans les États membres du Conseil de l'Europe, compte
tenu du rythme rapide des changements dans nos pays. Une grande
variété de produits chimiques est désormais disponible pour les
enfants, qui les combinent souvent avec de l'alcool. Il est particulièrement
difficile pour les décideurs politiques de créer un éventail suffisamment
large et opportun de solutions permettant d’agir avec efficacité, compte
tenu des nouveaux modes de consommation de substances psychoactives,
qui évoluent en permanence. On peut affirmer aujourd'hui que le
cannabis reste la drogue la plus fréquemment consommée par les jeunes
Européens et qu'en général, la propension à prendre des drogues
et la probabilité de s'intoxiquer ou de consommer du cannabis ou
d'autres substances illégales augmentent rapidement avec l'âge.
Un examen périodique des tendances concernant les comportements
addictifs chez les enfants en Europe pourrait contribuer à l'élaboration
de politiques souples et ciblées
.
5. Recommandations
pratiques aux États membres
34. Le spectre des stratégies de
prévention de la toxicomanie est large, allant des initiatives qui
se concentrent sur les personnes à risque à celles qui ciblent la
société (prévention environnementale). Les principaux défis consistent
à faire correspondre ces différentes tactiques aux populations et
situations cibles appropriées, tout en veillant à ce qu'elles soient
fondées sur des données factuelles et couvrent une population suffisante.
De nombreuses initiatives de prévention se concentrent sur la consommation
de substances en général; cependant, un petit nombre d'entre elles
ciblent des substances spécifiques comme l'alcool, les cigarettes
ou le cannabis. Certaines concernent également des questions connexes
telles que la violence et les comportements sexuels à haut risque.
Il est nécessaire de mettre en place des études et un suivi constant des
tendances afin d’adapter les politiques à l'évolution des usages,
d'accompagner au mieux les jeunes utilisateurs et d'éviter le développement
de comportements addictifs. La question souvent controversée de
la dépénalisation/légalisation du cannabis devrait être débattue
de manière approfondie aux niveaux national et européen, en tenant
particulièrement compte des conséquences de la consommation de cannabis
sur le développement des jeunes. Cette question qui fait l’objet
de débats depuis longtemps dans les pays européens et de politiques
nationales parfois changeantes au gré de considérations souvent
idéologiques devrait en réalité reposer sur l’intérêt supérieur
de l’enfant à grandir dans les meilleures conditions de santé mentale
et physique. Si je peux comprendre qu’il y ait des divergences s’agissant
des adultes, il me semble important de réfléchir à cette question
au niveau européen, s’agissant des enfants, de façon à avoir une
approche plus harmonisée et fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant.
35. Ainsi, certaines techniques dites de «prévention environnementale»
ont pour objectif de modifier les contextes sociaux, physiques,
culturels et économiques dans lesquels les personnes décident de
consommer des drogues ou d'autres substances addictives. Ces techniques
comprennent des politiques telles que la réglementation des prix
de l'alcool et la restriction du tabagisme et de la publicité pour
les cigarettes, qui ont toutes deux prouvé leur efficacité. D'autres
tactiques consistent à créer un climat bienveillant favorable à l’apprentissage
et à éduquer les élèves aux normes et valeurs civiques afin d’instaurer
des conditions d'enseignement sûres. L'objectif de la prévention
universelle est d'atteindre des populations entières, généralement
dans le cadre scolaire et communautaire, et de fournir aux jeunes
les compétences sociales et personnelles dont ils ont besoin pour
retarder ou éviter de commencer la consommation de drogues ou d'autres
substances addictives. Il serait utile également que les enseignants
et les éducateurs bénéficient d’une formation spécifique pour aider
les enfants consommateurs de substances psychoactives.
36. La prévention sélective cible les communautés, les familles
ou les groupes qui sont plus vulnérables à la consommation de drogues
ou de la dépendance, souvent en raison d'un manque relatif de liens
sociaux et/ou de ressources. L'approche préventive recommandée se
concentre sur ceux qui présentent des profils comportementaux ou
psychologiques qui peuvent indiquer un risque plus élevé d’être
confrontés plus tard à des problèmes de consommation de substances.
