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Rapport | Doc. 15994 | 06 juin 2024

Le respect des obligations et engagements de l’Arménie

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : M. Kimmo KILJUNEN, Finlande, SOC

Corapporteur : Mme Boriana ÅBERG, Suède, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Résolution 1115 (1997). 2024 - Troisième partie de session

Résumé

Dans le présent rapport, la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi) évalue le respect des obligations et engagements de l’Arménie. Elle félicite le pays pour la poursuite d’un programme de réformes ambitieux en dépit d’un environnement international complexe mettant en jeu la stabilité du pays.

La commission de suivi se félicite des réformes du droit électoral et de la tenue de trois élections consécutives sans irrégularités sérieuses et considère que l’objectif de tenir des élections véritablement démocratiques a été atteint dans une large mesure. Dans le même temps, elle regrette que ces améliorations n’aient pas permis de réduire la polarisation politique et appelle les partis de la majorité et de l’opposition à chercher des voies pour créer des consensus transpartisans.

La commission se félicite des efforts continus pour améliorer l’indépendance du pouvoir judiciaire et pour combattre la corruption systémique et encourage l’Arménie à poursuivre ses efforts pour mettre sa législation, ses institutions et ses pratiques davantage en conformité avec les normes du Conseil de l’Europe dans les domaines des droits humains, de l’État de droit et de la démocratie. Elle décide de poursuivre la procédure de suivi et attachera une importance particulière à la mise en œuvre des réformes relatives au système judiciaire, au secteur des médias et à la liberté d’expression.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 17 mai 2024.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire félicite l’Arménie de son engagement constant pour le développement démocratique malgré les difficultés considérables qu’elle rencontre en matière de sécurité. Face à un environnement international complexe et des défis pour la stabilité du pays, l’Arménie mène un programme de réformes ambitieux.
2. L’Assemblée suit l’évolution de la situation dans le pays depuis l’adoption de sa Résolution 2427 (2022) «Le fonctionnement des institutions démocratiques en Arménie». Elle renvoie à la note d’information (AS/Mon(2023)05rev) sur la situation dans le corridor de Latchine et à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan examinée en mars 2023 par la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi), qui appelait à une action immédiate et à la cessation de l’obstruction illégale et illégitime du corridor de Latchine, ainsi qu’à sa Résolution 2508 (2023) «Assurer un accès libre et sûr par le corridor de Latchine», dans laquelle elle soulignait «que la situation actuelle n’est pas tenable et pourrait contraindre les membres de la population arménienne à quitter leur domicile et leur communauté».
3. En septembre 2023, l’armée azerbaïdjanaise a pénétré dans la partie de la région du Haut-Karabakh placée sous la protection des troupes russes de maintien de la paix. Par crainte des conséquences, la grande majorité de la population de la région a fui vers l’Arménie en l’espace de quelques jours. L’Assemblée rappelle sa Résolution 2517 (2023) et sa Recommandation 2260 (2023) «Situation humanitaire dans le Haut-Karabakh», dans lesquelles elle regrettait vivement que la quasi-totalité de la population arménienne de la région – plus de 100 600 personnes – ait quitté sa patrie ancestrale et fui en Arménie. L'Assemblée prend également note des «Observations sur la situation des droits humains des personnes affectées par le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan au sujet de la région du Karabakh» publiées en janvier par Dunja Mijatović, alors Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l’Europe, dans lesquelles elle conclut que les Arméniens du Haut-Karabakh «se sont retrouvés abandonnés sans aucune garantie fiable de sécurité ou de protection de la part d'aucune partie et que, pour eux, à ce moment-là, quitter leur pays était la seule option raisonnable possible».
4. Le sort de la population arménienne du Haut-Karabakh a suscité des réactions extrêmement vives en Arménie. Certaines manifestations organisées par des partis d’opposition pour demander la démission du gouvernement de Nikol Pachinyan ont donné lieu à des violences, et des manifestants ont tenté de prendre d’assaut les bâtiments du gouvernement. L’Assemblée se déclare soulagée que les affrontements avec les forces de police au cours de ces événements n’aient pas fait de victimes, un bilan qui contraste nettement avec les 10 décès survenus en mars 2008, comme elle le déplorait dans sa Résolution 1837 (2011), en appelant notamment à prendre des mesures pour éviter que de semblables situations ne se reproduisent.
5. Les autorités arméniennes ont poursuivi les négociations pour la signature d’un traité de paix avec l’Azerbaïdjan, conformément à l’engagement qu’elles ont pris de régler leurs différends internationaux par des moyens pacifiques.
6. L’Assemblée salue la ratification par l’Arménie du Protocole no 13 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances (STE no 187), y compris pour des infractions commises en temps de guerre ou de danger imminent de guerre.
7. L’Assemblée se félicite également de la ratification par l’Arménie du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
8. En ce qui concerne les préoccupations de longue date relatives aux élections en Arménie, l’Assemblée félicite les autorités pour l’inclusivité et la transparence du processus législatif qui a conduit à la réforme du Code électoral. Elle note avec satisfaction que les modifications apportées au Code électoral et à la législation connexe sont conformes à de nombreuses recommandations formulées par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH), mais regrette que certaines de ces recommandations n’aient toujours pas été prises en compte.
9. L’Assemblée se félicite de la tenue des élections municipales à Erevan en septembre 2023, qui, bien qu’elles aient eu lieu dans une période de tension extrême liée à la situation au Haut-Karabakh, ont respecté les normes démocratiques, comme l’a reconnu le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe dans sa Recommandation 501 (2023). Si le Congrès s’est félicité du renforcement du cadre juridique électoral et des garanties visant à éliminer les possibilités de fraude électorale, les autorités ont été invitées, notamment, à mettre en œuvre la législation et la réglementation en vigueur concernant l’utilisation abusive des ressources publiques, à renforcer les mécanismes de suivi et de contrôle du financement des partis politiques et des campagnes électorales et à renforcer la participation des femmes.
10. Selon l’évaluation de la communauté internationale, les élections tenues en 2023 à Erevan ont été les troisièmes élections consécutives, après les élections nationales de 2018 et de 2021, à être exemptes des irrégularités qui avaient souvent entaché les élections organisées auparavant, et à être reconnues comme telles par les parties prenantes au niveau national. Par conséquent, l’Assemblée considère que l’objectif consistant à organiser des élections véritablement démocratiques et gagnant la confiance du peuple arménien a été atteint dans une large mesure.
11. Toutefois, afin d’améliorer encore davantage le processus électoral en Arménie, l’Assemblée:
11.1. invite l’Arménie à mettre en œuvre les recommandations en suspens relatives au cadre électoral tout en préservant l’inclusivité et la transparence du processus de réforme;
11.2. attire plus particulièrement l’attention des autorités sur la nécessité de mettre en œuvre la réglementation relative à l’utilisation abusive des ressources publiques et au financement des partis politiques.
12. L’Assemblée regrette que l’amélioration du cadre électoral n’ait pas donné lieu à une meilleure coopération ni fait naître un respect mutuel entre la majorité au pouvoir et l’opposition. Toutes les missions d’observation des élections ont fait état d’une polarisation excessive et d’une stigmatisation des concurrents politiques de tous bords. La tolérance mutuelle et la reconnaissance de la légitimité des adversaires politiques sont des éléments nécessaires aux sociétés démocratiques et renforcent la légitimité des institutions démocratiques.
13. L’Assemblée considère que, dans un contexte de polarisation profonde, il est essentiel de préserver l’indépendance des organes collégiaux représentant l’intérêt public pour les protéger des pressions politiques abusives. À cet égard, l’Assemblée renvoie à sa Résolution 2537 (2024) «Rapports entre la majorité parlementaire et l’opposition dans une démocratie» et à la Liste des critères de la Commission de Venise sur les «Paramètres des rapports entre la majorité parlementaire et l’opposition dans une démocratie». Les procédures de nomination à certaines fonctions non gouvernementales de haut niveau ou aux organes et organismes collégiaux indépendants devraient être dépolitisées et, dans toute la mesure du possible, reposer sur un consensus entre les partis politiques. Les dispositifs existants devraient réduire la domination de la majorité parlementaire au sein de ces organes collégiaux ou limiter l’importance de l’affiliation des titulaires de fonctions au parti ou à la coalition au pouvoir. À cet égard, l’Assemblée exprime sa préoccupation quant aux éventuels effets préjudiciables de la possibilité pour un parti de désigner des candidats ou candidates à lui seul.
14. Par conséquent, l’Assemblée:
14.1. encourage tous les acteurs politiques à engager un dialogue sur la manière d’améliorer les règles existantes applicables aux relations entre la majorité parlementaire et l’opposition;
14.2. appelle l’opposition à s’abstenir de boycotter les travaux de l’Assemblée nationale et rappelle qu’un boycott organisé des travaux parlementaires par l’opposition n’est acceptable que dans des cas rares et extrêmes où la légitimité du parlement est remise en cause;
14.3. appelle la majorité parlementaire à faire preuve de retenue dans son recours aux décisions à la majorité qualifiée et rappelle que lorsque la coalition ou le parti au pouvoir dispose d’une large majorité, cette formation a une grande responsabilité s’agissant du respect et de la sauvegarde des principes régissant le bon fonctionnement des institutions démocratiques, notamment les droits de l’opposition;
14.4. invite les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale à trouver un consensus transpartisan pour les nominations qui requièrent une majorité des deux tiers, en tenant compte de la Liste des critères de la Commission de Venise sur les «Paramètres des rapports entre la majorité parlementaire et l’opposition dans une démocratie», et à instaurer des règles non contraignantes ou à réviser le règlement de l’Assemblée nationale de manière consensuelle si nécessaire.
15. L’Assemblée salue les réformes visant à sauvegarder l’indépendance du pouvoir judiciaire et note avec satisfaction l’ouverture des autorités arméniennes à un véritable dialogue avec le Conseil de l’Europe ainsi que leurs efforts continus pour améliorer le système de gouvernance judiciaire conformément aux normes européennes.
16. L’Assemblée regrette que le sentiment selon lequel les procédures disciplinaires sont utilisées abusivement contre les juges pour les intimider ou influencer leurs décisions soit encore largement répandu. Elle se félicite que le ministre de la Justice ait demandé l’avis de la Commission de Venise sur un document conceptuel concernant la réforme de la Commission d’éthique et de discipline de l’Assemblée générale des juges, ce qui témoigne de la volonté politique de coopération avec les organes du Conseil de l’Europe.
17. En vue de renforcer l’indépendance des juges, l’Assemblée:
17.1. encourage les autorités arméniennes à poursuivre la réforme de la Commission d’éthique et de discipline de l’Assemblée générale des juges, en se fondant sur l’avis conjoint élaboré par la Commission de Venise et la Direction générale droits humains et État de droit (DGI) du Conseil de l’Europe;
17.2. appelle les autorités arméniennes à garantir la neutralité politique du Conseil supérieur de la magistrature et à envisager d’imposer des restrictions à l’accès des responsables politiques aux fonctions de membres du Conseil Supérieur de la Magistrature;
17.3. espère qu’une fois que la réforme de la Commission d’éthique et de discipline de l’Assemblée générale des juges aura été menée à son terme et que son efficacité aura été démontrée, la compétence du ministère de la Justice pour engager des procédures disciplinaires prendra fin.
18. L’Assemblée salue la réelle détermination des autorités à lutter contre le problème de la corruption systémique, comme en témoignent la création de deux organes et de tribunaux spécialisés dans la lutte contre la corruption, la réforme de la police et la mise en place de contrôles d’intégrité des juges, des procureurs et des personnes exerçant des fonctions autonomes dans les organes d’enquête. L’Assemblée note que des projets de mesures constitutionnelles et législatives sont actuellement examinés au parlement et encourage les autorités à poursuivre ces efforts.
19. En ce qui concerne la liberté d’information, l’Assemblée se félicite de la décision de présenter un nouveau projet de loi relatif à la liberté d’information et à l’information publique et de l’importance accordée aux consultations publiques sur ce projet de loi; elle encourage les autorités à mener une réforme complète dans le domaine des médias, comprenant une révision de la loi de 2020 relative aux médias audiovisuels, afin de veiller à la conformité de la réglementation avec les normes du Conseil de l’Europe en matière de liberté d’expression.
20. L’Assemblée se félicite de la dépénalisation de la diffamation, conformément à sa Résolution 2427 (2022), mais exprime sa préoccupation concernant les allégations d’utilisation sélective des dispositions du Code pénal relatives au discours de haine pour cibler les blogueurs et blogueuses et les militantes et militants opposés au parti au pouvoir. L’Assemblée réitère son appel à une application uniforme et restreinte de la législation sur les sanctions relatives à l’insulte et à la diffamation par le Parquet, pour s’assurer qu’elle ne soit pas utilisée de manière arbitraire à l’encontre des personnes physiques et des médias.
21. L’Assemblée reconnaît les progrès réalisés par l’Arménie pour se conformer à ses obligations et engagements, notamment dans le domaine du droit électoral. Elle décide de poursuivre sa procédure de suivi et attachera une importance particulière à la mise en œuvre des réformes relatives au système judiciaire, au secteur des médias et à la liberté d’expression. Elle suivra en particulier la mise en œuvre des programmes de coopération en lien avec les thématiques inscrites dans le Plan d’action du Conseil de l’Europe pour l’Arménie 2023-2026.
22. L’Assemblée invite les autorités arméniennes à traduire la présente résolution et son exposé des motifs dans la langue nationale et à rendre cette traduction publique.

B. Exposé des motifs par M. Kimmo Kiljunen et Mme Boriana Åberg, corapporteurs

(open)

