1. Introduction
1. Selon les Nations Unies, les
océans et les mers assurent 50 % de l’oxygène nécessaire à la vie, absorbent
un quart des émissions de dioxyde de carbone et capturent 90 % de
l’excédent de chaleur qu’elles génèrent. Ils sont à la fois le principal
poumon et le premier puits de carbone de la planète. Leur rôle est
crucial pour faire face au changement climatique
. En outre, ils régulent le climat
de la planète. Ils couvrent 71 % de la surface du globe et jouent
un rôle essentiel pour la vie et l’économie, notamment les transports.
Pourtant, ils subissent, comme les paysages terrestres, la triple
crise de la pollution, de la hausse des températures et de la perte
de la biodiversité.
2. La pollution, l’acidification et l’eutrophisation déciment
la vie dans les océans et les mers et nuisent à notre santé, ainsi
qu’à celle des générations futures. Ces phénomènes induisent un
coût écologique de plus en plus élevé, qui pourrait un jour être
hors de notre portée économique, technologique et financière. Nous devons
réagir et nous assurer que tout est fait pour maintenir la santé
des mers et des océans, dans l’intérêt direct de l’humanité.
3. Depuis 2021, après une bonne décennie d’efforts, les océans
ont été intégrés dans les travaux sur le changement climatique à
l’occasion du Pacte de Glasgow pour l’environnement
. Le moment est donc venu de se pencher
sur ce patrimoine, son état, son rôle et son avenir à la lumière
du droit à la vie, des effets possibles sur la préservation des
droits humains et de l’Objectif de développement durable 14 (ODD 14)
qui vise à conserver et à exploiter de manière durable les océans,
les mers et les ressources marines.
4. Les océans et les mers abritent plus de deux millions d’espèces
tandis que trois milliards d’êtres humains en dépendent pour leur
subsistance et leur alimentation. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat (GIEC) a averti que le réchauffement de la
planète avait déjà eu de graves répercussions et que les effets
s’accentuaient. L’élévation du niveau des mers est désormais inévitable.
Nos sociétés doivent atténuer ces effets et s’adapter à un nouveau
paradigme. La santé et la survie de l’humanité sont en jeu. Notre
défi consiste à devenir résilients aux changements climatiques,
à réparer les dommages et à préserver le patrimoine maritime pour
les générations futures.
5. Les deux tiers des océans et des mers semblent ne relever
d’aucune juridiction ou autorité légales
. Ce n’est pas totalement juste. Si
l’emprise peut être législative, réglementaire ou juridictionnelle,
elle n’est pas forcément liée à la territorialité, quand elle concerne
les actes de personnes physiques ou morales ayant leur siège dans
un État. Certes, les océans ne sont pas du tout représentés dans
les instances internationales. Ils sont en partie régis par divers
cadres juridiques, dont la Convention des Nations Unies sur le droit
de la mer, les accords miniers
et bien d’autres. Rien qu’au niveau
de l’ONU, il existe plus de 20 organismes différents investis de
compétences normatives ou réglementaires pour la haute mer
.
6. Pourtant, les océans et les mers restent largement méconnus.
Les bienfaits directs et indirects qu’ils procurent ne sont que
vaguement compris. Il n’existe actuellement aucune méthode ou outil
scientifiques reconnus au plan international pour estimer leur contribution
économique à la richesse générale de l’humanité. Leur état complet
n’est pas mieux connu. Les effets cumulés des activités humaines
dans les zones côtières ne sont estimés que de manière empirique.
Seules trois personnes ont exploré le point le plus profond des mers
alors que l’humanité célèbre les exploits de 12 sélénautes.
7. La planète est entrée dans l’ère de l’anthropocène
.
Depuis 50 ans, notre Assemblée ne cesse de mettre régulièrement
en garde les États membres sur la situation des océans
. De leur préservation dépend le droit
des générations futures et actuelles à la santé, au bien-être, à
la sécurité, à une nourriture suffisante et, finalement, à un avenir.
Pour y arriver, les 17 Objectifs de développement durable des Nations
Unies et tout particulièrement l’ODD 14 tracent une feuille de route.
Après le Sommet de Reykjavík des chefs d’État et de gouvernement
du Conseil de l’Europe (les 16 et 17 mai 2023), la reconnaissance
politique du droit à un environnement propre, sain et durable ouvre
la voie à une meilleure protection et au plein exercice des droits humains
des générations actuelles et futures.
8. La levée de cette hypothèque sur l’avenir passe par une cohabitation
harmonieuse entre la nature et les activités humaines. À ce titre,
le Conseil de l’Europe fut pionnier dans la mise en place de solutions
basées sur la nature. Il faudra, en joignant nos forces à celles
des autres organisations internationales, répondre de façon globale
à une multitude de menaces directes et indirectes: la pollution
marine plastique et autres, le réchauffement des océans, l’eutrophisation,
l’acidification, l’effondrement des pêcheries et de la biodiversité. Il
s’agira aussi de poser les jalons d’une vie harmonieuse dans l’espace
fini et de nous préparer à répondre à certains dilemmes qui modifieront
en profondeur nos sociétés.
9. Dans sa
Recommandation 1888
(2009) , l’Assemblée
parlementaire appelait à une nouvelle gouvernance des océans et
des mers. Cet appel n’a été ni entendu ni compris. Si la Convention
des Nations Unies sur le droit de la mer offre un cadre juridique
général, il est urgent de prendre davantage en considération les
activités humaines, économiques et sociales dans notre voisinage
maritime. Face à la crise climatique, il est indispensable d’améliorer
l’état des mers et de tenir compte des multiples défis liés à l’application
des droits humains de deuxième et troisième génération dans les
eaux territoriales et au-delà. En tant que gardien des droits humains,
le Conseil de l’Europe doit veiller à ce que ceux-ci soient respectés
en tous lieux, y compris en mer. Notre continent doit être un modèle
pour les autres, comme l’a fait valoir le professeur Jeffrey Sachs
lors de la réunion de la commission des questions sociales, de la
santé et du développement durable en septembre 2021.
10. D’après la Fondation des Nations Unies , les océans peuvent
contribuer à résoudre la crise climatique
. Il est temps de traiter les océans
et les mers avec respect et de les considérer comme les entités
fragiles et délicates qu’ils sont. Le Conseil de l’Europe oriente
son action en mettant en œuvre diverses stratégies thématiques et
plans d’action par pays. Pour jouer son rôle, il devrait maintenant
se doter d’outils couvrant les mers et les océans. Ces outils viseraient
à promouvoir le dialogue et l’assistance entre pairs, l’amélioration constante
de l’intervention publique et le devoir de diligence. Ce dernier
suppose de tenir compte, dans le cadre des engagements transversaux,
des droits humains, de l’égalité, de la diversité et de la participation démocratique
inclusive. Toutes les forces vives de notre Organisation devront
être mobilisées, y compris le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
et les parlements nationaux réunis au sein de l’Assemblée.