Dans la plupart des pays européens, ce type de prévention se concentre
principalement sur la fourniture de conseils aux jeunes consommateurs
de drogue.
37. En Europe, diverses méthodes, notamment la thérapie psychosociale,
le traitement pharmaceutique et la désintoxication, sont utilisées
pour traiter la toxicomanie
. L'organisation du système
national de santé et la nature des problèmes de drogue dans chaque
pays doivent être prises en compte dans les options thérapeutiques
proposées. Lorsqu'il s'agit de jeunes, les services de traitement
de la toxicomanie devraient privilégier les interventions psychosociales
telles que le conseil, l'entretien motivationnel, la thérapie cognitivo-comportementale,
la thérapie de groupe et la thérapie familiale, ainsi que la prévention
des rechutes. Ces programmes aident les jeunes à gérer et à résoudre
leurs problèmes de consommation de drogue.
6. Conclusions
38. J'espère que ces suggestions
seront utiles, compte tenu notamment des bouleversements sociaux
et économiques qui agitent actuellement l’Europe ou qui surviendront
probablement à l’avenir. La crise climatique, les conflits armés
et la montée des inégalités resteront incontestablement une source
d’anxiété pour les enfants, qui seront ainsi en quête de réconfort,
et ces épreuves continueront de mettre à l’épreuve les valeurs et
la résilience de nos sociétés.
39. Comme je l’ai indiqué, il existe un large éventail de mesures
de prévention à explorer et à développer. J’aimerais cependant mettre
l’accent sur les causes profondes des comportements addictifs, en
particulier les expériences stressantes et violentes que pourraient
subir les enfants. Au niveau du Conseil de l’Europe, je compte en
particulier sur le Groupe Pompidou pour développer ses travaux dans
un souci de prévention des comportements addictifs des enfants.
Je me réjouis des nouvelles priorités de travail 2023‑2025 du Groupe qui
comportent la protection des droits des personnes appartenant à
des groupes vulnérables et la réduction de la disponibilité des
drogues illicites, ainsi que la prévention de la dépendance à internet
et aux jeux en ligne et je propose donc de cibler pour partie ces
priorités sur les enfants. En outre, les travaux du Groupe pourraient être
complémentaires de ceux de l’Observatoire européen des drogues et
des toxicomanies (OEDT) dans son domaine de compétence.
40. Pour réduire et prévenir les comportements addictifs chez
les enfants, il est nécessaire d’agir simultanément en renforçant
les facteurs de protection et en réduisant les facteurs de risque.
Notre objectif doit être de veiller à ce que les enfants puissent
grandir dans un environnement sûr et sécurisé, quelle que soit leur situation,
et de renforcer les facteurs de protection. Il faudrait donc, s’agissant
des enfants les plus vulnérables, que la lutte contre la pauvreté
infantile soit une priorité politique. J’insiste donc sur la mise
en œuvre de la
Recommandation
2234 (2022) «Éliminer la pauvreté extrême des enfants en Europe:
une obligation internationale et un devoir moral». Je pense que
le Conseil de l’Europe doit agir rapidement pour qu’en Europe, l’objectif
mondial d’élimination de la pauvreté extrême soit atteint en 2030
(objectif de développement durable 1.1 des Nations Unies), contribuant
ainsi à réduire l’une des causes profondes des addictions chez les
enfants. Les enfants issus de familles ayant des antécédents d'addiction
sont, en moyenne, davantage confrontés à des situations difficiles
et à la récidive possible de comportements addictifs
. Les États membres du Conseil de
l'Europe devraient envisager que des études approfondies soient
menées au niveau européen sur les causes profondes des comportements
addictifs, la dépendance «intergénérationnelle» étant l'un des principaux
facteurs soulevés par les parties prenantes irlandaises que j'ai
rencontrées. Le Conseil de l'Europe pourrait ainsi réaliser un suivi
des travaux qu’il mène sur les «enfants dont les parents consomment
des drogues»
, en mettant
l'accent sur des mesures spécifiques visant à aider les enfants
vivant dans un contexte de toxicomanie. Il est également important
de promouvoir les compétences personnelles et sociales permettant
à l'enfant de grandir et de trouver des solutions, même dans des
situations difficiles. Les programmes d'enseignement devraient accorder
une place au développement de certaines compétences, notamment la
création et le maintien de relations, la capacité de s’adapter,
la résolution de problèmes, l'estime de soi, la gestion de situations
conflictuelles, la résistance à la pression, et le développement
d’une réflexion indépendante et critique. Le Conseil de l'Europe
pourrait élaborer une approche globale de la prévention et du traitement
des addictions chez les enfants, en s’appuyant sur ses lignes directrices
relatives aux soins de santé adaptés aux enfants et en tenant compte
du contexte socio-économique et de santé publique actuel. Sur cette base,
il pourrait également élaborer des cours destinés aux professionnels
de la santé et à la communauté éducative afin de développer des
capacités spécifiques de détection et de soutien aux enfants ayant
des comportements addictifs.