1. Introduction

1. L’Arménie est devenue le 42e État membre du Conseil de l’Europe le 25 janvier 2001. Lors de son adhésion à l’Organisation, elle a accepté les obligations qui, au titre de l’article 3 du Statut, incombent à tous les États membres: le respect des principes de la démocratie pluraliste et de l’État de droit ainsi que le respect des droits humains et des libertés fondamentales de toutes les personnes placées sous sa juridiction. Par ailleurs, le pays a pris un certain nombre d’engagements spécifiques qu’il a convenu d’honorer. Ces engagements sont énoncés dans l’Avis 221 (2000) de l’Assemblée parlementaire. L’Arménie a signé 83 traités du Conseil de l’Europe, dont 70 ont été ratifiés.
2. Le pays a bénéficié de programmes de coopération du Conseil de l’Europe, dont un soutien aux réformes démocratiques depuis 2012. Des programmes ont été mis en œuvre, avec l’appui de l’Union européenne, pour aider le pays à se conformer aux normes du Conseil de l’Europe. Les contributions volontaires des États membres ont permis de renforcer l’application des normes relatives aux droits humains au sein des forces armées. Elles ont aussi servi à appuyer la réforme de la justice et la création d’un service de probation, à soutenir la réforme constitutionnelle, à consolider la démocratie locale, la décentralisation et la bonne gouvernance, ainsi qu’à lutter contre la violence domestique et la violence à l’égard des femmes.
3. L’Arménie fait aussi l’objet d’une procédure de suivi de l’Assemblée parlementaire depuis son adhésion, qui a donné lieu à l’adoption de 12 résolutions. Le dernier rapport sur les obligations et engagements de l’Arménie a été présenté à l’Assemblée en 2007 et six résolutions sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Arménie ont été adoptées de 2008 à 2022. Cet accent mis sur les institutions démocratiques reflète les très profonds changements institutionnels et politiques qui se sont opérés en Arménie depuis 2007. La période a notamment été marquée par l’importante réforme constitutionnelle de 2015 et par la «révolution de velours» de 2018.
4. Le dernier débat sur le respect des obligations et engagements de l’Arménie a eu lieu en janvier 2022. Dans sa Résolution 2427 (2022) adoptée au terme de ce débat, l’Assemblée a salué les progrès notables accomplis par l’Arménie en matière de développement démocratique depuis 2018 et s’est félicitée qu’elle ait réussi à sortir de la crise politique déclenchée par l’issue du conflit du Haut-Karabakh.
5. Depuis, la situation s’est aggravée avec l’escalade dramatique du conflit. La population du Haut-Karabakh, coupée de l’Arménie par l’Azerbaïdjan, a été placée dans des conditions extrêmement difficiles sur le plan humanitaire. Nous nous sommes rendus en Arménie en février 2023 et une note d’information sur la situation à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et dans le corridor de Latchine a été publiée. En 2023, l’Assemblée a adopté la Résolution 2517 (2023) et la Recommandation 2260 (2023) «Situation humanitaire dans le Haut-Karabakh», la Résolution 2508 (2023) «Assurer un accès libre et sûr par le corridor de Latchine» et la Résolution 2391 (2021) «Conséquences humanitaires du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan/le conflit du Haut-Karabakh», en demandant instamment à l’Arménie et à l’Azerbaïdjan d’honorer l’engagement pris lors de leur adhésion de recourir exclusivement à des moyens pacifiques pour régler le conflit du Haut-Karabakh. En septembre 2023, l’armée azerbaïdjanaise a envahi la partie du Haut-Karabakh placée sous la protection du contingent russe de maintien de la paix. En conséquence, la quasi-totalité de la population du secteur a fui vers l’Arménie en l’espace de quelques jours. Dans sa Résolution 2517 (2023), l’Assemblée a vivement regretté que la quasi-totalité de la population arménienne de la région ait quitté sa patrie ancestrale et fui en Arménie, certainement à cause de la menace concrète d’une extinction physique, de la politique de haine contre les Arméniens menée depuis longtemps en Azerbaïdjan et de l’incertitude quant à leur traitement futur par les autorités azerbaïdjanaises. Elle a en outre noté que «[l]a situation de fait actuelle, avec l’exode massif de la quasi-totalité de la population arménienne de cette région, a donné lieu à des allégations et à des suspicions raisonnables de nettoyage ethnique».
6. Du 6 au 8 novembre 2023, nous avons effectué une visite d’information à Erevan, Eraskh et Artashat au cours de laquelle nous avons rencontré le Premier ministre, M. Nikol Pachinian, plusieurs membres du gouvernement, des parlementaires de la majorité et de l’opposition, des membres de la magistrature, des membres d’institutions indépendantes ainsi que des représentants d’organisations de la société civile.
7. Lors de cette visite, nous avons aussi rencontré des réfugiés du Haut-Karabakh à Erevan et à Artashat. Nous avons été frappés par leur courage et leur dignité. Les familles que nous avons rencontrées avaient fui dans des délais très courts, abandonnant presque tout ce qu’elles possédaient, car elles craignaient pour leur vie. Pour certaines, c’était la troisième fois qu’elles étaient amenées à fuir en raison de ce conflit. La plupart des personnes sont arrivées en Arménie épuisées, affamées et en proie à une détresse physique et psychologique aggravée par les conséquences de la pénurie de nourriture, de médicaments et de produits de première nécessité dont elles avaient souffert au cours des neuf mois précédents. Les circonstances dans lesquelles elles avaient quitté leur foyer sont détaillées dans les observations sur la situation des droits humains des personnes touchées par le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au sujet de la région du Karabakh publiées par la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
8. À notre retour de mission, nous avons déclaré que pour assurer la pérennité de l’assistance fournie par l’Arménie et aider tous ceux qui veulent s’y installer définitivement, le pays a besoin de toute urgence de la solidarité de tous les Européens. Nous nous félicitons de la décision du Conseil de l’Europe de lancer un train de mesures complet en réponse à l’afflux de réfugiés et nous appelons de nouveau l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe à fournir une aide à long terme à l’Arménie afin qu’elle puisse affronter les défis socio-économiques posés par cette arrivée massive de réfugiés.
9. L’objet principal de la visite était toutefois d’évaluer avec le plus grand soin les nombreux développements survenus depuis janvier 2022 en ce qui concerne le fonctionnement des institutions démocratiques, l’État de droit et le respect des droits humains. Dans l’intervalle, les organes de suivi du Conseil de l’Europe ont publié plusieurs documents importants concernant le respect des obligations et engagements de l’Arménie: la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a rendu cinq avis consultatifs; le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) a adopté un quatrième rapport relatif à la mise en œuvre de ses recommandations sur la prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs 
			(2) 
			<a href='https://rm.coe.int/grecorc4-2023-6-final-fr-2e-interim-armenie-conf/1680aacade'>GrecoRC4(2023)6</a>, 3 avril 2023. et le rapport d’évaluation initial sur la prévention de la corruption et la promotion de l’intégrité au sein des gouvernements centraux (hautes fonctions de l’exécutif) et des services répressifs 
			(3) 
			<a href='https://rm.coe.int/cinquieme-cycle-d-evaluation-prevention-de-la-corruption-et-promotion-/1680af5d36'>GrecoEval5Rep(2023)2</a>, 18 avril 2024.; la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a publié son rapport sur l’Arménie dans le cadre du sixième cycle de monitoring; la Commissaire aux droits de l’homme s’est rendue en Arménie et en Azerbaïdjan et a publié ses Observations sur la situation des droits humains des personnes affectées par le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au sujet de la région du Karabakh 
			(4) 
			CommHR(2024)1, 12 janvier
2024, anglais uniquement. . Six groupes d’arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme en attente d’exécution demeurent sous surveillance soutenue: une affaire a été jugée il y a plus de 10 ans et dans huit cas, le prononcé de l’arrêt remonte à une période allant de 10 à cinq ans.
10. Par ailleurs, le Plan d’action du Conseil de l’Europe pour l’Arménie 2023-2026 a été officiellement lancé le 16 février 2023. Dans ce cadre, le Conseil de l’Europe et les autorités arméniennes sont convenues de poursuivre ensemble, par le biais de programmes de coopération, les réformes visant à renforcer l’effectivité du système de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») et la protection des droits humains dans le domaine biomédical, ainsi que la liberté des médias, à lutter contre la violence à l’égard des femmes et à améliorer les droits des enfants, à lutter contre la discrimination et à promouvoir les droits des minorités, à assurer le respect des droits sociaux, à renforcer l’indépendance et l’efficacité de la justice, à lutter contre la corruption et la cybercriminalité, à améliorer les soins en milieu pénitentiaire et à renforcer le rôle des services de probation dans le système judiciaire, et à promouvoir la bonne gouvernance et des réformes territoriales.
11. La note d’information que nous avions soumise à la suite de notre visite dans le pays a été déclassifiée par la commission de suivi en janvier 2024 
			(5) 
			<a href='https://rm.coe.int/respect-des-obligations-et-engagements-de-l-armenie-note-d-information/1680ae4a2f'>AS/Mon(2024)01rev</a>, note d’information à la suite de la visite en Arménie
du 6 au 8 novembre 2023. . Un avant-projet de rapport a été envoyé à tous les groupes représentés à l’Assemblée nationale arménienne afin de recueillir leurs commentaires. Nous avons reçu des contributions de la majorité au pouvoir et des autorités gouvernementales, ainsi que des groupes d’opposition Hayastan et Pativ Unem. Ces contributions offrent des points de vue contrastés sur certains des sujets traités dans ce rapport et donnent un bon aperçu des débats dans la sphère politique arménienne. Le présent rapport a été établi sur ces bases. Nous nous sommes également fondés sur les rapports des organes de suivi susmentionnés du Conseil de l’Europe et des rapports émanant d’organisations internationales et de la société civile, ainsi que sur nos échanges approfondis et réguliers avec divers membres de l’Assemblée nationale arménienne (de la majorité comme de l’opposition), des organismes publics indépendants et des organisations de la société civile.

2. Contexte général

12. En 2022 et 2023, les conséquences du conflit avec l’Azerbaïdjan, les conditions d’une paix durable qui permettrait une normalisation des relations avec l’Azerbaïdjan et la Türkiye et la situation de la population arménienne du Haut-Karabakh ont été au centre du débat public en Arménie. Néanmoins, les questions nationales ont également retenu l’attention. Le gouvernement de M. Pachinian demeure résolu à réformer l’Arménie après la révolution de velours, dans le sens de la démocratie, du respect de l’État de droit et des droits humains. La situation de la magistrature et son indépendance, de même que la perception de la corruption et de la politisation de l’appareil judiciaire, font l’objet d’intenses débats politiques.
13. Les dernières élections législatives ont été anticipées; elles ont été organisées en juin 2021 à la suite de manifestations liées à l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020. Elles ont donné une large majorité au parti du Premier ministre sortant: sa formation, Contrat civil, a obtenu près de 54 % des suffrages exprimés (71 sièges). L’Alliance Hayastan est arrivée en deuxième position avec 21 % des voix (29 sièges), suivie par l’Alliance Pativ Unem qui a obtenu sept sièges (5 %). La légitimité politique de M. Pachinian a donc été renforcée et son parti, Contrat civil, détient une majorité des deux tiers à l’Assemblée nationale.
14. Après les élections, M. Pachinian a annoncé une profonde réforme des forces armées, l’achat d’armes modernes à la Fédération de Russie, le renforcement des liens avec l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) dont l’Arménie est membre, et le déploiement de gardes-frontières russes sur des portions de la frontière arméno-azerbaïdjanaise. En janvier 2022, nous avons indiqué qu’en Arménie, «l’ensemble de la classe politique perçoit la Russie comme le premier et seul garant de la sécurité dont l’Arménie a besoin et plaide pour un renforcement des liens avec celle-ci» 
			(6) 
			Doc. 15432, par. 59.. L’une des plus importantes bases des forces armées russes en dehors de la Fédération se trouve à Gyumri, dans le nord-ouest du pays. L’accord de cessez-le-feu conclu avec l’Azerbaïdjan a conféré à la Fédération de Russie un rôle essentiel dans la protection de la population arménienne du Haut-Karabakh en prévoyant que des troupes de maintien de la paix de la Fédération de Russie seraient déployées le long de la ligne de contact dans le Haut-Karabakh et le long du corridor de Latchine.
15. L’agression militaire de l’Ukraine par la Fédération de Russie a eu des conséquences majeures sur les relations avec la Fédération de Russie. En mars 2022, l’Arménie n’a pas voté contre la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies condamnant l’invasion russe. Les troupes russes stationnées dans le pays et les gardes-frontières russes n’ont pas dissuadé l’Azerbaïdjan de mener des actions militaires hostiles. En septembre 2022, une offensive azerbaïdjanaise de grande envergure appuyée par l’artillerie, des armes lourdes et des drones a été menée le long de la frontière. 204 militaires arméniens ont été tués ou portés disparus et 80 Azerbaïdjanais sont morts. À la suite de ces affrontements, l’armée azerbaïdjanaise a occupé d’importantes positions et pris le contrôle de plusieurs hauteurs stratégiques en territoire arménien, notamment celles surplombant l’axe routier qui relie la capitale, Erevan, à la frontière iranienne 
			(7) 
			<a href='https://rm.coe.int/le-respect-des-obligations-et-engagements-de-l-armenie-note-d-informat/1680aaa678'>AS/Mon(2023)05
rev</a>..
16. À la suite de cette flambée de violence, le Président azerbaïdjanais et le Premier ministre arménien se sont rencontrés à Prague le 6 octobre 2022, à l’invitation du Président de la République française et du Président du Conseil européen. L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont confirmé leur attachement à la Charte des Nations Unies et à la déclaration d’Alma Ata de 1991, par laquelle tous deux reconnaissent mutuellement leur intégrité territoriale et leur souveraineté 
			(8) 
			<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/10/07/statement-following-quadrilateral-meeting-between-president-aliyev-prime-minister-pashinyan-president-macron-and-president-michel-6-october-2022/'>Conseil
européen</a> (7 octobre 2022). . En Arménie, l’opposition a accusé M. Pachinian de reconnaître implicitement la souveraineté de l’Azerbaïdjan sur le Haut-Karabakh. Au cours de la réunion, l’Arménie a accepté de faciliter la mise en place d’une mission civile de l’Union européenne le long de la frontière et l’Azerbaïdjan a accepté de coopérer avec cette mission pour ce qui le concerne 
			(9) 
			Ibid.. La capacité d’observation de l’Union européenne en Arménie est devenue opérationnelle le 20 octobre 
			(10) 
			<a href='https://www.eeas.europa.eu/eeas/eu-monitoring-capacity-armenia_en'>www.eeas.europa.eu/eeas/eu-monitoring-capacity-armenia_en.</a>.
17. Le 12 décembre 2022, un groupe de personnes originaires d’Azerbaïdjan a commencé à occuper le «corridor de Latchine», seule route reliant l’Arménie au Haut-Karabakh, en violation de l’accord de cessez-le-feu. Le 21 décembre 2022, la Cour européenne des droits de l’homme a demandé à l’Azerbaïdjan de «prendre toutes les mesures relevant de sa compétence pour assurer le passage en toute sécurité, par le “corridor de Latchine”, des personnes gravement malades ayant besoin d’un traitement médical en Arménie et des autres personnes bloquées sur la route sans abri ni moyens de subsistance». Afin de clarifier la situation sur le terrain, le 18 février 2023, nous nous sommes rendus sur la frontière, du côté arménien de la route de Latchine 
			(11) 
			Nous
avions demandé l’autorisation d’accéder au Haut-Karabakh aux autorités
azerbaïdjanaises, qui nous l’ont refusée.. Sur la base de nos constatations, nous avons appelé «à la cessation immédiate de l’obstruction illégale et illégitime du corridor de Latchine» 
			(12) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/news/8986/the-situation-in-the-lachin-corridor-requires-immediate-action-pace-monitors-for-armenia-say'>Déclaration</a> des corapporteurs (24 février 2023). . Dans son ordonnance du 22 février 2023 indiquant des mesures conservatoires, la Cour internationale de justice a enjoint à l’Azerbaïdjan de «prendre toutes les mesures dont il dispose afin d’assurer la circulation sans entrave des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchine dans les deux sens» 
			(13) 
			<a href='https://www.icj-cij.org/fr/affaire/180'>Cour internationale
de justice</a> (17 novembre 2023). . Le 23 avril 2023, les forces azerbaïdjanaises ont établi un poste de contrôle dans le corridor de Latchine, à proximité de la frontière avec l’Arménie. L’isolement forcé de la population du Haut-Karabakh s’est aggravé.
18. Le 14 mai 2023, à l’issue de l’une des nombreuses réunions organisées à Bruxelles entre le Président Aliyev et le Premier ministre Pachinian, les observations finales faisaient état de «l’attachement sans équivoque [des deux dirigeants] à la Déclaration d’Alma-Ata de 1991 et à l’intégrité territoriale respective de l’Arménie (29 800 km2) et de l’Azerbaïdjan (86 600 km2)». Cette déclaration marquait une étape importante en vue d’un traité de paix dans la mesure où elle constituait une reconnaissance explicite de la souveraineté de l’Azerbaïdjan sur le territoire du Haut-Karabakh. Le reste de la déclaration appelait au déblocage des liaisons économiques et de transport dans la région et soulignait l’importance d’intensifier les travaux visant à déterminer le sort des personnes disparues et concernant le déminage, ainsi que de garantir les droits et la sécurité des Arméniens vivant dans l’ancien oblast autonome du Haut-Karabakh 
			(14) 
			<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/05/14/press-remarks-by-president-charles-michel-following-the-trilateral-meeting-with-president-aliyev-of-azerbaijan-and-prime-minister-pashinyan-of-armenia/'>Conseil
européen</a> (14 mai 2023). . M. Pachinian a été sévèrement critiqué par les partis d’opposition en Arménie pour son approche dans ces négociations, et les manifestations de rue et les mouvements de désobéissance ont été fréquents en 2023.
19. Le 19 septembre 2023, malgré la présence du contingent russe de maintien de la paix au Haut-Karabakh et en dépit de ses engagements répétés de ne pas recourir à la force, l’Azerbaïdjan a lancé une offensive militaire sur le territoire du Haut-Karabakh sous le contrôle des autorités de facto. M. Pachinian, a déclaré que l’armée arménienne n’interviendrait pas dans les combats. Le lendemain, les autorités de facto ont accepté de désarmer et un cessez-le-feu est entré en vigueur. Le 24 septembre 2023, l’Azerbaïdjan a permis aux civils d’emprunter le corridor de Latchine uniquement pour quitter le territoire vers l’Arménie 
			(15) 
			<a href='https://web.archive.org/web/20230924123645/https:/www.theguardian.com/world/2023/sep/24/first-evacuees-from-nagorno-karabakh-cross-into-armenia-azerbaijan'>The
Guardian</a> (24 septembre 2023). . À la date du 6 octobre 2023, le nombre de personnes déplacées ayant quitté le Haut-Karabakh s’élevait à 100 670 
			(16) 
			Chiffres officiels
de l’Organisation internationale pour les migrations: <a href='https://www.iom.int/sitreps/iom-armenia-situation-update-no-6'>«Armenia
situation update»</a>. , soit la quasi-totalité de la population du territoire.
20. Le sort de la population du Haut-Karabakh a suscité des réactions extrêmement vives en Arménie, comme en 2020. Le 19 septembre 2023, premier jour de l’attaque, des manifestants se sont réunis à Erevan devant des bâtiments gouvernementaux, appelant M. Pachinian à démissionner. La rédactrice en chef du média d’État russe RT a écrit que les autorités arméniennes avaient livré les sanctuaires arméniens «de leurs propres mains», qualifiant M. Pachinian de «Judas» 
			(17) 
			<a href='https://twitter.com/M_Simonyan/status/1704076507021218174?s=20'>https://twitter.com/M_Simonyan/status/1704076507021218174?s=20.</a>. M. Pachinian a déclaré à la télévision que des voix s’élevaient déjà en plusieurs endroits pour appeler à un coup d’État en Arménie. Des manifestants se sont heurtés à la police pour tenter de prendre d’assaut le siège du gouvernement. D’autres ont encerclé l’ambassade russe pour critiquer le refus de la Russie d’intervenir dans le conflit. Le 20 septembre, des milliers de personnes se sont rassemblées à Erevan et ont appelé à une intervention militaire au Haut-Karabakh. La police a commencé à arrêter des manifestants, déclarant le rassemblement illégal 
			(18) 
			<a href='https://news.am/eng/news/782165.html'>News.am</a> (20 septembre 2023). . Au 25 septembre, plus de 140 personnes avaient été appréhendées.
21. Les 16 et 17 octobre 2023, M. Pachinian est intervenu devant le Parlement européen et a rencontré la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe, Marija Pejčinović Burić. Dans son discours, le Premier ministre s’est exprimé en ces termes: «une série d’événements qui se déroulent dans la République d’Arménie et dans différents endroits du monde soulèvent la question suivante: la démocratie est-elle capable d’assurer la sécurité, la paix, l’unité, la prospérité et le bonheur? […] la démocratie en Arménie a continué et continue de recevoir des coups violents, qui fonctionnent selon une formule presque exactement répétée: agression extérieure, puis inaction des alliés de l’Arménie dans le domaine de la sécurité, puis tentatives d’utiliser la guerre ou la situation humanitaire ou la menace extérieure à la sécurité pour subvertir la démocratie et la souveraineté de l’Arménie, ce qui s’exprime par l’incitation à l’instabilité interne avec des technologies hybrides dirigées par des forces extérieures. […] Au moment où des centaines de milliers d’Arméniens ont fui le Haut-Karabakh pour se réfugier en République d’Arménie, nos alliés du secteur de la sécurité non seulement ne nous ont pas aidés, mais ont également lancé des appels publics à un changement de pouvoir en Arménie, pour renverser le gouvernement démocratique» 
			(19) 
			<a href='https://www.primeminister.am/fr/foreign-visits/item/2023/10/16/Nikol-Pashinyan-visiting-Strasbourg./'>Site
web</a> du Premier ministre de la République d’Arménie (16 et
17 octobre 2023). .
22. Le 24 octobre 2023, le Premier ministre déclarait ce qui suit: «les systèmes de sécurité extérieure dans lesquels nous sommes impliqués ne sont pas efficaces du point de vue des intérêts de l’État et de la sécurité de la République d’Arménie. […] le blocage illégal du corridor de Latchine et l’attaque de l’Azerbaïdjan contre le Haut-Karabakh le 19 septembre soulèvent de sérieuses questions dans le Haut-Karabakh quant aux objectifs et aux motivations du contingent de maintien de la paix de la Fédération de Russie. […] nous envisageons également la ratification du Statut de Rome, qui permettra à la République d’Arménie d’utiliser les capacités de la Cour pénale internationale pour assurer la sécurité extérieure. Nous avons pris la décision de ratifier le Statut de Rome en décembre 2022, lorsqu’il est devenu clair pour nous tous que les instruments de l’OTSC et le partenariat stratégique arméno-russe ne sont pas suffisants pour assurer la sécurité extérieure de l’Arménie, et cette décision n’est en aucun cas dirigée contre l’OTSC ou la Fédération de Russie». Le 3 novembre 2023, l’Assemblée nationale arménienne a effectivement ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI). Le porte-parole du Kremlin, M. Dmitri Peskov, a qualifié la décision de l’Arménie de rejoindre la CPI d’«inappropriée […] du point de vue de nos relations bilatérales» 
			(20) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2023/oct/03/armenias-parliament-defies-russia-in-vote-to-join-international-criminal-court'>The
Guardian</a> (3 octobre 2023). .
23. Le 7 décembre 2023, le Cabinet du Premier ministre de la République d’Arménie et l’Administration présidentielle de la République d’Azerbaïdjan ont publié une déclaration conjointe affirmant ce qui suit: «La République d’Arménie et la République d’Azerbaïdjan partagent l’opinion qu’il existe une chance historique de parvenir à une paix tant attendue dans la région. Les deux pays réaffirment leur intention de normaliser leurs relations et de parvenir à un Traité de paix sur la base du respect des principes de souveraineté et d’intégrité territoriale» 
			(21) 
			<a href='https://www.primeminister.am/fr/press-release/item/2023/12/07/Announcement/'>Site
web</a> du Premier ministre de la République d’Arménie (7 décembre
2023). . Il a été convenu de prendre des mesures visant à renforcer la confiance, dont un échange de prisonniers. Conformément à l’accord, 32 prisonniers de guerre arméniens ont été libérés par l’Azerbaïdjan le 13 décembre et Erevan a remis deux soldats azerbaïdjanais à Bakou. L’Azerbaïdjan a confirmé détenir encore 23 prisonniers arméniens, parmi lesquels des représentants des dirigeants politiques et militaires du Haut-Karabakh.
24. Le 12 décembre 2023, le haut représentant de la Commission européenne, Josep Borrell, a annoncé que le Conseil des affaires étrangères était convenu de renforcer la mission de l’Union européenne en Arménie, première étape dans la coopération croissante entre l’Union européenne et l’Arménie, reconnaissant ainsi l’existence d’une chance historique d’instaurer la paix dans la région.
25. Le 18 janvier 2024, M. Nikol Pachinian, a fait savoir que, selon lui, «la pierre angulaire pour assurer la sécurité de la République d’Arménie est la légitimité»; l’avenir du pays est d’être un État souverain, légal, démocratique et social. Le Premier ministre a déclaré que pour s’adapter à un environnement en constante évolution, «la République d’Arménie a besoin d’une nouvelle Constitution, pas d’amendements constitutionnels, mais d’une nouvelle Constitution». Il s’est dit convaincu que «le modèle parlementaire de gouvernance, compte tenu de nos aspirations et stratégies démocratiques, est le plus approprié pour la République d’Arménie». Toutefois, une Constitution adoptée par le peuple de la République d’Arménie garantirait sa légitimité. Par ailleurs, s’«il n’y a pas grand-chose à changer sur le plan politique dans le modèle de gouvernance actuel», des changements s’imposent dans le système judiciaire 
			(22) 
			<a href='https://www.primeminister.am/en/press-release/item/2024/01/19/Nikol-Pashinyan-Report-Ministry-of-Justice/'>Site</a> web du Premier Ministre de la République d’Arménie (19
janvier 2024)..
26. À la suite de cette déclaration, des membres de l’opposition arménienne ont affirmé que M. Pachinian envisageait en fait de se plier aux exigences de l’Azerbaïdjan et de la Türkiye, qui demandaient que toute mention du Haut-Karabakh et du génocide arménien soit supprimée de la Constitution. Le Président azerbaïdjanais Ilham Aliyev avait en effet déclaré qu’il serait possible de parvenir à la paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan si l’Arménie modifiait sa Constitution et «d’autres documents». Alem Simonyan, président de l’Assemblée nationale de la République d’Arménie, a souligné la nécessité de réciprocité: «La Constitution et la législation de l’Azerbaïdjan contiennent également des dispositions qui devraient être modifiées» 
			(23) 
			<a href='https://www.1lurer.am/en/2024/01/31/There-are-also-provisions-in-the-Constitution-of-Azerbaijan-which-should-be-changed-accordingly-Ala/1069771'>First</a> Channel News.. Le préambule de la Constitution arménienne fait référence aux principes fondamentaux et objectifs nationaux de la souveraineté arménienne fixés dans la Déclaration d’indépendance de l’Arménie, laquelle fait elle-même référence, dans son préambule, à l’acte de 1989 sur la réunification de l’oblast autonome du Haut-Karabakh avec la République soviétique d’Arménie. Dans une interview accordée à la radio publique arménienne le 1er février 2024, M. Pachinian a indiqué que la Déclaration d’indépendance pouvait constituer un obstacle à la paix en Arménie, expliquant qu’avec la croissance de l’économie arménienne et la «transformation» et la réforme des forces armées, la mention de la Déclaration d’indépendance dans la Constitution du pays pouvait être perçue comme un signe que l’Arménie se prépare à la guerre pour mettre en œuvre les dispositions relatives à la réunification du Haut-Karabakh et de l’Arménie. Le dirigeant arménien a déclaré que les pays voisins formeraient alors une alliance en vue de «détruire» l’Arménie. Le 7 février, M. Pachinian a précisé que dans le projet de traité de paix, il était déclaré que les parties ne peuvent pas invoquer leur droit interne pour se soustraire à leurs obligations en vertu dudit traité 
			(24) 
			<a href='https://armenpress.am/eng/news/1129802.html'>ArmenPress</a>..
27. Le 9 mars 2024, après la 7e session sur les questions de la délimitation et de la sécurité des frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, l’Azerbaïdjan a publié une déclaration demandant à l’Arménie de retirer ses forces de quatre villages actuellement sous contrôle arménien. Le 18 mars, M. Pachinian, s’est rendu dans les villages frontaliers et a déclaré que l’Arménie devait commencer la démarcation de la frontière à partir de la région de Tavouch pour «éviter une nouvelle guerre». Il a aussi affirmé que les villages revendiqués par l’Azerbaïdjan n’avaient jamais fait partie de l’Arménie soviétique. L’opposition a accusé le gouvernement de faire des concessions unilatérales et soutenu qu’il ne s’agissait pas d’un véritable processus de démarcation, mais d’un nouvel acte de capitulation.