11. Suite à une proposition de résolution intitulée « Vers des
stratégies mers et océans du Conseil de l’Europe contre la crise
climatique »
, j’ai été désignée rapporteure le
28 septembre 2021. J’ai souhaité également prendre en compte des
éléments contenus dans la proposition de résolution «Renforcer la protection
de la biodiversité en Europe à travers un financement durable et
équitable de la Convention de Berne»
.
12. Je tiens à remercier les services de l’Organisation maritime
internationale (OMI) de m’avoir reçue à l’occasion d’une mission
d’information virtuelle le 20 novembre 2023. Je remercie également
le Prof. Bayram Öztürk, Chef de la Fondation turque pour la recherche
marine et du département de la biologie marine de l’Université d’Istanbul,
qui a contribué à l’audition publique tenue le 22 septembre 2022
par la commission à İzmir (Türkiye) ainsi que la Prof. Elisa Morgera,
enseignante de droit de l’environnement mondial à l’université Strathclyde
de Glasgow (Royaume Uni) et directrice de One Ocean Hub, une association
membre de la coalition des associations pour le droit à un environnement
sain, avec qui le Réseau de parlementaires de référence pour un
environnement sain coopère.
2. Les contributions des mers et des océans
à l’humanité
13. Plus de trois milliards de
personnes dans le monde dépendent des mers et des océans pour leur subsistance
et 80 % du commerce mondial de marchandises s’effectue par la mer.
Il ne s’agit pas seulement de denrées alimentaires, mais aussi de
biens qui sont la base de l’ensemble de l’économie. Ils abritent
aussi la diversité biologique dont la conservation est l’un des
objectifs de la Convention relative à la conservation de la vie
sauvage et du milieu naturel de l’Europe (STE no 104,
«Convention de Berne»), consacrée par la
Recommandation 152 (2011) .
14. Les mers et les océans peuvent atténuer la crise climatique
et les menaces qui en découlent (crises sociale, économique et politique).
Néanmoins, si l’on garde à l’esprit le rapport de notre collègue
Edite Estrela (Portugal, SOC) intitulé « Crise climatique et État
de droit »
, l’un des risques pour l’humanité
serait de n’envisager de solutions que sous l’angle des restrictions
et des interdictions. Les mers et les océans sont à la croisée des
chemins des vulnérabilités humaines et environnementales. Comme
l’objectif du rapport est de consolider le lien avec les droits
humains, les mers et les océans devraient faire partie d’un environnement sain.
J’ai proposé de le rappeler dans le titre de ce rapport. Dans sa
Résolution A/HRC/RES/48/13 adoptée le 8 octobre 2021, le Conseil
des droits de l’homme des Nations Unies reconnaît que le droit à
un environnement propre, sain et durable pour tous est un droit
humain, une position que partage l’Assemblée générale des Nations
Unies
. Le Conseil de l’Europe
a entrepris cette reconnaissance et doit apporter ses propres réponses
dans le cadre du processus de Reykjavík à la suite du 4ème Sommet
des chefs d’État et de gouvernement.
15. Je tiens à rappeler qu’au-delà de l’intérêt direct de l’humanité
à la bonne santé des mers et des océans, le patrimoine marin demeure
aussi une richesse qu’il faut préserver. Cet impératif exige d’allouer
plus de moyens à son étude et à sa compréhension. L’année 2023 fut
déclarée par les Nations Unies, l’année pour le climat, la nature
et la réduction de la pollution
. Il est temps de s’engager pour l’efficacité
du cadre de protection des mers et des océans et de s’assurer que
l’approche basée sur les droits humains leur soit appliquée.
3. Quelle
gouvernance pour la protection des mers et des océans ?
16. Le droit de la mer relève essentiellement
du droit coutumier et d’un maillage complexe d’organisations intergouvernementales
et des Nations unies. Il définit les différents espaces maritimes et
précise les droits et devoirs des États. C’est un droit en expansion
qui distingue le régime appliqué à la haute mer des mers intérieures
où la souveraineté étatique est sans équivoque. Récemment, un instrument
international juridiquement contraignant a été lancé par les Nations
Unies; il prévoit la conservation et l'utilisation durable de la
biodiversité marine dans les zones situées au-delà de la juridiction
nationale et étend la protection à l'ensemble des océans et des
mers (voir paragraphe 24 ci-dessous).
17. Pendant l’été 2023, les côtes de la Libye ont été dévastées
par des inondations détruisant la région et la ville de Derna
. Des phénomènes extrêmes, probablement
causés par la surchauffe planétaire, ont récemment touché la ville
de New York
et le Pas-de-Calais (France). Face
à ce constat, je me félicite de l’audition tenue en septembre 2023
par le Tribunal international du droit de la mer (
ITLOS) impliquant des représentants des pays insulaires
.
Le tribunal devra statuer si les gaz à effet de serre peuvent être
assimilés à la pollution marine et préciser la responsabilité des
pays dans les atteintes à la protection de l’environnement marin
et l’impact de leurs actes sur le changement climatique. Pour les
représentants des petits pays insulaires, il s’agit d’une question
de survie. La décision du tribunal, attendue en 2024, pourrait mettre
en lumière la responsabilité des États
.
18. Aux antipodes, les 11 000 habitants de l’archipel des Tuvalu
ont reçu des garanties de l’Australie qui va progressivement offrir
des droits «spéciaux» aux habitants leur permettant de venir vivre,
étudier et s’installer. Il s’agit des premiers réfugiés climatiques
de la planète. Composé de 9 îles, l’archipel est un des 12 petits
États insulaires en développement qui, par la voix des États fédérés
de Micronésie, ont insisté sur l’importance de la justice climatique
.
3.1. La
haute mer
19. L’Organisation maritime internationale
(OMI) est la principale organisation qui pose le cadre réglementaire
pour les mers et les océans. Cette organisation technique n’était
pas prévue à l’origine pour répondre à la crise climatique, mais
elle y fait désormais référence dans son énoncé de mission
.
L’OMI s’est révélée utile pour traiter des grandes questions environnementales.
Des débats approfondis sont actuellement menés face aux nombreux
défis qui ont des incidences sur l’avenir des océans et des mers.