41. À long terme, les avantages de cette approche dépasseront
le cadre de la protection contre les addictions, les fragilités
et les troubles psychologiques; ils se manifesteront par la santé
physique des enfants et leur bonne intégration sociale et scolaire.
42. Le risque lié à une utilisation problématique et addictive
des réseaux et des appareils numériques est de plus en plus répandu
dans nos sociétés, et la covid-19 n'a fait qu'aggraver ces aspects
négatifs. Les changements introduits par la technologie, la flexibilité,
l'immédiateté de la communication et l'absence de limites entre
le travail/l'école et l'utilisation récréative ont certainement
des effets positifs mais ils peuvent également conduire à une utilisation
compulsive. Il est clair que tous les individus doivent apprendre
à maîtriser leur utilisation des écrans et à utiliser la technologie
avec discernement, cet apprentissage peut être plus difficile pour
les enfants, sauf s’ils bénéficient d'un soutien. Je recommande
que le Conseil de l'Europe élabore certains outils de prévention
dans le cadre de sa Stratégie pour les droits de l'enfant 2022-2027,
notamment dans le cadre de son objectif novateur 3.2.7 («Explorer
les nouvelles problématiques affectant le bien-être des enfants,
tels que les jeux en ligne, le marketing en ligne et l’influence
en ligne»). Je souligne en outre que le soutien du secteur technologique
est essentiel pour s'attaquer au problème posé par les jeux d'argent
ou de hasard chez les enfants, ainsi qu’à celui du marketing et
de la publicité en ligne. Les États membres du Conseil de l'Europe
pourraient envisager de créer un partenariat avec le secteur technologique
pour élaborer une réglementation dans ce domaine, en s'appuyant
sur l'objectif 3.2.1 de la Stratégie pour les droits de l'enfant, qui
se lit comme suit: «Inviter les entreprises commerciales et industrielles
à assumer leurs responsabilités envers les enfants, en particulier
en procédant à des études d’impact sur les enfants en garantissant
la participation des enfants aux phases d'évaluation, ainsi qu'en
les impliquant dans la conception des services et produits numériques.»
43. En ce qui concerne la persistance de la consommation de drogues
et d'alcool, qui commence malheureusement à un jeune âge, le Conseil
de l'Europe pourrait contribuer à l'élaboration de programmes spécifiques
adaptés aux jeunes enfants (6-12 ans). En outre, la question spécifique
de la consommation de cannabis et de la dépendance qui en résulte,
sachant qu’il s’agit de la substance addictive la plus répandue utilisée
par les enfants, devrait être analysée et traitée aux niveaux national
et européen. Le Conseil de l'Europe pourrait mener, en collaboration
avec une autre entité telle que l’OEDT, une vaste étude portant
sur l'impact des cannabinoïdes sur le cerveau et le comportement
des enfants, la prévalence de la consommation de ces drogues dans
la population infantile, les mesures spécifiques de prévention,
notamment la question de l'accès facile aux drogues, l'acceptation
culturelle, la dépénalisation/légalisation ou la criminalisation
de cette substance, ainsi que les programmes complets de traitement,
y compris des refuges pour le traitement des enfants, comme c'est
le cas en Irlande.