3. La situation des réfugiés du Haut-Karabakh

28. L’offensive militaire de l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh a provoqué un exode massif de la population arménienne locale vers l’Arménie. En l’espace de quelques jours, plus de 100 000 personnes sont arrivées en Arménie, avec un besoin urgent d’aide humanitaire. Ce chiffre représente 3 % de la population totale du pays. Les autorités arméniennes ont fait de leur mieux pour gérer l’urgence: la plupart des réfugiés ont trouvé un toit, les élèves et les étudiants ont été inscrits dans les écoles et universités arméniennes, et des secours d’urgence ont été distribués aux personnes déplacées.
29. Le Gouvernement arménien a accordé aux Arméniens du Haut-Karabakh le statut de réfugiés, ce qui leur permet de travailler et de bénéficier de la sécurité sociale et de soins médicaux, de l’éducation et de la liberté de circulation. Toutefois, ils n’ont pas la nationalité arménienne et ne peuvent donc pas posséder de terres, être employés dans des agences gouvernementales ou participer à la vie politique 
			(25) 
			Dans leurs commentaires,
les autorités arméniennes ont expliqué que bien que la République
d’Arménie ait fourni une protection temporaire à la population du
Haut-Karabakh et reconnu ces personnes comme réfugiées, cela ne
limitait pas le droit des réfugiés d’obtenir la citoyenneté de la
République d’Arménie. Dans le même temps, les dossiers de personnes
demandant la nationalité arménienne sont acceptés et traités en
urgence selon une procédure simplifiée, le plus rapidement possible.. Deux mois après leur arrivée en Arménie, quelque 5 350 réfugiés avaient trouvé un emploi dans le pays. Selon les dirigeants exilés de l’enclave, quelque 6 000 Arméniens du Haut-Karabakh seraient partis dans d’autres pays, principalement en Fédération de Russie.
30. «Notre politique à l’égard de nos frères et sœurs déplacés de force du Haut-Karabakh est la suivante: s’ils ne peuvent ou ne veulent objectivement pas revenir au Haut-Karabakh, nous ferons tout pour qu’ils restent en Arménie», a déclaré M. Pachinian. Lorsque les conditions d’un traité de paix définitif avec l’Azerbaïdjan seront connues, il est possible qu’une grande partie des réfugiés du Haut-Karabakh décide de s’installer définitivement en Arménie. Dans ce cas, la question de leur citoyenneté se posera inévitablement. Il faudra veiller à ce que l’intégration de cette population au sein de la société arménienne n’ait pas pour effet de déstabiliser les institutions politiques. Tous les acteurs politiques, de la majorité comme de l’opposition, devraient s’abstenir de formuler des revendications irréalistes ou de chercher des boucs-émissaires et ne pas donner de crédibilité à la propagande d’acteurs étrangers qui cherchent à alimenter la détresse légitime des réfugiés afin de servir leurs propres intérêts de politique étrangère. À cet égard, les pays européens peuvent jouer un rôle décisif en fournissant un soutien économique à l’Arménie 
			(26) 
			Selon
le Gouvernement arménien, à ce jour l’aide étrangère aux réfugiés
fournie par le biais d’organisations humanitaires et sous forme
d’appui budgétaire direct s’élève à 109 millions $US.. Ce faisant, ils soutiendraient également la résilience des institutions démocratiques.

4. Fonctionnement des institutions démocratiques

31. En janvier 2022, l’Assemblée a adopté la Résolution 2427 (2022) «Le fonctionnement des institutions démocratiques en Arménie» dans laquelle elle reconnaissait que «l’Arménie a fait des progrès notables en matière de développement démocratique» depuis 2018 
			(27) 
			Doc. 15432..
32. Cependant, dans son rapport «Nations in transit 2024», Freedom House a abaissé de 2,50 à 2,25 la note de l’Arménie en matière de gouvernance démocratique nationale en raison de la consolidation des pouvoirs de l’exécutif, de la tendance constante des autorités centrales, ces dernières années, à dépasser les limites et à destituer les maires de l’opposition, et du manque de transparence dans les finances du parti au pouvoir 
			(28) 
			<a href='https://freedomhouse.org/country/armenia/nations-transit/2024'>Freedom
House</a>.. Le 16 avril 2024, les dirigeants des groupes Hayastan et Pativ Unem ont diffusé une déclaration affirmant que le gouvernement actuel de l’Arménie prétend œuvrer au renforcement de la démocratie aux yeux de la communauté internationale alors qu’en fait il commet des violations flagrantes des droits humains et des libertés fondamentales. La déclaration s’achève sur un appel lancé au Conseil de l’Europe, lui demandant de «condamner fermement le déclin continu de la démocratie en Arménie et les violations flagrantes des droits humains et des libertés fondamentales».