En 2018, l’Assemblée de l’OMI
a décidé d’étendre le Plan
stratégique de l’OMI afin d’ajouter une dimension humaine à son
mandat
.
20. À ce jour, 168 Parties (dont l’Union européenne) ont ratifié
la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM, également
connue comme la «Convention de Montego Bay») ou y ont adhéré. La Convention
de Montego Bay constitue le principal élément du cadre qui s’applique
aux mers et aux océans. Elle définit les principes généraux d’exploitation
des ressources de la mer (ressources biologiques, ressources du
sol et du sous-sol) et les principes de protection du milieu marin.
Elle crée également le Tribunal international du droit de la mer
(ITLOS), « compétent pour connaître des différends relatifs au droit
de la mer », entré officiellement en fonction en octobre 1996 et
dont le siège est à Hambourg, en Allemagne
. En outre, des États membres
ont également ratifié ses accords d’application ou y ont accédé
(150 parties pour l’Accord de 1994 relatif à l’application de la
Partie XI et 91 parties pour l’Accord des Nations Unies de 1995
sur les stocks de poissons). De nombreux États parties à ces traités
ont pris des mesures pour les appliquer au moyen de cadres juridiques,
politiques et institutionnels. Toutefois, l’étendue de la ratification,
de l’adhésion et de la mise en œuvre varie selon les pays.
21. Le cadre international régissant les mers et les océans comprend
d’autres textes. Les indicateurs de l’ODD 14 montrent que les ressources
halieutiques sont fréquemment pêchées illégalement, ce qui entraîne l’effondrement
des pêches locales et nuit aux efforts de gestion durable des pêches.
Pour lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée,
la communauté internationale a adopté l’Accord relatif aux mesures du
ressort de l’État du port
, premier accord international contraignant
à cet égard. L’accord est entré en vigueur en 2016 et compte actuellement
66 Parties (dont l’Union européenne). Il a pour objectif de prévenir, de
contrecarrer et d’éliminer la pêche illicite, non déclarée et non
réglementée en empêchant les navires qui s’y livrent d’utiliser
les ports et de débarquer leurs prises.
22. La Convention sur la prévention de la pollution des mers résultant
de l’immersion de déchets
, connue sous le nom de Convention
de Londres de 1972, est l’une des premières conventions mondiales
visant à protéger le milieu marin. Elle est entrée en vigueur en 1975
dans le but de promouvoir le contrôle efficace de toutes les sources
de pollution. En 1996, un nouveau protocole a modernisé la protection
initiale. Bien que la Convention ait permis une certaine protection
et un contrôle, les mers étouffent à cause de la pollution. Les membres
de l’Assemblée devraient engager leurs parlements en adoptant des
lois nationales fixant à 30 % la part du domaine maritime protégé.
23. La Convention internationale pour la prévention de la pollution
par les navires
, de 1973, vise la prévention de
la pollution du milieu marin due aux navires, tant accidentelle
que découlant d’opérations de routine. Appliqué à la préservation
du milieu marin, le principe du « pollueur‑payeur » est issu de
la Déclaration de Rio de 1992. Il est désormais communément admis
que ceux qui sont à l’origine d’une pollution doivent prendre en
charge le coût de la réparation des dommages causés. Aussi les dommages
ne sont plus de la responsabilité de la collectivité ou des générations
futures. Ce principe est à l’origine d’une avancée importante, mais
n’est pas toujours suffisamment pris en compte
.
24. Le 4 mars 2023, un accord historique a été conclu au siège
des Nations Unies à New York sur la protection de la biodiversité
marine en haute mer, en particulier dans les zones situées au-delà
des juridictions nationales (BBNJ
,
connu également sous le nom de Traité sur la haute mer). Cet accord
réglemente les eaux internationales, c’est-à-dire toutes les parties
de la mer qui ne se trouvent « ni dans les eaux sous juridiction d’un
État, ni dans la mer territoriale d’un État, ni dans les eaux archipélagiques
d’un État archipélagique », selon l’article 86 de la Convention
des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM). La nouvelle convention
modifie profondément le droit existant car elle comble un vide juridique,
puisque seulement 1,2 % de la haute mer est protégée à ce jour
. Elle modifie une gouvernance qui
était auparavant complexe et fragmentée, à l’intérieur et à l’extérieur
des eaux territoriales. La haute mer est désormais considérée comme
un « bien public mondial » qui couvre un peu plus de la moitié de
la surface du globe ou 64 % des océans
.
25. Le Traité sur la haute mer établit un cadre juridique qui
vise à placer 30 % des océans du monde dans des zones protégées
d’ici à 2030, à mobiliser plus de ressources dédiées à la conservation
marine et à réglementer l’accès aux ressources génétiques marines
et leur utilisation.
Ce traité vise à atteindre les objectifs
liés aux océans du
Programme
des Nations Unies de développement durable à l’horizon 2030 et du
Cadre mondial
pour la biodiversité de Kunming-Montréal. En plus de l’inscription au patrimoine commun de l’humanité,
les États internationalisent les décisions sur les études d’impact
environnemental ; partagent justement et équitablement les avantages découlant
des ressources génétiques marines ; créent des aires protégées marines afin
de préserver, restaurer et maintenir la biodiversité ; et enfin,
partagent des connaissances scientifiques et des innovations techniques
liées à la haute mer
.
26. Tout en reconnaissant les progrès, il me semble important
d’aller plus loin, après la reconnaissance du droit à l’environnement
sain par les Nations Unies et au moment où il est en voie de l’être
au sein du Conseil de l’Europe. En choisissant une approche basée
sur les droits humains, l’OMI a fait un pas vers le consensus international.
Elle doit désormais s’appuyer sur un «océan sain» et à son tour
diffuser les droits humains procéduraux dans l’ensemble de son mandat
et de ses institutions.
3.2. Les
mers intérieures
27. En plus d’être une Partie influente
à l’OMI, la Commission européenne est un régulateur majeur des activités
se terminant dans les ports de l’Union européenne. Ses compétences
couvrent non seulement le secteur des transports, mais aussi celui
de la pêche, des migrations, de la lutte contre la pollution maritime
et des actions en faveur de la biodiversité. Elle dispose d’une
politique intégrée maritime établie sur cinq axes: la croissance
bleue, les données et connaissances maritimes, la planification
de l’espace maritime, la surveillance maritime intégrée et la stratégie
pour les bassins maritimes.
Le 21 février
2023, la Commission européenne a présenté son plan d’action visant
à protéger 30 % des zones maritimes bordant l’Union européenne d’ici
à 2030, notamment en élargissant les aires marines protégées (AMP),
avec l’objectif d’arrêter la pratique du chalutage dans celles-ci
.