4.1. Réforme électorale et confiance dans les élections

33. L’Assemblée a observé toutes les élections en Arménie depuis 1995. En 2018, après les élections organisées à la suite de la révolution de velours, les observateurs de l’Assemblée ont déclaré qu’elles avaient été exemptes des irrégularités qui avaient entaché nombre des scrutins précédents et qu’il appartenait aux élus arméniens de lancer des réformes législatives pour consolider le processus démocratique dans le pays 
			(29) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/news/7302/elections-en-armenie-preserver-la-confiance-du-public-par-de-nouvelles-reformes-electorales'>Déclaration</a> de la mission d’observation (10 décembre 2018). . Renforcer la confiance dans le processus électoral par le biais de réformes juridiques était donc une tâche importante pour la consolidation des institutions démocratiques en Arménie.
34. Ce processus de réforme a commencé avant les élections anticipées de juin 2021, lorsque deux paquets d’amendements au Code électoral ont été adoptés de manière consensuelle, après de vastes consultations. Les deux paquets avaient été examinés par la Commission de Venise et par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) 
			(30) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2021)025-f'>CDL-AD(2021)025</a>.. Ces organes ont noté «avec satisfaction que des consultations inclusives se sont déroulées entre les acteurs politiques et les organisations non gouvernementales et dans un délai adéquat afin de garantir que les amendements de textes aussi fondamentaux reçoivent le soutien le plus large possible des différentes forces politiques, de la société civile et de la communauté des experts. […] Les changements ont été discutés et préparés depuis longtemps dans le cadre d’un processus politique inclusif et transparent». En janvier 2022, l’Assemblée a salué «la nette amélioration du cadre électoral, tant au regard de la législation sur les partis politiques et du financement des campagnes électorales qu’au regard du mode de scrutin» et a appelé les autorités arméniennes à «compléter la réforme du cadre électoral en prenant en compte les recommandations de la Commission de Venise et de l’OSCE/BIDDH».
35. À la suite de ces recommandations, une autre réforme a été introduite. Le processus de réforme peut être considéré comme exemplaire: «l’élaboration des projets d’amendements avait été précédée de vastes consultations publiques de dix mois avec les différentes parties prenantes, y compris la société civile, et […] ce processus avait été soutenu par la Fondation internationale pour les systèmes électoraux (IFES). Différents interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs ont confirmé ce processus ouvert et inclusif impliquant des représentants des organismes publics compétents, des organisations non gouvernementales et des experts internationaux. Les rapporteurs ont été informés qu’un grand nombre des recommandations proposées par les acteurs électoraux lors de l’exercice consultatif facilité par l’IFES à la fin de 2022 ont été incorporées dans le projet. Le ministère de la Justice a mis à la disposition des citoyens les projets d’amendements en ligne afin qu’ils puissent les commenter, et le projet de législation a fait l’objet d’un débat public» 
			(31) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2023)030-f'>CDL-AD(2023)030</a>..
36. À l’instar de la Commission de Venise et du BIDDH, nous nous félicitons de ces larges consultations et discussions publiques et du fait que les projets d’amendements ont été proposés bien avant les prochaines élections prévues en 2026. La manière dont le droit électoral a été modifié en 2021 et 2023 remplit toutes les exigences procédurales en matière de transparence et de consultations.
37. En ce qui concerne le fond de la réforme, les amendements proposés traitent certaines questions précédemment soulevées. En réponse à une recommandation de la Commission de Venise, des dispositions ont été élaborées pour la tenue d’élections en situation d’urgence, y compris en période de pandémie et de loi martiale. Il semble toutefois que le projet de règlementation ouvre un risque important qu’une déclaration d’état d’urgence ou de loi martiale soit exploitée à des fins politiques, et la Commission de Venise et le BIDDH ont proposé plusieurs amendements pour écarter cette possibilité.
38. Plusieurs dispositions nouvelles tendent à renforcer la transparence du processus électoral. Le BIDDH et la Commission de Venise ont estimé qu’elles permettraient aux électeurs de mieux comprendre le processus électoral et d’accroître leur confiance dans la crédibilité de ce dernier, en particulier dans le travail de la Commission électorale centrale.
39. Une autre série de mesures concerne les listes électorales et l’inscription sur ces listes. Selon le Code électoral, la liste initiale est publiée par circonscription, ainsi que les listes émargées par les électeurs ayant effectivement voté. Nos interlocuteurs ont expliqué que cette mesure avait été prise pour prévenir la fraude électorale et le bourrage d’urnes, compte tenu du nombre élevé d’Arméniens vivant à l’étranger encore inscrits sur les listes électorales locales. Cette publication permet une plus grande transparence, mais la Commission de Venise a exprimé des inquiétudes quant aux possibilités de harcèlement des électeurs. En conséquence, la Commission de Venise et le BIDDH ont recommandé de revoir ces dispositions à la lumière des meilleures pratiques en matière de protection des données à caractère personnel.
40. Nous avons discuté de cette recommandation avec de nombreuses parties prenantes en Arménie, et toutes ont estimé que la publication de la liste avait un effet très positif sur la confiance dans les résultats des élections et ont demandé son maintien à la quasi-unanimité. Nous partageons l’avis de la Commission de Venise selon lequel d’autres mécanismes peuvent être mis en œuvre pour empêcher le vote au nom d’autres personnes et permettre un examen suffisant de la liste électorale tout en protégeant les données personnelles des électeurs, mais nous pensons que dans le contexte arménien, ces mesures doivent être mises en œuvre de façon à ne pas donner prise au soupçon d’intention frauduleuse. L’Arménie a prouvé qu’elle était capable d’entreprendre des réformes électorales de manière inclusive, transparente et consensuelle et la même méthode devrait permettre de remplacer progressivement la publication des listes électorales.
41. Les projets d’amendements prévoient aussi de nouvelles règles pour le recomptage des résultats du scrutin dans les bureaux de vote. Malheureusement, les recommandations précédentes du BIDDH et de la Commission de Venise tendant à accorder aux électeurs le droit de contester les résultats n’ont pas été prises en compte à ce stade. La réglementation actuelle ne prévoit pas de recours effectif, conformément aux normes internationales et aux engagements auprès de l’OSCE, et devrait donc être modifiée.
42. Nous serons très attentifs à la suite qui sera donnée à ces recommandations lorsque le texte sera débattu à l’Assemblée nationale arménienne. À ce stade, les modifications proposées constituent déjà une amélioration bienvenue dans des domaines clés et les points devant encore être améliorés ne devraient pas être trop difficiles à traiter.
43. Les élections municipales qui ont eu lieu à Erevan en 2023 ont donné une idée des progrès accomplis et permis de mesurer tout ce qu’il reste à faire. Selon la mission de suivi du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe 
			(32) 
			<a href='https://rm.coe.int/cpl-2023-45-02-fr-elections-au-conseil-des-anciens-de-la-ville-d-ereva/1680acf61e'>CPL(2023)45-02</a>, 25 octobre 2023, Élections au Conseil des anciens de
la ville d’Erevan, Arménie (17 septembre 2023)., la campagne a été concurrentielle, bien que l’opposition parlementaire ne se soit pas présentée à l’élection, et relativement discrète en raison de la situation sécuritaire. Aucun cas de corruption électorale n’a été constaté. La délégation du Congrès a observé des élections gérées efficacement par une administration électorale engagée et transparente. Elle s’est félicitée des améliorations apportées depuis 2018 pour garantir l’intégrité et la transparence du processus électoral, notamment en réduisant les possibilités de vote carrousel, de vote familial et de vote assisté. Le Congrès a également noté avec satisfaction que la période post-électorale n’a pas été litigieuse et que tous les candidats ont largement accepté les résultats.
44. La délégation du Congrès a toutefois appelé à porter une attention particulière à la sous-représentation des femmes en tant que têtes de liste et maires en Arménie, et aussi à veiller à ce que des conditions de concurrence plus équitables soient garanties à l’ensemble des candidats. En effet, les allégations d’utilisation abusive des ressources administratives, la distinction de plus en plus floue entre les activités officielles et les activités de campagne, également perceptible dans les médias, et les écarts importants dans les dépenses entre les candidats n'ont pas été propices à une campagne totalement équilibrée.
45. La question du financement des campagnes politiques a été soulevée par des enquêtes indépendantes publiées en 2024 selon lesquelles les dons au parti Contrat civil effectués en 2022 et en 2023 ne répondaient pas au schéma habituel, suscitant des soupçons de contournement des règles de financement des partis 
			(33) 
			<a href='https://www.civilnet.am/en/news/767468/coordinated-cash-donation-data-from-armenias-ruling-party-raises-questions-about-source-of-funds/'>CIVILNET</a> (11 mars 2024).. Selon Transparency International Arménie, les conclusions font apparaître la nécessité de réformes institutionnelles et d’une approche rigoureuse de la question par les pouvoirs publics pour faire en sorte que les règles de financement des partis politiques soient respectées.
46. Dans un discours devant le Parlement européen en octobre 2023, M. Pachinian a déclaré que «la démocratie est […] pour la République d’Arménie, un choix stratégique et non quelque chose de dicté par les circonstances». «Pour la première fois dans l’histoire de la République d’Arménie, les élections sont devenues un moyen de surmonter la crise interne et non l’inverse», a-t-il poursuivi. «C’est la principale différence entre l’Arménie d’après et d’avant la révolution de velours populaire et non violente de 2018. Si, avant la révolution, les élections étaient généralement à l’origine de crises internes en raison du manque de confiance du public dans leurs résultats, depuis la révolution, elles empêchent ou jugulent la crise, car les citoyens ont une possibilité non seulement théorique mais aussi pratique de prendre des décisions et de les mettre en œuvre.»
47. Étant donné l’évaluation positive des missions internationales d’observation des élections de 2018, 2021 et 2023 et l’acceptation généralisée de leurs résultats par la population arménienne, nous considérons que l’objectif de garantir la tenue d’élections véritablement démocratiques, méritant la confiance des citoyens arméniens, a été largement atteint.

4.2. Rapports entre la majorité parlementaire et l’opposition

48. Les améliorations mentionnées ci-dessus concernant l’intégrité du processus électoral n’ont pas encore permis de restaurer la confiance mutuelle entre les partis politiques qui s’opposent au parlement.
49. En ce qui concerne les équilibres institutionnels et l’ancrage d’une culture démocratique dans la sphère politique, l’Assemblée a appelé, dans sa Résolution 2427 (2022) «majorité et opposition à s’affronter de manière constructive et respectueuse sur des orientations politiques clairement identifiées et divergentes». Elle a noté «que les mécanismes protégeant les droits de l’opposition sont en place et fonctionnels, et qu’ils devraient lui permettre de jouer son rôle et de proposer des alternatives». L’Assemblée a aussi appelé «la majorité parlementaire à exercer pleinement ses fonctions de contrôle et d’évaluation de l’action du gouvernement, compte tenu de l’importante majorité de sièges qu’elle détient».
50. Cette recommandation fait suite aux conclusions de la mission d’observation électorale, qui a estimé que les élections «se sont […] caractérisées par de profonds clivages et ont été marquées par les propos de plus en plus incendiaires des principaux candidats. Le ton négatif de la campagne et le fait qu’elle ait été axée sur les personnalités ont empêché un débat de fond sur les questions politiques». Les observateurs électoraux du BIDDH ont signalé des propos de plus en plus intolérants, incendiaires et discriminatoires durant la période préélectorale. Au cours de la campagne, le Défenseur des droits humains a publié une déclaration appelant l’ensemble des forces politiques à proscrire insultes, injures et jurons 
			(34) 
			<a href='https://ombuds.am/en_us/site/ViewNews/1721'>Défenseur
des droits humains</a> de la République d’Arménie (31 mai 2021). . Le rapport final sur les élections de juin 2021 indique, parmi les recommandations prioritaires, que les fonctionnaires, les partis politiques, leurs candidats et leurs partisans devraient s’abstenir de propos incendiaires et que des mesures dissuasives non pénales clairement définies devraient être mises en place, tout en protégeant la liberté d’expression 
			(35) 
			<a href='https://www.osce.org/files/f/documents/5/4/502386.pdf'>Rapport
final</a> de la mission d’observation électorale du BIDDH, élections
législatives anticipées du 20 juin 2021..
51. Dans son rapport de 2023 sur l’Arménie, l’ECRI indique que «les cas de discours de haine, y compris les appels à la violence, surviennent occasionnellement dans les sphères politiques et publiques en Arménie. Cependant, ils n’ont généralement pas de motivation raciste ou xénophobe. Selon plusieurs observateurs indépendants rencontrés lors de la visite, ces faits concernent principalement les personnalités politiques, les représentants d’ONG ou les journalistes. […] le manque de connaissances du public concernant ce qui constitue un discours de haine, notamment l’incitation à la haine et à la discrimination, a entraîné une certaine confusion sur ce qui peut être considéré comme un débat acceptable en politique et dans les médias, en particulier en ligne, et a été à l’origine de mesures insuffisantes pour prévenir et sanctionner le discours de haine, y compris les déclarations qui constituent une infraction pénale» 
			(36) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/european-commission-against-racism-and-intolerance/armenia'>ECRI</a>, cinquième rapport sur l’Arménie (sixième cycle de monitoring),
adopté le 29 mars 2023.. L’ECRI a fait état de plusieurs cas de menaces, insultes et autres manifestations de discours de haine impliquant des personnalités politiques sur les réseaux sociaux et au parlement. Les discours de haine se référant de manière offensante aux «Azéris» et aux «Turcs» sont utilisés comme outils contre les opposants politiques pour exacerber les divisions internes et entraver toute négociation de paix 
			(37) 
			<a href='https://rm.coe.int/commdh-2021-29-memorandum-on-the-humanitarian-and-human-rights-consequ/1680a46e1c'>CommDH(2021)29</a> du 8 novembre 2021, paragraphes 76 à 87 [anglais seulement]..
52. Conformément aux recommandations de l’ECRI, «les organes élus et les partis politiques devraient adopter des codes de conduite adaptés interdisant le discours de haine et appeler leurs membres et sympathisants à ne pas y recourir, l’approuver ni le diffuser, et prévoir des sanctions». Notre Assemblée a déjà invité les législateurs arméniens «à développer d’autres outils que la sanction à but préventif pour lutter contre la désinformation et les discours de haine» 
			(38) 
			Résolution 2427 (2022), paragraphe 24.3.. Cette mesure va dans le sens de la Recommandation CM/Rec (2022)16 du Comité des Ministres aux États membres sur la lutte contre le discours de haine et de la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste et inclusive, telle qu’approuvée par l’Assemblée dans sa Résolution 2443 (2022), et nous invitons vivement le Parlement arménien à la mettre en œuvre. Les dirigeants politiques et les parlementaires devraient indiquer clairement que le recours au discours de haine par les membres de leurs mouvements est inacceptable et prendre des mesures pour prévenir et sanctionner ces pratiques.
53. La tolérance mutuelle et la reconnaissance de la légitimité des opposants politiques, éléments nécessaires aux sociétés démocratiques, font défaut en Arménie. Pendant la campagne électorale, le respect de l’opposition politique devrait être la règle, et dans l’exercice des pouvoirs constitutionnels, la retenue et la modération de la majorité seraient particulièrement souhaitables.
54. Au sein de l’Assemblée nationale arménienne, les élections de juin 2021 ont donné au parti Contrat civil une majorité des deux tiers au parlement, ce qui lui permet d’imposer ses choix sur les nominations aux postes les plus importants de l’État sans prendre en compte la volonté de la minorité. Le fait de profiter abusivement d’une telle supermajorité pour mettre hors-jeu les députés de l’opposition a été observé dans d’autres pays. Comme l’a rappelé l’Assemblée: «Une telle situation signifie que les partis au pouvoir ont une grande responsabilité s’agissant du respect et de la sauvegarde des principes régissant le bon fonctionnement des institutions démocratiques, notamment les droits de l’opposition […].» 
			(39) 
			Doc. 15619, par. 48.
55. En vertu de l’article 104 de la Constitution arménienne, l’un des trois vice-présidents de l’Assemblée nationale est élu parmi les députés des groupes de l’opposition. Et aux termes de l’article 106, «Les postes de présidents des commissions permanentes sont répartis entre les groupes parlementaires proportionnellement au nombre de députés de chaque groupe». En application de ces dispositions, la vice-présidence de l’Assemblée nationale et trois présidences de commissions permanentes devraient revenir à des personnes choisies parmi les membres de l’opposition. Ces dispositions sont conformes aux recommandations de la Commission de Venise: «La Commission de Venise prône la représentation proportionnelle aux postes à responsabilité, qu’elle considère comme une importante garantie des droits de l’opposition. Dans la plupart des grandes commissions (du budget ou du contrôle des services de sécurité par exemple), il est recommandé de réserver certains sièges à l’opposition, au-delà même de sa représentation au parlement, ou de lui confier la présidence de la commission. Le respect du principe de représentation proportionnelle est également recommandé dans la composition des délégations des parlements nationaux auprès des associations parlementaires internationales et autres organismes similaires».
56. Le groupe Hayastan a proposé la candidature de M. Artur Ghazinyan au poste de vice-président de la commission permanente de la défense et de la sécurité, qui a été rejetée par le vote de la majorité. Hayastan a proposé le même candidat 16 fois et la majorité l’a rejeté 16 fois. Cette répétition illustre l’absence de coopération entre l’opposition et la majorité à l’Assemblée nationale.
57. Dans notre rapport de 2022 sur le fonctionnement des institutions démocratiques, nous nous demandions «si la majorité issue des élections de 2021 et la nouvelle opposition [seraient] à même de jouer leurs rôles, de manière constructive et non confrontationnelle, alors que la campagne électorale [avait] été caractérisée par des déclarations incendiaires» 
			(40) 
			Doc. 15432, par. 83.. Nous avons donc appris avec regret que les membres de l’opposition qui occupaient l’une des vice-présidences de l’Assemblée nationale et trois présidences de commission permanente avaient quitté ces postes. Le vice-président de l’opposition, M. Ishkhan Sagatelyan, et le président de la commission des affaires économiques, M. Vahe Hakobyan, ont été démis de leurs fonctions le 2 juillet 2022 pour absences répétées 
			(41) 
			<a href='https://jam-news.net/two-opposition-mps-lost-their-positions-in-armenian-parliament-amid-failure-to-fulfil-obligations/'>JAMnews</a> (2 juillet 2022). . Ces absences correspondaient à un moment où les deux groupes de l’opposition, Hayastan et Pativ Unem, boycottaient les séances de l’Assemblée nationale et participaient à des rassemblements et manifestations à Erevan. Il est utile de rappeler que dans les paramètres des rapports entre la majorité parlementaire et l’opposition dans une démocratie, la Commission de Venise considère que «[…] le boycott de masse organisé et prolongé des travaux parlementaires par l’opposition en tant que forme légitime d’action politique […] n’est acceptable que dans des cas rares et extrêmes où le comportement de la majorité remet en cause la légitimité du parlement. Des désaccords sur des questions politiques courantes, même majeures, ne sauraient justifier le boycott» 
			(42) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2019)015-f'>CDL-AD(2019)015</a>, par. 60..
58. Après avoir entendu des membres des groupes de l’opposition ainsi que des représentants de la majorité, nous en appelons au sens de l’intérêt national et à la sagesse politique de toutes les parties concernées pour trouver une solution rapide pour que l’opposition puisse jouer pleinement son rôle au parlement. Les boycotts pratiqués par l’opposition légitiment la volonté de la majorité d’écarter ses propositions, mais les deux lignes d’action tendent à discréditer les travaux et la légitimité du parlement et, au bout du compte, compromettent le soutien de la population aux institutions démocratiques arméniennes. Nous recommandons à toutes les parties prenantes de respecter les critères énoncés par la Commission de Venise dans le document intitulé «Paramètres des rapports entre la majorité parlementaire et l’opposition dans une démocratie: une liste des critères» et de revoir le règlement de l’Assemblée nationale en conséquence, en tant que de besoin.

4.3. Procédure de nomination à l’Assemblée nationale

59. Le bon fonctionnement du système d’équilibre des pouvoirs requiert également la pleine participation de l’opposition parlementaire, notamment s’agissant des nominations aux organes collégiaux indépendants. La Commission de Venise est très claire à cet égard: «Il importe de dépolitiser les nominations à certaines fonctions non gouvernementales de haut niveau ou aux organes collégiaux indépendants. Les procédures de sélection, de désignation et de nomination devraient donc reposer dans toute la mesure possible sur un consensus entre les partis politiques. Il devrait au moins exister des dispositifs limitant la dominance de la majorité parlementaire au sein des organes collégiaux, ou l’importance de l’affiliation des titulaires de fonctions au parti ou à la coalition au pouvoir.» 
			(43) 
			Ibid.,
par. 139. 
60. En outre, «[l]a majorité qualifiée nécessaire à une nomination (trois quarts, deux tiers, trois cinquièmes, etc.) dépendrait du contexte politique de chaque pays. Mais une règle de majorité qualifiée ne sera d’aucun secours dans un système où le parti gouvernemental ou un bloc possède déjà le nombre nécessaire de voix pour nommer à lui seul les candidats. En pareil cas, l’exigence de majorité qualifiée peut finir par desservir l’opposition à long terme, si elle n’est pas complétée par un mécanisme antiblocage efficace, sans lequel le remplacement d’un titulaire de fonction en fin de mandat (et probablement au cours de la législature suivante) peut être difficile, donc la règle de majorité qualifiée risque de pérenniser le choix d’une majorité au pouvoir à un moment donné» 
			(44) 
			Ibid. [Italiques ajoutés
par nous]..
61. Des groupes de l’opposition ainsi que des organisations de la société civile ont attiré notre attention sur certaines nominations à des postes importants d’organismes indépendants. Les candidats proposés par les partis d’opposition ont été rejetés tandis que ceux de la majorité ont été élus à la commission de la télévision et de la radio. M. Arthur Razmik Davtyan 
			(45) 
			Nous avons rencontré
M. Davtyan ainsi que plusieurs autres membres de la Cour de cassation
le 7 novembre 2023., député de la coalition au pouvoir depuis 2019, a été élu juge à la Cour de cassation par l’Assemblée nationale. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a ensuite proposé sa candidature comme président de la chambre anticorruption au Président de la République, qui l’a nommé à ce poste le 3 mars 2023. M. Vahagn Hovakimyan 
			(46) 
			Nous
avons rencontré M. Hovakimyan le 7 novembre 2023 à la Commission
électorale centrale., qui était député de la coalition au pouvoir, a été élu président de la Commission électorale centrale le 7 octobre 2022. M. Karen Andreasyan 
			(47) 
			Nous avons rencontré
M. Andreasyan le 7 novembre 2023 au Conseil supérieur de la magistrature., alors ministre de la Justice, a été élu membre du CSM par l’Assemblée nationale, puis en a été élu président.
62. Chacune de ces nominations peut être parfaitement fondée, compte tenu des qualifications professionnelles et du parcours de chaque candidat. Toutefois, le fait que ces personnes aient été perçues par l’opinion publique comme liées à la coalition au pouvoir a des effets négatifs sur la perception de leur indépendance politique et, in fine, sur la confiance dans les institutions qu’elles servent aujourd’hui. La légitimité des contrepouvoirs et des organes de contrôle indépendants est primordiale et dépend dans une très large mesure de la perception de leur indépendance politique. Nous encourageons la majorité politique arménienne à engager des discussions ouvertes et transparentes avec l’opposition à l’Assemblée nationale sur les nominations, même si la majorité requise est déjà assurée, afin de garantir l’indépendance des personnes nommées et d’instaurer de bonnes pratiques au sein du système politique arménien. Les décisions qui exigent la majorité des deux tiers au parlement devraient être prises avec l’accord des membres de l’opposition, même si leur voix n’est pas nécessaire d’un point de vue arithmétique, à moins que l’opposition n’ait manifestement recours à des manœuvres dilatoires.
63. Dans ce contexte, nous sommes préoccupés par les allégations de politisation des débats sur les élections des membres de la Commission pour la prévention de la corruption (CPC) qui ont eu lieu les 6 et 7 décembre 2023. Selon l’ex-présidente de la commission, Mme Haykuhi Harutyunyan 
			(48) 
			Nous
avons rencontré Mme Harutyunyan alors qu’elle présidait encore la
CPC le 7 novembre 2023., «la nature du processus de sélection pour 2023 et les débats à l’Assemblée nationale ont porté atteinte au respect de la diversité et à la possibilité pour les partis d’opposition d’exercer une quelconque influence. En conséquence, le risque de politisation de la CPC a augmenté». Aucun candidat n’ayant encore été élu, majorité et opposition peuvent encore parvenir à une décision consensuelle. Nous estimons qu’une telle issue serait extrêmement bénéfique pour les institutions démocratiques arméniennes, car elle inscrirait la pratique dans l’esprit des recommandations de la Commission de Venise sur les rapports entre la majorité et l’opposition et créerait un précédent positif. En outre, la confiance dans l’indépendance politique de la CPC est cruciale pour la crédibilité de la lutte contre la corruption en Arménie. La procédure de nomination a été identifiée par le GRECO comme un élément essentiel à cet égard 
			(49) 
			Cf. par. 91 de la partie
5.3 (Lutte contre la corruption).

5. État de droit

5.1. Réforme de la police

64. Une réforme ambitieuse de la police est en cours. Cette réforme est fondamentale à bien des égards pour l’amélioration de l’État de droit en Arménie. En 2020, une stratégie de réforme complète a été adoptée dans le but affirmé de rapprocher la police des citoyens. Cette réforme est l’aboutissement d’un long processus commencé en 2014 
			(50) 
			Parsons
et Fluri, «Armenia – Police Reform as a Cooperative Effort: Lessons
Learned from An International Advisory Mission 2014-2017», Nemzetbiztonsagi
Szemle, 2022, p. 25-43..
65. En janvier 2023, un ministère des Affaires intérieures a été réinstitué. L’Arménie avait un ministère de l’Intérieur jusqu’à ce que l’ancien président Robert Kotcharian l’abolisse et transforme la police en une structure séparée, subordonnée à la Présidence de la République. La police est devenue responsable devant le Premier ministre après le passage de l’Arménie à un régime parlementaire. Dans sa Résolution 2427 (2022), l’Assemblée a appelé «les autorités arméniennes à mettre en œuvre leur projet d’instituer à nouveau un ministère de l’Intérieur et de lui attribuer une partie des forces de l’ordre qui sont actuellement placées sous l’autorité directe du Premier ministre» 
			(51) 
			Résolution 2427 (2022), par. 12..
66. Le 24 novembre 2022, un projet de loi sur le rétablissement du ministère des Affaires intérieures a été présenté par le gouvernement et l’Assemblée nationale l’a adopté en décembre 2022. Nous avons rencontré le nouveau ministre des Affaires intérieures, M. Vahe Ghazaryan, lors de notre visite à Erevan en novembre 2023.
67. L’aspect le plus important de la réforme consiste à transformer la police en implantant le modèle de police de proximité. Cela implique une refonte totale du système d’instruction et de formation de la police, ainsi que des méthodes de recrutement et de gestion du personnel. De telles réformes mettent nécessairement du temps à produire leurs effets, mais un premier résultat a été la création d’un nouveau service de patrouille. Le nouveau service a été conçu pour faire figure de modèle pour l’ensemble des forces de police et les autorités espèrent que cela produira des changements majeurs dans les relations entre la police et la population 
			(52) 
			<a href='https://armenpress.am/fre/news/1123030.html'>«Nikol
Pashinyan: nous voulons changer la qualité des relations entre les
citoyens et la police».</a>. Le nouveau service de patrouille de police a commencé à fonctionner à Erevan en juillet 2021 et a été déployé dans tout le pays en octobre 2023.

5.2. Indépendance du pouvoir judiciaire

68. Lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, l’Arménie s’est engagée notamment à réformer son système judiciaire afin de garantir la totale indépendance de la magistrature. Cette réforme s’est avérée très difficile à mettre en œuvre et l’indépendance du système judiciaire reste un enjeu politique majeur. Le système judiciaire arménien inspire peu confiance. La corruption généralisée, le manque de professionnalisme et la politisation figurent parmi les critiques les plus fréquentes. Après la révolution de velours de 2018, le gouvernement a envisagé de procéder à une vérification complète des antécédents de tous les juges (vetting, en anglais) et a ensuite proposé de redéfinir les conditions d’incompatibilité avec effet rétroactif. Grâce au dialogue permanent avec le Conseil de l’Europe, les autorités arméniennes ont abandonné ces plans radicaux au profit d’un ensemble de mesures moins extrêmes visant notamment à améliorer les mécanismes disciplinaires des juges, considérés comme inefficaces et trop protecteurs pour les juges.
69. Plusieurs mesures ont été prises ces dernières années pour promouvoir l’indépendance des juges et renforcer ainsi la confiance de la population arménienne dans le système judiciaire. Parmi ces mesures, citons une augmentation du salaire des enquêteurs et des procureurs en 2018, puis des juges en 2024, ainsi que la création de nouveaux tribunaux «anti-corruption» et le contrôle des juges, des procureurs et des enquêteurs par la Commission pour la prévention de la corruption. Certaines tendances encourageantes ont été observées et l’on assiste à un changement de comportement de la part des juges.
70. Dans notre rapport de janvier 2022, nous avions conclu que dans le domaine judiciaire, «de nombreuses réformes ont déjà été conduites ou engagées. Elles mettront quelque temps avant de donner des résultats d’une certaine ampleur, mais les fondations d’un appareil judiciaire plus indépendant sont en train d’être posées. Les mesures prises pour renforcer la transparence et l’indépendance des processus de recrutement et d’avancement des juges ont été jugées satisfaisantes tant par le GRECO que par la Commission de Venise. La question de la procédure disciplinaire reste encore en débat, car elle est perçue par les autorités arméniennes comme un levier fondamental pour garantir un comportement plus vertueux des juges en place. Celle de la qualité de la justice également» 
			(53) 
			Doc. 15432, par. 109..
71. La procédure disciplinaire, perçue comme manquant de transparence, focalise les critiques. L’opposition accuse le ministre de la Justice d’utiliser les procédures disciplinaires pour intimider les juges, les réduire au silence ou influencer leurs décisions.
72. Le 21 juillet 2022, le Gouvernement arménien a approuvé la Stratégie de réforme judiciaire et juridique 2022-2026 et le plan d’action qui en découle. Le 25 août 2022, le ministre de la Justice d’Arménie a demandé l’avis de la Commission de Venise sur un projet de loi constitutionnelle visant à compléter et à modifier le Code judiciaire. La Commission de Venise s’est félicitée de l’ouverture des autorités arméniennes à un véritable dialogue avec le Conseil de l’Europe et de leurs efforts continus pour améliorer le système de gouvernance judiciaire conformément aux normes européennes, dans les limites fixées par la Constitution nationale, et compte tenu du contexte juridique et politique global du pays 
			(54) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2022)044-f'>CDL-AD(2022)044.</a>.
73. S’agissant du contenu de la réforme proposée, le Conseil de l’Europe et les autorités arméniennes ont discuté en particulier de deux éléments du mécanisme disciplinaire actuel: le pouvoir du ministre de la Justice d’engager des procédures disciplinaires à l’encontre des juges et l’absence de système approprié de recours contre des décisions du CSM en matière disciplinaire.
74. Trois acteurs peuvent engager une procédure disciplinaire à l’encontre d’un juge; la commission d’éthique et de discipline de l’Assemblée générale des juges (CED), le ministre de la Justice et la Commission pour la prévention de la corruption, mais dans ce dernier cas uniquement pour non-respect des règles en matière de déclaration. Les autorités qui engagent une procédure disciplinaire disposent de vastes pouvoirs d’investigation: elles peuvent demander et étudier les dossiers judiciaires pertinents, demander des explications écrites au juge concerné, demander des informations aux personnes qui portent plainte contre des juges ainsi qu’à d’autres personnes physiques et morales, à des organes ou à des fonctionnaires de l’État. Sur la base de cette enquête, l’organe qui a engagé la procédure peut soit l’interrompre, soit soumettre l’affaire au CSM pour qu’il statue sur le fond.
75. Le manque de transparence au niveau du ministère de la Justice lorsqu’il s’agit de décider s’il convient de saisir le CSM d’un dossier aux fins de l’ouverture d’une procédure disciplinaire est critiqué. On constate de même un manque de transparence des décisions de la CED qui ne sont soumises à aucun contrôle public. Certaines décisions d’engager des procédures à l’encontre de magistrats sur le fondement des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ont été perçues comme arbitraires, et la Commission pour la prévention de la corruption a proposé que de telles procédures soient engagées de manière plus transparente, en appliquant des critères objectifs 
			(55) 
			<a href='http://cpcarmenia.am/hy/news/item/2023/07/04/1/'>http://cpcarmenia.am/hy/news/item/2023/07/04/1/.</a>.
76. Le gouvernement, pour sa part, approuve l’idée de retirer à terme le pouvoir d’engager des procédures disciplinaires au ministre de la Justice, mais un fort corporatisme survit au sein de la magistrature et empêche toute forme de sanctions disciplinaires contre des juges. Selon les données statistiques du ministère de la Justice, la CED et le ministère de la Justice reçoivent presque le même nombre de demandes (environ 600 par an), mais le ministre engage deux fois plus de procédures que la CED (33 ou 34 par an contre 17) et les saisines du CSM par le ministre à l’issue de la procédure sont quatre fois plus nombreuses: ce dernier lui transmet en moyenne 20 affaires, contre quatre ou cinq pour la CED. Selon le ministre de la Justice, ces chiffres montrent que la CED est trop clémente en raison de son corporatisme.
77. Dans l’avis rendu en décembre 2022, la Commission de Venise avait estimé que «même si l’implication du ministre est actuellement considérée comme un outil permettant de lutter contre le corporatisme judiciaire […] dans une perspective à plus long terme, il serait préférable de retirer ce pouvoir au ministre, dès que d’autres mécanismes – à savoir la CED – auront prouvé leur efficacité».
78. En conséquence, le ministère de la Justice a élaboré un «document conceptuel concernant la réforme de la commission d’éthique et de discipline de l’Assemblée générale des juges» qu’il a soumis à la Commission de Venise le 26 septembre 2023 pour avis. La Commission de Venise a préparé un avis conjoint avec la Direction générale droits humains et État de droit (DGI), qu’elle a adopté les 15 et 16 décembre 2023 
			(56) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2023)045-f'>CDL-AD(2023)045</a>. .
79. La CED compte actuellement six magistrats et deux membres non professionnels, tous élus par l’Assemblée générale des juges. La réforme propose de modifier cette composition. L’Assemblée générale des juges conserverait le pouvoir d’élire les membres non professionnels, mais les candidats devraient être désignés par le Défenseur des droits humains de la République d’Arménie, la Commission pour la prévention de la corruption, le ministre de la Justice et les organisations de la société civile (qui désigneraient deux membres). Les candidats seraient soumis aux mêmes conditions d’éligibilité et la sélection se ferait par concours. La CED serait donc composée de 11 membres, six magistrats et cinq membres non professionnels.
80. La Commission de Venise et la DGI ont évalué positivement la présence accrue de membres non professionnels au sein de la CED afin de limiter les risques de corporatisme et ont accueilli favorablement la réforme à cet égard. Néanmoins, elles ont averti que la réforme devrait garantir que la procédure de nomination ne soit pas politisée et que les organes de nomination ne soient pas considérés comme des outils permettant d’exercer une influence inappropriée sur le pouvoir judiciaire.
81. Si la CED, le ministère de la Justice ou la CPC estime que l’affaire disciplinaire exige une sanction, cette décision est soumise au CSM. Cet organe est composé de cinq juges élus pour cinq ans par l’Assemblée générale des juges et de cinq éminents juristes élus aussi pour cinq ans par le parlement. Le CSM étant actuellement présidé par l’ancien ministre de la Justice, d’aucuns considèrent que le gouvernement exerce un contrôle sur ses décisions. Le fait que la majorité parlementaire puisse élire les membres non professionnels du CSM sans avoir à divulguer les raisons de leur sélection alimente aussi les critiques dénonçant des choix motivés par des considérations politiques. La Commission de Venise a également estimé que le CSM devrait échapper à toute influence politique et formulé la proposition suivante: «Parmi les garanties de neutralité politique du CSM, les autorités pourraient envisager, si nécessaire par le biais d’une modification de la Constitution, les restrictions imposées aux hommes politiques (y compris les hommes politiques récents) pour devenir membres du CSM. Le Code judiciaire interdit aux membres du [CSM] d’exercer, entre autres, des activités politiques (article 83, paragraphe 1), mais cette restriction n’est pas suffisante et n’aborde pas le problème des membres de la classe politique qui, sans période d’attente, peuvent occuper un poste au sein du CSM 
			(57) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2023)045-f'>CDL-AD(2023)045</a>, par. 32..» Cette recommandation de la Commission de Venise va dans le sens des observations sur la procédure de nomination que nous avons formulées au paragraphe 54, et nous y souscrivons pleinement.
82. Il n’y avait pas de mécanisme de contrôle satisfaisant des décisions du CSM en matière disciplinaire. L’Assemblée nationale a amendé le Code judiciaire le 25 octobre 2023 afin d’instaurer un système de recours basé sur les recommandations de la Commission de Venise. Ce mécanisme devrait contribuer à atténuer les critiques relatives à la politisation perçue de certaines décisions prises par cette instance (justification incohérente ou peu claire des mesures disciplinaires, absence de critères clairs justifiant la sanction retenue ou manque de proportionnalité, retards de procédure conduisant à l’abandon des affaires, faible responsabilisation). Les évaluations menées par la CPC afin de vérifier l’intégrité des candidats aux fonctions de juge ne sont pas publiques et le CSM aurait souvent ignoré les évaluations lors de la désignation des juges, même en cas de partialité politique ou de fortune inexpliquée.
83. Dans l’ensemble, la Commission de Venise et la DGI ont porté une appréciation très positive sur les réformes proposées; il convient de féliciter une fois de plus les autorités arméniennes pour leur réel engagement à réformer le système judiciaire conformément aux normes européennes et en s’appuyant sur l’expertise de la Commission de Venise. La réforme de la CED pour lutter contre le risque de corporatisme permettra de retirer progressivement au ministère de la Justice le pouvoir d’engager une procédure disciplinaire, apportant ainsi une solution bienvenue face aux inquiétudes qui subsistent quant à l’indépendance du pouvoir judiciaire en Arménie. Nous suivrons de près les débats autour du projet de réforme lorsqu’il sera présenté à l’Assemblée nationale. Par ailleurs, dans le cadre des discussions sur d’éventuelles modifications de la Constitution, M. Pachinian a évoqué la possibilité de réformes ayant un impact sur le système judiciaire. Si de tels changements devaient intervenir, nous serions bien sûr extrêmement attentifs à leur incidence sur l’équilibre des pouvoirs et le fonctionnement des institutions.