Les principaux objectifs des mesures proposées par la Commission européenne
sont de promouvoir l’utilisation de sources d’énergie plus propres ;
de réduire la dépendance à l’égard des combustibles fossiles ainsi
que de freiner l’incidence du secteur de la pêche sur les écosystèmes marins ;
et atteindre la neutralité carbone dans l’Union européenne d’ici
à 2050.
28. La Commission européenne incite les États membres à prendre
des mesures de conservation des pêcheries afin de protéger et de
gérer efficacement les AMP, en établissant un calendrier précis.
La Commission européenne invite ainsi les États membres à proposer
des recommandations communes et à prendre des mesures nationales
pour supprimer progressivement le chalutage dans toutes les AMP
d’ici à 2030 au plus tard. Les premières mesures devraient être
prises d’ici mars 2024 pour les sites Natura 2000 au titre de la
directive européenne « Habitats » (conservation des habitats naturels
ainsi que de la faune et de la flore sauvages) qui protège aussi
les fonds marins et les espèces marines.
Par
ailleurs, un consensus a été trouvé sur la restauration de la nature
en novembre 2023. La future loi fixera l’objectif de restaurer au
moins 20 % des zones terrestres et maritimes de l’Union européenne
d’ici à 2030 et tous les écosystèmes qui en ont besoin d’ici à 2050.
29. Le réseau « Natura 2000 » est l’outil de protection de la
biodiversité marine mis en place par la Commission européenne en
s’appuyant sur la Convention de Berne, relative à la conservation
de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, à laquelle elle
a adhéré. Elle soutient la mise en place d’AMP en Europe. Natura 2000
fut établie par les directives européennes Oiseaux (1979, révisée
en 2009) et Habitats (1992). Elle a pour objectif d’assurer, à travers
des mesures de gestion adaptées, la conservation ou le rétablissement
des habitats naturels et des espèces les plus précieuses ou menacées
en Europe. Le réseau Natura 2000 est composé de sites naturels terrestres
et marins, proposés et gérés par chacun des États membres de l’Union
européenne. Les sites Natura 2000 sont considérés comme la contribution
des États membres de l’Union européenne au réseau paneuropéen Émeraude
de la Convention de Berne, découlant des obligations de l’Union
européenne en tant que partie à cette convention.
30. Les sites Natura 2000 ayant une partie marine ou exclusivement
marins composent le réseau d’
aires marines
protégées Natura 2000.
Le réseau Natura 2000
s’étend dans les eaux marines de 23 pays
.
Ces sites visent à conserver un large éventail d’espèces marines
rares, vulnérables ou menacées, ainsi que certains habitats marins
caractéristiques. En 2017, les sites marins Natura 2000 couvraient
515 000 km2, soit 8,9 % des mers de
l’Union européenne. Ils se situent principalement dans les eaux
côtières et proches du rivage. Plusieurs sites du Réseau Émeraude
(et les parcs candidats à la classification) ont également une partie
marine ou sont exclusivement marins
. Actuellement, les AMP ne couvrent
que 12% des zones maritimes de l’Union européenne, or le degré de
qualité de la protection est très variable
. La protection réelle peut être inexistante.
Moins de 1% des zones côtières seraient effectivement protégées.
C’est trop peu pour mettre en place une protection efficace et effective
de la biodiversité
.
31. Le Comité permanent de la Convention de Berne poursuit un
certain nombre d’activités ayant un lien direct avec les mers et
les océans. C’est le cas de l’initiative de conservation des tortues
marines migrantes en mer Méditerranée. Le Comité permanent suit
également plusieurs dossiers de plaintes pour violation alléguée
de la Convention en lien avec la protection de la biodiversité dans
les mers et océans. Plusieurs diplômes européens ont aussi été octroyés
à des espaces marins ayant un intérêt européen exceptionnel pour la
conservation de la diversité biologique, géologique ou paysagère
et faisant l'objet d'une gestion exemplaire
et à des zones humides en contact
direct avec la mer. Depuis 2007, un groupe d’experts examine tout
type de sujet lié à la biodiversité et au changement climatique
y compris en milieu marin
. Le Comité permanent de la Convention
de Berne a également créé, en 2009, un Groupe d'experts de la biodiversité
des îles d'Europe qui a élaboré une Charte de la sauvegarde et de
l'utilisation durable de la diversité biologique des îles d'Europe
. La Convention de Berne est tout
à fait outillée pour contribuer à une meilleure protection des mers
et des océans en Europe. Il est essentiel que nos États et nos parlements
lui apportent leur soutien.
32. Pour évoquer une coopération future, j’ai rencontré des experts
de l’OMI en visioconférence le 20 novembre 2023. Au moment où cette
organisation étend la dimension humaine de ses activités, le Conseil de
l’Europe, dans le cadre de la Charte sociale européenne (STE no 35),
pourrait lui apporter son appui en ce qui concerne l’activité professionnelle
qui dépend de la mer. J’invite par conséquent le Comité des Ministres
à prendre en compte les océans et les mers lors de la préparation
de documents stratégiques y compris lorsqu’il organise sa coopération
et son assistance technique avec les pays voisins.
4. Sensibilisation
du public à l’état des mers internationales et effectivité de la
protection des droits humains
33. Pour protéger efficacement
les droits humains et la santé des mers et océans, nous devons aborder différents
secteurs et phénomènes sous l’angle des droits humains. Il s’agit
d’évoquer comment ils doivent interagir avec des secteurs essentiels:
la pêche, l’économie bleue, l’exploitation minière des fonds marins,
les événements extrêmes et la pollution par les déchets plastiques,
mais aussi comment renforcer la protection des personnes les plus
vulnérables à travers la protection des droits des enfants, des
droits des populations autochtones, de la justice climatique et
des activistes défendant l’environnement marin.
34. Les mers limitrophes de l’Europe souffrent toutes de la crise
climatique, mais la situation dans l’Arctique est encore plus préoccupante.
C’est probablement la région qui est la plus touchée par la surchauffe
climatique d’après une étude scientifique récente
.
35. Au-delà de l’impact sur les écosystèmes, les effets sur les
populations côtières sont désastreux. Ils dépassent le phénomène
de la montée des eaux. La triple crise a tout d’abord des répercussions
sur le droit à la vie, mais elle en a aussi sur les autres droits
humains. Elle touche la santé telle que l’entend l’Organisation mondiale
de la Santé, mais aussi les droits socio-économiques visés par la
Charte sociale européenne. Je note que le Conseil de l’Europe a
reçu le statut d’observateur à l’OMI en 1974 et me réjouis des opportunités qu’ouvrirait
une convergence des travaux entre nos organisations.