5.3. Lutte contre la corruption

84. La lutte contre la corruption est une priorité pour les autorités arméniennes et plusieurs mesures importantes ont été prises. De nombreuses réformes institutionnelles ont été menées ces deux dernières années. Deux organes spécialisés dans la lutte contre la corruption ont été créés: la Commission pour la prévention de la corruption, mise en place en 2019, et un organe répressif spécialisé, le Comité anti-corruption, institué en octobre 2021. Il existe également des tribunaux anti-corruption spécialisés. Le Bureau du Procureur général de la République d’Arménie compte deux services spécialisés dans la lutte contre la corruption: le Service pour la confiscation des biens d’origine illicite et le Service de contrôle de la légalité des procédures d’instruction du Comité anti-corruption. Le Service pour la confiscation des biens d’origine illicite a été constitué le 3 juin 2020.
85. La loi relative à la Commission pour la prévention de la corruption a été adoptée en 2017. La CPC est un organe autonome et collégial composé de cinq membres. Elle est chargée de la prévention de la corruption et de la mise en œuvre de l’éducation à la lutte contre la corruption. Elle tient le registre public des déclarations de patrimoine, de revenus, de dépenses et d’intérêts, vérifie la crédibilité des données communiquées et impose des sanctions administratives en cas de non-déclaration. Ses pouvoirs en matière d’examen des déclarations ont récemment été étendus pour permettre une vérification adéquate des déclarations et elle est désormais habilitée à recevoir des informations couvertes par le secret bancaire. La CPC effectue des contrôles d’intégrité pour les catégories suivantes: les candidatures à la fonction de juge de la Cour constitutionnelle ou pour devenir membre du CSM, les candidatures au poste de juge, les juges aspirant à figurer sur les listes de promotion, le procureur général ou la procureure générale et ses substituts, les candidatures à la fonction de procureur, les procureurs aspirant à figurer sur les listes de promotion, la personne placée à la tête du Comité anti-corruption et ses adjoints ainsi que les membres du comité en charge des investigations, les agents du Service de renseignement opérationnel. La méthodologie de ces contrôles a été progressivement améliorée avec l’assistance technique du Conseil de l’Europe.
86. La loi relative au Comité anti-corruption est entrée en vigueur en octobre 2021. Le Comité anti-corruption a compétence exclusive pour mener l’instruction pénale et les opérations de renseignement criminel en cas de corruption présumée. La création de ce comité est une réforme bienvenue, car les fonctions d’enquête dans les affaires de corruption étaient éparpillées entre de multiples instances. Cet organe est désormais pleinement opérationnel. Selon les statistiques officielles, le nombre d’affaires de corruption enregistrées a augmenté de 79,5 % entre 2022 et 2023 
			(58) 
			<a href='https://www.anticorruption.am/en/news/view/293'>Comité
anti-corruption</a> de la République d’Arménie (23 octobre 2023). Ces chiffres
couvrent une période de neuf mois en 2022 et 2023.. Le nombre d’affaires portées devant les tribunaux a également sensiblement augmenté au cours de l’année écoulée. Cela ne résulte pas d’une hausse réelle des cas, mais de l’efficacité accrue de la lutte contre la corruption, rendue possible par une amélioration des services répressifs, une confiance accrue du public dans ces services et un changement de mentalité dans la population, qui signale désormais beaucoup plus souvent les cas de corruption présumée.
87. Selon les évaluations du GRECO, l’Arménie a désormais mis en œuvre ou traité de manière satisfaisante les 19 recommandations figurant dans le rapport du troisième cycle d’évaluation. Le quatrième cycle d’évaluation («Prévention de la corruption des parlementaires, juges et procureurs») est en cours, le second rapport intérimaire a été publié en mars 2023. En ce qui concerne les parlementaires, des progrès sont constatés. La consultation publique dans le processus législatif a été rendue obligatoire pour les projets de loi déposés par le gouvernement. Un projet de code d’éthique des députés et des projets d’amendements au Règlement intérieur de l’Assemblée nationale visant à établir un mécanisme de contrôle du respect des normes éthiques par les députés ont été élaborés, mais ils n’ont pas encore été présentés au GRECO pour examen. La supervision des activités parallèles des députés n’a pas encore donné de résultats tangibles 
			(59) 
			Voir également le chapitre
5.2.. Le rapport du cinquième cycle d’évaluation sur l’Arménie a été adopté par le GRECO lors de sa 96e réunion plénière (18-22 mars 2024). Il contient 11 recommandations concernant la prévention de la corruption et la promotion de l’intégrité au sein des hautes fonctions de l’exécutif, et 11 concernant les services répressifs. Nous suivrons attentivement la mise en œuvre de ces recommandations par les autorités arméniennes.
88. Un nouveau plan d’action contre la corruption a été adopté pour la période 2023-2026.
89. Ces évolutions prometteuses doivent être confirmées sur le long terme, mais elles témoignent d’une véritable détermination à lutter contre la corruption, comme le montrent les affaires impliquant de hauts fonctionnaires. Le ministre de l’Économie, Vahan Kerobyan, a ainsi démissionné de ses fonctions le 13 février 2024. Il a été assigné à résidence pendant deux mois après avoir été inculpé du chef d’abus de pouvoir à la suite d’une enquête sur un appel d’offres du gouvernement pour des services destinés à la Banque des projets d’investissement public.
90. Néanmoins, il ressort des rapports annuels de Transparency International sur l’indice de perception de la corruption que la perception de ce phénomène se maintient à des niveaux élevés et que les progrès encourageants semblent être au point mort. L’Arménie a amélioré son score d’un point au classement de l’indice de perception de la corruption en 2023. Avec 47 points sur 100 (note maximale), elle occupe le 62e rang sur 180 pays.
91. Dans le deuxième rapport de conformité intérimaire publié en 2023 dans le cadre du quatrième cycle d’évaluation 
			(60) 
			<a href='https://rm.coe.int/grecorc4-2023-6-final-fr-2e-interim-armenie-conf/1680aacade'>GrecoRC4(2023)6</a>. , le GRECO a rappelé que l’indépendance de la CPC «est cruciale pour la confiance du public dans le système». Le GRECO a examiné en détail le processus de nomination des membres de la Commission pour la prévention de la corruption afin de s’assurer de son indépendance opérationnelle. Nous sommes par conséquent préoccupés par la politisation alléguée du débat relatif à la désignation de ses membres 
			(61) 
			Voir supra, par. 63.. Selon l’organisation de la société civile Coalition anti-corruption d’Arménie, les organes du dispositif institutionnel de lutte contre la corruption en Arménie ne bénéficient toujours pas d’une réelle indépendance opérationnelle; leur direction est assurée par des personnes dont la nomination est le fruit d’accords politiques et du népotisme au lieu de résulter d’un concours organisé selon des procédures ouvertes et transparentes, garantissant l’égalité des chances. En conséquence, assigner un personnel professionnel, porteur de valeurs d’intégrité et compétitif dans les organes du système institutionnel de lutte contre la corruption échoue dans les faits 
			(62) 
			Déclaration de l’organisation
de la <a href='https://aac.am/en/7255.html'>société
civile Coalition anti-corruption</a> d’Arménie au sujet du score obtenu par l’Arménie à l’Indice
de perception de la corruption..
92. La procédure de nomination des membres de la CPC sera donc examinée très attentivement, car il est essentiel que cette commission soit perçue comme une institution indépendante, dénuée de toute politisation.

6. Droits humains

93. En février 2024, 75 arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme étaient en attente d’exécution. Les questions soumises à une surveillance soutenue nécessitent un travail constant. Il s’agit notamment d’affaires concernant des mauvais traitements et/ou des actes de torture en garde à vue, un défaut d’enquête effective sur le décès de conscrits militaires, des refus de soins appropriés en prison, des violations du droit à la liberté de réunion et d’autres droits dans le cadre du maintien de l’ordre lors de manifestations. Plusieurs de ces questions ont été abordées lors de nos échanges avec les autorités à Erevan.

6.1. Situation dans les prisons

94. La surpopulation carcérale, tout comme l’état de délabrement de certains de ses établissements pénitentiaires, est un mal chronique qui sévit depuis des années en Arménie. Le premier rapport consacré à l’Arménie du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a été publié en 2004 et neuf autres ont suivi. La dernière visite du CPT a eu lieu du 12 au 22 septembre 2023 
			(63) 
			«Le <a href='https://www.coe.int/fr/web/cpt/-/council-of-europe-anti-torture-committee-cpt-visits-armenia'>Comité
anti-torture</a> du Conseil de l'Europe (CPT) effectue une visite en
Arménie»..
95. En 2010, la surpopulation carcérale était une caractéristique commune à tous les établissements pénitentiaires visités par la délégation du CPT: «la plupart des cellules étaient fortement surpeuplées, un grand nombre de détenus dormant sur les lits à tour de rôle ou par terre (par exemple, 19 détenus se partageaient 12 lits dans une cellule de 26 m²)». Cette situation a été confirmée dans le rapport de 2015.
96. Un changement radical et bienvenu a eu lieu après la révolution de velours, puisqu’en 2019, le CPT a été informé que la surpopulation carcérale n’était plus un problème en Arménie: «Au moment de la visite, le système pénitentiaire avait une capacité de 5 346 places et la population carcérale s’élevait à 2 225 détenus, dont 1 025 prévenus. Ces chiffres représentaient une baisse massive par rapport à la situation lors de la visite menée par le CPT en 2015 (environ 3 900 détenus). Il convient d’ajouter que localement, aucune des prisons dans lesquelles la délégation du CPT s’est rendue en 2019 n’était surpeuplée (comme cela avait pu être le cas en 2015), ce qui est assurément un élément très positif et que l’on peut saluer.»
97. Cela était dû en grande partie à l’amnistie de grande portée décidée par le parlement en novembre 2018. L’amnistie, qui concernait quelque 6 500 personnes (pas uniquement des détenus, mais aussi des personnes inculpées et sous le coup d’une enquête qui étaient maintenues en liberté dans l’attente d’être jugées), a entraîné la libération d’environ 660 détenus. Une telle amnistie est une mesure ponctuelle qui ne garantit pas que la population carcérale ne va pas recommencer à croître, mais l’adoption d’un nouveau Code pénal et d’un nouveau Code pénitentiaire laisse espérer des résultats à long terme. Selon les dernières statistiques pénales du Conseil de l’Europe, le taux d’incarcération en Arménie était «très faible» (soit inférieur de plus de 25 % à la valeur médiane européenne) et la densité carcérale était aussi «très faible». Au 31 janvier 2022, la population carcérale s’élevait à 2 128 détenus en Arménie et le taux d’incarcération était de 71,6 % 
			(64) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/prison/space'>SPACE</a> - Statistiques Pénales Annuelles du Conseil de l’Europe..
98. Les conditions matérielles de détention, en revanche, n’ont pas connu d’amélioration aussi spectaculaire. Dans son dernier rapport (2021), le CPT relevait que: «la principale décision prise récemment par les autorités arméniennes a été de fermer plusieurs prisons anciennes […] et de les remplacer par de nouveaux établissements ou unités édifiés spécifiquement, selon les normes internationales actuelles. Cette décision est très positive.» Deux établissements pénitentiaires ne sont plus opérationnels depuis le 1 janvier 2022. Les travaux de conception et d’estimation des coûts sont en cours en vue de construire de nouveaux établissements pénitentiaires conformes aux normes internationales.
99. Néanmoins, les conditions matérielles dans les établissements pénitentiaires restent une préoccupation majeure. Dans l’établissement mis en service le plus récemment – à savoir la prison d’Armavir, qui a ouvert ses portes en 2015 –, la délégation du CPT a constaté ce qui suit: «De nombreuses parties de l’établissement présentaient des murs, des sols ou des plafonds humides et décrépis, des canalisations cassées et des carrelages dégradés; c’est dans l’aile d’admission (de «quarantaine») que les conditions, réellement inacceptables, étaient les pires. […] et certaines parties de la prison […] étaient extrêmement sales et infestées de vermine» 
			(65) 
			<a href='https://rm.coe.int/1680a29ba1'>CPT/Inf (2021) 10</a>, p. 24..  De surcroît, «aucune des prisons visitées ne proposait ne serait-ce qu’un semblant de programme d’activités organisées constructives hors de la cellule; en outre, il n’y avait toujours pas d’évaluation individuelle des risques et des besoins, ni de projets individuels d’exécution de la peine, et quasiment pas de préparation à la remise en liberté; de plus, faute de possibilité de travailler pendant leur incarcération, la plupart des détenus ne pouvaient prétendre à une libération anticipée».
100. Lors de l’adoption du projet de code pénitentiaire en mai 2022, le Premier ministre a fait les déclarations suivantes: «[…] nous avons adopté des réformes importantes liées à la détention provisoire et au service de probation. Dans la prochaine étape, nous devrions déjà aborder la question des infrastructures physiques dans le secteur pénitentiaire, car c’est l’une des questions les plus importantes. Nos centres pénitentiaires, en termes d’infrastructure physique et de sécurité à tous égards, ne répondent pas aux normes que nous avons fixées dans les lois, dans notre idéologie en général.» 
			(66) 
			<a href='https://www.primeminister.am/fr/press-release/item/2022/05/13/Cabinet-meeting/'>Site
web</a> du Premier ministre de la République d’Arménie (13 mai
2022). La nécessité de s’attaquer à ce problème est devenue impérieuse à la suite de la condamnation de l’Arménie par la Cour européenne des droits de l’homme, au motif que les effets cumulatifs des conditions de détention, dont la surface de l’espace personnel dont dispose chaque détenu, s’analysaient en un traitement dégradant 
			(67) 
			Cour
européenne des droits de l’homme, Volodya
Avetisyan c. Arménie, 3 mai 2022.. Dans leurs commentaires, les autorités ont expliqué que le service pénitentiaire met en œuvre toutes les mesures possibles – dans la limite des moyens financiers alloués chaque année à l’entretien et à la réparation des bâtiments et structures du parc carcéral – pour améliorer les conditions de détention.