36. Face à la situation catastrophique, les citoyens doivent mieux
comprendre la triple crise pour engager un changement bénéfique
des mentalités. À ce titre, je me réjouis d’avoir participé au projet
Fresque du climat, à l’occasion des activités du Réseau de parlementaires
de référence pour un environnement sain, au Maroc en mars 2023.
J’encourage l’ensemble des membres de l’Assemblée à en faire autant.
Pour atteindre cet objectif, les États membres doivent assurer le
droit d’accès à l’information, la participation du public aux processus
décisionnels sur les questions environnementales et communiquer
des informations intelligibles au grand public. L’état des mers
et des océans compromet l’exercice des différents droits, alors
que conformément à la Convention d’Aarhus
,
tous les citoyens européens ont le droit d’accéder à l’information, de
participer au processus décisionnel et d’avoir accès à la justice
en matière d’environnement.
37. Les experts de l’agence publique américaine en charge des
mers annoncent que l’océan Atlantique n’a jamais été aussi chaud
. Il est hautement probable que cette
« canicule marine » induise un stress important sur les herbiers
marins qui sont non seulement à l’origine de l’oxygène dont nous
avons besoin, mais aussi qui sont des puits de carbone essentiels.
Ces épisodes de chaleur déstabilisent aussi les écosystèmes côtiers
et a fortiori ceux qui y habitent et qui subissent les morts de
mammifères marins et la chute des pêcheries. Ils sont à l’origine
de milliards d’USD de perte. La gravité des épisodes de 2023 n’a
pas pu être anticipée. Nous savons cependant grâce au GIEC que ces
événements extrêmes seront de plus en plus fréquents et violents.
38. Plusieurs phénomènes constituent des menaces connues sur les
mers et les océans. Le 6ème continent
est
la plus grande des cinq concentrations marines de plastique. Il
est plus vaste que l’Allemagne, la France et la Suède réunies. Il
est composé d’approximativement 1,3 milliard de fragments de plastique,
sa masse est d’actuellement environ 80 000 tonnes et il est en perpétuel
accroissement. D’après le Programme des Nations Unies pour l’environnement
(PNUE), la quantité de plastique dans les océans pourrait tripler
d’ici à 2040 avec 37 millions de tonnes de déchets ajoutées chaque
année
.
Les plastiques posent non seulement un problème en matière de sécurité
et de santé des animaux marins, ils ont aussi un impact sérieux sur
la santé et l’économie humaines. Sur les 700 espèces qui subissent
les débris flottant en mer, 92 % rencontrent du plastique et 17 %
figurent sur la liste rouge mondiale des espèces menacées de l’Union internationale
pour la conservation de la nature.
39. Les plastiques entrent aussi dans la chaîne alimentaire par
le phénomène de la bioaccumulation. On retrouve des particules jusque
dans le corps humain. L’impact économique mondial de la pollution
marine au plastique a été estimé à 19 milliards USD
. Une carte de l’Europe modélisant
le coût pour chaque pays européen est publiée sur le site de The
Ocean Clean Up
. Je me félicite que les États membres
des Nations Unies se soit accordés en 2022 sur l’adoption d’un traité
international contraignant pour mettre fin à la pollution plastique
d’ici à 2024. Il faut que le mandat des négociateurs de ce nouveau
traité soit renforcé afin de prendre en compte l’ensemble du cycle
de vie des plastiques et pas seulement les rejets dans l’océan.
Nous avons besoin de mesures simples et mondiales de réduction de
la fabrication des plastiques. Pour y arriver, un vaste exercice
démocratique et transparent est nécessaire, à l’abris des possibles
conflits d’intérêts.
40. La pêche illégale demeure importante. Elle représente entre
20 et 30 % de l’ensemble du secteur de la pêche et s’élève à 10
à 20 milliards USD par an. Elle menace directement la biodiversité
et les efforts visant à protéger les zones de reproduction des espèces
menacées de poissons. En tant que consommateurs, nous pouvons agir
pour mettre fin à cette pêche illégale. La Cour des comptes de l’Union
européenne a publié, le 26 septembre 2022, un rapport sur la pêche
illicite, concluant à l’efficacité partielle des systèmes de contrôle mis
en place pour lutter contre celle-ci. Les différences dans l’ampleur
et la qualité des contrôles au niveau des États membres risquent
de compromettre l’efficacité du système de traçabilité et de contrôle
à l’importation. Par ailleurs, ce système ne repose pas suffisamment
sur des outils numériques, ce qui nuit à son efficacité et accroît
le risque de fraude
. Je constate
que tous les moyens pour mettre fin à la pêche illicite, non déclarée et
non réglementée ne sont pas mis en œuvre
. La traçabilité est essentielle dans
ce contexte pour que les consommateurs ne soient plus complices
de criminels sans scrupules qui détruisent la biodiversité marine.
Les activités de pêche illégale, non déclarée et non réglementée
constituent une menace majeure pour l'ensemble de l'océan et des
stocks de poissons.
41. La surpêche est aussi un problème social et économique. Les
nouvelles technologies ont permis d’augmenter les capacités de pêche.
En conséquence, la biodiversité diminue, ce qui détériore encore davantage
l’écosystème marin, mais menace aussi les droits des générations
futures. En application de l’article 6 de la Convention d’Aarhus,
les autorités pourraient demander l’avis des citoyens. Est-il possible d’élargir
la participation citoyenne à la prise de décision ?
42. La prolifération d’algues a fait mourir un nombre croissant
de zones littorales où la vie aquatique n’est plus possible. La
prolifération d'algues nuisibles a souvent été signalée au cours
des dernières années et doit faire l'objet d'une surveillance à
l'échelle nationale ou régionale. Les mangroves et les récifs coralliens disparaissent
aussi. Le réchauffement de la planète a eu des effets irréversibles
sur les mers et les océans
. Le
point de bascule a été franchi dès 2014.
43. L’incidence complète de la pandémie de covid-19 sur les ressources
maritimes demeure inconnue. Un des effets immédiats a été la forte
réduction des observations océaniques, avec le rappel au port d’attache
de tous les navires de recherche. La recherche océanique internationale
risque de ne jamais se relever suffisamment pour pouvoir contribuer
au règlement de la crise climatique. La pandémie est aussi à l’origine
de pollutions directes hors normes, à cause des masques et autres
plastiques utilisés pour les tests, en particulier dans les mers
qui bordent l’Europe (Baltique, Méditerranée, Noire, etc.).