6.2. Droit de réunion pacifique

101. Le respect du droit de manifester et la réponse des forces de l’ordre aux manifestations ont suscité des inquiétudes.
102. Conformément aux normes européennes en matière de droits humains, toute restriction à la liberté de réunion doit être prévue par la loi, constituer une mesure nécessaire dans une société démocratique et poursuivre un but légitime. L’article 136 du Code pénal arménien incrimine l’acte consistant à inciter matériellement à participer ou à ne pas participer à un rassemblement. Il ressort des Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique 
			(68) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2019)017rev-f'>CDL-AD(2019)017</a>. que le fait de contraindre des personnes à prendre part à un rassemblement ou de les empêcher d’y participer est passible de sanction. Néanmoins, la pratique consistant à encourager la participation aux rassemblements ne devrait pas être soumise à une réglementation légale, à moins que la disposition de telles incitations ne contrevienne aux lois imposant des limites proportionnelles au financement des campagnes électorales.
103. Il semble que M. Avetik Chalabian, figure de proue de l’opposition, a été condamné sur le fondement de l’article 136 pour avoir incité matériellement les étudiants à participer aux rassemblements de l’opposition en 2022. M. Chalabian a été privé de son droit d’organiser des rassemblements et de participer à d’autres événements ou rassemblements publics, ainsi que de changer de lieu de résidence, pendant deux ans et demi.
104. Dans le cas présent, les manifestations n’étaient pas liées à une campagne électorale, même si les rassemblements appelaient à la démission de M. Pachinian. Par conséquent, l’infraction alléguée ne constituait pas un manquement aux règles relatives au financement des campagnes électorales. Selon les Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, les incitations à participer à des rassemblements ne devraient pas être incriminées et l’utilisation qui a été faite des dispositions du Code pénal dans cette affaire est inquiétante. Une telle condamnation ne manquera pas d’avoir un effet dissuasif sur les personnes désireuses d’organiser des rassemblements, et le risque d’une application arbitraire de la loi est élevé. Dans un rapport conjoint, le Comité Helsinki d’Arménie et le Centre arménien pour les droits politiques ont appelé le Gouvernement arménien à soumettre cet article du Code pénal à la Commission de Venise, pour avis, et nous pensons en effet qu’une clarification s’impose.
105. En ce qui concerne le comportement des forces de police, dans son dernier rapport publié sur l’Arménie, en 2021, le CPT a indiqué que la grande majorité des personnes rencontrées par la délégation, qui se trouvaient ou avaient récemment été placées en garde à vue, avaient déclaré avoir été correctement traitées par les policiers. Toutefois, la délégation a bien eu connaissance de quelques allégations de mauvais traitements physiques récents de personnes en garde à vue. La plupart des allégations entendues dénonçaient un recours excessif à la force au moment de l’arrestation (à savoir, coups de poing, coups de pied, coups de matraque, le fait de secouer violemment une personne ou de la jeter au sol, contre un mur ou dans un véhicule de police) à l’encontre de personnes qui ne résistaient pas – ou plus – à leur arrestation, ainsi que l’usage prolongé et douloureux de menottes.
106. Le CPT a appelé les autorités arméniennes à faire savoir clairement aux fonctionnaires de police, dans l’ensemble du pays, qu’au moment de procéder à une interpellation, l’usage de la force doit être limité à ce qui est strictement nécessaire et que dès l’instant où la personne interpellée a été maîtrisée, rien ne saurait justifier qu’elle soit frappée. En outre, les membres des forces de l’ordre doivent être mieux formés à prévenir la violence et à la réduire au minimum dans le cadre d’une arrestation. Dans les cas où le recours à la force devient indispensable, ils doivent pouvoir appliquer des techniques professionnelles qui réduisent autant que possible tout risque de blesser les personnes qu’ils essaient d’arrêter 
			(69) 
			<a href='https://rm.coe.int/1680a29ba1'>CPT/Inf (2021) 10</a>..
107. Dans ce contexte, la réponse des forces de l’ordre au mouvement de protestation appelant à la démission de M. Pachinian en raison de sa gestion de la situation au Haut-Karabakh a fait l’objet de critiques, en particulier lors des manifestations organisées le 19 septembre 2023 et les jours suivants. Dans une déclaration du 9 octobre 2023, le groupe Hayastan a indiqué que «plus de 700 personnes [avaient] été conduites dans des commissariats à l’occasion de divers actes de désobéissance. Dans des cas extrêmes, une force disproportionnée a été utilisée contre elles […]».
108. Le Comité Helsinki d’Arménie a rendu compte des manifestations de l’opposition. Selon son rapport, des heurts ont éclaté, les 19 et 20 septembre 2023, entre les forces de l’ordre et les participants à un rassemblement devant le siège du gouvernement. La police a formé un cordon et bloqué les entrées du bâtiment. Certains manifestants ont tenté de rompre le cordon policier en poussant les agents, d’autres ont lancé des bouteilles en plastique et autres objets dans leur direction. À plusieurs reprises, grâce aux efforts du représentant de la police qui menait la négociation et aux appels au calme lancés via haut-parleur par des participants au rassemblement, la tension est retombée. Le soir du 19 septembre, à 20 h 50, lors d’un nouvel affrontement entre policiers et manifestants, la police a fait usage de grenades incapacitantes sans avertissement préalable. Au moins l’une d’entre elles a explosé au milieu d’une foule nombreuse, blessant des manifestants. Seize policiers et 18 civils ont été blessés lors de ces affrontements, selon le ministère de la Santé.
109. Dans son rapport au titre de l’Arménie sur les pratiques en matière de droits humains, Freedom House a observé ce qui suit concernant ces événements: «À plusieurs reprises les manifestants, dirigés par l’opposition et, selon les informations recueillies, mobilisés à l’instigation d’acteurs étrangers, ont fait preuve d’un comportement agressif et de violence en exigeant la démission du Premier ministre et en tentant de prendre d’assaut le bâtiment gouvernemental où il travaillait. La police a riposté en faisant un usage limité de la force, avec des tirs de grenades incapacitantes. Peu de cas de recours excessif à la force par la police ont été signalés lors de ces manifestations.» 
			(70) 
			<a href='https://www.state.gov/reports/2023-country-reports-on-human-rights-practices/armenia/'>US
Department of State</a>.
110. Le Défenseur des droits humains a envoyé systématiquement des «groupes d’intervention rapide» dans les commissariats où des personnes avaient été placées en garde à vue. Des entretiens sans témoin ont été menés avec les personnes placées en garde à vue; les motifs de la garde à vue, de même que la protection de leurs droits dans les commissariats, ont été évalués. Du 19 au 26 septembre, les représentants du Défenseur se sont entretenus en privé avec plus de 350 personnes privées de liberté.
111. Dans une déclaration publiée le 26 septembre 2023 
			(71) 
			<a href='https://www.ombuds.am/en_us/site/ViewNews/2711'>Défenseur
des droits humains</a> de la République d’Arménie (26 septembre 2023). , le Défenseur des droits humains a souligné que le droit fondamental à la liberté de réunion fait référence aux rassemblements pacifiques. Garantir le caractère pacifique des rassemblements relève de la responsabilité de l’État. Dans le même temps, il est essentiel que les participants garantissent à leur tour le déroulement pacifique du rassemblement, fassent preuve de retenue et se conforment aux exigences fixées par la loi. Le Bureau du Défenseur des droits humains a constaté que dans un certain nombre de cas, la force physique utilisée par les policiers lors de l’interpellation des personnes était disproportionnée et non justifiée par la nécessité de placer les personnes en garde à vue. Le Défenseur des droits humains a rappelé que l’usage disproportionné de la force par la police est inadmissible et inacceptable en toutes circonstances, mais a aussi fait état de cas dans lesquels les participants au rassemblement avaient blessé des policiers, ce qui est déplorable. Il a également établi que des manifestants avaient lancé des appels à la violence et tenu des discours de haine.
112. Vu la diversité des évaluations effectuées, il apparaît que la proportionnalité du recours à la force par la police en réaction à des manifestations parfois violentes est très délicate à apprécier. Sur le fondement des déclarations de citoyens emmenés dans un commissariat à la suite de ces événements, le service de la sécurité intérieure et de la lutte contre la corruption du ministère des Affaires intérieures a engagé 16 poursuites pénales concernant des cas de torture, 5 poursuites pénales relatives à des sévices et 5 poursuites pénales pour abus de pouvoir par un fonctionnaire.
113. Nous avons discuté de ces questions avec le ministre des Affaires intérieures, M. Vahe Ghazarian, que nous avons rencontré à Erevan. Les changements majeurs prévus par la stratégie de réforme de la police adoptée en 2020 incluent la révision de la formation initiale de base et de la formation professionnelle continue des policiers au sujet des manifestations, afin d’améliorer le contrôle des foules, la proportionnalité du recours à la force, la pratique policière eu égard à d’autres catégories de participants (journalistes, etc.). En ce qui concerne les événements d’Erevan, le ministre a déclaré que la police avait fait de son mieux pour rétablir l’ordre public et la sécurité, qu’elle s’était abstenue de recourir à la force et avait tenté de négocier pour assurer le caractère pacifique des manifestations. La police avait néanmoins été contrainte d’appréhender ceux prenant part aux actions de désobéissance civile, au cours desquelles des personnes avaient bloqué la circulation, suscitant des tensions et des risques d’affrontements entre manifestants et citoyens ordinaires. Il a ajouté que 27 enquêtes avaient été ouvertes contre des policiers en 2023 et que 21 policiers avaient été suspendus en conséquence. Dans le cadre de la stratégie nationale pour la protection des droits humains, le gouvernement envisage de revoir les lois relatives à la police afin de définir plus précisément les fonctions et missions des policiers et notamment les activités à mettre en œuvre dans le cadre des rassemblements et manifestations, conformément aux normes internationales. Des formations sur ce sujet vont être organisées pour les agents des forces de l’ordre concernés.
114. Une affaire très regrettable impliquant des policiers a aussi retenu notre attention: deux avocats avaient été frappés par des policiers dans l’enceinte d’un commissariat alors qu’ils assuraient la défense de leurs clients. Nous en avons discuté avec le ministre des Affaires intérieures lors de notre réunion. Il a clairement condamné les faits et nous a indiqué que les deux cas faisaient l’objet d’une enquête. Des informations complètes, y compris des enregistrements vidéo et audio, ont été fournies pour aider à identifier les auteurs et les dossiers sont traités conformément à la loi. Après cette affaire, une réunion entre le ministère des Affaires intérieures et des représentants du Barreau a eu lieu afin de mettre en place un protocole. Une équipe spéciale composée d’avocats et de policiers sera disponible 24 heures sur 24 pour prévenir l’escalade en cas de tensions et éviter leur aggravation.

6.3. Liberté d’information

115. L’accès des journalistes à l’information est régi par la loi de 2003 sur la liberté d’information, qui définit les règles générales applicables aux demandes d’informations publiques émanant de toutes les catégories de professionnels (journalistes, avocats, organisations de la société civile) ainsi que du grand public. La loi facilite l’exercice du droit d’accès à l’information, car elle s’applique à la fois à l’État et aux collectivités locales, ainsi qu’aux organisations privées assurant des services publics.
116. Toutefois, malgré les procédures et les règles précises de communication et de traitement des informations, il n’existe pas de mécanismes d’application efficaces, ce qui entrave l’exercice effectif du droit à la liberté d’information. La législation actuelle ne prévoit pas de dispositifs de contrôle de la mise en œuvre du droit d’accès à l’information, ni d’organisme habilité dans ce domaine. Selon certaines organisations de la société civile, l’accès à l’information ne s’est pas amélioré dans la pratique. Les demandes de renseignements sont souvent rejetées ou font l’objet de réponses tardives, et ne sont parfois pas du tout satisfaites. Les organes de l’État et les communes omettent souvent de publier des informations complètes et en temps utile. De plus, la loi sur le secret d’État adoptée en 2023 a introduit le nouveau concept d’«informations officielles à diffusion restreinte», fournissant ainsi les bases juridiques permettant d’imposer de nouvelles restrictions à l’accès à l’information. En classifiant simplement les informations comme «informations officielles à diffusion restreinte», les organes de l’État auront plus de latitude pour refuser l’accès à l’information.
117. En mai 2022, l’Arménie a ratifié la Convention du Conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics (STCE no 205, également connue sous le nom de «Convention de Tromsø»). La Convention vise à garantir pleinement la liberté d’information, et la législation et les pratiques nationales devront être mises en conformité avec ses dispositions. Le premier rapport des autorités sur son application a été transmis en janvier 2023.
118. Un nouveau projet de loi relatif à une politique unifiée en matière de données et au système d’information de l’État est en cours d’élaboration. Le ministère de l’Industrie de haute technologie a soumis le projet de loi sur la liberté de l’information et l’information du public à une consultation publique ouverte durant deux semaines en décembre 2023. Selon l’évaluation qu’en ont fait les organisations de la société civile, le projet de loi prévoit des règles détaillées sur l’accès à l’information et la gestion des données publiques. Le projet, censé remplacer la loi de 2003 sur la liberté d’information, introduit des réglementations plus étendues sur l’accès à l’information et aux données publiques. Outre les questions couvertes par la loi actuelle, il fournit, entre autres, des définitions précises de ce que l’on entend par «information» et «information publique», établit des règles concernant les registres et les bases de données de l’État et désigne l’organe compétent, chargé de contrôler l’application de la loi.
119. Compte tenu des craintes exprimées, le gouvernement a organisé, le 19 janvier 2024, une réunion avec les acteurs de l’administration publique et les représentants de la société civile afin d’examiner les préoccupations et les recommandations des deux parties. Sur la base des résultats de ce dialogue, le chef de cabinet du Premier Ministre a chargé les auteurs du projet d’examiner les avis et propositions des organisations de la société civile, et de poursuivre la discussion sur le projet révisé avec toutes les parties intéressées 
			(72) 
			Le <a href='https://www.gov.am/en/news/item/10473/'>Gouvernement</a> de la République d’Arménie (19 janvier 2024). . Nous nous félicitons de ce dialogue ouvert et des consultations menées dans le cadre de l’élaboration du projet, qui contribuent à garantir la légitimité et la qualité de la future loi.
120. Parmi les avancées positives concernant la liberté d’information, il faut citer l’abandon de l’incrimination pénale de «l’insulte grave» qui avait été introduite en juillet 2021 et avait été largement critiquée par les observateurs internationaux 
			(73) 
			Dans sa Résolution 2427 (2022), l’Assemblée a réitéré sa position selon laquelle la
diffamation ne devrait pas être érigée en infraction pénale. et nationaux, dont le Défenseur des droits humains d’Arménie. Nous saluons cette décision et rappelons l’invitation «à développer d’autres outils que la sanction à but préventif pour lutter contre la désinformation et les discours de haine» 
			(74) 
			Résolution 2427 (2022), par. 24.3..
121. Toutefois, la fin de la pénalisation de la diffamation ne protège pas les journalistes contre les procédures-bâillons. Le 2 mai 2023, le tribunal d’Erevan a ordonné un gel de 9 millions de drams (21 890 €) des avoirs du journaliste Davit Sargsyan, de même que le gel de 9 millions de drams des avoirs de son employeur, 168 Hours. Cette mesure découlait d’une action civile engagée pour diffamation le 31 mars par le maire adjoint d’Erevan, Tigran Avinyan, en réponse à un reportage vidéo de Sargsyan diffusé le 5 février. Sargsyan a écrit qu’il s’était appuyé sur des documents déjà publiés, non démentis par Avinyan à l’époque, et qu’à son avis le procès visait à «[lui] causer un préjudice financier important afin de [le] faire taire». Le 18 mai, le gel des avoirs a été levé à la demande du plaignant, qui a déclaré n’avoir «aucune intention de mettre en faillite un quelconque média ou de causer un quelconque désagrément financier».
122. L’application des dispositions du nouveau Code pénal relatives au discours de haine qui appellent à la violence ou la justifient soulève des préoccupations. Depuis leur adoption en 2020, 36 des 38 affaires portées devant les tribunaux concernaient des appels présumés à la violence contre le Premier ministre ou ses partisans. Le nombre d’affaires a plus que doublé en 2023 par rapport à 2022. Parmi les personnes poursuivies figurent des membres de l’opposition et des utilisateurs actifs sur les réseaux sociaux, qui affirment que la loi est appliquée de manière sélective et que les services répressifs n’ont pas pris au sérieux des appels ouverts à la violence et des menaces de violence émanant de membres du parti au pouvoir 
			(75) 
			Lusine Hakobyan, “Դատարանում
քննվող բռնության կոչերի 95%-ը ուղղված է Փաշինյանին և նրա աջակիցներին”
[95 % des appels à la violence examinés par les tribunaux visent
M. Pachinian et ses partisans], Hetq Online,
26 janvier 2024, <a href='https://hetq.am/hy/article/163786'>https://hetq.am/hy/article/163786</a>. .
123. Le 17 avril 2024, la Fédération européenne des journalistes a dénoncé l’utilisation abusive par les autorités de la loi contre le hooliganisme pour étouffer la liberté de la presse et la liberté d’expression 
			(76) 
			<a href='https://europeanjournalists.org/blog/2024/04/17/armenia-press-freedom-under-threat/'>European
Freedom of Journalists</a> (17 avril 2024). . En l’espèce, l’affaire concernait deux auteurs d’un podcast qui avaient été arrêtés et placés en détention provisoire pendant deux mois pour avoir «affiché une attitude ouvertement méprisante envers les normes morales et injurié M. Pachinian et son cabinet». Nous avons aussi été informés de la situation de plusieurs militants incriminés pour incitation à la violence après avoir publié des posts sur Facebook.
124. La sécurité physique des journalistes reste un sujet de préoccupation. Les violences physiques et les agressions contre des journalistes, commises par des agents publics comme par des particuliers, ont diminué ces dernières années, mais une augmentation du nombre de cas a été signalée en 2022. La plupart sont survenues lors de diverses manifestations de l’opposition. Les menaces de violences et d’agressions contre des journalistes donnent rarement lieu à une enquête appropriée. Les agressions des années précédentes n’ont pas fait l’objet d’un suivi et n’ont pas été portées de manière adéquate à la connaissance du public par les forces de l’ordre, et personne n’a été condamné pour avoir agressé des journalistes en 2020 ou en 2021. Cette impunité enhardit les auteurs des infractions et a dans le même temps un effet dissuasif sur la société, y compris sur les journalistes 
			(77) 
			Dans leurs commentaires,
les autorités ont indiqué qu’en 2020-2021, quatre personnes poursuivies
dans le cadre d’une procédure pénale ont été condamnées pour entrave
à l’activité professionnelle légitime des journalistes..
125. Le 25 mai 2023, un groupe d’organisations de la société civile 
			(78) 
			Enquête conjointe menée
par Access Now, CyberHUB-AM, Citizen Lab (laboratoire interdisciplinaire
de la Munk School of Global Affairs de l’université de Toronto),
Amnesty International Security Lab et un chercheur indépendant en sécurité
mobile. a publié un rapport commun révélant que le logiciel espion Pegasus avait été utilisé pour surveiller un certain nombre de personnalités publiques en Arménie, dont au moins cinq journalistes. Le rapport, intitulé «Piratage informatique en zone de guerre: le logiciel espion Pegasus dans le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie», identifie au moins 12 personnes dont les appareils ont été infectés par Pegasus, un logiciel espion produit par la société israélienne NSO Group. NSO Group affirme vendre sa technologie exclusivement aux gouvernements. La plupart des infections se concentrent sur la période de la guerre de 2020 entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et des escalades militaires qui ont suivi. Parmi les cibles figuraient des militants des droits humains, des universitaires et des fonctionnaires arméniens, deux représentants des médias qui ont requis l’anonymat et trois journalistes identifiés. Le rapport n’accuse pas spécifiquement l’Azerbaïdjan d’actes répréhensibles, mais il note que les autorités azerbaïdjanaises ont utilisé Pegasus «à grande échelle» pour surveiller un «large éventail de journalistes». Les auteurs notent également qu’au moment de la rédaction du rapport, ils n’avaient connaissance d’aucune preuve technique suggérant que l’Arménie ait été un utilisateur de Pegasus.