44. L’état des mers internationales s’est aussi aggravé avec la
prolifération des navires battant « pavillon de complaisance » pour
profiter d’une réglementation moins restrictive en matière d’environnement,
exploiter des navires qui ne répondent pas aux normes et payer moins
de taxes
. Entre 2002 et 2019, le pourcentage
de navires appartenant à des armateurs de pays de l’Union européenne
immatriculés dans des pays à faible revenu est passé de 46 % à 96 %.
D’après des chercheurs
,
les traités internationaux (notamment la Convention de Bâle de 1992
sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux
et de leur élimination et la Convention internationale de Hong Kong
de 2009 pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires
)
sont inefficaces car ils n’empêchent pas une aggravation de la situation.
En tant que consommateurs, nous devrions tous être conscients du
trop faible engagement de la responsabilité des entreprises internationales.
Il est grand temps de changer nos habitudes. Je souhaite à ce sujet
rendre hommage au travail de Michel Forst, rapporteur spécial des
Nations Unies sur les défenseurs de l'environnement au titre de
la Convention d'Aarhus qui intervient directement auprès des dirigeants
des grandes entreprises ayant leur siège dans un État partie à la
Convention.
45. Il convient de garder à l’esprit que le transport maritime
continue de progresser. En 2022, les capacités mondiales ont augmenté
de 63 millions de tonnes
en atteignant 2,2 milliards
de tonnes. 80 % du fret mondial est actuellement acheminé par bateau.
Nous sommes complices de cette situation par nos modes de vie. L’OMI
a adopté, le 7 juillet 2023, une stratégie révisée pour réduire
les émissions de gaz à effet de serre provenant des transports maritimes
pour arriver à réduire à zéro les émissions en 2050
. Je pense néanmoins qu’il ne sera
pas matériellement possible de garder le trafic à son niveau historique.
Au-delà de la recherche d’une « transition juste et équitable »,
j’estime que la fin prévue du pétrole provoquera à terme une baisse importante
du trafic.
46. Avec la croissance du fret mondial se pose aussi la question
de la protection sociale adéquate des gens de mer. L’Organisation
internationale du Travail a adopté la Convention du travail maritime
en 2006
. Cette convention est la dernière
pièce maîtresse d’une série de normes internationales offrant un
cadre aux activités des gens de mer. La Commission européenne contribue
activement à la consolidation du cadre. Elle a proposé un accord
entre les partenaires sociaux pour améliorer les conditions de travail
des gens de mer à bord de navires battant pavillon de l’Union européenne,
accord qui serait inscrit dans le droit de l’Union européenne. Elle
a fait quelques progrès, mais je me demande si ces progrès sont
conformes à la Charte sociale européenne. Il en va de même de la
situation critique des migrants et migrantes qui essaient désespérément de
traverser la mer Méditerranée ou la Manche
.
47. La pandémie de covid-19 a fait ressortir le rôle essentiel
et vital des travailleurs de la mer chargés d’acheminer les marchandises
vers les consommateurs finaux. Les gens de mer
ont été confrontés à des difficultés
supplémentaires en raison de la pandémie. Régulièrement oubliés,
ils devraient pourtant être considérés comme il se doit pour ce
qui est de l’accès à l’éducation et à la formation professionnelle
(ODD 4), du travail décent (ODD 8), de l’industrie (ODD 9) et de
l’égalité entre les sexes (ODD 5). Ces personnes essentielles méritent
de voir leurs droits protégés à des niveaux appropriés lorsqu’elles
livrent des marchandises en Europe. L’Assemblée n’a jamais travaillé
sur la situation des gens de mer à bord de navires battant « pavillon
de complaisance ». Il est temps de traiter cette question également.
48. En 2022, l’OMI a célébré la première journée internationale
des femmes du secteur maritime
. Elle a mis en évidence la contribution
des femmes au secteur et vise à promouvoir le recrutement, le maintien
et l’emploi durable des femmes dans le secteur maritime, à mieux
faire connaître les femmes qui travaillent dans ce secteur, à renforcer
l’engagement de l’OMI envers l’ODD 5 et à soutenir les travaux visant
à remédier aux déséquilibres actuels entre les sexes dans le secteur
maritime.
49. En tant que gardien des droits humains en Europe, le Conseil
de l’Europe pourrait contribuer aux travaux de l’OMI pour mettre
en avant la dimension humaine des activités maritimes. Pour atteindre
cet objectif, je recommande que l’Organisation adopte des documents
stratégiques relatifs aux mers et aux océans de manière à ce que
les normes européennes s’appliquent plus largement. Dans sa
Résolution 1694 (2009), l’Assemblée appelait à prendre des mesures pour sensibiliser
la société au problème des océans et à leur potentiel. L’objectif
de cette résolution n’a pas été pleinement compris. Le présent rapport
a pour objet de faire en sorte que tous les secteurs de l’activité
maritime répondent à un niveau plus élevé de protection des droits humains.
5. Les
mers et les océans sains sont l’avenir de l’Europe
50. Je suis profondément préoccupée
par la situation des mers Noire et d’Azov en Ukraine. Tout d’abord, le
pont de Kertch qui a été construit illégalement sur le territoire
occupé de la péninsule de Crimée, sans le consentement de la partie
ukrainienne, a détruit la biodiversité et les écosystèmes. La construction
a été extrêmement dommageable pour la qualité des eaux et les habitants
de la région. Elle a eu un impact sur la sécurité sismique de cette
partie de l’Europe. Les experts notent que « le pont est construit
dans des conditions techniques et géologiques complexes, sur des
courants marins actifs en surface, causant l’accumulation de sédiments,
l’érosion côtière, des inondations et des changements de vents ;
son fonctionnement est menacé par des risques de mouvements tectoniques ».
Les écosystèmes marins de l’île de Tuzla et du golfe de Taman ont
également été endommagés
. La militarisation des mers d’Azov
et Noire, y compris des ports maritimes, pourrait constituer le
crime d’écocide et une violation du droit international humanitaire
qui doivent être poursuivis. Enfin, les actions militaires dans
et autour des mers ont aggravé la crise environnementale, provoquant
de graves déséquilibres dans les écosystèmes. L’intensification
du trafic sur le pont de Kertch a causé l’augmentation de la température
des eaux et de la pollution, mais aussi de l’air. Des milliers de mammifères
meurent à cause des opérations de la marine de guerre russe, non
seulement sur la côte ukrainienne, mais aussi près des côtes de
la Roumanie, de la Bulgarie et de la Türkiye. Ces mortalités massives
inhabituelles et ces échouages de dauphins doivent également être
mieux surveillés par les autorités compétentes.
51. Depuis un quart de siècle, les instances de notre continent
échouent à la mise en place d’un crime environnemental qui rendrait
possible de traduire en justice des entités qui polluent et détruisent
notre environnement. Le 6 juin 2023, la destruction du barrage de
Khakovka sur le Dniepr (Ukraine) a causé la pire catastrophe écologique
en Europe depuis Tchernobyl
détruisant des paysages et privant
la population d’eau potable. Ses conséquences se font ressentir
jusqu’en mer Noire où ont été poussés des polluants et des cadavres
d’animaux. Les conséquences de ce crime contre la nature pourraient
encore s’aggraver si la centrale nucléaire de Zaporijjia était attaquée
à son tour par les forces armées russes
.
52. L’agression unilatérale par la Fédération de Russie contre
mon pays est actuellement documentée afin de poursuivre, dans les
meilleurs délais, tous les responsables russes ayant commis les
quatre crimes graves (génocide, crime contre l’humanité, crime d’agression
et crime de guerre). Actuellement, les Ukrainiens travaillent à
la collecte de preuves concernant une cinquième catégorie: le crime
contre l’environnement et l’écocide
. Il n’est pas question de laisser
l’environnement être la victime silencieuse de l’invasion.
53. Je compte sur l’adoption, dans les meilleurs délais, en Europe,
de la nouvelle convention sur la protection de l’environnement,
y compris des mers et des océans, par le droit pénal. Dans la mesure
où ce sujet me tient à cœur, je compte organiser un événement en
marge d’une partie de session 2024 de l’Assemblée. Je souhaite que
les responsables de crimes contre l’environnement, personnes physiques
et morales, puissent être poursuivis dès lors qu’ils ont des activités
dans un de nos États membres. Je prends bonne note des récentes
avancées réalisées sur ce sujet par l’Union européenne.
54. Je soutiens la décision des chefs d’États et de gouvernements
de lancer le processus de Reykjavík. J’attends de la part du Comité
des Ministres qu’il crée dans les meilleurs délais le Comité de
Reykjavík. J’attends de ce comité qu’il soit en mesure, entre autres,
de soutenir les politiques de protection des mers et des océans,
afin de renforcer le lien entre les droits prévus dans la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5)
et l’environnement.
55. Le changement climatique a des répercussions à long terme
sur l’environnement qui exigent une intensification urgente de la
protection des milieux marins, des investissements dans les sciences
océaniques et un soutien aux communautés de pêche artisanale et
une gestion durable des océans
. Pour accompagner ce changement,
l’ONU a déclaré une Décennie pour les sciences océaniques au service
du développement durable de 2021 à 2030, afin de créer un cadre
d’action commun pour renforcer les efforts de conservation et de
durabilité. Il faudra aussi exploiter davantage les autres solutions
orientées vers la nature: la convention de Bonn sur la conservation
des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, la convention
RAMSAR sur les zones humides d’importance internationale, les stratégies
de conservation des cétacés, etc.
56. En prenant comme modèle la protection des sanctuaires établie
par la Convention de Berne, la protection des grands parcs marins
présente de multiples avantages, dont la préservation de la biodiversité
et leur utilisation comme puits de carbone et de chaleur. Seuls
2 % des océans et des mers sont actuellement protégés. Au moins
30 % doivent l’être d’ici à 2030, comme l’a souligné John Kerry,
envoyé spécial du Président des États-Unis pour le climat. L’exploitation
minière en eaux profondes et l’exploitation minière des fonds marins
risquent de menacer gravement le droit à un environnement sain.
Je suis d’avis qu’aucun projet de conquête effrénée en matière d’exploitation
ne devrait être étudié avant que les risques soient connus et que
tout dommage éventuel soit évité.
57. Que ce soit dans le dernier plan d’action destiné à verdir
le secteur de la pêche
de la Commission européenne du 21 février
2023 ou dans l’accord historique de mars 2023 aux Nations Unies
à l’issue duquel les États se sont mis d’accord sur un traité sur
la haute mer, l’outil des AMP a été largement mis en avant pour protéger
la biodiversité et les milieux marins. À l’échelle de l’Union européenne,
en 2020, seulement 7,2 % des eaux (hors territoires d’outre-mer)
bénéficiaient du statut d’AMP via Natura 2000, d’après l’Agence
européenne de l’environnement; cette couverture est passée à 12,1 %
en 2021
. Ces chiffres
sont donc toujours très loin de l’objectif des 30 % d’AMP dans les
mers de l’Union européenne d’ici à 2030, ce qui représenterait 11 millions
de km2 protégés, dont 10 % « strictement »
(c’est-à-dire privés de toute activité humaine potentiellement destructrice).
58. L’Union internationale pour la conservation de la nature s’insurge
régulièrement contre les critères définissant les AMP en jugeant
que leur complexité ne répond pas à une protection efficace et effective
des mers et des océans. Elle demande aux États de s’engager pour
que, d’ici à 2030: la disparition des espèces et le déclin de la
santé des écosystèmes cessent et que la restauration commence ;
que l’accès équitable aux ressources en eau et à tous les services
écosystémiques associés soit garanti ; et que les décisions sur
la gouvernance de l’eau, les lois et l’investissement tiennent compte
des valeurs multiples de la nature et des connaissances sur la biodiversité
.
59. Le Conseil de l’Europe se positionne en faveur de la création
de réseaux d’AMP dans toutes les mers d’Europe. Ses objectifs sont:
- mieux cerner les éléments de
la biodiversité protégés dans les AMP ;
- améliorer la compréhension de la façon dont les systèmes
marins sont interconnectés afin de mieux délimiter et planifier
les AMP en Europe, et améliorer la connectivité et la représentativité
des réseaux d’AMP ;
- mieux gérer les AMP et optimiser leur conservation ;
- améliorer les mécanismes de notification et les flux de
données à travers l’Europe, en particulier dans les zones abritant
des espèces et des habitats protégés ;
- partager les connaissances et l’expérience concernant
la réaction de la vie marine européenne aux pressions et les résultats
des régimes de gestion destinés à la protéger ;
- et enfin, mesurer avec précision la mesure dans laquelle
les AMP et le réseau dans son ensemble atteignent l’objectif qui
leur est assigné.
Le Conseil de l’Europe
insiste sur la nécessité de trouver un équilibre entre l’objectif
de préservation de la biodiversité et des milieux marins et la protection
des droits socio-économiques.