6.4. Situation des médias

126. Depuis son adhésion au Conseil de l’Europe en 2001, l’Arménie a été confrontée à des problèmes systémiques et récurrents en matière de liberté des médias. La révolution de velours de 2018 a inauguré une période de réformes qui a rapproché le pays des normes du Conseil de l’Europe en matière de liberté d’expression. Les médias en ligne indépendants en particulier ont montré qu’ils étaient capables de remplir le rôle démocratique essentiel joué par les médias.
127. En 2022, nous estimions que la diversité du paysage médiatique s’était généralement améliorée depuis 2018, mais notions que la scène médiatique arménienne restait très polarisée. Des changements positifs se reflètent également dans l’amélioration des classements internationaux par des organisations telles que Reporters sans frontières et Freedom House. Ces rapports reconnaissent également la diversité des médias, même si leur indépendance n’est pas totale, ainsi que le fonctionnement relativement libre des médias indépendants et d’investigation en ligne. Dans le même temps, des inquiétudes portent sur la persistance d’actions en justice et de violences contre les journalistes, l’influence politique et le contrôle des entreprises dans la presse écrite et audiovisuelle, et la polarisation des médias due à la représentation éditoriale des intérêts de leurs propriétaires.
128. Les sources d’information utilisées par le public arménien reposent désormais très majoritairement sur l’internet et les réseaux sociaux. La télévision est la deuxième grande source d’information, bien que son usage soit en baisse constante depuis 2015. Un nombre considérable d’Arméniens regarde la télévision locale et les chaînes de télévision russes, et les parties prenantes ont fait observer que l’actualité internationale en particulier est couverte par des chaînes de télévision russes. L’influence de la presse écrite a considérablement diminué.
129. La plupart des médias sont rattachés à des intérêts politiques ou commerciaux plus importants qui les contrôlent directement, d’où des limites systémiques et persistantes à la liberté de la presse et, par conséquent, à la performance des médias démocratiques. Le marché de la publicité est sous-développé, ce qui amène les médias à recueillir le parrainage et le soutien de responsables politiques et d’autres personnalités publiques influentes. Il en va de même pour les médias publics qui s’abstiennent souvent de critiquer le gouvernement. Ces facteurs limitent l’indépendance financière des médias. L’un des principaux défis du secteur est de révéler les véritables propriétaires des médias en Arménie.
130. La loi sur les médias audiovisuels, qui a remplacé la loi obsolète sur la radio et la télévision, a été adoptée en 2020. Elle entend refléter les changements significatifs dans la nature de la production et de la diffusion de contenu dans l’environnement médiatique transformé par le numérique. Ses dispositions ont suscité des inquiétudes et une révision de la loi est nécessaire pour l’aligner sur les normes du Conseil de l’Europe. En mars 2022, la DGI du Conseil de l’Europe a publié un document technique sur l’évaluation des besoins du secteur des médias en Arménie 
			(79) 
			Conseil de l’Europe,
Direction générale droits humains et État de droit, «Overview of
the national legislative framework covering media freedom, freedom
of expression, public service media and its compliance with Council
of Europe standards» (Aperçu du cadre législatif national relatif
à la liberté des médias, à la liberté d’expression, aux médias de
service public et de sa conformité avec les normes du Conseil de
l’Europe), <a href='https://rm.coe.int/armenia-tp-needsassessmentreport-update2022-jul22-2756-5040-1542-v-1-e/1680a841de'>DCFE-ARM-NAR-TP-1/2022</a>., dans lequel elle recommande aux autorités nationales de procéder à une réforme juridique majeure. Dans le cadre du Plan d’action du Conseil de l’Europe pour l’Arménie 2023-2026, le Conseil de l’Europe et les autorités arméniennes ont convenu de poursuivre ensemble, par le biais de programmes de coopération, les réformes visant à renforcer la liberté des médias. Nous suivrons avec attention les développements en la matière.

6.5. Violence à l’égard des femmes

131. L’Arménie a récemment pris un certain nombre de mesures visant à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, à lutter contre la violence domestique et à assurer la protection juridique des femmes victimes de violences, en adoptant des lois et des politiques pertinentes. L’adoption de la loi contre la violence domestique en décembre 2017, la signature de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul») en janvier 2018, de même que la stratégie et le plan d’action 2019-2023 pour la mise en œuvre de la politique d’égalité femmes-hommes dans la République d’Arménie sont autant d’exemples qui montrent bien la détermination du gouvernement à agir contre la violence domestique. Selon les autorités, le financement public des organisations non gouvernementales qui fournissent des services de soutien aux personnes victimes de violences a augmenté en 2023. Le Plan stratégique pour la mise en œuvre de la politique d’égalité femmes-hommes dans la République d’Arménie pour la période 2024-2028 est en cours d’élaboration.
132. À la demande du ministère de la Justice, la Commission de Venise a préparé un avis sur les implications constitutionnelles de la ratification de la Convention d’Istanbul, qui a contribué à mieux faire connaître cet instrument au niveau institutionnel. Des progrès ont certes été accomplis en vue d’améliorer l’égalité d’accès des femmes à la protection juridique et à des voies de recours effectives en cas d’atteinte à leurs droits, mais de nombreuses difficultés subsistent, notamment la persistance d’obstacles juridiques, institutionnels, socio-économiques et culturels à l’égalité de genre et à l’accès des femmes à la justice, ainsi que l’accès limité des femmes à l’aide juridique et aux services de soutien et d’accompagnement.
133. Le 7 février 2024, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture un projet de loi sur la prévention de la violence domestique et une meilleure protection des personnes qui en sont victimes. L’objet de ce texte, selon ses auteurs, est d’améliorer l’efficacité de la prévention des violences intrafamiliales et la protection des victimes. Entre autres mesures, le projet de loi qualifie notamment le «test de virginité» de forme de violence. Selon les auteurs de ce projet, 14 femmes sont décédées en 2023 des suites de violences domestiques. Selon le texte proposé, la liste des circonstances aggravantes énumérées dans plusieurs articles du Code pénal sera revue pour y inclure les facteurs déterminés par le genre, ainsi que le fait que l’infraction ait été commise par un proche parent, un partenaire ou un ancien partenaire.
134. Certains membres de l’opposition ont expliqué que ce sujet avait été amené de manière artificielle, ce qui semble indiquer que la polarisation extrême du débat politique se propage à d’autres sujets qui devraient être de nature consensuelle, comme la question de la violence à l’égard des femmes.

6.6. Lutte contre la discrimination/société inclusive

135. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a publié son cinquième rapport sur l’Arménie (sixième cycle de monitoring) le 20 juin 2023. Le rapport constate que des progrès ont été réalisés et que de bonnes pratiques ont été développées dans un certain nombre de domaines.
136. L’ECRI relève avec satisfaction que les représentants des minorités ethniques et religieuses ne rencontrent en général pas d’obstacles en ce qui concerne leur participation à la vie publique et leurs relations avec les autres groupes. Dans le domaine de l’éducation inclusive, l’ECRI félicite l’Arménie pour les mesures prises afin de garantir la continuité de l’enseignement pour 80 % des élèves issus de familles à faibles revenus dans les zones rurales touchées par la fermeture d’établissements scolaires du primaire et du deuxième cycle du secondaire en raison de la pandémie de covid-19. Certains des sujets de préoccupation soulevés dans le rapport de l’ECRI correspondent à nos propres conclusions concernant le discours de haine.
137. Le Code pénal adopté en 2021 a élargi le champ des circonstances aggravantes afin d’y inclure les motifs de haine, d’intolérance ou d’animosité liés à l’origine raciale, nationale, ethnique ou sociale, à la religion, aux opinions politiques ou autres ou à d’autres circonstances à caractère personnel ou social. Contrairement à ce qui était le cas dans l’ancien code, les motifs fondés sur des préjugés sont présentés de manière non exhaustive dans le nouveau Code pénal, de sorte que les préjugés liés à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre relèvent du critère des «autres circonstances à caractère personnel».
138. Dans son dernier rapport de visite sur l’Arménie, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a relevé l’absence d’une loi générale prohibant toute discrimination qui ferait explicitement référence à l’interdiction de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Elle a aussi appelé les autorités à prendre des mesures contre la discrimination visant les personnes LGBTI en Arménie. La Résolution 2418 (2022) de l’Assemblée «Violations alléguées des droits des personnes LGBTI dans le Caucase du Sud» réitère la recommandation faite par la Commissaire.
139. Dans son rapport publié en 2023, l’ECRI indique que «[l]a notion d’“identité arménienne” est trop souvent dévoyée pour alimenter l’intolérance dans les discours et les actions à l’égard des communautés LGBTI et, dans une certaine mesure, des minorités religieuses et autres, au lieu de promouvoir le respect de la diversité, qui est une idée considérée comme étroitement associée à la tradition arménienne».
140. Selon l’ECRI, plusieurs cas documentés de menaces, insultes et autres manifestations de discours de haine visant des personnes LGBTI impliquent des personnalités politiques sur les réseaux sociaux et au parlement. Une audience parlementaire publique sur les droits humains, organisée en avril 2019, au cours de laquelle une militante transgenre est intervenue pour évoquer la question des crimes de haine transphobes en Arménie, a occasionné un déferlement de haine contre les personnes LGBTI sans précédent. Certains députés ont par exemple déclaré que «ces individus devraient être brûlés» et se sont engagés à combattre les «déviants sexuels». Des arguments LGBTIphobes décrivant les personnes LGBTI comme des menaces pour les valeurs familiales, l’identité nationale et la sécurité nationale sont fréquemment utilisés dans la sphère politique et restent très peu remis en cause 
			(80) 
			Human
Rights Watch, «2021 Report on Armenia»; ECRI, <a href='https://rm.coe.int/sixiemre-rapport-de-l-ecri-sur-l-armenie/1680ab9e34'>rapport
sur l’Arménie</a> (sixième cycle de monitoring), p. 15-16.. L’ECRI déplore l’absence de code de conduite sanctionnant notamment le discours politique raciste et LGBTIphobe au parlement. Les dirigeants politiques et les parlementaires devraient préciser clairement que le recours au discours de haine par les membres de leurs mouvements est inacceptable et prendre des mesures pour prévenir et sanctionner ces pratiques.
141. L’Arménie doit assurer un suivi complet des actes motivés par la haine et a besoin d’un mécanisme adapté de collecte des données. Il ressort des constatations faites par l’ECRI que les quelques données disponibles sur les cas de discours de haine de nature criminelle et les infractions motivées par la haine ne traduisent pas la véritable ampleur du problème 
			(81) 
			<a href='https://rm.coe.int/situational-analysis-armenia-eng/16809e49f1'>Rapport</a> sur la collecte de données sur la discrimination, les
crimes de haine et les discours de haine en Arménie (novembre 2019). . Selon des sources publiques, 68 crimes de haine ont été enregistrés par la police en 2021. Leurs auteurs ont fait l’objet de poursuites dans 9 cas et d’une condamnation dans trois cas seulement. Les données communiquées par la police portaient sur 27 homicides, 8 cas d’atteinte aux biens, 21 cas d’incitation à la violence et 2 cas concernant une «atteinte à l’égalité juridique des citoyens». Cependant, la plupart du temps, des indications quant à l’éventuelle existence d’un motif fondé sur des préjugés faisaient défaut. Afin d’obtenir une vision cohérente de la fréquence des crimes de haine et de la réponse des autorités chargées de l’instruction et des autorités judiciaires face à ces crimes, les autorités ont été invitées à veiller à ce qu’un système approprié soit mis en place pour assurer la collecte et l’enregistrement de données sur les crimes de haine et à fournir des informations sur le nombre de plaintes déposées pour crime de haine ou discours haineux, le nombre d’enquêtes ouvertes, le nombre d’affaires portées devant les tribunaux et leur issue. Depuis l’adoption du nouveau Code pénal en janvier 2023, des statistiques à part sont tenues pour tous les articles introduisant la qualification de circonstance aggravante dès lors que les causes de la haine, de l’intolérance ou de l’animosité tiennent à l’une des conditions suivantes: la race, la nationalité, l’appartenance ethnique ou l’origine sociale, la religion, les opinions politiques ou autres ou toute autre circonstance d’ordre personnel ou social.
142. Un projet de loi sur l’égalité devant la loi est en cours d’élaboration avec la participation d’experts internationaux et devrait être soumis à l’Assemblée nationale pour adoption en 2024. Il vise à assurer l’égalité des chances dans la mise en œuvre des droits et des libertés dont jouit toute personne, sans discrimination aucune. Cette loi définira la notion de discrimination et ses différentes formes, les sujets de discrimination et les mécanismes permettant de garantir l’égalité, ainsi que le statut, les objectifs et les activités du Conseil pour l’égalité.