60. En décembre 2022, la quinzième réunion de la Conférence des
Parties à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique
a débouché sur l’adoption historique
du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal. Ce cadre
se compose de quatre objectifs globaux à l’horizon 2050 axés sur
la santé des écosystèmes et des espèces, notamment pour mettre fin
à l’extinction d’espèces d’origine humaine, l’utilisation durable
de la biodiversité, le partage équitable d’avantages, ainsi que
la mise en œuvre et le financement, notamment pour combler le déficit
de financement de la biodiversité qui s’élève à 700 milliards USD.
6. Conclusions
61. Lors du One Ocean Summit
, l’océanographe
Gilles Leboeuf a rappelé que tout être humain possède un peu de
chlorure de potassium dans le sang, hérité de l’océan. Chaque individu
conserve un lien existentiel avec l’océan qu’il convient de préserver.
Dans un contexte environnemental dégradé, une organisation de défense
des droits humains, de la démocratie et de l’État de droit comme
le Conseil de l’Europe a pour rôle de renforcer le lien particulier
entre droits humains et environnement, y compris les mers et océans.
62. Je me réjouis que le Conseil de l’Europe ait entrepris d’apporter
ses propres réponses à la triple crise en initiant le processus
de Reykjavík et en reconnaissant, au niveau politique, le droit
à un environnement sain, propre et durable à l’occasion du 4ème Sommet
des chefs d’États et de gouvernements. Conformément à la déclaration
finale, je compte sur la création et le démarrage rapide des travaux
du Comité de Reykjavík. Le Conseil de l’Europe doit contribuer à
la mise en réseau des bonnes volontés et offrir une agora à la société civile
et à la jeunesse.
63. Je m’inquiète des récentes atteintes portées aux mers et océans,
en particulièrement la décision des autorités norvégiennes d’autoriser
l’exploration et l’exploitation des ressources minières en haute
mer. Je m’oppose aux idées de conquête sauvage, aux conséquences
non maîtrisées, en matière d’exploitation des mers.
64. L’adoption historique du Cadre mondial de la biodiversité
de Kunming-Montréal en décembre 2022 fixe à 30 % au moins la part
du domaine maritime spécifiquement protégé d’ici à 2030. Ce seuil
minimal est essentiel pour permettre la reprise de la biodiversité.
Il implique la mise en réseau des habitats protégés. Nous devons
changer de paradigme et mieux prendre soin des mers et des océans.
Je souhaite aussi que la réhabilitation des zones endommagées soit
une priorité. Il convient de soutenir les travaux réalisés dans
le cadre de la convention de Berne. Je me félicite de la décision
de renforcer les outils dont dispose le Conseil de l’Europe en matière
de protection de l’environnement dans le cadre du processus de Reykjavík,
en assurant leur pérennité à travers la mobilisation de ressources
stables. Je compte sur les États membres pour ne pas laisser ces
instruments s’abimer, faute de financement pérenne. Le budget du
Conseil de l’Europe doit prendre en compte le déploiement exigé
après le sommet de Reykjavík.
65. De plus, j’encourage le Conseil de l’Europe à renforcer la
capacité des États membres à introduire une nouvelle infraction
permettant la poursuite pénale des responsables d’atteintes à l’environnement,
aux mers et aux océans. L’environnement, les mers et les océans
ne doivent pas être des victimes silencieuses.
66. Pour accompagner la profonde mutation de nos sociétés, le
Conseil de l’Europe doit inclure les océans et les mers dans sa
réflexion stratégique. Il convient de promouvoir les droits humains,
en se fondant sur le dialogue, l’assistance entre pairs et l’amélioration
constante de l’intervention publique. Ces actions pourraient favoriser
une approche intégrée pour faire face aux violations attestées des
droits humains des travailleurs de la mer, des migrants, des communautés
côtières, des minorités ethniques et d’autres personnes vulnérables. En
tant que gardien des droits humains en Europe, le Conseil de l’Europe
pourrait contribuer au mandat de l’OMI pour mettre en avant la dimension
humaine des activités maritimes à travers une approche basée sur les
droits humains. Je me réjouis que le Conseil de l’Europe puisse
mettre en œuvre son statut d’organisation observatrice au sein de
l’OMI, acquis en 1974. Je compte sur une bonne coopération entre
nos organisations, y compris à travers l’assistance technique avec
l’aide de l’Union européenne.
67. Les océans et les mers doivent être pris en compte dans nos
politiques d’atténuation, d’adaptation et de résilience pour faire
face à la crise climatique. De grands débats portent sur la gouvernance
des océans, la biodiversité et la pollution plastique. La première
chose à faire pour discuter de la gouvernance des océans est d’associer
le plus grand nombre de personnes possible, en particulier celles
qui vivent directement en bord de mer et dont les activités et la
survie dépendent des océans et des mers.
Il n’existe pas de solution facile
face à une situation aussi complexe où les intérêts des parties
prenantes sont divers. Parmi ces dernières, le poids des entreprises
privées et des acteurs économiques du secteur maritime (ports, compagnies
maritimes, etc.) ainsi que des unités de gouvernance locale et des
autorités régionales ne saurait être oublié dans la volonté d’atteindre
l’objectif d’un transport maritime à zéro émission d’ici à 2050
. De nombreux facteurs entrent en jeu
s’agissant des questions relatives à la mer, de l’exploitation minière
en eaux profondes à la condition des gens de mer, en passant par
les demandeurs d’asile, la pollution plastique, etc.
68. La place des femmes dans cette perspective sera importante
pour parvenir à une transformation durable. Même si le secteur maritime
est dominé par les hommes, les femmes y sont nombreuses. Leur rôle dans
la gouvernance des océans et des mers devrait être revu. Victimes
de discrimination, les femmes sont devenues très vulnérables, d’où
la nécessité de les inclure, car elles représentent la moitié de
la communauté mondiale et sont tout aussi exposées à la pollution
maritime. Ce déséquilibre s’applique aussi à la recherche océanique,
où les femmes ne représentent que 27 %.
69. Au-delà de la crise climatique, les mers et océans qui bordent
le Conseil de l’Europe sont le théâtre d’infractions graves. Il
n’est pas normal qu’autant de personnes fuyant leur pays disparaissent
chaque année durant leur traversée. En interpellant les autorités
italiennes depuis Lampedusa en juin 2023
, la Commissaire aux droits de l’homme,
Dunja Mijatović, a souligné qu’il était temps de mettre fin aux
politiques et aux pratiques qui entravent les activités de recherche
et de sauvetage en mer des ONG: « Il est essentiel que les ONG puissent
continuer à sauver des vies. La pénalisation de leurs activités
va à l’encontre des obligations de l’Italie en vertu du droit international ».